- Bastide (Ville)
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Bastide (ville)
Pour les articles homonymes, voir Bastide.Une bastide (de l'occitan bastida) est le nom désignant trois à cinq cents[1] villes neuves fondées dans le sud-ouest de la France entre 1222 et 1373, répartis sur 14 départements. Entre la croisade des Albigeois et la guerre de Cent Ans, ces fondations répondent à un certain nombre de caractéristiques communes d'ordre économique, politique et architectural, correspondant à un essor urbain exceptionnel en Europe à cette époque. On peut citer parmi les plus connues ou caractéristiques les bastides de Monflanquin, Monpazier, Grenade, Mirande ou bien encore Libourne et la ville basse de Carcassonne.
Définitions d’une bastide
Étymologiquement, le mot bastida a un sens très large concernant une construction en cours, récente et d'importance indéfinie. Le mot bastide dans les textes médiévaux va prendre différentes significations selon les périodes. C'est seulement à partir de 1229 environ que le terme prend le sens de ville neuve - bastida sive populatio.
Au XIXe siècle, commence l'étude historique des bastides. L'historien Félix de Verneilh définit les bastides comme : «... des villes neuves bâties tout d'un coup, en une seule fois, sous l'empire d'une seule volonté ...». Alcide Curie-Seimbres reprendra cette définition en la précisant : « Les bastides furent toutes fondées a novo, d'un seul jet, à une date précise, sur un plan préconçu, généralement uniforme, et cela dans la période d'une centaine d'années (1250-1350)». Enfin, pour Odon de Saint-Blanquat, « une ville est une bastide quand les textes relatifs à sa fondation la qualifient ainsi » (1941).
Ainsi les grandes caractéristiques des bastides sont :
- une bastide est une ville ;
- existence d'un acte fondateur ;
- existence des textes originels.
De plus, il apparaît aujourd'hui que les bastides ne sont pas réellement des fondations a novo, comme le dit Curie-Seimbres. En effet, le terrain choisi pour leur implantation ne se situait généralement pas dans un lieu désert. Il s'agissait souvent :
- soit de villages absorbés ;
- soit d'un lieu mythique ;
- soit d'un grand carrefour où se déroulait déjà un commerce à un certain moment de l'année.
On pourrait ajouter que la bastide est un lotissement dont la taille est fixée par son concepteur et dépend de la place qu'il doit occuper dans un réseau urbain général. Les bastides sont l'expression d'une volonté médiévale très innovante d'aménagement du territoire.
La bastide se voit réduite à une petite ville au plan en damier, avec place centrale, halle et couverts, créée par l'association de deux pouvoirs et dotée de coutumes et libertés. Cette image stéréotypée est bien trop réductrice pour définir le phénomène historique complexe et évolutif des bastides.
Aujourd'hui, on s'accorde à dire qu'il s'agit de nouveaux lieux d'établissement pour des groupes de population à but agricole, commercial ou politique.
Lieux d'implantation des villes neuves
Vers l'an Mil, en raison d'une démographie croissante, un grand mouvement d'urbanisme se développe dans toute l'Europe. En Catalogne, on construit les villasnovas. Outre-Rhin, on crée les gründungstädte, et l'Italie voit surgir les borghi nuovi. L'Europe centrale n'est pas en reste avec de nombreuses fondations en Pologne actuelle et en Bohème. En France, débute l'essor des castelnaus, des sauvetés et enfin des bastides. Mais la construction de ces dernières va être un mouvement d'une ampleur inégalée, et surtout planifié et organisé.
Durant le Moyen Âge, le sud-ouest de la France actuelle est une zone de friction entre les rois de France et d'Angleterre, à cause du Duché d'Aquitaine et du comté de Toulouse. C'est dans cette région que vont surgir durant 150 ans ces nouveaux villages, appelés bastides, au fil des gouvernances et des conflits. De Libourne à Carcassonne, et de Rodez à Mont-de-Marsan, quatorze départements actuels sont concernés, correspondant à une vaste zone de 50 000 km².
Malgré l'intérêt géopolitique des bastides, les bastides sont implantées aussi en fonction du relief, de la qualité des sols et de la présence vitale de l'eau. À vocation agricole et économique, elles devaient aussi assurer la prospérité des nouveaux habitants, appelés les poblans[2].
Certaines bastides s'établissent toutefois sur des positions défensives fortes, comme Arouille, Hastingues, Montfort, Baigts, Pimbo, Miramont-de-Guyenne... D'autres sont entre les deux, moyennement ouvertes et protégées, comme hésitantes. Par exemple : Saint-Justin, Cazères... Mais la majorité s'implante dans des vallées sans accident. Quelques exemples seraient : Grenade, Villefranche-de-Rouergue, Toulouzette, Labastide-Chalosse et Duhort.
Fondateurs
Personnages de haut-rang, les fondateurs des bastides peuvent être classés comme suit [3] :
- les comtes de Toulouse Raymond VII et Alphonse de Poitiers
- les rois de France Louis IX, Philippe III le Hardi, et Philippe IV le Bel,
- les rois d'Angleterre Henri III, Édouard Ier, Édouard II et Édouard III,
- les grands subordonnés, comme les sénéchaux Doat Alaman, Eustache de Beaumarchès et Jean de Grailly, agissant au nom et pour le compte de leur souverain,
- les seigneurs locaux, avec entre autres les comtes de Foix, les comtes du Comminges, les comtes d'Astarac
- les autorités religieuses, comme des évêques ou des abbayes.
Raisons des fondations
Prenant sans doute exemple sur l'essor des castelnaus et des sauvetés, les fondateurs développent les bastides pour plusieurs raisons qui peuvent être classées de la façon suivante :
- politiques : pour exemple, nous citerons le besoin d'affirmation du comte de Toulouse suite à la croisade des albigeois aux limites de ces anciennes terres, ou encore l'antagonisme franco-anglais poussant Alphonse de Poitiers à fonder des bastides en limite du duché d'Aquitaine. L'implantation du pouvoir royal français sur le comté de Toulouse annexé est aussi une raison de fondation, ainsi que le besoin d'autonomie de certains seigneurs.
- économiques : la mise en valeur de terres incultes ou de forêts inexploitées est une des raisons économiques. De plus le développement de foires et de marchés dans les nouvelles bastides est le moyen de perception de conséquents revenus pour les fondateurs.
- démographiques : le regroupement d'habitats dispersés a motivé des fondations, ainsi que le déplacement de population suite à une destruction d'un castelnau.
- sécuritaires : la protection des populations du brigandage et des conflits par le seigneur est une cause complémentaire de certaines constructions.
Situation au XIIe siècle et au début du XIIIe siècle
Situation sociale
La société de l’époque est essentiellement rurale. Les paysages sont très individualisés. La terre est divisée en de tout petits pays. Les plus grands sont à l'époque le Périgord, le Quercy et le Rouergue présentant une unité toute relative. Les autres pays, surtout en Gascogne, sont nombreux du fait de leur petite étendue, gérés par d'innombrables seigneurs.
Toujours en Gascogne, mais aussi dans le sud du Périgord, les paysans sont semi-nomades, migrant de quelques kilomètres lorsque la terre ou les forêts sont épuisées. Dans la région toulousaine au contraire, la terre est plus fertile et cultivée depuis l'antiquité. Des villes et villages antiques, avec de l'artisanat, contribuent à y enrichir une bourgeoisie locale.
Cette époque correspond cependant à une forte progression de la démographie, commencée vers l'an Mil. Ainsi la fondation de nouveaux villages cités plus bas, comme les castelnaus et les sauvetés apporte une première réponse à cette croissance de population. Dans le sud-ouest, une immigration temporaire vers la Catalogne, la Navarre et l'Aragon s'ajoute au phénomène. Après une baisse entre 1180 et 1220, liée à la croisade des Albigeois, la natalité reprend rapidement et la création des bastides va concorder à cette nouvelle demande d'urbanisation.
Situation politique
Le droit féodal est installé depuis plusieurs siècles. Après une période d'invasion et d'insécurité (Sarrasins, Vikings), les seigneurs chargés de la protection des plus faibles se mettent à construire des châteaux plus conséquents et plus défensifs. La féodalité a institué aussi les notions de vassalité et de suzeraineté. Ainsi tous ces seigneurs du sud-ouest de la France actuelle sont vassaux du roi de France, soit directement, soit par l'intermédiaire des grands féodaux, comme Raymond V, comte de Toulouse, ou Aliénor d'Aquitaine, duchesse d'Aquitaine, comtesse de Poitiers et reine de France.
Les seigneurs de l'époque sont de deux types :
- Seigneurs laïques : ce sont des nobles qui offrent la protection à ses gens. Pour être réellement dissuasif face aux autres seigneurs voisins, ils doivent faire de grandes dépenses militaires (château, garnison). Ainsi, de nombreux châteaux sont construits dans la région. Autour de ceux-ci se développent des castelnaus, villages agglutinés autour du castrum central. On peut souvent encore aujourd'hui déduire l'origine de ces villages de la présence dans leur nom de mots tels que : castéra, castel ou castelnaud, comme les villages : Castéra-Verduzan, Castelsarrasin, Castelnaudary, Belcastel ou Castelnaud-la-Chapelle. Le site d'implantation est toujours défensif, souvent perché. Au centre du castelnau se trouve une tour, logis seigneurial et poste d'observation. Les maisons sont serrées autour, créant un urbanisme à rues tortueuses et placettes.
- Seigneurs religieux : hommes d'Église, leur rôle est aussi d'assurer la protection des populations, mais ils le font d'une manière différente. La sécurité est garantie par la dissuasion : la menace d'excommunication. En effet, les terres de l'Église et surtout les villages ayant le statut de sauvetés sont protégés en droit par la paix de Dieu. À l'entrée et aux carrefours les plus fréquentés de ces terres, appelées finages, est implantée une croix, marquant la limite d'un espace sacré. Lorsqu'on dépasse ces bornes, il faut déposer les armes. Les noms actuels de ces villages, aussi appelés sauvetés, reflètent aussi leur histoire, comme La Sauvetat, La Sauve ou des villages ayant pris le nom d'un saint. Au niveau de l'urbanisme, les formes sont assez proches de celles des castelnaus. Les maisons se pressent autour du sanctuaire central car il s'agit du lieu véritablement inviolable. Dans ce sanctuaire, le clocher est généralement construit comme une tour de guet ou un donjon et souvent l'église est fortifiée. Une lourde porte, de petites ouvertures romanes, des murs épais avec contreforts ne sont pas un luxe dans ces temps troubles.
Un événement majeur va déterminer l'avenir politique de la région. En effet le 18 mai 1152 [4], deux mois après l'annulation de son mariage avec Louis VII roi de France, Aliénor d'Aquitaine, duchesse d'Aquitaine, se remarie avec Henri Plantagenêt, futur Henri II roi d'Angleterre. Par cette union, Aliénor apporte à son nouveau mari ses terres d'Aquitaine, qui s'étendent de la Loire aux Pyrénées. Le sud-ouest devient alors une terre de conflits entre les royaumes de France et d'Angleterre.
Mais il est aussi intéressant de noter les liens familiaux des comtes de Toulouse avec les dynasties française et anglaise. En effet, Raymond VII comte de Toulouse, a pour mère Jeanne d'Angleterre, fille d'Henri II et sœur de Richard Cœur de Lion, et a pour grand-mère paternelle, Constance de France, sœur de Louis VII, roi de France.
D'autre part, un système de chartes se développe avant l'apparition des bastides. Il s'agit en fait de documents écrits où sont stipulés les droits et devoirs des habitants, les droits et devoirs de la commune et les redevances dont la population doit s'acquitter. Celle-ci préfère ce système moins arbitraire et de plus en plus de seigneurs adoptent des chartes. Dès le XIIe siècle, Auvillar et Montauban ont déjà des chartes de coutumes et des amorces de paréages, outils juridiques qui vont permettre et faciliter l'éclosion des bastides.
Pour J. Poumaride, historien du droit, « la pénétration du droit romain dans le bassin de la Garonne coïncide avec un grand mouvement d'affranchissement urbain et de création de bastides. Le principe de liberté individuelle que véhicule le droit romain est le ferment de cette éclosion urbaine acceptée par une féodalité méridionale peu cohérente ».
Situation religieuse
Deux faits importants jalonnent cette époque. Tout d'abord, le sud-ouest et le Languedoc voient s'établir et s'épanouir la doctrine cathare, qui trouve dans les conditions socio-culturelles de cette région un terreau favorable à son développement.
Et en 1121, le pape Calixte II fait de Saint-Jacques-de-Compostelle une ville sainte, presque à parité avec Jérusalem et Rome. Dès lors, l'Aquitaine et le midi toulousain se voient traverser par plusieurs chemins de pèlerinage. Dans les villes s'établissent des évêques et des monastères cisterciens s'implantent dans les campagnes. Les gens, très religieux, lèguent souvent à leur mort une partie de leurs terres à l'Église, qui devient vite une grande propriétaire terrienne.
Périodes de fondation des bastides
Période comtale (1222-1249)
Pour les historiens, la première bastide fondée fut celle de Cordes en 1222 par Raymond VII, comte de Toulouse [5]. On a souvent préféré l'année 1144, année de fondation de Montauban par Alphonse Jourdain, comte de Toulouse, comme le début de l'ère des bastides. Mais la construction de Montauban est considérée aujourd'hui comme un événement isolé, certes exceptionnel et innovant (situation, plan organisé et privilèges accordés), mais sans lien précis avec les fondations massives des deux siècles suivants. D'autres villages, comme Saint-Félix-Lauragais fondé en 1167 et Lauzerte fondé en 1194 pourraient prétendre au titre de "première bastide". Mais l'année 1222, année de fondation de Cordes, correspond mieux à un élan de construction, initié par le nouveau comte de Toulouse Raymond VII. Par ailleurs, la fondation des bastides se place dans des traditions plus anciennes, d'abord antique avec les fondations de colonies, ensuite médiévales avec des fondations de sauvetés initiées par Guillaume le Pieux ou Géraud d'Aurillac.
La fin du XIIe siècle va correspondre à une période transitoire, débouchant sur les tragiques événements de la Croisade des Albigeois. Par leur opposition à la hiérarchie catholique et à la tolérance du comté de Toulouse, les Cathares se voient s'attirer les foudres de l'Église catholique romaine, qui les condamne comme hérétiques. Cherchant à les éliminer, d'abord par le prêche et le débat doctrinal, l'Église Romaine va utiliser la force. Ainsi, la croisade contre les Albigeois, prêchée par Innocent III, est menée par Simon IV de Montfort commandant les barons et comtes du nord de la France à partir de 1209 durant une décennie. Le roi français Philippe-Auguste n'y prend pas part, trop occupé à combattre les Anglais en Normandie. Cette croisade a comme conséquence, outre le fait d'éliminer le catharisme, d'affaiblir les pouvoirs locaux des Comtes de Toulouse, au profit des Capétiens s'établissant durablement dans la région. L'objectif est aussi de rattacher le comté de Toulouse à la couronne de France, pour ses richesses et sa position stratégique face aux terres aquitaines du roi d'Angleterre.
Toutefois en 1222, en pleine croisade contre les Cathares, à la succession de son père Raymond VI, Raymond VII comte de Toulouse cherche à affirmer son autorité en créant les premières bastides de Cordes et de Castelnau-de-Montmiral[6]. Il les implante en Albigeois, terre meurtrie par la croisade.
Mais le traité de Meaux-Paris en 1229 scelle le sort du comté de Toulouse. L'Albigeois est coupé en deux le long du Tarn, l'est du comté est réuni au domaine royal tandis que l'ouest reste au Comte de Toulouse Raymond VII. Il est prévu aussi par ce traité le mariage de la fille du comte de Toulouse, Jeanne, avec Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis Roi de France, ainsi que l'annexion du reste du comté au Royaume de France à la mort d'Alphonse de Poitiers. Le comté de Toulouse est donc voué à disparaître.
Cependant, après 1229, Raymond VII, malgré son pouvoir affaibli, continue l'essor des bastides en limite avec ses anciens fiefs, devenus désormais domaines royaux[7]. Ces bastides sont fondées de préférence sur les routes entre Toulouse et Albi, avec Montauban comme limite au nord. On peut citer Labastide-de-Lévis, Villeneuve-sur-Vère, Lisle-sur-Tarn ou encore Buzet-sur-Tarn[8]. Quelques fondations excentrées de l'Albigeois constituent une minorité, pour contrecarrer le comte de Foix (Montesquieu-Volvestre, Le Fousseret).
Période alphonsine (1249-1271)
À la mort de Raymond VII en 1249, Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, devient comte de Toulouse. Pendant ses vingt ans de règne (1250-1270), Alphonse de Poitiers fonde cinquante quatre bastides[9].
Cet effort de fondations correspond à une évolution politique dans la région. En effet, en litige avec le roi duc à l'ouest pour l'Agenais et le comte de Foix au sud du comté, Alphonse de Poitiers a une volonté de colonisation des larges vallées au sud de Toulouse et vers Agen. Dans ces deux régions « frontières », il décide la construction de nouvelles bastides, à l'instar de Montréal-du-Gers en 1255. La même année, la fondation de Sainte-Foy-la-Grande, si près de Bordeaux, fait figure de provocation pour le roi d'Angleterre.
Un autre Traité de Paris en 1259 calme la situation politique provisoirement, en reconnaissant aux Plantagenêt la possession de Bordeaux, du Périgord et de la Gascogne. Cependant, ce traité prévoie dans une clause particulière que l'Agenais et le Quercy ne reviendront au roi d'Angleterre qu'après le mort de Jeanne de Toulouse sans descendance. Profitant de cette situation, Alphonse de Poitiers continue après le traité la création de bastides dans les dites régions, comme Castillonnès, Villeréal, et Eymet.
À cette époque commence aussi à se dessiner un axe de communication important entre Toulouse et Paris vers Cordes et Villefranche-de-Rouergue. Il s'agit également de création politique suite à l'arrivée des Capétiens dans la région. Ainsi, la construction de Villefranche-de-Rouergue en 1252 répond à la nécessité d'Alphonse d'installer son pouvoir en Rouergue, face aux anciennes cités, telles Najac, restées fidèles à la dynastie raymondine.
Plus au sud, vers le piémont pyrénéen, Alphonse de Poitiers lance la fondation de bastides en limite du comté de Foix. C'est le cas pour Carbonne, Palaminy, Saint-Sulpice-sur-Lèze, Villeneuve-de-Rivière ou encore Gaillac-Toulza. Il assure ainsi sa frontière du sud face au comte de Foix « expansionniste » et au comte de Comminges « turbulent ».
Période sénéchale (1271-1294)
Alphonse de Poitiers meurt en 1271, ainsi que sa femme Jeanne de Toulouse, sans doute à cause d'une fièvre contractée à Carthage [10]. Ce couple est sans descendance. Le comté de Toulouse est définitivement rattaché au royaume de France et c'est donc le sénéchal du roi, Eustache de Beaumarchès qui préside désormais à la gestion des terres du comté.
De même, le roi d'Angleterre Henri III meurt en novembre 1272. Début 1273, Édouard Ier, son fils, est sacré roi d'Angleterre et s'empresse de revenir de terre sainte.
La même année, le sud-ouest est partagé de manière presque égale entre les deux rois. L'ouest et le nord-ouest sont aux mains des Anglais, l'est et le sud aux Français. La Gascogne constitue la région frontalière entre la France et le roi-duc. Les seigneurs locaux cherchent à rester autonomes en passant d'un camp à l'autre.
Les terres anglaises, surtout du nord-ouest, vont se couvrir de bastides. Les anciennes ont été fondées par la France, les nouvelles par l'Angleterre. Sur ces terres peu sûres, les bastides y sont placées sur des sites défensifs à proximité de cours d'eau, voies de transport en temps de paix.
À la fin de cette troisième période, le Lot et la Dordogne seront assez uniformément recouverts de bastides, le long des cours d'eau.
Du côté toulousain, Eustache de Beaumarchès fonde des bastides suivant une auréole autour de la métropole qui s'interrompt au sud-est. Dans l'Albigeois et la vallée de la Garonne, il intensifie l'implantation de bastides pour y consolider le pouvoir français.
Enfin, en Gascogne orientale, il existe de nombreux comtés. En effet, il s'agit d'une région cloisonnée par le relief qui n'intéressait pas Alphonse de Poitiers. Les bastides qu'Eustache y fonde sont un moyen pour lui d'infiltrer la région, face aux Anglais.
De 1295 à 1373
La fin du XIIIe siècle est marquée politiquement par une tension croissante entre l'Angleterre et la France. En effet, la guerre de Gascogne éclate en 1292[11]. Suite à une querelle de marins à Bayonne pour des raisons de territoires de pêche, les Anglais mettent à sac La Rochelle et sa région. Le roi de France Philippe le Bel demande à Édouard Ier roi d'Angleterre de comparaître devant lui, pour expliquer cette félonie. Un accord est obtenu par l'occupation temporaire du duché d'Aquitaine par les Français, avec la livraison d'officiers anglais responsables du sac charentais, mais le roi de France installe ses troupes dans le Duché.
En 1294, le roi Édouard envoie une armée en Guyenne et récupère dès 1295 des villes comme Blaye, La Réole ou encore Bayonne. Par l'offensive de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, les français prennent l'Agenais en 1295. Une trêve est imposée aux belligérants par le pape Boniface VIII, malgré le refoulement complet des anglais de l'Aquitaine par Robert d'Artois. La paix de Montreuil en juin 1299 et le Traité de Paris du 20 mai 1303 rend à l'Angleterre beaucoup de ses terres dévastées par cette guerre, prémices de la Guerre de Cent Ans.
Ainsi durant cette période d'antagonisme franco-anglais, et après la mort d'Eustache de Beaumarchès, la majorité des bastides construites le sont au sud-ouest de l'espace aquitain. Elles sont le fruit d'initiatives anglaises et seigneuriales. Le roi de France y participe peu. Il y a aussi intensification des implantations de bastides dans les régions déjà couvertes, ainsi qu'apparition de fondations de bastides dans le Lauragais et entre l'Ariège et l'Agout. Ces dernières pour assurer le contrôle des relations entre Toulouse et le Languedoc.
Le début de la guerre de Cent Ans en 1337 donne un coup d'arrêt à la fondation des bastides. Moins d'une dizaine vont continuer à sortir de terre, avec celle de Labastide-d'Anjou dans l'Aude en 1373 qui terminera cette grande épopée d'urbanisation du Moyen-Age.
Forme gothique d'aménagement du territoire
Alcide Curie-Seimbres écrivit en 1880 des bastides qu'« on croit voir de grands potagers distribués en carreaux et desservis par des allées droites ». En effet, les bastides sont très ordonnées orthogonalement. Cela rompt fortement avec les formes romanes des villes que les contemporains pouvaient observer.
Une hypothèse est que les urbanistes médiévaux auraient trouvé dans les monastères les modèles romains et les auraient reproduit. Mais cette hypothèse se heurte au fait que les monastères n'ont jamais formé des architectes[réf. nécessaire]. Vitruve ne sera redécouvert et diffusé qu'au XVIe siècle. Mais surtout, la logique qui sous-tend le tracé quadrillé des bastides n'est pas du tout la même que celle des tracés des Romains.
Les urbanistes médiévaux ont innové, ils ont inventé un urbanisme gothique, comme ils ont inventé une architecture gothique. Son originalité ne vient pas des progrès techniques, mais d'une réflexion très achevée sur le thème de la standardisation, sur la modularité.
Villard de Honnecourt, architecte de cathédrales gothiques, a ainsi dans son cahier de croquis conçu une rosace de 216 éléments réalisables avec seulement 5 modèles de pierre. On comprend alors qu'un des éléments principaux de l'architecture gothique soit l'arc brisé. En effet, il facilite la standardisation des claveaux d'un même arc : il est tracé avec deux courbes circulaires de même rayon, et de plus on peut tracer à l'aide de la même courbe des arcs brisés de hauteur et de portée différentes. Cela est impossible avec le plein cintre. Dans un même bâtiment on peut donc employer toute une série d'arcs différents mais tracés à l'aide du même rayon. On pourrait dire que, de même, l'urbaniste, lui, joue avec les ayrals (les parcelles).
Le XIIIe siècle est celui de la naissance de la rationalité géométrique. Une autre vision du monde éclot. L'important n'est plus, comme à l'époque romane de définir et de délimiter les objets du savoir avec un centre et des bornes. Le monde roman était clos. Le monde gothique s'ouvre. On s'ouvre vers l'intérieur (on observe les objets à la loupe) et vers l'extérieur (on observe les objets avec du recul). Le discours est celui de l'individu et du tout, de l'élément et du système.
Cette révolution de la vision du monde a aussi des échos dans le monde musical : le temps est compté, codifié. On le traduit sous la forme de notes carrées qui s'alignent sur des portées. On étudie les sons et la composition de ceux-ci pour former des œuvres musicales.
La théologie n'est pas en reste. Elle découvre la philosophie antique. Le plus bel exemple en est Thomas d'Aquin.
On voit alors que les bastides sont dans l'air du temps. On veut faire du complexe à partir de choses très simples.
Fondation d'une bastide
La fondation d'une bastide se fait par un certain nombre d'étapes :
- le choix de l'emplacement,
- le choix du nom de la bastide. Les noms des bastides sont construits étymologiquement sur 5 racines :
- du nom du sénéchal les ayant fondées,
- de l'autorité royale,
- rappelant des villes extérieures ou étrangères,
- ressemblant aux noms de villes plus anciennes (racines latines),
- marquant leur origine ou leurs privilèges,
- le contrat de paréage entre les seigneurs co-propriétaires,
- la conception du plan de la ville,
- la charte de coutumes.
Emplacements des bastides
Ainsi pour le choix de l'emplacement, deux conditions sont indispensables : disposer d'une assise foncière suffisante et être détenteur de l'autorité nécessaire. D'où le recours fréquent aux contrats de paréage, associant seigneur foncier et détenteur de l'autorité publique. Puis les coutumes et libertés fixent les conditions de la vie sociale. D'autre part, l'urbanisme de ces bourgs se caractérise souvent par l'adoption de plans de rues orthogonales (différent selon le moment, la situation topographique ... ) résultat d'une intervention volontaire. À l’origine confondue avec le castrum, la bastide s’en différencie rapidement par un faisceau original de caractères : l’origine (fondations princières, paréages), l'époque (seconde moitié du XIIIe siècle), la forme (plans en grille centrés sur la place du marché), l’ampleur (vocation de lieu central).
Nom des bastides
La désignation d'un nom pour chaque nouvelle bastide semble correspondre à une intention très déterminée, soit pour inciter les populations à venir, soit pour laisser une empreinte dans l'histoire. Les noms se répartissent en plusieurs catégories, toutes à caractère délibéré :
- en rapport avec les fondateurs, à l'instar de Montréjeau ou Villeréal pour le caractère royal du fondateur, ou plus simplement encore résultant du patronyme du fondateur comme pour Beaumarchés (Eustache de Beaumarchès) ou Libourne (Roger de Leyburn),
- en rapport avec des villes étrangères, visitées par les seigneurs lors de croisades ou de guerres lointaines. Pavie, Fleurance (pour Florence), Grenade, Cordes (pour Cordoue), Tournay (pour Tournai en Flandres) ainsi que Bruges et Gan, sont quelques exemples de noms exprimant sans doute une fascination et un certain exotisme à l'époque,
- en rapport avec un caractère du site choisi, comme Monségur ou Montastruc, précisant le caractère défensif ou agréable de l'endroit,
- en rapport avec les avantages, comme pour Villeneuve et Labastide, noms fixant immédiatement le statut de la nouvelle fondation.
Contrat de paréage
La première nécessité pour fonder une bastide est de posséder le sol. Mais le droit médiéval était complexe. On rencontre souvent, un contrat de paréage établi préalablement entre deux autorités, civile et ecclésiastique. Ce contrat signé devant notaire fixe le statut juridique et fiscal de la bastide. Il prévoit aussi ce qu'il adviendra si la bastide est un échec ou si elle croît.
Il existe au Moyen Âge plusieurs niveaux de propriété du sol, comportant divers droits qu'un seigneur pouvait détenir ou partager :
- la seigneurie éminente, ou supérieure, droit de protéger et de rendre la justice (haute et/ou basse) ;
- la seigneurie honorifique, qui correspond au pouvoir spirituel et auquel correspond, en principe, le prélèvement des dîmes ;
- la seigneurie utile, comportant le droit d'administrer, c'est-à-dire de louer ou de percevoir des impôts (cens, péages et redevances diverses).
Souvent la terre est détenue en indivision, un seigneur possédant tous les droits à la fois sur une même terre étant très rare.
Au moment de la fondation des bastides, il faut tenir compte de ces propriétés du sol. Dans des bastides comme Revel ou Montréal-du-Gers, le roi est le seul seigneur laïc. La fondation en est donc grandement facilitée. Mais ailleurs de longues tractations entre les co-seigneurs doivent avoir lieu. De plus, quelquefois des constructions existent déjà sur les terres choisies pour fonder une bastide, par exemple des granges.
Le contrat de paréage définit les droits des divers seigneurs et prévoit les limites de la bastide et ce qui y sera fait à l'intérieur :
- nombre de maisons, de jardins, de terres cultivables
- taille des parcelles
- les bâtiments civiques et religieux et leur défiscalisation.
Cependant le contrat de paréage ne fixe pas le statut des forêts et pâturages autour de la ville (propriété collective ou répartition égale entre les nouveaux venus). C'est à la nouvelle communauté de le décider. De plus, il ne fait d'aucune manière allusion au plan de la nouvelle ville.
Cérémonie de fondation
Pour célébrer la fondation d'une bastide, une manifestation est organisée par le fondateur sur le site choisi [12] en réunissant les représentants du (ou des) fondateur(s) et les notables. Évêques, notaires, juges et seigneurs locaux s'y retrouvent avec des gens du peuple, ces derniers étant le plus souvent les futurs habitants de la bastide fondée. Lors de cette cérémonie - appelée fixatio pal -, un long pieux – le pal - avec les armoiries du fondateur, est planté dans le sol. Cet événement est cité dans plusieurs textes fondateurs de l'époque, comme des contrats de paréage. C'est l'occasion aussi de faire lecture publique à voix haute de la charte de coutumes (quand elle existe à ce moment là) à la population présente. Des crieurs publiques continuent cette lecture dans la campagne environnante de la bastide, pour informer les absents ou les indécis.
Charte de coutumes
Afin qu'une population vienne peupler la bastide nouvellement créée, il faut attirer des familles de paysans en établissant une charte de coutumes, qui énumère les privilèges accordés aux habitants (ou poblans). Elle est d'ailleurs présentée comme une simple liste, sans ordre apparent, comme si on en rajoutait de temps en temps pour attirer de nouveaux habitants, ce qui était sûrement d'ailleurs le cas.
Ces privilèges étaient de 3 sortes :
- des allègements fiscaux,
- des mesures judiciaires,
- des mesures honorifiques.
Tous ces avantages donnés aux habitants, l'égalité pour ce qui est de la distribution des terres et la quasi-égalité juridique dont bénéficient les nouveaux bourgeois peuvent faire apparaître les bastides comme des terres de liberté et d'égalité. Mais elles n'avaient pas du tout ce but-là. Elles ne cherchaient pas à remettre en cause le droit féodal, ni à créer un désordre. Il ne s'agit que d'ajustements locaux afin d'améliorer le rendement économique et fiscal de terres sous-exploitées.
Si les habitants paraissent libres, ils ne jouissent en fait que d'un régime économiquement libéral. S’ils paraissent égaux, ce n'est qu'une égalité des chances à leur installation. De toute façon, l'inégalité et l'absence de libertés individuelles proviennent surtout de l'état de la société médiévale.
D'ailleurs, pour permettre l'établissement de ces privilèges, les bastides ont dû refuser l'établissement en elles de classes ayant déjà des obligations ou privilèges, incompatibles avec ceux-ci. Ainsi, les serfs, les nobles et les religieux sont interdits d’installation dans la ville [réf. nécessaire]. Certains petits nobles vont préférer troquer leur titre de noblesse contre celui plus lucratif de bourgeois et faire don de leurs terres à la bastide.
Si les hommes et les femmes ont des statuts différentiés, on remarque que les femmes possèdent une pleine capacité juridique dès lors qu'elles sont chef de famille (veuves): elles contractent, achètent, vendent, testent, administrent des commerces, votent pour élire les consuls.
Les lépreux ne sont pas bienvenus dans les bastides. Des léproseries les accueillent dans quelques bastides mais ils sont de toute façon exclus de la société. Ils sont obligés de porter un insigne montrant qu'ils sont malades et ils doivent vivre à part des personnes saines. La législation de la Gascogne entre 1290 et 1326 dit même : « Dans les bastides ou nouveaux villages où ne se trouve pas une léproserie, les lépreux ne peuvent recevoir l'aumône. »
Les juifs ne font pas l'objet de mesures explicites d'exclusion des bastides, mais il n'est pas non plus prévu de quartier particulier qui leur permettrait d'y vivre en communauté religieuse séparée, comme c'est le cas avec les judearia dans les anciennes villes (avant leur bannissement du royaume à partir de 1306 par Philippe le Bel). D'autre part, il faut garder à l'esprit que la cohésion sociale de ces villes nouvelles qui rassemblent des familles étrangères de provenance diverses est fondée sur la paroisse catholique et sur le calendrier des fêtes religieuses.
Charte de coutumes de Monflanquin de 1256[13]
NB : la numérotation a été rajoutée pour faciliter la lecture.Alphonse, à tous ceux qui liront ces lettres, salut. Sachez que, aux habitants de notre bastide de Monflanquin dans le diocèse d’Agen, nous accordons les libertés et coutumes ci-dessous énoncées :
1/ Savoir que par nous ou nos successeurs, il ne sera pas prélevé dans la dite ville ni quête, ni taille, ni le droit de gîte et n’y lèverons aucune subside à moins que ce soit de plein gré des habitants.
2/ De même, les habitants actuels de la dite ville et ceux qui y habiteront dans la suite, pourront vendre, donner, aliéner tous leurs biens meubles et immeubles à qui ils voudront. Toutefois ils ne pourront aliéner leurs immeubles au profit d’une église, d’un couvent ou d’un ordre militaire si ce n’est en réservant le droit des seigneurs de qui ils les tiennent en fiefs.
3/ De même, relativement au fait que les habitants de la dite ville peuvent marier librement et où ils veulent leurs filles et promouvoir leurs fils dans l’ordre clérical.
4/ De même, ni nous ni notre bayle n’arrêterons aucun habitant de la dite ville, ni ne ferons violence ni ne saisirons ses biens, pourvu toutefois qu’il veuille et promette ester en justice, à moins qu’il ne s’agisse de meurtre, d’assassinat, de blessures mortelles ou de tout autre crime pour lequel sa personne et ses biens doivent nous être livrés.
5/ De même, à la suite d’une requête ou sur une plainte d’autrui, notre sénéchal ou ses bayles, si ce n’est pour notre propre fait ou sur notre plainte, ne pourront jamais appeler ou citer aucun habitant de cette ville hors des limites de la juridiction de cette bastide pour des faits qui se seront passés dans la dite ville et ses dépendances ou dans l’étendue de ses possessions ou de sa juridiction.
6/ De même, si un habitant de cette ville meurt, sans avoir fait son testament, s’il ne laisse pas d’enfants et s’il ne présente pas d’autres héritiers qui doivent recueillir sa succession, notre bayle et les consuls de la ville confieront après inventaire, les biens du défunt à deux hommes probes de la ville qui les garderont fidèlement pendant un an et un jour. Si, dans ce délai, il se découvre un héritier pour recueillir sa succession, tous les biens susdits lui seront remis intégralement. Dans le cas contraire tous les biens meubles nous seront remis ainsi que les biens immeubles tenus de nous en fief, pour en disposer à notre gré ; quant aux autres immeubles relevant d’autres seigneurs, ils seront remis à ces derniers qui en disposeront à leur gré, après avoir toutefois payé les dettes du dit défunt d’après les usages et coutumes du diocèse d’Agen si la dette est clairement établie, et cela dans le courant de l’année.
7/ De même, les testaments faits par les habitants de la dite ville en présence de témoins dignes de foi seront valables, bien qu’ils n’aient pas été faits selon toutes les règles prescrites par la loi, à la condition toutefois que les enfants ne soient pas frustrés de la part qui leur revient ; il sera fait appel, à cet effet, au curé de la localité ou à tout autre ecclésiastique, dans la mesure du possible.
8/ De même, l’habitant de cette ville, quel que soit le grief qui lui sera fait et reproché et dont il sera accusé, ne sera tenu, à moins qu’il le veuille, de se disculper ou de se défendre par un duel, ni être contraint de recourir à un combat singulier ; et s’il refuse de se battre, il ne sera pas tenu pour coupable, mais le plaignant, s’il le veut, pourra en appeler en justice et prouver l’accusation par témoins ou par toutes autres preuves selon les formes légales.
9/ De même, les habitants de la dite ville pourront tenir et recevoir à cens ou en don, de n’importe quelle personne voulant vendre, inféoder ou donner ses biens immeubles à l’exception toutefois des fiefs, francs aleux et militaires, qu’on ne pourra acheter ou recevoir sans le consentement de nous ou de nos successeurs.
10/ De même, pour chaque pièce de terre de quatre cannes ou aunes de large et douze de long, nous aurons six deniers de droit d’oublie seulement et ainsi en proportion, payables à la fête de Ste Foy. Nous aurons tout autant de droit d’adapte à toute mutation de propriétaire ; et si c’est une vente, nous recevrons de l’acheteur le droit de vente (c’est-à-dire un douzième du prix de vente) ; si ces sommes ne nous ont pas été versées en temps voulu, il nous sera payé cinq sols d’amende en sus du droit d’oublie.
11/ De même, si dans cette ville, dans les limites de sa juridiction ou sur son territoire, des incendies ou autres méfaits étaient accomplis clandestinement, une amende pour ces faits sera établie par nous ou notre lieutenant, selon les bons statuts et les bons usages approuvés du diocèse d’Agen.
12/ De même, le sénéchal et le bayle de notre ville seront tenus à leur entrée en charge de jurer devant les prud’hommes de la dite ville que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils se conduiront consciencieusement, feront droit à chacun selon leur pouvoir et observeront les coutumes et les statuts approuvés de la ville.
13/ De même, les consuls de la dite ville seront renouvelés chaque année, le jour de la fête de l’Assomption. Nous, ou notre bayle, devrons ce jour-là : élire et installer six consuls catholiques choisis parmi les habitants de la dite ville que nous jugerons et estimerons être les plus honnêtes et les pus utiles aux intérêts de la communauté et aux nôtres. Ces consuls jureront, en présence de notre bayle et du peuple, de bien et fidèlement nous servir et de maintenir nos droits, de fidèlement encore gouverner le peuple et de fidèlement encore, autant qu’ils le pourront, exercer leur charge de consuls, et enfin de ne recevoir de personne aucune récompense en raison de leur fonction. La communauté, à son tour, jurera de donner aux consuls conseils et assistance et de leur obéir, notre droit et notre souveraineté étant toutefois sauvegardés en toutes choses. Les dits consuls auront le pouvoir de réparer les rues, les chemins, les fontaines et les ponts et de lever avec le conseil de vingt-quatre élus par les habitants de la ville sur les habitants de la ville, les frais et dépenses occasionnés par les susdites réparations ou par d’autres entreprises communs nécessaires et d’utilité générale.
14/ Quiconque aura jeté des immondices sur la voie publique sera puni par notre bayle ou par les consuls dans la mesure qu’ils jugeront convenable.
15/ Tout laïque qui aura dans la dite ville ou dans ses dépendances des propriétés ou des revenus devra, pour ce motif, ainsi que ses successeurs contribuer au même titre que les habitants de la ville aux dépenses, frais et tailles qui seront établis par les consuls pour l’utilité de la ville. S’il refuse, notre bayle, à la requête des consuls, lui fera saisir ses biens. Mais les clercs et les autres personnes privilégiées sont tenus à la même obligation pour toutes leurs possessions qui ne leur viennent pas évidemment d’un héritage. Pour ces biens héréditaires ils ne sont tenus à rien, si ce n’est de leur pure et bonne volonté.
16/ De même, les choses comestibles qui sont apportées du dehors pour être vendues, pourvu qu’elles viennent de plus d’une demi lieu, ne seront pas vendues avant d’être apportées sur la place de la ville. Et si quelqu’un fait le contraire, les acheteurs et le vendeur paieront chacun deux sous et demi pour la justice, à mois qu’ils ne soient des étrangers ignorants de cette coutume.
17/ De même, quiconque aura méchamment frappé ou maltraité un habitant avec le poing, la main ou le pied sans qu’il y ait du sang versé, s’il a été porté plainte, sera condamné à payer cinq sols pour la justice et à réparer l’injure d’une manière raisonnable. Si toutefois, il y a eu effusion de sang, l’agresseur paiera vingt sols pour la justice s’il a été porté plainte. S’il a frappé avec un glaive, un bâton, une pierre, une tuile, sans qu’il y ait eu du sang versé, l’amende sera de vingt sols. Et si le sang a coulé et qu’il ait été porté plainte, le coupable paiera soixante sols d’amende et en plus accordera à la victime la réparation d’usage.
18/ De même, si quelqu’un a commis un meurtre et s’il a été reconnu coupable de la mort de la victime au point d’être considéré comme homicide, il sera puni par jugement de notre cour et ses biens nous seront acquis, mais après avoir payé ses dettes.
19/ De même, quiconque, méchamment aura adressé à autrui des reproches, des injures ou des paroles blessantes, s'il a été porté plainte à notre bayle, il sera puni d’une amende de deux sols et demi pour la justice et accordera à la victime la réparation d’usage. Quiconque, devant notre bayle ou notre cour, dira méchamment les susdites paroles sera puni pour la justice de cinq sols d’amende et réparera le tort.
20/ De même, quiconque aura enfreint notre ban ou celui de notre bayle, ou bien aura soustrait un gage, saisi chez lui à la suite d’un jugement, sera puni d’une amende de trente sols pour la justice.
21/ De même, quiconque aura volé un droit de leude sera puni d’une amende de dix sols.
22/ De même, les adultères hommes et femmes, s’ils ont été surpris en flagrant délit et qu’il y ait eu plainte ou bien s’ils ont été convaincus du fait par des personnes dignes de foi ou bien s’ils en ont fait l’aveu en justice, paieront chacun cent sols pour la justice ou seront tenus à courir tout nus à travers la ville, à leur choix.
23/ De même, quiconque, dans de mauvaises intentions, aura tiré contre autrui un couteau ou une épée émoulus sera condamné à payer dix sols pour la justice et à faire réparation envers l’offensé.
24/ De même, quiconque aura de nuit ou de jour dérobé un objet valant deux sols ou un prix moindre devra courir à travers la ville avec l’objet suspendu au cou, en outre il paiera cinq sols d’amende pour la justice et restituera l’objet volé. Exception sera faite pour les vols de fruits pour lesquels il sera fait comme il est dit plus bas. Si l’objet volé vaut plus de cinq sols, le voleur sera pour la première fois marqué et condamné à payer soixante sols pour la justice et s’il a déjà été marqué, il sera puni conformément à la loi par jugement de notre cour. Si un homme vient à être pendu pour cause de vol, et si la valeur de ses biens le permet, on nous donnera dix livres, ses dettes payées, pour frais de justice. Le reste sera remis aux héritiers.
25/ De même, quiconque pénètre de jour dans les jardins, vignes ou prairies d’autrui et y prend des fruits, du foin, de la paille, du bois, pour la valeur de douze deniers ou au-dessous, sans l’autorisation du propriétaire après que défense en aura été faite annuellement, sera condamné à deux sols et demi d’amende à payer aux consuls pour les besoins de la ville. Tout ce que les consuls retireront de ces amendes sera remis en commun au profit de la ville, pour les réparations des chemins, des ponts, des fontaines et autres travaux analogues. Et si la chose volée vaut plus de douze deniers, le coupable sera condamné pour droits de justice à nous payer dix sols d’amende. Quiconque pénètre de nuit et emporte des fruits, du foin, de la paille, sera condamné à nous payer trente sols et en même temps à réparer le dommage causé au propriétaire.
26/ Si un bœuf, une vache ou une bête de somme entre dans les jardins, vignes, prairies, appartenant à autrui, le propriétaire de la bête paiera six deniers aux consuls de la ville ; pour un porc ou une truie, tris deniers ; pour deux brebis ou chèvres ou boucs le propriétaire des bêtes paiera un denier aux consuls. Tout cela sans préjudice des dommages-intérêts à payer au maître des jardins, vignes, prairies. Le produit des amendes sera employé par les consuls à l’usage qui est indiqué ci-dessus.
27/ De même, quiconque aurait fait usage de faux poids, d’une aune fausse, si le délit est réellement établi, devra payer soixante sols d’amende.
28/ De même, pour une plainte au sujet d’une dette, d’une convention ou de quelque autre contrat, si tout de suite, c’est-à-dire le premier jour, devant notre bayle, le débiteur reconnaît sans procès et sans ajournement le bien fondé de la plainte, il ne nous sera rien payé. Mais dans les neuf jours notre bayle devra faire rembourser au créancier tout ce qu’on aura avoué lui être dû, autrement le débiteur sera condamné à payer pour droit de justice deux sols et demi d’amende.
29/ De même, pour toute plainte ordinaire qui aura donné lieu à un procès, si les délais sont demandés, il nous sera payé, après sentence, cinq sols pour droit de justice.
30/ De même, quiconque fera défaut le jour que lui aura assigné le bayle sera condamné à deux sols et demi d’amende pour droit de justice et en outre aux frais légitimes occasionnés à la partie adverse.
31/ De même, notre bayle ne doit recevoir ni les frais de justice, ni les gages jusqu’au jour où il aura fait exécuter le paiement de la chose jugée à la partie qui aura gagné le procès.
32/ De même, pour les procès en matière d’immeuble, il nous sera payé après jugement cinq sols pour frais de justice.
33/ De même, dans toute plainte suivie de procès, l’auteur de la plainte s’il n’apporte pas des preuves suffisantes, sera condamné à nous payer cinq sols d’amende pour droit de justice et à réparer les frais occasionnés à la partie adverse.
34/ Le marché devra se tenir le jeudi et si un bœuf, une vache, un porc, une truie d’un an ou au-dessus sont vendus par un étranger un jour de marché, le vendeur nous donnera un denier pour le droit de leude. Pour un âne, une ânesse, un cheval, une jument, un mulet, une mule d’un an ou au-dessus, le vendeur étranger nous devra deux deniers pour droit de leude. Au-dessous de cet âge, il ne paiera rien. Pour une brebis, un bélier, une chèvre, un bouc, une obole. Pour une saumée de blé un denier ; pour un setier un denier ; pour une hémine une obole pour droit de leude et de mesurage, pour un carton il ne sera rien perçu. Pour la charge d’un homme de coupes de verre, un denier ou bien une coupe de la valeur de un denier. Pour une saumée d’objets de fer, de pièces de laine, deux deniers ; pour des souliers, des chaudrons, des chenets, des poêles, des trilles, des pots, des couteaux, des faux, des sarcloirs, des poissons salés et autres choses analogues, le marchand étranger donnera les jours de marché pour droits de leude et d’entrée, deux deniers. Pour une saumée et pour une charge d’homme des susdits objets, le droit est de un denier. Pour une saumée de vases et de pots, un denier. Pour une charge d’homme de ces mêmes objets qu’il porte, un denier.
35/ De même, les foires se tiendront dans la dite ville aux jours assignés et tout marchand étranger ayant dans ces foires un ou plusieurs ballots nous donnera pour droit d’entrée et de sortie, pour droit de plaçage et de leude, quatre deniers par charge d’homme, quels que soient les objets qu’il porte, un denier. Quant aux objets achetés, pour les usages ordinaires de la maison, l’acheteur n’aura rien à payer pour le leude.
36/ Chaque habitant, à sa volonté, pourra voir et faire construire un four dans la dite bastide et dans son faubourg ; et dans chaque four, qu’il soit destiné à faire cuire le pain pour vendre ou bien le pain du voisin, il nous sera payé, chaque semaine, douze deniers pour droits d’oublies.
37/ De même, les actes faits par les notaires de la ville auront la même valeur que tous les actes publics.
Ces libertés et coutumes, avec tous et chacun de leurs articles ci-dessus, sont approuvés par nous, autant que le droit nous le permet. En perpétuel témoignage de quoi nous ordonnons d’apposer notre sceau sur les présentes. Fait à Vincennes, l’an du Seigneur 1256, mois de juin
Plan des bastides
Un grand nombre de bastides sont à plan inorganisé, mais une forte proportion de fondations détient cependant un plan particulièrement net.
Il semble qu'il y ait eu un modèle adapté à chaque fondation. En effet, plus de la moitié des fondations ont été établies sur la croisée de deux directions perpendiculaires qui, complétées par de nombreuses parallèles, donnent un quadrillage.
Après la cérémonie du fixatio pal (voir plus haut), le tracé au sol est réalisé matérialisant ainsi la place, les rues et l'enceinte. Avec des cordes à treize nœuds, le terrain est ensuite divisé – arayer en vieux français – en lots et borné, formant ainsi le dex. Il existe au Moyen Âge une corporation de géomètres – les arpentins - chargés de diviser les lots sur le terrain et de prévoir leur destination. Mais il semble qu'on n'a pas fait appel à eux systématiquement pour les bastides. En fait, d'après des textes du XIIIe siècle nous étant restés, il semble que ce ne soient pas forcément des spécialistes qui aient mis en forme les bastides. notaires, juges, baillis, sénéchaux, voire des évêques. ont été aussi sollicités pour ces travaux de bornage et de construction. Malgré tout, ils ont du faire appel à des spécialistes de la construction, ces derniers oubliés par l'histoire.
À partir de l'ensemble des bastides, on peut classer les plans en 5 types :
- inorganique (ou embryonnaire)
- à enveloppement
- à un seul axe
- à deux axes
- circulaires
Inorganiques (ou embryonnaires)
Ces bastides sont soit totalement désordonnées, soit à l'état d'un embryon de plan, comme La Bastide-de-Bousignac par exemple. En effet, ces bastides furent soit fondées à partir de hameaux existants, soit faiblement peuplées, ou tout simplement les fondateurs étaient sans ou avaient moins de rigueur.
À enveloppement
Généralement il s'agit de villages n'ayant pas été créés de toutes pièces au départ. Elles ont été précédées soit par une église, soit par un noyau de maisons. Ainsi les nouveaux quartiers s'implantent autour du noyau initial et le noient.
À un seul axe
Situées généralement en plaine, ce sont les plus nombreuses. L'historien des villes Pierre Lavedan estime qu'elles représenteraient entre 30 et 40 % du total des bastides. Elles sont construites comme leur appellation le suggère sur la base d'une rue principale. Celle-ci est au Moyen Âge la voie de passage obligé et relie généralement les deux portes principales de la ville.
Parfois la ville ne s'est pas élargie autour de cette rue principale. La place se trouve alors être un étalement, une excroissance de la rue.
Souvent, de nombreuses transversales coupent la rue principale. On parle alors de tracé en « arête de poisson ». C'est une forme de bastide s'adaptant bien au relief, particulièrement lorsqu'il est escarpé. On les retrouve d'ailleurs souvent sur des croupes allongées, comme Gimont dans le Gers. Cette bastide fait 1 000 m de long pour 300 m de large. La rue charretière est la route d'Auch à Toulouse qui suit à cet endroit la crête. Elle est coupée dans la bastide par de nombreuses transversales très raides.
Quelquefois la rue principale est doublée et la place se situe alors entre les deux.
À deux axes
On aborde ici le cas des bastides considérées comme l'aboutissement du modèle gothique de la bastide. Elles sont considérées comme les plus typiques du mouvement. Dans tous les cas, il s'agit du modèle le plus élaboré.
La place est souvent centrale, ou proche du centre, de forme carrée ou rectangulaire. Les îlots sont réguliers, généralement rectangulaires. Les contours de la bastide sont eux aussi géométriques : carré, rectangle, parallélogramme, hexagone ou ovale, les formes sont multiples.
Ce sont des bastides qu'on retrouve autant en hauteur qu'en plaine, mais c'est dans cette dernière situation qu'elles donnent leurs plus belles formes géométriques, comme à Marciac ou à Grenade.
Certains fondateurs sont connus pour les avoir préférées aux autres formes de bastides. Notamment trois des plus grands fondateurs : Alphonse de Poitiers, Eustache de Beaumarchès et Édouard Ier.
La base du plan est composée de deux axes perpendiculaires, entrainant un tracé type d'échiquier. Les rues se coupent alors en angle droit. Les historiens et urbanistes ont décomposés ce type de plan en 2 catégories :
- modèle aquitain, caractérisé par la présence de huit îlots encadrant la place, comme à Monpazier, Monflanquin, Castillonnès, Villeréal, Libourne, Eymet, ou encore Miramont-de-Guyenne.
- modèle gascon, ayant pour particularité le retrait de l'église, séparée de la place par un îlot, à l'instar de Mirande, Marciac, Grenade, Cologne, et Solomiac. Les huit îlots sont là aussi présents, avec une tendance de forme carrée.
Circulaires
Ce type de bastide est très rare, avec comme exemple le plus caractéristique Fourcès dans le Gers. À noter que Fourcès fut d'abord un castelnau, doté d'une charte de coutumes après sa fondation, l'incluant ainsi dans la liste des bastides. De forme ovale, les bastides de Saint-Sardos, Francescas et Monflanquin dans le Lot-et-Garonne peuvent être aussi incluses dans ce groupe.
Parcellaire des bastides
Chaque bastide contenait soit trois, soit quatre types de terrains disposés organisés par types selon des couronnes autour du centre ville. Ces terrains étaient tous divisés équitablement entre toutes les familles venant s'établir dans la ville.
Les ayrals (terrains à bâtir)
Au centre se trouvaient ces terrains découpés en parcelles régulières de 8 m sur 24 en moyenne, appelées ayrals, et destinés à être bâti. On a cependant des exemples de bastides avec des ayrals de 12 x 28 m, ou d'autres d'ayrals d'à peine 10 m de profondeur.
Les ayrals étaient rassemblés par îlots (ou moulons) autour de la place. Les bastides de même superficie avaient des îlots de taille semblable. De plus, une proportion simple était maintenue entre la largeur et la longueur de l'ayral, souvent de 2 ou 3.
On sait aussi que les 8 m de largeur de façade sur rue sont dus au fait qu'il s'agit de la portée économique maximale d'une poutre en bois.
Le fond de l'ayral était utilisé pour y implanter une cour, des latrines et parfois une remise.
Le nombre d'ayrals dans une bastide était limité. Il était défini dans le contrat de paréage et pouvait varier de plusieurs dizaines à plusieurs milliers (3000 à Grenade).
Il n'y avait aucune dérogation faite sur la régularité du parcellaire. Bâtiments publics et notables ne bénéficiaient pas d'une parcelle de taille supérieure. Cependant, on leur réservait couramment le droit de s'étaler sur plusieurs lots voisins.
Les cazals (jardins)
Dénommés cazals ou "cazalères", les jardins se trouvent sur la deuxième couronne en partant du centre, contigus aux ayrals. Du même nombre que les maisons, leur superficie est réduite. Il y a souvent un rapport de proportion de 2 à 3, entre la superficie de l'ayral et celle du jardin. La moyenne de superficie est de 5 à 7 ares.
Les vignes
On trouve ce type de terrain dans de nombreuses bastides mais pas dans toutes. Parfois il n'y avait qu'une partie de la population qui avait droit à posséder un terrain pour cultiver la vigne.
Les arpents (terres à cultiver)
Les terrains de culture, appelés arpents, ceinturent toute la ville. Ils sont extra-muros.
Leur taille moyenne est de 5 à 6 ha, ce qui était largement suffisant vu les instruments rudimentaires de l'époque.
Ici aussi chaque famille recevait à son établissement dans la bastide un arpent de même superficie.
Dans certaines bastides de défrichement, l'arpent était couplé à tout autre terrain que la famille pourrait défricher. Par exemple à Bouloc, chaque famille recevait 7 ha et pouvait l'agrandir de tout terrain de forêt qu'elle saurait défricher.
Voirie des bastides
Les rues principales, appelées charretières (carreyra en occitan) (parce qu'elles permettent le passage de charrettes) font de 6 à 10 m de large. Elles longent les façades des maisons. Elles sont souvent les axes longitudinaux de la bastide.
Les rues secondaires, appelées transversales ou traversières, font de 5 à 6 m de large, mais pouvaient aussi faire de 2 à 2,50 m. Elles coupent fréquemment les rues charretières.
Enfin, les passages ou venelles font elles de 1 à 3 m de large. Elles sont à l'arrière des ayrals. On les appelle aussi parfois carreyrou.
La bastide se compose dans le sens de la longueur de 1 à 8 rues. Ce nombre varie avec l'importance de la bastide. Lorsqu'il n'y en a qu'une seule, on l'appelle bastide-rue ou village-ruban. Il s'agit des bastides s'étant le moins développées. Une cité classique en damier possède au moins 4 rues parallèles.
La chaussée est en terre mais quelquefois recouverte de pavés ou de galets. Elle est constituée de deux plans inclinés vers un caniveau central.
Architecture des bastides
Les premières questions que se posent les urbanistes concernent les éléments préexistants sur le terrain devant servir à l'établissement de la bastide, comme l'existence ou non d'un village ou d'une église, de la nature du sol et bien sûr du relief du site choisi.
La place
Au centre de chaque bastide, on trouve invariablement une place, à part une exception : Lavardac. Contrairement aux villages fondés aux siècles précédents, les castelnaus et les sauvetés, il semble que la création d'une place fut une priorité des fondateurs, pour le rôle économique de celle-ci dans la vie de la future cité.
Peut-être l'idée vient-elle du Proche-Orient. En effet y existaient des places magnifiques et les croisés n'ont pas dû manquer le mentionner dans leurs récits à leur retour. Dans tous les cas, le prototype de la place des bastides est celle de Montauban. Dans cette ville, la place est un carré de 70 m de côté, précipitant de quelques décennies le modèle type d'une place.
En position centrale, la place ordonne la division de la ville en quartiers appelés gaches. Disposée à l'écart ou en retrait de l'axe principal de circulation, la place adopte le plus souvent la forme carrée. Quelquefois rectangulaire, elle est à de rares exceptions en forme de parallélogramme ou de cercle. Il n'y en a généralement qu'une seule par bastide, sauf pour Saint-Lys (une pour le marché et une pour l'église), à Saint-Clar et à Albias. Les dimensions des places varie de 40 m x 40 m jusqu'à 70 m x 70 m. Marciac fait dans la démesure avec 75 m x 130 m. Pourtant, il n'y a jamais eu de rapport direct entre la taille de la place et l'importance de la bastide. Soustraite donc au maximum des courants de circulation, l'accès à la place se fait généralement par les angles. De plus, les places sont agrémentées souvent d'un puits ou d'une fontaine, parfois de citernes, pour les besoins en eau des habitants.
On peut dénombrer 3 types principaux de formes de place. Cependant, sur les trois cents bastides recensées à ce jour, seules une centaine ont une place correspondant à l'un de ces types :
- Plan à quadrillage : c'est le cas le plus fréquent. C'est le type de place de bastide par excellence. La place est quadrangulaire avec accès par les angles, avec des façades d'un seul tenant (sans andrones, voir Maisons). Ce type de place dérive directement de celui de Montauban. Souvent l'emplacement de la place est un îlot soustrait à la construction privée. Elle se situe en général au centre de la ville et en commande tout le plan. Ce sont les plus belles et les plus grandes places de bastides. Elles font 60 x 60 m en moyenne au XIIIe siècle, 90 x 90 m au XIVe. Les plus grandes vont jusqu'à 70 x 140 m (deux îlots).
- Plan à axe unique : ce type de place résulte d'un plan de bastide organisé suivant un axe unique (une rue principale étoffée de plusieurs rues parallèles, coupées par des perpendiculaires). La place se trouve alors entre deux rues. L'entrée se fait par les angles. Ces places font en général 50 à 55 m de côté.
- Plan à enveloppement : la place est entièrement fermée vers l'extérieur. C'est-à-dire que la place ne touche aucune rue. L'existence de ce type de places montre bien que la place d'une bastide n'est pas un lieu de circulation. Ces places sont cependant très rares. Elles se retrouvent par exemple à Tournay où il s'agit d'un carré de 70 m sur 72.
Élément architectural majeur de la bastide, la place assure plusieurs rôles :
- administratif,
- commercial,
- festif.
La place joue d'abord un rôle administratif en accueillant la maison communale. Les consuls, représentants de la population, et le bayle, représentant de l'autorité royale ou comtale, y siègent lors d'assemblées, pour les décisions de justice ou d'organisation de la bastide.
De plus, la place est d'emblée réservée au marché et aux foires. Elle a en effet une fonction économique très forte (plusieurs chartes stipulent que tout ce qui est à vendre doit d'abord être amené sur la place).
À caractère festif pour les fêtes et grandes manifestations, la place devient un centre d'attraction, voire un symbole social. En effet, les maisons donnant sur la place sont souvent celles des plus anciennes familles (celles s'étant établies en premier).
Les couverts
Aujourd'hui lorsqu'on se promène sur la place d'une bastide on remarque qu'elle est souvent à portiques. C'est un aménagement qui n'a pas été fait que dans les bastides. On appelle ces places : places à couverts ou places des cornières.
En fait, il s'agit d'embans rajoutés aux façades des maisons après leur construction. Dans un premier temps ils étaient en bois puis ils sont remplacés par des couverts en pierre plus tard. Les arcs les soutenant sont au départ des arcs brisés, puis au fil des reconstructions seront remplacés par des arcs en plein cintre.
La halle
Au centre de la place on trouve aussi souvent une halle de marché. Comme les couverts, elle apparait plus tard.
Il s'agissait de protéger les marchands du soleil et de la pluie. À l'étage loge souvent le pouvoir consulaire.
La halle a souvent un clocher. Elle a véritablement tous les attributs d'une cathédrale commerciale. C'est une basilique ayant retrouvé ses origines romaines.
Les murailles
Les fondateurs ne construisaient pas de fortifications autour des villes en général. Ils laissaient aux habitants le soin de le faire par un impôt ou un octroi. Cela fait que le jeu d'interférences entre la régularité du parcellaire et le tracé du mur d'enceinte est à l'origine d'une grande diversité dans le plan des bastides.
Il est rare qu'elles soient construites à la fondation de la bastide, même dans celles implantées près d'une frontière. Il s'agit en effet d'une époque calme entre la croisade des albigeois et la guerre de Cent Ans. Libourne est un bon exemple. Dix ans après la fondation, les habitants avaient demandé de l'argent à leur seigneur pour construire une muraille. Une fois reçu, ils l'ont dépensé pour l'embellissement de leur ville.
Au début de la guerre de Cent Ans, de nombreuses bastides furent détruites du fait de l'absence de défenses. Les autres s'entourèrent hâtivement de remparts de pierre.
Les maisons
Les nouveaux habitants (ou poblans) qui s'installent dans la bastide ont en général un an pour construire leur maison, sans doute pour inciter les nouveaux venus à s'installer durablement. On retrouve dans des textes d'époque la trace d'amende pour des poblans ayant dépassé le délai. Construites par les poblans eux-mêmes, les premières maisons sont donc assez rudimentaires en général. Certaines règles d'implantation très précises doivent être respectées, comme l'alignement de la façade avant sur la rue, la présence d'un étage en plus du rez-de-chaussée, ou encore la nécessité de laisser une espace vide - appelé androne (ou entremis) - de 25 à 40 cm de large, espace destiné à éviter la propagation des incendies et à faciliter l'écoulement de l'eau.
Avec le développement économique, l'espace urbain mute. Autour de la place, une petite halle s'établit devant chaque échoppe : ce sont des couverts, des arcades, des amabans ou des garlandes (voir ci-dessus couverts). Puis ce rajout apparaît dans les rues commerçantes.
Sous les rues, des caves se creusent. Et au-dessus, certaines maisons se faisant face sont reliées par des pontets.
Administration des bastides
La municipalité
Si les castelnaus étaient gérés par les seigneurs, de père en fils, les bastides sont encore une fois des cités innovantes quant à la forme de leur administration. En effet, la fondation s'accompagne de l'institution d'une représentation des habitants, à savoir [14] :
- les consuls, nommés par les fondateurs pour un an. Leur renouvellement se fait soit par cooptation, c'est-à-dire par le vote des consuls précédents, soit par le suffrage universel, mais à deux niveaux. Les consuls forment un conseil, et sont chargés de l'administration de la cité, de sa mise en défense, de ses réparations et de ses améliorations, comme les actuelles municipalités,
- les jurés(ou jurats), plus particulièrement chargés de la justice et de la police, qu'il s'agisse de la voirie ou des métiers,
- le bayle (petit bailli local), représentant de l'autorité royale, chargé de faire respecter les décisions prises au nom du roi ou du comte. Le bayle travaille en collaboration avec les consuls et peut être comparé de nos jours à un sous-préfet.
Au nombre moyen de six par bastide, les consuls sont choisis parmi les hommes dits "notables" dans la population de la bastide. Un certain nombre de candidats sont proposés par les consuls en exercice, avec un choix partiel pour le sénéchal.
La nomination des consuls et du bayle s'accompagne d'une cérémonie officielle, au cours de laquelle les nouveaux représentants de la population prêtent serment devant elle, s'engageant à servir la communauté et ne recevoir aucun avantage de leur fonction.
La justice
Là encore on assiste dans de nombreuses bastides à une évolution, avec par exemple, à l'instar du reste du royaume, l'abolition du duel[15]. La possibilité de se défendre, la production de témoins, les enquêtes systématiques, la faculté de faire appel, sont autant de droits que l'on trouve dans toutes les bastides de l'époque[16].
De plus, les délits sont classés[17] et jugés en fonction de leur importance dans les chartes de coutumes. Injures, vols, dettes, fraudes, violences et meurtres se voient attribuer des peines proportionnelles. Ces peines vont de simples amendes jusqu'à la prison et, bien entendu, la peine de mort. Mais le fait nouveau, là aussi, est la suppression des châtiments corporels, contrairement aux villes et villages environnants plus anciens. À Auch, on se fait couper l'oreille pour un vol ou percer la langue pour un blasphème[18]. Dans une bastide voisine, pour les mêmes délits, il faut payer des amendes.
Autre particularité, les nobles se voient attribuer des peines plus lourdes qu'un simple habitant[18], en raison de leur statut, garant sans doute d'une exemplarité.
La défense
L'existence d'une garnison d'une dizaines d'hommes, ou plus souvent d'une confrérie de gardes choisis dans la population de la ville, peut être observée dans toutes les bastides qui ont le privilège de devoir se défendre. En l'absence de garnisons, des milices sont formées[19], gérées par les consuls et le bayle. Elles assurent les rondes de nuit et les tours de garde dans les périodes d'insécurité et de conflits.
Évolution des bastides
Certaines bastides vont connaître dès leur fondation un essor très rapide. D'autres au contraire ont une progression plus lente, voire difficile. Ainsi, certains fondateurs vont même jusqu'à donner des amendes (6 ans après la fondation) aux nouveaux habitants n'ayant pas construit ou fini leur maison sur le terrain attribué.
L'incitation faite aux familles environnantes pour venir s'installer dans les bastides se concrétise avec l'octroi de liberté pour les serfs, chose exceptionnelle à l'époque. Viennent s'ajouter des exemptions de taxes comme les droits de quête, de taille et de gîte. Le cens (redevance annuelle fixe sur le terrain, destinée au seigneur foncier) et la dîme (taxe d'un dixième de la production agricole nouvelle, destinée à la paroisse) sont malgré tout maintenus dans les bastides.
Il ne faut pas oublier la présence d'une charte de coutumes, établissant ainsi une égalité de droit et de justice pour tous.
Globalement les bastides ont connu trois périodes de développement ou de mutation.
Dès l'origine, un bon nombre de bastides disparaît, fautes de nouveaux habitants. Les rescapées connaissent une croissance agricole et commerciale qui provoque des mutations profondes dans l'organisation du sud-ouest.
Puis la guerre de Cent Ans et la persistance de l'insécurité oblige les bastides à s'équiper de murailles. Les plus lentes dans cette course à l'équipement défensif sont rayées de la carte, au fil de la guerre. Lorsque le calme revient, la région connaît une prospérité inégale. La bourgeoisie s'affirme et c'est l'âge de l'ouverture des grands chemins. Ceux-ci favorisent bien évidemment les bastides implantées le long de ces routes.
Enfin, c'est aux XIXe et XXe siècles, lors de l'exode rural qu'a eu lieu la troisième et dernière période de sélection des bastides.
Liste de bastides
Article détaillé : Liste des bastides.Pour approfondir
Articles connexes
Liens externes
- (fr) Site du Centre d'études des bastides
- (fr) Musée des bastides, à Monflanquin 47150
- (fr) Les bastides en Pyrénées-Atlantiques
- (fr) Les bastides du Rouergue
- (fr) Portail officiel du tourisme en Pays Vignoble Gaillacois et Bastides albigeoises
- (fr) Site des archives du Périgord, avec liens sur documents de coutumes, cliquer sur lien "(1) Accès aux archives virtuelles du Périgord", puis sur "Thème du mois".
- (fr) Liste complète des bastides
Bibliographie
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Notes et références
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- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), pages 12 & 369
- ↑ Gilles Bernard, L'aventure des bastides, éditions Privat, 1993, (ISBN 2-7089-9073-X), pages 50 & 51
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), pages 355 à 357 et 369 à 370
- ↑ Robert Ducluzeau. Alphonse de Poitiers - Frère préféré de Saint Louis. La Crèche : Geste éditions, 2006, ISBN 2-84561-281-8, pages 150 à 153
- ↑ Alain Decaux & André Castelot, Histoire de la France et des français, éditions Plon, 1971, tome III page 14
- ↑ Alain Decaux & André Castelot, Histoire de la France et des français, éditions Plon, 1971, tome III pages 27 à 29
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 158
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), pages 126 à 134
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 209 à 214
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 214
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 215
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 216
- ↑ a et b Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 222
- ↑ Jacques Dubourg, Histoire des bastides, éditions Sud-Ouest, 2002, (ISBN 2-87901-492-1), page 228
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