- Mouvement national tunisien
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Le mouvement national tunisien désigne, dans sa globalité, le mouvement sociopolitique né au début du XXe siècle et qui mena la lutte contre le protectorat français de Tunisie pour obtenir finalement l’indépendance du pays le 20 mars 1956.
Inspiré de l’idéologie des Jeunes-Turcs et par des expériences réformistes menées en Tunisie dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le rassemblement de notables traditionalistes — avocats, médecins ou journalistes — cède peu à peu sa place à une organisation politique de mieux en mieux structurée par les nouvelles élites formées en France et capable de mobiliser ses partisans pour affronter, si le besoin s’en fait sentir, les autorités du protectorat, afin de faire avancer ses revendications auprès du gouvernement français. La stratégie adoptée par le mouvement alternera entre négociations et affrontements armés, au gré des événements touchant le bassin méditerranéen dans la première moitié du XXe siècle. L’appui fourni au mouvement politique par les puissants syndicats ouvriers ou les mouvements féministes, dans le contexte d’un renouveau de la culture tunisienne, au plan intellectuel ou musical, contribue à l’affirmation de l’identité nationale qui sera renforcée par les systèmes politiques et éducatifs après l’indépendance.
Ainsi le mouvement national fut-il un ensemble composé de groupes très divers mais unis car il était le fait de forces sociales montantes à partir des années 1930 : petite bourgeoisie engagée dans l’économie capitaliste, nouvelles élites « occidentalisées » et classe ouvrière organisée et donc sensible aux revendications sociales[1].
Contexte
Article détaillé : Protectorat français de Tunisie.Difficultés économiques
Les difficultés économiques et financières du royaume beylical de Tunis, initiées par la baisse du produit de la course en Méditerranée, s’accroissent avec les dépenses que le gouvernement engage dans la modernisation d’une armée forte d’à peine 5 000 hommes[2]. De plus, une volonté de prestige lance une série de travaux somptuaires, notamment avec un palais de style versaillais, le palais de la Mohamedia, qui doivent toutefois être interrompus faute de moyens suffisants[2]. Face à l’accumulation de dépenses et à un système de prélèvement inefficace, le gouvernement a recours à de nouvelles charges fiscales et à l’emprunt auprès de banques étrangères, ce qui conduit à une insurrection finalement matée en 1864[3]. Par ailleurs, des détournements de fonds sont opérés par les ministres beylicaux, dont Mustapha Khaznadar, et les sécheresses de 1866 à 1868 provoquent disettes et épidémies de choléra[4]. Malgré la hausse des impôts[5], la situation économique est aggravée par des interférences étrangères[6], ce qui conduit le gouvernement à déclarer la banqueroute en 1869.
Après la conclusion d’un nouvel emprunt de 30 millions de francs-or, une commission financière internationale est mise en place par les Français avec des Britanniques et des Italiens[7]. C’est l’occasion pour les trois grandes puissances européennes de s’immiscer dans le pays[8], car la régence apparaît vite comme un enjeu stratégique de première importance, de par la situation géographique, à la charnière des bassins occidental et oriental de la Méditerranée[9].
La Tunisie fait l’objet de convoitises rivales de la France et de l’Italie[9]. La première souhaite sécuriser les frontières de l’Algérie française et éviter que la seconde ne contrarie ses ambitions en Égypte et au Levant, en contrôlant l’accès à la Méditerranée orientale[9]. La seconde, confrontée à la surpopulation, rêve d’une politique d’expansion coloniale et le territoire tunisien, où la minorité européenne est alors constituée essentiellement d’Italiens, est un objectif prioritaire[9]. Les consuls français Théodore Roustan et italien Licurgo Maccio tentent donc de profiter des difficultés financières du bey, la France comptant sur la neutralité de l’Angleterre — peu désireuse de voir l’Italie prendre le contrôle de la route du canal de Suez — et bénéficiant des calculs de Bismarck qui souhaite la détourner de la question de l’Alsace-Lorraine[9]. Après le congrès de Berlin, tenu du 13 juin au 13 juillet 1878, l’Allemagne et l’Angleterre permettent l’annexion de la Tunisie par la France[6],[10] au détriment de l’Italie qui voyait ce pays comme son domaine réservé[11].
Instauration du protectorat
Article détaillé : Occupation de Tunis.Le 31 mars et le 1er avril 1881, 400 à 500 membres de la tribu nomade des Kroumirs attaquent à deux reprises la tribu des Ouled Nahed en territoire algérien[12] mais se voient repoussés par les troupes françaises ; les combats font quatre morts parmi les soldats[13]. Le président du Conseil Jules Ferry, dont la stratégie politico-militaire est l'annexion de toute la Tunisie[12], obtient le 7 avril du parlement un crédit de 5,7 millions de francs pour envahir le pays[14]. Le 27 avril, le ministre de la Guerre donne l’ordre au général Forgemol de Bostquénard de s’emparer de Tabarka et de rejoindre Tunis[15]. Les troupes françaises pénètrent le 1er mai à Bizerte sans résistance majeure[15] et parviennent à occuper Tunis[6] en trois semaines sans combattre[16].
Le protectorat est finalement officialisé le 12 mai 1881 lorsque Sadok Bey, menacé de mort[17], et le général Jules Aimé Bréart signent le traité du Bardo[18] au palais de Ksar Saïd[19]. La France est appelée à contrôler la sécurité et la politique étrangère du pays pour une « période temporaire mais indéterminée »[17].
Ce qui n’empêche pas, quelques mois plus tard, les troupes françaises de faire face à des révoltes. En juin, Ali Ben Khlifa, caïd de la tribu des Neffet, réunit à la Grande Mosquée de Kairouan les représentants des tribus qui proclament « leur détermination à s’opposer aux Français par les armes ». Les principales villes se révoltent alors contre les quelque 50 000 soldats français soutenus par une puissante flotte[15] : Sfax est bombardée et prise le 16 juillet[20] alors que des villes comme Gabès[21] et Kairouan sont investies dans les mois qui suivent[22]. Il faudra toutefois une dizaine d’années d’efforts pour occuper et pacifier complètement le pays[23].
Les conventions de la Marsa signées le 8 juin 1883[24] par Ali II Bey et Paul Cambon[15] officialisent et renforcent le régime du protectorat en accordant à la France le droit d’intervenir dans la politique étrangère et de défense ainsi que dans les affaires internes de la Tunisie[25],[26] : le pays conserve son gouvernement et son administration, désormais placée sous le contrôle d’un secrétaire général[27], les différents services administratifs étant dirigés par de hauts fonctionnaires français et un résident général gardant la haute main sur le gouvernement[9]. La France représente dès lors la Tunisie sur la scène internationale et ne tarde pas à abuser de ses droits et prérogatives de protecteur pour administrer directement et exploiter le pays comme une colonie, en contraignant le bey à abandonner la quasi-totalité de ses pouvoirs au profit du résident général[28].
Mouvement politique en transformation
Jeunes Tunisiens
Article détaillé : Jeunes Tunisiens.Premiers rassemblements
Article détaillé : Manifestation de 1885 (Tunisie).Le développement économique du protectorat entraîne la formation d’une bourgeoisie qui se sent écartée de la vie politique et publique tunisienne[29]. Dans ce contexte, la Tunisie est, en raison de son positionnement géographique, plus exposée que les autres régions du Maghreb aux influences orientales et donc au réformisme musulman[29] : la Tunisie est ainsi le premier État du monde arabe influencé par le nationalisme moderne[30] et la lutte contre l’occupation française y commence dès le début du XXe siècle. Une active propagande anti-colonialiste est menée depuis Istanbul par plusieurs Tunisiens en exil dont les oulémas zitouniens Ismaïl Sfayhi et Salah Chérif[31]. De plus, cette occupation, ayant davantage rapproché l’élite tunisienne de l’Europe, encourage les volontés de concilier la religion musulmane avec les idées modernes[32].
Des premières associations des années 1890 nées dans les cercles culturels[32] découlent le mouvement réformiste et intellectuel des Jeunes Tunisiens, lancé en 1907[33] par Béchir Sfar, l’avocat Ali Bach Hamba et Abdeljelil Zaouche, et dont le slogan est « progrès, développement de l’existence, droit politique »[29]. Il puise ses principes dans l’action réformatrice apparue en Tunisie durant la seconde moitié du XIXe siècle, notamment au travers des initiatives entreprises par le général Kheireddine Pacha, et s’inspire directement du mouvement des Jeunes-Turcs né durant la même période, dont il tient certaines idées panislamiste et panarabe[29],[34]. Les Jeunes Tunisiens militent pour la réhabilitation de l’identité tunisienne[23], par la sauvegarde de son héritage culturel arabo-musulman, et la préservation de la personnalité de l’État tunisien, sans toutefois remettre en cause le protectorat[35].
Le mouvement regroupe essentiellement les membres de la classe moyenne de Tunis[30] formés en France. Pour cette petite bourgeoisie moderne, semblant s’intéresser aux événements des mouvements nationaux dans le monde musulman[29], la culture tunisienne est le premier argument pour mettre en exergue l’originalité du pays et son rattachement aux valeurs musulmanes qui sont progressivement retranscrites dans les journaux et revues[29] : meilleure éducation, mixité des cultures arabe et française et possibilité pour les Tunisiens d’exercer des responsabilités gouvernementales[30]. Zaouche et Bach Hamba fondent en 1907 l’hebdomadaire Le Tunisien[29],[36] — d’abord en français puis dans une version arabe deux ans plus tard — qui revendique l’égalité en matière d’instruction, de salaires, d’accession à l’enseignement supérieur mais aussi des mesures susceptibles d’assurer la protection des fellahs et des artisans[35]. Dans le même temps, Zaouche établit un programme portant sur trois secteurs vitaux, l’enseignement, la justice et la fiscalité, qu’il défend âprement au sein de la Conférence consultative tunisienne à partir de février 1907.
Confrontations en chaîne
Cependant les relations entre les nationalistes tunisiens et la résidence générale se détériorent rapidement[37]. Dès 1908, Le Tunisien dirigé par Bach Hamba est interdit[37]. Malgré la censure, l’opinion publique reste sensible à la cause musulmane, grâce aux médersas privées qui se développent sous l’impulsion d’Abdelaziz Thâalbi, tout en restant attentive aux idées nationalistes[37]. En outre, à la veille de la Première Guerre mondiale, la conquête par l’Italie des territoires de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque voisines suscite quelques troubles[37]. Ainsi, la première confrontation avec les autorités du protectorat survient lors de l’affaire du Djellaz[27] : la municipalité de Tunis décide en septembre 1911 d’immatriculer le cimetière du Djellaz, ce qui provoque l’hostilité de la population locale. Suite à une rumeur de profanation du cimetière, une émeute éclate le 7 novembre[37].
Le bilan de la répression après deux jours de manifestations est de onze morts dont sept policiers et l’assassinat de plusieurs Européens dans le quartier italien[38]. En juin 1912, le tribunal criminel de Tunis juge 71 émeutiers et en condamne 35 dont sept à la peine de mort[37]. Mais la situation ne se calme pas pour autant : la mort accidentelle d’un enfant tunisien, tué par un tramway conduit par un wattman italien de la Compagnie des tramways de Tunis, le 9 février 1912, avait fait monter les tensions autour de la position jugée privilégiée des chauffeurs italiens au sein de la société[37],[39].
Cela entraîne un boycott[28] non-violent du réseau jusqu’en mars de la même année[37], action d’une ampleur exceptionnelle plusieurs années avant que le mahatma Gandhi n’utilise cette forme de résistance. Victor de Carnières, le propriétaire du journal Colon français et figure majeur des Français de Tunisie, accuse Zaouche, alors conseiller municipal de Tunis, d’être le principal instigateur de ces événements. Ce dernier porte donc plainte contre De Carnières pour diffamation et fait appel à Me Vincent de Moro Giafferi ; il est débouté à l’issue du procès tenu à Tunis en octobre 1912 mais remporte l’appel tenu à Alger le 26 juin 1913. C’est tout le mouvement qui est en fait remis en cause et ces procès marquent la transformation progressive des intellectuels en militants agissant au travers de mouvements de rue[40].
Première Guerre mondiale
Le résident général Gabriel Alapetite fait exiler en France, le 13 mars 1912, quatre dirigeants du mouvement des Jeunes Tunisiens, dont Ali Bach Hamba, alors que trois autres sont placés sous haute surveillance[37]. En effet, Bach Hamba est tenu pour responsable des rixes entre Italiens et musulmans, ce qui fait dire à Jean Gout, qui donne son analyse de ces troubles, que « l’opinion française [ne doit pas] s’endormir sur l’idée trop répandue que l’influence française en Tunisie n’a plus aucun risque à courir »[41]. L’état de siège, proclamé en 1911 et étendu en 1914 ne sera levé qu’en 1921[41]. Durant cette période, la presse anticolonialiste est interdite[42] et une longue répression marque la vie politique[7] : l’activité des Jeunes Tunisiens est donc mise en sommeil[41]. Michel Camau et Vincent Geisser estiment que l’impact des Jeunes Tunisiens est resté relatif :
« Ils ont cherché non pas à renverser le pouvoir colonial mais plutôt à le réformer. Certains se considéraient même solidaires des Français dans leur lutte pour moderniser les pratiques et les institutions traditionnelles. Avant tout d’ordre intellectuel, ce mouvement ne fut jamais un porte-parole des masses[30]. »
Durant la Première Guerre mondiale, le Sud tunisien, pourtant pacifié en 1895, devient une zone de combats en raison des difficultés auxquels font face les Italiens pour apaiser les révoltes en Tripolitaine et en Cyrénaïque[41]. Les populations insurgées vont même jusqu’à déclarer la guerre à la France, entraînant avec eux une partie des nomades du Sud tunisien, ce qui pousse les autorités françaises à envoyer des troupes dans la région pour tenir les frontières[41]. Après une courte trêve, des incursions sans conséquence reprennent en 1916 alors qu’en 1917-1918, l’action militaire se porte sur quelques attaques de postes et de convois[41]. Le bilan des pertes des forces françaises et tunisiennes durant ces événements a été de 784 hommes[43]. En dehors de ces troubles, la Tunisie reste comme le Maroc assez calme dans ce conflit[41]. C’est alors que le programme en quatorze points de Wilson redonne un souffle au mouvement nationaliste[44], notamment au travers du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[41].
Fondation d’un parti : le Destour
Article détaillé : Destour.Liste de revendications
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, le résident général Étienne Flandin prépare un projet pour relancer la colonisation des terres considérées comme improductives, habous compris, allant à l’encontre des revendications des notables et des chefs des confréries religieuses[44]. De plus, l’instauration du « tiers-colonial » — majoration d’un tiers des salaires des seuls fonctionnaires français accroissant les inégalités — conduit une nouvelle génération organisée autour d’Abdelaziz Thâalbi à passer du réformisme culturel au réformisme politique[44] et à préparer la naissance d’un véritable parti politique[28]. Analysant la situation, Jean Gout y voit un « développement inéluctable et constant des tendances nationalistes dans les colonies anglaises et françaises. La principale raison réside dans la formation d’une élite ayant reçu les rudiments de la culture européenne et avide de jouer un rôle. Comment jouerait-elle ce rôle, sinon en se servant du nationalisme ? »[41].
En avril 1919, les Jeunes Tunisiens envoient un rapport adressé au président des États-Unis Woodrow Wilson pour dénoncer la situation du pays et les abus du colonisateur français[45] mais aussi lister les mesures qu’impliquerait l’application de ses quatorze points[46]. Sous l’influence des principes énoncés dans ces quatorze points, Thâalbi réclame la restauration d’un État indépendant et doté de structures modernes par une constitution[44] créant notamment un conseil législatif, devant lequel le bey serait responsable, et des assemblées locales[34]. En juillet 1919, il participe à une délégation envoyée à Paris dans le but de défendre ce point de vue, établir des contacts avec des nationalistes arabes exilés et faire connaître ces revendications aux milieux gouvernementaux et parlementaires français[45],[47]. Il édite dans le même temps un pamphlet[32], La Tunisie martyre. Ses revendications, véritable réquisitoire où il expose sa doctrine[34], accusant le pouvoir colonial de violer ses propres déclarations et principes de gouvernement[48]. Celui-ci connaît un accueil enthousiaste dans le pays[44] et se voit saisi puis interdit, quelques jours seulement après sa parution, par les services du gouvernement français[47]. En 1919, les Jeunes Tunisiens prennent le nom de Parti tunisien et celui de Parti libéral constitutionnel le 7 mars 1920[23], plus connu sous le nom de Destour[49]. Au travers de ses membres, essentiellement issus de la bourgeoisie citadine urbaine[30], il contribue largement à la relance du mouvement nationaliste[27] et à l’éveil de la conscience nationale même s’il ne conteste pas encore le protectorat. Toutefois, contrairement à la plate-forme biculturelle des Jeunes Tunisiens, le parti insiste davantage sur l’importance de l’islam et de la culture arabe[30].
Peu après la proclamation officielle de sa création, le 4 juin 1920[26], le parti du Destour expose un programme en neuf points qui prévoit entre autres la création d’une assemblée composée de Tunisiens et de Français élus au suffrage universel, d’un gouvernement, la reconstitution d’une armée tunisienne, le droit de vote pour les seuls Tunisiens[34] et l’accès des Tunisiens aux postes administratifs avec l’égalité salariale des fonctionnaires[49]. Les libertés de la presse, de réunion, d’association et d’enseignement sont également réclamées[49]. Le 8 juin, une délégation de quarante nationalistes se présente au palais beylical de La Marsa et, avec l’appui du prince Moncef Bey, parvient à rencontrer Naceur Bey qui leur déclare « qu’il souscrivait à leur engagement patriotique et qu’ils pouvaient le considérer comme un des leurs »[47]. Dans le même temps, une délégation de nationalistes se rend à Paris pour défendre sans succès leurs revendications auprès des instances gouvernementales — dont le président du Sénat et celui de la Chambre des députés[49] — et de la presse françaises[47]. Par cet acte, le jeune parti entre en conflit avec le régime du protectorat[40] bien que l’un des buts recherchés soit la rédaction d’une constitution qui resterait dans le cadre du protectorat[49] dont il « demandait une saine application »[47].
Le 28 juillet, Thâalbi est arrêté à Paris, accusé de complot contre la sûreté de l’État et incarcéré à Tunis[47]. Le 22 décembre, une deuxième délégation présidée par Tahar Ben Ammar est reçue par le président du Conseil Georges Leygues et le principe d’une constitution retenue d’un commun accord[47]. Durant la même année, une rumeur affirmant que la résidence générale va acquérir les habous privés et les redistribuer aux colons, notamment ceux d’Algérie, suscite quelques troubles[49]. Cette affaire rapproche les Destouriens des Vieux Turbans[49], la catégorie des plus de quarante ans de la bourgeoisie musulmane fortement attachés à l’islam[50]. En fait, la direction de l’agriculture travaillait sur un décret, destiné à se donner le droit d’aménager les terres, tant des Européens que des Tunisiens, négligées par leurs propriétaires[49].
En 1921, la situation tend à s’améliorer : la résidence générale désormais dirigée par Lucien Saint s’engage à apporter des solutions à des problèmes comme la séparation des pouvoirs administratifs et judiciaires, la répartition équitable des lotissements de l’État et le principe de l’élection comme l’entendent les nationalistes[49] mais relativise les promesses de Leygues[47]. Le 10 mai, Abdelaziz Thâalbi est libéré et participe, le 29 mai, à la première assemblée du Destour[47]. Dès l’automne, le parti cherche à créer des cellules à travers le pays pendant que la presse arabophone — destourienne et communiste — se diffuse en province[51]. Cependant, l’année suivante, déchiré par une crise politique interne, le Destour perd toute crédibilité auprès des institutions françaises[49].
Pour faire avancer la cause, Naceur Bey annonce, le 3 avril 1922, sa volonté d’abdiquer si le programme nationaliste n’est pas adopté sous 48 heures. Les autorités du protectorat s’arrangent pour le faire renoncer à ce projet[52]. Le 5 avril, le résident général Lucien Saint convainc le bey de ne pas abdiquer[53], de désavouer le Destour et d’affirmer que son intention d’abdiquer n’était pas sincère[53]. Le 11 juillet, trois jours après la mort de Naceur Bey, les réformes élaborées sous sa régence sont signées : elles mettent en place des assemblées dans lesquelles les Tunisiens sont représentés mais en moins grand nombre que les Français et avec plus de délégués désignés par l’administration que d’élus[53].
Les premières grèves ont lieu durant l’hiver 1924 à l’instigation d’ouvriers d’une cimenterie, de journaliers agricoles et de dockers[54]. Cette même année, les nationalistes mobilisent la population en raison du refus de l’inhumation des naturalisés français dans les cimetières musulmans, la naturalisation étant perçue comme « un moyen de dénationaliser et de désislamiser les Tunisiens »[55],[56]. Les Destouriens comptent alors 45 000 adhérents[53] et sont majoritairement recrutés parmi les notables pour les dirigeants et les artisans, les commerçants, les agriculteurs et les petits propriétaires[54]. Le mouvement est dominé par les figures d’Ahmed Essafi et Salah Farhat[57] après l’expulsion de Thâalbi en 1923[58].
Nouvelle impulsion
Suite aux grèves de l’hiver 1924-1925, Mohamed Ali El Hammi fonde en janvier 1925 la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT)[59], premier syndicat autonome de l’empire colonial français[60] qui appuie le Destour[61]. Plus tard dans l’année, le syndicat rompt ses relations avec le Parti communiste tunisien (PCT)[53] fondé le 18 décembre 1921 au congrès de La Goulette[62]. Le Destour, divisé pour sa part quant à son alliance avec le PCT, entre dans une phase de repli[53] et s’affaiblit. À partir de novembre 1925, il devient clandestin et renonce à l’action politique directe[40] alors que la CGTT est interdite et subit l’arrestation, puis l’exil, de ses leaders dont Mohamed Ali El Hammi, Moktar Ayari et Jean-Paul Finidori[63].
Le résident général Lucien Saint publie en janvier 1926 deux décrets réglementant la liberté de la presse et organisant la répression[53]. Toutefois, l’état de siège est levé peu après, le chef du Destour amnistié et un ministère de la Justice créé et confié à un musulman[53]. Ces gestes, bien qu’ils apaisent la situation, permettent surtout d’ignorer les attentes des Destouriens[53]. Or, d’importantes grèves secouent à nouveau le pays en 1928 : celles des dockers, des étudiants de la Zitouna et des traminots[64].
Dans un contexte de difficultés économiques et sociales engendrées par le krach de 1929, le mouvement nationaliste gagne en vigueur et en audience auprès d’une population confrontée à une forte croissance démographique, surtout au sein de la population musulmane, et à une hausse du chômage découlant du manque de débouchés[57]. Par ailleurs, la scolarisation a progressé, notamment au sein de la petite bourgeoisie qui articule désormais des idées différentes de celles des notables plus conciliants avec le régime du protectorat[57]. C’est ainsi qu’une nouvelle génération de lettrés provinciaux, ayant suivi des études supérieures en France, rentre au pays et se lance dans le journalisme militant en se tournant directement vers les masses populaires[65]. Au niveau régional, on assiste alors à un renouveau nationaliste du fait que certains pays arabes, comme l’Égypte en 1922 et l’Irak en 1930, voient leur indépendance accordée par le Royaume-Uni[53].
Figure de la génération montante, l’avocat sahélien Habib Bourguiba fustige dès 1930 le régime du protectorat dans des journaux comme le quotidien francophone La Voix du Tunisien, journal du Destour fondé par Chedly Khairallah[57], et L’Étendard tunisien[53],[66]. Il y dénonce la tenue du 7 au 11 mai 1930 du trentième congrès eucharistique à Carthage mais aussi le système des décrets beylicaux, les avantages des Européens et réclame l’accès des Tunisiens à tous les postes administratifs[53]. En 1932, il fonde avec Tahar Sfar, Mahmoud El Materi et Bahri Guiga le journal L'Action tunisienne[67]. Il déclare rechercher « avec prudence et sincérité un remède à la crise économique, morale et politique de la Tunisie, défendre en dehors de tout esprit de caste et de démagogique stérilité, les intérêts de tous les Tunisiens, sans distinction de religion. La Tunisie que nous entendons libérer ne sera pas une Tunisie pour musulmans, pour Juifs ou pour chrétiens. Elle sera la Tunisie de tous ceux qui, sans distinction de religion ou de race, voudront l’agréer pour leur patrie et l’habiter sous la protection de lois égalitaires »[68]. Outre l’indépendance de la Tunisie, Bourguiba prône aussi une forme de laïcité[69], ce qui marque une rupture avec les positions traditionnelles du mouvement destourien. Lors du congrès du Destour, tenu les 12 et 13 mai 1933, Bourguiba et son groupe sont élus à la commission exécutive du parti[70]. Le 27 mai, le résident général François Manseron prend un arrêté de dissolution du parti[70].
En 1932, suite à une fatwa du mufti de Bizerte, le cheikh Idriss Cherif, le problème des Tunisiens naturalisés ressurgit[32] avec l’envoi d’une délégation auprès du bey : les autorités du protectorat sont alors contraintes de demander une fatwa confirmant la nature musulmane du naturalisé, après des incidents à Bizerte, puis désignent le 6 mai 1933 des lieux d’inhumation spécifiques après des heurts sanglants à Tunis le 14 avril[65].
Avènement de la rupture : le Néo-Destour
Article détaillé : Néo-Destour.La position originale de Bourguiba le conduit à annoncer sa démission du Destour le 9 septembre. Lors du congrès extraordinaire du parti qu’il parvient tout de même à convoquer à Ksar Hellal[40], le 2 mars 1934[26], il provoque la dissolution de la commission exécutive du parti et l’exclusion de ses membres, conduisant à la scission du parti en deux branches[7],[70].
La première, islamisante, panislamiste et traditionaliste, conserve le nom de Destour ou Vieux-Destour[53]. La seconde, moderniste et laïque, le Néo-Destour[7], prend la forme d’une formation politique moderne, structurée sur les modèles des partis socialistes et communistes européens, et déterminée à conquérir le pouvoir pour transformer la société[67]. Elle critiquait en effet la branche du Destour qui luttait contre le régime du protectorat « entre deux parties d’échecs »[68]. Un universitaire tunisien décrit ainsi la rivalité entre les deux mouvements :
« Le Vieux Destour était un parti de notables, de gens biens élevés, distingués, d’arabisants formés en majorité à l’université religieuse de la Zitouna. Bourguiba et ses compagnons avaient, dans l’ensemble, un profil et des visées très différents. Issus de la petite bourgeoisie du littoral, ils étaient considérés, avec dédain, comme des Afaqiyin, « ceux qui viennent de derrière l’horizon », un euphémisme servant à désigner les provinciaux. Ils avaient suivi un cursus moderne, bilingue, étaient aussi à l’aise en français qu’en arabe, cultivaient une proximité avec le peuple, lui parlaient dans sa langue, en dialectal, et avaient l’ambition de créer un grand parti de masse[71]. »
Le nouveau parti privilégie l’action politique, la mobilisation de ses adhérents et leur prise de conscience et estime qu’il doit convaincre l’opinion française tout en adaptant sa stratégie aux nécessités de l’action[72]. Intellectuellement jeunes, socialement modestes[73], ayant fait leurs études en France, les Néo-Destouriens se réclament des principes de la vie occidentale[53]. Le bureau politique du parti est composé d’un médecin et de quatre avocats : Bourguiba et El Materi le dirigent, Tahar Sfar en est le secrétaire général alors que Bahri Guiga et M’hamed Bourguiba en sont les trésoriers[74].
Ayant fondamentalement le même programme que le Destour, le Néo-Destour diffère sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à ses fins[53] car il a souvent recours à la violence[73]. Il revendique clairement l’indépendance tout en dénonçant l’impérialisme français[60]. Les agitateurs tunisiens sont aidés par les indigènes algériens qui sont sous la menace d’une expulsion par le résident général aux termes d’un édit de 1778 car ils sont originaires d’un département français[75]. Cependant, le résident général reçoit instruction de la direction des affaires étrangères lui signifiant de ne pas le faire, étant donné que l’édit n’est valable que pour les citoyens français[75].
De la tension à la confrontation
Dans le journal L’Action Tunisienne, Bourguiba et le Néo-Destour demandent la souveraineté nationale et la fin du protectorat[76]. Pour atteindre ce but, ils exigent le transfert des responsabilités gouvernementales, législatives et administratives même si cela permettrait la préservation des intérêts français dans les domaines culturels et économiques[76]. Ces exigences provoquent un conflit entre le gouvernement français et le mouvement nationaliste[77], ce d’autant que les responsables du parti engagent une action d’envergure à travers le pays pour sensibiliser les populations à leur message[78] : le résident général Marcel Peyrouton, voulant briser le nationalisme, censure la presse[68] et envoie, le 3 septembre 1934, Habib Bourguiba, Mahmoud El Materi et M’hamed Bourguiba dans un camp de détention à Bordj le Bœuf[78]. Après des incidents à Moknine où un gendarme français est tué, Salah Ben Youssef, Tahar Sfar et Bahri Guiga sont eux aussi arrêtés[79]. Peyrouton propose dans le même temps d’interdire aux Tunisiens de suivre leurs études en France et de fixer un numerus clausus pour limiter le nombre de bacheliers[68]. Lors d’un discours aux membres français du Grand Conseil, il se justifie par ces mots :
« Si j’ai pris des mesures qui me valent les reproches de certains milieux, où l’on tend à me représenter comme un « fasciste déchaîné », c’est pour vous, Messieurs ; c’est pour vous tous, que j’ai attiré sur ma tête ces violentes condamnations[68]. »
Traversant de graves difficultés économiques en 1934, la Tunisie connaît des manifestations organisées par la nouvelle CGTT[77]. Après 18 mois de résidence forcée dans le Sud tunisien, Bourguiba réapparait publiquement le 11 septembre 1936 pour signifier l’espoir que suscite le Front populaire de Léon Blum contre ceux qu’il appelle lui-même les « prépondérants », c’est-à-dire les colons, les dirigeants des entreprises industrielles et commerciales et les fonctionnaires étrangers[60]. Entre 1936 et 1938, le Néo-Destour développe son activité politique et, grâce aux revendications ouvrières, se lie avec les syndicats[80]. En février 1936, des mouvements de grèves importants vont même se muer en affrontements[77] qui se caractérisent par la profanation de tombes d’Européens, par des tensions entre Juifs et musulmans, le tout alimenté par la polémique sur l’inhumation des naturalisés[77]. Des négociations sont alors engagées par le gouvernement Blum, dans un dialogue entamé entre Bourguiba et Pierre Viénot, sous-secrétaire d’État chargé des protectorats du Maghreb[77]. Bourguiba lui exprime sa volonté de mener la Tunisie à l’indépendance, demandant d’abord la fin des privilèges des Français de Tunisie, comme les suppléments de solde des fonctionnaires et les lots de colonisation[77]. En outre, il exige la création d’un régime constitutionnel fondé sur le suffrage universel et l’extension du Grand Conseil. En raison de l’opposition des Français de Tunisie[68], Viénot affirme pourtant l’attachement français au protectorat, condamnant ainsi toute négociation en vue de l’indépendance[77].
Néanmoins, la résidence reste assez libérale en adoptant le 11 août 1936 des mesures assouplissant la législation sur la presse, le droit de réunion et de manifestation et élargissant l’amnistie[77]. Le Néo-Destour profite de cette avancée pour étendre ses réseaux, atteignant ainsi 100 000 membres issus de milieux sociaux différents[77]. Favorisant le consensus en son sein, le mouvement se réunit autour de l’idée nationale et de Bourguiba[81]. Mais les difficultés économiques et sociales font persister le lourd climat qui pèse sur la Tunisie et le Néo-Destour continue à se positionner catégoriquement contre le protectorat dont il souhaite la fin à terme, car n’étant selon eux qu’un régime de transition[77].
En février 1937, des émeutes de la faim secouent le bidonville de Mellassine, constituant le premier mouvement revendicatif de chômeurs réclamant le droit au travail plutôt que l’assistance, avec l’appui des nationalistes et des socialistes[82]. En mars, une grève de mineurs lancée par la CGTT vire à l’émeute à Métlaoui et Jérissa et fait de nombreux morts, abattus par la troupe, tout comme aux ateliers de Chauffour Dumez à Metline, le 31 juillet[83], sans compter un dépôt d’armes de guerre de l’armée française, mis à disposition des manifestants avec la complicité de son gardien[77]. La répression cause la mort de seize personnes et en blesse 32[77]. Après neuf mois de calme, la Tunisie entre à nouveau dans une période de conflits sociaux[77]. Avec la chute du gouvernement Blum en juin et l’arrivée du gouvernement Chautemps[68], la situation ne fait que se détériorer[77] alors que les deux mouvements nationalistes tunisiens, le Néo-Destour et le Vieux-Destour, sont dans une relation de rivalité[77]. Le 8 juillet 1937, le retour d’exil d’Abdelaziz Thâalbi, autorisé par les autorités du protectorat, contribue à alimenter ce climat[58].
À partir de 1938, Bourguiba, qui a remplacé Mahmoud El Materi à la présidence du Néo-Destour et placé Ben Youssef au secrétariat général, le 3 janvier[58], cherche l’épreuve de force avec le gouvernement français[84]. En mars, les incidents se multiplient et le Néo-Destour appelle à la désobéissance civile, au boycott des produits français et au sabotage des lignes téléphoniques et des voies ferrées[84]. Le 9 avril, deux dirigeants du parti sont appelés à répondre de leurs propos devant un juge d'instruction[84], ce qui provoque des heurts sanglants aux alentours du Palais de justice, entre les forces de l’ordre et des manifestants, qui provoquent onze morts et de nombreux blessés[84]. Ces émeutes sont sévèrement réprimées[69]. L’état de siège est proclamé le jour même à Tunis, Sousse et au cap Bon, Habib Bourguiba est condamné à cinq ans de prison en France pour conspiration contre la sûreté de l’État[42] alors que Slimane Ben Slimane, Salah Ben Youssef et 3 000 autres membres du Néo-Destour sont arrêtés[60]. Le parti est dissout, ses documents saisis, les réunions publiques interdites et la censure appliquée[84]. Le Vieux-Destour, qui n’est pas réprimé lors de ces événements, reste rassemblé autour d’Abdelaziz Thâalbi, et poursuit une activité plus discrète[84]. Cette répression pousse à la clandestinité le Néo-Destour qui incite ses nouveaux dirigeants à ne pas exclure l’éventualité d’une lutte plus active et provoque la radicalisation du mouvement[72],[60].
Traversée du désert
Jusqu’à la déclaration de guerre de la France en septembre 1939, le calme est de mise[84]. En novembre 1938, Eirik Labonne remplace Armand Guillon en tant que résident général et prend des mesures d’apaisement[84]. Face à l’aggravation des menaces internationales, la résidence décide de donner à la Tunisie une certaine autonomie économique[84]. L’assouplissement du régime de rigueur empêche ainsi la reprise de l’agitation et les syndicats se distancent des partis nationalistes[84]. Néanmoins, la vie politique et sociale est rapidement conditionnée par l’état de guerre[84]. Le 1er septembre 1939, Labonne fait interdire par décret « toute propagation d’informations susceptibles d’avoir une influence néfaste sur l’armée et les populations »[85]. Le sixième bureau politique du Néo-Destour, formé à la fin 1939 et animé par Habib Thameur, enjoint aux cellules d’entretenir l’agitation. Mais ce bureau est démantelé le 13 janvier 1941 et ses principaux membres arrêtés. Le Vieux-Destour reste pendant ce temps dans sa vision traditionnelle panislamique et panarabe[84]. Rejetant tant les démocraties que les dictatures, Abdelaziz Thâalbi prend tout de même parti en faveur de la France[84]. Toujours est-il que Jean-François Martin relève que « la masse des Tunisiens accueillit avec satisfaction la défaite française de juin 1940 comme l’humiliation du conquérant qui se croyait invincible »[86].
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Tunisie est brièvement occupée par les Allemands qui permettent à Bourguiba, emprisonné par les Vichystes, de rentrer afin d’utiliser le nationalisme contre les troupes alliées[87]. Bourguiba manœuvre alors entre les occupants allemands et les alliés, principalement les Américains, pour tenter d’affaiblir la présence française[60]. Lorsque l’avantage sur le terrain tourne à la faveur des alliés, ne désirant pas cautionner les régimes fascistes, il lance le 8 août 1942 un appel pour le soutien aux alliés[69] en déclarant que « les Alliés ne tromperont pas nos espoirs [d’indépendance] »[60]. Moncef Bey, en conflit avec le résident général Jean-Pierre Esteva qui ne tolère aucune réforme, constitue alors, sans le consulter, un gouvernement composé de « nationalistes pacifiques » avec M'hamed Chenik pour grand vizir[87].
Après la conquête de la Tunisie par les alliés, le bey est jugé trop proche des nationalistes et déposé par un décret du général de la France libre, Henri Giraud, le 13 mai 1943[88],[89]. Le lendemain, le résident général par intérim Alphonse Juin le fait embarquer dans un avion pour Laghouat dans le Sud algérien[87]. L’investiture de Lamine Bey le 15 mai n’empêche pas les nationalistes de réclamer l’autonomie interne en octobre 1944 et l’indépendance en août 1946[90].
Le général Charles de Gaulle, conscient des attentes des nationalistes maghrébins, s’entretient avec les dirigeants de ces pays et, en juillet 1945, reçoit Lamine Bey à Paris[91]. Durant cette même année, la France prend des mesures libérales, instaurant la parité française et tunisienne des deux sections du Grand Conseil[90]. Le Conseil municipal de Tunis est désormais élu et non plus nommé[90]. Craignant le retour en force des nationalistes, les colons français tentent de faire passer Bourguiba pour « antifrançais, antijuif, anti-allié »[87]. Menacé par la sécurité militaire et appuyé par Salah Ben Youssef qui cherche à prendre la tête du mouvement[88], il décide de quitter clandestinement le pays le 26 mars 1945[89] pour s’installer au Caire où il retrouve le consul américain Hooker Doolittle — en poste à Tunis de février 1941 à juillet 1943 — qui le présente aux dirigeants de la Ligue arabe[91]. Il se rend aux États-Unis en 1946 puis en janvier 1947 où il inaugure un North Africa Office qui réclame l’indépendance de l’Afrique du Nord française[91]. Néanmoins, à partir de 1949, les États-Unis, voulant créer une Europe libérale, ne se montrent pas ouvertement critiques face à la politique coloniale française[91]. Bourguiba retourne finalement en Tunisie le 8 septembre 1949.
Pendant son absence, le syndicat de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) est fondé le 20 janvier 1946 par Farhat Hached[92]. Il compte rapidement 100 000 adhérents et joue un rôle considérable dans le mouvement national[60] car sa naissance dote le Néo-Destour d’un allié de poids dans la lutte pour la libération nationale. Toutefois, les tentatives visant à le mettre au pas débuteront dès les premiers mois de l’indépendance, entravant du même coup le développement d’un véritable contre-pouvoir[67]. Le 23 août, à l’occasion du congrès du Néo-Destour organisé dans un lieu tenu secret, Salah Ben Youssef déclare :
« La France n’a pas défendu le sol tunisien lors de l’invasion germano-italienne. D’ailleurs, elle a été incapable de défendre même son propre sol [...] Ce que je condamne à mort aujourd’hui, c’est les relations franco-tunisiennes[93]. »
À la sortie, une cinquantaine de militants dont des figures du parti sont arrêtés[94]. En février 1947, le résident général Jean Mons tente d’appliquer quelques réformes sans effet, dont la parité des Tunisiens et des Français au Conseil des ministres[90].
Route vers l’indépendance
Après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants nationalistes inscrivent la résistance armée dans la stratégie de libération nationale[72]. Le 11 avril 1947, la mort au combat d’un groupe de partisans armés, des déserteurs de l’armée française actifs durant quatre ans sous le nom de « fellagas de Zéramdine », provoque une vague de suspicions en raison de l’implication d’un cadre sahélien du Néo-Destour dans le guet-apens[95]. Le 4 août, une grève générale est lancée à Sfax après un appel de l’UGTT[96] visant à défendre le droit pour les ouvriers tunisiens à bénéficier d’un salaire minimum ; elle conduit à la prise de contrôle de points stratégiques dont la gare et le port. Le lendemain, les forces de l’ordre ouvrent le feu, faisant 26 morts et plusieurs dizaines de blessés. Le 10 décembre, à l’issue de protestations contre le partage de la Palestine votée par l’Assemblée générale des Nations unies, Ben Youssef déclare que « les Juifs tunisiens, en tant que sujets du bey, devaient être placés sur le même pied d’égalité que les musulmans du pays et qu’il n’y avait pas lieu d’exercer des représailles »[97] contre eux, évitant ainsi d’éventuels troubles.
Après la mort en exil de Moncef Bey, disparu à Pau le 1er septembre 1948[89], un hommage est rendu par les exilés tunisiens du Caire au seul bey populaire auprès des Tunisiens depuis le début du protectorat. Bourguiba prononce son oraison funèbre à la radio cairote[98] ; la cérémonie se déroule dans un contexte de rivalités au sein du groupe tunisien d’une part et de tensions avec d’autres leaders nationalistes maghrébins installés dans la capitale égyptienne d’autre part[99]. Ben Youssef en profite pour convoquer un congrès du Néo-Destour le 17 octobre, en l’absence du président du parti Bourguiba, et renforcer son contrôle sur le bureau politique par l’entremise de la nomination d’Habib Thameur et Youssef Rouissi[100]. Se sentant renforcé, il établit des contacts avec le résident général Jean Mons en se présentant comme « un nationaliste modéré, pro-occidental, soucieux de ménager ses relations avec les prépondérants du pouvoir »[101]. Il se justifie auprès des militants en indiquant militer pour la reconnaissance du Néo-Destour qui « arriverait à l’émancipation des Tunisiens par les voix légales », décevant les plus radicaux mais confortant les plus modérés[102].
En 1949, un Comité national de la résistance constitué et dirigé par Ahmed Tlili désigne dix responsables régionaux chargés d’organiser des groupes armés strictement cloisonnés[72]. Face au désir de Bourguiba de rentrer au pays, le bureau politique du Néo-Destour lui conseille de ne pas le faire, par crainte de l’importante popularité que celui-ci conservait auprès de la population. Il le fait tout de même le 8 septembre[103]. Fort de sa légitimité populaire, Bourguiba se rend à Paris et s’entretient avec des hommes politiques et des journalistes pour défendre son action[104]. Des pourparlers sont engagés avec le gouvernement français à la suite d’une proposition faite par Bourguiba le 14 avril 1950 au travers de l’Agence France-Presse. Celle-ci se base sur un « plan en sept points » appelant à la création d’une assemblée constituante tunisienne élue au suffrage universel[105], le Néo-Destour faisant alors campagne pour la création d’une monarchie constitutionnelle et démocratique[106]. Le 10 juin, Robert Schuman annonce à Thionville la nomination du résident général Louis Périllier qui « aura pour mission de conduire la Tunisie vers le plein épanouissement de ses richesses et de l’amener vers l’indépendance, qui est l’objectif final pour tous les territoires au sein de l’Union française »[105]. Néanmoins, le président du Conseil Georges Bidault désavoue son ministre et insiste auprès de Périllier pour lire un texte correctif sur Radio Tunis qui remplace le terme « indépendance » par « autonomie interne ». Avec le remplacement de Bidault par René Pleven qui est plus attentif à l’opinion de Schuman[107], le 23 juin, Périllier relance l’idée dont le processus est accepté par un communiqué franco-tunisien publié le 17 août[108]. Ce même jour, le secrétaire général du Néo-Destour Salah Ben Youssef entre dans le nouveau gouvernement formé par M’hamed Chenik, avec l’assentiment du résident général[7],[109], au poste de ministre de la Justice. Il est accompagné par Mahmoud El Materi au poste de ministre de l’Intérieur[110] mais Bourguiba en reste exclu par la volonté de Schuman et malgré les promesses de Périllier[111]. M'hamed Chenik expose son objectif dans son discours d’investiture :
« Le gouvernement que j’ai l’honneur de présenter à Votre Altesse est un ministère de négociation ayant essentiellement pour tâche, en même temps qu’il assurera l’administration, de conduire le pays vers une autonomie de plus en plus large répondant aux aspirations unanimes de la nation tunisienne, vers la restauration de notre souveraineté dans la plénitude de ses droits et prérogatives. Cette œuvre que Votre Altesse nous charge d’accomplir se réalisera par étapes, dans un délai raisonnable et sera la manifestation d’une coopération féconde entre le représentant de la France et le gouvernement de Votre Altesse[110]. »
Le gouvernement Chenik débute des pourparlers préliminaires avec le résident général Périllier[112] mais se rend aussi à Paris[113] pour réclamer une assemblée représentative[106], un gouvernement homogène et une « tunisification » de l’administration[113]. Sentant le danger de l’avènement du suffrage universel, le Rassemblement français de Tunisie lance une campagne de presse et des actions pour saboter l’action du gouvernement Chenik[110] et stopper les négociations. Il se tourne vers les instances gouvernementales françaises, les groupes parlementaires et les lobbies colonialistes, par l’intermédiaire d’une partie de l’administration sous son contrôle, avec l’appui des chefs de l’armée qui craignent l’affaiblissement de l’OTAN en Méditerranée[112]. Avec la démission des membres français du Grand Conseil[106], les pourparlers sont stoppés par une déclaration de Périllier le 7 octobre. Cette décision entraîne des troubles sanglants comme à Enfida où une grève des ouvriers agricoles est réprimée le 25 novembre[112], faisant huit morts et des dizaines de blessés par balles[114].
Montée de la violence
Cherchant l’apaisement, une commission mixte, comprenant Ben Youssef, est mise sur pied et parvient, le 1er février 1951, à un texte de réformes entériné par Schuman[115], puis par le bey le 8 février. Celles-ci vont dans le sens de la fin de l’administration directe, ce qui est jugé satisfaisant par les nationalistes[106]. Le 15 mai, dans son discours du trône, Lamine Bey pousse l’avantage en déclarant « qu’il convient de signaler que ce peuple a acquis le droit de respirer l’air de la liberté, d’étancher sa soif aux sources de la justice, de jouir de tous ses droits individuels et collectifs, de vivre dans la paix et la dignité dans le cadre de la souveraineté nationale intégrale », suscitant la protestation du résident général[116]. Pour aller plus loin, le grand vizir M'hamed Chenik remet le 31 octobre un mémorandum demandant l’accession rapide de la Tunisie à l’autonomie interne[106], ce qui provoque la colère des Français de Tunisie qui demandent son renvoi[112].
En réponse au mémorandum du gouvernement Chenik, le secrétaire d’État aux affaires étrangères Maurice Schumann rappelle dans une note envoyée le 15 décembre à Chenik le principe de cosouveraineté du protectorat[106] et le « caractère définitif du lien qui réunit la Tunisie à la France »[112], alors que le monde arabe est sensibilisé par les tensions autour du canal de Suez et l’indépendance de la Libye proclamée le 24 décembre 1951[105]. L’année 1951 marque aussi une progression certaine du mouvement nationaliste qui gagne aussi bien les villes que le monde rural : le Néo-Destour, demeuré illégal et divisé en 470 sections et 23 fédérations, regroupe à la fin de l’année 150 000 adhérents dont un bon nombre est également membre de l’UGTT[105].
Le 2 janvier 1952, Bourguiba demande au bey de porter le différend franco-tunisien devant l’ONU pour internationaliser le problème de la domination française. Il prononce des discours, à Monastir et Bizerte, appelant au lancement de la lutte armée en cas de refus de suivre cette voie, ce que fait Chenik sans l’aval du souverain[117], le 9 janvier. En réaction à cette manœuvre, le gouvernement français remercie Périllier et le remplace, le 13 janvier 1952, par Jean de Hauteclocque qui arrive à Tunis sur un croiseur de la marine française[118]. L’arrestation de 150 communistes et néo-destouriens le 18 janvier, dont Bourguiba revenu d’Égypte le 2 janvier après une absence d’un an, lance la révolte armée[7], suivie de la répression militaire française[26] et d’un durcissement des positions de chaque camp[105] avec grèves générales, manifestations de rue et diverses formes de mobilisation populaire dans la région du cap Bon[72].
La répression — accompagnée de poursuites judiciaires et d’exécutions[119] — provoque une escalade. Elle met à l’ordre du jour le sabotage, l’exécution des collaborateurs, l’attaque des fermes puis les opérations contre les troupes coloniales. Le Néo-Destour adopte cependant une stratégie adaptée aux événements alors que la complexité des situations laisse une grande marge de manœuvre aux chefs locaux dans le cadre des directives générales[72]. Le 22 janvier, le colonel Durand est abattu au cours d’une manifestation de protestation organisée par le Néo-Destour à Sousse. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre, le 23 janvier à Moknine, se terminent par une fusillade, alors que de nombreux faits similaires se produisent à travers le pays[72]. Le ratissage du cap Bon par l’armée française, dès le 26 janvier — touchant principalement durant six jours les localités de Tazerka, El Maâmoura et Kélibia — fait près de 200 morts[120].
Suite à l’enregistrement par Ben Youssef de la plainte tunisienne à l’ONU[121], Hautecloque fait arrêter Chenik et certains ministres, le 26 mars, et les place en résidence forcée à Remada dans le sud du pays. Durant le mois de juin, le syndicaliste Farhat Hached publie un article dans le journal américain International Free Trade Union où il justifie à son tour la légitimité des aspirations du peuple tunisien à la liberté et à l’indépendance et dénonce la répression des autorités françaises[122]. Après son assassinat par l’organisation colonialiste extrémiste[123] de la Main rouge[124], le 5 décembre, se déclenchent de nouvelles manifestations, émeutes, grèves, tentatives de sabotage et jets de bombes artisanales[72]. Les campagnes connaissent alors le développement d’un mouvement de lutte armée mené par les fellagas[105]. L’accentuation de la répression, accompagnée de l’apparition du contre-terrorisme, incite les nationalistes à prendre plus spécifiquement pour cibles les colons, les fermes, les entreprises françaises et les structures gouvernementales[72]. Le 17 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies approuve par 44 voix contre 3 et 8 abstentions une résolution « exprimant l’espoir que les parties poursuivront sans retard leurs négociations en vue de l’accession des Tunisiens à la capacité de s’administrer eux-mêmes »[125].
Les années 1953 et 1954 sont marquées par la multiplication des attaques contre le système colonial. Le mouvement nationaliste encourage la création de véritables unités de combat dans les différentes régions même si de modestes ressources permettent difficilement de les entretenir. Protégés par leur insertion dans le milieu social et connaissant le théâtre des opérations, les maquisards réussissent à organiser une guérilla de harcèlement[72]. En réponse, près de 70 000 soldats français sont mobilisés pour combattre les groupes dans les campagnes[126].
Au terrorisme de la Main rouge, dont les membres sont issus des milieux français de Tunisie, répond celui de La Main noire composée de militants nationalistes et dirigée par Béchir Zarg Layoun[127]. Toutefois, le remplacement de Jean de Hauteclocque par Pierre Voizard, le 23 septembre 1953, contribue à l’apaisement par la levée du couvre-feu, de la censure de la presse et la libération des dirigeants nationalistes[128]. Ben Youssef, basé au Caire, fait une tournée à travers l’Asie où, sur mandat des instances de son parti, il s’exprime à de nombreuses reprises en faveur de la cause du mouvement national[128].
Autonomie interne
Le gouvernement de Mohamed Salah Mzali, formé le 2 mars 1954 en écartant le Néo-Destour, finit par démissionner le 17 juin, ne laissant aucun « interlocuteur valable » au gouvernement Pierre Mendès France nouvellement investi, le 18 juin[105], six semaines après la défaite de l’armée française à la bataille de Điện Biên Phủ (Indochine) et la chute du gouvernement Joseph Laniel[105]. Le nouveau président du Conseil déclare immédiatement « qu’il ne tolérerait aucune hésitation ni réticence dans la réalisation des promesses faites à des populations qui avaient eu confiance en la France qui leur avait promis de les mettre en état de gérer leurs propres affaires »[129]. Le 29 juillet, il convoque d’urgence le résident général Voizard, après avoir appris qu’il avait couvert les actions de la Main rouge, et le démet de ses fonctions[130]. Neuf jours après la signature des accords de Genève sur l’Indochine, le 30 juillet 1954, le gouvernement français approuve le principe d’autonomie interne pour la Tunisie[32]. Le lendemain, Pierre Mendès France débarque au matin dans un contexte d’intensification des attentats contre les Français et les Tunisiens « traîtres » qui crée une atmosphère délétère[131] ; cela conduisit à l’interruption des communications avec la France et le positionnement des troupes à Tunis dès la veille au soir[132]. Mendès France, qui souhaite mettre un terme à la violence engendrée par l’arrêt des négociations en 1951, sait qu’il jouit d’un préjugé favorable auprès du Néo-Destour pour avoir défendu, comme avocat, des militants nationalistes en 1952[131]. Dans un discours prononcé au palais beylical de Carthage, en présence du ministre des Affaires tunisiennes et marocaines Christian Fouchet et du maréchal Alphonse Juin[131], il annonce cette décision à Lamine Bey[26],[133] :
« L’autonomie interne de l’État tunisien est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français qui entend tout à la fois l’affirmer dans son principe et lui permettre dans l’action la consécration du succès. Le degré d’évolution auquel est parvenu le peuple tunisien — dont nous avons lieu de nous réjouir d’autant plus que nous y avons largement contribué —, la valeur remarquable de ses élites justifient que le peuple soit appelé à gérer lui-même ses propres affaires[134]. »
L’exercice interne de la souveraineté doit être attribué à des personnes et des institutions tunisiennes[134] après la négociation de conventions « destinées à fixer clairement les droits des uns et des autres » et précisant « les obligations réciproques des deux pays et les garanties reconnues à la France et aux Français habitant en Tunisie »[134]. Mendès France précise toutefois qu’« il est sans aucun doute de l’intérêt commun que la France reste présente en Tunisie »[134], laissant entendre que l’option de l’indépendance n’est pas envisagée à ce stade mais plutôt qu’il faille appliquer à la lettre le traité du Bardo[135]. Le 7 août, un gouvernement, incluant le Néo-Destour, est formé sous la direction du nationaliste indépendant Tahar Ben Ammar. Il exclut cependant, à la demande française, les ministres signataires de la plainte à l’ONU, dont Ben Youssef, ce qui contribue à le marginaliser au sein du parti[136]. Le cabinet débute les pourparlers pour fixer les modalités de l’autonomie le 4 septembre[32] alors que le Rassemblement français de Tunisie tente de s’y opposer en alertant ses amis politiques[137]. Par ailleurs, le gouvernement Mendès France demande à ce que les fellagas actifs dans les campagnes soient désarmés pour faire appliquer les réformes, ce que Bourguiba, d’abord hostile, finit par demander en décembre 1954. La plupart des combattants le suivent et déposent leurs armes en présence des autorités françaises et de représentants du Néo-Destour, même si certains commandants importants déclarent vouloir continuer la lutte, appuyé en cela par Salah Ben Youssef qui s’oppose à la ligne de Bourguiba[138]. Depuis Genève, Ben Youssef, poursuivant sa ligne de rupture, dénonce le gouvernement français qui « n’entend nullement honorer ses engagements » et « ferait des Tunisiens les gestionnaires du régime colonial en Tunisie », une déclaration suscitant la polémique[139].
À l’occasion d’une entrevue entre Edgar Faure, arrivé au pouvoir après la chute de Mendès France le 5 février 1955, et Bourguiba, reçu pour la première fois à l’Hôtel Matignon, un protocole d’accord entre les deux gouvernements est rendu public le 22 avril 1955[140]. Apprenant la nouvelle depuis la conférence de Bandung, Ben Youssef rejette l’accord qu’il juge contraire au principe d’autonomie interne et indique à un journaliste qu’il ne « [veut] plus être le second de Bourguiba »[141]. Malgré des tentatives de conciliation entre les deux leaders, la rupture définitive est consommée[142]. Selon Omar Khlifi, Ben Youssef se rapproche alors des services secrets égyptiens qui lui fourniront subsides et armes pour déstabiliser Bourguiba[143]. Après le retour triomphal de ce dernier en Tunisie le 1er juin 1955, suite à trois ans et demi d’emprisonnement[89], les conventions franco-tunisiennes sont signées le 3 juin[126] entre le Premier ministre Ben Ammar, son homologue français Faure, Mongi Slim et le ministre des Affaires tunisiennes et marocaines Pierre July[123],[144],[145]. Elles prévoient le transfert au gouvernement tunisien de toutes les compétences[146], à l’exception de celles des affaires étrangères et de la défense[32], le remplacement du résident général par un haut commissaire[32] — chargé de représenter la France et de protéger les intérêts de ses ressortissants — et l’instauration de l’arabe comme langue officielle[147]. Ce protocole d’accord, destiné à promouvoir les « rapports de coopération selon des modalités librement consenties, dans le respect mutuel de leurs souverainetés propres », cherche à remplacer le protectorat par une communauté franco-tunisienne[147].
Luttes fratricides
Les conventions sont dénoncées par le Rassemblement français de Tunisie. Elles divisent aussi le Néo-Destour. Ce qui provoque une violente confrontation entre les partisans de Bourguiba, prônant une indépendance obtenue pacifiquement « à travers des étapes, avec l’aide de la France et sous son égide »[131], et ceux de Salah Ben Youssef « qui y voit une atteinte à la cause de l’arabisme et à l’indépendance intégrale, non seulement de la Tunisie, mais du Maghreb entier »[32]. D’autant que le prestige acquis par ce dernier en exil semblait « considérable » en raison de l’attraction qu’il exerçait sur les adversaires des conventions et de la ligne adoptée par Bourguiba[148].
Rentré le 13 septembre 1955, après quatre ans d’exil, et cherchant à obtenir l’appui des conservateurs, Ben Youssef prononce le 7 octobre un discours du haut du mihrab de la mosquée Zitouna. Il s’élève d’abord contre l’« islam bafoué » par le nouveau régime taxé d’« athéisme débauché »[149]. Rappelant ensuite les soutiens dont il dispose dans d’autres pays arabes, il proclame que « l’Afrique du Nord est un tout. Il est inconcevable qu’une partie de ce territoire jouisse de l’indépendance totale ou partielle, alors que l’autre reste sous le joug du colonialisme français », appelant aussi à la reprise de la lutte armée[150]. Le futur ministre Tahar Belkhodja témoigne de ce coup d’éclat :
« Je retrouvai, non sans gêne pour les uns et les autres, les dirigeants de la fédération du parti de Tunis-Capitale, trois de nos professeurs du Collège Sadiki, certains dignitaires religieux. Ben Youssef, enflammé, jouait merveilleusement avec la corde sensible du Tunisien exalté. La frénésie de l’assistance était générale et les hésitants pouvaient être influencés par son engouement pour le nationalisme pur et dur, une lutte maghrébine commune, une solidarité arabe sans faille[151]. »
Face à la réaction du haut commissaire français, qui juge les propos outranciers, le bureau politique du Néo-Destour démet, le lendemain, Ben Youssef de ses fonctions, une mesure qui n’est rendue publique que le 13 octobre[152] et qu’il considère, le 14 octobre, comme « nulle et non avenue »[153]. L’effervescence règne alors à Tunis, fermeture de 500 échoppes de la médina sur 1 300 et graffitis hostiles aux conventions et favorables à Ben Youssef dans plusieurs centres urbains[154]. Le secrétaire général tente même de mettre sur pied sa propre organisation afin de court-circuiter les instances du parti[155]. Le 28 octobre, Ben Youssef s’exprime à nouveau à la Grande Mosquée de Kairouan, traitant les membres du bureau politique de « mains criminelles » et se proclamant « pour l’Orient » alors que Bourguiba serait « pour l’Occident »[156]. Dans les jours qui suivent, les partisans de Bourguiba tentent de saboter les discours que son adversaire souhaite prononcer à travers le pays, provoquant parfois quelques débordements[157]. Toutefois, devant la tournure de la crise, l’establishment politique parfois ambigu se rassemble autour de Bourguiba, d’autant que ce dernier profite de la reconnaissance par la France du droit du Maroc à l’indépendance, le 6 novembre, pour faire monter la pression[158].
Ben Youssef refusant d’assister au congrès du Néo-Destour — tenu à Sfax du 15 au 18 novembre[105] — qu’il juge illégitime, les conventions sont finalement approuvées et son exclusion confirmée[146]. Ce dernier ne reconnaît pas celle-ci et, appuyé par des milieux conservateurs, fait renaître la divergence entre Néo-Destour et Vieux-Destour[32]. Ben Youssef tient, le 18 novembre, un meeting au stade Géo-André, auquel assistent près de 20 000 personnes ainsi que le ministre égyptien des Habous, son chauffeur personnel est abattu le 1er décembre et il attaque Bourguiba le 16 décembre en le comparant aux anciens résidents généraux Hauteclocque et Peyrouton[159]. Face aux troubles, les autorités françaises décident d’accélérer l’application des conventions en transférant la responsabilité des forces de l’ordre au gouvernement tunisien dès le 28 novembre, ce qui déplaît fortement à Ben Youssef qui craint les agissements du ministre de l’Intérieur Mongi Slim[160].
Cette opposition crée une atmosphère de guerre civile[32] : assassinats, emprisonnements arbitraires, tortures dans des prisons privées illégales, maquisards qui reprennent les armes contre les forces tunisiennes, enlèvements par des milices et attaques des locaux des adversaires provoquent des dizaines de morts et de nombreux blessés[161]. Afin de freiner les violences, un décret du 8 décembre « stipule de bannir à vie ou d’emprisonner durant cinq ans les instigateurs de complots contre l’État et d’exécuter quiconque armera des bandes, tentera de changer la forme du gouvernement, incitera les habitants à s’armer les uns contre les autres, portera le désordre, le meurtre et le pillage sur le territoire tunisien », ce qui n’empêchera pas les violences de durer jusqu’à l’été 1956[162]. Mongi Slim informe Ben Youssef qu’il allait être arrêté par les forces tunisiennes, ce qui le pousse à quitter clandestinement la Tunisie pour Tripoli le 28 janvier 1956[163],[164].
Accord final
Pendant ce temps, Bahi Ladgham, Bourguiba et Ben Ammar négocient avec le gouvernement Guy Mollet pour parvenir à conclure un accord aboutissant à l’indépendance, processus accéléré par l’indépendance finalement obtenue par le Maroc[147]. Le 20 mars 1956 vers 17 h 40, dans un salon du Quai d'Orsay[165], le ministre français des Affaires étrangères Christian Pineau déclare que « la France reconnaît solennellement l’indépendance de la Tunisie »[105] et appose sa signature au bas du protocole de l’indépendance[166], de même que Tahar Ben Ammar arrivé de Tunis au début de l’après-midi[165],[167]. Le traité du Bardo devient dès lors caduc[32]. La France conserve toutefois la base militaire de Bizerte pour plusieurs années.
La cérémonie se déroule en présence de nombreuses personnalités françaises et d’une centaine de journalistes, photographes et cinéastes, alors que la délégation tunisienne comprend, outre Ben Ammar, Mongi Slim, Ladgham et Mohamed Masmoudi[165]. L’événement est célébré en Tunisie par des manifestations de joie et des réjouissances populaires jusque tard dans la nuit.
Rôle du syndicalisme
Le mouvement ouvrier tunisien a joué un rôle de premier plan dans les actions du mouvement national, en lui apportant le soutien de couches de la population plutôt défavorisées, particulièrement les ouvriers. Chaque création de nouveau syndicat est l’occasion pour ses membres fondateurs de mettre en place de nouvelles solidarités. Ceux-ci sont en effet issus de groupes en marge de la société urbaine et constituant la fraction la plus démunie du prolétariat émergeant. Dans un premier temps, les dockers du port de Tunis, migrants originaires du Sud tunisien, organisent une grève « sauvage » en août 1924 qui n’est pas soutenue par les syndicats dépendants des centrales françaises. Cette manifestation conduit à la création de la CGTT en rupture avec la section locale de la Confédération générale du travail (CGT)[168].
Dans un second temps, ce sont les Kerkenniens de Sfax, noyau de la constitution des syndicats autonomes du sud du pays, qui contribuent grandement à la création de l’UGTT à tendance clairement nationaliste[169]. Dans tous les cas, les origines géographiques et sociales communes entre les travailleurs et les leaders nationalistes ont contribué à renforcer la cohésion de la dynamique du mouvement[63].
L’histoire du mouvement ouvrier a aussi été le théâtre de la lutte, durant les années 1920 et 1930, entre les nationalistes et les communistes pour la domination opérationnelle et idéologique du mouvement national. Celle-ci s’est finalement terminée par la victoire des premiers.
Premières tentatives
La première centrale syndicale tunisienne indépendante des centrales françaises voit le jour le 3 décembre 1924 sous la direction de Mohamed Ali El Hammi, quatre ans après la naissance du Destour et du Parti communiste tunisien (PCT). Elle suscite vite une levée de boucliers de la presse locale et de tous les partis à l’exception du PCT qui lui apporte son soutien[170]. La Confédération générale des travailleurs tunisiens naît en se détachant de la section tunisienne de la CGT alors considérée comme insuffisamment sensible aux aspirations des travailleurs tunisiens. Elle ne connaît toutefois qu’une existence très brève de quelques mois. Mais, grâce notamment à Tahar Haddad qui s’en fait l’historien, l’éphémère syndicat s’est inscrit dans les mémoires collectives. Il contribua grandement au décret du 12 novembre 1932 établissant le droit syndical pour la première fois dans un territoire sous domination française[63]. La CGTT finit par renaître le 27 avril 1937 sous l’impulsion de Belgacem Gnaoui et d’Ali El Karoui, tous deux membres de l’Union départementale dont la direction reste dominée par les Européens[171]. Les communistes, dont la position s’est renforcée au sein de la CGT, dénoncent cette deuxième tentative comme une division du mouvement ouvrier[83]. C’est pourquoi, cherchant à ne pas se couper des autres organisations et à rester autonome face au Néo-Destour, la deuxième CGTT ne soutient pas la grève générale que celui-ci lance le 20 novembre de la même année, ce qui participe grandement à son échec[83]. En retour, les nationalistes prennent le contrôle de la CGTT et placent Hédi Nouira à sa tête lors du congrès de janvier 1938. Ils parviennent ainsi à faire éclater l’organisation[172] et prennent l’avantage dans la rivalité entre nationalistes et communistes[173].
Naissance d’un pilier du mouvement national
La loi du 9 octobre 1940, instaurée par le régime de Vichy, interdit les syndicats et instaure le service du travail obligatoire entériné par Habib Thameur, alors resté à la tête du Néo-Destour en l’absence de Bourguiba emprisonné[174]. Avec l’arrivée des forces alliées en mai 1943, les syndicats se reconstituent sous l’impulsion des communistes — leur influence et leur implantation dans le pays ayant fait parallèlement de grands progrès[175] — et dans un contexte de grandes difficultés économiques[174].
Cette ouverture favorise la fondation d’une puissante centrale syndicale d’obédience nationaliste, qui n’est pas le fait de membres du Néo-Destour[176] car celui-ci restait affaibli par la répression des événements du 9 avril 1938 et par l’exil de ses dirigeants[177]. Résultant de la fusion de syndicats autonomes fondés peu auparavant et considérés comme corporatistes et apolitiques[178], l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) naît le 20 janvier 1946, sous l’initiative de Farhat Hached, dans une période de vide relatif qui renforce la nouvelle organisation engagée dans la lutte au travers de manifestations, grèves — toutes les grèves nationales s’organisent à la suite d’appels de l’UGTT[179] — et affrontements violents avec les forces françaises[177]. Le mouvement prend alors une ampleur croissante et joue un rôle de pointe en alliant la lutte anti-patronale et la lutte nationale[179]. En outre, l’absence de Bourguiba en exil au Caire, de 1945 à 1949, et l’arrestation des leaders nationalistes et communistes, en janvier 1952, permettent à Hached de s’affirmer comme leader ouvrier et national, d’autant plus que les autorités du protectorat le craignent pour sa capacité de mobilisation[179].
Rivalités et alliance
Avec le retour en grâce de Bourguiba, au début des années 1950, les mouvements politique et syndical, de force à peu près équivalente, éprouvent le besoin de collaborer afin de constituer un front commun pour mener la lutte de libération. Ils sont constitués d’une base sociale semblable : classes moyennes, intellectuels, fonctionnaires, commerçants, petits agriculteurs, chômeurs et exclus[177]. Bourguiba et Hached, qui se rencontrent alors pour la première fois, voient leurs portraits affichés côte à côte lors de chaque réunion[179]. Au congrès du Néo-Destour tenu à Sfax à l’automne 1955, les syndicalistes sont présents en masse parmi les congressistes[180].
Le principal défi du mouvement syndical est dès lors d’appuyer le mouvement politique dans le combat commun tout en gardant une autonomie d’action dans ce qui constitue son principal objectif : la défense des travailleurs tunisiens[176]. Le Néo-Destour, et surtout son leader Habib Bourguiba, « croyait détenir une vérité qu’il ambitionnait de transmettre aussi bien à la base de son parti qu’à celles des autres organisations nationales »[177]. Il a donc tendance à considérer l’UGTT comme une simple courroie de transmission, ce qui engendre un climat de concurrence et de rivalités entre les deux mouvements, l’UGTT étant parfois tenté d’imposer le modèle travailliste en inversant le sens de la courroie du syndicat vers le parti[181]. René Galissot a expliqué cette relation par le fait que c’est « l’intelligentsia d’origine bourgeoise » qui avait fourni une partie de l’encadrement syndical, ce qui explique que le « syndicalisme apparaît très tôt comme un instrument de carrière politique, ou comme le moyen de donner une base au parti Néo-Destour »[173].
Prise de contrôle
Les deux organisations présentent de nombreuses différences, notamment en matière de tradition démocratique mais aussi en termes d’objectifs : Bourguiba « agissait essentiellement en fonction d’un pouvoir à conquérir » alors qu’Hached souhaitait la « transformation des réalités sociale, économique et culturelle » des Tunisiens[177]. Par ailleurs, Bourguiba refusait toute notion de lutte des classes et toute opposition d’intérêts entre Tunisiens alors qu’Hached est sensible aux intérêts spécifiques de la classe ouvrière :
« La lutte de notre peuple pour son émancipation politique n’est qu’un des aspects de sa lutte pour son émancipation sociale. Notre peuple est convaincu que l’indépendance politique sans progrès social et sans souveraineté de la justice sociale et sans changement des principes économiques et sociaux du régime actuel est un leurre et une utopie dangereuse[179]. »
Toutefois, l’assassinat de Farhat Hached, le 5 décembre 1952, décapite l’UGTT et touche gravement à l’autonomie du mouvement ouvrier au sein du mouvement national : le nouveau secrétaire général de l’UGTT est un intellectuel destourien qui n’appartient pas au monde ouvrier[182]. De ce fait, la direction syndicale passe entre les mains du Néo-Destour par l’entremise de jeunes cadres issus de la fédération des fonctionnaires avec l’appui de petits patrons et artisans membres de l’organisation[182]. Quant à l’Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat, organisation du patronat, elle s’est trouvée dans le même dilemme, d’autant plus vite que plusieurs de ses dirigeants appartenaient au Néo-Destour[176].
Rôle des associations
Le premier décret sur les associations, promulgué le 15 septembre 1888, soumet la création de celles-ci au simple vouloir de l’administration française[183]. Parmi les premiers acteurs clés du mouvement associatif tunisien, qui naissent pour la plupart entre 1905 et 1913, figurent les sociétés de bienfaisance, un réseau d’entraide sociale rapidement vu par les autorités du protectorat comme un risque d’autonomisation de la société qui atténuait leur influence sur la population[184]. Relancées par le décret beylical d’août 1936, beaucoup de nouvelles associations naissent alors à l’instigation des partis ou en marge de ceux-ci[185]. Celles proches du Néo-Destour figurent parmi les plus actives, d’autant plus que le parti vise clairement une hégémonie dans ce domaine : Tahar Sfar parle ainsi de « grouper le peuple entier sous les auspices du Néo-Destour »[185]. Pour les plus politisées d’entre elles, leur rôle de contact entre les dirigeants du parti et leur base est essentielle à la diffusion des mots d’ordre[186]. Le mouvement associatif aurait ainsi préparé le mouvement politique, l’aurait nourri puis l’aurait accompagné[183].
Les associations sont de ce fait perçues comme un élément ayant contribué au développement du mouvement national. Pourtant, à part la publication de quelques monographies au début du XXe siècle, l’étude des associations n’a guère préoccupé l’historiographie tunisienne[183]. Attentive aux innovations sociales et culturelles touchant la société, la revue Ibla, fondée en 1937 par l’Institut des belles lettres arabes, aurait ainsi été la seule revue à consacrer un article sur l’apparition des mouvements scouts tunisiens au cours des années 1930[183].
En 1965, André Demeerseman publie dans l’Encyclopédie de l’Islam le seul opuscule contenant un historique et une typologie des associations de la fin du XIXe siècle à l’indépendance[183]. Le sociologue Mongi Sayadi publie en mars 1975 la seule monographie post-indépendance sur une association tunisienne, la Khaldounia, présentée par Jacques Berque comme une « contribution à l’histoire culturelle » de la Tunisie[183]. Elle tente, selon son auteur, de mettre en lumière la contribution essentielle de la Khaldounia « à éveiller une conscience nationale chez les Tunisiens »[183]. Mohamed Fadhel Ben Achour avait déjà abordé dans des conférences, en 1955, le mouvement littéraire et intellectuel en Tunisie en montrant le rôle culturel des associations, notamment de la Khaldounia dont il fut l’un des dirigeants au cours des années 1940[183]. Dans la filiation de Roger Casemajor et Charles-André Julien, l’historiographie tunisienne a longtemps présenté la Khaldounia et l’association des anciens élèves du Collège Sadiki comme des facteurs qui ont contribué à la « formation de l’esprit public », tout comme le journal El Hadhira fondé le 2 août 1888 par Béchir Sfar[183]. Pour Habib Belaïd, les chercheurs ont trop insisté sur ces associations-phares et n’ont guère tenté d’étudier d’autres types d’associations, domaine laissé aux non historiens spécialistes des divers domaines d’activité associative (théâtre, musique, sport, etc.) C’est pourquoi, en raison de ce cloisonnement des disciplines, les différents travaux ont rarement été intégrés à des recherches académiques historiques alors que l’arabisation de la recherche historique universitaire tend à séparer les chercheurs arabophones des chercheurs francophones[183].
Rôle des mouvements féminins
Aux côtés des mouvements politiques et syndical, d’autres groupes issus de la société civile, comme les mouvements féministes, ont participé à leur manière à la constitution d’une identité nationale commune et à la mobilisation contre le protectorat.
Avec les changements socio-économiques et culturels intervenus dans le pays au début du XXe siècle, la question de la femme passe d’une question annexe à une partie intégrante du projet socio-politique de libération nationale, ce qui entraîne des débats au sein du mouvement national naissant[187]. En effet, l’émancipation de la femme est d’abord vue comme une assimilation à la culture de l’occupant[187]. En 1924, puis en 1929, les interventions publiques de Manoubia Ouertani et Habiba Menchari, qui manifestent leur refus du hijab et de la domination qui en découle[188], sont violemment critiquées par le Destour — qui parle de « complicité avec les forces destructrices de la religion et de l’identité tunisienne »[189] — même si elles constituent les premiers événements marquants de l’émergence du rôle des femmes dans le mouvement national.
L’intense activité politique, syndicale et associative des années 1930 contribue grandement à la prise de conscience de la société en général et des femmes en particulier. Trois tendances se distinguent : la gauche socialiste et communiste partisane d’une modernisation radicale de la société, les nationalistes luttant contre ce qu’ils considèrent comme certains archaïsmes et les conservateurs liés à la mosquée Zitouna et attachés au maintien de leur statut social[190]. Ces derniers sont paradoxalement les premiers à encourager, au nom de la sauvegarde de la culture islamique, la fondation de groupements féminins. Destinés à contrer l’influence occidentale sur la femme tunisienne, ils agissent par le biais d’actions d’émancipation en matière d’éducation et de solidarité sociale (bienfaisance)[191]. Ils participent ainsi à leur mesure à libérer le pays de la domination française. De ce fait, les initiatives individuelles font place à des organisations plus structurées. Celles-ci, dont l’Union musulmane des femmes de Tunisie de Bchira Ben Mrad fondée en 1936[192], attirent aussi bien des traditionalistes que des nationalistes partisanes d’une certaine évolution du statut de la femme[193].
Pour Mustapha Kraïem, c’est après les évènements du 9 avril 1938 et la répression du Néo-Destour qu’apparaît le « déploiement spectaculaire de l’activité des femmes tunisiennes »[194]. Alors que toute manifestation est réprimée par les autorités, les éléments féminins continuent de jouer un rôle essentiel dans la mobilisation populaire, comme à Tazerka le 11 avril 1938[194], et poursuivent la lutte dans la clandestinité, en se réunissant dans des hammams, des zaouïas ou des hôpitaux[194]. Le 3 janvier 1939, une manifestation organisée par le Néo-Destour voit l’arrestation de plusieurs manifestantes condamnées à des peines d’emprisonnement d’une durée de quinze jours à un mois[194].
Toutefois, la mise en place de cellules féminines officielles par le Néo-Destour n’intervient qu’en 1950[194]. Elles jouent dès lors un rôle de premier plan, comme en octobre 1951 où plus de 400 femmes manifestent avec leurs enfants devant la direction de l’instruction publique pour réclamer l’institution de l’arabe comme langue véhiculaire et protester contre la politique privant d’enseignement les filles scolarisables[194]. De même, le 15 janvier 1952, 700 à 800 personnes se réunissent à Béja sous l’impulsion de huit destouriennes de Tunis dont Wassila Ben Ammar, la future épouse de Bourguiba[194].
Visions d’une trajectoire nationale
Histoire d’une décolonisation
La philosophie du protectorat avait été d’institutionnaliser une inégalité entre deux États : le pays le plus avancé se voyait comme un tuteur et un guide. En échange de l’abandon d’une partie de sa souveraineté, le plus faible en attendait protection, assistance et développement. Sur ce point, tous les auteurs s’accordent à dire que, malgré une différence de terminologie, l’administration française est rapidement devenue aussi pesante que dans les autres colonies[120]. Pour Laurence Decock, malgré la connotation positive de ce mot, le « protectorat » n’a été qu’une forme de « bonne conscience justificative d’une véritable entreprise coloniale »[120].
Selon une idée communément admise, la décolonisation tunisienne n’a résulté que de négociations, sans affrontements armés, ou presque[120]. Cependant, même s’il n’y a pas eu de conflit équivalent à la guerre d'Algérie, les années 1952 et 1953 constituent une période de très vives tensions, marquée par une rigidité de la politique française et le recours fréquent aux armes de part et d’autre. L’idée d’une décolonisation sans violence doit donc être fortement nuancée car elle ne s’est imposée qu’après coup, à la lumière des violences en Algérie[120], même si l’indépendance n’a pas été la consécration d’une victoire sur le terrain militaire : les militants avaient rempli leur contrat en créant un climat d’insécurité générale pour les bénéficiaires du régime du protectorat[72]. Dans ce contexte, la résistance a été un mélange complexe de sentiment national et de réflexes tribaux, en particulier dans le sud du pays[120]. Les premiers fellagas semblent en effet avoir pris les armes spontanément et sans coordination avec le Néo-Destour. Par la suite, les relations avec le parti ont été assez houleuses puisque, tout en tirant profit de la résistance, le parti ne s’en est jamais réclamé[120]. Pragmatique et réaliste, la direction du parti savait que la guérilla était au service de son action politique ; son enracinement et l’autorité de ses dirigeants expliquent la discipline des chefs des groupes armés, qui ont déposé les armes dès l’engagement des pourparlers, et cela sur ordre de Bourguiba[72].
Mythologie étatique
Avec l’indépendance, une mémoire officielle de la décolonisation se met en place ainsi qu’une instrumentalisation de celle-ci : la libération du pays devient l’affaire d’un seul homme ayant su fédérer autour de lui les aspirations nationales[120]. Cette situation donne naissance à une liturgie politique centrée sur la mise en scène permanente de la lutte pour l’indépendance et de l’action du leader. Dans ses discours, Habib Bourguiba évoque systématiquement sa lutte passée, et la rhétorique de la décolonisation est partout présente : le peuple doit se mobiliser en permanence pour sortir la Tunisie du sous-développement, la libérer de ses archaïsmes et prouver qu’elle a mérité sa libération[120].
Durant sa présidence, toute décision est mesurée à l’aune d’une décolonisation « bourguibisée »[120] qui fait office de mythe fondateur du nouvel État-nation. De ce fait, tout ce qui est susceptible de contredire cette vision doit être étouffé : le pire ennemi à cet égard est Salah Ben Youssef, présenté comme le traître presque au sens religieux du terme[120], et qui reste encore assez malmené par l’historiographie officielle. L’écriture de l’histoire du mouvement national est alors habitée par le souci de construire une mémoire nationale[195]. La prise de conscience nationale n’existe qu’avec la mise en commun de cette histoire qui, selon Bourguiba, doit être enseignée dans les écoles[195]. Ces dernières sont donc l’un des principaux sujets de préoccupation du nouveau président[196] puisqu’elles permettent l’enseignement de l’histoire nationale et donc une « élévation intellectuelle » du peuple tunisien[195].
Mais, Michel Camau et Vincent Geisser font remarquer que « lorsque l’État se charge lui-même de cette lourde mission, le risque n’est jamais très loin de voir apparaître la reconstruction, la falsification, voire la manipulation historique »[195]. Alors que Bourguiba privilégie le mouvement national comme thème à enseigner, l’histoire tunisienne doit représenter une quête vers la souveraineté nationale[197]. À ses yeux, les historiens doivent poser deux questions fondamentales : comment la Tunisie est entrée dans une période de décadence et de crise et comment en est-elle sortie[197] ? Pour répondre à la première question, Bourguiba annonce, lors d’un discours tenu à Tunis le 15 août 1970, qu’« il faudrait non seulement consacrer des études à l’époque qui s’étend de 1864 à nos jours mais remonter jusqu’à celle de Jugurtha »[197]. L’histoire est « bourguibisée » comme en atteste un autre passage de ce même discours : « Ma vie tout entière n’est-elle pas une épopée exemplaire de nature à inspirer la conduite de la nation[197] ? » Il finit même en 1973 par s’improviser historien du mouvement national en participant à une série de conférences tenues entre décembre 1973 et septembre 1975[198]. Il fait aussi de sa vie un « prisme pour l’écriture de l’histoire de la décolonisation »[197] et les nombreuses commémorations le reflètent : 9 avril (événements de 1938 marquant un pas majeur vers l’indépendance), 1er juin (retour d’exil de Bourguiba) ou 18 janvier (date-anniversaire de son arrestation en 1952) qui sont toutes des mises en scène d’un passé mythifié et d’une communion nationale autour du chef[197].
Une véritable tyrannie de l’histoire et de la mémoire est mise en place et l’on pourrait citer d’autres lieux d’édification du sentiment national : le sport, le scoutisme, l’armée, etc[197]. Dans ce contexte, l’étude de Jean Duvignaud sur le village de Chebika analyse l’impact de ce discours sur la population[199]. Bien que la localité soit assez excentrée et ne représente certainement pas l’ensemble du pays, Duvignaud explique qu’à l’aube de l’indépendance, Bourguiba représente deux choses : un nom, « Si Habib », et une voix à la radio qui leur dit qu’une nouvelle période a commencé alors que la population locale ne voit rien arriver[199]. Dans les années 1960, l’école relaie la radio mais les élèves interrogés ne rêvent que de quitter leur ville en raison de la vie qui leur est promise et des réalités auxquels ils doivent faire face[200]. Ce déficit démocratique fait dire à Hélé Béji que « l’idéologie nationale est partie en guerre contre sa propre société »[201].
Besoins de réécriture
Avec sa prise de pouvoir, Zine el-Abidine Ben Ali se pose en libérateur d’une nation opprimée, même si ce rôle n’a pas le potentiel mobilisateur de celui de Bourguiba[120]. Il tente aussi d’agir sur la mémoire collective en prenant le contre-pied de son prédécesseur : il réussit à ne pas citer une seule fois le nom de Bourguiba dans certaines allocutions commémorant l’indépendance et met l’accent sur les efforts de l’ensemble des Tunisiens[120]. Contrairement à son prédécesseur, ses discours reviennent très rarement sur le passé en deçà du 7 novembre 1987[120].
Toutefois, cela ne signifie pas que l’histoire du mouvement national soit occultée car de plus en plus de chercheurs tunisiens s’intéressent à cette période, les champs d’investigation se sont élargis et une institution de recherche universitaire, l’Institut supérieur d'histoire du mouvement national (ISHMN), a vu le jour[120]. Dans les manuels scolaires, même s’il est impossible de supprimer toute référence à Bourguiba, la création du Néo-Destour n’est plus présentée comme une phase décisive, une rupture majeure, mais s’inscrit dans une logique de continuité[120]. Les paragraphes lyriques concernant la jeunesse et la personnalité de Bourguiba ont disparu, et Ben Youssef apparaît désormais comme « celui que les masses populaires accueillent chaleureusement ». Tout est donc fait pour relativiser voire minimiser le rôle de Bourguiba dans la libération nationale[120].
Beaucoup de places publiques et d’avenues, des établissements scolaires et des locaux divers portent le nom de figures du mouvement national. Pour Badreddine Ben Henda, le « devoir de mémoire à l’égard de ces héros est dans l’ensemble honoré » mais il met en avant le besoin de sensibiliser les jeunes générations à l’entretien de leur souvenir[202]. Car, si les jeunes étudient l’histoire du mouvement national à l’école et au lycée, la matière est « habituellement peu suivie » selon lui[202]. Abdelhamid Hélali, chercheur à l’ISHMN, reconnaît que « l’après Bourguiba a vu la réhabilitation d’un certain nombre de ces hommes » qui ont participé au mouvement national[202]. Mais, à ses yeux, l’espace urbain doit davantage « préserver des espaces pour les monuments à la gloire des patriotes disparus et des événements phares de notre histoire »[202]. Il regrette aussi que les médias tunisiens « ne se rappellent que très occasionnellement le mouvement national et ses hommes »[202].
Notes et références
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- ISBN 9782747546263). Jean-François Martin, Histoire de la Tunisie contemporaine. De Ferry à Bourguiba. 1881-1956, éd. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 20 (
- Jean-François Martin, op. cit., p. 21
- ISBN 9004045686) G. S. van Krieken, Khayr al-Dîn et la Tunisie, 1850-1881, éd. Brill, Leyde, 1976, p. 146 (
- Noura Borsali, « Tricentenaire de la dynastie husseinite (15 juillet 1705 - 25 juillet 1957) : les beys de Tunis à l’épreuve du temps et de l’histoire », Réalités, 27 mai 2008
- ISBN 2707120146) Yves Lacoste et Camille Lacoste-Dujardin [sous la dir. de], L’état du Maghreb, éd. La Découverte, Paris, 1991, p. 54 (
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- Collectif, op. cit., p. 707
- (fr) Philippe Conrad, « Le Maghreb sous domination française (1830-1962) », Clio, janvier 2003
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- (en) Article sur la Tunisie (The Columbia Encyclopedia)
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Lien externe
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