- Histoire De L'Afrique Du Sud
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Histoire de l'Afrique du Sud
L'histoire de l'Afrique du Sud est très riche et très complexe du fait de la juxtaposition de peuples, de cultures et d'ethnies différentes depuis la Préhistoire. La culture des Bochimans y est présente depuis au moins 25 000 ans et celle des Bantous, 2 500 ans. Les deux cultures auraient, selon des sources limitées à l'archéologie, généralement cohabité paisiblement. L'histoire écrite débute avec l'arrivée des Européens, en commençant par les Portugais qui décident de ne pas coloniser la région, laissant la place aux Néerlandais. Les Britanniques la contestent vers la fin du XVIIIe siècle, ce qui a mené à deux guerres. Le XXe siècle est marqué par le système législatif séparatiste et ségrégationniste de l'apartheid puis par l'élection du premier président noir d'Afrique du Sud suite aux premières élections nationales multiraciales organisées dans le pays.
Pré-colonisation
L'histoire précoloniale est difficile à relater en raison notamment de l'absence d'écrits et de la difficulté à dater des évènements passés concernant un territoire étendu, à l'époque inconnu des civilisations maîtrisant l'écriture et peu peuplé. Par conséquent, l'histoire de ce pays n'a longtemps relaté que les évènements postérieurs aux premières explorations européennes. Ce n'est que depuis une vingtaine d'années que les historiens intègrent vraiment les découvertes des archéologues pour commencer à (tenter de) retracer la période précoloniale de l'Afrique du Sud.
Préhistoire
De nombreux fossiles trouvés en 1998 dans les grottes de Sterkfontein, Kromdraai et Makapansgat indiquent que des hominidés australopithecines vivaient sur le plateau Highveld il y a environ 2,5 millions d'années[1]. Il est généralement accepté que Homo sapiens, l'humain moderne, a remplacé l'hominidé Homo erectus il y a 100 000 ans. Des fossiles controversés trouvés à l'embouchure de la rivière Klasies, dans la province du Cap-Oriental, indiqueraient que l'humain moderne vivait en Afrique du Sud il y a 90 000 ans.
Ces premiers habitants ont développé la culture des Bochimans, qui est présente depuis entre 40 000 et 25 000 ans. C'est donc la plus vieille culture au monde ayant continuellement existé, avec celle des Aborigènes d'Australie. Les Bochimans, dont le nombre n'excéda jamais une cinquantaine de milliers d'individus sur le territoire de l'actuelle Afrique du Sud[3] étaient d'abord des chasseurs-cueilleurs nomades qui avaient un tel respect de la nature qu'ils n'ont, en termes modernes, laissé presque aucune empreinte écologique à part des peintures rupestres.
Il y a environ 2 500 ans, certains Bochimans ont acquis du bétail des régions plus au nord, ce qui a graduellement changé leur mode de vie économique de chasseurs-cueilleurs vers celui d'éleveurs. Cela a introduit les notions de richesse personnelle et de propriété dans leur société, en solidifiant ainsi les structures et développant sa politique.
Les Khoïkhoï, des Bochimans pastoraux, se sont déplacés vers le sud, rejoignant l'endroit de nos jours nommé Cap de Bonne-Espérance. Ils ont continué à occuper davantage les côtes, tandis que les Bochimans, qu'ils nommaient San, sont restés à l'intérieur des terres. Leurs liens étaient toutefois étroits et le mélange des deux cultures a donné lieu à celle des Khoïsan.
Expansion des Bantous
À la même époque où les Khoïkhoï apparaissent, des peuples Bantous sont arrivés du nord-ouest, plus précisément du delta du Niger. La première vague de ces peuples migrants issus de l'Âge du fer, agriculteurs et éleveurs, aurait atteint l'Afrique du Sud vers l'an 300[4] pour s'établir dans l'actuelle province du KwaZulu-Natal vers 500. D'autres ont descendu la rivière Limpopo vers les IVe siècle ou Ve siècle pour parvenir vers le Xe siècle dans l'actuelle province du Cap-Oriental. Leur migration n'était pas cohésive et s'est faite en petites vagues, déplaçant tout de même des populations de chasseurs-cueilleurs.
Non seulement éleveurs, les Bantous étaient aussi des agriculteurs, maîtrisant entre autres cultures, celle du blé. Ils travaillaient aussi le fer et vivaient dans des villages. Ce sont les ancêtres des peuples parlant les langues nguni : xhosa, zoulou et diverses autres langues tribales. Les Xhosas seront les seuls à être organisés en États pour se défendre de leur voisin. Pour tous les autres peuples, l'unité politique ne dépassera pas le groupe de village.
Les deux cultures auraient, selon des sources limitées à l'archéologie, généralement cohabité paisiblement. Toujours est-il qu'on peut observer une intégration d'éléments des cultures Khoïsan et Bantoue. Outre les artéfacts archéologiques, la linguistique révèle que le clic caractéristique des Khoïsan a été incorporé dans plusieurs langues bantoues[5].
L'arrivée des Européens
Article détaillé : Histoire de la Colonie du Cap.L'histoire écrite débute avec l'arrivée des Européens. C'est le 3 février 1488, à Mossel Bay que débarque pour la première fois sur ces rives un équipage européen à la recherche d'une nouvelle route vers l'Inde et l'Asie, commandé par le Portugais Bartolomeu Dias. Ils nomment le cap Cabo da Boa Esperança, nom portugais du Cap de Bonne-Espérance.
Le 25 décembre 1497, un autre navigateur portugais, Vasco de Gama, explore la côte sud du continent et baptise une des régions côtières du nom de Natal (Noël en portugais). En 1498, il contourne l’Afrique et pousse au nord-est, explorant des régions de l'actuel Mozambique, avant de se diriger vers l'Inde. Les côtes n'étant par propices à l'accostage et des tentatives d'échanges avec les Khoïkhoï s'étant révélées propices aux conflits, les Portugais jettent leur dévolu sur la région du Mozambique. Celle-ci offre en effet de meilleurs points d'accostages, en plus de ressources naturelles intéressantes, dont certains fruits de mer et des gisements d'or.
Le naufrage, en 1647, du navire hollandais, le Nieuw-Haarlem, dont les rescapés avaient survécu un an au pied de la montagne du Cap, incite les Néerlandais à créer en cet endroit un point de ravitaillement. C'est ainsi que la Compagnie néerlandaise des Indes orientales envoie Jan van Riebeeck pour y installer une base fortifiée.
Le 6 avril 1652, Jan van Riebeeck débarque au pied de la Montagne de la Table, avec quatre-vingts hommes à bord du Drommedaris pour créer une « station de rafraîchissement », destinée à fournir de l'eau, de la viande, des légumes et des fruits frais aux équipages diminués par le scorbut après quatre mois de mer[6]. Ce territoire était délimité par une haie d'amandes amères dont on retrouve la trace dans les jardins botaniques de Kirstenbosch. Le château fort pentagonal de Bonne-Espérance, le plus vieux monument du pays, est construit de 1666 à 1670.
La péninsule était alors habitée par quelques tribus de chasseurs indigènes Khoi et San que les Hollandais baptisèrent du nom de Hottentot (bégayeur). Des relations commerciales se nouèrent entre eux. Les bochimans échangèrent leur bétail contre toute sorte d’objet manufacturés hollandais. Mais une partie d'entre eux fut néanmoins décimée par la variole apportée par les Européens.
Les premiers temps furent aussi difficiles pour les colons hollandais. Dix-neuf d'entre eux ne passèrent pas le premier hiver.
En 1657, van Riebeeck recommanda que les hommes libérés de leurs obligations vis-à-vis de la compagnie, soient autorisés à commercer et à s'installer comme colons. En février 1657, les premières autorisations d'établissement sont délivrées à neuf (ex-)salariés de la compagnie. La même année, une première cargaison d'esclaves en provenance de Batavia et de Madagascar arrivent au Cap[7].
Entre 1657 et 1667, plusieurs expéditions furent organisées pour reconnaître l'intérieur des terres. Quand van Riebeeck quitta le territoire en 1662, le comptoir commercial du Cap comptait 134 salariés de la Compagnie des Indes Orientales, 35 colons libres, 15 femmes, 22 enfants et 180 esclaves importés d'outre mer.
En 1679, Simon van der Stel est nommé commandeur de la ville du Cap. Le territoire qu'il doit administrer s'étend alors de la région qui s'étend de Muizenberg sur l'océan Indien aux montagnes de Steenberg et de Wynberg. Il entreprend de développer cette région en concédant des terres aux colons néerlandais, c'est-à-dire les Boers, afin de développer les cultures et fait planter plus de huit mille arbres.
En 1685, le groupe de 800 colons est rejoint par 200 huguenots chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes[8]. Simon van der Stel leur concède des terres riches en alluvions dans la vallée d'Olifantshoek et de la rivière Berg, protégées des vents du large par un grand cirque rocheux, pour y développer la viticulture. Ils créent les neuf fermes historiques avec des vignes françaises : La Bourgogne, La Dauphine, La Brie, Champagne, Cabrière, La Terra de Luc, La Cotte, La Provence et La Motte.
En 1691, le territoire accède au statut officiel de colonie et en 1700, compte 1 334 habitants blancs alors qu'elle n'en comptait pas plus de 168 en 1670[9].
Dès la fin du XVIIe siècle, pour pallier la pénurie de main d'œuvre, des esclaves doivent être importés de Guinée, de Madagascar, d’Angola et de Java[10] (leurs descendants constitueront le groupe ethnique des « Malais du Cap »). En effet, à cette époque, les premières tribus africaines ne résident pas à moins de 1 000 km à l'est au-delà de la rivière Kei. Cette absence de Noirs au Cap, ainsi que dans certaines régions de l'intérieur, déclenche bien plus tard la polémique entre Afrikaners et Noirs quant à l'antériorité de leur présence en Afrique du Sud.
En 1706, la première révolte de colons contre les méthodes de gouvernement et la corruption du gouverneur Willem Adriaan van der Stel[11] aboutit, non seulement sur le renvoi de ce dernier mais aussi sur l'arrêt de l'immigration européenne en Afrique du Sud. Pour la Compagnie des Indes, il s'agit de réorienter la colonie vers son utilité originelle, celle de station de ravitaillement et non d'être un foyer de peuplement revendicatif. A cette fin, la Compagnie avait également entrepris de monopoliser les débouchés commerciaux de la colonie, de fixer les prix des productions locales et d'imposer une administration de plus en plus tatillonne et procédurière. Cette politique restrictive d'harcèlement allait cependant encourager l'esprit libertarien chez les colons libres et les paysans néerlandais natifs de la colonie. Ces derniers cherchèrent alors à échapper au contrôle oppressif de la Compagnie et franchirent les frontières de la colonie pour s'établir hors de sa juridiction, dans l'intérieur des terres. Ils ont appelés Trekboers (paysans nomades).
Au XVIIIe siècle, les Trekboers fondent ainsi les villes de Swellendam et Graaff-Reinet, en dépit d'accrochages meurtriers avec les peuples autochtones Khoikhoi et San, obligeant la colonie du Cap à fixer de nouvelles frontières situées au-delà des implantations boers les plus importantes[12].
En 1713 et 1755, deux épidémies de variole ravagent la colonie, tuant un milliers de blancs mais décimant les peuples Khoikhoi.
L'expansion des Trekboers augmentaient les risques de conflits avec les tribus indigènes émigrant d'Afrique centrale vers le sud et l'ouest de l'Afrique du Sud. Celles-ci vivaient à quelques 1 500 km du Cap sur la côte atlantique et à 700 km à l'est dans l'intérieur des terres. En 1779 ont lieu les premières escarmouches entre Boers et tribus indigènes Xhosas pour la possession de bétail dans les zones frontalières (première guerre Cafre). En 1780, le gouverneur néerlandais Joaquim van Plettenberg fixe alors la frontière-est de la colonie du Cap à la rivière Great Fish et à la rivière Gamtoos. Mais les années qui suivent sont marquées par de multiples guerres de frontières[13].
Incursions britanniques
La faillite de la Compagnie des Indes Orientales en 1798, et les menées de l'organisation des Patriotes, aidés par les Français, contribuent à la présence dans la région des Anglais.
Le Royaume-Uni conquiert la région du Cap de Bonne-Espérance en 1797 pendant les guerres anglo-hollandaises. La puissance des Pays-Bas est en déclin et la rapidité de l'action britannique s'explique par la volonté d'éviter que la France ne s'approprie la région. Après avoir chassé du pouvoir le Stathouder Guillaume V d'Orange-Nassau, qui se réfugie à Londres avec sa famille, les Pays-Bas récupèrent la colonie en 1803 lors de la paix d'Amiens, mais la déclarent en faillite en 1805[14].
En 1806, la colonie est de nouveau occupée par le Royaume-Uni à qui elle est officiellement annexée en 1814.
La colonie britannique est alors établie avec 25 000 esclaves, 20 000 colons blancs, 15 000 Khoïsan et 1 000 esclaves noirs libérés. Le pouvoir est jalousement détenu par son élite et les classes sociales basées sur la race sont fortement ancrées. Comme les Néerlandais, les Britanniques voient le Cap comme un point stratégique de ravitaillement, non pas comme une colonie.
En 1807, elle avait été rattachée au Colonial Office, représentée localement par un gouverneur. Les sociétés missionnaires anglicanes s'installent alors dans la colonie et entreprennent de venir en aide, de conseiller et de convertir les tribus hottentotes locales.
En 1812, les missionnaires obtiennent que les plaintes déposées par les Hottentots contre leurs employeurs soient traitées par les tribunaux et que les audiences soient publiques. Dans le veld, les Boers perçoivent ces avancées comme une atteinte à leurs libertés. Lorsque le jeune boer Frederic Bezuidenhout, qui avait refusé de diligenter à unes convocation judiciaire et avait été condamné par défaut, est tué lors de son arrestation par un policier hottentot, sa mort déclenche un mouvement de rébellion parmi les fermiers. Accusés de haute trahison, cinq d'entre eux sont condamnés à mort et pendus à Slachters Neck[15]. Le fossé entre les Britanniques et les Boers ne va dès lors cesser de s'élargir.
En 1819, suite à une énième guerre de frontière, les territoires situés en amont de la rivière Fish jusqu'à la rivière Keiskama sont annexés à la colonie du Cap.
En 1820, près de 5 000 colons britanniques débarquent au sud-est du Cap[16] et fondent la ville de Port Elizabeth à la frontière des territoires Xhosas. L'idée est de créer une zone tampon entre les fortifications du Cap et les territoires Xhosas. Cette stratégie échoue et dès 1823, la moitié des colons se sont retirés dans les villes, notamment Grahamstown et Port Elizabeth.
Le fossé entre les Britanniques et les Boers s'élargit, tandis que les premiers dominent la politique, la culture et l'économie et les seconds, restent relégués aux fermes.
En 1822, le néerlandais perd son statut de langue officielle dans les tribunaux et les services gouvernementaux. Il recule dans les domaines scolaires et religieux. Le processus d'anglicisation est en marche alors que le patois néerlandais, appelé aussi afrikaans, est dénigré. En 1828, l'anglais devient la seule langue officielle pour les affaires administratives et religieuses. Les Hottentots se voient également reconnaitre l'égalité des droits avec les blancs.
Quand les Britanniques abolissent l'esclavage en 1833, le fossé se creuse davantage car les Boers considèrent que c'est un acte contre la volonté divine de la hiérarchie des races. Pour apaiser les esprits, le gouverneur, Sir Benjamin D'Urban instaure un conseil législatif de 12 membres supposé permettre aux administrés du Cap de débattre des affaires publiques.
Les compensations pécuniaires pour l'émancipation des esclaves ne satisfirent pas cependant les anciens propriétaires d'esclaves et en 1835, plusieurs milliers de fermiers Boers décidaient de rompre tout lien avec la colonie du Cap et de s'exiler à l'intérieur des terres pour fonder une république boer indépendante. C'est le Grand Trek.
L'apogée de l'Empire zoulou
Article détaillé : Royaume zoulou.C'est aussi à cette époque que l'Empire zoulou connaît son apogée sous la conduite de son chef Chaka. Celui qui, depuis 1816, dirige la nation des Ngunis-Amazoulou, « ceux du ciel », a remodelé l'organisation de son peuple en une armée de métier constituant le pivot de la société, révolutionnant les structures traditionnelles[17]. Il bouleverse également la stratégie militaire de son armée, optant pour l'attaque « en tête de buffle » où les ailes opèrent en mouvement tournant. S'il règne à ses débuts sur un territoire de 100 000 km2, c'est avec son armée gigantesque de 100 000 hommes qu'il réoriente l'expansion de son royaume vers l’ouest et vers le sud contre les peuples Tembou, Pondo et Xhosa. Ce faisant, il va conquérir en quatre années un territoire plus vaste que la France, au prix de véritables massacres et de nettoyages ethniques. Cette période est connue sous le nom de Mfecane où les vainqueurs zoulous supprimaient les vieillards des peuples vaincus, incorporaient dans la nation les femmes et enrégimentaient les jeunes dans les Impis. Ces derniers devaient abandonner leur identité ethnique pour devenir de véritables Zoulous. S'ils refusaient, ils étaient tués. Selon certains historiens, ses conquêtes seraient responsables directement ou indirectement de la mort de plus de deux millions de personnes qui laisseront d'immenses territoires vides de toute population.
Le déclin de Chaka commence avec sa tendance de plus en plus affirmée à la tyrannie, qui lui valut l’opposition de son propre peuple. À la mort de sa mère Nandi en 1827, Chaka fait exécuter plus de 7 000 personnes et durant une année entière, il est interdit aux gens mariés de vivre ensemble et à tous de boire du lait.
En 1828, il est finalement assassiné, victime d'un complot organisé par son demi-frère Dingane et par Mzilikazi.
C'est à cette époque aussi que les territoires vidés de leurs peuples sont explorés par des « Trekboers » en quête d'indépendance.
Le Grand Trek
Articles détaillés : Grand Trek et Bataille de Blood River.Les mauvaises relations entre les boers et l'administration britannique conduisent les premiers à revendiquer leur africanité (« ek been ein afrikander » comme le revendiqua déjà le jeune Hendrik Bibault face aux autorités néerlandaises en 1707[18]) et à refuser l'administration coloniale.
En 1835, l'abolition de l'esclavage, les compensations insuffisantes des fermiers afrikaners et l'arrogance des autorités britanniques conduisent des milliers de Boers à choisir l'émancipation du pouvoir colonial. Entre 68 000[19] et 105 000 blancs[20] vivent alors dans la colonie du Cap. Optant pour un nouveau départ vers l'intérieur des terres, quelques 4 000 Boers embarquent pour l'inconnu à bord de leurs chars à bœufs, avec femmes, enfants et serviteurs. Les premiers groupes organisés quittent les régions et villes du Cap, de Graaff-Reinet, de George et de Grahamstown avec à leurs têtes, des chefs élus par leurs communautés comme Andries Pretorius, Louis Trichardt, Hendrik Potgieter et Piet Retief. Le nombre de ces pionniers s'élevera à plus de 14 000 dans les dix années qui suivirent[21][22]. On les appellera les Voortrekkers.
Cette période est connue sous le nom de Grand Trek et a façonné la mythologie des Afrikaners, le peuple élu, la tribu blanche, à la recherche de sa terre promise. Digne du Far West américain, cette aventure constitue la genèse du volk afrikaner dont les motivations sont exposées dans un manifeste rédigé le 22 janvier 1837 par le voortrekker Piet Retief dans lequel il énonce ses griefs contre l'autorité britannique, les humiliations que les Boers estiment avoir subis, leur croyance en un Être juste qui les guidera vers une terre promise où ils pourront se consacrer à prospérité, à la paix et au bonheur de leurs enfants, une terre où ils seraient enfin libre et où leur gouvernement décidera de ses propres lois[23][24].
La création dans le sang d'une république boer au Natal contre les Zoulous est lourdement chargé de symboles à ce titre. Ainsi, la trahison dont ont été victimes les chefs voortrekkers Gert Maritz et Piet Retief symbolise et justifiera la méfiance des Afrikaners envers les Noirs d’Afrique du Sud. En effet, alors que Retief venait de négocier un accord de co-existence et d’entraide avec Dingane kaSenzangakhona, le Roi des Zoulous, qu’il avait accepté l’invitation pour un banquet en cet honneur et à cette fin d’être désarmé, il est massacré avec 60 de ses hommes. Le Roi ordonne alors de trouver les campements boers et de massacrer tous ceux qui s’y trouvaient. Alertés par des survivants qui échappent à ces massacres, les familles boers se rassemblent autour de leurs chefs Andries Pretorius et Sarel Cilliers.
Le 16 décembre 1838, à l’aube de la confrontation finale, ils jurent que si Dieu leur accordait la victoire, ils construiraient une église pour rendre grâce au seigneur afin de l'honorer et se promettent de lier leur destin au seul Volk et à Dieu.
La confrontation lors de la bataille de Blood River entre les 500 Boers repliés derrière leurs chariots rangés en cercle (Laager) et les 10 000 guerriers zoulous se solde par une véritable hécatombe zouloue, colorant de leur sang la rivière Ncome dorénavant connue sous le nom de Blood River, alors que les voortrekkers n’avaient que quelques blessés. Cette victoire consacre la foi des Boers en leur destin biblique et avoutit à la fondation de la république de Natalia. Celle-ci ayant été annexé dès 1843 par les Britanniques[25], les Boers reprennent leur grand trek vers le nord, au-delà des fleuves Orange et Vaal.
La cafrerie britannique
Article détaillé : Cafrerie britannique.Sur la frontière orientale de la colonie du Cap, les escarmouches entre colons, boers et Xhosas étaient de plus en plus violentes. En 1834, un chef de haut rang Xhosa est tué lors d'un raid des commandos boers. Une armée de 10 000 guerriers, franchit alors la frontière orientale de la colonie, procède à un pillage systématique des fermes et abat tous ceux qui résistent. Un contingent militaire britannique est alors envoyé dans la région sous le commandement du Colonel Harry Smith en janvier 1835. Pendant neuf mois, de sévères combats opposent troupes britanniques et les guerriers Xhosas. Le 10 mai 1835, la région située en amont de la rivière Keiskamma et en aval de la rivière Kei est annexée à la colonie du Cap sous le nom de province de la Reine Adélaide, en hommage à l'épouse du Roi Guillaume IV. Cependant, le secrétaire d'état aux colonies exigea que la région soit restituée aux indigènes et en 1836, les troupes britanniques se retiraient de la zone tampon pour s'établir près de la rivière Keiskamma.
Du côté de la frontière nord de la colonie du Cap, les premiers traités étaient signés avec les Gricquas en 1843-1844 pour la reconnaissance du Griqualand Ouest.
En mars 1846, une nouvelle guerre Cafre est déclenchée sur la frontière orientale et se conclue par la défaite des guerriers Xhosas. Le district de la Reine Adélaide est déplacé à King William's Town et devient la Cafrerie britannique, administrée séparément de la colonie du Cap en tant que possession de la Couronne britannique.
Le 24 décembre 1850, les Xhosas se soulèvent de nouveau. Les colons établis dans les villages frontaliers sont attaqués par surprise, la plupart sont tués et leurs fermes incendiées. Le conflit débouche finalement sur une nouvelle défaite Xhosa en 1853. La Cafrerie britannique changea alors de statut pour devenir une colonie de la Couronne.
En 1856, une jeune fille xhosa nommée Nongqawuse annonça avoir eu une vision : la puissance des Xhosas serait restaurée, le bétail multiplié et les Blancs chassés à la condition que pour le 11 août 1856, tout le bétail soit abattu, les récoltes brulées et les réserves alimentaires détruites. Elle fut entendue et les chefs xhosas ordonnèrent de procéder à la destruction du bétail et des récoltes[26]. La prédiction ne se réalisa pas alors que 85 % du bétail avait été abattu. La faute en fut imputée aux récalcitrants et de violentes querelles achevèrent de plonger la région dans la misère et la famine. Pour survivre, plusieurs milliers de Xhosas n'ont d'autres choix que de recourir au cannibalisme alors que d'autres fuyaient vers la colonie du Cap pour implorer des secours. En fin de compte, cette famine meurtrière signa la fin des guerres entre Britanniques et Xhosas. La population de la Cafrerie passa en deux ans de 105 000 à moins de 27 000 individus. Les terres dépeuplées furent alors attribuées à plus de 6 000 immigrants européens d'origine allemande.
En 1866, tout le territoire de la cafrerie britannique est incorporée à la colonie du Cap pour former les districts de King William's Town et de East London.
Les Républiques Boers du Transvaal et de l'Orange
Article détaillé : Républiques boers.Suite à l'annexion du Natal par les Britanniques au début des années 1840, l’épopée boer recommence pour atteindre son apogée dans les années 1852-1854 avec la création des deux républiques indépendantes : la Zuid Afrikaansche Republiek (« République sud-africaine ») au Transvaal et l'Oranje Frystaat (« État libre d'Orange »), reconnues par les Britanniques par le Traité de Sand River.
Ces républiques économiquement arriérées, faiblement peuplées, où seuls les Boers sont citoyens, furent souvent en conflit avec les tribus africaines voisines. Si l'État libre d'Orange réussissait rapidement à parvenir à une stabilité politique, la république sud-africaine au Transvaal devait mettre plusieurs années à assimiler une petite dizaine de micro républiques boers réfractaires. La tentative par le président Marthinus Wessel Pretorius de fusionner les deux grandes républiques au début des années 1860 fut un échec.
Faiblement peuplés, le Transvaal comme l'État libre d'Orange sont des sortes de patriarcats pastoraux, aux infrastructures des plus sommaires. La ZAR est constituée essentiellement de fermes disséminées sur des milliers de kilomètres. Si l'inégalité des blancs et des gens de couleurs que ce soit dans l’État ou au sein de l'église réformée hollandaise est affirmée dans la loi fondamentale de l'Etat, des traités sont signés entre le Transvaal et les chefs indigènes garantissant un droit de propriété foncier inaliénable dans les 8 territoires tribaux reconnus au sein de la république.
De son côté, en mars 1854, la colonie du Cap avait été dotée d'une constitution prévoyant l'établissement de deux assemblées dont les membres étaient élus au suffrage censitaire. Le minimum de propriété pour voter à la chambre basse était ainsi très faible (25 livres) permettant à 80 % de la population masculine d'exercer son droit de vote. La sélection des électeurs de la chambre haute était plus rigoureuse et nécessitait de posséder déjà une certaine fortune (de 2 000 à 4 000 livres). L'égalité des races, reconnues depuis 1828, y avait été réaffirmée. Ainsi, un grand nombre de métis se retrouvait électeur de plein droit à la chambre basse.
La colonie britannique du Natal était quant à elle sujet à de profonds troubles suite à la farouche résistance des Zoulous.
En 1870, les deux républiques boers totalisent 45 000 habitants contre près de 200 000 blancs dans la colonie du Cap[27] En janvier 1879, l'armée britannique subit une défaite mémorable à Isandhlwana[28]. Et c'est lors d'une escarmouche avec les Zoulous que le jeune Prince Impérial, fils de Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie, trouve la mort le 1er juin 1879[29]. Une fois la résistance zoulou anéantie, le gouvernement colonial britannique put reporter son attention sur les républiques boers, véritables épines dorées au milieu de leur Empire.
En effet, le Transvaal notamment se révèle immensément riches en or et diamants : leurs découvertes à partir des années 1860 sont perçues par les Boers, fermiers avant tout, comme une véritable catastrophe. Des milliers d'aventuriers affluent vers le Transvaal apportant avec eux un mode de vie à l’opposé de l'austérité et du puritanisme boer[30].
Les guerres anglo-boers
Article détaillé : Guerre des Boers.La première guerre des Boers
Article détaillé : Première Guerre des Boers.Les découvertes de gisements de diamant en 1867 et d'or en 1886 augmentent la richesse ainsi que l'immigration et durcissent les conditions de vie des autochtones. Les Britanniques annexent le Transvaal en 1877 déclenchant la première guerre anglo-boer en 1880-81[31]. Durant cette guerre, les Boers portaient des habits kaki de la même teinte que la terre tandis que les soldats britanniques portaient un uniforme rouge vif ce qui en faisait une cible bien visible pour les francs-tireurs. À la suite de plusieurs victoires boers, cette guerre se solde par le recouvrement de l'indépendance du Transvaal, présidé par le vénérable et légendaire Paul Kruger.
Mais la découverte des gisements d'or au Witwatersrand en 1886 allait remettre le Transvaal à l'ordre du jour britannique. C'est l'homme d'affaires Cecil Rhodes qui s'emploie à saper la stabilité de ces républiques afin de réaliser son rêve impérial d'une Afrique britannique du Cap au Caire. En 1889, Rhodes créait la British South Africa Company (BSAC) qui obtient du gouvernement britannique une « charte royale » pour occuper le Matabeleland situé au nord du Transvaal. En 1890, alors que Rhodes est devenu Premier Ministre du Cap, la BSAC occupe le Mashonaland. Ces deux territoires et ceux conquis en amont du fleuve Zambèze forment bientôt la Rhodésie.
À l'ouest, le Bechuanaland est sous contrôle britannique. Le Transvaal est encerclé et, mis à part l'unique débouché maritime que lui offre Lourenço-Marquès dans la colonie portugaise du Mozambique, il ne peut se développer sans concertation avec les autorités britanniques.
D'ailleurs depuis 1886, cette prépondérance britannique est symbolisée par l'émergence, à une cinquantaine de kilomètres de Pretoria la capitale du Transvaal, d'une ville nouvelle, née de la ruée vers l'or, peuplée d'étrangers (Britanniques) réclamant le droit de vote : Johannesburg.
Au milieu des années 1890, les tensions montent encore de nouveau entre Britanniques et les citoyens du Transvaal et plus particulièrement entre le président Kruger, et Cecil Rhodes, le richissime et impérialiste Premier ministre de la Colonie du Cap.
La deuxième guerre des Boers
Article détaillé : Deuxième Guerre des Boers.Maintenant que les territoires au nord du fleuve Limpopo étaient sous domination britannique, il ne restait plus aux impérialistes britanniques qu'à contrôler les républiques boers. Depuis des années, les étrangers (uitlanders) de Johannesburg, représentant le tiers des 200 000 habitants blancs du Transvaal, réclamaient la citoyenneté afin de disposer du droit de vote et d'influer les affaires du gouvernement[32]. Paul Kruger refusait obstinément afin de préserver l'identité boer et d'empêcher à terme une majorité de réclamer l'annexion pure et simple de la république indépendante à la couronne britannique.
En 1895, le docteur Leander Starr Jameson, bras droit de Rhodes, organise une expédition punitive contre le Transvaal dont le but était de renverser le gouvernement. Ce « Raid Jameson » est un fiasco qui débouche sur la mise en cause de Cecil Rhodes et sa démission en 1896 de son poste de Premier ministre[33].
En septembre 1899, après l'échec d'ultimes tentatives de médiation du président Marthinus Steyn de l'État libre d'Orange, le Ministre des Colonies britanniques Joseph Chamberlain envoie un ultimatum à Kruger exigeant la complète égalité de droits pour les citoyens britanniques résidant au Transvaal ce que celui-ci ne pouvait accepter. C'est en connaissance de cause que Kruger lance par contre son propre ultimatum avant même d'avoir reçu celui de Chamberlain. Il donnait 48 heures aux Britanniques pour évacuer leurs troupes des frontières du Transvaal, ou la guerre leur serait déclarée en accord avec leur allié, l'État libre d'Orange[34]. La guerre est ainsi déclarée le 12 octobre 1899.
En dépit des victoires remportées lors des premiers combats, du siège de Mafeking, de celui de Kimberley et du siège de Ladysmith, les Boers ne peuvent résister bien longtemps et les capitales des deux républiques sont occupées dès l'été 1900 par une armée britannique suréquipée et renforcée par les contingents envoyés des quatre coins de l'Empire dont l'Australie et le Canada. Mais les succès de la guérilla qui se développe immédiatement dans le pays allaient prolonger la guerre encore deux années. Désarçonnés, le commandement britannique fait placer les civils boers dans des camps de concentration et leurs serviteurs noirs dans d'autres où la malnutrition et les maladies étaient fréquentes. Ils brûlèrent les fermes et les récoltes afin de couper les combattants de leurs bases et de leur retirer le support populaire dont ils bénéficient. Le sort des civils boers est alors dénoncé par une infirmière britannique, Emily Hobhouse qui fit vigoureusement campagne dans l'opinion en leur faveur. Le gouvernement britannique diligente alors une commission d'enquête sous la responsabilité de Millicent Fawcett qui non seulement confirme les accusations d'Emily Hobhouse mais aussi formule de nombreuses recommandations, telles que l'amélioration du régime alimentaire et des équipements médicaux. L'impopularité de la guerre oblige néanmoins le gouvernement britannique à envisager des négociations. Au total, 136 000 boers accompagnés de 115 000 de leurs serviteurs noirs et métis sont internés dans les camps de concentration qui coutent la vie à plus de 28 000 blancs (essentiellement des femmes, des personnes âgées et des enfants) et 15 000 noirs et métis[35].
Démoralisés, désorganisés et dispersés, les combattants boers finissent par être acculés. Leur commandement se résigne alors à négocier un traité de paix qui est signé à Pretoria le 31 mai 1902 : le traité de Vereeniging. En plus des pertes civiles dans les camps de concentration, 22 000 britanniques et soldats de l'Empire ainsi que 4 000 combattants boers sont morts[36] auxquels s'ajoutent de nombreuses pertes parmi les noirs et les métis engagés au côté des armées respectives.
Les Boers perdaient leurs républiques et devenaient des sujets britanniques. Mais la trentaine de milliers de civils morts dans les camps de concentration britanniques allaient alimenter pendant très longtemps la rancune voire la haine des Afrikaners (tels qu'ils seront désormais appelés) contre le Royaume-Uni et leurs propres concitoyens d'origine britannique.
L'ascension des Afrikaners : 1910 - 1948
Sur à peu près 3 millions et demi d'habitants en 1904, un million de personnes est alors d'origine européenne dont plus de deux tiers sont afrikaners[37]. Outre les différents autres peuples noirs, il existe une minorité Indienne mobilisée dans une lutte non violente pour le respect de ses droits notamment avec Gandhi.
La constitution de 1910
Au lendemain de la seconde Guerre des Boers, les républiques boers annexées par la Grande-Bretagne sont conjointement gérées par le colonial office au côté des colonies britanniques du Cap et du Natal. Après avoir accordé la formation de gouvernements autonomes et l'élection de parlements au Transvaal et dans la colonie de la rivière Orange, le gouvernement britanniques décide de créer, sous la forme d'un dominion, une union étroite entre ces 4 colonies à partir des modèles canadiens et australiens. Cette volonté coïncide avec les aspirations des populations boers. Une Convention nationale sud-africaine est réunie à Durban à partir de 1908. Au bout de 3 sessions qui se tiennent ensuite à Bloemfontein et au Cap, la convention achève ses travaux le 11 mai 1909 sur un projet d'Union Sud-Africaine, proposée ensuite aux assemblées législatives du Transvaal et de l'Orange, qui l'approuvent à l'unanimité ainsi qu'à l'assemblée de la colonie du Cap alors qu'Natal, les 3/4 des électeurs donnent leur assentiment au cours d'un référendum. Le projet est ensuite présenté au gouvernement britannique, qui le soumet sous forme de projet de loi au parlement britannique. Des représentants des Bantous et des Métis, sous la conduite de William Philip Schreiner, ancien premier ministre de la colonie du Cap, sont alors à Londres pour exposer leurs doléances. Le projet de loi nommé South Africa Act instituant en Afrique du Sud un régime parlementaire sur le modèle du système de Westminster, est voté par le Parlement britannique le 20 septembre 1909[38]. Son entrée en vigueur est prévue pour le 31 mai 1910. A cette date anniversaire de la fin de la guerre des Boers, la Colonie du Cap, rassemblée avec le Griqualand, le Stellaland et le Béchuanaland britannique, devient la nouvelle province du Cap pour former l'Union de l'Afrique du sud, au côté des provinces du Natal, du Transvaal et de l'État libre d'Orange. La capitale administrative de l'Union est fixée à Pretoria. Le siège du parlement est à Cape-Town et le siège de la cour suprême est à Bloemfontein. L’anglais et le néerlandais sont les langues officielles du parlement. Le pays est doté d’armoiries qui figurent sur le drapeau colonial britannique d’Afrique du Sud, le Red Ensign.
Cette constitution allait permettre aux Afrikaners de reprendre en main la réalité du pouvoir politique à l'échelle d'un grand pays composé de quatre provinces distinctes[39].
La constitution de 1910[40] permet également aux anciennes républiques boers de continuer d'appliquer un système électoral ségrégationniste (favorable ainsi aux Afrikaners au Transvaal et de l’Orange) alors que dans la colonie du Cap les coloureds et les noirs, représentant alors 15% du corps électoral, exercent leur droit de vote sous conditions censitaires[41].
C’est dans ce cadre que les Afrikaners, vaincus militairement, dominés économiquement par la minorité anglophone, s'attellent à la conquête du pouvoir politique.
L'alliance entre anglophones et Afrikaners modérés (1910-1924)
Le premier Premier ministre élu en 1910 est le général afrikaner Louis Botha, leader du parti afrikaner Het Volk et héros de la guerre des Boers. Il symbolise alors le retour des Afrikaners au pouvoir. Ce premier gouvernement, comme ceux qui suivent, est constitué par une alliance d'anglophones et d'afrikaners modérés comme le général Jan Smuts, un de ses camarades de combat[42]. Il doit néanmoins affronter une opinion boer hostile au Royaume-Uni et l'opposition de « petits Blancs » racistes.
Pour satisfaire leurs aspirations, Louis Botha et son gouvernement allaient s'attacher à promouvoir socialement la communauté afrikaner avec, notamment, le recrutement privilégié dans la fonction publique des membres du Volk, divers soutiens financiers pour l'achat de terres et de fermes (création de la banque afrikaner volkbank) et des mesures sociales d'avant-garde pour les mineurs.
En 1911, l'Afrique du Sud compte 4 millions de noirs, 1,3 millions de blancs, 525 000 métis et 150 000 indiens[43]. La politique raciale et indigène du gouvernement Louis Botha s'inscrit alors dans la continuité des lois coloniales britanniques appliquées en fonction du code de couleur, le Colour Bar, qui réglemente les relations interraciales. En 1911, la Native Labour Regulation Act réglemente le travail indigène puis en 1913 la loi sur la propriété foncière indigène limite à 7,8 % du territoire les régions où les Noirs peuvent acquérir des terres[44]. C'est pour protester contre cette loi que se rendent en 1914 au Royaume-Uni des représentants du tout nouveau Congrès national africain fondé un an plut tôt le 8 janvier 1912 à Bloemfontein pour organiser et unifier les différents peuples africains de l'Union afin de défendre leurs droits et leurs libertés[45].
Cependant, toutes ces mesures ne sont pas suffisantes pour les Afrikaners les plus radicaux.
Avant même l'engagement de l'Union dans la Première Guerre mondiale au côté du Royaume-Uni, un ancien de la guerre des Boers, le général James B. Hertzog, faisait dissidence en optant pour le combat nationaliste afrikaner et créait en 1914 le Parti national dont le programme radical était de mettre fin aux liens de l'Afrique du Sud avec la Couronne britannique[46]. Dès les élections de 1915, avec 27 députés, le Parti National s'impose comme le troisième parti du pays derrière le Parti sud-africain de Botha et les Unionistes.
La Première Guerre mondiale permet au dominion de conquérir de nouveaux territoires comme la colonie du Sud-Ouest Africain allemande en 1915. Mais cet engagement au côté des Britanniques est dénoncé par les Afrikaners intransigeants, partisans des Allemands du Sud-Ouest Africain. C'est à cette époque qu'une société secrète calviniste est fondée. Le but de la Broederbond, la « Ligue des frères », est la préservation et la promotion de l’identité afrikaner qu’elle soit politique, économique, sociale ou culturelle. Cette société d'entraide afrikaner devient finalement le moteur de la politique du pouvoir blanc et de tous les dirigeants politiques de cette époque[47]. Cette vision est plus tard longtemps partagée par l’Église réformée hollandaise, une autre composante importante de l’identité afrikaner[48].
A la mort de Louis Botha en 1919, son successeur, Jan Smuts, entreprend une politique économique très libérale vis à vis des conglomérats miniers. Ces derniers souhaitaient avoir des coûts de production les plus bas possibles et donc une main d’œuvre à bon marché.
Aux élections de 1920, Smuts sauve sa majorité en s'alliant aux unionistes et aux travaillistes alors que le Parti National qui détient la majorité relative des sièges, est isolé sans aucun allié[49].
Aux élections anticipées de 1921, la nouvelle majorité de Smuts est reconduite démontrant l'isolement du Parti national qui se met alors en quête d'alliés au prix d'un recentrage politique.
En 1922, une grève générale à l'instigation des mineurs afrikaners et du parti communiste est déclenchée dans tout le pays exigeant des revendications salariales, le slogan étant « Travailleurs de tout pays, unissez-vous pour une Afrique du Sud blanche ». Aux revendications sociales s'ajoutèrent des revendications nationalistes et anticapitalistes initiées par les communistes blancs. Des émeutes éclatent contre la police venue évacuer les mines occupées par les mineurs ; une répression sanglante sur l'initiative de Smuts met fin en une semaine à leur rébellion. La répression est particulièrement sévère contre les communistes dont la hiérarchie blanche fut décapitée[50][51].
La victoire policière de Smuts se transforme rapidement en une défaite morale. En dépit de la loi sur les régions urbaines indigènes, votée en 1923, introduisant la ségrégation résidentielle, Smuts s'était coupé de l'électorat afrikaner alors que Tielman Roos, le leader nationaliste du Transvaal, parvenait à rallier le petit parti travailliste (parti pivot au parlement) au parti national.
Le premier gouvernement du parti national (1924-1933)
Le parti communiste ayant été écrasé par la répression policière, ses sympathisants se sont facilement retrouvés dans les thèmes nationalistes et anticapitalistes du parti national.
Les élections générales de 1924 sont alors une déroute électorale pour Smuts et son parti sud-africain contre l'alliance formée du parti national et du parti travailliste de Frederic Creswell[52]. La victoire ainsi acquise, Hertzog fut propulsé aux Union Buildings de Pretoria où il forme un cabinet de coalition comprenant deux ministres travaillistes.
Une de ses premières mesures symboliques est de remplacer le néerlandais par l’afrikaans comme langue officielle au coté de l'anglais. Hertzog mit également en route une consultation populaire devant aboutir à la création d'un hymne officiel sud-africain et d'un drapeau national en remplacement du drapeau colonial aux couleurs britanniques. Le nouveau drapeau national d'Afrique du Sud est adopté par le parlement en 1927[53]. Consensuel, il symbolise l'histoire blanche du pays et l’union entre les quatre provinces, en reprenant les trois couleurs horizontales, orange, blanc et bleu du Princevlag hollandais du XVIIe siècle, les drapeaux Boers et l'Union Jack. L'hymne national adopté est « Die Stem van Suid Afrika » dont les paroles provenaient d'un poème de l'écrivain sud-africain Cornelis Jacobus Langenhoven[54] .
La politique économique d'Hertzog n'est pas très différente de celle de Smuts et est marquée par une protection accrue des Afrikaners avec la poursuite et l’extension d'une politique ségrégationniste initiée sous Botha. Aux élections de 1929, le Parti National obtint la majorité absolue des sièges avec seulement 41 % des suffrages contre 47 % des voix au Parti sud-africain de Smuts. Les travaillistes restent néanmoins au gouvernement[55].
Ce sont des années de prospérité pour les Afrikaners, notamment pour les petits blancs pour lesquels le gouvernement Hertzog manifeste tout autant un souci de promotion sociale que celui de protéger la classe moyenne blanche laborieuse face au « dumping racial » pratiqué par les compagnies minières[56]. Cette politique qui permet au niveau de vie des Afrikaners de s'améliorer va se heurter à la crise économique qui frappe le pays dans les années 1930.
Le gouvernement d'union nationale (1933-1939)
En 1933, devant affronter la progression du chômage et les problèmes économiques, les nationalistes d'Hertzog et les libéraux de Smuts s’accordèrent sur la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Aux élections de mai 1933, avec 136 députés sur un total de 150, les deux partis marginalisèrent travaillistes et centristes. En 1934, le parti national et le Parti sud-africain fusionnèrent pour créer un nouveau parti, le parti uni, reflétant le gouvernement d'union nationale dirigé par Hertzog[57].
Mais ce ralliement provoque un nouveau schisme chez les nationalistes. L'aile droite du parti sur l'initiative du pasteur Daniel Malan refuse l'union pour rester dans un « parti national purifié ». Dix-sept parlementaires rejoignent ce parti national purifié dont les dirigeants renchérissent alors dans les revendications nationalistes : réaffirmation de la rupture avec le Royaume-Uni, instauration de la république, institutionnalisation de la ségrégation et de la domination blanche (on ne parle pas encore d'apartheid), promotion de l'histoire afrikaner et du social-christianisme afin de permettre et maintenir la domination politique des Afrikaners sur toute l'Afrique du Sud[58]. Les théoriciens complètent leur idéologie par des références au nazisme triomphant de l'Allemagne d'Adolf Hitler.
Le gouvernement d'union nationale d’Hertzog et de Smuts dirige le pays jusqu'en 1939. Durant ces années, l'économie se redresse aux dépens de la situation sociale des plus démunis qu'ils soient noirs ou blancs, ces derniers étant de plus en plus attirés vers les thèses nationalistes de Malan. Ainsi aux élections de 1938, si les électeurs confirment le Parti Uni, ce sont les nationalistes de Malan qui gagnent dix élus grâce aux voix des Blancs ruraux ou des plus démunis, confirmant leur statut d'opposition officielle.
Mais en 1939, au moment de faire accepter par le parlement l'entrée en guerre au côté du Royaume-Uni, la coalition gouvernementale volait en éclat. Alors qu'Hertzog défendait le principe de neutralité de l'Afrique du Sud, Smuts soutenait celle de l'engagement au côté des Britanniques. Malgré l'appui des voix nationalistes de Malan à Hertzog, l'entrée en guerre est votée à une courte majorité. Hertzog démissionne et Smuts se retrouve seul au pouvoir[59].
La dernière grande division entre Afrikaners (1939-1947)
Sur le front international, l'Afrique du Sud est engagé au côté des alliés et Jan Smuts fait parti du cabinet de guerre de Winston Churchill. L'intervention de l'aviation sud-africaine permet de libérer l'Ethiopie des italiens alors qu'un fort contingent sud-africain contribue à éliminer les forces vichystes à Madagascar. Si l'armée de terre sud-africaine subit néanmoins de lourdes pertes lors de la bataille de Tobrouk, les fantassins sud-africains sous le commandement de Montgommery repoussent les troupes allemandes hors de l'Afrique. En Europe, la sixième division blindée participe à la guerre en Italie au côté de la cinquième armée américaine[60]. En tout, 334 000 sud-africains servirent, à titre volontaire, dans les forces sud-africaines durant la seconde guerre mondiale et 12 080 y perdirent leur vie[61].
Sur le plan intérieur, durant les années 1939-1945, des groupuscules armés afrikaners et pronazis tels l'Ossewa Branderwag, « la sentinelle des chars à bœufs », se multiplient et mènent des actions de sabotages[62]. La répression du gouvernement est impitoyable : ces groupements sont vite dissouts et leurs leaders arrêtés et emprisonnés. Parmi les militants et sympathisants de ces organisations figuraient le futur premier ministre Balthazar John Vorster[63].
Malan et les nationalistes auxquels s'était joint Hertzog et ses alliés s’unissent dans un « Parti National réunifié », mais très vite en désaccord avec les ultras proches de Malan, Hertzog quittait le parti et fondait le Parti Afrikaner repris après sa mort en 1943 par Nicolaas Havenga[64].
Malan et les « nats » évitent dans ces années de guerre d'être impliqués dans des actions de sabotage mais sont équivoques dans leur soutien ou condamnation morale de ces groupuscules. En 1941, Malan prend ostensiblement ses distances vis à vis de tous les mouvements sud-africains pronazis ou antiparlementaires faisant condamner dans le journal Die Transvaler, par la plume d'Hendrik Verwoerd, la dissidence de l'ancien ministre Oswald Pirow et de son nouveau parti, «Ordre Nouveau » (Nuwe Order), au programme ouvertement pronazi. Lors des élections de 1943, en remportant 16 sièges supplémentaires par rapport aux élections de 1938 et 36 % des suffrages, le Parti National parvient à juguler le parti de Pirow qui n'a aucun élu alors que le Parti Uni (105 sièges), toujours victorieux, voyait sa majorité encore se réduire[65].
En 1944, de leurs côtés, les mouvements noirs ne restaient pas inactifs, stimulés par l'action d'une jeune garde composée notamment de Nelson Mandela, Walter Sisulu et d'Oliver Tambo qui fondent la ligue de jeunesse de l'ANC, mouvement étudiant plus radical que son aînée dans son mode d'expression et partisan de manifestations de masse pour faire aboutir les revendications d'égalités raciale et politique de la majorité noire[66]. En 1947, l'ANC s'allie au Congrès indien du Natal et au Congrès indien du Transvaal afin de jeter les bases communes d'une formation unie en opposition au gouvernement.
Le rebondissement des problèmes raciaux intervient au sortir de la seconde guerre mondiale, époque où la totalité de la population urbaine noire dépasse pour la première fois celle de la population urbaine blanche pour atteindre 1,5 millions de personnes[67]. Chez les Blancs, les tensions entre les nationalistes afrikaners et les modérés du Parti Uni avaient été de nouveau dopés par la politique raciale ambigüe de Smuts, oscillant entre assouplissement et renforcement de la ségrégation. L'approbation de Jan Smuts aux conclusions du rapport de la commission Fagan qui préconisait une libéralisation du système racial en Afrique du Sud en commençant par l'abolition des réserves ethniques ainsi que la fin du contrôle rigoureux des travailleurs migrants[68] amena le Parti National à mandater sa propre commission (la commission Sauer) qui recommanda à l'inverse le durcissement des lois ségrégationnistes[69].
Auréolé de la victoire des alliés[70] à laquelle s'est joint l'Afrique du Sud et de la participation du pays à la création des Nations unies, Jan Smuts semblait assuré d'une réélection confortable aux élections générales de 1948 et pouvait ainsi proposer de mettre en forme les propositions de la commission Fagan, alors que les nationalistes proposaient aux Sud-Africains afrikaners mais aussi aux anglophones leur nouveau projet de société basé sur les conclusions de la commission Sauer : l'apartheid.
Les années de gloire du parti national et de l'apartheid
Articles détaillés : Apartheid et Histoire de l'Afrique du Sud (1948-1994).Instauration de l'apartheid (1948-1959)
Contre toute attente, bien que minoritaire en voix, l'alliance du Parti national de Daniel Malan, et du Parti Afrikaner (Afrikaner Party - AP) de Nicolaas Havenga, remporte la majorité des sièges aux élections de 1948[71] avec 42% des voix et 52% des sièges. Si les électeurs du Natal, des grandes zones urbaines du Cap et de Johannesburg ont apporté leurs voix au parti du premier ministre sortant Jan Smuts, ce sont les circonscriptions rurales et ouvrières surreprésentées du Transvaal et de l'état libre d'Orange qui permettent au parti de Daniel François Malan de former le nouveau gouvernement. Le thème récurrent des gouvernements nationalistes ne sera plus dès lors la défense de l’identité afrikaans face aux anglophones mais celui du peuple blanc d’Afrique du Sud (anglophones, afrikaners, lusophones soit 2,5 millions de personnes en 1950, 21 % de la population totale) menacé par la puissance de la démographie africaine (8 millions de personnes en 1950 soit 67 % de la population totale)[72]. Le gouvernement Malan constitué en 1948 est d'ailleurs exclusivement afrikaner[73].
La victoire du parti national consacre aussi la victoire du Broederbond. Le danger de domination ou d’acculturation anglophone tant redouté par les Afrikaners est définitivement écarté et l’unité du peuple afrikaans réalisée. Cependant, la cohésion nationale de celui-ci reste menacée par le « Swaartgevaar » (le péril noir)[74]. L’apartheid, ou développement séparé des races, est alors présenté comme un arsenal juridique destiné à assurer la survie du peuple afrikaner mais aussi comme un « instrument de justice et d’égalité qui doit permettre à chacun des peuples qui constitue la société sud-africaine d’accomplir son destin et de s’épanouir en tant que nation distincte ». Ainsi, beaucoup de nationalistes afrikaners pensent que l’apartheid ouvre des carrières et laisse leurs chances aux noirs, chances qu’ils n’auraient pu saisir s’ils avaient été obligés d’entrer en compétition avec les blancs au sein d’une société intégrée[75].
Si Hendrik Verwoerd, le ministre des affaires indigènes à partir de 1950, est parfois considéré comme le grand architecte de l'apartheid, ses inspirateurs sont à rechercher non seulement du côté de la théorie de la prédestination de l'église réformée hollandaise mais aussi du côté de l'école afrikaans d'anthropologie[76] et de l'un de ses représentants les plus emblématiques, le professeur d'ethnologie Werner Max Eiselen. Si Eiselen avait rejeté le racisme scientifique[77] prédominant dans les années 1920, il avait néanmoins justifié dans l'un de ses ouvrages la ségrégation raciale comme un moyen de maintenir et renforcer les identités ethniques et linguistiques des peuples bantous[78]. Allant plus loin et en conclusion de ses analyses sur les effets acculturant de l'urbanisation et du travail migrant sur les structures traditionnelles africaines, il avait appuyé dès le début des années 1930 l'idée d'un séparatisme géographique, politique et économique non seulement entre les noirs et les blancs mais aussi entre les différentes ethnies entre elles. Rejetant l'idée même d'existence d'une société unique sud-africaine, il est convaincu que les civilisations bantoues ont été corrompues par leur interaction avec la société urbaine de type occidental et qu'elles ne peuvent plus se développer en vertu de leurs propres impératifs culturels.
Avec l'apartheid, auquel Eiselen contribue à mettre en place en tant que secrétaire aux affaires indigènes puis à l'éducation bantoue, le système législatif et constitutionnel d'Afrique du Sud s’enrichissait de nouvelles lois ségrégationnistes alors que les anciennes lois raciales et spatiales comme le Land Act de 1913 étaient durcies. La question raciale finissait par intervenir à tous les stades de la vie avec la codification de lois ségrégationnistes d'applications quotidiennes visant à faire coexister deux mondes qui jamais ne vivraient ensemble. Les lois organisant l'apartheid, votées en février 1950, étaient organisées autour d'un principe de cloisonnement : les individus sont classés en quatre groupes qui déterminent leur vie (résidence, études, mariage, etc). En fait cette nouvelle législation visait à promouvoir et organiser un séparatisme géographique, politique et économique au sein de l'Afrique du Sud. Procédant alors à un renversement de logique par rapport aux politiques antérieures dont l'impératif était l'unité de la nation et du territoire, l'apartheid vise à sacrifier à l'ordre racial non seulement l'intégrité territoriale du pays mais aussi à gérer les relations entre les groupes[79].
Les Noirs furent progressivement expulsés de quartiers entiers près des villes tels Sophiatown et obligés de vivre dans des townships construits pour eux. Ils devaient souvent parcourir de longues distances pour aller travailler dans les villes blanches. En amenant la question raciale au cœur du débat politique, le Parti national allait, durant une trentaine d'années, monopoliser le vote de la communauté afrikaner et attirer le vote de la communauté anglophone. La reprise de la doctrine de l'apartheid par les premiers ministres successifs, tous du NP et afrikaner, créé un système institutionnel et législatif unique au monde, approuvé par la majorité des Blancs convaincus de n’avoir d’autres choix pour demeurer dans leur pays.
De son côté, l'ANC, principale organisation anti-apartheid qui luttait pour l'égalité politique, économique et juridique entre Noirs et Blancs, était socialiste et alliée au Parti communiste ce qui en avait fait un adversaire, non seulement des Blancs d'Afrique du Sud mais aussi des États-Unis. Dès l'arrivée au pouvoir du parti national, la ligue de jeunesse de l'ANC se montre déterminée. En interne, ils parviennent à faire écarter le président du parti, Alfred Xuma, jugé trop modéré, pour imposer James Moroka et préparer une grande campagne de défiance[80]. En juin 1952, l'ANC sous la férule de Walter Sisulu organise avec d'autres organisations anti-apartheid une campagne nationale contre les restrictions politiques, sociales et résidentielles imposées aux gens de couleurs. Cette campagne de résistance passive, qui prend fin en avril 1953 quand de nouvelles lois interdisent les rassemblements et les manifestations politiques, permet à l'ANC de gagner en crédibilité, passant de 7000 à 100 000 adhérents[80]. Son option non raciale lui permet de s'ouvrir aux indiens et aux communistes blancs mais les métis restent plus circonspects[80]. Quand James Moroka tente de plaider la conciliation avec le gouvernement, il est renversé par la ligue des jeunes du parti qui impose alors Albert Luthuli à la tête de l'ANC[81].
Aux élections de 1953, le Parti National remporte de nouveau la majorité des sièges du parlement. En 1954, Malan, malade, démissionne de son fauteuil de Premier ministre qui est récupéré par Johannes Strijdom, élu ultraconservateur du Transvaal. Il accentue la politique ségrégationniste et la mise en place de bantoustans noirs (territoires autonomes administrés par les populations autochtones) sur 13 % du territoire sud-africain.
En juin 1955, le Congrès du Peuple, organisé par l'ANC et d'autres groupes anti-apartheid notamment blancs, adopte à Kliptown, la Charte de la liberté (Freedom Charter), énonçant les bases fondamentales des revendications des gens de couleur, appelant à l'égalité des droits quelle que soit la race. Un million de personnes signent le texte[82]. L'ANC se lie alors avec le Parti communiste et la centrale syndicale COSATU. Cent cinquante six membres de l'ANC et des organisations alliés sont arrêtés en 1956, puis acquittés cinq ans plus tard au motif que, selon les attendus du jugement, l'ANC ne pouvait être reconnu coupable d'avoir défendu une politique visant au renversement du gouvernement par la violence[83] .
Lors des élections d'avril 1958, le Parti National remporte une confortable victoire électorale, vainqueur cette fois en voix et en sièges.
L'apogée de l'apartheid (1959-1966)
En 1959, à la mort soudaine de Strijdom, Hendrik Verwoerd lui succède à la tête du gouvernement. Alors que l'opposition libérale blanche se scinde en deux (des dissidents du parti uni forment le parti progressiste), la politique sud-africaine est de plus en plus contestée au niveau international, notamment aux Nations unies.
Mais dans le même temps, les mouvements noirs de libération eux aussi se divisent quand de nombreux radicaux de l'ANC quittent leur mouvement pour protester contre son ouverture aux autres races et forment une organisation nationaliste concurrente, le Congrès Pan Africain dirigé par Robert Sobukwe[84].
En 1960, le massacre de Sharpeville, où 69 protestataires pacifiques sont tués par la police, met l'Afrique du Sud en « Une » de l'actualité internationale[85]. Pour riposter, le gouvernement fait interdire la plupart des mouvements de libération comme l'ANC ou le Congrès Pan Africain[86]. Leurs dirigeants entrent alors dans la clandestinité. Nelson Mandela fonde alors une aile militaire de l'ANC, appelé Umkhonto we Sizwe, ce qui signifie la Lance de la Nation et qui se lance dans des actions de sabotage des infrastructures industrielles, civiles ou militaires[87]. En fin d'année, le chef de l'ANC, Albert Luthuli, obtient le Prix Nobel de la paix.
Symboliquement, suite à la réprobation internationale en pleine période de décolonisation, l'Afrique du Sud est exclue des jeux olympiques après ceux de 1960 au Japon.
Dans un discours mémorable sur le « vent du changement » prononcé au parlement à Cape Town, le Premier ministre britannique Harold Macmillan en profite pour critiquer l’immobilisme et le passéisme des dirigeants d’Afrique du Sud. Exaspérés, les nationalistes proposent de soumettre un projet de référendum pour instituer la république. Bien qu'on ait cru un moment à une sécession des Blancs anglophones du Natal, le principe de la république fut approuvé le 5 octobre 1960. À cette occasion les Blancs se divisent entre républicains (Afrikaners) et loyalistes (anglophones) mais la transition se fait dans le calme sans émigration excessive des anglophones[88].
La « proclamation de la République sud-africaine » (RSA) le 31 mai 1961 accompagné de la rupture des derniers liens avec le Royaume-Uni (retrait du Commonwealth) et la création effective du premier bantoustan noir, le Transkei marquent l'apogée de l'apartheid.
Aux élections du 8 octobre 1961, la politique de Verwoerd est plébiscitée alors qu'Helen Suzman devient la seule élue du Parti Progressiste au programme ouvertement anti-ségrégationniste.En juillet 1963, plusieurs des principaux chefs de l'ANC interdite dont Nelson Mandela et Walter Sisulu sont arrêtés à Rivonia et inculpés de haute trahison et de complots envers l'État. En 1964, ils sont condamnés à la prison à vie. L'ANC et Umkhonto we Sizwe, décapités, sont alors totalement désorganisés et installent leur quartier général à l'étranger.
Aux élections du 30 mars 1966, le parti national remporte 58 % des suffrages alors qu'à ses frontières, la « colonie » de Rhodésie du sud de Ian Smith a déclaré unilatéralement son indépendance du Royaume-Uni pour maintenir le principe de la domination blanche sur son territoire.
En septembre 1966, un illuminé assassine Verwoerd en plein cœur du parlement[89] mettant fin à la phase d'élaboration et d'application intensive et méthodique de l'apartheid.
La période de gel (1966-1975)
Le successeur de Verwoerd, Balthazar John Vorster, allait reprendre la doctrine mais de façon plus pragmatique en ralentissant son application et en multipliant des exceptions à l'application des lois ségrégationnistes. En même temps, Vorster entreprenait une politique de rapprochement avec certains pays africains modérés, tels Madagascar[90], le Malawi[91] et la Côte d'Ivoire[92].
Les exceptions provoquent un tollé chez les héritiers spirituels de Verwoerd. Albert Hertzog, fils de l'ancien Premier ministre et plus extrémiste que n'a été ce dernier, quitte le parti avec quelques compagnons et fonde le parti national reconstitué (HNP)[93]. Vite repris en main par Jaap Marais, cette nouvelle dissidence reste marginale (de 3 à 7 % des voix blanches).
Dans les années 1970, la RSA est sévèrement critiquée par la communauté internationale. En 1971, le tribunal de La Haye lui retire son mandat sur le Sud-Ouest africain.
En 1974, l'assemblée générale des Nations Unies refuse les lettres de créances de l'ambassadeur d'Afrique du Sud sous le prétexte de non-représentativité.
Les Blancs soutenaient cependant largement leur gouvernement et l’influence de l’opposition libérale se réduisait à chaque élection à quelques strapontins. Ainsi, les provinces du Transvaal et de l'État libre d'Orange envoyaient presque exclusivement des députés nationalistes au parlement de Cape Town alors que les libéraux, héritiers du parti uni de Smuts, ne conservaient leur représentation parlementaire que grâce aux voies obtenues dans les banlieues huppées de Johannesburg, Durban, Port Elizabeth et Cape Town, villes dominées par les anglophones. Le Parti Uni, principal parti d’opposition en complète décomposition et peu crédible face au NP se dissout d’ailleurs en 1977.
Suite à la décolonisation du Mozambique et de l'Angola et l'arrivée de gouvernements marxistes, la RSA se présenta en dernier rempart contre la mainmise des communistes en Afrique australe permettant à Vorster d'obtenir le soutien plus ou moins tacite des gouvernements occidentaux. En effet le FMI, et la Banque mondiale et de grande Banque occidentale accorderont des crédits de plusieurs milliards de dollars à la RSA. La RSA devenait dans le même temps une puissance nucléaire grâce à ses relations avec Israël et la France.
Les doutes du pouvoir afrikaner (1976-1989)
En 1976, l'imposition par le ministre Andries Treurnicht, de l'enseignement obligatoire en afrikaans au lieu de l'anglais ou d'une langue locale pour les écoliers noirs provoque un soulèvement de ces derniers dans les Townships. Une marche de protestation est organisée dans le district noir de Soweto près de Johannesburg le 16 juin 1976. Environ 20 000 étudiants se présentent et, malgré des appels au calme des organisateurs, affrontent les forces de l'ordre[94]. La répression des forces de sécurité sud-africaine et de la police de Jimmy Kruger est très féroce et fera près de 1500 victimes[95]. La plupart des autres pays, à l'exception du Royaume-Uni et des États-Unis qui craignaient le basculement du pays dans le camp de l'Union soviétique, condamnent la répression et imposent une limitation du commerce ou même des sanctions. Les images et les témoignages sur le massacre de Soweto feront le tour du monde alors que l'Umkhoto We Sizwe reçoit l'apport de nouvelles recrues en provenance des townships. A partir de 1977, l'organisation est de nouveau capable de commettre des attentats plus ou moins ciblés, voire parfois meurtriers sur le sol sud-africain, visant en priorité les postes de police des townships et les noirs accusés de collaborer avec le régime blanc.
En 1977, un des chefs très populaires de la « Conscience noire », Steve Biko, est enlevé et assassiné par les forces de sécurité[96]. C'est le journaliste et éditeur Donald Woods qui alertera l'opinion publique mondiale sur les conditions de la disparition de Biko. Ces évènements seront l'objet du film Cry Freedom - Le cri de la liberté réalisé en 1987.
Un embargo sur les ventes d'armes à la RSA est alors voté au conseil de sécurité des Nations unies[97] alors que le pays est engagé militairement en Angola contre le gouvernement marxiste en place en soutenant directement ou indirectement le mouvement rebelle de l'UNITA et qu'il soutient le gouvernement blanc de Rhodésie. Cet échec diplomatique pour Vorster s'accompagne d'un scandale financier touchant l’un de ses proches, son dauphin Connie Mulder, ministre de l'information[98]. Pourtant lors des élections du 30 novembre 1977, le parti obtient le meilleur score de son histoire (64,8 % des suffrages) laissant en miettes l'opposition parlementaire désormais principalement représentée par le parti progressiste fédéral (16 %)[99].
John Vorster ne tarde pas cependant à être rattrapé par le scandale qui affecte son dauphin et doit céder son fauteuil de Premier ministre, pour être nommé président de la république[100]. Homme du sérail nationaliste mais réputé pragmatique et réformiste[101], le ministre de la défense, Pieter Botha lui succède au poste de premier ministre.
Son gouvernement formait un subtil équilibre entre conservateurs (les verkramptes ou crispés en afrikaans) et les libéraux (verligtes ou éclairés an afrikaans), entre ceux des anciens gouvernements Vorster et des personnalités plus pragmatiques vis à vis de la doctrine de l'apartheid. Le camp des verkramptes regroupés autour du ministre et président de la fédération NP du Transvaal, Andries Treurnicht[102] ne parvient pas à influencer la ligne réformiste de Botha basée sur la mise en place d'une démocratie pluraliste en Afrique du Sud[103]. Avec l'appui des pragmatiques du parti, Botha décida d'entreprendre une réforme des institutions qui romprait en fait avec l'idéologie verwoerdienne[104]. En 1981 d'ailleurs, seulement 4 bantoustans avaient accédé à l'indépendance alors que 10 conservaient un statut d'autonomie, démontrant la lenteur et les difficultés rencontrées pour construire l'apartheid.
En 1981, Botha propose une réforme constitutionnelle pour présidentialiser le régime et surtout octroyer un droit de vote et une représentation séparée pour les métis et les Indiens en instaurant un parlement tricaméral[105]. Mais rien n’est prévu pour les Noirs, pourtant majoritaires. Bien que cette réforme soit limitée et soit qualifiée de bancale par les libéraux, que le principe de la domination blanche ne soit pas remis en question, les conservateurs se crispent[106]. Aux élections de juin 1981, le HNP obtenait 13 % des voix révélant la méfiance des ruraux afrikaners vis à vis du gouvernement Botha dont le Parti national avec 53 % des voix perdait corrélativement 11 points par rapport aux élections de 1977.
À l'annonce des propositions sur les nouvelles institutions, les conservateurs du NP menés par Andries Treurnicht, tentent de censurer le gouvernement. Botha impose cependant sa réforme à la majorité des parlementaires du NP provoquant une cassure idéologique entre Afrikaners du Transvaal et de l'Orange avec ceux du Cap et du Natal[107]. Au Transvaal, Pieter Botha se repose sur Frédérik De Klerk et Pik Botha pour évincer Treurnicht, le président du NP transvaalien en ralliant la majorité des élus du Transvaal.
Andries Treurnicht ne tarde pas provoquer un nouveau schisme en quittant le parti national avec une dizaine de parlementaires NP pour fonder en mars 1982 le parti conservateur (Conservative Party - CP)[108][109].
Dès sa création, le CP reçoit le soutien de John Vorster, de la veuve de Verwoerd et de la plupart des groupuscules d'extrême-droite. Le HNP refusait cependant d'intégrer le CP, restant fidèle à son héritage verwoerdien. Le programme du CP se distingue par l'acceptation en son sein des anglophones comme Clive Derby Lewis, et par la volonté de créer un État blanc séparé du reste de l'Afrique du Sud aux dimensions plus réduites que dans l'idéologie verwoerdienne. Il s'agissait de faire revivre l'idéal des républiques Boers.
En 1983, les mouvements opposés à l'apartheid s'allient au sein de l'United Democratic Front (UDF) pour coordonner la résistance au régime[110]. L'UDF devint vite le représentant dans le pays de l'ANC. Dans la même année, après le succès d'opérations symboliques comme l'attentat contre la centrale nucléaire de Koeberg[111], Umkhoto we sizwe commet l'attentat à la bombe le plus meurtrier de son histoire à Pretoria le 20 mai 1983 (19 personnes tués, 217 blessés)[112][113].
En novembre 1983, Pieter Botha faisait adopter sa réforme par référendum. Avec 76 % de participation, les Blancs approuvaient à 65 % la nouvelle constitution instituant un système présidentiel et parlementaire tricaméral. Le poste de Premier ministre était supprimé et Botha prenait la fonction de président de la république (State President). Il s'agissait moins pour les blancs d'accorder le droit de vote aux minorités de couleurs que de maintenir l’exclusion des Noirs de toute représentation parlementaire[114].
Les élections générales qui s'ensuivent marquent un glissement de l'électorat afrikaner vers le CP lequel enregistrait de très bons scores dans les régions rurales du Transvaal et de l'Orange ainsi qu'à Pretoria, le fief afrikaner, lui permettant de doubler sa représentation parlementaire.
En 1984, les émeutes raciales se multiplient dans le pays alors que la situation internationale de la RSA se détériorait. Le pays était soumis à un embargo économique et financier de plus en plus contraignant sous la pression de divers lobbies internationaux anti-apartheid qui exigeaient la fin de la discrimination et des élections multiraciales. L'armée sud-africaine fut alors envoyée dans les townships alors que s'organisait une campagne de boycott des paiements des loyers et services et que des conseillers municipaux noirs étaient assassinés pour trahison envers leur communauté. Les alliés naturels de la RSA comme les États-Unis se désolidarisaient sous la pression de l'opinion publique et des mouvements noirs américains. En RSA même, les présidents des puissants conglomérats miniers, craignant pour leurs intérêts financiers, demandèrent au gouvernement d'adopter une politique plus libérale et d’engager des pourparlers avec les organisations noires.
En 1985, la police tue 21 personnes lors d'une manifestation commémorative du massacre de Sharpeville. L'ANC appelle à rendre les townships ingouvernables. Durant l'année, 35 mille soldats sont déployés pour rétablir l'ordre dans les townships et plus de 1 000 personnes sont tués. De leurs côtés, les principaux syndicats noirs s'unissent dans la COSATU tandis qu'Umkhoto we sizwe lance une campagne de terreur dans les zones rurales du Transvaal contre les fermiers blancs. En décembre 1985, une mine anti-personnelle déposée par l'aile militaire de l'ANC tue la famille d'un touriste afrikaner dans le nord du pays puis le 23 décembre, un jeune activiste fait exploser une bombe dans un centre commercial d'Amanzimtoti (5 morts, 40 blessés)[115].
En 1986, Botha proclamait l'état d'urgence dans les townships[116]. Les camps de squatters près du Cap furent détruits en masse puis en signe d'ouverture, Botha abolissait certaines lois emblématiques de l'apartheid comme la loi sur le « passeport intérieur », celle sur l'interdiction des mariages mixtes entre personnes de couleur différente[117] et reconnaissait l'obsolescence du système ainsi que la pérennité de la présence des Noirs dans les frontières de la RSA blanche[118].
L'abolition des mesures vexatoires du « petty apartheid » comme les bancs ou les bus réservés aux Blancs provoqua de vives réactions dans les milieux conservateurs[119]. Aux élections du 6 mai 1987, avec 26 % des suffrages, le parti conservateur gagne le statut d'opposition officielle au détriment des progressistes en fort recul[120]. Aux municipales de 1988, le CP s'empara de 60 des 110 municipalités du Transvaal et d'une municipalité sur quatre dans l'État Libre d'Orange. Le NP conserva de justesse Pretoria. Botha se retrouvait alors gêné sur sa droite et devait ralentir sur les réformes. Il voulait éviter une fracture irrémédiable entre Afrikaners.
En 1988, la COSATU est interdite ainsi que 18 autres organisations politiques
Alors qu'elle est engagée dans la lutte contre les forces cubaines depuis l'indépendance de l'Angola en 1975, un retrait réciproque est négocié sous l'égide des Nations-Unis au cours de l'année 1988. Les forces cubaines acceptent de se retirer d'Angola. En contrepartie le gouvernement Sud-Africain accepte de retirer son soutien militaire et financier au mouvement rebelle UNITA et d'engager le processus politique devant aboutir rapidement à l'indépendance de la Namibie (21 mars 1990) qu'elle considérait jusque là comme sa cinquième province.
La transition vers la fin de l'apartheid 1989-1992
En janvier 1989, victime d'une congestion cérébrale, le président Pieter Botha se retirait pendant un mois. À son retour, il renonçait à la présidence du Parti National (NP) mais déclarait vouloir se maintenir jusqu'aux élections générales de 1990[121].
À la tête du NP lui succède le président du parti dans le Transvaal, Frederik de Klerk, soutenu par l'aile droite du parti.
Durant l'été 1989, Botha est contraint de démissionner par les membres de son cabinet qui voulaient placer De Klerk le plus rapidement possible à la présidence pour sortir d'une situation bloquée et impulser un nouveau souffle au pays.
Dès sa nomination à la présidence de la république, De Klerk s'entoure d'une équipe favorable à des réformes fondamentales. S'il maintenait quelques piliers de l'apartheid comme Magnus Malan à la défense et Adriaan Vlok à la sécurité intérieure, c'était pour donner des gages à l'électorat conservateur. Il maintenait l'inamovible Pik Botha aux affaires étrangères pour rassurer les libéraux ainsi que le pragmatique Kobie Coetsee à la justice et Barend du Plessis aux finances. La nouveauté consiste surtout en la montée en puissance au sein du gouvernement et du parti de nationalistes réformistes comme Leon Wessels, Dawie de Villiers ou Roelf Meyer. Bien que catalogué comme conservateur, De Klerk voulait changer l'image du parti national et du pays. Proche des milieux économiques, il savait que les sanctions internationales étaient de moins en moins supportables pour le pays. Il avait pris conscience que le poids démographique des Noirs était trop important et que les Blancs étaient devenus trop minoritaires (18 %) pour pouvoir le diriger efficacement. Il avait compris enfin que l'apartheid avait atteint ses limites et avait échoué à empêcher les Noirs de devenir partout majoritaires en RSA blanche à l'exception du Cap-Occidental où les métis demeuraient les plus nombreux et dans quelques zones urbaines comme Pretoria où les Afrikaners dominaient encore significativement. Dans le programme électoral qu'il propose, il envisage d'instaurer dans les 5 ans une nouvelle constitution basée sur la participation pleine et entière de tous les sud-africains et dans le respect des aspirations des groupes, notion qui remplace dorénavant celle de race et définie comme un ensemble libre d'individus partageant les mêmes valeurs[122].
De Klerk convoque des élections générales anticipées en septembre 1989. Celles-ci sont mauvaises pour le NP avec la perte d’une trentaine de sièges au profit du Parti Conservateur - CP (39 sièges pour 33 % des voix) et du nouveau parti démocratique (Democratic Party - DP), issu d'une fusion entre les petits partis progressistes et libéraux (avec 33 sièges et 21 % des voix)[123]. Le NP gardait néanmoins une petite majorité mais il n'était plus le premier parti des électeurs afrikaners qui lui avaient préféré le CP pour 45 % d'entre eux (et seulement 7,5 % des voies anglophones).
Le nouveau président reste prudent, annonçant comme priorité, durant son discours d'investiture, la rédaction d'une nouvelle constitution permettant la cohabitation pacifique de toutes les populations d'Afrique du Sud. Il prend néanmoins des mesures concrètes dès l'automne 1989 en autorisant les manifestations multiraciales, dont celles de l'ANC, à Johannesburg, Soweto et au Cap, en prononçant l'élargissement de quelques figures de l'opposition anti-apartheid comme Walter Sisulu et en autorisant la création de 4 zones résidentielles multiraciales dans les provinces du Cap, du Natal et du Transvaal[124].
En janvier 1990, il provoquait la fureur des ultras et la stupeur du monde entier en prononçant la levée de l'interdiction de l'ANC, du PAC et du parti communiste, la levée de la censure, la suspension de la peine capitale et la libération prochaine des derniers prisonniers politiques dont Nelson Mandela, figure emblématique de la lutte anti-apartheid[125].
La riposte de l'ultra-droite ne se fait pas attendre ; des défilés de milices et autres organisations paramilitaires ont lieu dans la plupart des villes afrikaners. Eugène Terreblanche, le chef du groupement paramilitaire « Mouvement de résistance afrikaner » (AWB), organisation reconnaissable à son sigle formant une svastika à 3 branches, devient aux yeux de l'opinion mondiale le symbole de l'oppression raciste sud-africaine et de la résistance au changement. Cette image très négative sert cependant les partisans des réformes.
La libération de Nelson Mandela en février 1990 et les pourparlers entre le gouvernement et les ex-partis interdits déchaînent les passions au sein de la communauté blanche. Contre ceux qui criaient à la trahison et au suicide politique d’un peuple, les partisans des réformes affirmaient leur croyance en une transition pacifique des pouvoirs à la majorité noire, transfert jugé inéluctable et seul moyen pour permettre l’obtention de garantie pour les minorités.
Le 21 mars 1990, après des négociations sous l’égide des Nations Unis et une période de transition de près d'un an, l'Afrique du Sud abandonne sa tutelle sur la Namibie qui accède alors à l'indépendance. En septembre, le parti national ouvre ses rangs aux non blancs, obtenant un certain succès auprès des métis du Cap alors que toutes les lois raciales relatives à la vie quotidienne des individus dans le cadre du Separate Amenities Act sont abrogées au mois d'octobre 1990[126].
De mars à juin 1991, De Klerk fait abolir par le parlement toutes les dernières lois d'apartheid encore en vigueur concernant l'habitat et la classification raciale[127]. L'état d'urgence est levé à l'exception du Natal où des violences meurtrières entre ANC et partis noirs conservateurs ensanglantaient la région.
Alors que les négociations continuaient, les élections partielles dans les régions afrikaners constituaient de multiples revers pour le NP au profit du CP. De Klerk décide durant l’année 1991 de faire de l'élection locale de Potchefstroom, fief NP du Transvaal, un enjeu national sur l'approbation des Blancs à ses réformes. Cette élection, qui a lieu au début de l'année 1992, est un cuisant revers électoral pour le NP avec la victoire du CP qui profite alors de l’aubaine pour réclamer des élections anticipées[128]. De Klerk est affaibli par cette élection qui survenait à la suite d'autres revers électoraux au profit des conservateurs. Les sondages étaient mauvais pour le parti nationaliste. Tous indiquaient sinon une défaite face au CP, en tout cas la perte de la majorité absolue si des élections anticipées avaient lieu. Une seule issue parut apporter des chances de succès, c'était l'organisation d'un référendum sur le bien fondé des réformes qui permettrait aux électorats du NP et du DP de s’additionner dans un même vote face au CP[129].
La campagne est très dure entre les partisans et les adversaires des réformes. Le but en était la validation ou non par l'électorat blanc de l'abolition de l'apartheid, la continuation des négociations en vue du transfert de pouvoir à la majorité noire avec en contrepartie l’obtention des garanties quant aux libertés fondamentales.
Durant la campagne, De Klerk reçoit l'appui critique des libéraux lesquels dénonçaient l’exclusivité des négociations NP-ANC et la mise à l’écart des autres formations politiques. De son côté, les adversaires aux réformes réunissent dans un même camp l’extrême droite, le CP et plusieurs conservateurs du NP en dissidence de leur parti, notamment Pieter Botha, l'ancien président. Utilisant adroitement la répulsion que provoquait l’extrémisme de l’AWB d’Eugène Terreblanche dans l'électorat blanc modéré, assénant un message efficace par sa dichotomie (Moi ou le chaos) et bénéficiant d'un grand avantage financier et médiatique sur ses adversaires conservateurs, le NP eu à cœur de mobiliser l'électorat sur le péril immense et irréversible manifesté par la généralisation de la violence et la faillite économique qu'enclencherait un vote négatif[130].
Le référendum eu lieu le 17 mars 1992. Avec un taux de participation supérieur à 80 %, les Blancs votèrent à 68,7 % pour le « oui » aux réformes. Le CP n'avait pu mobiliser davantage de son électorat et subissait alors une cruciale défaite. Le référendum avait obligés les Blancs à décider concrètement de leur avenir et à faire un choix clair et définitif sur la politique de réformes constitutionnelles du gouvernement. La défaite des partisans de l’apartheid est sans appel. La plupart des régions fiefs du CP votent oui aux réformes (51 % à Kroonstad et 58 % à Bloemfontein dans l'État Libre d'Orange ; 54 % à Kimberley dans le Cap-nord ; 52 % à Germiston et même 54 % à Pretoria dans le Transvaal). Seule la région de Pietersburg dans le Northern Transvaal manifeste à 57 % son hostilité aux réformes[131]. Dans les régions anglophones, c'est un ras de marée en faveur du oui (78 % à Johannesburg, au Cap, à Port Elizabeth), les records en sa faveur ayant lieu au Natal (78 % à Pietermaritzburg ; 84 % à Durban). C'est la consécration pour De Klerk qui déclare qu'en ce jour les Sud-Africains avaient décidé par eux-mêmes de refermer définitivement le livre de l'apartheid. Sans condamner le régime passé, il rappelle que le système né de bonnes intentions avait dérapé sur la réalité des faits. Il s’avérait bien que les Blancs ne renonçaient pas au système parce qu'il était moralement condamnable, mais parce qu’avec pragmatisme, la communauté afrikaner prenait acte du fait que l'apartheid était un échec n'ayant pu lui assurer ni la sécurité économique ni la sécurité physique[132] [133]. Une issue négociée était alors d'autant plus vitale, pour la « tribu blanche ».
La fin de la domination blanche (1992-1994)
Si le référendum de mars 1992 donne un mandat sans ambigüité à Frederik de Klerk, les travaux de la CODESA qui rassemblent depuis 1990 18 partis et le gouvernement sud-africain autour de négociations constitutionnelles pour l'établissement d'une nouvelle Afrique du Sud se retrouvent dans une impasse suite aux exigences des dirigeants zoulous de l'Inkatha Freedom Party. Après le massacre de Boipatong au cours duquel des militants zoulous abattent une soixantaine de résidents d'un township favorables à l'ANC, avec la complicité passive de la police, les travaux de la CODESA sont ajournés[134].
Du côté des nationalistes, des scandales éclaboussent le gouvernement De Klerk. Magnus Malan abandonne son poste de ministre de la défense pour celui des eaux et forêts à la suite de plusieurs mises en cause dans la fourniture d'armes au parti zoulou Inkhata pour contrer les militants de l'ANC. Le ministre de la loi et de l'ordre, Adriaan Vlok, est lui aussi impliqué dans ce scandale et cède également son poste pour un autre moins sensible[135]. La mise à l'écart de ces deux piliers conservateurs du gouvernement compromis dans les exactions des forces de sécurité oblige De Klerk à accélérer les négociations en vue de l'élection d'une assemblée constituante en 1994. Un forum multipartite, composé de 26 partis dont le Parti Conservateur (CP) à titre d'observateur, succède à la CODESA. Ces négociations qui se tiennent à Kempton Park près de Johannesburg doivent aboutir à la proposition d'une constitution provisoire[136]. Ne voulant pas brader les intérêts de la minorité blanche, De Klerk recherche des garanties pour les droits des minorités, pour le maintien et le respect de certaines valeurs fondamentales : respect du droit de propriété afin de prévenir toute redistribution de terres abusive, garantie des intérêts culturels, économiques et sociaux. Il s'agit pour les Blancs de transférer le pouvoir politique à la majorité noire mais de conserver le pouvoir économique pour plusieurs années encore et éviter le sort des ex-colonies d'Afrique. Lors des négociations de Kempton Park, des garanties sont également confirmées concernant la rédaction de la future constitution par la future assemblée constituante. Toutes les négociations entreprises depuis 1990 se déroulent dans le cadre d'un « séminaire géant permanent » sans aucune aide ou interférence extérieure comme ce fut le cas pour la Rhodésie du Sud (accords de Lancaster House) ou pour des pays plus éloignés comme la Bosnie-Herzégovine ou pour le conflit israélo-palestinien[137].
Parallèlement, les sanctions internationales imposées bilatéralement ou par l'ONU sont progressivement levées.
En aout 1992, l'Afrique du Sud, exclue depuis 1964, est réintégrée aux jeux olympiques de Barcelone auxquels elle participe sous un drapeau olympique, l'ANC refusant que des sportifs noirs soient représentés sous les couleurs de l'apartheid. Pour la première fois depuis longtemps, une équipe de rugby étrangère vint en RSA durant l'été 1992 sans opposition mais sous conditions imposées par l'ANC concernant le comportement des officiels sud-africains. Mais lors du premier test-match contre la Nouvelle-Zélande à l'Ellis Park de Johannesburg, en faisant jouer l'hymne national « Die Stem » repris en cœur par un public agitant abondamment les couleurs bleues, blanches et orange, l'ANC menaça d'en appeler à nouveau aux sanctions internationales[138].
En mars 1993, alors que les négociations continuaient, un des leaders les plus populaires du parti communiste, Chris Hani, est assassiné. L'enquête trouve rapidement les instigateurs de l'attentat parmi les milieux d'extrême-droite. Le commanditaire de l'assassinat était Clive Derby-Lewis, un des chefs anglophones du CP[139]. L'arrestation de ce dernier devient le symbole de la fin de l’impunité pour les tenants de la ségrégation. En avril 1993, un nouveau coup dur frappe le CP : Andries Treurnicht mourait à la suite de problèmes cardio-vasculaire. Un nouveau chef, Ferdinand Hartzenberg, lui succède mais ne peut empêcher le déclin du parti.
Le 18 novembre 1993, l'ANC et le NP approuvèrent une nouvelle constitution intérimaire, multiraciale et démocratique, des élections pour tous les adultes en avril 1994 et le statut de langue officielle pour neuf langues locales soit un total de onze[140]. Une grande partie de cette constitution intérimaire est d'ailleurs consacrée à rassurer la minorité blanche de toute politique revancharde et qui se traduit notamment par un grand compromis sur la formation d'un gouvernement ouvert aux partis minoritaires[141].
Du côté des radicaux de droite, un front du refus se constitue, regroupant le CP et divers mouvements afrikaners avec les partis et dirigeants conservateurs noirs. Ce regroupement au sein d'une « Alliance pour la liberté » marque l'arrivée sur la scène politique du Général Constand Viljoen, un Afrikaner très respecté jusque dans les rangs de l'ANC. Il regroupe derrière lui la totalité des partis nationalistes, conservateurs ou d'extrême-droite. Mais l'Alliance pour la liberté se brise rapidement, le seul point commun entre ses membres étant le refus des élections. Très vite, certains dirigeants noirs quittent l'alliance, contraints de rejoindre le processus électoral. C'est le cas des chefs du Ciskei ou du Bophuthatswana après l’échec par ce dernier d’une tentative de sécession[142].
Quand Viljoen obtient la garantie de l'ANC que le prochain gouvernement nommerait une commission pour étudier la faisabilité du projet d'un Volkstaat (État Afrikaner) en Afrique du Sud en contre partie de la renonciation à la violence et de la participation des mouvements afrikaners aux élections, il est désavoué par ses partenaires du CP, du HNP et de l'AWB. L’idée du Volkstaat était pourtant au cœur des revendications des afrikaners conservateurs. Le CP avait été créé sur ce programme. Comme une sorte de bantoustan à l’envers, ce Volkstaat regrouperait sur un territoire assez vaste l'ensemble des Afrikaners avec Pretoria pour capitale. Mais ils étaient divisés sur les limites géographiques de ce territoire indépendant ; les plus radicaux voulaient le constituer sur les frontières des anciennes républiques Boers alors que les plus modérés le voulaient dans le nord-ouest de la province du Cap faiblement peuplée et dont la population avait l'afrikaans pour langue maternelle[143]. Déjà, dans une bourgade à la lisière entre l'État Libre d'Orange et la province du Cap s'était constituée un embryon de Volkstaat à Orania, ville habitée uniquement par des Afrikaners[144].
A la suite du désaveu de Viljoen par le CP, le général afrikaner crée un nouveau parti, le Front de la Liberté (Freedom Front - FF) pour représenter les Afrikaners aux élections de 1994.
Quant au CP, il livre ses dernières batailles parlementaires puis symboliquement, en pleine session parlementaire, entonne pour oraison funèbre de la domination blanche, l'hymne national « Die Stem van Suid Afrika » après que le gouvernement a fait adopter les dernières lois mettant sur pied un régime multiracial de transition chargé d'élaborer dans les cinq ans une nouvelle constitution[145].
En avril 1994, après une campagne électorale sous tension où les attentats de gauche et de droite se sont succédé, la RSA allait procéder à ses premières élections multiraciales.
Deux jours avant le vote, un attentat attribué à l'extrême droite a lieu à Johannesburg devant le quartier général de l'ANC. Des attentats meurtriers suivent à Germiston et à l'aéroport Jan Smuts de Johannesburg. Considérés comme un baroud d'honneur de l'extrême-droite, ils ne remettent pas en cause les élections[146].
La nouvelle Afrique du Sud
Article détaillé : Histoire de l'Afrique du Sud depuis 1994.À partir du 27 avril 1994, les Sud-Africains votèrent pour élire leurs représentants au parlement et dans les conseils provinciaux des neuf nouvelles provinces du pays, intégrant les anciens bantoustans.
Lors de ces premières élections multiraciales, l'ANC remporta 63 % des voix contre 23 % au NP. Grâce aux métis, ce dernier remporta la province du Cap-Occidental avec 59 % des voix.
L'Inkhata Freedom Party obtint 10 % des voix et une représentation provinciale presque uniquement au KwaZulu-Natal alors que le Front de la Liberté parvenait à rassembler 2,8 % des électeurs. Le parti démocratique arriva en 4e position avec 1,8 %.
Un gouvernement d'union nationale fut alors formé début mai 1994, réunissant les représentants des partis ayant obtenu plus de 5 % des voix, c’est-à-dire l'ANC, le NP et l'IFP.
Le 10 mai, Mandela fut élu Président de la République par le parlement. Il nomma Thabo Mbeki comme premier vice-président et Frederik De Klerk comme second vice-président et un gouvernement multiracial d'union nationale à majorité ANC.
La commission vérité et réconciliation
Avec l'objectif de permettre une réconciliation nationale entre les victimes et les auteurs d'exactions politiques, une Commission de la vérité et de la réconciliation, présidée par Mgr Desmond Tutu, archevêque du Cap et prix Nobel de la paix, fut chargée de solder les années d'apartheid en recensant tous les crimes et délits politiques, commis non seulement pour le compte du gouvernement sud-africain mais aussi pour le compte des différents mouvements anti-apartheid, sur une période s'étalant du 1er mars 1960 (massacre de Sharpeville) au 10 mai 1994. Sa première audience eut lieu le 15 avril 1996 et ses travaux durèrent pendant deux ans. En échange de l'amnistie, les auteurs d'exactions étaient invités à confesser les méfaits qui pouvaient leur être reprochés. Certains anciens ministres comme Adriaan Vlok ou Piet Koornhof notamment exprimèrent des regrets pour certains de leurs actes commis au nom de la défense de l'apartheid [147] tandis que l'ancien président de Klerk affirmait pour sa part que selon ses termes, jamais la torture n'avait été encouragée ou couverte par les gouvernements successifs [148]. Si le rapport final de la Commission épingla l'absence de remords ou d'explications de certains anciens hauts responsables gouvernementaux, il dénonça également le comportement de certains chefs de l'ANC, notamment dans les camps d'entrainements d'Angola et de Tanzanie[149].
La présidence de Nelson Mandela (1994-1999)
Le gouvernement d'union nationale met en place dès 1994 un programme de reconstruction et de développement (RDP) pour pallier aux conséquences socio-économiques de l'apartheid, comme la pauvreté et le grand manque de services sociaux dans les townhips[150]. Entre 1994 et début 2001, plus d'un million de maisons à bas coût sont construites permettant d'accueillir 5 millions de sud-africains sur les 12,5 millions mals logés [151]. L'accès à l'eau potable dans les bantoustans est améliorés alors que plus de 1,75 millions de foyers sont raccordés au réseau électrique. Le RDP est cependant critiqué pour la faible qualité des maisons construites dont 30% ne respectent pas les normes[151], un approvisionnement en eau dépendant beaucoup des rivières et des barrages[152] et dont la gratuité pour les ruraux pauvres est couteuse[151]. A peine 1% des terres envisagé par la réforme agraire ont été effectivement distribué et le système de santé est impuissant à combattre l'épidémie de SIDA qui fait baisser l'espérance de vie moyenne des africains du Sud de 64,1 à 53,2 ans de 1995 à 1998[151].
Une politique d'affirmative action (discrimination positive) est mise en place à partir de 1995. Elle vise à promouvoir une meilleure représentation de la majorité noire dans les différents secteurs du pays (administration, services publics et parapublics, sociétés nationalisées et privées). Ce programme contribue au développement d'une nouvelle classe moyenne noire et urbaine (environ 10 % de la population noire)[153]. En contrecoup de cette politique, mais aussi pour des raisons liées à l'insécurité qui ravage le pays, plus de 800 000 blancs, souvent très qualifiés, dont l'écrivain John Maxwell Coetzee, quittent le pays entre 1995 et 2005 (soit 16,1 % des Sud-africains blancs)[154][155].
En 1996, la constitution transitoire est remplacée par une nouvelle constitution, adoptée au parlement par la quasi unanimité des députés de l'ANC et du parti national. En juin 1996, ce dernier quitte le gouvernement peu après son adoption. Accusé d'avoir trop cédé à l'ANC durant la période transitoire, le parti national se divise. L'ancien ministre nationaliste Roelf Meyer quitte le parti et fonde avec Bantu Holomisa, le mouvement démocratique uni, le premier nouveau parti multiracial de l'ère postapartheid. Une partie des membres les plus conservateurs du parti national rejoignent le parti démocratique dirigé par Tony Leon, nettement plus énergique à leurs yeux dans son opposition à l'ANC, ou bien le front de la liberté. En 1998, sous la direction de Marthinus van Schalkwyk, le parti national devient le nouveau parti national, une formation qui se veut plus centriste que son prédécesseur.
La présidence de Thabo Mbeki (1999-2008)
En 1999, Thabo Mbeki succède à Nelson Mandela à la suite des élections générales de 1999 qui consacrent une nouvelle victoire de l'ANC et l'effondrement du nouveau parti national supplanté par le Parti démocratique. Les deux formations d'opposition s'unissent pour gouverner la province du Cap-Occidental avant de fusionner dans l'Alliance démocratique (DA)[156].
Durant les deux mandat qu'effectue Mbeki[157], le pays connait une croissance économique de 5 à 6% annuel et l'amélioration des conditions sanitaires et d'hébergement dans les townships[158]. Cependant, le maintien de 10% de la population dans une misère extrême, le chômage en hausse, estimé à près de 40 %, la forte progression de la criminalité, l'expansion de la pandémie du Sida dont il nie le lien avec la maladie, la dégradation de l'état des routes, des hôpitaux publics et des écoles publiques, l'inefficacité de l'administration et la dégradation de la qualité de l'enseignement public s'affirment comme les grands points noirs de sa politique[159]. Vers la fin de son mandat, le président Mbeki est accusé d'avoir perdu le contact avec le peuple pour privilégier une nouvelle bourgeoisie noire, tout aussi repliée sur elle-même que le fut la bourgeoisie blanche [160] alors que les critiques politiques dénoncent même l'autoritarisme d'un gouvernement, tiraillé entre sa propre aile gauche et son aile droite. Ses relations avec son vice-président, Jacob Zuma, se détériorent d'autant plus qu'il doit congédier ce dernier de ses fonctions à la suite d'un scandale politico-judiciaire[161]. En 2007, Thabo Mbeki décide de se présenter de nouveau à la présidence de l'ANC, notamment pour contrer Jacob Zuma en pleine ascension. Lors de la conférence élective du président de l'ANC qui se tint du 15 au 20 décembre 2007 à Polokwane, Jacob Zuma reçoit néanmoins le soutien de près des trois quarts des 3 900 délégués face à Thabo Mbeki[162]. Le 18 décembre, Zuma est élu président de l'ANC alors que les proches de Thabo Mbeki sont tour à tour éliminés du bureau national du parti[163].
En 2008, une grave pénurie d'électricité achève le bilan économique du président à qui la presse reproche l'imprévoyance de son gouvernement, et de celui de Nelson Mandela, pour avoir refusé, en 1996, d'investir dans la construction de nouvelles centrales électriques alors que le pays connaissait une croissance de la demande en électricité de 10 % chaque année. Les grandes villes sont pendant plusieurs semaines périodiquement plongées pendant quelques heures dans l'obscurité alors que le gouvernement est contraint de promouvoir le rationnement, de renoncer à certains grands projets créateurs d'emplois et de suspendre ses exportations d'électricités vers les pays voisins[164].
En mai 2008, le gouvernement de Thabo Mbeki est confronté à une vague de violences contre les immigrés, caractérisé notamment par des meurtres, des pillages et des lynchages[165] [166].
L'interim présidentiel de Kgalema Motlanthe (2008-2009)
Mis en cause indirectement pour des « interférences » politiques dans des affaires judiciaires impliquant son ancien vice-président[167], Thabo Mbeki est contraint de démissionner de la présidence sud-africaine le 21 septembre 2008 après avoir été désavoué par son parti. L'ANC nomme alors le vice-président du parti, Kgalema Motlanthe, pour lui succéder. Cette démission s'accompagne d'un schisme au sein de l'ANC et la création du Congrès du Peuple (COPE) par les partisans de l'ancien président.
La présidence de Jacob Zuma (depuis mai 2009)
En mai 2009, Jacob Zuma est élu président de la république après la victoire de l'ANC (65,90%), lors des élections générales, face notamment à l'alliance démocratique (16,96%) d'Helen Zille, qui remporte la province du Cap-Occidental, et face au Congrès du Peuple (7,42%) de Mosiuoa Lekota.
En 2010, 15 ans après avoir organisé avec succès la coupe du monde de rugby, marquée par la victoire en finale de l'équipe nationale, les Springboks, l'Afrique du Sud sera le pays hôte de la coupe du monde de football.
Notes et références
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- ↑ d'après Derek Nurse et Gérard Philippson: The Bantu Languages, Routledge, London 2003
- ↑ Georges Lory, infra, p 24
- ↑ Georges Lory, infra, p 26
- ↑ Georges Lory, infra, p 25
- ↑ Paul Coquerel, L'Afrique du Sud des Afrikaners, Complexe, 1992, p 18 et s.
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 20
- ↑ F.-X. Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, 2006, p.142
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 24
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 20
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 27 et s.
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 23
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 23-24
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 29-30
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 32
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 33
- ↑ Georges Lory, infra, p 40 et s.
- ↑ Georges Lory, infra, p 39
- ↑ Jean Sévry, l'Afrikaner vue par les historiens et les écrivains:portraits ou caricatures ?, revue Palabres, Vol. V, n°1, 2003, p 37
- ↑ Georges Lory, ibid p 33
- ↑ Christopher Saunders, Historical dictionary of South Africa, New York, Scarecrow Press, 1983, p73
- ↑ François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Paris, Seuil, 2006, (ISBN 2-02-048003-4), p.243. L'auteur évoque le chiffre de 15 000 voortrekkers sur 5 ans.
- ↑ Jean Sévry, ibid, p 39
- ↑ W.A. De Klerk, the puritans in Africa, the story of Afrikanerdom, Londres, Pelican Books, 1975, p 24
- ↑ Georges Lory, infra, p 46
- ↑ Georges Lory, infra, p 44
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 47
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- ↑ Georges Lory, infra, p 196-197
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 48
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 50
- ↑ Georges Lory, infra, p 33
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 53-54
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 54
- ↑ Georges Lory, infra p 51
- ↑ Paul Coquerel, infra, p 56
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- ↑ Paul Coquerel, L'Afrique du Sud des Afrikaners, Complexe, 1992, p 98-99
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- ↑ Jusqu'en 1972 - Voir Daniel Bach, La France et l'Afrique du Sud: histoire, mythes et enjeux contemporains, Karthala, 1990, p 207 et suivantes
- ↑ Daniel Bach, ibid, p 204 - le Malawi est alors le seul état africain à entretenir avec l'Afrique du Sud des relations diplomatiques au niveau des ambassades. John Vorster effectue sa premeire visite officielle dans un pays africain au Malawi en 1970. Le président malawite Kamuzu Banda se rendra en visite officielle en Afrique du Sud un an plus tard
- ↑ Dès 1970, le président ivoirien préconise l'ouverture d'un dialogue avec le pays de l'apartheid. En 1974, il recevra John Vorster à Yamoussoukro en présence du président sénégalais Léopold Sédar Senghor
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- ↑ June 16th Student Uprising
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- ↑ Allister Sparks, ibid, p 231-234.</
- ↑ Allister Sparks, ibid, chapitre 13 p233
- ↑ Allister Sparks, ibid, Chapitre 14 La bataille du Bophuthatswana, p 235 et s.
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- ↑ Dominique Darbon, L'après Mandela, Karthala, 2000, p 143
- ↑ Dominique Darbon, ibid, p 148
- ↑ Amnistier l’Apartheid. Travaux de la Commission Vérité et Réconciliation sous la présidence de Desmond Tutu, traduction française, Philippe-Joseph Salazar (dir.), Paris, Le Seuil, coll. "L’Ordre Philosophique", 2004, 352 p, (ISBN 978-2020686044)
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- ↑ Le « modèle sud-africain » doute de lui-même, article de Fabienne Pompey dans le journal Le Monde du 26 février 2008
- ↑ Les Blancs qualifiés fuient l’Afrique du Sud sur Afrik.com
- ↑ Pierre Malet, En Afrique du Sud, les Blancs n'ont plus d'avenir, Slate, 11 septembre 2009
- ↑ À l'automne 2001, le NNP dirigé par Marthinus Van Schalkwyk se retire de l'alliance pour former un nouveau partenariat avec l'ANC, bouleversant l'échiquier politique sud-africain. Lors des élections d'avril 2004, le NNP s'effondre à 1,9% des suffrages, recevant le soutien d'une majorité relative des Coloureds. Présent dorénavant au gouvernement, le NNP se dissout en septembre 2005 suite au ralliement de la majorité de se cadres à l'ANC
- ↑ Les élections de 2004 sont remportées par l'ANC qui accroit sa majorité au niveau national et remporte pour la première fois les neuf provinces, grâce notamment à l'appui de ses alliés du nouveau parti national
- ↑ Article du Monde du 19 décembre 2007
- ↑ La difficile fin de règne de Thabo Mbeki, coupé de la population et piètre médiateur africain, article de Fabienne Pompey dans Le Monde du 28 février 2008
- ↑ La difficile fin de règne de Thabo Mbeki, coupé de la population et piètre médiateur africain, article de Fabienne Pompey dans Le Monde du 28 février 2008
- ↑ Article du Figaro du 21 décembre 2007 intitulé Jacob Zuma accusé de corruption
- ↑ Article de l'AFP du 17 décembre 2007 intitulé Afrique du Sud: Mbeki paraît devoir perdre le contrôle du parti au pouvoir
- ↑ Dépêche de l'AFP du 18 décembre 2007 - Jacob Zuma plébiscité à la présidence du parti au pouvoir
- ↑ Article du Sowetan repris sur le site de Courrier International le 21 janvier 2008
- ↑ Flambée xénophobe en Afrique du Sud, article de Libération du 25 mai 2008
- ↑ Mbeki au Japon, près de 100.000 migrants dans des camps de fortune, article de l'AFP du 27 mai 2008
- ↑ (en) SA court rejects Zuma graft case, BBC News, 12 septembre 2008.
Voir aussi
Bibliographie
Histoire générale de l'Afrique du Sud
- François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Seuil, Paris, 2006, 469 p.
- Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique du Sud, Perrin, Paris, 1990, 228 p.
- Paul Coquerel, L'Afrique du Sud des Afrikaners, Complexe, 1992, 303 p.
- Paul Coquerel, Afrique du Sud, l'histoire séparée, Gallimard, 1992
- Robert Lacour-Gayet, Histoire de l'Afrique du Sud, Fayard, 1970, 487 p.
La Nouvelle Afrique du Sud
- Raphaël Porteilla, Le nouvel État sud-africain : Des Bantoustans aux provinces (1948-1997), Paris, L'Harmattan, Espace Afrique australe, 2000.
- Sophie Pons, Apartheid, l'aveu et le pardon, Bayard, 2000, 210 p.
- Paul Coquerel, La nouvelle Afrique du Sud, Gallimard - La Découverte, 1999
- Georges Lory, L'Afrique du Sud, Karthala, 1998, 213 p.
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- Philippe Gervais-Lambony, La nouvelle Afrique du Sud, La Documentation française, problèmes politiques et sociaux, n°810, 16 octobre 1998, 80p.
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- William Bellamy, Une identité nouvelle pour l'Afrique du Sud, Publications de la Sorbonne, 1996, 191 p.
- Allister Sparks, Demain est un autre pays, Ifrane, 1996, 292 p.
- Tidiane N'Diaye, Mémoire d'errance, Chap Nelson Mandela, A3, Paris, 1998, 206 p. (ISBN 2-84436-000-9)
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L'ancienne Afrique du Sud et les républiques boers
- Jean-Claude Rolinat, Aube noire pour crépuscule blanc, 1994, 292 p.
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- Paul Kruger, Mémoires, ed. Félix Juven, v.1910, 414 p.
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Glossaire
- Christopher Sauders et Nicholas Southey, A dictionary of South African History, ed. David Philipp, Le Cap & Johannesburg, 1998, 198.
Romans historiques
- James Michener, L'Alliance, roman historique qui reprend toute l'histoire de l'Afrique du Sud à travers une saga familiale s'étalant depuis l'arrivée des premiers Européens jusqu'à nos jours.
- Wilbur Smith, les romans relatifs à la saga des Courtney (Quand le lion a faim, Les feux du désert, Le Royaume des tempêtes, Le serpent vert, la piste du renard, La piste du chacal ...).
- Stuart Cloete, "Turning Wheels", fiction qui décrit le Grand Trek.
- Noni Jabavu, "The Ochre People", roman qui raconte la vie des Xhosa en zone rurale pendant les années de l'apartheid.
Liens externes
- (en) L'histoire de l'Afrique du Sud
- (en) Le développement et la formation de la république sud-africaine
- (fr) Les mythes afrikaners par Paul Coquerel
- (fr) Le docteur Malan et l'avènement de l'apartheid
- (en) Un bref article d'un étudiant de Stanford sur l'histoire de l'apartheid
Histoire de l'Afrique du Sud
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