Guerre Sale

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Guerre sale

La « guerre sale » (en espagnol : Guerra sucia) est la répression d'État qui a eu lieu dans les années 1960, 1970 et 1980 en Amérique latine, en particulier en Argentine, au Brésil, et dans l'ensemble du Cône sud dans les années 1970, puis en Amérique centrale (guerre civile au Guatemala sous la direction du général Efraín Ríos Montt, au Salvador où les escadrons de la mort sont entraînés par l'armée argentine - environ 50 000 victimes dans cette guerre civile [1]- au Nicaragua où les Contras, entraînés par les Argentins et la CIA, s'attaquent aux Front sandiniste de libération nationale , etc.). On compte près de 30 000 « disparus » (desaparecidos) en Argentine, mais les « archives de la terreur », découvertes dans un commissariat au Paraguay en 1992 comptent au total 50 000 personnes assassinées, 30 000 « disparus » et 400 000 personnes incarcérées [2]. Le Rapport Valech au Chili, rendu public en 2004, compte 30 000 personnes torturées pour le seul Chili pinochettiste. La justice argentine a parlé pour la première fois de « génocide » lors du procès de Miguel Etchecolatz, un membre de la notoire police de Buenos Aires, jugé pour crimes contre l'humanité en 2006. Trente ans après le coup d'État ayant amené les militaires au pouvoir en Argentine, ce procès a vu la disparition de Jorge Julio López, qui devait témoigner contre Etchecolatz. Jorge Julio López n'a toujours pas été retrouvé, tandis que les responsables éventuels de sa disparition n'ont pas été non plus identifiés - bien que de fort soupçons pèsent sur des membres des forces de l'ordre, de l'armée ou des agences de renseignement.

Sommaire

Le concept de la « guerre sale » et sa réfutation légale

L'expression est contestée, notamment lors du Procès de la junte argentine en 1983 en raison de sa teneur idéologique, qui prétend légitimer la terreur d'État comme moyen de s'attaquer à la « subversion communiste ». Le terme est resté et est souvent utilisé[réf. nécessaire] pour désigner, en référence à cette période, tout ce qui se réfère à un programme de terrorisme d'état en réponse à une dissidence perçue comme un danger pour le gouvernement. Ce type de « guerre » inclut typiquement une répression violente (enlèvements, tortures, assassinats).

Les juges argentins ont rejeté le concept de « guerre sale », car il repose sur le postulat que le pays était sous une menace révolutionnaire justifiant tous les moyens possibles pour l'éradiquer, notamment au nom de la dite « doctrine de sécurité nationale » élaborée dans le cadre de la guerre froide. Or, les magistrats ont démontré qu'il n'y avait pas de telle menace ; que les diverses guérillas ne représentaient pas réellement une menace pour l'État ; qu'elles n'étaient pas soutenues par un État extérieur; et qu'on ne pouvait donc parler de véritable insurrection justifiant l'illégalité des moyens employés par les divers États et services de sécurités argentins (moyens qui passaient notamment par l'établissement d' "escadrons de la mort"). De ce fait, on ne peut, à proprement parler (c'est-à-dire sur le plan juridique), évoquer une « guerre », mais simplement une répression étatique.

Ces arguments ont été rappelés par la justice argentine, en 2007, lors de l'acquittement de sept ex-Montoneros pour prescription des faits commis. [3] Evoquant le Procès de la Junte, elle déclara alors que les « bandes subversives » avait été pratiquement complètement démantelées en 1975, et que, dès lors, l'attentat du 2 juillet 1976 commis par les Montoneros contre un édifice de la police ne pouvait être considéré comme un crime de guerre [3].

La Cour a, en outre, insisté sur les nombreux vols de droit commun commis par les services de sécurité à l'encontre des victimes de cette soi-disant guerre [4]. Enfin, près de la moitié des victimes argentines de la répression d'État étaient de simples syndicalistes, voire des prêtres proches des associations des droits de l'homme, comme dans le cas des nonnes françaises Léonie Duquet et Alice Domon, qui travaillaient aux côtés des Mères de la place de mai, ou de simples touristes, comme Boris Weisfeiler, mathématicien russe, juif dissident naturalisé américain, qui disparut au Chili aux abords de la Colonia Dignidad de Paul Schäfer.

La « guerre sale » désigne ainsi une répression d'État violente, exercée par des dictatures militaires par des moyens illégaux et anti-démocratiques, dans le contexte international de la guerre froide, et dans le contexte régional de conflits sociaux exacerbés, menant notamment à l'arrivée au pouvoir de Salvador Allende au Chili, mais aussi du président bolivien Juan José Torres (assassiné à Buenos Aires en 1976). L'historien argentin Hugo Moreno, exilé en France, recense pas moins de 600 conflits sociaux, grèves et occupations d'usines lors des premiers mois du gouvernement du péroniste de gauche, Héctor Cámpora, de mai à juin 1973 [5].

Le coup d'État de 1964 au Brésil

Au Brésil, la dictature militaire s'instaure avec le coup d'État de 1964 mené par le maréchal Castelo Branco contre le président Joao Goulart. L'Acte institutionnel n°5 suspend la Constitution, dissout le Congrès et abroge les libertés individuelles, tandis qu'un code de procédure pénale militaire autorise l'armée et la police à arrêter, puis à emprisonner, hors de tout contrôle judiciaire, tout « suspect » [6]. Selon la journaliste Marie-Monique Robin, l'implémentation de ces décrets résulte, entre autres, de l'influence du « modèle » de la bataille d'Alger (1958) sur les militaires, lorsque les pleins pouvoirs ont été accordés aux militaires français et les forces de police soumises à l'armée, qui s'est accordée le rôle de poursuivre les missions de police, en-dehors de tout contrôle judiciaire [6]. Les années de plomb au Brésil s'étendent de 1968 à 1974, Brasilia participant ensuite à l'opération Condor.

En octobre 1969, le général Garrastazú Médici remplace Costa e Silva et intensifie la « guerre sale » contre la population civile. Il lance, dans le plus grand secret, une campagne anti-insurrectionnelle dans la région de Goias, qui mobilise quelques 5 000 soldats pour 69 guérilleros, dont José Genoíno, détenu en 1972 (qui deviendra par la suite président du Partido dos Trabalhadores (PT) dans les années 1980), et une quinzaine de paysans qui rejoignirent le mouvement. En novembre 1969, Carlos Marighella, fondateur en 1968 de l’Ação Libertadora Nacional (ALN), guérilla qui lutte contre la dictature, est assassiné par un escadron de la mort lors d'une embuscade montée par le commissaire Sergio Fleury.

Au lendemain du coup d'État du 11 septembre 1973 au Chili, des militaires brésiliens seront envoyés à Santiago. L'ambassadeur brésilien Câmara Canto conseille les généraux putschistes, tandis que le général Orlando Geisel, ministre de la Guerre de la junte de Brasilia, envoie par avion, dès le 11 septembre au matin, des officiers de renseignement et agents de la police fédérale, que l'on retrouve le soir même dans les stades de Santiago où sont détenus les premières victimes du coup d'État [7].

La coopération entre le Chili et le Brésil continue par la suite. Manuel Contreras, le premier chef de la DINA (la police politique de Pinochet), déclarera à la journaliste Marie-Monique Robin avoir envoyé « tous les deux mois (...) des contingents de la DINA », au Centre d'instruction de la guerre dans la jungle de Manaus, « pour qu'il [ Paul Aussaresses ] les entraîne » : « Il fut aussi l'instructeur d'officiers brésiliens. Il travaillait surtout à l'École de renseignement de Brasilia, mais il allait régulièrement à Manaus » [8].

Les disparitions forcées

La junte généralisa la méthode des disparitions forcées, séquestrant opposants, syndicalistes et membres des familles, y compris de nombreux mineurs. On estime à 30 000 le nombre de desaparecidos (disparus)(pour l'argentine), qui étaient torturés dans des centres de détention après avoir été kidnappés (souvent par des agents d'une équipe militaire spéciale, le Grupo de Tareas, GT, à bord de Ford Falcons qui devinrent vite des symboles de la répression), avant d'être jetés en mer, drogués, à bord d'hélicoptères. La journaliste Marie-Monique Robin a montré que cette technique dérivait directement de celle employée lors de la bataille d'Alger, les dites « Crevettes Bigeard », la France ayant un accord de coopération militaire secret avec l'Argentine de 1959 à 1981 [9].

Le capitaine Adolfo Francisco Scilingo, condamné en avril 2005 par la justice espagnole à 640 ans de prison pour crimes contre l'humanité [10], déclarait :

« En 1977, j'étais lieutenant de vaisseau affecté à l'ESMA. J'ai participé à deux transferts aériens de subversifs (sic). On leur annonçait qu'ils allaient être transportés dans une prison du sud du pays et que, pour éviter les maladies contagieuses, ils devaient être vaccinés. En fait, on leur injectait un anesthésique à l'Esma puis une deuxième dose dans l'avion, d'où ils étaient jetés à la mer en plein vol. Il y avait des transferts chaque mercredi. » [11] »

Le retour de Peron

Ce vif mouvement social des années 1960-70 (qui trouve des échos à l'échelle internationale) a été brisé par la force. En Argentine, dès le retour du général Peron en 1973, le massacre d'Ezeiza du 20 juin marque la scission entre les péronistes de gauche (Montoneros, etc.) et la bureaucratie syndicale de droite (José Ignacio Rucci, etc.) ainsi que l'extrême droite, dont toute une partie soutient alors Peron - et que Peron soutient. José Lopez Rega, ministre de la Santé sous le gouvernement Campora (1973), Raúl Alberto Lastiri, Juan Peron (1973-1974), puis Isabel Peron (1974-1976), et secrétaire particulier de ces deux derniers, met alors en place la Triple A (Alliance Anticommuniste Argentine), un escadron de la mort qui fit plus de 1 500 victimes.

La répression d'État commence donc avant le coup d'État de mars 1976 qui mène la junte militaire au pouvoir et déloge Isabel Peron, troisième femme du général. La Triple A échoue, le 21 novembre 1973, à assassiner le sénateur Hipólito Solari Yrigoyen par le biais d'une voiture piégée. En 1974, elle assassine le jésuite Carlos Mugica, un ami de Mario Firmenich, membre des Montoneros, une organisation péroniste de gauche, catholique et nationaliste. Elle vise aussi Silvio Frondizi, recteur de l'Université de Buenos Aires et frère de l'ancien président Arturo Frondizi, etc. Leurs menaces de mort poussent à l'exil de nombreux artistes et autres intellectuels, tels que Manuel Sadosky, Luis Brandoni, Nacha Guevara, etc. Une estimation souvent avancée, à propos de la Triple A, compte 220 attaques terroristes de juillet à septembre 1974, qui font 60 morts et 44 blessés graves, ainsi que 20 enlèvements [12].

En outre, le gouvernement d'Isabel Peron passe en février 1975 l'ordre d'éliminer par tous les moyens le foco créé par la guérilla guévariste ERP au nord-ouest de l'Argentine dans la province misérable de Tucuman. Le général Acdel Vilas, en charge de l'opération, met alors en place un système de contre-insurrection s'inspirant en tous points de la bataille d'Alger: quadrillage, pouvoir remis aux militaires qui établissent l'état d'urgence, torture systématique des opposants visant à briser le moral de la population et à casser tout soutien vis-à-vis de la guérilla (réponse exacte à la théorie maoïste de la guerre révolutionnaire), etc [9].

En mars 1975, le gouvernement d'Isabel Peron organise un raid à Santa Fe qui mobilise 4 000 membres des forces de sécurité, police et armée. Cent cinquante militants et leaders syndicaux sont arrêtés [13]

En qualité de président par intérim (Isabel Peron étant pour une courte durée indisposée), Italo Luder signe en juillet 1975 les décrets dits d'« annihilation », qui étendent à tout le pays le régime auquel était déjà soumis la province de Tucuman. Bien que le coup d'État n'ait eu lieu qu'un an après, la répression d'État est déjà bien entamée. C'est en raison de ces décrets qu'Isabel Peron a été arrêtée en janvier 2007 en Espagne et extradée en Argentine pour y être jugée, tandis que Rodolfo Almiron, autre chef de la Triple A, a aussi été arrêté en Espagne et extradé fin 2006. Rodolfo Almiron avait été par la suite chef personnel de la sécurité du ministre franquiste Manuel Fraga, ministre de l'Intérieur lors de la transition démocratique espagnole et aujourd'hui président de la Galice [14]. Almiron est soupçonné d'avoir participé, aux côtés du terroriste italien Stefano Delle Chiaie, ayant participé activement à la « stratégie de la tension » dans la péninsule italienne, au massacre de Montejurra en Espagne lors de la transition démocratique [15]

Ainsi, lorsque les militaires s'emparent du pouvoir un an plus tard, la guérilla de l'ERP est déjà complètement démantelée, de même que les Montoneros, qui, malgré des attaques venant de la Triple A et des critiques du général Peron lui-même, dès le lendemain du massacre d'Ezeiza, qui dénonce ces « idéalistes imberbes » (bien qu'ils les avaient soutenus lors de son exil en Espagne franquiste), attendront néanmoins la mort du général pour passer à l'action (à l'exception notable du péroniste de droite, José Ignacio Rucci, qui dirige les syndicats et a aussi fait partie des membres créateurs de la Triple A). En mars 1976, toute prétendue « subversion » n'est donc déjà plus que le fruit de l'imagination des secteurs de l'extrême droite, présent aussi bien dans l'armée que dans l'Église (voir la controverse au sujet du Cardinal Jorge Bergoglio, accusé d'avoir participé à l'enlèvement de deux jésuites en 1976, ou le rôle obscur du cardinal Antonio Caggiano, archevêque de Buenos Aires de 1959 à 1975 et initiateur des cours de contre-insurrection à l'ESMA. Caggiano a écrit le prologue au Marxisme-Léninisme, ouvrage de Jean Ousset, secrétaire particulier de Charles Maurras et fondateur de la Cité catholique, organisation intégriste qui regroupa de nombreux anciens de l'OAS. Selon le journaliste Horacio Verbitsky, célèbre pour avoir recueilli les aveux de Adolfo Scilingo, Jean Ousset aurait été le créateur du concept de « subversion », désignant un ennemi essentiel qui ne se définit pas par ses actes, mais par son existence même - Verbitsky ne met pourtant pas ce concept en relation avec la doctrine de Carl Schmitt définissant le critère de la politique comme distinction de l'« ami » et de l'« ennemi », c'est-à-dire, en dernière instance, la guerre) [16]).

L'opération Condor

Voir aussi : Opération Condor

L'une des spécificités de la terreur d'État des années 1970 a été la coordination des services secrets des dictatures militaires de droite de l'Argentine, du Chili (sous Augusto Pinochet), de la Bolivie (sous Hugo Banzer Suárez), du Brésil (sous Ernesto Geisel, João Baptista de Oliveira Figueiredo), du Paraguay (sous Alfredo Stroessner) et de l'Uruguay (sous Juan María Bordaberry) au sein de l'Opération Condor. Les États-Unis fournissaient une base d'information au Panama[réf. souhaitée]. Henry Kissinger est aujourd'hui dans l'impossibilité de voyager au Brésil, où il risque l'arrestation, en raison du rôle prêté à la Maison Blanche dans le soutien aux dictatures, sous la présidence de Richard Nixon en particulier.

Coup d'État

En 1975, la présidente Isabel Martínez de Perón, sous la pression de l'état-major, nomme Jorge Rafael Videla commandant en chef de l'armée argentine. Il fut un des dirigeants militaires du coup d'État qui l'obligea à démissionner le 24 mars 1976. À sa place fut érigée une junte militaire qui était contrôlée par l'amiral Emilio Eduardo Massera, le géneral Orlando Agosti et Videla lui-même. Roberto Eduardo Viola, Leopoldo Galtieri et dans une moindre mesure Reynaldo Bignone en feront aussi partie, le chef d'État variant au fil des années.

La junte prétendit mettre en œuvre un « Processus de réorganisation national », autre euphémisme désignant le massacre des opposants et des civils. La CONADEP établie par le président Raul Alfonsin lors de la transition démocratique a pu compter, en nommant chaque cas, environ 10 000 disparus. Mais la nature même du crime de disparition rend de tels recensements extrêmement difficiles ; sans compter que nombre de victimes, particulièrement en province, n'osent pas se présenter dans des commissariats alors que la quasi-totalité des fonctionnaires ayant travaillé sous la dictature sont encore en place. Le même problème a eu lieu au Chili avec les deux Commissions de réconciliation, dont la dernière qui aboutit au Rapport Valech en 2004. De même, comme au Guatemala, ou en Espagne pour les victimes de la guerre civile de 1936-1939, des équipes d'anthropologues-légistes expertes s'essaient à identifier les corps, un travail de longue haleine. Aussi, mis à part le recensement, cas par cas, établi par la CONADEP, les estimations des associations des droits de l'homme comptent plutôt 30 000 disparus en Argentine - sans compter les nombreux exilés. La torture a été systématisée, utilisée dans des centres de détention illégaux tels que l'ESMA à Buenos Aires.

L'opération Charly

Article détaillé : Opération Charly.

Avec l'élection du démocrate Jimmy Carter en 1977 à la présidence des États-Unis, un coup d'arrêt fut mis aux opérations spéciales de la CIA. Ce sont alors les services secrets argentins, qui avaient déjà participé au plan Condor, qui prirent le relai, en se posant en défenseurs du « monde libre » contre le communisme. De 1977 à 1984, l'armée argentine exporta ainsi les méthodes de contre-insurrection (torture, disparitions forcées, etc.), qu'elle avait elle-même apprise de l'armée française, dans toute l'Amérique latine. Ainsi, des forces d'unité spéciales, telles que le bataillon d'Intelligence 601, dirigé en 1979 par le colonel Jorge Alberto Muzzio, ont entraîné la contre-guérilla des Contras au Nicaragua dans les années 1980, en particulier dans la base de Lepaterique [17]. L'Opération Charly était dirigée par le Général Carlos Alberto Martínez, à la tête du SIDE et l'homme de Videla dans les services secrets, avec les généraux Viola et Valín [18].

Avec les secteurs les plus réactionnaires américains, les généraux argentins ont prétendu que Washington avait abandonné la lutte anti-communiste. Ils participèrent alors activement aux « sale guerres » au Guatemala, au Honduras [19], au Salvador, et au Nicaragua [18]. Les services argentins ont alors crée des services secrets à l'intérieur des services secrets alliés, afin de transférer les 19 millions de dollars fournis par la CIA [18].

Les Argentins participèrent ainsi au coup d'Etat en Bolivie de 1980 de Luis García Meza, avec l'aide de mercenaires tels que le terroriste néo-fasciste italien Stefano Delle Chiaie et Klaus Barbie, le « boucher de Lyon » pendant l'Occupation [18][20].

Jimmy Carter autorisa ensuite, fin octobre 1980, la création d'un programme secret de la CIA de soutien à l'opposition des Contras au gouvernement sandiniste, envoyant un million de dollars. La CIA collabora alors avec le bataillon d'Intelligence 601, qui avait une base en Floride [18]. Au milieu des années 1980, l'ex-vice directeur de la CIA Vernon Walters et le leader des Contras Francisco Aguirre ont rencontrés les généraux argentins Viola, Davico et Valin afin de coordonner les actions en Amérique centrale [18]. Après l'accession de Ronald Reagan à la présidence en 1981, l'armée argentine se mit aux ordres de Washington [18], qui intensifia les actions, notamment au Nicaragua.

Amnistie

Le président Raul Alfonsin, qui initia la transition démocratique en Argentine, mis d'abord sur pied une Commission de vérité et de réconciliation (la CONADEP), présidée par l'écrivain Ernesto Sabato. Il organisa ensuite le « Procès de la junte », en 1983 (Juicio a las Juntas), qui jugea Videla et les principaux responsables de la dictature, ainsi que des membres des Montoneros, dont Mario Firmenich, et Enrique Gorriarán Merlo, membre de l'ERP. La « théorie des deux démons » était alors en vigueur, et prétendait mettre sur le même plan le terrorisme d'État et les guérilleros. Pourtant, lors du Procès de la junte, les juges démontreront qu'il n'y avait pas d'état de guerre (ni même de guerre civile), que la guérilla ne représentait pas une réelle menace pour l'État argentin, et que dès lors l'expression même de « sale guerre », utilisée par la junte pour légitimer la terreur d'État, n'était pas fondée.

En 1986 et en 1987, sous la présidence de Raul Alfonsin, furent adoptées les lois dites « du Point final » et « du Devoir d'obéissance », qui assuraient l'impunité des militaires ayant participé à la « sale guerre » durant la dictature argentine (1976-1983). Ces lois donnent 60 jours aux victimes pour déposer leurs plaintes; passé ce délai, elles seront irrecevables. Pourtant, l'extrême droite, bien présente encore au sein de l'armée, ne supporte même pas cette condition. En 1987, 1988 et 1989, elle se soulève par trois fois, manquant d'emporter l'Argentine dans un nouveau coup d'État et une nouvelle dictature: c'est la rébellion des Carapintadas. Suite à celles-ci, qui culminent en 1989 avec le massacre de la Tablada, lorsque Enrique Gorriaran, au nom du Movimiento Todos Por la Patria (MTP), dirige une attaque contre un régiment militaire qu'il affirmera par la suite avoir soupçonné de préparer un coup d'État pour les jours suivants. L'armée argentine écrase les insurgés qui prétendent agir au nom de la Constitution, en utilisant notamment l'arme chimique du phosphore blanc, en violation des Conventions de Genève [21],[22]. Les insurgés seront condamnés à perpétuité, avant d'être gracié deux jours avant l'arrivée au pouvoir, en 2003, de Nestor Kirchner, péroniste de gauche victime de la dictature.

Poursuites judiciaires

Malgré la mobilisation, dès les années de la dictature, des Mères de la place de mai, les militaires argentins échapperont ainsi à toutes poursuites, jusqu'en 2005, date à laquelle la Cour constitutionnelle argentine déclare anti-constitutionnelle les lois d'amnistie passées sous Menem. Adolfo Scilingo avait auparavant été jugé et condamné pour crimes contre l'humanité en Espagne - le juge Baltasar Garzon, le même qui avait inculpé Pinochet à Londres en 1998, étant en charge de l'affaire.

L’amiral argentin Luis Maria Mendia, idéologue des « vols de la mort », a demandé en janvier 2007, lors de son procès, en Argentine, pour crimes contre l’humanité, la présence de Valéry Giscard d’Estaing, ainsi que de l’ancien premier ministre Pierre Messmer, de l’ex-ambassadrice à Buenos Aires Françoise de la Gosse et des tous les officiels en place à l’ambassade de Buenos Aires entre 1976 et 1983, de comparaître devant la cour en tant que témoins. Tout comme Alfredo Astiz, l’ « ange de la mort », avant lui, Luis Maria Mendia a en effet fait appel au documentaire de la journaliste Marie-Monique Robin intitulé « Les escadrons de la mort – l’école française », qui montrait comment la France (et notamment des anciens de la guerre d’Algérie), par un accord secret militaire en vigueur de 1959 à 1981, avait entraîné les militaires argentins. Ils ont par ailleurs aussi demandé la présence de Isabel Peron (arrêté début 2007), Italo Luder, Carlos Ruckauf et Antonio Cafiero. Luis Maria Mendia a accusé un ancien agent français, membre de l'OAS, d'avoir participé à l'enlèvement des nonnes Léonie Duquet et Alice Domon. Celui-ci, réfugié en Thaïlande, a nié les faits, tout en admettant avoir fui en Argentine après les accords d'Évian de mars 1962 [23],[24],[25].

Films

État de siège, film de Costa-Gavras sorti en 1973, évoque la guerre sale qui sévissait alors dans le continent sud-américain, à travers l'enlèvement en Uruguay par un groupuscule d'extrême-gauche d'un agent de la CIA chargé de former des escadrons de la mort.

Références

  1. (fr) Fiche du Quid sur le Nicaragua
  2. Los Archivos del Horror del Operativo Cóndor, Nizkor Project
  3. a  et b Fallo favorable a Montoneros de la Cámara Federal, La Nación, 21 décembre 2007 (es)
  4. Procureur Julio Strassera, Juicio a las Juntas Militares, 1985
  5. Hugo Moreno, Le désastre argentin. Péronisme, politique et violence sociale (1930-2001), Éditions Syllepse, Paris, 2005, p.109
  6. a  et b Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], chap. XVIII, « Les États de sécurité nationale », pp.275-294
  7. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], 2008, chap.XVIII, p.284
  8. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], 2008, p.292
  9. a  et b Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions]
  10. Amnesty International Belgique, Argentine - Uruguay / Impunité, Info-Bulletin n°12, mis en ligne le 31 juillet 2005
  11. Horacio Verbitsky (créateur du Centre d'études légales et sociales (Cels), une des organisations de défense des droits de l'homme argentines), El Vuelo (Le Vol)
  12. González Jansen, Ignacio (1986), La Triple A, Buenos Aires, Contrapunto. (es)
  13. Répression en Argentine et longue mémoire, Argenpress
  14. 'Argentinian death squad leader' arrested in Spain, The Guardian, 30 décembre, 2006
  15. Denuncian que Almirón también participó en la ultraderecha española, Telam agence de presse argentine, 6 janvier 2007
  16. Cf. Marie-Monique Robin; et Horacio Verbitsky, Breaking the Silence: the Catholic Church and the Dirty War. Antonio Caggiano est rentré d'Italie dans le même navire, première classe, qu'Émile Dewoitine - cf. Uki Goñi, The Real Odessa: Smuggling the Nazis to Peron's Argentina
  17. Capítulos desconocidos de los mercenarios chilenos en Honduras camino de Iraq, La Nación, 25 septembre 2005 (es)
  18. a , b , c , d , e , f  et g Los secretos de la guerra sucia continental de la dictadura, El Clarin, 24 mars 2006(es)
  19. Noam Chomsky, War on Terrorism, Conférence annuelled'Amnesty International, Trinity College, Dublin, ZNet, 13 février 2006 (en)/(es)
  20. Audition de Stefano Delle Chiaie le 22 juillet 1997 devant la Commission italienne parlementaire sur le terrorisme, dirigé par le sénateur Giovanni Pellegrino (it)
  21. E/CN.4/2001/NGO/98, ONU, 12 janvier 2001
  22. El Clarín. El ataque a La Tablada, la última aventura de la guerrilla argentina, 23 janvier 2004
  23. Disparitions : un ancien agent français mis en cause, Le Figaro, 6 février 2007
  24. “Impartí órdenes que fueron cumplidas”, Página/12, 2 février 2007
  25. Astiz llevó sus chicanas a los tribunales, Página/12, 25 janvier, 2007

Voir aussi

Liens externes

  • Nunca Mas (Plus jamais ça ! - documents du Procès de la junte, etc.)
  • Argentina Sola? Page du site de la chorégraphe Marilén Iglesias-Breuker consacrée à son spectacle Argentina Sola? qui traite des disparus.

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