Histoire De La Somalie

Histoire De La Somalie

Histoire de la Somalie

Cette page traite de l'histoire de la Somalie.

Sommaire

Époque précoloniale

La Somalie au début du XIXe siècle.

Pour G.W. Huntingford, Le Périple de la mer Érythrée, communément daté du début du IIe siècle, mentionne clairement la côte somalienne entre Hafun et le Siyu, ce qui attesterait de la connaissance de la région par les Grecs, les Romains et les commerçants indiens. Les Égyptiens antiques appelaient la Somalie Punt et leurs habitants les Berbères noirs.

Du IIe au VIIe siècle, la plus grande partie de la région fut annexée au royaume éthiopien d’Axoum. Au VIIe siècle, des tribus arabes installèrent des comptoirs le long de la côte du golfe d'Aden. Elles se mêlèrent aux populations autochtones cushites et fondèrent le sultanat d’Adel, avec Saylac comme port principal. Les Somalis se convertirent à l’islam.

Le Moyen Âge vit la formation de la structure clanique actuelle, alimentée par la fuite de musulmans persécutés en Arabie. Au cours du XIVe siècle, Mogadiscio gagna en influence et devint l’escale privilégiée des marins arabes. Le commerce se développa également avec les voisins de l’ouest, Oromos, Afars et les habitants de l’actuelle Érythrée.

Les relations entre la Somalie musulmane et l’Éthiopie chrétienne furent cordiales pendant plusieurs siècles. Un hadith de Mahomet interdisait aux musulmans d’attaquer l’Éthiopie et cette dernière avait donné refuge aux premiers convertis à l’islam, victimes de persécutions. Une partie du nord-ouest de la Somalie, où se trouve l’actuel Somaliland, fit partie de l’Éthiopie salomonique sous le règne d’Amda Seyon Ier (13141344). En 1415, Yeshaq Ier prirent des mesures contre le royaume d’Adal, dont les raids rebelles occasionnaient des troubles dans les régions alentours. Le roi Sa'ad ad-Din II fut emprisonné et exécuté. Une fois la guerre terminée, Yeshaq Ier fit composer une chanson narrant sa victoire, où apparaît pour la première fois le terme Somali.

La région resta sous contrôle éthiopien pendant encore un siècle. Mais vers 1527, mené par le charismatique imam Ahmed Gragne, l’Adal se révolta et envahit l’Éthiopie avec le soutien de l’Empire ottoman. L’usage des armes à feu permit de conquérir rapidement la moitié de l’Éthiopie jusqu’au Tigré. Les événements sont relatés par l’expédition portugaise de Christophe de Gama‎, fils de Vasco de Gama, qui se trouvait alors dans la région. Après avoir vainement tenté une médiation entre les deux pays, le Portugal soutint l’Éthiopie chrétienne et lui envoya une expédition militaire. L’Adal fut battu le 21 février 1543 à la bataille de Wayna Daga, où Ahmed Gragne trouva la mort.

La veuve de Gragn épousa Nur ibn Mujahid en échange de sa promesse de venger le roi défunt. Mujahid monta sur le trône et poursuivit les hostilités contre ses ennemis du nord jusqu’à sa mort en 1567. Entre temps, le Portugal installa une colonie en Somalie. Le sultanat éclata en une multitude d’États indépendants, dont beaucoup avaient un chef somali à leur tête. Saylac devint dépendant du Yémen et fut incorporé à l’empire ottoman.

À la même période, la dynastie Ajuran fonda un État centralisé dans la vallée du Shebelle. Pour Said Samatar, il s’agit de l’un des rares épisodes centralisation d’un État pastoral de l’histoire de la Somalie, qui fut plus grand et plus puissant que les villes-États côtiers de Mogadiscio, Merca et Baraawe réunis[1][réf. incomplète] . Le sultanat ajuran se désintégra à la fin du XVIIe siècle, pliant sous les attaques portugaises, les dissensions internes et les imitions des tribus nomades du nord. Il fallut plus d’un siècle avant de voir l’émergence d’un nouvel État, le sultanat Geledi, autour de la ville d’Afgooye. Entre-temps, le sultanat d'Oman chassa les portugais hors de Somalie pour prendre le contrôle de la côte de Benaadir. Les villes somaliennes restèrent libres de s’autogérer tant qu’elles respectaient l’autorité du sultan et payaient leur tribut; le rôle du gouverneur omani à Mogadiscio, Merca et Baraawe resta largement honorifique.

Colonisation

À partir de 1875, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie revendiquèrent le territoire de la Somalie. La Grande-Bretagne contrôlait déjà la cité portuaire d’Aden au Yémen et désirait mettre la main sur Berbera, située juste en face. La mer Rouge était alors une voie cruciale vers les colonies britanniques en Inde.

La France s’intéressait aux gisements de charbon de l’intérieur des terres et entendait casser les ambitions britanniques de construire un chemin de fer longeant la côte est de l’Afrique du nord au sud. Quant à l’Italie, tout juste unifiée et sans expérience coloniale, elle cherchait surtout à obtenir des territoires en Afrique sans devoir affronter de puissance européenne. Elle s’appropria le sud de la Somalie, ce qui allait devenir la plus grande revendication européenne dans le pays, mais aussi la moins intéressante sur le plan stratégique.

En 1884, l’Égypte devenue indépendante de l’empire Ottoman voulut restaurer son ancienne puissance et s’intéressa à l’Afrique de l’est. Le Soudan lui résista cependant et la révolution mahdiste de 1885 éjecta les forces égyptiennes hors du Soudan, mettant un terme aux velléités de créer un nouvel empire égyptien. Les troupes qui étaient parvenues jusqu’en Somalie ont été secourues par la Grande-Bretagne et escortées pour leur retour de leur côté des lignes.

Par la suite, la plus grande menace sur les ambitions européennes en Somalie vint de l’Éthiopie, en la personne de l’empereur Ménélik II, qui avait réussi à éviter à son pays l’occupation et qui projetait d’envahir à nouveau la Somalie. En 1900, il annexa l’Ogaden, région désertique de l’ouest qui fait encore l’objet périodiquement de conflits territoriaux entre les deux États.

La résistance somalienne à la colonisation débuta en 1899 derrière Sayyid Mohammed Abdullah Hassan, issu de la tribu Darod et du sous-clan Dulbahante par sa mère. Leurs cibles principales étaient leurs ennemis héréditaires d’Éthiopie et l’administration britannique, qui contrôlait les ports les plus lucratifs et prélevaient des taxes auprès des paysans qui envoyaient leur bétail à leurs clients au Moyen-Orient et en Inde. Brillant orateur soutenu par les derviches fondamentalistes issus de sa lignée maternelle, Hassan mena une guérilla sanglante pendant deux décennies, jusqu’à ce que la Royal Air Force britannique bombarde la région en 1920. Hassan prit la fuite et mourut d’une pneumonie peu de temps après. Ce fut l’une des plus longues et des plus sanglantes guerres de résistance en Afrique subsaharienne, qui coûta la vie à près d’un tiers de la population du nord de la Somalie.

Les Dulbahante étaient les seuls à avoir refusé de signer le traité de protectorat et de se soumettre à la Grande-Bretagne et se voyaient comme les garants de la grande Somalie. Toutefois, bien que les Issaq, les Issa, les Warsangalie et les Gadabursi aient signé sans opposé de résistance, la Grande-Bretagne ne leur fit pas confiance pour autant et invoqua immédiatement l’article 7 du traité, qui lui permettait d’instaurer une politique de ségrégation. Elle fit également usage de la sous-section 3k qui l’autorisait à retirer un certain nombre d’enfants de leurs mères pour leur inculquer une éducation spécifique – avant tout pour inspirer une certaine crainte parmi la population. Certains chefs tribaux en vinrent à regretter de ne pas avoir soutenu la guérilla des Dulbahante.

Pendant que la Grande-Bretagne était en prise avec les troupes d’Hassan, la France ne fit guère usage de ses possessions en Somalie. L’Italie établit par contre une réelle colonie où de nombreux citoyens italiens s’établirent et investirent dans l’agriculture. Mussolini était arrivé au pouvoir et entendait montrer au monde qu’il fallait également compter avec l’Italie comme puissance économique capable de faire de l’ombre à la Grande-Bretagne. Cette dernière, freinée par ses nombreuses guerres avec les autochtones, n’osait guère investir dans des infrastructures coûteuses qui risqueraient à tout moment d’être détruites. Plus tard, lors de l’unification du pays dans les années 1960, le nord accusait un retard considérable en termes de développement économique et fut rapidement dominé par le sud. Les frustrations qui en résultèrent contribuèrent à déclencher la guerre civile.

Malgré la défaite infligée aux troupes d’Hassan, les Dulbahante n’acceptèrent aucune négociation et toute la période d’occupation britannique fut traversée par des violences sporadiques. La situation s’aggrava lorsque l’Italie envahit avec succès l’Éthiopie, confisquant à la Grande-Bretagne son seul allié de la région contre les rebelles somalis. La Grande-Bretagne en était réduite à se débrouiller seule ou à chercher des terres moins hostiles. Pendant ce temps, l’économie de la Somalie italienne fleurissait et il devenait de plus en plus évident que c’était l’Italie qui avait gagné la corne de l'Afrique. Intimée par Mussolini de quitter la région, la Grande-Bretagne obtempéra sans guère protester. La France abandonna également ses quelques possessions, laissant ainsi à l’Italie le contrôle de l’Éthiopie, de Djibouti, de la Somalie et du nord du Kenya.

Deuxième guerre mondiale

La domination italienne fut de courte durée. Face aux attaques des alliés, Mussolini mobilisa toutes ses troupes pour défendre le front européen et la Grande-Bretagne reprit la Somalie dès 1941. Tant que dura la guerre, le pays fut dirigé par l’administration militaire britannique appliquant la loi martiale, en particulier au nord où le souvenir de la révolte était encore frais. Cette politique fut aussi mal accueillie que précédemment et les rebelles purent se fournir en armes auprès des colons italiens restants et des autres ennemis de la Grande-Bretagne. Le protectorat britannique, qui eut pour capitale la cité d’Hargeisa, dura jusqu’en 1949 et connut un certain développement économique. Les tribunaux autochtones restèrent compétents pour juger la plupart des cas. L’occupant n’expulsa pas les citoyens italiens à l’exception de ceux qui représentaient clairement un danger. Le fait que la majorité d’entre eux étaient fidèles à Mussolini et envoyaient des renseignements en Italie n’effrayait guère la Grande-Bretagne en raison du peu d’intérêt stratégique de la région. Bien que considérés techniquement comme des ressortissants d’un État ennemie, les italiens furent même autorisés à créer leurs propres partis politiques en compétition directe avec l’autorité britannique.

Après la guerre, la Grande-Bretagne assouplit son contrôle militaire sur la Somalie et introduit un début de démocratisation. Plusieurs partis politiques autochtones virent le jour, dont la Ligue de la jeunesse somalienne (LJS) en 1945. La Conférence de Potsdam ne régla pas définitivement le cas de la Somalie et ne trancha pas la question de savoir s’il fallait continuer l’occupation par la Grande-Bretagne, rétrocéder la région à l’Italie ou lui accorder l’indépendance. Cette question fut largement débattue sur la scène politique somalienne au cours des années qui suivirent. Le nord et l’ouest désiraient l’indépendance tandis que les populations du sud appréciaient la prospérité économique apportée par l’Italie et désiraient rester sous son administration.

En 1948, une commission dirigée par des représentants des forces alliées victorieuses voulut trancher la question somalienne une fois pour toutes. Dans un premier temps, elle attribua la province de l’Ogaden à l’Éthiopie. L’année suivante, après des mois de discussion et après avoir porté l’affaire devant les Nations unies, l’Italie se vit accorder un protectorat de dix ans en reconnaissance du développement économique apporté à la région, après quoi la Somalie deviendrait entièrement indépendante. La LJS, qui revendiquait une opposition immédiate, s’opposa vivement à cette décision. La Ligue allait devenir une source d’agitation pour les années à venir. Malgré cela, la décennie 1950 fut prospère et ne fut marquée par aucun incident notoire. La Somalie obtint son indépendance comme prévu en 1959 et la passation de pouvoir se fit sans heurts.

Indépendance

Le début de l’indépendance de la Somalie fut prometteur, avec une bonne participation politique des nomades et des femmes. Les disparités économiques entre le nord et le sud et le problème de l’Ogaden ne tardèrent cependant pas à surgir. La Somalie ne reconnaissait pas en effet la juridiction éthiopienne sur l’Ogaden, tandis que les aspirations pan-somalis provoquèrent la guerre de Shifta (en) (1963-1967) dans la province sécessionniste du Kenya, au sud de la Somalie.

Au début des années 1960, des troubles éclatèrent lorsque le nord commença à contester des référendums qui avaient recueilli la majorité des votes, au motif que le sud était favorisé. En 1961, des organisations paramilitaires du nord se révoltèrent lorsqu’elles se virent imposer des chefs originaires du sud. Le deuxième plus grand parti politique du nord commença à revendiquer ouvertement la sécession. Une tentative de mettre fin à ces divisions en créant un parti pan-somalien resta infructueuse.

On tenta également de créer un sentiment nationaliste autour de la cause de l’Ogaden et des régions du nord du Kenya, où vivaient en majorité des ethnies somalies. Des milices somaliennes lancèrent des attaques près des frontières éthiopienne et kényane entre 1960 et 1964, date à laquelle le conflit entre la Somalie et l’Éthiopie éclata ouvertement. Il dura quelque mois et les deux parties convinrent d’un cessez-le-feu la même année. L’empereur d'Ethiopie, Haile Selassie, et le Premier ministre kenyan, Jomo Kenyatta, conclurent ensuite un traité de défense mutuel (1964) pour se protéger d’agressions futures de la part de la Somalie.

Au milieu des années 1960, la Somalie développa des relations militaires étroites avec l’Union soviétique, qui fournit du matériel et entraîna les forces armées somaliennes. La Chine finança de nombreux projets industriels non militaires. Les relations entre la Somalie et l’Italie restèrent cordiales mais se dégradèrent avec les États-Unis qui avaient soutenu l’Éthiopie contre la Somalie.

La démocratie commença à vaciller à la fin des années 1960. Le vainqueur des élections de 1967 ne fut pas reconnu en raison de la structure complexe des alliances claniques et les sénateurs procédèrent à un nouveau vote. Le résultat de l’élection allait être déterminant pour savoir si oui ou non la Somalie userait de la force pour réaliser le rêve de l’unité pan-somalienne, ce qui signifiait déclarer la guerre à l’Éthiopie, au Kenya et éventuellement à Djibouti. En 1968, un traité avec l’Éthiopie portant sur le commerce et les télécommunications fut l’occasion d’un bref répit qui profita aux deux pays, en particulier aux habitants de la zone frontalière qui vivaient dans l’instabilité depuis le cessez-le-feu de 1964.

1969 fut une année tumultueuse, avec de nombreuses défections, collusions et trahisons. La LJS et ses alliés passèrent d’un quasi-monopole à l’Assemblée (120 sièges sur 123) à 46 sièges. La Ligue ne reconnut pas le résultat des élections qu’elle qualifia de frauduleuses.

Régime de Siad Barre

Coup d’État de 1969

Le 15 octobre 1969, alors que le premier ministre Igaal était en déplacement à l’étranger, le président Shermarke fut tué par l’un de ses gardes du corps. Igaal rentra à Mogadiscio pour assister à la désignation d’un nouveau président par l’Assemblée nationale. La préférence d’Igaal se porta sur un membre du clan Daarood, comme Shermarke. Pour les critiques du gouvernement d’alors, en particulier certains officiers militaires, cela voulait dire qu’il n’y avait pas d’espoir d’améliorer la situation du pays ainsi. Le 21 octobre 1969, lorsqu’il devint clair que l’Assemblée nationale soutenait le choix d’Igaal, l’armée et la police prirent le contrôle des endroits stratégiques de Mogadiscio et capturèrent des membres du gouvernement et d’autres personnalités politiques importantes.

Biens qu’ils ne fussent pas les auteurs du coup d’État, le Général Salad Gabeire Kediye et Mohamed Siad Barre prirent la tête du Conseil révolutionnaire suprême (CRS), groupe d’officiers qui avait renversé le gouvernement civil. Le CRS emprisonna les membres de l’ancien gouvernement, y compris Igaal. Il dissout les partis politiques et l’Assemblée nationale puis suspendit la constitution. Enfin, il renomma le pays en « République démocratique de Somalie ». Le CRS entendait mettre fin au tribalisme, au népotisme et à la corruption.

Conseil révolutionnaire suprême

Le Conseil révolutionnaire suprême donna la priorité au développement économique et social et ordonna l’élaboration d’une forme écrite du somali qui soit commune à tout le pays. Pour cela, l'alphabet latin fut utilisé.

Il s’engagea à pacifier les relations de la Somalie avec ses voisins, sans pour autant renoncer à ses revendications territoriales.

Le CRS était investi des fonctions précédemment assumées par le président, l’Assemblée nationale et le Conseil des ministres. Les décisions se prenaient à la majorité des 25 membres de la junte mais les débats étaient rarement rendus publics. Siad Barre cumulait les charges de chef de l’État, chef du CSE (voir ci-après), commandant en chef des forces armées et président du CRS. Un secrétariat de 14 membres, le Conseil des secrétaires d’État (CSE), fonctionnait comme un cabinet ministériel et assumait les actes gouvernementaux quotidiens mais ne détenait pas de pouvoir politique. La majorité des membres du CSE étaient des civils mais les ministères principaux restèrent en mains militaires jusqu’en 1974. En février 1970, le CRS abrogea la constitution de 1960 suspendue depuis le coup d’État. La même année vit l’introduction de cours nationales de sécurité et de procureurs militaires. Opérant en dehors du système judiciaire civil, les cours de sécurité étaient chargées de repérer les activités considérées comme antirévolutionnaires. Le code civil unifié de 1973 remplaça les diverses lois héritées de la Grande-Bretagne et de l’Italie et restreignit les pouvoir des tribunaux appliquant la charia. Le nouveau régime étendit la peine de mort et les peines d’emprisonnement aux délits de droit commun, ce qui abrogea formellement la responsabilité collective sous la forme de la diya (« prix du sang ») [réf. nécessaire].

Le CRS remania également la carte des provinces pour réduire l’influence des clans et sédentarisa 140 000 bergers nomades dans des fermes communautaires. Leur niveau de vie augmenta mais cela ne fit pas disparaître le nomadisme, ni le sentiment d’appartenance clanique. Les tentatives du Conseil d’améliorer le statut des femmes se heurta au poids de la tradition, malgré l’argument de Siad Barre que de telles réformes étaient dans l’esprit des principes de l’Islam.

1980 – 1990

La guerre de l'Ogaden de 19771978 et le flot de réfugiés qui l’accompagna contraignit l’économie somalienne à faire appel à l’aide humanitaire. La défaite alimenta le mécontentement intérieur et des groupes d’opposition apparurent. Siad Barre intensifia la répression, multipliant les emprisonnements, les actes de torture et les exécutions sommaires à l’encontre des opposants et des clans soupçonnés de s’être livrés à des actes de résistance. Les États-Unis, nouveaux alliés du régime, diminuèrent leur aide militaire et les pays occidentaux firent pression sur Barre pour qu’il libéralise l’économie et la politique, et pour qu’il renonce aux revendications territoriales de la Somalie sur des terres appartenant à l’Éthiopie et au Kenya. En réponse, Barre organisa des élections en décembre 1979, qui vit la formation d’un parlement populaire – dont la totalité des membres appartenait au parti gouvernemental.

En février 1982, Barre fit une visite officielle aux États-Unis après avoir libéré deux prisonniers politiques détenus depuis 1969, dont l’ancien premier ministre Igaal. Le 7 juin cependant, il fit arrêter dix-sept politiciens. Leur emprisonnement créa une atmosphère de peur et causa la désaffection de plusieurs clans, qui allaient ensuite jouer un rôle clé dans la chute du régime de Siad Barre. L’insécurité politique augmenta d’un cran lorsque des dissidents alliés à des unités armées éthiopiennes entreprirent des raids frontaliers dans les régions du Mudug et du Boorama. À la mi-juillet, ils envahirent le centre de la Somalie, menaçant de couper le pays en deux. Le gouvernement déclara l’état d’urgence dans la zone de combats et demanda de l’aide à l’occident pour repousser l’attaque.

Le pouvoir de Barre commença à s’effriter malgré le soutien verbal de la Ligue arabe à la conférence de septembre 1982 et les entraînements prodigués par les forces américaines de déploiement rapide. En décembre 1984, il révisa la constitution pour introduire l’élection du président au suffrage universel direct, au lieu de l’élection par l’Assemblée nationale. Sur le plan diplomatique, il signa un accord avec le Kenya où la Somalie renonçait définitivement à ses revendications territoriales, ce qui pacifia les relations entre les deux pays. Cette avancée diplomatique fut cependant éclipsée par la visite de Pik Botha, Premier ministre de l’Afrique du Sud, venu négocier un droit d’atterrissage pour les avions sud-africains en échanges d’armes.

À la fin de l’année 1984, le Front de libération de Somalie occidentale annonça un cessez-le-feu temporaire contre l’Éthiopie, en raison de la sévère famine qui ravageait alors l’Ogaden et de tensions internes. Des dissidents à l’intérieur du FLSO avaient le sentiment que Mogadiscio s’était servie de leur aspiration à l’auto-détermination au profit d’une politique expansionniste et décidèrent de soutenir une autonomie basée sur une union fédérale avec l’Éthiopie. Siad Barre perdit ainsi la possibilité de soutenir les activités anti-éthiopiennes en Ogaden en rétorsion contre le soutien de l’Éthiopie aux opposants somaliens.

Pour sortir de son isolement diplomatique, la Somalie reprit ses relations avec la Libye, suspendues depuis 1977 à cause du soutien de cette dernière à l’Éthiopie pendant la guerre de l’Ogaden. En janvier 1986, Siad Barre rencontra le chef d’État éthiopien Mengistu Haile Mariam à Djibouti pour discuter de la frontière encore indéterminée entre leurs deux pays. Ils se promirent d’échanger les prisonniers capturés pendant la guerre de l’Ogaden et de cesser de soutenir les opposants de chacun, mais ces accords ne furent jamais exécutés.

En 1987, la Somalie se brouilla avec la Grande-Bretagne après que le ministre des Affaires étrangères et frère du président, Abdirahmaan Jaama Barré, eut accusé la BBC de propagande anti-somalienne. Amnesty International et Africa Watch firent état de graves violations des droits humains et le Congrès des États-Unis réduisit considérablement les aides au pays. Sur le plan économique, le FMI et la Banque mondiale firent pression à plusieurs reprise sur le régime pour que ce dernier libéralise le marché et dévalue le shilling somalien afin que son cours officiel reflète sa véritable valeur.

Voyant sa popularité décliner et devant faire face à une résistance interne armée et bien organisée, Siad Barre fit régner la terreur dans les clans Majeerteen, Hawiye et Isaaq, en s’appuyant sur les Bérets rouges (Duub Cas), une unité spéciale recrutée dans le clan Marehan dont Barré est issu.

Le 14 juillet 1989, les Bérets rouges massacrèrent 450 civils manifestant contre l’arrestation de leaders spirituels musulmans et en blessèrent plus de 2 000. Le lendemain, 47 membres du clan Isaaq furent sommairement exécutés. Ces deux événements poussèrent les États-Unis à retirer tout soutien à la Somalie et rendirent le régime encore un peu plus exsangue. En juillet 1990, Barre fit condamner à mort 46 opposants qui avaient signé une pétition réclamant des élections et le respect des droits de l’homme. Les émeutes qui éclatèrent pendant le procès paralysèrent la capitale. Le 13 juillet, ébranlé, Barre abandonna les charges qui pesaient sur les accusés et, concédant sa première défaite en vingt ans, se retira dans son bunker pour échapper à la vindicte populaire.

Guerre civile

Article détaillé : Guerre civile somalienne.

En mai 1991, le nord du pays, où les Issak sont majoritaires, déclara son indépendance sous le nom de Somaliland. Bien que de facto indépendant et relativement stable par rapport à l’agitation qui régnait au sud, il ne fut reconnu par aucun gouvernement étranger. Le successeur de Siad Barre, Ali Mahdi Muhammad (janvier-novembre 1991) n'arrive pas à s'imposer sur l'ensemble du territoire, déchiré entre les seigneurs de guerre et les différents clans somalis.

En avril 1992, l'ONU envoie la première mission humanitaire afin d'endiguer la famine, ONISOM. Celle-ci est un échec. Le 3 décembre 1992, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta à l’unanimité la résolution 794, qui approuvait la mise en place d’une force de maintien de paix sous l’égide de l’ONU, l’UNITAF. Organisée par Washington, l'opération prend le nom de « Restore Hope ». Les troupes atterrirent en 1993 et restèrent en poste durant deux ans.

Soldats canadiens en Somalie en 1992.

De nombreux Somalis étaient hostiles à une présence étrangère. En octobre 1993, après l'arrestation par les forces spéciales américaines de proches de Mohamed Farrah Aidid, le leader du Congrès de la Somalie unifiée, plusieurs échauffourées éclatèrent à Mogadiscio, ce qui causa la mort de 24 soldats pakistanais et de 19 soldats américains. L'Opération Restore Hope est un fiasco, et affecta durablement la politique étrangère des États-Unis. Le président Bill Clinton retire les troupes, l'ONU prenant le relai jusqu'au 3 mars 1995, perdant 151 Casques bleus et trois civils étrangers.

Au nord-est, le Puntland se déclara à son tour indépendant en 1998, affirmant qu’il participerait à tout effort de réconciliation visant à reformer un pouvoir central. Le Jubaland fit à son tour sécession la même année. Il est actuellement englobé dans la Somalie du sud-ouest et son statut n’est pas clair.

Développements récents

Une rue de Mogadiscio en 1993.
Article détaillé : Guerre en Somalie (2006-2009).

Après le départ des troupes de l'ONU en 1995, la guerre civile en Somalie a progressivement décliné, avec l'arrêt de la plupart des conflits entre clans et l'apparition d'accords entre les divers groupes armés. Diverses milices se sont reconverties en agences de sécurité privées occupant des territoires délimités parfois à quelques quartiers de villes. La paix n’a pas été rétablie, mais la légère amélioration de la sécurité a permis à l’économie de redémarrer. Depuis la fin des années 1990, la Somalie constitue un assemblage de territoires sous domination clanique, où tous les services sont fournis par le secteur privé ou par les clans traditionnels. Les institutions gouvernementales sont ainsi remplacées par des institutions privées [2].

Le pays reste cependant divisé entre plusieurs factions [3]. Le centre et le sud est contrôlé par Hussein Mohamed Aïdid; le nord-ouest par Mohamed Ibrahim Egal, élu de la République auto-proclamée du Somaliland en 1997 et mort en 2002. En janvier 1997, un accord de gouvernement, patronné par l'Ethiopie et le Kenya, échoue à régler le problème du désarmement et de la reconstruction de l'Etat [3]. Le nord-est se déclare autonome en 1998 sous le nom de Puntland. Le 26 août 2000, le Parlement de transition en exil élit un nouveau président en la personne de Abdiqassim Salad Hassan, dans un contexte particulièrement difficile. Le pays reste aux prises avec des rivalités claniques. Après divers tentatives infructueuses de conciliation, une conférence de réconciliation aboutit en juillet 2003 à un projet de charte nationale prévoyant le fédéralisme et mettant sur pied des institutions fédérales de transition [3].

Élection de Abdullahi Yusuf Ahmed

Le 10 octobre 2004, le Parlement fédéral de transition de la République de Somalie (en), exilé au Kenya en raison des affrontements entre seigneurs de la guerre à Mogadiscio, et formé en nombres égaux de représentants de chacun des quatre grands clans somalis, a élu en tant que président intérimaire Abdullahi Yusuf Ahmed, président du Puntland. A la tête du Gouvernement fédéral de transition (en), celui-ci a nommé Ali Mohamed Gedi, un vétérinaire de profession, en tant que Premier ministre, avec pour mission de former un gouvernement de coalition avec les différents chefs de guerre du pays. Les institutions somaliennes siègent au Kenya par mesure de sécurité à l'égard de la situation intérieure de la Somalie. Les institutions en exil n'ont aucun contrôle sur le pays en dehors de certains quartiers de la capitale Mogadiscio, leur autorité n'est pas reconnue à l'intérieur du pays, mais uniquement par les gouvernements étrangers.

Depuis le 26 février 2006, le gouvernement de transition siège à Baidoa, en Somalie.

L'Union des tribunaux islamiques et l'intervention éthiopienne

Article détaillé : Guerre en Somalie (2006).

Au début du mois de juin 2006, les affrontements entre les membres de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), une alliance entre des chefs de guerre et le gouvernement fédéral de transition, soutenu par Washington, et l'Union des tribunaux islamiques, soutenus par de nombreux entrepreneurs de la capitale, ont vu la victoire de ces derniers pour le contrôle de Mogadiscio. Le nouveau régime serait soutenu par l'Érythrée, l'Iran et divers pays arabes, tandis que le gouvernement fédéral de transition, replié sur Baidoa, bénéficierait de l'appui militaire de l'Éthiopie. Le rétablissement de l'ordre se fait au nom de la seule structure législative stable et consensuelle du pays, la jurisprudence chaféite.

Le 13 juin 2006 à Nairobi, l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui regroupe le Kenya, l'Ouganda, le Soudan, Djibouti, l'Éthiopie, l'Érythrée et le gouvernement de transition de Somalie, décide d'interdire l'accès au territoire de ses pays membres aux miliciens de l'ARPCT fuyant devant l'avancée des tribunaux islamiques dont le plus important, celui de Mogadiscio, est nommé Hifka-Halane. Il sert de pouvoir judiciaire (civil et pénal), en jugeant les affaires en appliquant la charia.

Début décembre 2006, les Nations Unies autorisent le déploiement d'une force de maintien de la paix, composée de 8 000 hommes, sous l'égide de l'Union africaine [3] (résolution 1725 [4]). Fin décembre 2006, l'armée éthiopienne intervient et les tribunaux islamiques fuient Mogadiscio. Elle prend ainsi le contrôle de la majeure partie du pays et le gouvernement de transition se déclare le gouvernement de facto du pays.

Du 20 au 31 décembre 2006, l'Éthiopie est rentrée en guerre contre l'Union des tribunaux islamiques. La loi martiale a été décrétée le 30 décembre 2006 par le premier ministre somalien du gouvernement fédéral de transition, Ali Mohamed Gedi, et un délai de trois jours a été donné aux Somaliens pour remettre leurs armes à feu aux troupes éthiopiennes ou fédérales, avec un suivi très faible.

En janvier 2007, les États-Unis interviennent dans le sud de la Somalie pour pourchasser des membres présumés d'Al Qaida.

Le 23 janvier 2007, les troupes éthiopiennes commencent officiellement à se retirer de Somalie. Peu fréquent auparavant, les attentats-suicides se multiplient (ainsi, les cinq attentats du 29 octobre 2008 sont attribués au groupe al-Shabaab) [5],[6].

L'élection de Sharif Ahmed (2009)

Le 29 décembre 2008, le président Abdullahi Yusuf Ahmed annonce sa démission, déclarant qu'il regrette n'avoir pas pu mettre fin au conflit somalien[7]. Le Parlement, réuni à Djibouti en raison du désordre en Somalie, élit alors le cheikh Sharif Ahmed, ancien dirigeant de l'Union des tribunaux islamiques, à la présidence de la République [8]. Il l'emporta face à Maslah Mohamed Siad Barre, fils de l'ancien président Mohamed Siad Barre, et au Premier ministre sortant Nur Hassan Hussein [9].

Dès février 2009, divers groupes islamistes fusionnèrent au sein du Hizbul Islam (en) et déclarèrent la guerre au gouvernement modéré de Sharif Ahmed. Cette coalition inclut l'Alliance pour la nouvelle libération de la Somalie, dirigée par Hassan Dahir Aweys, l'un des chefs radicaux de l'Union des tribunaux islamiques, Hassan Abdullah Hersi al-Turki (en), un autre commandant de l'Union des tribunaux islamiques et leader des brigades de Ras Kamboni (en) et le groupe Muaskar Anole (en). Cette nouvelle coalition islamiste est, avec le groupe al-Shabaab, la plus active dans le conflit. De plus, en mars 2009, Ben Laden appelait dans un enregistrement au renversement de Sharif Ahmed [10].

Notes

  1. Nation in search of a state (Boulder: Westview Press, 1987), p. 16.
  2. Le développement rapide d'institutions privées remplaçant les institutions gouvernementales à fait l'objet d'une étude de Tatiana Nenova et Tim Harford pour la Banque Mondiale.
  3. a , b , c  et d La Somalie, cinquante ans de violence et de guerre, Le Monde
  4. Résolution 1725 du Conseil de sécurité de l'ONU, 6 décembre 2006
  5. Somali Americans Recruited by Extremists, Washington Post, publié le 11 mars 2009; Page A01
  6. Un attentat-suicide fait 14 morts à Mogadiscio, Journal du dimanche, 24 janvier 2009
  7. (en) "Somalia's president quits office", BBC, 29 décembre 2008
  8. "Un islamiste modéré, Sharif Cheikh Ahmed, élu président", France 24, 31 janvier 2009
  9. "Un islamiste modéré, Sharif Cheikh Ahmed, élu président", France 24, 31 janvier 2009
  10. Somalie : appel de Ben Laden, AFP sur le site du Figaro, 19 mars 2009

Voir aussi

Bibliographie

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  • (en) Ioan M. Lewis, Understanding Somalia and Somaliland : culture, history, society, Hurst & Company, Londres, 2008, X-139 p. (ISBN 978-1-85065-898-6)
  • (en) Mohamed Haji Mukhtar, Historical dictionary of Somalia, Scarecrow Press, Lanham, Md., 2003 (nouvelle éd. révisée), XLV-353 p. (ISBN 0-8108-4344-7)
  • (fr) Jean Doresse, Histoire sommaire de la corne orientale de l'Afrique, P. Geuthner, Paris, 1983, XV-389 p., (ISBN 2-7053-0186-0)
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