- Richelieu (cuirassé de 1939)
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Richelieu
Le Richelieu, à l'automne 1943, après sa refonte aux États-UnisHistoire A servi dans Marine nationale française Quille posée 22 octobre 1935 Lancement 17 janvier 1939 Armé 18 juin 1940/10 octobre 1943 Statut désarmé en 1967, démoli à La Spezia en 1968 Caractéristiques techniques Type Cuirassé Longueur 247,85 mètres hors-tout
242,00 m (flottaison)Maître-bau 33,08 m Tirant d'eau 9,17 m (lège), 9,63 m (standard), 11,03 m (max) Déplacement 35 000 t (standard)
43 293 t (normal)
47 548 t (max)Propulsion 6 chaudières "Sural" Indret suralimentées à petits tubes, vapeur 27 bar à 350°
4 turbines Parsons
4 hélices - ∅ 4,87 mPuissance 155 000 ch (marche normale)
179 000 ch (feux poussés)Vitesse 32,63 nœuds Caractéristiques militaires Blindage ceinture en acier cémenté Martin de 343 mm
P.B.S. : de 150 à 170mm
P.B.I. : 40 mm
Tourelles de 380 mm: 430 mm (face avant inclinée à 30°)Armement 2 tourelles quadruples de 380 mm/45 Modèle 1935 à l'avant
prévues : 5 tourelles triples de 152 mm dont deux latérales
installées : 3 tourelles triples de 152 mm à l'arrière, dont une axiale
6 tourelles contre-avions doubles de 100 mm latérales
En 1940
6 affûts doubles de 37 mm Modèle 1933 prévues
8 affûts quadruples de mitrailleuses Hotchkiss de 13,2 mm prévues
Après 1943
14 affûts quadruples de 40 mm Bofors Anti-Aériens
48 pièces de 20 mm Œrlikon (en) Anti-aériensAéronefs Deux catapultes, hangar,grue
Quatre/cinq hydravions prévus
Trois hydravions Loire 130 installés (1941-1942)Autres caractéristiques Équipage 1464 Chantier naval Arsenal de Brest modifier Le Richelieu était un cuirassé français construit à partir de 1935, baptisé en l'honneur du cardinal de Richelieu, pour le rôle fondateur de ce ministre dans la création d'une première puissance navale française au début du XVIIe siècle. Premier cuirassé français, d'un déplacement égal au maximum autorisé à l'époque par les traités de limitation des armements navals (35 000 tonnes), il était destiné à contrer les cuirassés italiens de la classe Vittorio Veneto. C'était une version plus puissante de la classe Dunkerque, dont il reprenait la disposition spécifique de l'artillerie principale en deux tourelles quadruples à l'avant, mais cette fois au calibre de Saint-Nazaire en juin 1940 dans des conditions difficiles, devant l'avance allemande, furent impliqués du côté des autorités de Vichy lors d'opérations menées par les Alliés en 1940, à Dakar, et en 1942 à Casablanca. Modernisé aux États-Unis en 1943, le Richelieu opéra dans le Pacifique en 1944-45 contre les Japonais, puis en Indochine. Le Jean Bart, resté inachevé à Casablanca, ne fut mis en service qu'en 1955.
Sommaire
Arrière-Plan
Lorsque le Dunkerque est mis sur cale le 24 décembre 1932[1], cela fait presque dix-neuf ans qu'un cuirassé français n'a plus été mis en chantier, et la décision qui vient d'être prise l'a été à l'issue d'une période de tergiversations de près de six ans.
À la fin des années 1920, les plus puissants cuirassés sont des navires armés de huit pièces d'artillerie principale, en quatre tourelles doubles, réparties également entre l'avant et l'arrière, soit de classe Queen Elizabeth (en)), ou classe Nelson, avec trois tourelles triples de Lord Fisher. Celui-ci considérait la vitesse comme un moyen de défense plus important que le blindage. Ce sont deux croiseurs de bataille de la classe Renown, armés de six canons de 381 mm, et le HMS Hood, premier cuirassé rapide, armé de huit canons de 381 mm. Le HMS Hood est alors le plus grand et le plus lourd des cuirassés à flot, et la classe Nelson (en) la plus puissamment armée.
Les projets inaboutis des années 1920
L'Amirauté française, à la fin de la décennie 1920, sous l'emprise des limitations des armements navals édictées par le traité de Washington[5], n'a pas cherché pas à mettre au point un cuirassé qui rivaliserait avec les mastodontes britanniques, américains ou japonais, elle s'est contentée de modernisations des cuirassés des classe Courbet[6] et classe Bretagne[7], qui datent de la Première Guerre mondiale, modernisations que le traité de Washington autorise plus profondes que pour les marines américaine, britannique et japonaise[8]. Mais, pour contenir une menace italienne, exercée sur les communications entre la France et l'Afrique du Nord, par les croiseurs lourds de 10 000 tonnes, dont les premières unités, la classe Trento, seront mises en service en 1927-28, le chef d'état-major général de la Marine, le vice-amiral Salaün (en), fait étudier, en 1926, un projet de navires « tueurs de croiseurs », définis comme des navires de ligne d'un tonnage égal à la moitié du tonnage maximum que le traité de Washington a fixé, pour construire des cuirassés, soit 17 500 tonnes[9]. Pour l'artillerie principale, on envisage deux tourelles quadruples de 305 mm, à l'avant, la protection doit permettre de résister aux obus de 203 mm, et la vitesse doit atteindre 34 à 35 nœuds. Ces navires, puissamment armés et très rapides pour leur déplacement, auraient eu une protection insuffisante pour figurer dans la ligne de bataille[10].
En 1927-28, le vice-amiral Violette, nouveau chef d'état-major général de la Marine, oriente les études vers des navires d'un déplacement supérieur, définis comme des « croiseurs de bataille de 37 000 tx ». Il s'agit en fait de réfléchir à la construction de cuirassés de 35 000 tonnes, un déplacement « normal » de 37 000 tx, correspondant à un déplacement « standard », tel que défini par le Traité de Washington, de 32 000 tonnes à 33 000 tonnes [11]. Les plans retrouvés montrent des navires, ayant une silhouette inspirée des croiseurs de la classe Suffren, avec deux cheminées inclinées, portant trois tourelles d'artillerie principale, deux superposées à l'avant, une à l'arrière, une artillerie secondaire de 130 mm en tourelles quadruples et une artillerie anti-aérienne constituée d'affûts simples de 90 mm, vraisemblablement le Modèle 1926 qui a été mis en place sur les croiseurs lourds Colbert et Foch [12] . Les installations d'aviation sont situées au centre des navires, avec deux catapultes latérales, une grue entre les cheminées et un hangar accueillant quatre hydravions, entre la cheminée avant et le bloc passerelle.
Deux types de navires ont été dessinés, le premier, qui date de 1927-28, aurait eu une artillerie principale de douze canons de 305 mm, en tourelles quadruples, une artillerie secondaire anti-navires de douze canons de 130 mm, en trois tourelles, l'artillerie anti-aérienne en huit canons de 90 mm AA, et douze tubes de 37 mm AA Modèle 1925, et enfin deux plates-formes triples de tubes lance-torpilles. La protection aurait comporté une ceinture blindée verticale de 220 à 280 mm, un pont blindé principal de 75 mm, et pour la protection anti-torpilles, des compartiments, situés entre une cloison longitudinale de 50 mm et la coque, servant de soutes à mazout mais également à charbon, même sans avoir de chaudières fonctionnant au charbon, comme c'était le cas sur les croiseurs Colbert et Foch[13]. La propulsion, en deux groupes associant turbines et chaudières, entrainant chacun deux lignes d'arbres, developpant ainsi 180 000 CV, aurait permis d'obtenir une vitesse de 33 nœuds, grâce à une coque de 254 m de long pour 30,5 m de large. Le second type, datant de 1928, aurait été un cuirassé rapide, plutôt qu'un croiseur de bataille, avec trois tourelles doubles de 406 mm, et quatre tourelles quadruples de 130 mm . L'autre différence importante résidait dans la propulsion, moins puissante, sans doute d'un tiers, une coque un peu plus courte, (235 m), et plus large, (31 m), d'où une vitesse de 27 nœuds, le gain de poids sur les machines et la coque plus courte permettant un meilleur blindage[11].
Mais la construction de bâtiments de cette taille, avec une coque de 235 m ou plus, aurait excédé les capacités techniques des chantiers de construction navale français, dont la plus grande forme de construction dans un arsenal, le bassin du Salou, à Brest, n'a que 200 m. Le plus grand navire français de l'époque était le paquebot Île-de-France mis en service en 1927, de 245 m, seulement. Pour le futur transatlantique géant Normandie qui dépassera 313 m , il faudra que les Ateliers et Chantiers de la Loire à Penhoët construisent une nouvelle cale de construction, dite cale n°1. La construction de telles infrastructures, s'ajoutant au coût de la construction proprement dite, aurait déséqilibré complètement le budget de la Marine Nationale, et compromis le programme de construction des autres types de navires, croiseurs, destroyers,et sous-marins,prévus par le Statut Naval.
Dans le même temps, des négociations ont eu lieu, depuis 1926, à Genève, devant la Comité Préparatoire pour le Désarmement de la Société des Nations. On se dirige vers une prolongation, jusqu'en 1936, des « vacances navales », en ce qui concerne la construction de cuirassés. Le Gouvernement du Royaume-Uni pousse néanmoins fortement à un nouvel abaissement du déplacement maximal et du calibre maximum de l'artillerie principale des cuirassés à 25 000 tonnes et 305 mm. Or, le Gouvernement français ne veut pas être celui qui fera échouer cette politique de réduction des armements. L'Amirauté Française en revient à des navires plus petits, avec un déplacement de l'ordre de 23 333 tonnes. Un « croiseur protégé » de 23 690 t est étudié en 1929[14]. Son artillerie pricipale se présente comme celle du croiseur de bataille de 37 000 tx, en trois tourelles de 305 mm, une triple et une quadruple, à l'avant, et une triple à l'arrière. L'artillerie secondaire est constituée de huit canons de 138,6 mm. L'artillerie anti-aérienne comporte huit tourelles doubles de 100 mm, nouveau calibre qu'on retrouvera sur le croiseur Algérie. Les machines sont constituées de trois salles pour les chaudières entourées de deux salles pour les turbines, ce qui permet l'évacuation des fumées par une cheminée unique, en développant 100 000 CV pour une vitesse de 29 nœuds. Toutefois, la blindage se serait limité à une protection contre les obus de 203 mm des croiseurs lourds italiens. La silhouette ne comporte plus de mat tripode à l'avant, mais une tour, proche de ce qui sera fait sur le croiseur Algérie et préfigurant la silhouette du Dunkerque.
La riposte au « cuirassé de poche » allemand
Tout va changer lorsqu'en février 1929, la Reichsmarine allemande va mettre sur cale, en grande pompe, en présence du Président Hindenburg, la première unité de la nouvelle classe Deutschland. Il s'agit d'un navire dénommé « Panzerschiffe », c'est-à-dire « navire blindé ».
Son déplacement, officiellement de 10 000 tonnes, respecte la limite que l'article 190 du traité de Versailles a fixé au déplaceement des cuirassés allemands. Il doit porter deux tourelles triples de 280 mm, l'une à l'avant, l'autre à l'arrière, et être doté de moteurs diesel développant 56 000 ch, lui assurant un long rayon d'action et une vitesse maximale de 26 nœuds[15]. C'est une réussite technique remarquable pour la construction navale allemande, le recours à la soudure plutôt qu'au rivetage permet d'économiser du poids, même si le déplacement réel est supérieur de 25 % au déplacement annoncé, ce qu'on ne sait pas à l'époque. Capable de distancer tous les cuirassés à flot dans les eaux européennes, à l'exception de trois navires britanniques, le HMS Hood, et les HMS Renown et HMS Repulse, plus puissamment armé que tous les croiseurs respectant le traité de Washington, c'est une très sérieuse menace pour les routes maritimes commerciales[16]. Ce type de navire fut communément qualifié par la presse britannique de « cuirassé de poche », alors qu'il s'agissait en réalité, comme l'indiquait sa dénomination allemande, d'un « croiseur-cuirassé[17] ».
Après le Deutschland, furent mis sur cale deux unités supplémentaires, Admiral Graf Spee, en octobre 1932[18].
Le Traité de Londres de 1930 a maintenu les droits de la France et de l'Italie au remplacement, avant 1936, de cuirassés anciens, dans la limite de 70 000 tonnes, qui leur avaient été octroyés par le Traité de Washington de 1922 et qu'elles n'avaient pas utilisés. Mais le Gouvernement du Royaume-Uni maintient la pression en vue de l'accroissement des restrictions qualitatives sur les caractéristiques des cuirassés à construire, dans la perspective de la fin des "vacances navales", qui a été reportée au 31 décembre 1936. L'Amirauté française, pour des raisons politiques, financières et militaires se rallie à la solution du bâtiment de 23 333 tonnes, le bâtiment de 17 500 tonnes n'ayant pas une protection suffisante et celui de 35 000 tonnes outrepassant les capacités techniques et financières du moment de la Marine nationale[19] . Dans les deux premiers mois de 1931, une négociation avec l'Italie aboutit à des « bases d'accord », le 1er mars 1931, pour permettre la construction de deux cuirassés de 23 333 tonnes avant le 31 décembre 1936, mais l'arrangement définitif ne peut avoir lieu[20]. La Regia Marina n'est en effet pas satisfaite du projet d'un cuirassé de 23 333 t[21] portant six canons de 381 mm, en trois tourelles doubles avec une silhouette fortement inspirée du croiseur lourd Pola, alors en construction[22], et elle préfère voir venir, en préparant une très profonde refonte des cuirassés de la classe Conte di Cavour qui ont été désarmés et mis en réserve en 1928, dont on changera, à partir de 1933, l'artillerie et les machines[23], et en poursuivant les études sur un cuirassé de 35 000 tW.
Toutefois, pour la Marine nationale, l'objectif n'est plus désormais de construire un « tueur de croiseurs », mais de surclasser, en armement, en blindage et en vitesse, les « cuirassés de poche » allemands. Une vitesse de l'ordre de 30 nœuds, (et non plus 34-35 nœuds), deux tourelles quadruples à l'avant de plus de 305 mm, un blindage résistant aux obus de 280 mm, apparaissent compatibles avant un déplacement compris entre 23 333 tonnes et 28 000 tonnes. C'est ce qu'entérine le nouveau Chef d'état-major général de la marine, le vice-amiral Durand-Viel. Ce choix est âprement discuté. Les parlementaires comprennent mal pourquoi il faut un navire de plus de 25 000 tonnes pour contrer une unité qui n'en affiche que 10 000[24], au point que dans la Tranche 1931 du Statut Naval, ne sont votés, pour un cuirassé, que des crédits d'études. Mais il apparaît aussi qu'un calibre de 330 mm permettrait de surclasser les cuirassés italiens anciens, le recours à une artillerie secondaire à la fois anti-navires et anti-aérienne étant compatible avec un déplacement de 26 500 tonnes, qui rendrait possible la protection contre les obus de 305 mm de ces mêmes cuirassés italiens[25]. C'est la proposition du Chef d'État-Major Général au Ministre, qui est étudiée par les commissions parlementaires au début de 1932. Le Ministre de la Défense nationale, François Piétri, réussit, en mars 1932, à faire inscrire les crédits pour la construction d'une telle unité, et la mise en chantier du Dunkerque est signée le 26 octobre 1932[1].
L'annonce des Scharnhorst et des Littorio
Initialement, le nombre des unités de la classe Deutschland devait être de six, mais la construction du Dunkerque, qui surclasse les Deutschland amena la marine allemande à mettre en construction une version améliorée, inspirée du projet des 14 février 1934, et qui deviendront le Scharnhorst et le Gneisenau, sont d'abord présentés comme devant être du type Panzerschiffe de 10 000 tW. Mais ils ne seront mis sur cale que plus d'un an après, d'abord parce que l'Allemagne est alors encore tenue par les limitations du Traité de Versailles, que le Troisième Reich n'a pas encore dénoncé, et parce que la discussion est âpre en Allemagne sur leurs caractéristiques définitives.
Finalement, ce sera la seule classe de bâtiments, avec celle des Dunkerque, qui se situera dans la zone intermédiaire entre les cuirassés lourds et lents caractéristiques des années 1920, et les croiseurs de bataille, encore que pour les bâtiments allemands, on ait plutôt privilegié la protection par rapport à l'armement, alors que sur les bâtiments français, c'est le choix inverse qui a été fait[27]. Aussi rapides, mais plus lourd; avec un déplacement de 31 800 tonnes, et beaucoup plus fortement blindés que le Dunkerque, avec une ceinture blindée de 350 mm, ils ne recevront comme artillerie principale que trois tourelles triples au calibre de 280 mm seulement. La Kriegsmarine aurait préféré un calibre plus important, Adolf Hitler y était aussi favorable, parce que le Dunkerque portait des canons de 330 mm. Mais au moment où le choix final devait être fait, l'Allemagne était en train de négocier le Traité naval germano-britannique de 1935, or les Britanniques étaient très attachés à une nouvelle limitation du calibre de l'artillerie principale des cuirassés. Ceci conduisit les Allemands à choisir, à regret, un canon amélioré du même calibre que celui des Deutschland, le modèle 28 cm SK C/34 (en) au lieu du modèle 28 cm SK C/28 (en)[27],[28] . Comme les concepteurs du Dunkerque estimaient, qu'il était capable de résister aux obus de 280 mm, il n'y avait aucune raison, pour les Français, de concevoir une classe de cuirassés plus puissants.
Mais, du côté italien, alors qu'avait commencé en 1933 la refonte des cuirassés anciens Cavour et Cesare, on considéra que les nouveaux cuirassés français rompaient l'équilibre en Méditerannée entre les flottes cuirassées française et italienne, et qu'il fallait une réponse qui permît de tenir tête aussi aux cuirassés britanniques de la Mediterranean Fleet[29]. Le 24 mai 1934, le Duce Benito Mussolini annonça au Parlement italien la décision d'utiliser la totalité des droits à construire des cuirassés, que l'Italie détenait conformément aux stipulations du traité de Washington, et l'agence de presse Stefanini précisait, le 11 juin, qu'il s'agissait de deux cuirassés de 35 000 tonnes[30], armés de canons de 381 mm[25] qui recevront le 10 octobre 1935 les noms de Vittorio Veneto et Littorio[29].
Le temps était donc arrivé où la construction de cuirassés de la même taille devait être entreprise par la France. Mais le temps pressait, la définition d'un nouveau type de navire allait prendre du temps, le choix de nouveaux matériels, la passation de marchés différents, également, alors que les crédits pour la construction d'une seconde unité du type Dunkerque étaient inscrits à la « Tranche 1934 du statut naval ». Le Conseil Supérieur de la Marine (C.S.M.), le 25 juin 1934, recommanda à l'unanimité de ne pas modifier la Tranche 1934, et de lancer la construction d'une seconde unité du type Dunkerque, en en améliorant la protection. Le 16 juillet 1934, la mise en chantier du Strasbourg est signée. Ce sera le dernier navire de ligne français d'un déplacement inférieur à 35 000 tonnes[31].
En effet, dès le 24 juillet 1934, le Conseil Supérieur de la Marine établit les caractéristiques d'un cuirassé de 35 000 tonnes:
- 8 ou 9 canons de 380 mm ou 406 mm
- une artillerie secondaire pouvant être utilisée comme DCA éloignée
- une vitesse comprise entre 29,5 nœuds et 32 nœuds
- une protection comportant une ceinture blindée de 360 mm, un pont blindé supérieur de 160 à 175 mm, un pont blindé inférieur de 40 à 50 mm[32].
Il faudra plus d'un an pour établir le projet définitif qui est soumis au Ministre le 14 août 1935, et adopté le 31 août. La mise sur cale du Richelieu a lieu le 22 octobre[33]. Ce faisant, la France ne respecte pas ses obligations issues des traités de Washington et de Londres de 1930, puisque le déplacement global des cuirassés en construction dépasse 70 000 tonnes, et atteint 88 000 tonnes.
Mais le 18 juin 1935 a été signé un accord naval anglo-allemand (en) qui annule de fait les stipulations du traité de Versailles, en ce qui concerne la limitation des armements navals de l'Allemagne, en particulier pour le déplacement maximum des différents types de navires. Le Royaume-Uni accorde aussi unilatéralement à l'Allemagne la possibilité de doter la Kriegsmarine d'un tonnage équivalent à 35 % de celui de la Royal Navy, soit la parité avec la Marine Nationale française. Celle-ci perd, du même coup tout espoir de pouvoir contrer les marines italienne et allemande réunies. Mise devant le fait accompli, la France considère dès lors que le Dunkerque et le Strasbourg sont la réponse aux Scharnhorst et Gneisenau, et le Richelieu, la réponse aux nouveaux cuirassés de 35 000 tonnes italiens[34]. Aussi, dès le 27 mai 1936 une unité similaire au Richelieu, le Jean Bart, était commandée aux Ateliers et Chantiers de la Loire à Penhoët.
Cependant, dès novembre 1935, la Kriegsmarine a commandé un cuirassé au déplacement déclaré de 35 000 tonnes, armé de huit canons de 380 mm (en). Le Bismarck, sera mis sur cale en juillet 1936, un mois et demi après la décision de construction du Jean Bart[33].
Caractéristiques
Le Richelieu apparaît comme un version plus puissante des bâtiments de la classe Dunkerque, comme le montre la comparaison des devis de poids[33],[35].
Parties constitutives du navire Dunkerque Strasbourg Richelieu Coque 7 011 t 7 040 t 8 276 t Installations de navigation 2 767 t 2 809 t 4 706 t Artillerie 4 858 t 4 858 t 6 130 t Protection de l'artillerie 2 676 t 2 885 t 4 135 t Protection du flotteur 8 364 t 8 904 t 11 910 t Machines 2 214 t 2 214 t 2 865 t Combustible 2 860 t 2 860 t 2 905 t Total 30 750 t 31 570 t 40 927 t Comme on le sait, la puissance des obus augmente comme le cube de leur calibre. L'augmentation du calibre de 330 mm à 380 mm, ce qui est le cas entre le Dunkerque et le Richelieu, est de 15 % : l'augmentation de la puissance de feu est de l'ordre de 52 %. Or, la croissance du poids de l'armement, de 4858 tonnes à 6130 tonnes, à nombre de canons constant, n'est que de 26 %, on voit ainsi l'intérêt de l'augmentation du calibre par rapport à l'augmentation du nombre de pièces.
Mais il faut être protégé contre un calibre équivalent à celui qu'on porte, telle fut la dure leçon apprise par les croiseurs de bataille anglais au Jutland. L'accroissement de la protection de l'artillerie, c'est-à-dire de l'épaisseur du blindage de tourelles, doit donc être à peu près proportionnel à l'accroissement du calibre: on constate ainsi qu'entre le Dunkerque, et le Richelieu, le poids de la protection de l'armement augmente de 15,2 %. Ceci porte l'accroissement du poids de l'artillerie et de sa protection à 35 %.
Mais pour réduire l'accroissement de la puissance des machines nécessaire pour obtenir une vitesse équivalente, malgré l'accroissement du poids, il faut une coque plus longue, voire améliorer le rapport longueur/largeur. Entre le Dunkerque et le Richelieu, on passe d'un rapport de 6,9 à 7,3, avec une longueur portée de 215 m à 245 m (la largeur passant de 31,5 m à 33,5 m), soit un accroissement de 14 %. Le poids de la coque passe ainsi d'un peu plus de 7 000 tonnes à 8 276 tonnes, soit une augmentation de 18 %. Mais cette coque doit être aussi mieux protégée. Dans le cas qui nous intéresse, on passe d'une épaisseur de la ceinture blindée de 225 mm à 325 mm, soit une augmentation de 44 % : le poids de la protection du flotteur passe de 8 600 tonnes à 11 910 tonnes soit 40 %.
Par ailleurs, en ce qui concerne la silhouette générale, pour la tour avant de la superstructure, on retint le même empilement de trois télépointeurs montés sur un même axe que sur le Dunkerque, ce qui représentait une charge importante dans les hauts. Mais au lieu d'avoir le télépointeur arrière placé sur une tour, derrière la cheminée, on préféra finalement le placer sur une structure constituée par le conduit même de la cheminée, inclinée obliquement vers l'arrière[36]. Cette disposition est destinée à minimiser la gêne provoquée par la fumée de la cheminée pour les installations de télépointage, ce dont on a pris conscience en 1937-1938, quand on a modifié les coiffes de la cheminée de la classe Dunkerque. C'est une sorte de préfiguration des macks (en) dont seront dotés après guerre certains navires, comme les croiseurs américains de la classe Baltimore refondus en croiseurs lance-missiles, ou les frégates françaises des classes Suffren ou Tourville, dans les années 1960-70.
Armement
- Artillerie principale :
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- calibre : 380 mm (en) (8 pièces en 2 tourelles quadruples sur l'avant)
- munitions : obus de perforation de 884 kg
- portée : 34 800 m à l'élévation 30°
- Artillerie secondaire (pouvant tirer aussi contre-avions), telle que prévue fin 1939 :
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- calibre : 152 mm Modèle 1936 (9 pièces à l'arrière, en 3 tourelles triples, une axiale et deux latérales)
- munitions : obus de 54 kg
- portée : 26 474 m à l'élévation 45°
- Artillerie anti aérienne, telle que prévue en 1940:
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- 12 canons de 100 mm Modèle 1930
- 12 canons de 37 mm Modèle 1935 (en six affûts doubles)
- 32 mitrailleuses de 13,2 mm Modèle 1929 (huit affûts quadritubes)[37]
L'artillerie principale
La Regia Marina ayant choisi de doter ses cuirassés, au déplacement annoncé de 35 000 tonnes, de canons de Washington, conduisait, dans la perspective d'une coque permettant d'atteindre 30 nœuds et correctement protégée, à un déplacement excédant 35 000 tonnes[32].
Chaque tourelle quadruple a un poids de 2 476 tonnes, auquel il faut ajouter 620 t pour le blindage de la barbette, soit un total de 3 096 t. On observera que le poids des tourelles triples de 406 mm des cuirassés de la classe Iowa était de 1 708 t[39]. La disposition de l'artillerie principale sur le modèle de la classe Dunkerque, en deux tourelles quadruples à l'avant, présentait le risque de voir mise hors de service la moitié de l'artillerie, sur un coup malchanceux. Le Service Technique des Constructions Navales (STCN) examina donc, outre deux dispositions hétérodoxes et rapidement écartées, où les canons, situés au centre du navire ne pouvaient tirer que de chaque bord, mais ni en chasse, ni en retraite, trois dispositions d'artillerie concentrée à l'avant, mais avec deux tourelles triples et une tourelle double, ou une tourelle quadruple et deux tourelles doubles ou trois tourelles triples. Mais le devis de poids était toujours supérieur à celui de deux tourelles quadruples, sans réduire sensiblement le risque du coup malchanceux. Dès la fin octobre 1934, le choix des deux tourelles quadruples à l'avant est entériné[40], avec ses conséquences annexes, disposition des tourelles en deux demi-tourelles doubles, séparées par une cloison blindée de 25 à 45 mm[41], et montage des canons en affûts doubles sur un axe commun des pièces de chaque demi-tourelle, comme sur la classe Dunkerque[42] avec la conséquence en termes de dispersion excessive, lors des tirs par salves des canons d'une même demi-tourelle. L'entraxe des canons de la même demi-tourelle est de 1,95 m, et entre les deux demi-tourelles de 2,95 m. Quant à la distance entre les tourelles, de 27 m sur le Dunkerque, elle est portée à 33,5 m.
Le canon de modifier] L'artillerie secondaire
Pour l'artillerie secondaire, on envisage tout d'abord cinq tourelles quadruples de 130 mm, disposées comme sur le Dunkerque, mais le calibre semble faible, alors que les Allemands ont retenu le calibre de 150 mm pour l'artillerie secondaire anti-navire de la classe Scharnhorst et les Italiens le 152 mm sur la classe Vittorio Veneto. On résolut donc de conserver le principe de l'artillerie à double usage et de développer une version permettant le tir contre-avions de la tourelle triple de 152 mm installée comme artillerie anti-navires sur les croiseurs légers les plus récents du moment (Émile Bertin et la classe La Galissonnière).
La tourelle triple de 152 mm Modèle 1936 à double usage, d'un poids de 227 tonnes, était une extrapolation de la tourelle Modèle 1930 à usage anti-navire. Les canons, montés sur des berceaux autonomes, avaient un entraxe de 1,85 m. La vitesse de rotation était de 12⁰/s, et la vitesse d'élévation des pièces de 8⁰/s. L'élévation maximale des canons était portée de 45⁰ à 90⁰, et ils pouvait théoriquement être approvisionnés à toutes les élévations. La vitesse initiale était de 870 m/s. Les obus utilisés étaient soit des obus de perforation OPfK Modèle 1930 de 56 kg, ou Modèle 1936 de 57,1 kg, contre buts marins, soit des obus explosifs, OEA Modèle 1936 de 54,7kg, ou OEA Modèle 1937 de 49kg contre buts aériens. Un obus éclairant (OEcl Modèle 1936) de 49 kg a été mis au point, mais ces munitions ne figurent pas dans l'inventaire de guerre des munitions du cuirassé. La cadence de tir était de 6,5 coups/mn contre buts marins et de 5 coups/mn contre buts aériens. La portée maximale contre buts marins, à l'élévation de 45⁰ était de 24 500 m[43].
Comme arme anti-navire, le matériel français était plutôt plus puissant que le matériel allemand de 150 mm, qui était installé en quatre tourelles simples et quatre tourelles doubles sur le Scharnhorst et six tourelles doubles sur le Bismarck, avec une portée de 23 000 m à l'élévation de 40⁰, une cadence de tir un peu supérieure (10 coups/mn) et les autres caractéristiques (élévation, vitesse de rotation, vitesse d'élévation des pièces) comparables au matériel français, mais les obus étaient moins lourds (43,3 kg, environ). Quant au matériel italien de 152 mm/55 calibres Modèle 1934 ou 1936 installé sur la classe Littorio, il tirait, à l'élévation de 45⁰, avec une vitesse initiale de 925 m/s, des obus de 50 kg à 24 900 m à la cadence de 4,5 coups/mn[45].
Mais la version à double usage ne donna pas satisfaction, pour son usage anti-aérien. Avec des difficultés de chargement aux élévations supérieures à 45⁰, un système de télécommande insatisfaisant, résultant notamment du poids de la tourelle supérieur de 50 tonnes à celui du Modèle 1930, elle avait une vitesse de rotation et une cadence de tir trop faible pour être efficace contre les avions rapides du début du conflit mondial, que sont les bombardiers en piqué [43]. On observera que le calibre de 152 mm ne sera que rarement utilisé par d'autres marines comme armement antiaérien, c'est-à-dire sur deux croiseurs américains de la classes Roanoke et trois croiseurs britanniques de la classe Tiger, après guerre, avec des tourelles doubles entièrement automatiques, et des installations de direction de tir autrement plus sophistiquées.
La Défense Contre Avions
La possibilité d'une artillerie anti-aérienne à courte portée de six à huit affûts doubles de 75 mm « zénithaux » a été envisagée, au cours de l'établissement du projet définitif, mais l'idée a été abandonnée, d'abord parce qu'avec l'installation de l'artillerie secondaire à l'arrière et sur les flancs, il était difficile d'éviter à l'artillerie contre-avions de souffrir des effets de souffle des canons de 380 mm et de 152 mm, ensuite en raison du dépassement du devis de poids. C'est donc une réduction du blindage qui fut décidée, pour compenser l'accroissement de déplacement lié à la substitution des tourelles triples de 152 mm qui, avec le blindage, pesaient 100 tonnes de plus que les tourelles quadruples de 130 mm. La ceinture blindée a pu être réduite en longueur de près de 5 mètres, le recours à des chaudières « Sural » (suralimentées) plus compactes, permettant d'installer trois chaudières de front et non deux, comme sur les Dunkerque, et donc de réduire l'espace devant être protégé[46]. L'épaisseur en fut aussi ramenée à 330 mm, ainsi que celle des traverses avant et arrière, du blockhaus, et des tourelles de 152 mm[47] dont le blindage sera moins épais que celui des tourelles quadruples de 130 mm du Dunkerque. Finalement, on résolut de limiter la Défense Contre Avions (DCA) rapprochée à douze canons, en tourelles doubles automatiques de 37 mm Modèle 1935[48] et à huit affûts quadruples de mitrailleuses de 13,2 mm.
Mais la mise au point des 37 mm ACAD Mle 1935, dont la cadence de tir prévue était de 200 coups/minute, fut beaucoup plus longue et difficile que prévu et il apparut qu'il faudrait se contenter, lorsque le Richelieu serait mis en service des affûts doubles semi-automatiques de 37 mm CAD Mle 1933, dont la cadence de tir de 15 à 20 coups/mn, en pratique, était bien inférieure à celle de canons de calibre équivalent, tels que le Pom-Pom britannique, ou le Bofors 40 mm/L60, qui était 120 à 200 coups/mn. Ceci conduira, en novembre 1939 , alors que le Richelieu est en cours d'armement , à décider de retirer les tourelles III et IV de 152 mm installées au milieu du navire, de ne pas en installer sur le Jean-Bart, de les stocker pour en doter le cuirassé Gascogne dont la coque était en construction à l'Arsenal de Brest, et d'installer à la place des tourelles de 100 mm CAD Modèle 1931 comme celles dont était doté le croiseur Algérie, et que l'on avait installé sur le modifier] Les installations de direction de tir
La disposition des installations de direction de tir correspondait, pour l'essentiel à celle de la classe Dunkerque. Sur la tour avant , on retrouvait le même empilement de trois télépointeurs, avec de bas en haut, le télépointeur A pour l'artillerie principale, avec un télémètre stéreoscopique triplex OPL (Optique de Précision de Levallois-Perret) de 14 mètres, et deux télépointeurs pour l'artillerie secondaire de 152 mm, avec un télémètre stéreoscopique duplex OPL de 8 mètres pour les buts marins sur le télépointeur 2, en position centrale, et un télémètre OPL de 6 mètres pour le tir contre avions sur le télépointeur 1 en position supérieure. Sur la tour arrière, un seul télépointeur, le télépointeur 3 pour l'artillerie secondaire avec un télémètre de 6 mètres. Le télépointeur auxiliaire de l'artillerie principale (télépointeur B), avec un télémètre stéreoscopique duplex OPL de 8 mètres, se trouvait entre la tour arrière et la tourelle VII (arrière axiale de 152 mm).Tous les télépointeurs étaient étanches aux gaz et avaient un blindage léger pare-éclats.
Un télépointeur avec un télémètre OPL de 3 mètres installé initialement sur la plate-forme la plus haute de la tour avant, comme sur le Strasbourg, a été réinstallé sur le toit du blockhaus, comme sur le Dunkerque. Deux télépointeurs équipés de télémètres SOM (Société d'Optique et de Mécanique de haute précision) de 3 mètres à l'usage de l'État-major se trouvaient sur les côtés de la passerelle de l'Amiral (étage 3). Lorsque l'on a installé une artillerie anti-aérienne de 100 mm, ces deux télépointeurs ont été remplacés par des télépointeurs équipés chacun d'un télémètre OPL de 4 mètres pour le controle du tir des 100 mm AA, et sur la passerelle de navigation, à l'étage inférieur, on installa, à l'usage de la majorité, deux télépointeurs équipés eux aussi d'un télémètre de 4 mètres.
Un télémètre stéreoscopique duplex OPL de 14 mètres se trouvait dans chaque tourelle d'artillerie principale, et un télémètre stéreoscopique duplex OPL de 8 mètres se trouvait dans chaque tourelle de 152 mm.
La veille optique se faisait, pour la veille basse, c'est-à-dire les objectifs rapprochés, à partir de la passerelle de navigation, à l'étage 3, pour la veille éloignée, à partir de la plate-forme 6, et pour la veille haute, contre les mines et les torpilles à partir de la plate-forme 8. Pour le combat de nuit, le Richelieu disposait de cinq projecteurs, sur la tour avant, un sur la face avant, et deux de chaque côté[51],[52].
Les installations d'aviation
Les installations d'aviation (un hangar, deux catapultes et une grue) sont situées à l'extrême arrière, comme sur le Dunkerque, pouvant accueillir quatre hydravions, des Loire 130, deux avec les ailes repliées dans le hangar, un sur chaque catapulte[53].
Les matériels et les installations sont du même type que sur le Dunkerque. Les Loire 130 sont des hydravions à coque monomoteur (un Hispano-Suiza 12 cylindres de 720 CV). Pesant 3 500 kg en pleine charge, leur vitese maximale est de 210 km/h, leur plafond de 6 500 m, leur endurance de 7h30 à 150 km/h. Ils ont un équipage de trois hommes, sont armés de deux mitrailleuses de 7,5 mm, et peuvent emporter deux bombes de 75 kg. Les catapultes à air comprimé, d'une longueur de 22 m, peuvent projeter un aéronef de 3 500 kg à 103 km/h. Au retour, les hydravions se posent à côté du cuirassé, et sont hissés à bord par la grue qui peut soulever 4,5 tonnes[54].
La différence avec la classe précédente tient à ce que l'espace occupé par les chaudières a pu être réduit de cinq mètres, grâce à une largeur de coque supérieure, et à la disposition des chaudières suralimentées sur deux rangs de trois et non plus trois rangs de deux[55]. Ceci permet de placer la tourelle VII (arrière axiale) au couple 68,85 au lieu de 44,30 sur le Dunkerque, alors que les tourelles V et VI (arrière latérales) sont au couple 54,45 au lieu de 53,30[56],[57]. On observera qu'ainsi les tourelles latérales arrière de 152 mm (V et VI) sont plus à l'arrière que la tourelle VII axiale de quelques 15 mètres, sur le Richelieu, alors que c'est l'inverse sur les Dunkerque. De ce fait le hangar peut être situé plus en avant, d'une part, laissant plus de place sur la plage arrière (37 mètres au lieu de 30), pour installer une seconde catapulte, et, d'autre part, permettant d'avoir un hangar plus long de cinq mètres sur un seul étage, ce qui permet d'y installer deux hydravions à la file, et non pas de les parquer sur les plate-formes, en position basse, d'un ascenseur intérieur dans un hangar à deux étages, comme c'était le cas sur les Dunkerque. Du hangar, les hydravions sont amenés sur des rails à un élévateur qui permet de les hisser sur l'une ou l'autre catapulte, la plus à l'arrière se trouvant dans l'axe du bâtiment, la plus en avant étant alors presque perpendiculaire à l'axe du bâtiment sur tribord[58].
Protection
Blindage
La protection, sur le Richelieu absorbait un pourcentage de 39,2 % du déplacement « normal ». Ce pourcentage était de 35,9 % sur le Dunkerque et de 37,2 % sur le Strasbourg[59].
La ceinture cuirassée, inclinée à 15⁰24', avait une épaisseur de 327 mm, elle allait de 3,38 m au-dessus de la ligne de flottaison, à 2,38 m en dessous,la traverse avant avait une épaisseur de 355 mm, la traverse arrière de 233 mm,
le pont blindé supérieur : 150 mm porté à 170 mm au-dessus des soutes de 380 mm, le pont blindé inférieur : 40 mm, il s'étendait jusqu'à l'avant (au couple 233).
le blockhaus : 340 mm à l'avant et sur les côtés, 280 mm à l'arrière, 170 mm sur le toit;
Les tourelles principales : la barbette 405 mm au-dessus du pont blindé supérieur, la face avant inclinée à 30° : 430 mm, à l'arrière : 270 mm à la tourelle I, 260 mm à la tourelle II ( ces épaisseurs nettement inférieures à celles du Strasbourg s'expliquaient par le recours, sur le Richelieu, à un acier cémenté), le plafond 190 mm à la tourelle I, 170 mm à la tourelle II;
les tourelles triples de 152 mm : la barbette 100 mm, la face, inclinée à 30⁰ 130 mm, les côtés 70 mm, l'arrière 60 mm, le plafond 70 mm[41].
Si on compare le Richelieu aux cuirassés d'autres pays d'un déplacement comparable, dans les années 1935-1940, les cuirassés britanniques avaient une ceinture blindée plus épaisse (343 mm), et des tourelles d'artillerie principale moins protégées (330 mm) sur la classe King George V et le HMS Vanguard. Ils étaient équivalents au Richelieu en ce qui concerne le blindage horizontal (152 mm)[60], avec, pour le blockhaus, un blindage délibérement limité à la protection contre les éclats[61].
Les cuirassés américains avaient une ceinture blindée équivalente (330/340 mm) à celle du Richelieu, sur les classes North Carolina et South Dakota, un peu moins épaisse (310 mm) sur la classe Iowa. La protection des tourelles d'artillerie principale était moins épaisse (406 mm) sur la classe North Carolina, équivalente (430 mm) sur la classe Iowa, et plus épaisse (457 mm) sur la classe South Dakota. La protection horizontale était un peu moins épaisse (104 mm) sur la classe North Carolina, équivalente (127/165 mm) sur les classes South Dakota et Iowa. Le blockhaus était mieux protégé, avec 406 mm sur les classes North Carolina et South Dakota, et 445 mm sur la classe Iowa[62].
Les cuirassés italiens de la classe Vittorio Veneto avaient une ceinture blindée plus épaisse (350 mm) que le Richelieu, mais pour le reste, ils étaient moins bien protégés, avec 350 mm sur les tourelles d'artillerie principale, 260 mm sur le blockhaus, 50 mm sur le pont supérieur et 100 mm sur le pont principal[63]. Les cuirassés allemands de la classe Bismarck avaient un blindage moins épais que le Richelieu sur les tourelles d'artillerie principale (356 mm), plus épais sur le blockhaus(356 mm), et équivalent pour la ceinture blindée (320 mm), et pour le blindage horizontal (80 mm + 115 mm)[50]
Protection sous-marine
La protection anti-torpilles est de même conception que celle du Dunkerque, avec une cloison transversale de 30 à 50 mm, à hauteur des œuvres vives, bourrages et cloisonnements des compartiments entre cette cloison et la coque[36],[64]. Toutefois, la largeur du « sandwich » constitué par les cloisons transversales, et les compartiments, remplis d'« ébonite-mousse », ou vides, ou servant de réservoirs de carburant, n'atteignait que 7 mètres, contre 7,5 mètres sur le Dunkerque, pour pouvoir loger, dans les compartements de machines, trois chaudières de front, contre deux sur le Dunkerque.
Propulsion
La puissance développée en service normal par le Richelieu était de 155 000 CV. Elle était fournie par six chaudières Sural — suralimentées — fabriquées par l'Établissement des Constructions Navales d'Indret, et quatre turbines Parsons, entrainant quatre hélices quadripales d'un diamètre de 4,87 m.
On a vu plus haut qu'avec une longueur de coque de 245 m et un maitre-bau de 33,5 m, le Richelieu a une coque un peu plus hydrodynamique que le Dunkerque (longueur : 215 m ; maitre-bau : 31,5 m) avec un rapport longueur/largeur de 7,3, au lieu de 6,9. Pour ce qui est des machines, le rapport poids-puissance est un peu meilleur, ce qui tient au recours aux chaudières dites suralimentées, avec un poids de machines de 2 214 tonnes pour une puissance développée de 107 000 CV, soit 20,7 kg/CV, pour le Dunkerque, et 2865 tonnes pour 155 000 CV, soit 18,5 kg/CV, pour le Richelieu. On observera que le Gneisenau allemand, avec des chaudières à très haute pression, affiche un rapport poids/puissance encore meilleur, 17,5 kg/CV, mais les machines des bâtiments allemands de cette classe n'avaient pas atteint, lors de leur mise en service, le stade de la perfection technique[27], et ce fut un sujet de préoccupation tout au long de leur carrière.
La disposition des machines répond au même principe que sur le Dunkerque, c'est-à-dire la séparation de deux ensembles, associant chaudières et turbines, de façon à réduire le risque d'une perte totale de puissance, dans les aléas du combat. On trouve ainsi d'avant en arrière, la salle des machines n°1, située sous la tour avant, avec la rue de chauffe n°1 et les chaudières numérotées de tribord à babord n°10, n°11, et n°12 , puis la salle des turbines avant, entrainant les hélices extérieures, puis la salle des machines n°2, située sous la cheminée, avec la rue de chauffe n°2 et les chaudières n°20, n°21, et n°22, enfin la salle des turbines arrière entrainant les hélices intérieures. Une cloison blindée de 18 mm sépare la salle des turbines avant de la salle de chaudières n°2.
Les chaudières suralimentées mesuraient 6,90 m de long, 4,55 m de haut et 4,50 m de large contre respectivement 5,33 m, 5,34 m, et 6,50 m pour les chaudières du Dunkerque. Dans la coque du Richelieu ayant un maître-bau supérieur de 2 m, à celle du Dunkerque, il était ainsi possible de mettre trois chaudières de front, ayant une largeur cumulée de 13,5 m, là où deux chaudières du Dunkerque avait une largeur cumulée de 13 m.
Carrière
Mis sur cale le 22 octobre 1935 à l'arsenal de Brest, au bassin du Salou, qui avait servi pour le Dunkerque, le Richelieu est mis à l'eau le 17 janvier 1939, et gagne son quai d'armement au bassin n°9 de Laninon. C'est à la fin de cette année 1939 que fut mise en œuvre la modification de l'artillerie secondaire, résultat combiné des retards de livraison du nouvel armement anti-aérien de 37 mm ACAD Modèle 1935 et des résultats décevants des tourelles de 152 mm double usage dans leur mode anti-aérien (difficiles à charger aux angles de pointage élevés et trop lentes en cadence de tir). Ainsi les deux tourelles latérales de 152 mm Mle 1935 furent supprimées, pour être remplacées chacune par trois affûts doubles de 100 mm/45 calibres CAD Modèle 1931, à double-usage. Quatre affûts sont prélevés sur le cuirassé avril 1940, et fin mai. De chaque bord, deux sont montés sur une plate-forme, à la place des barbettes des tourelles de 152 mm, un autre un peu plus haut sur le côté. En ce qui concerne l'artillerie de 37 mm AA, après diverses installations provisoires, en juin 1940, quatre affûts de 37 mm CAD Mle 1933 , dépourvus de bouclier, sont installés à hauteur de la tour arrière. Enfin, quatre affûts quadritubes de mitrailleuses de 13,2 mm sont installés au sommet de la tour avant, et quatre affûts doubles au sommet de la tour arrière [43],[65].
Le navire, aux ordres de son premier commandant, le capitaine de vaisseau Marzin, sortit à la mer en avril et effectua en mai et juin 1940, des essais succincts, au cours desquels il aura atteint la vitesse de 32,6 nœuds, à feux poussés, et effectué les tirs d'essais réglementaires de l'artillerie principale et secondaire. Pour autant, il faut encore, en juin 1940, un quart d'heure pour hisser un obus de 380 mm et ses gargouses, des soutes au canon.
À la veille de l'arrivée des Allemands, à 90 % d'achèvement, il appareilla de Brest pour Dakar, le 18 juin 1940, avec 250 obus de 380 mm, et 48 charges de poudre pour son artillerie principale[66]. Son artillerie de 152 mm est inutilisable contre-avions (le télépointeur qui y est affecté n'a pas été mis en service), et aucune munition de ce calibre n'a été emportée. Son artillerie anti-aérienne se limite, outre les six tourelles doubles de 100 mm, à quatre affûts doubles de 37 mm semi-automatiques Modèle 1933, quatre affûts quadruples de 13,2 mm Modèle 1929, et deux affûts doubles de 13,2 mm[37].
L'atmosphère à Dakar, fin juin 1940, était plutôt à la continuation du combat, aux côtés des Anglais, encore très présents, puisque le porte-avions modifier] À Dakar, aux ordres de Vichy
Le Richelieu mouilla en grande rade. À l’annonce des événements de Mers el-Kébir, le commandant Marzin fut conforté dans sa conviction qu’il ne lui fallait pas chercher abri dans le port, pour éviter de s’y trouver bloqué, mais on embossa des cargos anglais réquisitionnés, sur son flanc gauche, exposé à une attaque d’avions-torpilleurs venus du large. Le 7 juillet, l’amiral Onslow, à bord du porte-avions HMS Hermes signifia un ultimatum identique à celui de Mers el-Kébir, auquel il ne fut pas répondu. Au cours de la nuit suivante, quatre charges anti-sousmarines furent déposées furtivement par une vedette du porte-avions, sous la coque à l’arrière du Richelieu, mais elles n’explosèrent pas. Au petit matin, une attaque de six avions-torpilleurs Fairey Swordfish eut plus de succès, une torpille fit but : une énorme déflagration a secoué tout le navire, jusqu'au télépointeur des 380 mm de la tour avant qui fut soulevé de son chemin de roulement qu'il endommagea en retombant. On attribua la violence du phénomène à l'explosion de la torpille en eau peu profonde, mais on conjectura aussi que l'engin avait pu faire exploser les charges mouillées sans succès, plus tôt dans la nuit. Mais surtout les lignes d’arbre d’hélice tribord ont été sérieusement endommagées et une brèche ouverte dans la coque à tribord arrière. L'eau envahit petit à petit les compartiments arrières par les chemins de cables électriques qui ne sont plus étanches, le tirant d'eau s'accrut, et très vite la coque s'est posée au fond à marée basse, immobilisant le cuirassé[68],[69].
Le Richelieu ramené à l’intérieur du port, fut amarré au Quai des Pétroliers, et les canonniers de la tourelle I de 380 mm, allèrent armer la batterie côtière du cap Manuel, constituée de canons de 240 mm, provenant de l’artillerie secondaire des pré-dreadnoughts de la classe Danton[70],[71]. Les 23, 24 et 25 septembre 1940, les Britanniques et les Français libres se présentèrent devant Dakar (opération "Menace") sommant la garnison de rallier la France Libre. Ils furent accueillis à coups de canon. Dans la bataille qui s'ensuivit, le Richelieu échappa avec des dégâts minimes à quelques 250 obus de 381 mm des cuirassés HMS Barham et HMS Resolution. Mais, le premier jour, un des canons de la tourelle II de 380 mm explosa et deux autres furent mis hors service. Le commandant Marzin fit remettre en service la tourelle I et le Richelieu, au cours de ces trois jours, aura tiré au total vingt-quatre coups de 380 mm[72], une centaine de coups de 152 mm, et 500 coups de 100 mm. En recherchant l'origine des accidents de tir du 23 septembre , on incrimina d’abord la poudre SD 19 des gargousses que le Strasbourg avait laissées sur place au cours de l’hiver précédent, et que l’on avait utilisées pour pallier le nombre insuffisant des gargousses de poudre SD 21, que le Richelieu avait emportées de Brest. Une commission d’enquête, présidée par l’amiral de Penfentenyo de Kervéréguin établira en 1941 qu’une explosion prématurée des obus résultait d’un vice de conception de leur culot[73],[74].
Le Richelieu, pendant l'hiver 1940 reçut, sur place, des réparations sommaires, en s'efforçant de rétablir l'étanchéité de la coque pour la vider de l'eau qui y a pénétré. En avril 1941, le cuirassé est en état de reprendre la mer, en marchant à 14 nœuds. Ses moyens contre-avions furent renforcés avec quelques mitrailleuses de 13,2 mm et des affûts de 37 mm, dont certains prélevés sur l’épave du contre-torpilleur L’Audacieux, gravement endommagé au cours des combats de septembre 1940.
Il fut le premier navire français à recevoir un équipement de « détection électro-magnétique », ancêtre français du radar. Cet équipement fonctionnait avec une longueur d'ondes de 2 mètres, les antennes d'émission se trouvaient sur les vergues de la tour avant, et les antennes de réception sur celles de la tour arrière. Les avions étaient repérés à 80 km, s'ils volaient à plus de 1 500 mètres, à 50 km, s'ils volaient à 1 000 mètres, à 10 km, s'ils volaient au ras de l'eau. Les navires étaient repérés entre 10 et 20 km, avec une précision de 500 mètres[75].
En juillet 1941, trois hydravions Loire 130 de l'escadrille 4E, arrivés de Brest, seront rebaptisés HDR (Hydravions Du Richelieu) 1, 2 et 3, et seront basés à la base aéro-navale de Bel-Air, en baie de Hann, à proximité de Dakar. Le premier catapultage aura lieu le 7 octobre[76].
Aux côtés des Alliés
Les Alliés ayant débarqué le 8 novembre 1942 à Casablanca, Oran et Alger (opération "Torch"), les forces françaises présentes en Algérie, au Maroc, et celles ayant échappé aux Allemands en Tunisie reprirent le combat aux côtés des Alliés, rejointes dès le début décembre, par celles d’Afrique-Occidentale française (AOF). Le Richelieu, débarassé de ses catapultes, de ses hydravions et de son artillerie contre-avions de 37 mm, appareilla, le 30 janvier 1943, pour New York, conduit par François Picard Destelan, pour être modernisé à l’arsenal de Brooklyn, le passage sous le pont de Brooklyn à New York ayant nécessité le démontage du télépointeur supérieur avant de l’artillerie de 152 mm, qui, n'ayant jamais été mis en service, ne fut pas remonté[77]. Pour autant, au moment où le Richelieu a repris le combat, les sentiments pétainistes de son encadrement demeuraient vifs. Lors de la réception donnée à New York, à l’occasion de l’arrivée du Richelieu, son commandant quitta la tribune officielle lorsque le représentant du général de Gaulle, Adrien Tixier, rappella que les Français Libres n’avaient pas cessé de combattre l’ennemi depuis trois ans[78].
À partir du 24 février 1943, on commença par remettre le cuirassé en état. Après deux ans et demi sans carénage dans des eaux tropicales, la coque fut nettoyée, les machines révisées, l'arbre d'hélice tribord latéral redressé, mais il fallut demander à la Bethleem Steel Corporation de fabriquer un nouvel arbre d'hélice tribord central, qui fut installé en juin.
Pour l'artillerie principale, il fallut remplacer, à la tourelle II, les trois canons de 380 mm hors service, avec les quatre canons installés sur le Jean Bart et transportés depuis Casablanca, la quatrième pièce servant à effectuer des tirs d'essai au polygone de Dahlgren (en). Mais se posait le problème des munitions, car si le Richelieu avait reçu, en novembre 1940, 316 OPfK de 380 mm Mle 1935, sa dotation en avril 1943 se limitait à 407 obus, et il fallait pallier la rupture des relations avec la France occupée, alors que l'U.S. Navy ne disposait pas de munitions de ce calibre. On dut passer commande à l'US Crucible Steel Company pour la constitution d'un stock de 1 530 obus de perforation, à partir de plans, dressés à Dakar, de l'OPfK de 380 mm Mle 1935 français. L'OPfK de 380 mm Mle 1943, mesurant 1 882m, reprenait des caractéristiques de l'obus américain de 356 mm, en particulier le dispositif de coloration se limitait à colorer les gerbes comme les obus américains, et non les impacts comme les obus français. Les premières livraisons d'obus d'exercice intervinrent en août 1943, pour le début des essais, mais les écoles à feu montrèrent que les charges de poudre américaines MCI 420 n'étaient pas assez rigides et se déchiraient parfois au chargement, forçant à interrompre le tir pour nettoyer les culasses. On décida pour les tirs de combat de conserver les gargousses de poudre S 21 de fabrication française.
L'artillerie secondaire de 152 mm fut entièrement revisée, mais pour les munitions, on put faire avec les obus américains utilisés sur les croiseurs légers des classes Brooklyn et suivantes, armés du canon de 152 mm/47 calibres Mark 16. L'obus de perforation pesait 58,8kg, et 48 kg pour l'obus désigné par les Français comme OEA de 152 mm Mle 1943, pour le tir anti-aérien. Pour cette artillerie, le télépointeur supérieur de la tour avant qui n'avait jamais été mis en service, fut supprimé.
Pour le tir contre-avions, on installa une nouvelle artillerie anti-aérienne de cinquante pièces simples Oerlikon (en) de 20 mm dont deux groupes de neuf, à la place de l'ancien hangar d'aviation, et sur le brise-lames avant. Quatorze affûts quadruples Bofors 40 mm sont installés en trois groupes de quatre, sur la plage arrière, autour de la tour arrière, et autour de la tour avant, et deux affûts de part et d'autre de la tourelle II. Deux radars de fabrication américaine, conçus pour de petits bâtiments sont mis en place, sur le mat de la tour arrière, pour celui destiné à la veille surface, de type SF, et au sommet des télépointeurs de la tour avant, de type SA-2 pour la veille aérienne. Mais l'US Navy ne consentit pas à ce que le cuirassé pût recevoir un radar de conduite de tir[79],[80].
Le Richelieu, dont le déplacement a été accru de 3 500 tonnes, s'entraîna, en septembre 1943, dans la baie de Chesapeake, et atteignit la vitesse de 30,2 nœuds. La refonte déclarée achevée début octobre, le Richelieu retourna à Alger, pour être incorporé à la Mediterranean Fleet. Mais entretemps, l'armistice signé entre les Alliés et l'Italie rendait inutile l'affectation d'un cuirassé moderne supplémentaire en Méditerranée. Le cuirassé rallia Scapa Flow pour rejoindre la Home Fleet britannique qui surveillait les derniers grands navires de surface allemands en Norvège, mais, faute d'équipement moderne de conduite de tir, il ne participa pas à la bataille au cours de laquelle fut coulé le Scharnhorst, le 26 décembre 1943. Il reçut en début de 1944, un radar de conduite de tir du dernier modèle, le type 284 P4 de fabrication anglaise[81]. Il participa en février à la couverture de porte-avions de laHome Fleet contre le trafic naval allemand au large de la Norvège septentrionale (Opération Posthorn, 10-12 février 1944). Comme la Royal Navy disposait maintenant de trois cuirassés modernes, face au Tirpitz en Norvège, on envisagea de faire participer le Richelieu à la couverture du Débarquement de Normandie, mais comme il ne disposait pas d'obus explosifs de 380 mm, pour le tir contre la terre, on y renonça et il fut désigné pour rallier l'Eastern Fleet britannique dans l'Ocean Indien.
Après avoir traversé le canal de Suez, le navire arriva le 10 avril 1944 à Trincomalee, dans l'île de Ceylan, où il fut accueilli par la flotte britannique commandée par l'amiral Somerville. Il participa à la couverture des porte-avions effectuant des bombardements aériens de Sabang dès le 19 avril 1944 (Opération Cockpit,16-20 avril ), de Surabaya (Opération Transom, 6-27 mai ), de Port-Blair, dans les Îles Adaman (Opération Pedal, 19-29 juin). Il participa ensuite à un bombardement de Sabang (Opération Crimson, 22-27 juillet). A cette occasion, il apparut que si les obus de perforation du Richelieu étaient, en action contre la terre, efficaces contre les ouvrages en béton, ils n'explosaient pas lorsqu'ils pénétraient dans le sol. Ceci conduisit à solliciter des Britanniques des obus explosifs spécialement conçus dans ce but. Désignés comme OEA de 380 mm Modèle 1945, ils ont figuré dans les inventaires de munitions du Richelieu et du Jean-Bart, jusqu'après la guerre.
Retournant en Méditerranée,pour subir un carénage à Casablanca, il fit escale à Alger, pour embarquer le Chef d'État-Major Général de la Marine, et entra à Toulon, le 1er octobre 1944, après 52 mois passés loin de la Métropole. Au cours du carénage à Casablanca, on installa de nouveaux radars de fabrication britannique, pour la surveillance aérienne, du type 281 B, sur le mat de la tour avant, pour l'artillerie, du type 285 P, sur les télépointeurs de l'artillerie secondaire des deux tours, avec des unités automatiques de barrage (ABU), pour le tir de barrage anti-aérien. Un nouveau radar de veille de surface, de fabrication américaine, du type SG-1, fut installé sur le mat de la tour avant, le radar du type SF, installé aux États-Unis, étant déplacé vers le toit du blockhaus. Enfin, le cuirassé fut doté d'un système de brouillage des bombes planantes allemades, qui avaient eu raison du cuirassé italien Roma et avait gravement endomagé le HMS Warspite, en septembre 1943 .
De retour dans l'Océan Indien, il participa au bombardement de Car-Nicobar en avril 1945, et fut présent à la capitulation japonaise de Singapour, le 12 septembre 1945. Il participa ensuite, d'octobre à décembre 1945, au retour en Indochine des forces françaises aux ordres du général Leclerc, qui félicita l'équipage du Richelieu pour sa participation aux opérations contre le Viet Minh devant Nah-Trang[82].
Après-guerre
Rentré en France au début de 1946, il connut la vie des bâtiments de guerre en temps de paix, rapatria des tirailleurs sénégalais à Dakar, transporta à Portsmouth l'équipage français qui va embarquer sur le porte-avions Colossus, appelé à devenir l' Arromanches, effectua une visite officielle à Lisbonne, transporta le Président de la République dans un voyage en Afrique Occidentale Française, manoeuvra avec l'escadre en Méditerranée et en Atlantique[83]. En 1948, le problème de la dispersion excessive lors des tirs en salve des canons d'une demi-tourelle, en raison d'un effet de sillage entre les obus, fut résolu en décalant la mise à feu des pièces voisines de 60 millisecondes, ce qui correspond à une cinquantaine de mètres entre les deux obus, ce qui divisa la dispersion par trois[84].
En 1951, au cours d'un grand carénage, il reçut de nouveaux canons de 380 mm, un nouvellement fabriqué, et trois qui avaient été saisis par les Allemands, deux étant installés en batterie côtière en Norvège et en Normandie, et le troisième utilisé au polygone d'essais de Krupp, à Meppen[82]. Il reçut aussi de nouveaux radars, de fabrication française[85]. Après avoir manœuvré une unique fois avec le Jean Bart, le 30 janvier 1956, il rallie Brest où il forme « le groupe école de manœuvre Richelieu » à couple avec un vieux trois-mâts qui sert de logement, le Duchesse Anne[86]. Il fut mis en réserve en août 1959, désarmé en 1967 puis démoli à La Spezia en 1968.
Le nom de Richelieu a été envisagé un moment pour le porte-avions nucléaire de la Marine Nationale, actuellement en service depuis 2001, sous le nom de Charles de Gaulle[87].
Sister-ships
Jean Bart
Article détaillé : Jean Bart (bâtiment de ligne).Mis sur cale en décembre 1936 à Penhoët, dans la forme de construction Caquot, qui recevra plus tard le nom de « Forme Jean-Bart », le Jean Bart, était destiné à être l'exacte réplique du Richelieu. Les barbettes des deux tourelles latérales de 152 mm à double usage ne seront pas installées sur le Jean Bart, après qu'on a décidé à l'automne de 1939 d'y substituer sur le Richelieu des affûts de 100 mm anti-aériens. Il est encore en construction lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale. Il est mis à flot, avec six mois d'avance, le 6 mars 1940. Sa construction est accélérée, il est doté de la moitié de ses machines, les canons de 380 mm (en) de sa tourelle avant sont installés, ainsi que quelques mitrailleuses pour servir contre avions. L'aménagement du canal reliant son site de construction à la mer doit lui permettre de prendre le large à la marée du 20 juin 1940. Son commandant, le capitaine de vaisseau Ronarc'h a reçu le 18 juin 1940 l'ordre de gagner immédiatement Casablanca, sinon de saborder le cuirassé. La nuit suivante, avec l'aide de quatre remorqueurs, il quitte sa cale de construction, sous les bombes de Luftwaffe et alors que les avant-gardes allemandes sont presque en vue, gagne le large et rallie Casablanca par ses propres moyens, achevant la traversée à plus de 22 nœuds[88],[89],[90].
À 75 % d'achèvement, n'ayant qu'une seule tourelle d'artillerie principale installée, les canons de la seconde tourelle abandonnés ou perdus, il est dépourvu d'artillerie secondaire, sans aucune installation de direction de tir, il ne dispose comme Défense Contre Avions que de deux affûts doubles de 90 mm Modèle 1930, de trois affûts doubles de 37 mm, et de 16 tubes de mitrailleuses de 13,2 mm (quatre affûts doubles et deux affûts quadruples). Au Maroc, les moyens font à peu près totalement défaut pour en poursuivre l'achèvement[91]. Il reçoit quelques pièces supplémentaires de 90 mm et quelques mitrailleuses contre-avions. En 1942, sa tourelle d'artillerie principale est mise en état de tirer, et il est équipé du dispositif de « détection électro-magnétique », ancêtre français du radar[92].
Le 8 novembre 1942, lors du débarquement allié en Afrique du Nord, le Jean Bart ouvre le feu sur les forces navales américaines qui en assurent le soutien. Il est touché presqu'aussitôt par le cuirassé 18 novembre 1942, pour son rôle dans la défense de Casablanca, le capitaine de vaisseau Barthes, commandant du Jean Bart, est nommé contre-amiral.
En 1943, les quatre canons de 380 mm (en) de son artillerie principale, installés en 1940, sont démontés pour remplacer les pièces endommagées du Richelieu, que l'industrie de guerre américaine, qui doit en assurer la refonte, ne peut produire, tous les cuirassés modernes américains ayant une artillerie principale de 406 mm.
L'U.S.Navy refusant de prendre en charge son achèvement[96], aussi bien tel qu'il a été prévu, que transformé en hybride cuirassé-porte-avions, ou en cuirassé anti-aérien, en réutilisant quatre canons de 340 mm du vieux cuirassé 25 août 1945, pour entrer en carénage à Cherbourg, dans le seul bassin de radoub utilisable de la côte atlantique.
Après que le Conseil Supérieur de la Marine a écarté l'idée, en septembre 1945, de le transformer en porte-avions[98],[99], il est mis en achèvement, au début de 1946, à l'arsenal de Brest, qui est en pleine reconstruction après les dommages considérables supportés au moment de la libération de la ville. Les travaux avancent donc lentement. Le Jean Bart émerge avec une nouvelle silhouette, la tour avant plus ramassée, surmontée d'un unique télépointeur. Il a été doté d'un bulge, qui est destiné à améliorer sa protection anti-torpilles, mais aussi à limiter l'accroissement de son tirant d'eau, en raison de l'augmentation de son déplacement, lié à l'installation prévue d'une artillerie anti-aérienne très puissante (vingt-quatre canons de 100 mm, en six tourelles doubles de chaque bord, et quatorze « pseudo-tourelles » doubles de 57 mm sous licence Bofors): sa largeur maximale atteint 35,50 m[100]. Il effectue ses essais en 1949, au cours desquels il dépasse la vitesse de 32 nœuds[101]. Mais il n'est admis en service actif qu'en 1955, après avoir été doté de sa nouvelle artillerie anti-aérienne rapprochée[102].
Le dernier navire de ligne construit aura été le HMS Vanguard de la Royal Navy mis en service en 1946, mais équipé de canons de 15 pouces (381 mm) installés précédemment sur deux anciens croiseurs de bataille britanniques, HMS Glorious et HMS Courageous. Le Jean Bart sera le dernier cuirassé à entrer en service.
En 1955, il emmène le Président de la République en visite officielle au Danemark, puis participe aux États-Unis à la commémoration de l'intervention française au cours de la Guerre d'Indépendance américaine[103].
Il est rattaché à l'escadre de la Méditerranée, début 1956. Lors de la crise de Suez en 1956, avec son artillerie principale limitée à une tourelle, et en ayant armé que la tourelle axiale de 152 mm, il transporte le 1er Régiment Étranger de Parachutistes, d'Alger à Chypre, puis participe aux opérations de débarquement en Égypte, devant Port-Saïd. Mais la protection contre-avions et les frappes contre la terre sont assurées par les avions de l'Aéronavale embarqués sur les porte-avions Arromanches et La Fayette[104],[105].
À partir de 1957, il est mis en réserve et ne sera plus utilisé que comme bâtiment-base pour les écoles de la Marine. Des projets de modernisation de son artillerie secondaire, ou de transformation en cuirassé lance-missiles, ne se concrétisèrent pas, ni sa transformation en bâtiment de commandement du Centre d'Études Nucléaires du Pacifique, pour lequel on lui préfèra le croiseur De Grasse moins coûteux à transformer. Condamné, il fut démoli à partir de septembre 1970, laissant au Yavuz turc, l'ancien croiseur de bataille allemand SMS Goeben, le privilège d'être, dans les eaux européennes, le dernier survivant à flot de l'ère des cuirassés.
Il n'aura jamais pleinement été opérationnel et n'aura connu que quatre ans de service actif, utile comme banc d'essais pour les nouveaux matériels français, radars et artillerie anti-aérienne, mais à une époque où la force de frappe des marines modernes, tant à la mer qu'en action contre la terre, repose sur les porte-avions : de 1946 à 1960, trois porte-avions de construction britannique ou américaine sont opérationnels, dans la Marine Nationale[106], avant la mise en service du premier porte-avions moderne de construction française, qui aura repris le nom du cuirassé qui aurait du suivre le Jean Bart, le Clemenceau.
Les cuirassés du Programme Supplémentaire 1938 bis
Deux autres unités étaient prévues :
- Clemenceau (mis sur cale en 1939, fraction de coque mise en eau en 1941, puis démolie après guerre)
- Gascogne (mise sur cale prévue en octobre 1940, jamais effectuée)
L'année 1936 a marqué la fin de la politique de limitation des armements navals. Alors que le Royaume-Uni entendait bien obtenir, lors de deuxième conférence de Londres qui s'ouvrit début décembre 1935, que le calibre maximum des canons des cuirassés fût fixé à 356 mm, le Japon se retira de la conférence dès le 15 janvier 1936, annonçant qu'il n'acceptait plus aucune limitation, et l'Italie se retira également pour protester contre les « sanctions » prises à son encontre, à la suite de son agression contre l'Abbyssinie. Le second traité de Londres fut signé, le 25 mars 1936 par le Royaume-Uni, les États-Unis et la France, qui a refusé quant à elle, toutes autres limitations que celles qui s'appliquent aux cuirassés, le déplacement maximum maintenu à 35 000 tonnes et le calibre maximum abaissé à 356 mm. Mais les négociateurs américains ont obtenu l'introduction d'une clause « ascenseur », stipulant que les limites concernant les cuirassés que se sont imposées les signataires du Traité pourraient être dépassées, si l'Italie et le Japon n'avaient pas signé le Traité au 1er avril 1937.
Dès lors, la course aux armements reprend, la France a lancé, fin 1936, la construction du Jean Bart, second cuirassé de la classe Richelieu, et l'Allemagne, celle du Tirpitz. Aux États-Unis, la construction de nouveaux cuirassés avait été décidée, par le Vinson-Trammell Bill de 1934, mais pour les deux premières unités, la classe North Carolina, la mise en chantier fut différée pendant trois ans, en particulier en raison du choix du calibre, 356 mm ou 406 mm, dans l'attente de la position japonaise. Le Royaume-Uni entreprit en 1937 la construction de cinq cuirassés, la classe King George V, et décida, fidèle à ses positions antérieures, que ce seraient des navires de 35 000 tonnes, armés de canons de 356 mm. Devant les atermoiements japonais, les Américains optèrent pour le calibre de 406 mm[107]. La position française, exprimée par le Ministre de la Marine, le 13 juin 1938, était de ne pas construire de cuirassé d'un déplacement supérieur à 35 000 tonnes avec un calibre supérieur à 380 mm, tant qu'une puissance européenne ne serait pas allée au-delà, position qui demeura inchangée après la signature, le 30 juin 1938, du protocole signé avec le Royaume-Uni et les États-Unis, portant à 45 000 tonnes et 406 mm les limites applicables au déplacement et au calibre des cuirassés[108]
C'est dans ces conditions que l'amiral Darlan avait décidé, début décembre 1937, de lancer les études pour deux nouveaux cuirassés, avec l'idée de tirer les conséquences des essais que le Dunkerque était en train d'effectuer, alors que se trouvaient remis en cause certains des choix qui avaient présidé à sa conception, l'artillerie principale « tout à l'avant », comme sur la classe Nelson, ou l'artillerie secondaire à double usage, anti-navire et anti-aérienne. La vitesse et la protection devaient correspondre à celles du Richelieu[109].
Le Service Technique des Constructions Navales étudia trois projets. Le Projet A reprenait la disposition d'artillerie principale du Richelieu, avec l'ajout d'une artillerie AA de 100 mm, voire de 130 mm. Le projet B avait une artillerie principale en tourelles quadruples, une à l'avant et une à l'arrière. Le projet C avait deux tourelles triples à l'avant et une tourelle triple à l'arrière. Mais cette disposition conduisait à un déplacement de l'ordre de 40 000 tonnes, elle ne fut donc pas soumise au choix du Chef d'État-Major Général. Cependant lorsque les services de renseignements français, au cours de l'été 1939 auront averti de la mise sur cale, dans le plus grand secret, de deux cuirassés allemands, supposés avoir un déplacement de 40 000 tonnes et armés de canons de 406 mm (ce sont en réalité les deux premiers bâtiments, du Plan Z, du type H 39), et que les études seront lancées pour deux cuirassés dépassant 35 000 tonnes, ce que l'on appelle parfois la classe Alsace, le projet C servira de base de travail[110].
En mars 1938, pour les cuirassés qui devaient faire partie du Programme supplémentaire 1938 bis[111], l'amiral Darlan retint les variantes A 2 et B 3ter[112].
Clemenceau
La variante A 2 différait du Richelieu dans sa version de l'époque à cinq tourelles de 152 mm, en ce que l'artillerie secondaire ne devait plus comporter que quatre tourelles dont deux tourelles axiales superposées à l'arrière.
L'amiral Darlan considérait que l'ensemble des trois tourelles à l'arrière du Richelieu était un gaspillage de poids. Un dispositif en deux tourelles axiales permettait d'avoir la même bordée de six pièces, et l'économie du poids de la troisième tourelle, soit 220 tonnes, aurait permis d'ajouter six affûts AA de 100 mm, deux placés à l'avant de la superstructure, et deux de chaque bord, à hauteur de la cheminée et de la tourelle supérieure arrière de 152 mm, au prix d'une diminution de neuf à six du nombre de pièces tirant dans l'axe en retraite, ce qui paraissait acceptable[113]. Cette disposition aurait entrainé cependant deux conséquences. D'une part la longueur vers l'avant du hangar d'aviation aurait été réduite, mais la suppression des tourelles arrière latérales de 152 mm aurait permis d'en augmenter la largeur, de façon à y accueillir deux avions de front et non plus en ligne. D'autre part, la superposition des tourelles de 152 mm arrière et donc le blindage de la barbette de la tourelle superposée devait avoir pour contrepartie la diminution de l'épaisseur du blindage des tourelles de 152 mm, par rapport à ce qu'il était sur le Richelieu, avec 116 mm au lieu de 130, sur la face avant, ainsi que pour la réduction de la ceinture blindée à 320 mm d'épaisseur, et de l'arrière des tourelles d'artillerie principale à 250 mm. Accessoirement, la superposition de deux tourelles de 152 mm à l'arrière, au-dessus du hangar, aurait conduit à surelever de deux à trois mètres le télépointeur auxiliaire de l'artillerie principale et la cheminée [114].
Pour éviter aux servants des tourelles doubles de 100 mmAA de subir les effets de souffle du tir des tourelles de 152 mm latérales, elles auraient été du Modèle 1937, entièrement fermées, communément désignées « du type aviso-dragueur », car elles avaient été prévues pour les dragueurs des classes Elan et Chamois, mais aussi les torpilleurs de la classe Le Fier, et comme artillerie secondaire sur les croiseurs de la classe De Grasse. Ces tourelles auraient eu également un blindage pare-éclats de 30 mm.
Pour la conduite du tir contre-avions, deux télépointeurs dotés de télémètres stéreoscopiques OPL de 5 mètres auraient été installés sur les côtés de la tour avant. Pour compenser cette augmentaion de poids et gagner du poids dans les hauts, le télépointeur intermédiaire de la tour avant, pour le tir anti-navires des tourelles de 152 mm aurait été supprimé. En contrepartie, les deux télépointeurs restant pour l'artillerie de 152 mm, celui du tir anti-aérien, sur la tour avant, et le télépointeur auxiliaire sur la tour arrière auraient été dotés de télémètres stéreoscopiques OPL de 8 mètres au lieu de 6 mètres.
L'artillerie anti-aérienne rapprochée aurait été constituée de six tourelles ACAD de 37 mm Mle 1935, disposées de chaque bord, quatre à hauteur de l'arrière de la superstructure, un pont au-dessus des tourelles de 100 mm CAD Mle 1937, et deux sur le pont du gaillard d'avant, à hauteur de l'arrière de la tourelle II d'artillerie principale. Les télépointeurs dédiés à l'artillerie de 37 mm auraient été installés, pour le groupe de tourelles arrière, entre celles-ci, mais un pont au-dessus, pour les deux tourelles avant, un pont au-dessus, à hauteur de la tourelle II. Deux affûts quadruples de 37 mm dits « zénithaux » auraient été installés sur l'arrière, un de chaque bord, à proximité de l'extrêmité du hangar d'aviation[115].
Le cuirassé de ce type reçut le nom de Clemenceau[116].
Sa mise en chantier fut décidée le 24 août 1938, et la mise sur cale dans le bassin du Salou intervint le jour même où la coque, incomplète, du Richelieu y avait été mise en eau, le 17 janvier 1939. Les travaux avancèrent lentement, car la construction n'a pas reçu la même priorité, à partir de septembre 1939, que la construction de Richelieu et du Jean Bart. Au moment de l'occupation allemande, un tronçon de coque de 130 m avait été construit. Il fut déclaré butin de guerre par les Allemands, et enrégistré par la Kriegsmarine comme cuirassé R. En 1941, il fut mis en état de flotter, et remorqué hors du bassin, pour être amarré près de la base de sous-marins[117] ou à Landevenec[118]. Il fut coulé, le 27 août 1944 lors des bombardements alliés qui précédèrent la libération de Brest. Relevée, l'épave fut ferraillée après la guerre[117].
Gascogne
La variante B 3ter différait plus profondement du Richelieu. L'artillerie principale répartie entre l'avant et l'arrière, rétablissait la possibilité d'un tir d'artillerie principale en retraite, et écartait totalement le risque d'une salve malheureuse détruisant toute l'artillerie principale, ainsi que le risque inhérent à la proximité des magasins des tourelles de l'artillerie principale. La tourelle d'artillerie principale à l'arrière, que les Italiens avaient du surélever, pour limiter l'effet du souffle de ses pièces sur les installations d'aviation, conduisit à envisager de placer celles-ci au centre du navire, comme sur le Bismarck' ou sur les cuirassés de la classe King George V, ce qui réduisait la gêne résultant des mouvements de la poupe, par mer un peu formée.
Toute l'artillerie de 152 mm se trouvait limitée à trois tourelles, disposées sur l'axe du navire, deux tourelles superposées, derrière la tourelle d'artillerie principale avant, et une au-dessus de la tourelle d'artillerie principale arrière. Pour éviter que l'explosion de la soute des pièces de 152 mm n'entraine celle de la tourelle d'artillerie principale la plus voisine, il fallut les doter d'un blindage plus épais de 150 mm (au lieu de 100 mm) pour la barbette, 155 mm (au lieu de 130) pour la face avant, 135 à 85 mm (au lieu de 70 mm pour les côtés)[113]. Il n'y a pas de preuves qu'avait été tranchée la question d'une réduction du pont blindé supérieur de 170/150 mm à 150/140 mm. Au moment où il fut décidé d'enlever les deux tourelles centrales de 152 mm sur le Richelieu et de ne pas en installer sur le Jean Bart, l'idée a été avancée de les réinstaller sur le Clemenceau, et d'utiliser sur la Gascogne, celles qui auraient dû être fabriquées pour le Clemenceau[112]. L'inachèvement de la construction des deux cuirassés fera qu'il n'en sera évidemment rien. L'artillerie anti-aérienne devait comporter huit affûts de 100 mm, au lieu de six sur le Clemenceau.
La formule de la variante B 3ter avait la préférence de l'Amirauté. L'amiral Darlan qui s'y était beaucoup investi fit donner au cuirassé de ce type le nom de Gascogne, le nom de la province où il était né. Dès lors pourquoi avoir aussi retenu la variante A 2 ? La réponse est liée à l'utilisation des capacités de construction.
La mise en eau du Richelieu, prévue pour janvier 1939, rendait le bassin du Salou de l'Arsenal de Brest disponible pour la construction d'un nouveau cuirassé neuf mois après le choix de l'Amirauté. La « Forme Caquot » à Saint-Nazaire, ne devait être disponible qu'à la mise en eau du Jean Bart, prévue en octobre 1940. La cale n°1 à Penhoët, où avait été construit le Strasbourg, devait accueillir en novembre 1938, la construction du porte-avions Joffre, jusqu'en 1941. Or la nouveauté de la formule du cuirassé Gascogne ne permettait de disposer de plans définitifs en neuf mois : beaucoup de choses étaient à revoir, ainsi la tour avant se situait en arrière du maître-bau sur le Richelieu, et à peu près à hauteur du maître-bau, sur la Gascogne[114], et la position de l'artillerie AA de 100 mm et des installations d'aviation fit d'ailleurs l'objet de longues discussions, qui aboutirent à repositionner ces dernières à la poupe, mais en installant le hangar sous le premier pont[114]. Il fallait donc choisir, pour la première unité à construire, un bâtiment plus proche du Richelieu: c'était le cas de la variante A 2. On pouvait espérer en revanche avoir achevé les plans définitifs de la variante B 3ter pour la date de la mise en eau du Jean Bart[113].
Finalement, après un premier projet de décembre 1938 avec deux catapultes latérales au centre du navire et un hangar entre la tour avant et la cheminée, on en revint à l'installation de l'aviation à l'arrière, car le choix du centre du bâtiment pour les installations d'aviation aurait conduit à rapprocher exagérément l'artillerie contre-avions des artilleries principale et secondaire. On choisit donc d'installer les 100 mm CAD Mle 1937 en deux groupes de deux, sur les côtés de la superstructure. Un second groupe de télépointeurs avec des télémètres OPL de 5 mètres aurait été installé sur la tour arrière, à la place du télépointeur auxiliaire de l'artillerie de 152 mm. Les 37 mm ACAD Mle 1935 auraient été installés comme sur le Clemenceau, un groupe de quatre tourelles, et leurs deux télépointeurs dédiés, à hauteur de la tour arrière, et un groupe de deux tourelles, à hauteur de la tourelle avant de l'artillerie principale, mais le télépointeur dédié se serait trouvé, un pont plus haut, au centre du bâtiment. Quant aux deux affûts de 37 mm CAQ « zénithaux », ils n'auraient pas pu être installés à l'arrière, où ils auraient excessivement souffert du souffle de la tourelle arrière de 380 mm, ils auraient donc été repositionnés au centre du bâtiment[119].
Les installations d'aviation auraient comporté une seule catapulte axiale, une grue, et sous le premier pont, un hangar d'aviation, accessible par un ascenseur, pour deux hydravions, d'un type nouveau, qui y auraient été installés en ligne, ailes repliées. Un troisième appareil aurait pu être garé sur le pont arrière, à babord. Le type d'appareil retenu, le Farman/SNCAC NC 420, hydravion à coque bimoteur, ne dépassa le stade du prototype, qui n'a jamais volé[120].
Les premiers marchés de matériels pour la construction de la Gascogne sont passés dès juin 1939. En juin 1940, cela représente 6 % du matériel, et les marchés avec les Ateliers et Chantiers de la Loire et les Chantiers de Penhoët pour la construction de la coque sont en cours de visa. L'occupation allemande ne permettra pas d'aller plus loin[121].
Notes et références
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 14-16
- Lenton, American battleships, carriers and cruisers 1968, p. 26–29
- Watts 1971, p. 18–21
- Lenton, British battleships and aircraft carriers 1972, p. 43–45
- Breyer 1973, p. 71-72
- Breyer 1973, p. 421
- Breyer 1973, p. 423-425
- Jordan & Dumas 2009, p. 17
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 13-15
- Jordan & Dumas 2009, p. 17-19
- Jordan & Dumas 2009, p. 20-22
- Le Masson 1969, p. 95
- Le Masson 1969, p. 94
- Jordan & Dumas 2009, p. 26-27
- Macyntire 1983, p. 191
- Breyer 1973, p. 286
- Lenton, German vessels 1966, p. 8
- Breyer 1973, p. 287
- Jordan & Dumas 2009, p. 28-29
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 15
- Giorgerini & Nanni 1973, p. 31
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