- Strasbourg (navire de ligne)
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Strasbourg
L'avant du Strasbourg avec ses 2 tourelles quadruples de 330mm et la tour qui supporte les projecteurs et les télémètres d'artillerie. Cette superstucture remplace le mat tripode des cuirassés précédents de la classe Bretagne.Histoire A servi dans Marine nationale française Quille posée 25 novembre 1934 Lancement 12 décembre 1936 Armé 24 avril 1939 Statut Sabordé le 27 novembre 1942, renfloué en 1945, démoli en mai 1955 Caractéristiques techniques Type navire de ligne Longueur 214 mètres Maître-bau 31 m Tirant d'eau 8,65 m Déplacement 27 300 tonnes (standard)[1]
31 570 tonnes (normal)Propulsion 6 chaudières Indret, 4 turbines Parsons, 4 hélices Puissance 130 000 ch Vitesse 29,5 nœuds Caractéristiques militaires Blindage ceinture :283 mm, pont :115 mm à 125 mm, tourelles : 360 mm Armement 2 tourelles quadruples de 330 mm
3 tourelles quadruples de 130 mm
2 tourelles doubles de 130 mm
4 affûts doubles de 37 mm AA
8 affûts quadruples de mitrailleuses AA Hotchkiss de 13,2 mmAéronefs 1 catapulte, 1 grue, 4 hydravions Rayon d'action 7 500 nautiques Autres caractéristiques Équipage Paix : 1 500 hommes
Guerre : 2 000 hommesChantier naval Ateliers et Chantiers de la Loire à Penhoët modifier Comme son aîné, le Dunkerque, sur le modèle duquel il fut construit, le Strasbourg était un navire de ligne dont le déplacement de 27 300 tonnes et le calibre de l'artillerie principale de 330 mm étaient nettement inférieurs aux limites fixées par le traité de Washington de 1922 à 35 000 tonnes et 406 mm. Sa vitesse maximale d'environ 29,5 nœuds, était en revanche très supérieure à celle de la plupart des cuirassés à flot de son époque. Commandé en 1934, lancé en 1936, entré en service en 1939, il avait été conçu pour surclasser les « cuirassés de poche » allemands de la classe Deutschland, au moment où les négociations préparatoires au second traité naval de Londres semblaient devoir conduire à une limitation du déplacement des cuirassés et de leur artillerie principale nettement plus draconiennes que celles fixées par le traité de Washington de 1922. Avec la reprise de la course aux armements navals, en 1936-1937, ce fut le dernier navire de ligne de la Marine nationale française de moins de 35 000 tonnes. Il fut suivi des cuirassés Richelieu (1940) et Jean Bart (mis à flot en mars 1940, mais entré en service en 1955 seulement).
À l'automne 1939, il n'eut pas l'occasion d'intercepter les « cuirassés de poche » allemands, alors qu'il avait été conçu pour les affronter. À Mers el-Kebir, le 3 juillet 1940, il échappa à des cuirassés britanniques auxquels on n'avait jamais pensé qu'il devrait se confronter. Lorsque les Allemands, après l'occupation de la zone libre, qui suivit les débarquements alliés en Afrique du Nord, tentèrent de saisir les navires français restés sous le contrôle des autorités de Vichy, il fut sabordé à Toulon, le 27 novembre 1942. Il finit bombardé, et son épave coulée par des bombardements alliés, en août 1944.
Sommaire
Arrière-plan
Le traité de Washington, signé en 1922, sur la limitation des armements navals, imposait aux cinq principales puissances navales (États-Unis, Grande-Bretagne, Japon, France et Italie) un tonnage maximum pour leurs flottes de bâtiments de ligne (cuirassés et croiseurs de bataille) ainsi que pour leurs croiseurs et leurs porte-avions. La France y était mise, en ce qui concerne les cuirassés, au même rang que l’Italie, avec un tonnage global de 175 000 tonnes, alors qu’avait été demandé un tonnage de 250 000 tonnes[2] tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni se voyaient assignés un tonnage de 525 000 tonnes et le Japon 315 000 tonnes[3],[4].
Ceci signifiait, pour la France, que la construction de quatre cuirassés de la classe Normandie, dont les coques avaient été construites et lancées en 1914-1916, ne pourrait être terminée : les coques furent ferraillées, les canons de 340 mm réutilisés sur les cuirassés de la classe Bretagne, et la cinquième unité de la classe Normandie , le Béarn, lancée en 1920, sera transformée en porte-avions.
De plus, étaient définies des limites,
- pour les cuirassés, 35 000 TW pour le déplacement et 406 mm pour l'artillerie principale,
- pour les croiseurs, 10 000 TW pour le déplacement et 203 mm pour l'artillerie principale.
Dans cette limite de tonnage, dite « tonnage standard », ou « tonnage Washington », n’entraient pas en ligne de compte le carburant et l’eau des chaudières, clause inscrite à la demande du Royaume-Uni, au motif que les puissances ayant des responsabilités mondiales, c’est-à-dire coloniales, ne devaient pas voir le déplacement de leurs navires être obéré de façon exagérée par les contraintes liées à leur rayon d’action. Ceci, au demeurant, arrangeait aussi les États-Unis et le Japon dont les flottes étaient appelées à opérer dans les vastes espaces du Pacifique.
Pour les cuirassés, en plus du tonnage global assigné à chaque nation signataire, le traité de Washington fixait une limite globale de tonnage pour les constructions nouvelles. La France était ainsi limitée, toujours comme l’Italie, à 70 000 tonnes de constructions neuves, à partir de 1927, en remplacement des cuirassés les plus anciens des classes Courbet pour la Marine nationale ou Andrea Doria pour la Regia Marina[5].
Les autorités françaises, mécontentes de ce que la France soit placée au même rang que l'Italie, ce qui la reléguait au rang de puissance méditerranéenne, et ne tenait pas assez compte, selon elles, de son empire colonial, n'ont cependant pas réellement préparé un programme naval intégrant la constitution d'une flotte de navires de ligne modernes.
C'est ainsi qu'entre 1922 et 1924, sur des plans antérieurs aux contraintes du traité de Washington, furent mis en construction les trois unités de la classe Duguay-Trouin, croiseurs légers dits « de 8 000 tonnes », armés de quatre tourelles doubles de 155 mm, très peu blindés et dont l'excellente vitesse de 34 nœuds[6], constituait la seule protection.
Dans la suite des années 1920, la Marine nationale mit l’accent sur les sous-marins. Il y eut ainsi trente et un sous-marins océaniques, dits de 1 500 tonnes, qui furent construits en une grande série, la classe Redoutable, vingt six sous-marins de défense côtière, dits de 600 tonnes, construits en six classes successives, six sous-marins mouilleurs de mines, la classe Saphir, et le croiseur sous-marin Surcouf, armé de deux canons de 203 mm, et équipé d’un hydravion d’observation.
L’accent fut mis également, de 1924 à 1932, sur les contre-torpilleurs, les classes Chacal, Guépard, et Aigle plus puissants que leurs similaires étrangers, notamment italiens[6]. Pour les croiseurs enfin, sept furent construits, en utilisant les possibilités laissées par le Traité de Washington, déplacement de 10 000 tonnes, armés de quatre tourelles doubles de 203 mm, peu blindés et très rapides, pour les premiers construits, mieux protégés, et un peu moins rapides pour les suivants[7], sans compter deux croiseurs spécialisés (un croiseur-école et un mouilleur de mines).
L’objectif des autorités françaises était de faire face à la menace italienne en Méditerranée, et subsidiairement allemande en Atlantique. Or les croiseurs de 10 000 tonnes faisaient jeu égal avec leurs contemporains italiens et surclassaient les croiseurs légers récents allemands de la classe Karlsruhe[8].
Pour les cuirassés, on se contenta de moderniser les unités existantes dont les plus récentes avaient été mises en service pendant la guerre de 1914-1918, en se rassurant de ce que les Italiens faisaient de même[9]. Dans ce domaine, la préoccupation de l'Amirauté, sous l’autorité des vice-amiraux Salaün et Violette, comme chefs d’état-major général de la Marine, n'était pas de rivaliser avec les mastodontes anglais, américains et japonais, armés de huit ou neuf pièces de 406 mm, mais d'examiner si l'on pouvait construire quatre navires de 17 500 tonnes[10], sinon trois de 23 333 tonnes, de façon à utiliser les 70 000 tonnes de constructions neuves autorisées, en essayant de gagner du poids en utilisant des tourelles quadruples, comme on y avait pensé avec la classe Normandie. Mais, même en se limitant à un calibre de 305 mm, avec une vitesse de 34 à 35 nœuds, jugée nécessaire pour rattraper un croiseur, on ne parvenait pas à avoir un blindage convenable[11].
Autour de 1930, les choses vont évoluer. L’Allemagne se trouvait en effet soumise, non pas aux stipulations du traité de Washington, mais à celles du traité de Versailles, qui limitaient le tonnage de ses cuirassés à 10 000 tonnes et celui de ses croiseurs à 6 000 tonnes[12]. Elle n’avait jusqu’à ce moment construit que des croiseurs de 6 000 tonnes environ, armés de trois tourelles triples de 150 mm, filant 30 à 32 nœuds. Or, en 1929, la Reichsmarine mit sur cale, en grande pompe, en présence du Président Hindenburg, un navire au nom symbolique, Deutschland, armé de deux tourelles triples de 280 mm, doté de moteurs diesel lui permettant de marcher à 26 nœuds. En utilisant des techniques de construction nouvelles (la soudure au lieu du rivetage notamment), il affichait 10 000 tonnes de déplacement[13]. Défini comme Panzershiffe, c'est-à-dire « navire blindé », c’était en fait un croiseur-cuirassé[14], plus puissant que tous les croiseurs respectant le Traité de Washington, et plus rapide que tous les cuirassés construits depuis 1920, il n’était surpassé en vitesse et en armement que par le cuirassé rapide HMS Hood, les deux croiseurs de bataille de la classe Renown, et pour mémoire, les croiseurs de bataille japonais de la classe Kongō qu’il avait peu de chances d’avoir à affronter. Il fut qualifié par la presse de « cuirassé de poche », et apparut comme un corsaire de surface potentiel tout à fait redoutable[15].
Il apparut assez vite à l’Amirauté française, où venait d’accéder au poste de Chef d’état-major général, le vice-amiral Durand-Viel, qui avait été, quinze ans plus tôt l’auteur d’un projet de croiseur de bataille français, que pour surclasser un tel « cuirassé de poche », il fallait un navire filant 29 à 30 nœuds, doté d’un blindage permettant de résister aux obus de 280 mm aux distances de combat habituelles, armé d’un artillerie supérieure à neuf canons de 280 mm, ce qu’on pouvait obtenir avec deux tourelles quadruples de 330 mm, et au total nécessitant un déplacement d’au moins 26 000 tonnes[16].
Ce choix n’alla pas sans difficultés, car on aurait pu aller jusqu’à concevoir un cuirassé de 35 000 tonnes, ce que le Traité de Washington permettait, mais des discussions étaient alors en cours pour le renouvellement de ce traité : le 1er mars 1931, une « base d’accord » avait été signée, pour permettre la construction de deux cuirassés de 23 333 tonnes, avant le 31 décembre 1936, mais la finalisation de l’arrangement définitif n'a pu avoir lieu avec l’Italie[17] dont le projet de l'époque d'un cuirassé de 23 000 tonnes, armé de six canons de 381 mm, en trois tourelles doubles, et marchant à 29 nœuds[18] ne satisfaisait pas pleinement la Regia Marina[19]. Néanmoins, la question de l’abaissement de la limite du tonnage des cuirassés était à l’ordre du jour, et il n’y avait à l’époque aucun cuirassé rapide ayant ce déplacement. Par ailleurs, la construction navale française était handicapée par la taille de ses formes de construction, celle du bassin du Salou à l’Arsenal de Brest n’avait que 200 mètres, alors que la longueur prévisible du cuirassé de 26 000 tonnes était déjà de 215 mètres. La construction, en cours, du grand transatlantique SS Normandie avait nécessité la construction d’une cale nouvelle par les Ateliers et Chantiers de l’Atlantique de Penhoët. Enfin, les parlementaires comprenaient mal qu’il fallût avoir un tonnage plus que double pour surclasser les « cuirassés de poche » allemands de 10 000 tonnes[10]. Le ministre François Piétri fera cependant voter, en mars 1932, les crédits pour la construction d’une première unité[16].
Lorsque commence la construction du Dunkerque, deux autres unités de la classe Deutschland ont déjà été mises en construction, l'Admiral Scheer, en juin 1931, et l'Admiral Graf Spee, en octobre 1932[20]. Aussi l’Amirauté souhaite qu’une seconde unité de la classe Dunkerque soit inscrite à la « tranche 1934 du statut naval ». Mais la Kriegsmarine passe commande en février 1934 de deux bâtiments plus puissants. Inspirés du projet de croiseurs de bataille de la classe Ersatz Yorck de 1915, ils sont plus lourds et mieux protégés que le Dunkerque. Reste en débat le calibre de l’artillerie principale. Un calibre supérieur à 280 mm est souhaité par la Kriegsmarine, avec l'assentiment d'Adolf Hitler, pour faire pièce aux canons de 330 mm du Dunkerque. Mais l’Allemagne était en train de négocier dans la plus grande discrétion, un Accord naval germano-britannique, et le Royaume Uni souhaite une limitation du calibre de l’artillerie principale des navires de ligne. Aussi le choix fut fait, à regret, de doter le Scharnhorst et le Gneisenau d’une version améliorée du canon de 280 mm[21]. Comme, du côté français, on estimait que les navires de la classe Dunkerque pouvaient résister à ce calibre, il n’y avait pas encore lieu de prévoir un cuirassé plus puissant.
Mais c’est alors du côté italien que les choses vont bouger. Le 26 mai 1934, le Duce Benito Mussolini, affectant de considérer que la construction d’un cuirassé rapide par la France rompait l’équilibre des forces navales en Méditerranée, annonça au Parlement italien la construction de deux cuirassés de 35 000 tonnes. Ils seront les premiers de cette taille mis en chantier depuis le traité de Washington. Le temps était donc arrivé où la construction de cuirassés similaires devait être entreprise par la France. Mais le temps pressait, la définition d'un nouveau type de navire allait prendre du temps, le choix de nouveaux matériels, la passation de marchés différents, également, alors que les crédits pour la construction d'une seconde unité du type Dunkerque étaient inscrits à la « tranche 1934 du Statut naval ». Le Conseil supérieur de la Marine, le 25 juin 1934, recommanda à l'unanimité de ne pas modifier la tranche 1934, et de lancer la construction d'une seconde unité du type Dunkerque, en en améliorant la protection. Le 16 juillet 1934, la mise en chantier du Strasbourg est signée. Ce sera le dernier navire de ligne français d'un déplacement inférieur à 35 000 tonnes[22].
Caractéristiques
Le Stasbourg était très similaire au Dunkerque. Leur silhouette ne différait que par les deux passerelles (passerelle de navigation et passerelle « amiral ») situées à la base de la tour du Strasbourg alors que le Dunkerque n'en avait qu'une seule. Un télépointeur était installé sur le toit du blockhaus du Dunkerque mais il était placé plus haut sur la tour du Strasbourg ou la disposition des projecteurs était différente. Le Strasbourg était aussi plus lourd que le Dunkerque de 800 tonnes, en raison principalement de son blindage amélioré. Les lignes d'eau étaient les mêmes, avec une longueur de 215 m, et un maître-bau de 31 m. Le tirant d'eau de 8,65 m, pour le déplacement « normal » de 31 570 tonnes, était supérieur de 15 cm à celui du Dunkerque.
Sa caractéristique principale était donc une artillerie principale de deux tourelles quadruples à l'avant, une disposition qui restera spécifique aux quatre derniers navires de ligne mis en service par la Marine Nationale.
Avant le début de la Première Guerre mondiale, alors que les super-dreadnoughts de la classe Bretagne étaient en construction, avec cinq tourelles doubles de 340 mm, M. Doyère, chef du service des constructions navales depuis 1911, avait conçu pour la classe Normandie du programme de 1912, d'avoir recours à des tourelles quadruples de 340 mm. Cette solution était une première mondiale, la norme des constructeurs britanniques étant la tourelle double, reprise en Allemagne, en France et au Japon, la tourelle triple étant une innovation italienne sur le cuirassé Dante Alighieri, copiée par la Russie et l'Autriche-Hongrie, que les États-Unis adopteront avec la classe Nevada.
Dès lors que la taille des cuirassés français se trouvait à l'époque limitée par la taille des cales de construction disponibles, le recours à trois tourelles quadruples (une à l'avant, et deux à l'arrière), permettait d'avoir deux pièces de plus que sur la classe Bretagne, pour un poids inférieur, ce qui permettait d'améliorer le blindage, avec une épaisseur de 340 mm sur l'avant des trois tourelles, alors que les tourelles superposées avant et arrière de la classe Bretagne n'avaient qu'une épaisseur de 250 mm[23]. Mis sur cale dès 1913, lancés en 1914, ces cuirassés ne seront jamais achevés, sauf le Béarn transformé en porte-avions dans les années 1920.
Une disposition de l'artillerie principale avec trois tourelles triples, toutes à l'avant, avait été adoptée par la Royal Navy pour les cuirassés de la classe Nelson, construits en respectant les limites posées par le traité de Washington de 1922. Mais la troisième tourelle, placée devant la tour de la superstructure, avait un champ de tir sur l'avant réduit par les deux autres tourelles. La solution de deux tourelles quadruples permettait d'avoir un champ de tir totalement dégagé sur l'avant, tout en présentant une cible particulièrement réduite en largeur, au cours de la phase où l'on se rapproche de l'adversaire. Au moment où le Dunkerque est mis en chantier, il est plus puissant que tous les navires, italiens ou allemands, plus rapides que lui. L'option d'une artillerie principale disposée entièrement en chasse, se justifie, et on peut faire l'impasse sur l'absence d'artillerie tirant en retraite, dès lors qu'il n'y a, dans les eaux européennes, que des navires anglais, donc alliés, qui soient plus puissants que lui et devant lesquels il serait nécessaire de se retirer. Cette disposition d'artillerie sera retenue également pour les deux premiers cuirassés de 35 000 tonnes, mais très vite des doutes apparaîtront sur son bien-fondé, puisque dès décembre 1937, alors que le Dunkerque est encore en essais, on envisage une disposition différente[24] qui sera retenue pour le cuirassé Gascogne, en 1938. Dès le début de la guerre, la bataille du Rio de la Plata (13 décembre 1939) montrera que l’Admiral Graf Spee dont l'artillerie était la plus puissante aurait du garder ses adversaires à distance, et donc que le navire le plus puissamment armé doit pouvoir combattre en retraite.
La solution de l'artillerie principale tout à l'avant permettait d'adopter une protection du type « tout ou rien », avec une citadelle blindée d'une longueur particulièrement réduite, d'où un gain de poids appréciable qui permettait d'augmenter l'épaisseur du blindage de la partie à protéger, au delà de ce que l'on a déjà vu avec la classe Normandie du programme français de 1912. Le recours à deux tourelles quadruples comportait cependant des inconvénients. Le premier était un risque de voir mettre hors de combat, d'un seul coup, la moitié de l'artillerie principale. C'est pourquoi une cloison blindée de 25 à 45 mm d'épaisseur sépare en deux chaque tourelle pour permettre de localiser les effets d'un coup reçu[25]. On en verra l'efficacité avec le premier obus de 381 mm qui frappa le Dunkerque à Mers-el-Kébir. On pouvait craindre, pire encore, qu'un seul obus ennemi détruise les deux tourelles, soit la totalité de l'artillerie principale. Pour pallier ce risque, les deux tourelles sur le Dunkerque étaient situées à 27 m l'une de l'autre[26].
La barbette d'une tourelle est d'une dimension d'autant plus grande que le nombre des canons et leur calibre sont plus grands. Les cuirassés de la classe Nelson portaient des tourelles triples de 406 mm sur une coque ayant un maître-bau de 32 m. Avec un maître-bau de 31 m, on envisagea, sur le Dunkerque, des tourelles quadruples de 340 mm[27], comme on l'avait prévu sur les cuirassés de la classe Normandie dont la largeur maximale était de 27 m[28], avant de se résoudre à le doter de canons de calibre de 330 mm, canon nouveau qu'il fallait développer. Par ailleurs, pour réduire la taille de la barbette, les canons au lieu d'être montés sur un affût individuel, étaient montés sur un affût commun par paire, dans chaque demi-tourelle[26]. On remarquera que ce ne sera pas le cas pour les tourelles quadruples de 356 mm des cuirassés de la classe King George V dont le maître-bau sera, il est vrai, de 34,3 m. Mais, sur les navires français, les canons des demi-tourelles se trouvent alors si proches l'un de l'autre qu'en cas de tir par salves, se produit entre les obus un effet de sillage qui entraîne une dispersion excessive. La solution de ce problème ne sera trouvée, sur le Richelieu qui souffre du même défaut, qu'en 1948[29].
L'artillerie secondaire principalement installée à l'arrière était aussi reprise de la classe Nelson. Mais là encore, la classe Dunkerque innovait, avec une artillerie, que l'on voulait à la fois anti-navire et anti-aérienne à longue portée. Le calibre de 130 mm avait été retenu, avec trois tourelles quadruples blindées, de mêmes caractéristiques que l'artillerie principale (en demi-tourelles dont les canons partageaient le même affût) et disposées à l'arrière (une axiale au-dessus du hangar d'aviation, et deux latérales), et avec deux tourelles doubles latérales, peu blindées, au milieu du bâtiment. L'artillerie anti-aérienne à courte portée était constituée de canons de 37 mm en affûts doubles et de mitrailleuses Hotchkiss de 13,2 mm quadritubes[30].
La conception du Dunkerque s'inspirait encore des cuirassés britanniques de classe Nelson par une superstructure comportant une tour massive sur l'avant de l'unique cheminée, avec pour la première fois un ascenseur intérieur, surmonté de trois télépointeurs, montés sur le même axe, ce qui représentait un poids important (85 tonnes) dans les hauts[31]. Derrière la cheminée, une seconde tour était constituée de deux postes de télépointage montés sur le même axe, comme pour la tour avant.
Des installations d'aviation (un hangar, une catapulte et une grue) pouvant accueillir trois hydravions, initialement des Gourdou-Leseurre GL-832 HY, puis des Loire 130, deux avec les ailes repliées dans le hangar, un sur la catapulte, sont situées à l'extrême arrière[32].
La protection, sur le Dunkerque absorbait un pourcentage de 35,9 % du déplacement, c'était le plus fort pourcentage de l'époque dans la marine française . La ceinture cuirassée s'étendait sur 126 m, soit environ 60 % de la longueur de la coque, laissant une longue plage avant non protégée. Elle avait une épaisseur de 225 mm. La traverse avant avait une épaisseur de 210 mm ; la traverse arrière de 180 mm ; le pont blindé supérieur : 115/125 mm ; le pont blindé inférieur : 40 mm ; le blockhaus : 270 mm à l'avant, 220 mm à l'arrière, 210 mm sur le toit; les tourelles principales : la barbette 310 mm, la face inclinée à 30° : 330 mm, à l'arrière : 345 mm à la tourelle 1, 335 mm à la tourelle 2, le plafond 150 mm ; les tourelles quadruples de 130 mm : la barbette 120 mm, la face 135 mm, l'arrière 80 mm, le plafond 90 mm ; les tourelles doubles de 130 mm : 20 mm[33].
Le Conseil supérieur de la Marine avait souhaité que la protection de la seconde unité de la série soit renforcée : elle le fut. L'épaisseur de la ceinture cuirassée du Strasbourg fut portée à 283 mm, la traverse avant à 260 mm, la traverse arrière à 210 mm, pour les tourelles de330 mm, le blindage des barbettes est porté à 340 mm, celui des faces avant à 360 mm, celui de l'arrière des tourelles à 352 mm, pour la tourelle 1 et à 342 mm, pour la tourelle 2 et celui du plafond à 160 mm. Ceci augmente le poids de la protection de 749 tonnes, et le pourcentage du déplacement consacré à la protection atteint 37,2 %[33].
La propulsion était assurée par six chaudières de l'Établissement des constructions navales d'Indret alimentant quatre turbines à engrenages Parsons entraînant quatre hélices quadripales d'un diamètre de 4,045 m. La puissance normale développée est de 112 500 ch, pour une vitesse de 29,5 nœuds. En juillet 1938, la vitesse de 31 nœuds est dépassée aux essais de « 9e heure », tous feux poussés, avec une puissance de l'ordre de 135 000 ch. La distance franchissable varie de 7 850 nautiques à 15 nœuds, à 2 450 nautiques à 28 nœuds[34].
Les essais à la mer ont montré que la fumée de la cheminée était gênante pour les installations de télépointage de la tour. Le court capot de cheminée « en sifflet » du Dunkerque et du Strasbourg a donc été remplacés en 1938 par un capot de cheminée « en volute » plus important. L'expérience de la navigation pendant l'hiver 1939-1940 a aussi montré que de ces bâtiments étalaient mal de l'avant par gros temps dans l'Atlantique Nord. L'un des amiraux ayant eu sa marque à bord les traitera de « coques de bassin des carènes[24] ». Le même problème a été observé d'ailleurs sur les Scharnhorst et Gneisenau allemands, notamment au début de la campagne de Norvège au printemps 1940, et bien que ceux-ci eussent été dotés, en 1938/39, d'une étrave dite « atlantique[35] ».
La construction des navires de la classe Dunkerque se trouvait être relativement légère, aussi, ils sont parfois qualifiés de « croiseurs de bataille » et non de « cuirassés ». Ils souffraient en tout cas des effets du souffle et du recul, lors des tirs de leurs propres pièces de 330 mm. On a déjà évoqué la dispersion excessive de l'artillerie principale. L'artillerie secondaire de 130 mm s'est révélée trop faible contre les buts marins et trop lente (10 coups par minute) contre les buts aériens, notamment contre les avions rapides, comme les bombardiers en piqué. L'artillerie anti-aérienne de courte portée était quant à elle insuffisante en nombre de pièces, de surcroît les matériels automatiques de 37 mm ACAD Modèle 1935 prévus n'ont pas été disponibles à temps, l'industrie de l'armement ayant deux ans de retard sur les prévisions, et il a fallu y substituer des pièces semi-automatiques Modèle 1925, puis Modèle 1933[32].
Carrière
Le 25 novembre 1934[36], la construction du Strasbourg commence à la cale n°1 des Ateliers et Chantiers de la Loire à Penhoët, sur laquelle a été construit le paquebot Normandie. Il est lancé le 12 décembre 1936. Il rallie Brest pour armement et essais en juin 1938. Il est admis en service actif fin avril 1939, et constitue avec le Dunkerque la 1re Division de Ligne, qui ne sera dissoute qu'après Mers-el-Kebir[37]. En mai 1939, avec le Dunkerque et la 4e division de croiseurs, il a effectué une croisière en Écosse à Liverpool, Glasgow, Scapa Flow et Rosyth.
Dès le 3 septembre 1939, il est incorporé dans la Force de Raid, basée à Brest, composée de bâtiments rapides, avec le Dunkerque, la 4e division de croiseurs, et de grands contre-torpilleurs, sous les ordres du vice-amiral d'escadre Gensoul qui a sa marque sur le Dunkerque.
En coopération avec la Royal Navy, il fait partie de la Force Y, avec le porte-avions HMS Hermes, les croiseurs lourds français Dupleix et Algérie, basée à Dakar, pour essayer d'intercepter le cuirassé de poche allemand Admiral Graf Spee au large des îles du Cap-Vert, jusqu'à fin novembre 1939. Il laisse à Dakar 800 gargousses de poudre, qui seront utilisées en septembre 1940, pour pallier le très petit nombre de gargousses embarquées sur le Richelieu. On pensera un temps qu'elles ont été à l'origine des incidents de tir survenus alors, qui ont détruit plusieurs canons de 380 mm. Pour sa part, l’Admiral Graf Spee sera intercepté, le 13 décembre 1939, par des croiseurs anglais, au large du Rio de la Plata[38].
Réintégré dans la Force de Raid, le Strasbourg rallie la Méditerranée, fin avril 1940. C'est après l'armistice de juin 1940, alors qu'ils sont stationnés à Mers el-Kébir, en instance de démobilisation, que les navires de ligne français reçoivent un ultimatum britannique de rallier un port anglais ou de se saborder, sinon ils devront être coulés (Opération Catapult). C'est la Force H, commandée par l'amiral Somerville qui est chargée de l'exécution[39].
La situation, ce 3 juillet 1940 en fin d'après-midi, se caractérise par une double surprise, surprise stratégique, parce que jusqu'au dernier moment, les équipages français s'interrogent pour savoir si les cuirassés britanniques vont les canonner, hypothèse inconcevable pour la marine française, surprise tactique, parce qu'ils sont amarrés « cul à quai », face à des navires en mer, libre d'évoluer[40]. Habilement manœuvré par le capitaine de vaisseau Collinet, qui a soigneusement préparé le démaillage des chaînes pour filer ses ancres, le Strasbourg appareille dès que les premiers obus anglais s'abattent sur le jetée. Avec une escorte de cinq contre-torpilleurs, le sixième, le Mogador ayant son arrière pulvérisé par un obus de 381 mm, le Strasbourg échappe de peu aux obus et aux mines magnétiques mouillées par avion dans la passe, gagne le large et met cap au nord à 28 nœuds. Le HMS Hood entreprend de le poursuivre mais abandonne à la nuit tombée. Les avions torpilleurs Fairey Swordfish du porte-avions Ark Royal ne parviennent pas à gagner une position favorable pour l'attaquer. Le Strasbourg rallie Toulon le lendemain soir. Il déplore la mort de cinq chauffeurs asphyxiés par le reflux de la fumée provoqué par des clapets d'évacuation bloqués par des éclats dans la cheminée[41].
À Toulon, la 1re division de ligne ayant été dissoute, le 25 septembre, l'amiral de Laborde hisse sa marque de commandant des Forces de Haute Mer (FHM) sur le Strasbourg ; haute mer où il ne naviguera presque jamais, en raison des restrictions de mazout imposées par les commissions d'armistice germano-italiennes. En novembre 1940, les FHM couvrent le retour à Toulon du cuirassé Provence sérieusement endommagé à Mers el-Kébir. Le Strasbourg reçoit, début 1942, un équipement dit de « détection électro-magnétique », première version française du radar. Après les débarquements alliés en Afrique du Nord, au début novembre 1942, les Allemands ont occupé la zone libre, et le 27 novembre 1942, ils font irruption dans l'arsenal de Toulon, pour s'emparer des navires français sous le contrôle de Vichy. Le Strasbourg est alors sabordé, ainsi que près de 90 bâtiments. Il est ensuite renfloué par les Italiens mais après l'armistice entre l'Italie et les Alliés, les Allemands le restituent aux autorités de Vichy. Il est finalement coulé par l'aviation américaine le 18 août 1944, trois jours après le débarquement en Provence[42].
Il est de nouveau renfloué en 1945 et sa coque servit de cible au large de la presqu'île de Giens pour des essais sur les explosions sous-marines. Il est envoyé à la casse en mai 1955.
Sister-ships
Notes et références
- Dumas, Dunkerque, p. 21
- Masson 1983, p. 331
- MacIntyre 1971, p. 189
- Breyer 1973, p. 71
- Breyer 1973, p. 71-72
- Masson 1983, p. 326
- MacIntyre 1971, p. 190
- Masson 1983, p. 332
- Masson 1983, p. 328
- Masson 1983, p. 334
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 13-15
- Breyer 1973, p. 76-77
- MacIntyre 1971, p. 191
- Lenton, German vessels 1966, p. 8
- Breyer 1973, p. 286
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 14-16
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 15
- Breyer 1973, p. 381-383
- Jordan & Dumas 2008, p. 94
- Breyer 1973, p. 287
- Breyer 1973, p. 79
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 16-17
- Labayle Couhat 1974, p. 37-38
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 90
- Le Masson 1969, p. 69
- Breyer 1973, p. 433
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 16
- Labayle Couhat 1974, p. 37
- Dumas, Richelieu 2001, p. 73
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 23
- Breyer 1973, p. 435
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 24
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 22
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 23 et 40
- Breyer 1973, p. 295
- Dumas, Dunkerque 2007, p. 20
- Dumas, Dunkerque 2001, p. 67-68
- Dumas, Dunkerque 2007, p. 68
- Lepotier 1967, p. 9-13
- Lepotier 1967, p. 14-15
- Dumas,Dunkerque 2007, p. 73
- Dumas,Dunkerque 2007, p. 74
Bibliographie
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- Donald G.F.W. MacIntyre et Basil W. Bathe, Les navires de combat à travers les âges, Paris, Stock, 1971
- (en) H. T. Lenton, British battleships and aircraft carriers, Londres, Macdonald&Co Publishers Ltd, coll. « Navies of the Second World War », 1972 (ISBN 0356-03869-6)
- (en) Siegfried Breyer, Battleships and battle cruisers 1905-1970, Macdonald and Jane's, 1973 (ISBN 0356-04191-3)
- (it) Giorgio Giorgerini et Antonio Nani, Le Navi di Linea Italiane 1861-1969, Ufficio Storico della Marina Militare, 1973
- (en) Jean Labayle-Couhat, French Warships of World War I, Londres, Ian Allan Ltd, 1974 (ISBN 0-7110-0445-5)
- Robert Dumas, Les cuirassés « Dunkerque » et « Strasbourg », Nantes, Marine Éditions, 2001 (ISBN 2-9096-7575-0)
- Robert Dumas, Le cuirassé « Richelieu » 1935-1968, Nantes, Marine Éditions, 2001 (ISBN 2-9096-7575-0)
- (en) John Jordan et Robert Dumas, French battleships 1922-1956, Seaforth Punblishing (ISBN 978-1-84832-034-5)
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