Histoire de l'Argentine

Histoire de l'Argentine

L’histoire de l’Argentine commence bien avant l’installation des Espagnols. Longtemps colonie espagnole, elle finit par obtenir son indépendance au XIXe siècle. Elle est aujourd’hui profondément marquée par la dictature militaire de 1976-1983.

Sommaire

La préhistoire - les premières populations humaines

Photo prise dans la « Cueva de las Manos » ou grotte des mains, Río Pinturas, Santa Cruz, Argentine, 7 300 av. J.-C.


Les premiers êtres humains à pénétrer en Argentine semblent y être parvenus par l'extrême sud de la Patagonie chilienne. Les témoignages les plus anciens sont rassemblés au musée lapidaire de la province de Santa Cruz et remontent au XIe millénaire av. J.-C.
D'autres établissements furent relevés à Los Toldos, également en province de Santa Cruz avec des vestiges datant du Xe millénaire av. J.-C.

Ces premiers habitants chassaient les milodons[1] (animaux semblables à de grands ours, mais avec une tête ressemblant à celle d'un camélidé, aujourd'hui disparus) et les hippidions[2] (chevaux sud-américains disparus eux aussi, il y a 10 000 ans), en plus des guanacos, lamas et nandous.

Près de là, il est possible de voir les peintures de mains et de guanacos dessinés vers 13 000 ans, pour le groupe « stylistique A », le niveau culturel le plus ancien, puis vers 7 300 av. J.-C. pour le second niveau culturel, groupe « stylistique B », sur les parois de la Cueva de las Manos (Río Pinturas, Santa Cruz, déclarés patrimoine culturel de l'Humanité par l'UNESCO).

On pense que le peuplement de la Pampa avait déjà débuté dès le IXe millénaire av. J.-C., tandis que le nord-ouest argentin reçut ses premiers habitants vers le début du VIIe millénaire av. J.-C.

Civilisations et cultures précolombiennes

Les peuples aborigènes argentins se sont divisés en deux grands groupes, d'une part les chasseurs-cueilleurs nomades qui habitèrent la Patagonie, la Pampa et le Chaco, et d'autre part les agriculteurs sédentaires, installés dans le nord-ouest, le Cuyo, les Sierras de Córdoba et plus tardivement, en Mésopotamie.

Cultures andines de l’ouest et du nord-ouest

Culture d'Ansilta. Une des premières cultures à avoir développé une forme d'agriculture primitive sur le territoire argentin actuel fut la Culture d'Ansilta, située aux abords de Mendoza, San Juan et San Luis. Mal connue, cette surprenante culture va de 1 800 av. J.-C. jusqu'à 500 apr. J.-C., soit plus de 2 000 ans, ce qui est un cas unique de continuité. Sans doute s'agit-il des prédécesseurs des ethnies Huarpes.

Culture Condorhuasi. Cette culture apparaît en 200 av. J.-C. dans la province de Catamarca. Il s'agit d'une culture d'éleveurs de lamas et de pasteurs pour qui l'agriculture ne fut qu'un complément. Ils avaient une religion cruelle et violente dans laquelle les chamans utilisaient des hallucinogènes tels que le Anadenanthera colubrina (aussi appelé cebil) et réalisaient des sacrifices humains. Grands forgerons, ils furent les premiers à utiliser des alliages métalliques. Leurs sculptures anthropomorphes font l'objet d'études approfondies : dénommées les suplicantes (les suppliants), ce sont de belles sculptures abstraites en pierre qui représentent des êtres humains en position de supplication, appelant sans doute la pluie et la fertilité. Cette culture disparut entre le IIIe siècle et la fin du Ve siècle.

Culture Tafí (de -200 à 800). Contemporaine de la Culture de la Ciénaga, elle apparaît dans la vallée de Tafí, sur l'actuel territoire de Tucumán. Il s'agit d'agriculteurs qui cultivaient notamment le maïs, sur des terrasses. Ils domestiquaient aussi le lama.

Culture de la Ciénaga (1-600). C'est au Ier siècle qu'apparaît sur le sol argentin la première société totalement agricole, la Culture de la Ciénaga, également dans la région de Catamarca. Il s'y développe des plantations de maïs et des systèmes d'irrigation avec canaux. Ils élevaient aussi des lamas, qu'ils utilisaient en caravanes pour réaliser des échanges entre différentes localités. Ils construisirent de petites localités de 30 habitations au plus. Ils furent des précurseurs directs de la Culture de la Aguada.

La papa ou pomme de terre, inventée par les cultures sud-américaines

Culture de la Aguada. Entre les IVe siècle et Xe siècle la Culture de la Aguada se développe sur le territoire des provinces de Catamarca et La Rioja. C'est la plus andine des cultures du nord-ouest argentin, fortement liée à la culture de Tiwanaku. La Aguada se caractérisa par un fort développement artistique autour de la représentation du jaguar. Il semble que ce soit à ce moment que se développe une nouvelle forme politique dans les cultures du nord-ouest : celle des Seigneuries, au pouvoir d'un seigneur, qui dominait une certaine région et contrôlait les excédents de production agricole. Parmi les représentations artistiques, on remarque celle du sacrificateur.

L'économie de cette culture était basée sur une agriculture en terrasses irriguées par des systèmes hydrauliques complexes. Ils produisaient du maïs, des haricots, des potirons et des arachides. Ils faisaient commerce de leurs produits avec des endroits très éloignés San Pedro de Atacama ou vallée de Copiapó au Chili, de l'autre côté des Andes, utilisant les lamas pour ce faire. La métallurgie était très avancée et ils découvrirent le bronze avant l'arrivée des espagnols.

Vers 900, La Aguada disparut. Son héritage va se retrouver dans la culture Belén et la culture de Santa María.

Urne funéraire santamarienne (56cm x 32 cm.)

Culture de Santa María (1200-1470). Grâce à ses cultures en terrasses et systèmes d'irrigation très complexes, Santa María réussit à avoir une forte population et à accumuler des excédents emmagasinés dans des silos souterrains. Ils cultivèrent le maïs, la pomme de terre (appelée papa), le haricot, la quinoa, le piment et les courges, et cueillirent intensivement les fruits du caroubier créole ou algarroba et du chañar. Grands experts en élevage, ils utilisèrent le fourrage. Ils développèrent le commerce à grande distance, avec des caravanes de lamas. Ils développèrent la métallurgie du cuivre, de l'argent et de l'or et fabriquèrent des articles en bronze d'excellente qualité. La culture de Santa María se caractérise par une grande complexité sociopolitique, avec au sommet de la hiérarchie un seigneur dont les pouvoirs étaient héréditaires, des guerriers et des chamans. Cette culture correspond en grande partie avec l'ethnie Paziocas connue sous sa dénomination quechua de Diaguitas.

L'invasion inca (1400-1520). La formation du Tucumán : un siècle avant l'arrivée des espagnols, le nord-ouest argentin comptait une grande variété de peuples sédentaires avec leurs caractéristiques propres, et parmi eux, les Paziocas, les Alpatamas, les Omaguacas, et les Huarpes. Au XVe siècle ce territoire fut envahi et annexé par les Quechuas à la zone méridionale du Kollasuyu ou Collasuyu ou Qullasuyu (Étant donné l'éloignement de ces régions par rapport à Cuzco, l'ensemble formait un territoire spécial du Tahuantinsuyu connu comme étant « Le Tucumán » et le « Kiri-Kiri »).

Les Cultures andines indépendantes (1400-1520) : hors du Tahuantinsuyu ou Tawantinsuyu se maintinrent quelques populations sédentaires indépendantes, par exemple les Lule-Toconoté (en guerre contre les Quechuas, et appelés péjorativement par ceux-ci « surís » ou « nandous »), les Sanavirón dans la zone des provinces de Tucumán, ouest de Santiago del Estero et nord de Córdoba, ainsi que les Comechingons dans les sierras de Córdoba et de San Luis.

Cultures de la Mésopotamie

Les Guaranís : en provenance d'Amazonie, les Guaranís, s'étaient installés assez récemment en Mésopotamie. Ils faisaient partie du groupe culturel dit des Tupí-guaraní.

Les Guaranís cultivaient le yuca, ou manioc, entre autres plantes

Les Avás (mieux connus comme « Guaranís ») s'établirent en territoire argentin entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe, avançant depuis le nord-est principalement par les cours d'eau. Ils se subdivisèrent en divers groupes en fonction de l'endroit où ils s'implantaient. On distingue les Guaranís des îles (dans les îles du delta du Paraná), ceux du Carcarañá, de Santa Ana (nord de la province de Corrientes, les Cáingangs ou Cainguás (en Mésopotamie) et les Chiriguanos (au Chaco).

Ils vivaient dans des villages (tekuas) qui constituaient de vraies unités tribales économiquement indépendantes. Chaque village guaraní était dirigé par un chef politique, le Mburuvichá, et un chef religieux le Payé. L'organisation sociale était chapeautée par un cacique (Tuvichá) héréditaire.

Ils conduisaient des canoës. Ils étaient très bons chasseurs en forêt, cueilleurs, pêcheurs et aussi agriculteurs. Ils cultivaient le manioc (mandi'ó), la pomme de terre (jetý), le potiron (andai), les courges (kurapepê), le maïs (avatí), les haricots (kumandá), le coton (mandyju) et le yerba mate (ka'á).

Les Guaranís firent irruption avec une grande brutalité dans le bassin du río de la Plata, créant une situation de guerre permanente avec les peuples aborigènes non Guaranís qui habitaient la région. Ils pratiquaient le cannibalisme des guerriers prisonniers.

Leur stratégie guerrière se fondait sur un système d'attaques massives. Peu avant l'attaque, ils faisaient tomber sur leurs adversaires une pluie de flèches et de pierres. Ensuite venait l'affrontement direct avec des lances, des macanas et des gourdins (garrotes).

Cultures du Gran Chaco

Dans la partie nord du Gran Chaco on distingue cinq cultures ou familles linguistiques, à savoir les cultures « Guaycurú », « Mataco-macá », « Tupí-guaraní », « Arawak » et « Lule-vilela ».

À la culture Guaycurú appartiennent les Tobas ou Qom'lek, les Pilagás, les Mocovís et les Abipones. Ils étaient de très habiles guerriers et, après l'arrivée des Espagnols, ils adoptèrent le cheval et résistèrent à la colonisation. Les Espagnols les appelaient frentones (surtout les Qom'lek) parce qu'ils s'épilaient le front. Ils occupaient l'est et le sud de la région du Chaco.

La culture Mataco-Macá comprenait les Wichís (ou « Matacos »), les Chulupís et les Chorotes. Ils occupaient la zone ouest du Chaco.

Les Chiriguanos appartenaient à la culture Tupí-guaraní. Ils s'installèrent à l'ouest de la région. Dans la même zone se retrouvaient les Chanés de la culture Arawak.

Enfin, au nord-ouest du Chaco se trouvaient les Vilelas (culture Lule-Vilela), disparus depuis lors.

Cultures de la pampa et de la Patagonie

En région pampéenne et patagonique, on distingue les Hets (« anciens pampas » ou « querandís »), les Tehuelches (ou Tsonek) et les Mapuches - ces derniers contrôlèrent le nord de la Patagonie jusqu'à la fin du XIXe siècle. Les études anthropologiques des groupes de chasseurs et de cueilleurs considérés traditionnellement comme plus simples que les peuples agriculteurs, ont mis en évidence la complexité atteinte par ces cultures d'un haut degré de symbolisme, comme les Selknams, les Mánekenks ou Haush, les Yagans, les Alakalufs ou Kaweskars, de la Terre de Feu et du détroit de Magellan.

Arrivée des Européens et colonisation

Amerigo Vespucci fut le premier Européen à s'approcher des côtes argentines en 1502. En 1516, Juan Diaz de Solís, un navigateur espagnol visita le territoire qui deviendra l'Argentine. L'Espagne inclura l'Argentine dans la vice-royauté du Pérou.

Une conquête lente et difficile

Monument à Juan de Garay, fondateur de la ville, à Buenos Aires

A l'inverse de ce qu'ils firent au Pérou et en Bolivie, les Espagnols ne soumirent jamais totalement les principaux peuples amérindiens qui occupaient le territoire actuel de l'Argentine. La présence espagnole se limitait d'ailleurs au départ à de petits noyaux, essentiellement le long de la route importante dite Camino Real, destinée au début à drainer les richesses minières du Haut-Pérou (Bolivie actuelle) vers le Río de la Plata. Là fut construite, en 1536 une colonie appelée Buenos Aires. Abandonnée à cause d'un blocus et de raids sanglants des Indiens Didiuhet, elle fut fondée à nouveau en 1580. Cette année-là, venu d'Asunción au Paraguay actuel, Juan de Garay refonda la ville qu'il appela Ciudad de Trinidad y Puerto de Santa María del Buen Ayre, et qui avec le temps sera connue plus simplement sous son nom actuel.

Du nord au sud les villes espagnoles principales furent créées progressivement, le long de cet axe. Ce sont principalement Santiago del Estero (1553), San Miguel de Tucumán (1565), Córdoba (1573), Salta (1582), San Salvador de Jujuy (1593) et Buenos Aires (1536 et 1580) (cf. ci dessus).

Autre axe économique important, la voie fluviale du Paraguay-Paraná constituait une excellente route de pénétration vers le centre de l'Amérique du Sud et ses richesses. Ainsi furent fondées Sancti Spíritu (1523), Asunción (1537), Santa Fe (1573) et Corrientes (1588).

Quelques régions furent cependant facilement conquises et rapidement assimilées, ce qui assura une domination aux espagnols sans problème. C'est le cas de la région du Cuyo. Dès 1561 la ville de Mendoza y fut fondée, suivie de San Juan en 1562, et de San Luis en 1594. Cette région était habitée par les Huarpes, pacifiques Indiens, exploités sans scrupule au début (travail dans les mines du Chili), mais qui se métissèrent rapidement. La paix s'installa rapidement.

La colonisation se poursuivit de manière très progressive. La dernière ville argentine à être construite fut San Fernando del Valle de Catamarca (1683).

Contre-attaques calchaquíes

Mais les conquérants n'avaient pas réussi à pénétrer les vallées calchaquíes, où s'étaient réfugiés plusieurs peuples qui menèrent la vie dure aux envahisseurs. La population espagnole restait faible au sein de ces provinces et de graves contre-attaques et révoltes indiennes firent de terribles dégâts. En 1630 éclata la première grande rébellion calchaquíe, sous le commandement du cacique Chalemín, et dura jusqu'en 1643, guerre intense avec incendie de La Rioja et destruction de Londres (près de Córdoba). La seconde rébellion, menée par un andalou – Pedro Chamijo – qui se faisait passer pour un descendant d'Inca, fut longue et cruelle.
Les Espagnols dirigés par Mercado et Villacorta défirent l'Andalou puis décimèrent les tribus. La dernière, celle des Quilmes, fut battue en 1665. Les survivants furent déportés près de Buenos Aires, là où se dresse aujourd'hui la grande cité de Quilmes.

Les Guaranís et les missions jésuites

Article détaillé : Mission jésuite du Paraguay.

Au XVe siècle les karaí, prophètes guaranís acceptés dans toutes les communautés guaraníes, parcouraient les villages ou tekuas prêchant le message de l'arrivée de profonds changements. Or ces villages s'affrontaient entre eux dans une permanente recherche de l'État de Aguyé, et pratiquaient le cannibalisme entre eux. Ces karaí ne faisaient partie d'aucun village ou tekua en particulier, mais étaient panguaranís. Leur message était donc unificateur.

Cent ans plus tard, avec l'invasion espagnole, arrivent les jésuites dont le message chrétien rivalise directement avec celui des karaí. Bien qu'étrangers ils amènent aussi un message unificateur. Surtout, ce qui jouera un rôle très important, les guaranís qui acceptent de vivre avec eux sont automatiquement protégés par les lois du puissant roi d'Espagne.

En effet, en 1556 les Espagnols avaient introduit dans ces régions le système de l'encomienda, par lequel chaque encomandero s'engageait à évangéliser et à sortir de la barbarie un certain nombre d'Indiens qui en retour devaient se mettre à son service. C'était un système d'asservissement impitoyable. De ce fait les rapports d'abord amicaux entre les Européens et les Indiens se modifièrent. Les révoltes se multiplièrent et atteignirent une grande violence en 1580, rendant la région ingouvernable. Pour sortir de ce bourbier, les Espagnols firent appel en 1585 aux Jésuites.

Ceux-ci proposèrent de payer directement au roi un tribut proportionnel au nombre d'Indiens mâles, retirant ainsi les Indiens du contrôle de l'empire pour les placer directement sous le leur. Enfin en 1608, le roi Philippe III d'Espagne donna pouvoir aux jésuites de convertir et coloniser les tribus de Guayrá.

Simultanément, l'expansion constante du front hispano-portugais, et la menace réelle d'esclavage que cela représentait, amena un grand débat interne chez les chefs guaranís entre les partisans de l'alliance jésuitique (de façon à obtenir la protection de la couronne) et les « durs » qui préféraient l'affrontement.

Après de longs débats, la politique d'alliance des dirigeants politiques guaranís avec les jésuites devint bientôt consensuelle et généralisée. Elle obéissait à une stratégie globale, dans le but de limiter la montée des périls, les guaranís se trouvant pris entre les gros propriétaires espagnols désireux de se fournir de la main d'œuvre gratuite d'un côté et les bandeirantes portugais pillards et marchands d'esclaves de l'autre. À noter qu'il existe de nombreuses sources de témoins présents lors de ces débats internes des leaders guaranís. Notamment le « Jardín de Flores paracuaria » du Padre Tadeo Xavier Hednis de la Société de Jésus.

Ce sont donc les jésuites qui furent en réalité utilisés par les Guaranís, afin de maintenir leur modèle ou mode de vie. Le modèle politique guaraní était prêt à être occupé par les jésuites. Ainsi s'explique la rapide conclusion de cette alliance et le développement des Misiones. Les Réductions jésuites n'étaient rien d'autre que des tekuas ou villages traditionnels qui avaient obtenu la protection de la couronne, pénétrant ainsi non seulement dans le domaine légal espagnol, mais aussi dans une série d'échanges économiques et culturels qui se maintinrent pendant deux siècles .

Des indigènes restés non soumis

La Pampa et la Patagonie, constituaient une vaste zone peuplée d'aborigènes totalement libres, qui ne put jamais être conquise par les Espagnols et qui depuis le XVIIe siècle s'unifia progressivement sous la culture mapuche. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle, plus de 300 ans après la conquête espagnole du Pérou, que l'Argentine (comme le Chili d'ailleurs), arriva à occuper la région grâce à une guerre contre les Mapuches.

Carte de la Vice-royauté du Río de la Plata (fin du XVIIIe siècle). En vert clair : les régions non soumises par les Espagnols. Buenos Aires est en fait une ville toute proche des territoires indigènes.

À l'arrivée des Européens, le sud du continent américain, la région pampéenne comme la Patagonie, était peuplée par les Indiens Pampas, les Tehuelches (Patagons) en Patagonie orientale et les Mapuches en Patagonie occidentale. La Terre de Feu était peuplée par un rameau des Tehuelches, les Selknams (ou Onas), par les Yagans ou Yamanas et par les Alakalufs ou Kaweskars.

Peu après le débarquement des conquistadors sur les rives du Río de la Plata et la fondation de Buenos Aires au XVIe siècle, les premiers affrontements se produisirent entre Espagnols et aborigènes, les Pampas (ou Hets ou Querandis), appelés plus tard Ranquels au XVIIIe siècle.

À partir du XVIIe siècle, quelques bovins abandonnés par les Espagnols en région pampéenne proliférèrent naturellement, formant de vastes troupeaux redevenus sauvages. Les Espagnols comme les indigènes Pampas et Mapuches, commencèrent à les chasser ce qui amena des affrontements entre les deux groupes. Les Espagnols construisirent des lignes de fortins entourant Buenos Aires et Córdoba, afin de délimiter leur zone exclusive de chasse appelées vaquerías. Les Pampas considéraient que les Espagnols avaient usurpé leurs terres en les envahissant, et durant des siècles attaquèrent leurs établissements par une tactique d'attaque en masse appelée malones, utilisant des chevaux, de longues lances et des boleadoras (système composé de plusieurs lanières lestées de gros cailloux destiné à immobiliser les pattes des chevaux).

En même temps, la capitainerie du Chili procédait à des attaques systématiques contre les Mapuches appelés aussi Araucans (Guerre d'Arauco).

Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles les Mapuches imposèrent leur culture et assimilèrent les peuples indigènes qui habitaient la Pampa et la Patagonie. Cependant dès la fin du XVIIIe siècle les Espagnols progressèrent lentement sur le territoire ranquel. La frontière entre les deux civilisations se situa alors sur le río Salado, qui divise la pampa orientale en deux en son centre. Cependant certains indigènes acceptèrent de travailler dans les estancias (grandes fermes-domaines) espagnoles, se métissant avec les Européens. L'origine des gauchos est liée à ce processus de métissage.

De même, dans le nord du territoire de l'Argentine actuelle, les tribus peuplant la région du Gran Chaco restèrent libres face aux colonisateurs, et cela dura aussi jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Carte de la Vice-royauté du Río de la Plata (fin du XVIIIe siècle). Elle comprend 8 Intendances et 4 Gouvernements (Moxos, Chiquitos, Banda Oriental et Misiones). En pointillé : la frontière avec les territoires indigènes non soumis.

Vice-royauté du Río de la Plata

En 1680, les Portugais venus du Brésil tout proche avaient fondé au nord du Río de la Plata, face à Buenos Aires, sous le nom de Colonia del Sacramento un établissement, qui menaçait gravement les intérêts espagnols. Ceux-ci avaient attaqué et pris cette ville à plusieurs reprises, mais chaque fois, grâce à un traité international, les Portugais avaient récupéré la ville.

C'est finalement en 1776 que le roi Charles III s'avisa de la solution du problème et de ce qu'il fallait faire pour chasser les Portugais du Río de la Plata. Il prit la décision d'instituer la vice-royauté du Río de la Plata. Presque immédiatement, le nouveau vice-roi Pedro de Cevallos organisa une puissante armée et la mena contre les Portugais. Il avait ajouté à cette armée des contingents de Guaranís, habitués à se battre contre les Portugais. Cevallos prit Colonia en 1777 et la détruisit totalement, allant symboliquement jusqu'à semer du sel sur ses ruines. La ville fut cependant occupée à nouveau par les Portugais puis par les Brésiliens quelques décennies plus tard.

La création de la vice-royauté du Río de la Plata apporta beaucoup à Buenos Aires, où en peu d'années s'installèrent toute l'administration bureaucratique viceroyale, la douane, le Consulado (1794), l'Audiencia (1785), l'Académie navale, et des écoles. On commença à éditer des journaux, activité difficile à cause de la censure du vice-roi.

La population de la ville s'accrut de 9.568 en 1744 à 32.069 habitants en 1778, puis à plus de 40.000 en 1797 et à presque 100.000 en 1810, chiffre très important pour l'époque et constituant près du tiers de la population totale de l'Argentine espagnole d'alors.

Les invasions britanniques

John Whitelocke qui envahit Buenos Aires en 1807

Avec l'entrée en guerre de l'Espagne du côté napoléonien, le Royaume-Uni commença à faire des plans pour améliorer son influence dans les colonies espagnoles. En 1806, après avoir pris la colonie hollandaise du cap de Bonne Espérance, la flotte britannique cingla vers le Río de la Plata, apparemment sur initiative propre. La flotte ne tarda pas à prendre Montevideo, puis se dirigea vers Buenos Aires.

Le vice-roi Rafael de Sobremonte, spéculait que les Britanniques ne se risqueraient pas à se lancer sur la capitale de la vice-royauté, et décida d'affecter la majorité des troupes de la ville à traverser le río de la Plata pour reprendre Montevideo. Lorsqu'on lui annonça le débarquement des Britanniques, il abandonna la ville pour se réfugier à Córdoba, muni des précieuses rentes de la vice-royauté, prêtes à être expédiées en Espagne, avec l'intention d'organiser une armée pour reconquérir sa capitale.

En juin 1806 les Britanniques sous le commandement de William Carr Beresford prirent Buenos Aires, bien reçus par les partisans de l'indépendance. Mais ceux-ci durent vite déchanter en comprenant que les envahisseurs désiraient convertir la région de la Plata en une colonie britannique, et s'unirent à ceux qui voulaient résister. Jacques de Liniers, marin français né à Niort, commandant du port de Ensenada, traversa le fleuve pour la Bande Orientale où il organisa une armée à destination de Buenos Aires. En chemin des milliers de volontaires enthousiastes se joignirent aux troupes. Une bataille de rue s'engagea et les Britanniques, bientôt encerclés dans la citadelle de la ville durent capituler. Revenue dans la cité, l'Audience, tribunal suprême, décida d'assumer le pouvoir civil et de confier la capitainerie générale à Liniers. Prudemment le vice-roi se retira à Montevideo.

En 1807 les Britanniques revinrent envahir le pays, mais cette fois officiellement et avec une puissante armée de 11.000 soldats sous les ordres du général John Whitelocke. Au départ, celui-ci et sa flotte avaient pour mission de s'emparer du Chili et de renforcer les troupes qu'ils croyaient toujours maîtresses de Buenos Aires. Mis au courant de la capitulation de ces dernières, Whitelocke décida de reprendre la cité. Ils reprirent Montevideo, débarquèrent à Buenos Aires et pénétrèrent dans la capitale, confiants dans leur suprématie face à des forces hispano-argentines très inférieures. Mais très vite ils se heurtèrent à une résistance acharnée des habitants qui les arrosaient d'eau et d'huile bouillante et les mirent finalement en déroute. Le général John Whitelocke fut acculé à la capitulation générale, et le Royaume-Uni subit là une défaite particulièrement humiliante.

Suite à cette franche victoire, un jugement destitua Sobremonte de sa charge de vice-roi et l'envoya en Espagne pour y être jugé. Liniers fut alors nommé vice-roi par intérim, décision ratifiée plus tard par le roi.

Naissance de la Nation

Les Invasions anglaises sont très importantes dans l'histoire de l'Argentine, car elles sont le prélude à l'indépendance. Elles ont démontré la capacité du peuple à l'autodéfense, grâce à des milices civiles, et révélé que les Argentins étaient désormais en mesure de déterminer seuls leur propre destin.

Révolution de mai et indépendance

Monument à San Martín
Article détaillé : Révolution de Mai.

Les nouvelles de la Révolution française avaient fait germer les idées libérales en Amérique latine. Le pays débuta son processus d'affranchissement de l'Espagne le 25 mai 1810, lors de l'épisode appelé Revolución de Mayo ou Révolution de mai, en s'engageant dans des hostilités contre les Espagnols et leurs partisans (les royalistes) ; mais certaines régions du Río de la Plata, craignant la domination de la riche et puissante Buenos Aires, étaient autant intéressées par leur indépendance face à la capitale que par leur affranchissement de l'Espagne. En 1811, le Paraguay produisit sa propre déclaration d'indépendance.

En 1812, les batailles victorieuses que Manuel Belgrano livra à Tucumán et Salta, assurèrent le succès de l'indépendance. Si bien que José Gervasio Artigas réunit un premier Congrès de l'Indépendance argentine à Arroyo de la China (actuelle Concepción del Uruguay) en mars et avril 1815. Les campagnes militaires conduites par José de San Martín et Simón Bolívar entre 1814 et 1817 augmentèrent les espoirs d'indépendance face à l'Espagne, qui fut finalement proclamée à Tucumán le 9 juillet 1816. Le désordre régnait dans les provinces. En 1820, José de San Martín prépara une armée destinée à libérer le Chili et le Pérou, objectif qui fut brillamment atteint, et en 1822 eut lieu la réunion historique de San Martin avec Simón Bolívar à Guayaquil.

Le congrès de Tucumán

Le congrès national se réunit donc à Tucumán et débuta ses sessions le 24 mars 1816. Presque toutes les provinces y participèrent. Il procéda à l'élection d'un Directeur Suprême capable de maintenir l'ordre et d'établir l'autorité centrale. Il fallait un homme qui soit appuyé tant par Buenos Aires que par les provinces de l'intérieur. On élit pour cela Juan Martín de Pueyrredón qui était apprécié de tous. Un autre objectif important était de consolider l'unité nationale du pays. On décida donc l'intervention de l'armée là où se manifestaient des mouvements localistes.

Finalement, la Déclaration d'Indépendance face aux rois d'Espagne et à la métropole, fut votée publiquement le 9 juillet 1816.

Deux positions s'affrontaient dans toute l'Amérique espagnole concernant l'administration des territoires libérés : la position américaniste et la position localiste.

La position américaniste proposait l'union des peuples d'Amérique hispanique. Il fallait unir les forces afin de terminer les guerres d'indépendance et organiser un système stable qui garantisse l'union. La position localiste défendait l'autonomie des régions, craignant qu'une union qui regrouperait tant de pays et de terres retarderait la récupération de la prospérité locale. Ils redoutaient surtout de perdre du pouvoir avec cette intégration. Bernardino Rivadavia était un des principaux représentant des localistes.

Le problème de la forme de gouvernement se posait aussi. Parmi les différentes options, un groupe de partisans de la monarchie constitutionnelle s'était constitué, considérant que ce système stable garantirait l'ordre et les droits de l'homme. Belgrano proposa une monarchie ayant à sa tête un descendant d'Inca. Ce projet fut bien reçu par les représentants du Haut Pérou et des villes du nord. Il avait l'appui de José de San Martín et de Güemes. Mais les hommes de Buenos Aires s'y opposèrent, craignant d'y perdre leur position hégémonique. Ils proposèrent d'offrir la couronne à un prince européen. Tandis que Tomas de Anchorena, député de Buenos Aires, défendait une république fédérale.

Au début de 1817, le congrès se transféra dans la capitale et remit la résolution de ce problème à plus tard, les idées monarchistes perdurèrent au sein du congrès.

Le Directoire de Pueyrredón (1816-1819)

L'objectif principal du Directeur suprême Pueyrredón fut la réalisation de l'expédition libératrice au Chili et au Pérou, en accord avec San Martín, afin de terminer la Guerre d'Indépendance. Il mit au point la création de l'Armée des Andes, nomma San Martín général en chef et ordonna l'exécution de la campagne libératrice. Mais le financement de la campagne du Pérou nécessita une hausse des impôts douaniers.

Il fut durement critiqué par les fédéralistes qui l'accusaient de complicité avec les Portugais en tolérant l'invasion de la Banda Oriental (actuel Uruguay). Le Portugal avait déjà perpétré une première invasion en 1811-1812. La seconde agression eut lieu en 1816-1820, et les Portugais réussirent à annexer la province sous le nom de Province Cisplatine. Finalement Pueyrredón imposa son autorité, en exilant les principaux chefs du parti fédéraliste de la capitale. À l'intérieur, il étouffa les mouvements fédéralistes avec les interventions de l'armée du nord.

Pour la défense de Pueyrredón, il faut souligner que lorsqu'il arriva au pouvoir, l'invasion portugaise de la Banda Oriental avait déjà débuté. Le congrès prit une position neutre que le directeur suprême ne partageait pas. Cependant le manque de ressources l'empêcha de prendre des mesures militaires, et il dut se contenter d'exiger que les Portugais ne dépassent pas la ligne du fleuve Uruguay. Cette politique perçue comme « tolérante » face aux agresseurs augmenta le ressentiment des habitants de la province de Litoral.

La guerre civile

Les luttes intestines se succédèrent en Argentine pendant plus de 40 ans. Les caudillos provinciaux ont dominé l'histoire et la politique de la première moitié du XIXe siècle. Petits chefs locaux, seigneurs de la guerre, ils géraient leur province avec leur armée propre. Ils avaient des griefs les uns contre les autres qui nourrissaient des haines et des combats parfois féroces. Les uns se rangeaient sous la bannière de l'unitarisme, d'autres plus fréquemment sous celle du fédéralisme.

La majorité d'entre eux n'étaient pas des militaires, mais des civils. Certains, comme Juan Manuel de Rosas et Justo José de Urquiza, possédaient de grandes haciendas et avaient donc un important pouvoir économique. Dans l'histoire de l'Argentine le caudillo est un personnage traditionaliste, totalement opposé au porteño ou habitant de Buenos Aires, et lié à la cause fédéraliste qui représentait son intérêt personnel. Les caudillos s'opposaient au centralisme de la métropole platéenne de Buenos Aires, ainsi qu'à la modernité. On les a appelés barbares. Ils détestaient Buenos Aires qui concentrait le pouvoir, celui-ci émanant de la possession du port et des bénéfices douaniers qui n'avaient jamais été utilisés au bénéfice des provinces de l'intérieur. Dans l'histoire du pays, il y eut beaucoup de caudillos. Le nom de certains d'entre eux mérite d'être retenu. Citons :

Rosas et le rosisme (1829-1852)

Juan Manuel de Rosas, gouverneur de la province Buenos Aires

En 1826, le congrès nomma Bernardino Rivadavia premier président constitutionnel du pays. Le fait de céder l'Uruguay actuel au Brésil provoqua la démission de Rivadavia. Manuel Dorrego reprit la charge, partisan des autonomies provinciales. Il liquida le conflit avec le Brésil en reconnaissant l'indépendance de la Banda Oriental. Les unitaires soulevés par Juan Lavalle fusillèrent Dorrego, ce qui ralluma la guerre civile entre unitaires et fédéralistes.

La Bolivie se déclara indépendante en 1825, de même que l'Uruguay en 1828. La figure dominante à cette époque devint Juan Manuel de Rosas, vu par beaucoup comme un tyran. Rosas gouverna la province de Buenos Aires et représenta les intérêts de l'Argentine à l'étranger de 1829 à 1852, sans qu'il n'y ait eu de gouvernement central pour l'ensemble du pays. Il fut qualifié d'impérialiste argentin en raison de son opposition à d'autres tyrans, amis d'empires étrangers. Dans sa politique il n'accepta jamais la désagrégation du Río de la Plata comme définitive, mais luttait au contraire pour que ces évènements menaçants ne s'aggravent pas et avec l'espoir que les factions argentines comprendraient bientôt que l'unification était l'intérêt commun. Il fut avant tout stigmatisé comme tyran par ceux qui étaient à la solde d'intérêts étrangers, ainsi que par les victimes de sa « parapolice » implacable, la Mazorca, dirigée par sa propre épouse. D'un autre point de vue, sous Rosas, il n'y avait pas de liberté de presse, ni de parole, ni de pensée et un système d'éducation brillait par son absence. Par exemple : Domingo Faustino Sarmiento dut s'exilier au Chili à plusieurs reprises sous les menaces de mort émises par le gouvernement de Rosas à cause de ses écrits mettant de l'avant des idées « modernes, progressistes et européennes» (voir son ouvrage intitulé « Facundo ») telles que l'école gratuite, laïque et obligatoire pour tous.

Pendant cette période l'Argentine était peuplée d'indigènes, ainsi que d'immigrés espagnols et de leurs descendants, les créoles. Certains de ces derniers étaient concentrés dans les villes, mais d'autres vivaient dans les pampas comme gauchos. L'économie rurale de ces derniers se basait presque exclusivement sur l'élevage de bétail. Cependant les attaques indigènes ou « malones » continuaient et menaçaient les frontières, surtout à l'ouest. On peut dire que l'Argentine avait acquis l'indépendance de l'Espagne, mais que la conquête espagnole de l'Argentine n'était toujours pas terminée.

Durant son long gouvernement, Rosas avait réussi à se faire beaucoup d'ennemis à l'intérieur. Pas seulement des unitaires bourgeois réfugiés à Montevideo, mais aussi d'autres caudillos et ce, même s'ils défendaient une position fédéraliste et qu'ils n'étaient pas d'accord avec le monopole du port que Buenos Aires continuait à posséder.

Ce monopole fut momentanément brisé durant le conflit de Rosas avec les impérialismes français et surtout britannique. L'émergence de la navigation à vapeur permettait de remonter les fleuves avec rapidité. Pour ces motifs le Royaume-Uni et la France qui avaient armé d'importantes flottes commerciales et militaires composées de vaisseaux à vapeur exigeaient la libre circulation sur les fleuves, ce qui leur assurerait le libre commerce. Les deux puissances exigèrent donc le droit de navigation sur le río Paraná pour y commercer avec les autres ports, ce que Buenos Aires refusa. Le conflit se mua en guerre avec le combat de Vuelta de Obligado, où les forces fédéralistes de Rosas tentèrent de bloquer le passage aux flottes étrangères. La bataille tourna à la déroute pour les forces de Rosas (20 novembre 1845). Cependant elle fut perçue comme un symbole de défense de la souveraineté nationale. L'action diplomatique habile du gouvernement de Rosas, doublé de l'appui de José de San Martín, finirent par transformer la défaite en victoire politique pour le gouvernement de la Confédération argentine, obligeant les puissances à reconnaître son droit à la souveraineté sur les eaux intérieures.

Mais ces évènements montrèrent aux caudillos (et surtout à Justo José de Urquiza, gouverneur d'Entre Ríos) le pouvoir que donnait à Buenos Aires le monopole du commerce extérieur. Cela engendra un rapprochement entre les unitaires et les fédéralistes opposés à Rosas.

Il se forma dès lors un clan anti-rosiste qui donna lieu à la création de la Grande Armée, qui battit Rosas à la bataille de Caseros (le 3 février 1852). Le gouvernement rosiste fut renversé, et l'unité argentine fut atteinte, du moins théoriquement.

Article détaillé : Juan Manuel de Rosas.

Adoption de la Constitution de 1853

Urquiza organisa le Congrès constituant de Santa Fe (1853), qui approuva une Constitution de caractère républicain, représentatif et fédéral atténué, élaboré selon le texte “Bases y puntos de partida para la organización política de la República Argentina” de Juan Bautista Alberdi. Urquiza fut proclamé président de la Confédération. Mais les divergences dans le camp des vainqueurs (entre unitaires et caudillos anti-rosistes) conduisirent la province de Buenos Aires à rejeter cette Constitution et à se séparer de la Confédération Argentine, qui établit dès lors sa capitale dans la ville de Paraná. En 1861, les armées de Buenos Aires mirent celles de la Confédération en déroute à la bataille de Pavón et débutèrent une campagne pour soumettre les provinces. Cela fut fait, et le pays resta définitivement unifié selon le projet de nation des unitaires.

Naissance de l'Argentine moderne

(Note : la Constitution fut amendée en 1860 ; Santiago Derqui fut élu président et Urquiza et Bartolomé Mitre furent nommés respectivement gouverneurs de l'Entre Ríos et de Buenos Aires. De nouvelles dissensions intérieures déclenchèrent à nouveau des hostilités, et à la bataille de Pavón en 1861, Mitre battit Urquiza, suite à quoi il fut nommé président constitutionnel en 1862 pour une période de 6 ans. En 1868, Domingo Faustino Sarmiento lui succéda).

En 1865, l'Argentine se vit impliquée dans le conflit qui opposait le Paraguay au Brésil. Mitre joignit ses troupes aux armées brésiliennes et uruguayenne. Ainsi constituées, les forces de la Triple Alliance mirent finalement en déroute le maréchal paraguayen Francisco Solano López en 1870.

La guerre contre les Indiens

Article détaillé : Conquête du Désert.

La fin victorieuse de la guerre contre le Paraguay avait créé une frontière sûre au nord-est du pays et assuré à celui-ci la possession des territoires de Misiones et de Formosa. Nicolás Avellaneda succéda à Sarmiento en 1874, et s'attacha à soumettre les terres encore occupées par les indigènes amérindiens. Durant la décennie suivante, lors de la Conquête du Désert, le général Julio Argentino Roca établit le contrôle du gouvernement national sur les vastes régions de Patagonie et du Chaco en annihilant les peuples indigènes qui les peuplaient depuis toujours. Le 20 septembre 1880, le Congrès national déclara Buenos Aires capitale fédérale de la République.

Prospérité économique - la République conservatrice (1880-1916)

Amoncèlements de bois en attente de chargement sur le port de Santa-Fe. Comme au Chili, une partie de la prospérité du pays s'est faite grâce à l'exportation massive de bois vendu à bas prix au Royaume-Uni et à d'autres pays d'Europe, induisant une déforestation suivie d'une régression et dégradation des sols

Roca fut élu en 1880, car il bénéficiait d'une grande popularité suite à ses succès lors de la « Campagne du Désert ». Après lui, il y eut Miguel Juárez Celman (1886), qui démissionna en 1890 suite à une tentative de soulèvement mené par Leandro N. Alem et d'autres dirigeants de l'Union civique radicale (UCR), fondée peu après. Le vice-président Carlos Pellegrini le remplaça. Ses successeurs furent Luis Sáenz Peña (1892), José Evaristo Uriburu (1895), puis de nouveau Julio Argentino Roca (1898). Après, ce furent Manuel Quintana (1904), José Figueroa Alcorta (1906), Roque Sáenz Peña (1910), et Victorino de la Plaza (1914).

Pendant toute cette période, l'économie se développa fortement et ce fut en moyenne une époque de grande prospérité, l'Argentine devenant une des dix premières puissances mondiales, en termes de PNB, au début du XXe siècle. Elle reste néanmoins loin derrière l'Australie et le Canada si l'on prend en compte le pouvoir d'achat. Trois facteurs sont la cause de cet important essor : d'abord, la fin des guerres indiennes et donc la conquête de vastes nouveaux territoires agricoles ; ensuite, la modernisation de l'économie, l'adoption de techniques modernes et l'intégration du pays dans l'économie mondiale (essor du commerce et des investissements étrangers) ; enfin, l'arrivée massive d'immigrants européens dans une démocratie relativement stable, bien que cela n'exclut pas d'importants conflits sociaux. Dès 1901, la Federación Obrera Argentina est créée, donnant lieu en 1904 à l'importante Fédération ouvrière régionale argentine (FORA), dominée par l'anarcho-syndicalisme. Celle-ci compte des figures telles que Diego Abad de Santillán, qui s'opposa dans les années 1930, lors de la « Décennie infame », à la « propagande par le fait », prônée par Severino Di Giovanni.

Les investissements étrangers provenaient surtout du Royaume-Uni et furent principalement destinés à l'infrastructure (chemins de fer et ports notamment construits pour le transport et l'exportation du bois et de produits agricoles).

Les immigrants travaillèrent beaucoup au développement du pays, surtout dans les pampas occidentales. Ils arrivèrent essentiellement de toute l'Europe, mais aussi d'ailleurs (chrétiens du Moyen-Orient).

De 1880 à la crise de 1929, l'Argentine fut donc économiquement prospère, mais l'économie fut de plus en plus orientée vers l'exportation de matières premières et de produits agricoles et l'importation de produits industriels manufacturés : l'industrialisation ne se faisait pas, le modèle d'agro-exportation, au profit du Royaume-Uni, favorisant au sein du pays l'oligarchie des propriétaires terriens, tenant de gigantesques domaines latifundiaires.

Alors que les ressources naturelles forestières les plus faciles à exploiter s'épuisaient, la situation devenait politiquement et socialement moins brillante. Les gouvernements de Roca et de ses successeurs étaient alignés sur les intérêts de l'oligarchie argentine. Les élections étaient entachées de fraude et de clientélisme électoral, le vote se faisant à main levée. Les forces conservatrices dominèrent la république jusqu'en 1916, lorsque la loi Roque Sáenz Peña du « suffrage universel » masculin, instituant le vote à bulletins secrets, vint bouleverser l'ordre ancien et permit le triomphe électoral des radicaux de l'UCR, rivaux traditionnels des conservateurs, et dirigés par Hipólito Yrigoyen. Les radicaux, qui avaient effectué des tentatives de soulèvement contre le régime fallacieux et discrédité et qui avaient proposé l'abstention pour lutter contre la fraude électorale, représentaient les classes moyennes en expansion auxquelles ils ouvrirent les portes.

Naissance du tango

Dans le Rio de la Plata de la fin du XIXe siècle, nait un art nouveau : le tango.

Article détaillé : tango (danse)#Histoire.

Le radicalisme (1916-1930)

Premier gouvernement d'Hipólito Yrigoyen (1916-1922)

Hipólito Yrigoyen fut le premier président élu par vote secret

En 1916, Hipólito Yrigoyen, représentant de l'aile gauche de l'Union civique radicale (UCR), fut élu président grâce au suffrage universel et secret. Les conservateurs conservent cependant le contrôle du Sénat ainsi que celui de la majorité des provinces. La démocratie s'installait progressivement en Argentine, avec les réformes sociales d'Yrigoyen, qui rompt avec le refus de l'interventionnisme étatique prôné par le libéralisme économique classique de l'école de Manchester, tente de favoriser l'industrialisation équilibrée du pays, tandis que la Cour suprême jouit, jusqu'au coup d'Etat du général Uriburu, d'une indépendance prometteuse.

Politique économique

Elle se caractérisa par un « Plan de la Terre et du Pétrole », octroyant à l'État un rôle important d'intervention dans l'économie. Yrigoyen déclarait ainsi :

«  La politique du président est de maintenir aux mains de l'État l'exploitation des sources naturelles de richesse, dont les produits sont des éléments vitaux du développement du pays… L'État doit acquérir une position chaque jour plus prépondérante dans les activités industrielles qui répondent principalement à la réalisation de services publics. »

En 1922, il décida la création de l'entreprise d'État pétrolière Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), qui deviendra la plus importante du pays.

Il fit voter des lois concernant les loyers ruraux pour protéger les colons face aux gros propriétaires terriens. On réorganisa la Banque hypothécaire pour aider les petits propriétaires ruraux.

Enfin on créa la Marine marchande nationale. Yrigoyen eut une politique d'expansion des chemins de fer d'État, et il y eut des heurts avec de puissantes entreprises ferroviaires étrangères, notamment britannique. Il fit construire une nouvelle voie ferrée vers le nord du Chili et l'Océan Pacifique.

Politique internationale

Il soutint fondamentalement le principe d'autodétermination des peuples et d'égalité des nations face aux grandes puissances, sur la base suivante :

  • Il maintint la neutralité pendant la Première Guerre mondiale, mais avec de forts appels aux pays belligérants des deux camps.
  • En 1917, il convoqua un Congrès des nations latino-américaines non belligérantes pour définir une position commune face à la Première Guerre mondiale, qui échoua suite à la forte opposition des États Unis.
  • Face au traité de Versailles et à la création de la Société des Nations, il soutint la séparation des deux actes, avec l'idée que le Traité était un problème limité aux pays qui s'étaient battus, mais que la SDN devait être une association égalitaire et volontaire de toutes les nations du monde, y compris les nations colonisées.

Politique du travail

Celle-ci fut équivoque. D'un côté Yrigoyen fit voter les lois du travail et demanda au Congrès un projet de code du travail, réclamé depuis le début du siècle par le Parti socialiste (PS) et le mouvement ouvrier ; il agit souvent comme médiateur dans des conflits. Mais d'un autre côté il eut des relations conflictuelles avec le PS et avec le secteur majoritaire du mouvement ouvrier, lui déniant le droit de représenter les travailleurs argentins lors de la fondation de l'OIT en 1919.

C'est aussi sous son gouvernement qu'eurent lieu les plus grands massacres ouvriers de l'histoire du pays : la Semaine Tragique de 1919, à Buenos Aires, et les fusillades de Patagonie en 1921/1922.

Par ailleurs, sur le plan de l'éducation, il soutint la Réforme universitaire de 1918, initiée par la Fédération universitaire argentine (FUA).

Le gouvernement de Marcelo T. de Alvear (1922-1928)

Elu comme successeur d'Yrigoyen, Marcelo de Alvear, représentant de l'aile droite de l'UCR, pris le contrepied de son prédécesseur, entraînant une violente lutte politique entre les Yrigoyénistes et les Alvéaristes, aussi appelés anti-personnalistes. Chaque secteur du parti présenta son propre candidat aux élections suivantes, les anti-personnalistes présentant comme candidat à la présidence Leopoldo Melo, tandis qu'Yrigoyen se présenta à nouveau.

Second mandat d'Hipólito Yrigoyen (1928-1930)

Ce fut Yrigoyen qui gagna avec 60 % des voix. Le nouveau gouvernement s'assembla le 12 octobre 1928. En 1929 se produisit la Grande Dépression mondiale. Le radicalisme, avec Yrigoyen à sa tête, ne put pas répondre à la crise. La bagarre était totale entre les deux ailes du parti radical, et on vit rarement un tel niveau de violence politique dans l'histoire du pays depuis la fin des guerres civiles.

Le coup d'Etat d'Uriburu et la Décennie infâme

Le 6 septembre 1930 le général José Félix Uriburu renversa le gouvernement constitutionnel, initiant une série de coups d'État et de gouvernements militaires qui se prolongerait jusqu'en 1983 et, fait plus grave encore, écrasant par la force tous les gouvernements issus d'élections libres lors d'un vote populaire.

Plongée dans la crise, l'Argentine renoua alors avec la fraude électorale et la corruption, initiant ce qui fut appelé la « Décennie infâme », marquée par l'autoritarisme militaire et le poids prépondérant de l'oligarchie, qui maintenait l'Argentine dans un statut de dépendance économique envers le Royaume-Uni. Le Parti fasciste argentin fut créé en 1932, mais le fascisme avait une influence plus large : ainsi, en novembre 1935, Manuel Fresco, admirateur de Mussolini et d'Hitler, fut élu, dans un contexte de fraudes massives, gouverneur de la province de Buenos Aires.

Juan Perón et le Péronisme

Juan Domingo Perón Président
Article connexe : Péronisme.

Les militaires organisèrent un « putsch » en 1943. Juan Domingo Perón, un colonel de l'armée, participa à ce coup d'État et devint ministre de l'emploi, puis vice-président du pays. Il est à noter que l'Argentine resta neutre lors de la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1944 mais déclara la guerre à l'Allemagne et au Japon dès cette année. Entre-temps la popularité de Juan Perón augmenta rapidement, au point d'inquiéter sérieusement ses adversaires ainsi que l'ambassade américaine. Il fut forcé de démissionner le 9 octobre 1945, arrêté et emprisonné sur l'île Martín García. Mais d'imposantes manifestations populaires, organisées par la CGT d'Angel Borlenghi, aboutirent à sa libération le 17 octobre 1945. On peut dater de ce jour la naissance du péronisme.

Il gagna, le 20 février 1946, l’élection présidentielle. Il mena une politique favorisant à l'origine les ouvriers et le développement des syndicats avant de les mettre aux pas avec les opposants politiques. Il mena une politique populiste et nationalisa aussi les voies de communication appartenant jusqu'alors aux étrangers. L'état de l'économie se dégrade.

Perón avait de l'admiration pour Benito Mussolini et Franco, et un certain culte de la personnalité fut mis en œuvre. Cependant, malgré le style populiste et autoritaire de sa présidence, le général maintint le multipartisme et les élections démocratiques tout au long de son mandat, interdisant ainsi toute assimilation hâtive au fascisme du péronisme.

L'Argentine devient aussi, pendant cette période, un point de chute pour les réseaux d’exfiltration nazis[3].

Son épouse Eva Perón, surnommée « Evita », une ancienne actrice d'origine modeste, fut très populaire auprès des pauvres : elle était à la tête d'une organisation de charité. Les femmes obtinrent le droit de vote en 1947. Elle mourut en 1952 d'un cancer.

Les années de violence et d'instabilité (1955 à 1976)

Le 6 septembre 1955 les militaires sous le commandement du général Eduardo Lonardi effectuèrent un coup d'Etat national-catholique contre Juan Perón, forcé à l'exil, et établirent le régime dit de la « Révolution libératrice » (Revolución Libertadora).

La « Révolution Libératrice » des militaires

Peu après, le général Pedro Eugenio Aramburu, représentant des secteurs les plus violemment antipéronistes, remplaça Lonardi, prit le titre de président et abolit la Constitution réformée en 1949. Le Parti justicialiste (péroniste) fut mis hors-la-loi. Un long cycle de violence et de conflits internes commençait.

En 1956, le gouvernement militaire ordonna l'exécution de 31 militaires et civils péronistes, dont le général Juan José Valle, qui avait initié un soulèvement péroniste : ce fut le massacre de José Leon Suarez, duquel Julio Troxler fut l'un des rares survivants.


En 1957 on fit des élections pour réformer la Constitution argentine, avec le péronisme maintenu dans l'illégalité. L'Unión Cívica Radical del Pueblo (UCRP), de Ricardo Balbín, anti-péroniste, obtint la première place. L'Unión Cívica Radical Intransigente (UCRI), d'Arturo Frondizi, soutenait que l'abolition de la constitution et la convocation d'une constituante sans les péronistes étaient des actions illégales et quitta l'assemblée constituante. Celle-ci valida l'abolition de la constitution de Perón de 1949 et rétablit celle de 1853 en y ajoutant une réforme concernant la protection du travail.

Présidence de Frondizi (1958-1962)

En 1958 Arturo Frondizi, leader de l'Unión Cívica Radical Intransigente et qui avait un projet de développement du pays, gagna l’élection présidentielle avec l'appui du péronisme toujours illégal, mais bien actif.

Coup d'État militaire et présidence de Guido (1962-1963)

Le gouvernement de Frondizi fut destitué en 1962 par un nouveau coup d'État militaire, après que le parti péroniste eut remporté une série d'élections provinciales, obtenant notamment, avec Andrés Framini (en), la gouvernance de la province de Buenos Aires. Au cours de la grande confusion qui régnait alors, la Cour Suprême désigna José María Guido, alors président provisoire du Sénat, comme nouveau président de la Nation. Et cette décision fut avalisée par la junte militaire.

La présidence d'Illia (1963-1966)

Article détaillé : Arturo Umberto Illia.
Arturo Illia reçoit le Président français, Charles de Gaulle. (Photo de Clarín du 4 octobre 1964)

L'élection présidentielle du 7 juillet 1963, de laquelle le péronisme reste exclu, est remportée par Arturo Umberto Illia, candidat de l'Unión Cívica Radical del Pueblo, avec Carlos Perette comme co-listier. Les candidats de l'UCRI, Oscar Alende (es) et Celestino Gelsi (es), arrivent deuxièmes, tandis que l'Unión del Pueblo Adelante, (général Pedro Eugenio Aramburu - Horacio Thedy) arrive troisième. Cependant, avec près d'1,7 million de votes blancs, l'abstention, signe de l'influence péroniste, est le second parti du pays.

Son premier acte consiste à éliminer partiellement les restrictions et proscriptions pesant sur le péronisme ; le Parti justicialiste reste cependant interdit. En 1965 le gouvernement convoque des élections législatives, remportée par le camp péroniste avec 3 278 434 voix contre 2 734 970 pour l'UCRP.

Les trois années du mandat d'Illia se soldent par un succès économique certain. Le Produit intérieur brut s'accroît de quelque 17,5 % de 1963 à 1965 [réf. nécessaire]. L'évolution de la production industrielle s'élève à près de 30 % [réf. nécessaire]. La dette extérieure diminue notablement. Le taux de chômage régresse de 8,8 % en 1963 à 5,2 % en 1966 [réf. nécessaire].

Arturo Illia abandonnant la Casa Rosada après son renversement. (Photo de la Revue Gente)

Cependant le triomphe du péronisme crée de sérieux remous au sein des forces armées, dont une partie reste liée aux péronistes, pendant qu'une autre leur est farouchement opposée.

À cela s'ajoute une intense campagne de dénigrement impulsée par des secteurs économiques au travers de certains médias. Ces journalistes surnomment Illia « la tortuga » (la tortue), critiquant sa gestion comme timorée et incitant les militaires à le démettre, ce qui contribue à aggraver la faiblesse politique réelle du gouvernement.

Le général Julio Alsogaray (es) planifie un coup d'État qui devait amener au pouvoir le général Juan Carlos Onganía. L'idée du coup est soutenue par des factions militaires, mais aussi par des secteurs du syndicalisme et même par des politiciens comme Oscar Alende et l'ex-président Arturo Frondizi.

Dictature militaire (1966-1973)

Article détaillé : Révolution argentine.

C'est au milieu de l'indifférence quasi-générale que le général Ongania dirige, le 28 juin 1966, un nouveau coup d'Etat national-catholique. Le général Alsogaray se présente à 5 heures au bureau présidentiel de la Casa Rosada, et somme Illia de se retirer. Celui-ci refuse, mais quelque temps après, le palais est envahi par des policiers munis de pistolets lance-gaz, et entouré par des troupes armées. Illia doit se retirer, et le lendemain Onganía le remplace.

La mise en place du gouvernement de Ongania est un véritable choc autoritaire. Le parlement est dissous, les partis politiques également (leurs biens sont confisqués et vendus afin de confirmer la fin irréversible de la vie politique [réf. incomplète][4]). Le dictateur Ongania autoproclame le nouveau régime « Révolution argentine ». Cette dernière doit être divisée en trois temps : économique, social et politique. Ongania concentre en ses mains tous les pouvoirs. Le gouvernement commence à corseter la société (censure, répressions diverses, violences anti-sociales, anti-universitaires avec la Nuit des longs bâtons (es) du 29 juin 1966, etc.). Les protestations syndicales intenses sont combattues et « réglées » dans la violence.

La politique du général Ongania va déboucher, à terme, sur le Cordobazo du 29 mai 1969, équivalent du mai 68 français. Cette révolte spontanée a lieu dans la deuxième ville du pays, très industrialisée (les usines de fabrication automobile y sont situées), et caractérisée par l'activisme des ouvriers et des étudiants. La répression très dure de la police engendre un affrontement violent (barricades, prises de commissariats, incendies, attaques de magasins…). Les milliers de personnes qui contrôlent le centre ville n'ont aucune consigne, aucun organisateur. Les syndicats, les partis politiques (interdits), les centres étudiants sont débordés par l'action. Le 30 mai, le pays est paralysé par la grève générale.

Reddition des 19 prisonniers, membres des Montoneros, des FAR ou de l'ERP, à l'aéroport de Trelew. Seuls trois d'entre eux survécurent au massacre de Trelew d'août 1972, acte fondateur du terrorisme d'Etat argentin, et qualifié en 2006-07 par la justice argentine de crime contre l'humanité.

Le Cordobazo est la première des puebladas (insurrections urbaines ayant eu lieu dans les villes argentines entre 1969 et 1975) et sa spontanéité a considérablement surpris. Ces révoltes populaires expriment un profond mécontentement et un ensemble de demandes. Le pouvoir autoritaire a coupé tous les moyens normaux d'expression et des formes originales de protestations ont lieu dans des petites villes, des quartiers…

La situation économique continue à se détériorer, tandis que les puebladas ont encouragé plusieurs groupes, péronistes ou non, à prendre le chemin d'abord de l'action directe (distribution d'aliments volés, etc.) puis de la lutte armée. Ces groupes, qui prennent souvent des acronymes liés aux armes fabriquées en Argentine, sont nombreux, et parfois liés à la Jeunesse péroniste, qui devient progressivement le mouvement de masse du péronisme. Il s'agit ainsi des Forces armées de libération (FAL), des Forces armées révolutionnaires (FAR), des Forces armées péronistes (FAP), de l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP) ou encore des Montoneros. Ces derniers exécutent le général Aramburu en juin 1970, ce qui pousse la dictature à instaurer la peine de mort, le 2 juin 1970, pour les actes de terrorisme et d'enlèvements [5]. Les FAP tentent, sans succès, d'initier un foco rural, avant de se lancer, en 1970-1971, dans la guérilla urbaine, inspirée par les Tupamaros uruguayens. Le mythe de l'ordre, seul capital d'Ongania, s'effondrera totalement avec l'apparition de ces mouvements politiques (la Nouvelle Gauche).

Cela provoque la chute d'Ongania, remplacé le 8 juin 1970 par le général Levingston, qui décide d'approfondir la « Révolution argentine ». Cette ligne politique échoue, provoquant une deuxième révolution de palais, le général Alejandro Lanusse remplaçant Levingston en 1971. Lanusse tente de manœuvrer afin de permettre à l'armée de pratiquer son retrait de la vie politique du pays, tout en essayant de ne pas perdre la face : c'est le « Grand Accord National », annoncé le 1er mai 1971, qui aboutit à la levée de l'interdiction des partis politiques et, finalement, après d'ardues négociations, aux élections de mars 1973. Toutefois, cette ouverture de la vie politique coïncide avec une répression accrue, la plupart des dirigeants des FAL étant ainsi soit assassinés, soit incarcérés en 1971, tandis que la spectaculaire évasion de la prison de haute sécurité de Rawson, en août 1972, se solde par le massacre de Trelew, considéré aujourd'hui comme un des actes fondateurs du terrorisme d'Etat argentin. Les premières disparitions forcées ont aussi lieu à cette époque (Juan Pablo Maestre et son épouse, ainsi que le couple Verd, tous des FAR, en juillet 1971, etc.).

De façon générale, le Cordobazo a ouvert une étape révolutionnaire pour l'Argentine, où certains secteurs sociaux ont pris conscience de leur force face à la faiblesse de l'Etat bureaucratique et autoritaire qui est alors acculé à chercher une sortie à l'impasse dans laquelle il s'était mis à partir de 1966.

Le triomphe électoral du péronisme le 11 mars 1973

Le général Lanusse a obtenu que Peron ne soit pas candidat aux élections. C'est donc Héctor José Cámpora qui se présente pour le Parti justicialiste, qui dirige la coalition du FreJuLi (Front justicialiste de libération), laquelle sort largeusement victorieuse des élections de mars 1973, le candidat justicialiste obtenant près de 50% des votes. Le 11 mars 1973, le pays vote ainsi massivement contre les militaires et le pouvoir autoritaire et croit que ces derniers partent pour ne plus jamais revenir[6]. Mais les Argentins qui ont voté pour la formule gagnante ne l'ont pas tous fait pour les mêmes raisons.

Juan Perón ne peut pas participer à ces premières élections depuis 1965, et premières élections sans limitation des libertés civiles ni proscription d'un parti depuis 1946. Toutefois, Campora est poussé en juillet 1973 à la démission par la « bureaucratie syndicale » et la droite péroniste : de nouvelles élections sont organisées. Le retour définitif du général Perón est marqué par le massacre d'Ezeiza qui divise le camp péroniste. En octobre 1973, quelques semaines après le coup d'Etat chilien contre Salvador Allende, Perón redevient président, aux côtés de sa troisième épouse et vice-présidente, Isabel Martínez de Perón. Fin 1973, après plusieurs fusions, les mouvements armés se réduisent à deux : les Montoneros, péronistes, et l'ERP, trotskyste. Les tensions internes au justicialisme explosent, forçant le gouverneur de Buenos Aires, Oscar Bidegain (péroniste de gauche), à la démission, en janvier 1974, tandis que le gouverneur péroniste de Cordoba, Ricardo Obregón Cano (en), est victime en février d'un putsch policier, entériné a posteriori par Perón lui-même. Ces deux hommes, avec d'autres figures importantes du péronisme de gauche, créent alors le Parti péroniste authentique, lequel subit les vexations du pouvoir.

A la mort de Perón, le 1er juillet 1974, la violence est déjà devenue, depuis la normalisation imparfaite du Parti justicialiste enclenchée en 1971-1972, un mode ordinaire de règlement des conflits au sein du péronisme, lequel agglomère désormais de plus en plus de groupes, dont des nationalistes auparavant peu enclins à soutenir Perón (ainsi de la Concentración Nacional Universitaria, qui s'était illustrée en 1971 en assassinant l'étudiante Silvia Filler à Mar del Plata). Son épouse devient présidente, mais elle doit faire face à de graves problèmes économiques, aux luttes intestines dans son parti politique, et à l'escalade de la violence politique provenant de nombreux secteurs de la société, l'extrême-gauche et l'extrême-droite péroniste s'entre-tuant, avec les premiers attentats de la Triple A dirigée par le ministre d'Isabel Perón, José Lopez Rega.

Guerre sale

Le général Antonio Domingo Bussi, chargé de l'Opération Indépendance en 1975-1976, gouverneur de Tucuman en 1976-1977, puis de 1995 à 1999, fut condamné en 2008 pour crimes contre l'humanité et génocide.

Après avoir initié les opérations de contre-insurrection contre la guérilla de l'ERP dans la province de Tucuman (« Opération Indépendance (es) », dirigée à partir de décembre 1975 par le général Antonio Domingo Bussi, condamné en 2008 pour crimes contre l'humanité et génocide) et promulgué les décrets dits d'« annihilation de la subversion », et généralisé l'état d'urgence au pays entier, livrant ainsi le pays aux militaires, le gouvernement d'Isabel Perón est évincé par le coup d'État du 24 mars 1976, dirigé par le général Videla avec l'appui des organisations patronales, notamment du secteur agricole. À cette époque, les deux mouvements guérilleros restants, l'ERP et les Montoneros, sont déjà quasiment complètement démantelés, la guérilla de Tucuman ayant été annihilée, tandis que nombre de Montoneros ont été assassinés.

La junte militaire gouverne alors l'Argentine jusqu'au 10 décembre 1983, généralisant les disparitions forcées (desaparecidos), l'internement arbitraire et la torture contre les opposants politiques, leurs familles (y compris les petits enfants), les amis, les voisins, etc., dans les 500 centres clandestins de détention, et remettant à l'ordre du jour les « crevettes Bigeard » de la guerre d'Algérie (l'opération de police de la « bataille d'Alger » avait déjà fourni le modèle de l'Opération Indépendance) sous le nom des vuelos de la muerte. Elle justifie cette « guerre sale », qui n'a de guerre que le nom, par la nécessité de lutter contre une « subversion communiste » inexistante, comptant sur l'appui de secteurs catholiques conservateurs, dont la Cité catholique, fondée par le maurrassien Jean Ousset, et remettant au goût du jour la rhétorique de l'Occident catholique assiégé, se plaçant dans la continuité de la bataille de Lépante de 1571… Dans les années 2000, le général Bussi pouvait ainsi continuer à justifier les crimes de la dictature, en affirmant que les guérilleros avaient infiltré la population civile (sic). D'innombrables Argentins sont alors contraints à l'exil, qui n'est autorisé qu'après quelques années, la plupart devant fuir le pays clandestinement, les visas n'étant pas accordés.

Videla, Viola et Galtieri se succèdent à la tête de la junte. Les services secrets argentins, conjointement à ceux du Chili, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay, instituent une répression violente, nommée Opération Condor, au cours de laquelle ils systématisent les arrestations, assassinats, tortures et enlèvements politiques. Les militaires prennent des mesures sévères contre les « terroristes » et les personnes qu'ils soupçonnent de soutenir les terroristes. Ces « terroristes » appartiennent pour la plupart à la jeunesse militante de gauche. 30 000 personnes auraient disparu entre 1973 et 1983, sans compter les centaines d'enfants et de bébés (nés dans les centres clandestins de détention) de ces personnes qui ont été soustraits à leur famille naturelle et adoptés sous de faux noms par des militaires et ceux qui les appuyaient. La plupart de ces enfants sont toujours recherchés par leurs grands-parents. Dès 1977, le Mouvement des mères de la place de Mai, infiltré par l'agent Alfredo Astiz, dénoncent les disparitions et les assassinats, ce qui vaut à ses fondatrices d'être enlevées, en même temps que les nonnes françaises Léonie Duquet et Alice Domon.

Les Argentins généralisent aussi dans toute l'Amérique latine les méthodes de contre-insurrection (Opération Charly). Ils soutiennent et entraînent ainsi les Contras au Nicaragua, interviennent au Honduras, au Salvador et au Guatemala, participent au coup d'Etat en Bolivie de Luis Garcia Meza, etc.

Alors que le régime devient de plus en plus contesté, il tente de galvaniser les forces patriotiques de la nation en déclarant la guerre au Royaume-Uni, au nom de la souveraineté argentine sur les îles Malouines. Si la guerre des Malouines, commencée en mars 1982, atteint partiellement l'objectif d'unification patriotique, elle provoque aussi la chute du régime, défait en trois mois par l'armée britannique.

Retour à la démocratie et crise économique

Raul Alfonsin

Des élections sont organisées le 30 octobre 1983 pour renouveler le président, le vice-président, les gouverneurs de province et représentants locaux. Les observateurs internationaux approuvent ces élections. Raúl Alfonsín, de l'Union Civique Radicale, remporte l’élection présidentielle avec 52 % des voix. Son mandat de 6 ans débute le 10 décembre 1983. Il œuvre notamment pour le rétablissement des institutions publiques et des droits et garanties constitutionnels, instituant le 15 décembre 1983 la CONADEP (Commission nationale sur la disparition des personnes) présidée par l'écrivain Ernesto Sábato, tandis que les principaux dirigeants de la junte sont jugés, en 1985, lors du Procès de la junte. Cependant, la « théorie des deux démons » est alors en vogue, mettant sur le même plan violences des groupes révolutionnaires et terrorisme d'État, comme si le second était une réponse au premier (ce qui est faux, les guérillas ayant été démantelées avant le coup d'État). L'ex-gouverneur Ricardo Obregon Cano (es) est aussi condamné, lors du Procès de la junte, pour « association illicite » avec les Montoneros, tandis qu'Oscar Bidegain est de nouveau contraint à s'exiler. Certains secteurs de l'armée s'opposent par ailleurs aux procès contre les militaires, suscitant plusieurs soulèvements armés des Carapintadas. Suite à cette instabilité politique, le gouvernement Alfonsin promulgue des lois amnistiant les crimes commis par les militaires (loi du Point final) en 1986.

Le retour à la démocratie entraîne de sérieuses améliorations au niveau des relations extérieures. Sous le mandat de Raúl Alfonsín se règle un différend frontalier avec le Chili qui écarte un risque de conflit, qui avait failli provoquer une guerre en 1978 (conflit du Beagle). Les deux pays signent le 29 novembre 1984 un traité de paix et d'amitié. C'est ensuite avec son rival régional le Brésil que l'Argentine se réconcilie le 30 novembre 1985, date de la déclaration de Foz do Iguaçu. Cette déclaration est la première pierre de ce qui va devenir le Mercosur.

Au niveau économique, la situation du pays, tout au long de son mandat, est extrêmement difficile. Les prix sont en hyperinflation constante, atteignant déjà des records mondiaux en 1983[7]. Durant l'année 1984, l'inflation annuelle s'établit à 625 %, alors que l'augmentation moyenne des salaires n'est que 35 %. À l'approche de la fin du mandat présidentiel en mai 1989, l'inflation mensuelle est 78 %, accompagnée d'une hausse vertigineuse du taux de pauvreté, passant de 25 % en mai à 47 % en octobre.

Sur ce fond d'emballement économique, Raúl Alfonsín annonce une élection présidentielle anticipée, qui a lieu le 14 mai 1989, et voit la défaite de l'Union Civique Radicale et l'élection de Carlos Menem (parti justicialiste).

Économiquement, le gouvernement de Carlos Menem mène une politique très libérale. Il réalise de nombreuses privatisations, notamment le pétrolier YPF (Yacimientos Petrolíferos Fiscales), le gazier Gas del Estado, ainsi que des services publics dans les médias télévisés, la poste, la téléphonie, la distribution d'eau et d'électricité, les transports ferroviaires etc. Pour attirer les capitaux étrangers, il relâche le contrôle de l'État sur l'économie, et le ministre des finances Domingo Cavallo instaure une loi de convertibilité entre le dollar américain et l'austral argentin (remplacé par la suite par le peso convertible, pour obtenir la parité 1 dollar valant 1 peso). Ces mesures permettent de diminuer drastiquement l'inflation, la ramenant à un taux proche de zéro au début des années 1990. Le pays souffre cependant encore d'un taux de chômage élevé, en lente diminution lors de ses premières années de mandat, puis à nouveau en hausse jusqu'à atteindre un pic à 18,4 % en mai 1995 suite à la crise de la Tequila au Mexique en 1994, qui touche aussi l'Argentine. Bien qu'en meilleur état qu'à la fin des années 1980, l'économie argentine reste fragile, car très dépendante de l'étranger.

L'Argentine sous Menem continue de promouvoir la création d'une zone de libre-échange en Amérique du Sud, notamment grâce à la signature du traité d'Asunción le 26 mars 1991 avec le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, traité qui donne officiellement naissance au Mercosur. Toujours en 1991, l'Argentine normalise ses relations diplomatiques avec le Royaume-Uni, interrompues depuis la guerre des Malouines.

Carlos Menem

Au début des années 1990, deux attentats touchent les intérêts israéliens en Argentine : tout d'abord un attentat contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires le 17 mars 1992, faisant 29 morts, puis le 18 juillet 1994, une camionnette chargée d'explosifs qui tue 85 personnes, visant les locaux de l'Association mutuelle israélite argentine (AMIA). Bien que le Hezbollah et l'Iran aient été pointés du doigt, le programme nucléaire argentin et iranien étant soi-disant en jeu, les multiples défauts de l'enquête et certaines incohérences concernant la chronologie des rapports nucléaires entre les deux pays ont conduit la totalité de la presse argentine à être plus que sceptique concernant les responsabilités de ces attentats.

En 1994, suite au scandale provoqué par la mort d'un conscrit consécutive à des abus et mauvais traitements dans l'armée, le service militaire obligatoire est abandonné.

La même année, Carlos Menem négocie avec l'opposition une réforme de la Constitution autorisant un second mandat présidentiel et ramenant la durée du mandat de 6 à 4 ans. Il peut ainsi se présenter à sa propre succession. Il est réélu en 1995 pour un second mandat, qui débute le 10 décembre de cette année.

Pour ce second mandat, Menem maintient le même cap politique. Cependant sa popularité décroît rapidement. Il ne parvient pas à maîtriser le chômage qui reste élevé (12,4 % en octobre 1998, 13,8 % à la fin de son mandat), entraînant l'apparition du mouvement piquetero : il s'agit d'un mouvement social initié suite au licenciement de travailleurs par la compagnie pétrolière YPF récemment privatisée, mouvement qui gagne peu à peu l'ensemble du pays.

De plus, l'Argentine augmente trop sa dette extérieure, qui franchit durant les mandats de Menem la barre des 40 % du PIB. Le troisième trimestre 1998 voit débuter une récession économique. Le bilan des privatisations est critiqué, les entreprises privatisées ayant contribué à augmenter le chômage, et si la qualité du service est jugée positive dans certains secteurs (électricité, téléphonie), elle l'est beaucoup moins notamment dans les transports ferroviaires. Enfin, de sérieux scandales de corruption achèvent de noircir ce mandat.

Les élections du 24 octobre 1999 donnent la victoire à Fernando de la Rúa, candidat d'une alliance de centre-gauche dirigée par l'Union Civique Radicale face au candidat du parti justicialiste.

Devant la détérioration de l'économie et des finances publiques, de la Rúa demande l'aide du FMI tout en maintenant la parité peso/dollar. La récession dans laquelle est plongé le pays provoque un début de fuite des capitaux étrangers et le début de la crise économique argentine. Le gouvernement annonce un investissement de 20 milliards de dollars pour des programmes de travaux publics afin de raviver l'économie, mais cela ne suffit pas à enrayer la fuite des capitaux.

Le système politique apparaît totalement mis en échec à partir de la démission du vice-président Carlos Álvarez, le 8 octobre 2000, en plein scandale de pots-de-vin au sénat pour l'approbation d'une loi du travail qui ôterait aux travailleurs argentins leurs droits historiques.

À la fin de 2001, le chômage atteint le taux de 20 %. Des saccages, des grèves, des manifestations populaires déferlent sur tout le pays en décembre. De la Rúa décrète l'état de siège, et ordonne une répression féroce, qui provoque plus de 35 morts les 19 et 20 décembre. La rébellion populaire, loin de cesser, reçoit l'appui des classes moyennes dont les dépôts bancaires ont été expropriés, face à quoi de la Rúa doit se démettre, ayant à peine accompli la moitié de son mandat. Trois présidents intérimaires lui succèdent en moins d'un an, incapables de stabiliser la situation.

En janvier 2002, le Congrès nomme finalement Eduardo Duhalde, du parti justicialiste, pour achever le terme présidentiel. Duhalde supprime la parité du peso argentin avec le dollar, ce qui entraîne immanquablement une inflation galopante. Il consacre l'expropriation des petits dépôts bancaires du secteur privé, protégeant ainsi les intérêts des grandes banques et le secteur exportateur, ce qui aggrave la rébellion populaire, dont le mot d'ordre principal est, en décembre 2001 : « ¡Que se vayan todos! » - « Qu'ils s'en aillent tous ! ».

Cependant, en 2002 la récession économique prend fin, et Duhalde provoque des élections anticipées pour le 27 avril 2003, qui amènent la victoire de Néstor Kirchner, à la tête du Front pour la victoire.

Le sort des criminels de la dictature

L'une des premières décision du nouveau président Raúl Alfonsín, en 1983, est de créer la Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP) afin d'enquêter sur les disparitions forcées commises par les juntes militaires entre 1976 et 1983. La CONADEP publie un rapport en 1984[8].

Le 22 avril 1985 s'ouvre le procès des juntes, qui doit juger les responsables militaires au pouvoir entre 1976 et 1983. Un tel procès n'a pas de précédent en Amérique latine. Il met en évidence un grand nombre de crimes commis par les juntes. Cependant, le gouvernement d'Alfonsín empêche le jugement de nombreux responsables, selon lui à cause des pressions effectuées par des militaires, dont l'influence reste importante. Il promulgue d'abord la loi du punto final, entrée en vigueur le 24 décembre 1986, qui suspend une grande partie des procès contre les militaires.

Le 15 avril 1987 les Carapintadas, un groupe de militaires mutins dirigé par le lieutenant colonel Aldo Rico, exige l'annulation des procès des militaires non exemptés par la loi du punto final. Les mutins sont tous neutralisés mais seulement deux sont arrêtés. Toujours est-il que le 4 juin de la même année, la loi de l'obediencia debida est promulguée : elle absout de toute responsabilité les militaires chargés de la répression. Plus de 2000 militaires auraient ainsi échappé à des poursuites[9].

En 1988, les carapintadas se rebellent encore à deux reprises, se rendant chaque fois dans les jours suivants mais parvenant à obtenir des concessions de la part du gouvernement.

En 1989, une organisation armée d'extrême gauche, le Movimiento Todos por la Patria (MTP), attaque le régiment militaire de La Tablada dans la province de Buenos Aires. Le groupe composé de 40 membres est mené par Enrique Gorriarán Merlo, fondateur de l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP), qui prétend agir pour empêcher un coup d'État de la part des carapintadas[10]. L'armée réplique avec des armes au phosphore blanc, dont l'utilisation est prohibée par une convention internationale. 39 personnes sont tuées (dont 28 appartenant au MTP), et 60 personnes blessées durant l'assaut.

Juste après son élection, en 1990, Carlos Menem proclame, dans la continuité des lois déjà votées sous Alfonsín, une amnistie pour une « réconciliation nationale » visant aussi bien des militaires (dont Jorge Rafael Videla, Emilio Eduardo Massera et Leopoldo Galtieri) que des civils (dont des anciens guérilleros ou l'ex-gouverneur Oscar Bidegain) impliqués dans la guerre sale, avec une volonté affichée, selon les termes de Menem, de tourner « une page noire et triste de l'histoire de l'Argentine ». Par ailleurs Carlos Menem effectue des coupes drastiques dans le budget militaire.

La même année, la justice française condamne par contumace le militaire argentin Alfredo Astiz à la prison à perpétuité pour l'assassinat de deux religieuses dans la funeste École supérieure de mécanique de la marine.

En mars 1996, la justice espagnole est saisie pour juger les criminels des juntes militaires entre 1976 et 1983. En effet la justice espagnole se déclare compétente pour juger certains crimes comme les crimes contre l'humanité commis ou non sur le sol espagnol et par des étrangers comme par des Espagnols[11].

De plus, en dépit de l'amnistie, l'ancien dictateur Videla est placé en détention en 1998, sous le chef d'accusation de « vol de bébés », s'agissant d'enfants de victimes du régime, ce crime reconnu par la justice argentine n'étant couvert ni par l'amnistie de Carlos Menem, ni par les lois du punto final ou de l'obediencia debida.

XXIe siècle

Article détaillé : Crise économique argentine.

En 1999, l'Argentine entre dans une récession qui va durer trois ans. Les investisseurs fuient le pays. En 2001, les gens perdent confiance et se mettent à retirer autant que possible des espèces qu'ils convertissent en dollars. Le gouvernement gèle les comptes, provoquant des émeutes qui finissent par s'en prendre aux compagnies étrangères. Fin 2001, l'état d'urgence est déclaré, les manifestations (cacerolazo) font des morts et le 21 décembre, le président fuit en hélicoptère. L'État est en cessation de paiement et les entreprises du pays connaissent de graves problèmes ; le nouveau président Eduardo Alberto Duhalde tente de rétablir la situation.

Rencontre en juillet 2004 entre Néstor Kirchner et le président du Venezuela Hugo Chávez.

Le 25 mai 2003, Néstor Kirchner accède au pouvoir dans une Argentine économiquement ravagée. Malgré la fin de la crise annoncée par les analystes, le pays reste étranglé par sa dette extérieure et 20 millions de personnes sont toujours sous le seuil de pauvreté avec un chômage record, vivant grâce à une économie parallèle que l'État ne contrôle pas, les Argentins organisant par endroits leur autonomie alimentaire et éducative, refusant parfois toute aide de l'État.

Kirchner garde dans son gouvernement le précédent ministre de l'économie, Roberto Lavagna. Les deux hommes parviennent à négocier en février 2005 la diminution de la dette argentine auprès de ses créanciers, achevant ainsi un processus qui durait depuis plus de trois ans. Le bilan inclut une réduction d'environ 70 % des 82 milliards de dollars de dette, une conversion de cette dette en bons du trésor et un échelonnement des remboursements sur 42 ans. Malgré l'opposition de leurs partenaires (notamment l'Italie), ils réussissent à imposer cet accord avec un soutien massif de la population.

Au point de vue diplomatique, Kirchner rompt avec l'alignement traditionnel de Buenos Aires sur Washington, préférant favoriser des alliances régionales notamment au sein du Mercosur, refusant par exemple l'accord de libre-échange des Amériques (ZLEA) [12]. Critique du néolibéralisme et dans la mouvance du Brésil de Lula, l'Argentine sous Kirchner s'ouvre davantage vers des pays comme le Venezuela, qui rejoint d'ailleurs le Mercosur le 17 juin 2006. À l'initiative de l'Argentine et du Venezuela, six pays sud-américains s'associent en 2007 en vue de la création de la Banque du Sud. Il relance par ailleurs le programme nucléaire argentin en collaboration avec le Brésil.

Depuis 2005, les relations avec le voisin uruguayen se détériorent sérieusement suite à un différend concernant la construction d'usines de cellulose sur le Rio Uruguay, qui marque la frontière entre les deux pays. Les médias francophones donnent le surnom de « guerre du papier » à ces évènements.

Début 2008, le pays connaît d'importantes manifestations de fermiers en raison des taxes à l'exportation et de leurs impôts, ainsi qu'une pénurie de monnaie.

La levée de l'impunité à l'encontre des criminels de la dictature

Néstor Kirchner est élu notamment avec la promesse de lever l'immunité des criminels qui répandirent le sang dans le pays pendant les périodes de dictature.

Le 25 juillet 2003, Nestor Kirchner abroge le décret interdisant l'extradition des criminels de la dictature. En août, les députés argentins adoptent à l'unanimité un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité[13]. Le Congrès national annule les lois du punto final et de l'Obediencia debida, décision confirmée par la Cour suprême de justice le 14 juin 2005.

En septembre 2006, le juge fédéral Norberto Oyarbide lève l'amnistie prononcée en 1990 par Carlos Menem pour Videla et deux de ses anciens ministres. Le 25 avril 2007, la Cour suprême confirme le caractère anticonstitutionnel de cette amnistie. Cette décision valide à nouveau les condamnations de prison à perpétuité rendues par la justice argentine lors du procès de 1985. Cependant, Roberto Viola et Leopoldo Galtieri sont aujourd'hui décédés, quant à Emilio Massera, il a été victime en décembre 2002 d'une hémorragie cérébrale et ne comparaîtra probablement plus devant les juges. Le général Antonio Domingo Bussi, chargé de l'Operativo Independencia, est cependant condamné pour crimes contre l'humanité en août 2008, bien qu'il purge sa peine à domicile ; l'année suivante, c'est au tour du général Santiago Omar Riveros, chargé notamment du centre clandestin de détention de Campo de Mayo, d'être condamné, avec d'autres hauts militaires, à la prison perpétuelle pour crimes contre l'humanité.

Le mandat de Cristina Fernández de Kirchner

La candidate du Parti justicialiste, Cristina Fernández de Kirchner, femme du président sortant, remporte l'élection présidentielle d'octobre 2007, et est investie en décembre.

Références

  1. El Milodón fue un animal prehistórico que vivió hace 10 o 13 millones de años atrás
  2. Fauna del ambiente terrestre
  3. Sur la piste des derniers nazis
  4. Luis A. Romero, Breve historia contemporanea de la Argentina, p. 232
  5. Chronologie de la violence politique en Argentine
  6. Luis A. Romero, Breve historia contemporanea de la Argentina, p. 261
  7. 433,7 % d'inflation annuelle en 1983 selon the New York Times : [1]
  8. Le rapport peut se trouver sur le site « nuncamas.org » : [2]
  9. Argentine-crimes contre l'humanité : Kirchner et le juge Garzon brisent l'impunité - Compétence universelle de la justice espagnole (LatinReporters.com)
  10. Voir Clarín : « El ataque a La Tablada, la última aventura de la guerrilla argentina » (es)[3]
  11. Fédération des Associations pour la Défense et la Promotion des Droits de l'Homme - Espagne : [4]
  12. (en)Kirchner Reorients Foreign Policy : [5]
  13. Voir Latin Reporters : [6]

Bibliographie

  • Lewis, Paul H, Guerrillas and generals: the « Dirty War » in Argentina, Westport, Praeger, 2002.
  • Luna, Félix , Conflictos y armonías en la historia argentina, Buenos Aires, Grupo ed. Planeta, 1989.
  • Ponce, Néstor, Argentine : crise et utopies, Paris, Éd. du Temps, 2001.
  • Bruno, Cayetano, La Evangelización del aborigen americano con especial referencia a la Argentina, Buenos Aires, El Derecho, 1988.
  • Busaniche, José Luis, Historia argentina, Buenos Aires, Solar, 1984.
  • Carril, Bonifacio del, Los indios en la Argentina: 1536-1845: según la iconografia de la época, Buenos Aires, Emecé ed., 1992.
  • Christensen, Juan Carlos, Historia argentina sin mitos: de Colón a Perón, Buenos Aires, Grupo ed. latinoamericano, 1990.
  • Collectif, Historia de la Argentina, Barcelone, Critica, 2001.
  • Deutsch, Sandra McGee , Counterrevolution in Argentina, 1900-1932: the Argentine patriotic league, University of Nebraska press, 1986.
  • Espinosa Moraga, Óscar , El precio de la paz chileno-argentina: 1810-1969, Santiago de Chile, Nascimento, 1969.
  • Floria, Carlos Alberto, García Belsunce, César A., Historia de los Argentinos, Buenos Aires, 1992.
  • Levillier, Roberto, La Argentina del siglo XVI, Buenos Aires, Espasa-Calpe, 1943.
  • Martínez Sarasola, Carlos, Nuestros paisanos, los indios: vida, historia y destino de las comunidades indígenas en la Argentina, Buenos Aires, Emecé, 1993.
  • Rapoport, Mario, Crisis y liberalismo en la Argentina, Buenos Aires, Editores de América latina, 1998.
  • Sarmiento, D.F. Life in the Argentine Republic in the Days of the Tyrants: Or Civilization and Barbarism, New York, Hafner Publishinh Co., 1960.
  • Sarmiento, D.F. Facundo, Paris (traduction française) Coll. Mémorables, ed. L'Herne, 1990.
  • Sturzenegger-Benoist, Odina, L'Argentine, Paris, Éd. Karthala, 2006.
  • Wright, Ione Suessie, Diccionario histórico argentino, San Pablo, Emecé ed., 1994.

Articles connexes

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