- Normandie (paquebot)
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Normandie Autres noms T6 (construction)
Normandie (1935 - 1942)
Lafayette (1942 - 1946)Type Paquebot transatlantique Histoire Quille posée 26 janvier 1931 Lancement 29 octobre 1932 Mise en service 29 mai 1935 Statut Coulé dans le port de New York par les tonnes d'eau visant à neutraliser un incendie le 9 février 1942, démoli en 1946 Caractéristiques techniques Longueur 313,75 m Maître-bau 36,40 m Tirant d'eau 11,20 m Déplacement 70 171 t Port en lourd 14 420 t Tonnage 79 280 tjb (1935)
82 799 tjb (1936)
83 423 tjb (1937)Propulsion Quatre moteurs à propulsion turbo-électrique Puissance 160 000 ch Vitesse 32 nœuds Ponts 12 Autres caractéristiques Passagers 1 850 Équipage 1 345 Chantier naval Chantiers de Penhoët, Saint-Nazaire Armateur Compagnie générale transatlantique (1935 - 1941)
US Navy (1941 - 1946)Pavillon France (1935 - 1941) - États-Unis (1941 - 1946) Coût 863 millions de francs (refonte comprise)[1] modifier Le Normandie est un paquebot transatlantique de la Compagnie générale transatlantique, construit par les Chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.
Il fut le symbole de la France des années 1930 et du comble du luxe et du raffinement a la française. En effet, il est considéré comme un des meilleurs paquebots jamais construits.
Le projet de construction voit le jour à la fin des années 1920 dans la continuité des paquebots France, Paris et Île-de-France, en étroite collaboration avec l'État. Les travaux débutent en janvier 1931, la coque étant alors nommée T6, et visent à donner au pays un navire à la fois grand et rapide. Cependant, à cause de la Grande Dépression, la mise en service du paquebot est repoussée jusqu'en 1935.
Lorsqu'il entre finalement en service commercial, le Normandie est le plus grand paquebot au monde. Son voyage inaugural est entouré d'un grand prestige, et après des retouches en 1936, le paquebot entame une carrière sous le signe du luxe. Celle-ci est cependant interrompue par la Seconde Guerre mondiale et le navire est interné dans le port de New York. Fin 1941, il est réquisitionné par les États-Unis, est renommé USS Lafayette et doit être transformé en transport de troupes. Un incendie accidentel durant les travaux, en 1942, a cependant raison du navire, les tonnes d'eau utilisées par les pompiers de la ville le faisant en effet chavirer. Sa coque est démolie en 1946.
Bien que sa carrière ait été courte, le Normandie laisse une profonde empreinte dans les mentalités à travers le monde. C'est en effet le seul paquebot français à avoir remporté le Ruban bleu. Ses installations luxueuses ont également été réputées à l'époque, et font qu'il est souvent considéré comme le plus beau des paquebots jamais construits. Il apparaît dans plusieurs films, et ses éléments décoratifs, débarqués avant ses travaux de transformation, ont été répartis dans plusieurs musées et collections particulières à travers le monde. Il reste jusqu'à aujourd'hui l'un des plus luxeux paquebot de l'histoire.
Sommaire
Histoire
Conception et construction
Naissance du projet
En 1912, lorsque la Compagnie générale transatlantique (C.G.T.) lance le France, elle signe avec l'État une convention prévoyant la mise en service de trois autres navires d'ici 1932. C'est sans compter sur la Première Guerre mondiale qui retarde sérieusement ces plans. Le deuxième navire, le Paris, n'arrive en service qu'en 1921 et le troisième, l’Île-de-France en 1927. Le Normandie est donc conçu, bien qu'en retard, dans la continuité de ce programme[2]. La fin des années 1920 voit par ailleurs la marine britannique céder du terrain face à l'Allemagne qui se relève de la guerre avec le Bremen et le Europa qui remportent le Ruban bleu[3].
La C.G.T. termine l'année 1928 sur un bilan très positif, l’Île-de-France est un paquebot très populaire et les bénéfices sont au rendez-vous. Suivant l'exemple des compagnies britanniques White Star et Cunard Line qui projettent de construire deux grands navires[Note 1] pour renouveler leur flotte, le président de la Transat, John Dal Piaz, envisage la construction d'un nouveau navire à la fois grand et rapide[4]. Aux aspects économiques s'ajoute un motif symbolique : la construction de ce navire doit perpétuer l'image d'une France victorieuse et audacieuse dans un contexte de crise[5].
Le projet se concrétise rapidement : dès 1929, les chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, entament des travaux pour permettre de construire ce qui apparaît alors comme un « super Île-de-France »[6]. Dans le même temps, des études sont menées pour établir le profil du nouveau paquebot : il doit être rapide pour effectuer un maximum de traversées et donc être plus rentable. Il doit aussi pouvoir transporter plus de passagers que les autres navires de la compagnie, ce qui implique une taille imposante[7]. La coque est conçue par le Russe Vladimir Yourkevitch, au grand dam des ingénieurs français qui tentent de minimiser son rôle[8]. Des essais en bassin ont lieu en 1929 et 1930, et l'avis des chantiers allemands Blohm & Voss (constructeurs du Europa) est sollicité[9]. Le 29 octobre 1930, la C.G.T. passe commande du navire aux chantiers pour un prix de 700 millions de francs[10]. Cependant, la véritable lettre de commande n'est signée que le 6 avril 1932, bien après le début de la construction[11].
Une construction difficile
Les travaux débutent le 26 janvier 1931 dans les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire en présence d'invités de marque[12]. Le projet porte alors le nom de « T6 » donné par les constructeurs[10]. Dans le même temps, les chantiers se dotent d'une cale sèche, la forme Joubert, de taille suffisante pour accueillir la coque lorsqu'elle sera terminée[13]. La Compagnie générale transatlantique connaît cependant avec la crise de 1929 de graves difficultés financières. À partir de 1930, elle doit faire appel à l'État par le biais d'emprunts, puis se retrouve finalement sous sa tutelle à partir du 22 juin 1931[14]. Ainsi, la construction du paquebot peut se poursuivre. À plusieurs reprises, il est question de l'interrompre : la White Star Line et la Cunard ont déjà fait de même avec leurs Oceanic et Queen Mary. Cependant, l'administrateur directeur général de la Transat, Henri Cangardel, s'échine à mettre en valeur les avantages que le navire pourrait apporter à la France, et parvient à maintenir le projet sur les rails[15].
En avril 1932, la commande est confirmée, affirmant la volonté des constructeurs de voir leur navire achevé[16]. C'est à cette période que la Transat s'interroge finalement sur le nom à donner à son bateau amiral. L'appellation Président Paul-Doumer est proposée par le ministre de la Marine Marchande en hommage à Paul Doumer, Président de la République assassiné la même année. Cependant, Henri Cangardel et d'autres responsables de la compagnie s'opposent à ce nom, qui, prononcé à l'anglaise, se rapproche de doomed (« maudit »)[17]. Le 18 octobre, le nom de Normandie est finalement choisi par le conseil d'administration sur proposition de Cangardel. Il avait déjà fait ses preuves sur un navire de la fin du siècle précédent, et rappelle la tradition qu'a la compagnie de donner à ses navires le nom de provinces françaises[Note 2],[18].
À la même époque, la coque du paquebot est achevée. Le navire est prêt à être lancé le 29 octobre 1932, devant une foule de plus de 200 000 personnes[19]. Le président Albert Lebrun prononce un discours à la gloire de la construction navale française[20], puis son épouse Marguerite, marraine du navire, brise la traditionnelle bouteille de champagne sur son étrave [21]. Le Normandie est ensuite lancé sans problème[22].
La construction est cependant loin d'être terminée. Le paquebot maintenant à flot doit recevoir ses équipements et aménagements, et est remorqué dans un bassin prévu à cet effet où il séjourne près de quarante mois[23]. Le voyage inaugural du paquebot est en effet prévu pour 1934, mais un événement imprévu repousse l'échéance. L'Atlantique, fleuron de la Compagnie Sud Atlantique a été victime d'un grave incendie à la mer et a coulé le 3 janvier 1933[24]. Les officiels de la compagnie décident de faire en sorte que leur nouveau navire soit bien protégé contre le feu, et celui-ci est donc équipé de nouveaux dispositifs à cet effet. Ceci fait que la traversée inaugurale est repoussée à 1935[25]. Les machines sont installées durant l'été 1933, et les cheminées et mâts sont placés l'été suivant[26]. En septembre 1934, la Transat annonce que le voyage inaugural aura lieu fin mai 1935 : elle permet ainsi à son navire de bénéficier de quelques mois de tranquillité avant l'arrivée du Queen Mary, dont la construction a repris au pas de course[27].
Essais à la mer
Avec l'achèvement du navire vient le moment de lui affecter un équipage. Pour commander son tout nouveau navire, la compagnie choisit une solution originale. Elle désigne en effet son capitaine au long cours le plus expérimenté, René Pugnet, mais comme celui-ci doit partir à la retraite l'année suivante, un commandant adjoint, Pierre Thoreux se forme à ses côtés, avant de lui succéder à la passerelle du Normandie[28]. Les travaux se finissent à un rythme soutenu pour que le navire puisse effectuer ses essais début mai. Les chantiers de Penhoët doivent faire face à une grève[Note 3], mais réussissent à tenir les délais[29].
Comme de coutume au sein des chantiers de Penhoët, deux périodes d'essais à la mer sont prévues pour évaluer les performances du navire. Cependant, les retards dans la construction s'accumulent, et il est impossible de repousser le voyage inaugural. Les chantiers prennent donc la décision de réunir en une seule les deux périodes. Par ailleurs, le paquebot partira ensuite directement pour Le Havre sans repasser à Saint-Nazaire comme c'était prévu. Enfin, une décision choque : des journalistes seront présents à bord durant les essais, au grand dam de son état-major[30].
Le 5 mai 1935, le Normandie appareille pour effectuer ses premiers essais sur la base de vitesse des Glénan. Ceux-ci se déroulent jusqu'au 11. En plus des journalistes et de l'équipage, sont présents à bord des ouvriers chargés de terminer certaines installations en vue de la traversée inaugurale[31]. Les essais se montrent fort concluants. La vitesse de 32 nœuds est dépassée. Elle fait du Normandie le premier prétendant français crédible au très convoité Ruban bleu. En avant toute à 30 nœuds, le Normandie casse son erre en seulement 1 700 mètres, soit moins de six longueurs de coque[32]. Un seul problème vient noircir le tableau : à grande vitesse, les hélices créent des vibrations très fortes sur le tiers arrière du Normandie. Certaines installations de troisième classe, de classe touriste et même de première sont de fait rendues inconfortables dans ces conditions[33].
Un événement satisfait particulièrement les dirigeants de la compagnie : lors du passage du raz de Sein, le commandant met la barre toute d'un bord : le paquebot gite fortement, mais se redresse rapidement sans plus de dégâts qu'un peu de vaisselle brisée, témoignant de sa grande stabilité[34]. Le Normandie s'amarre au quai au port du Havre le 11 mai au soir. Le commandant Pugnet se permet même l'audace de manœuvrer sans remorqueurs[35]. Le port a par ailleurs fait l'objet de travaux depuis 1931, pour pouvoir accueillir le nouveau fleuron de la Transat[36].
Une courte mais emblématique carrière commerciale
Une traversée inaugurale couronnée de succès
Quelques jours après son arrivée au Havre, le Normandie est victime d'une grève des équipages des paquebots de la Compagnie générale transatlantique, fortement condamnée par le gouvernement qui parvient finalement à négocier un retour au travail[37]. Le 23 mai est organisé à bord du paquebot un dîner d'apparat d'un millier de convives avec en invité d'honneur le Président Lebrun[38]. Après les festivités qui se poursuivent dans les salons de première classe, les invités de marque sont hébergés dans certaines des cabines — parfois inachevées — du navire, les autres dormant à bord du Paris. Albert Lebrun modifie pour sa part son programme et demande à dormir dans un des appartements de luxe du Normandie plutôt qu'à l'hôtel où il devait rejoindre son épouse[39]. Les festivités n'en sont pas pour autant terminées : dans les jours qui suivent, les journalistes continuent à visiter le navire, et une soirée de charité est organisée. Le 27 mai, le cardinal Verdier et monseigneur de La Villerabel consacrent la chapelle du navire[40].
Le mercredi 29 mai 1935, jour du départ, c'est la panique : une panne électrique frappe le navire, faisant craindre au directeur général de la compagnie, Henri Cangardel, une opération de sabotage. Il n'en est rien, cependant : le problème, dû à une entrée d'eau, est rapidement résolu[41]. Vers 18 h 30, le Normandie appareille devant une foule immense. À bord, on dénombre un peu plus de 1 000 passagers, en tête desquels se trouve Marguerite Lebrun, épouse du président et marraine du navire, accompagnée de sa fille et de sa belle-fille[37]. Ce ne sont pas les seuls hôtes de marque du paquebot : nombre de personnalités participent à cette traversée. On y trouve ainsi l'écrivaine Colette, l'actrice Valentine Tessier, les duettistes Pills et Tabet, plusieurs nobles, ministres et sénateurs, deux académiciens français et le Maharajah de Kapurthala[42]. Enfin, les milieux maritimes ne sont pas en reste puisque les officiels de la C.G.T. et des chantiers de Penhoët sont présents, de même que le président de la Navigazione Generale Italiana, Antonio Cosulich[43].
Après une escale à Southampton, le Normandie franchit Bishop Rock dans la matinée du 30. C'est le repère officiel de départ pour l'attribution du Ruban bleu. Cette récompense qui est remise au navire ayant traversé l'Atlantique le plus rapidement est détenue alors par le paquebot italien Rex. Si les officiels de la Transat refusent jusqu'au dernier moment de se prononcer sur leurs attentes quant à cette récompense, les pronostics vont bon train parmi les passagers pour savoir si le record sera battu[44]. Une avarie sur un condenseur survenue deux jours après le départ force l'équipage à stopper l'un des moteurs ; le paquebot conserve cependant une vitesse moyenne de 28 nœuds et, une fois le problème réglé, réussit à repasser au-dessus des 30[45]. Les passagers sont bien loin de ces préoccupations et se voient proposer nombre de divertissements. Le 30 au soir, une première mondiale de Pasteur, de Sacha Guitry est organisée. Le lendemain, le Café-Grill est inauguré par Madame Lebrun dans une ambiance festive en dépit des fortes vibrations dans cette partie du navire[46].
Le Ruban bleu reste pour la compagnie un sujet tabou jusqu'au dernier jour : le commandant Pugnet se voit même ordonner de ralentir, pour ne pas dépasser le bateau feu d'Ambrose (repère d'arrivée) avant 11 h 30 le 3 juin. Il n'en fait rien, et le navire arrive une demi-heure plus tôt. Avec une vitesse moyenne de 29,94 nœuds, le Normandie bat le record du Rex de 10 heures. Il devient le premier paquebot français à remporter le Ruban bleu, et est le seul à avoir jamais reçu cette distinction[47]. New York est en ébullition et les médias retransmettent la nouvelle tandis que les dîners de gala se succèdent[48]. Le paquebot s'amarre au quai Pier 88, qui a été agrandi pour lui permettre de s'accoster[49].
Modernisation de 1935 - 1936
Après sa traversée inaugurale, le Normandie fait encore 8 allers-retours entre Le Havre et New York. Le 28 octobre 1935, la saison s'achève[50]. Pour instaurer un roulement, la Transat avait un temps envisagé de construire à son paquebot phare un sister-ship nommé Bretagne : ses autres navires ne sont en effet pas capables d'atteindre des vitesses aussi élevées, créant un déséquilibre. Cependant, ce projet ne voit jamais le jour. En revanche, de grandes modifications sont prévues pour le Normandie dès son premier hiver[51]. Celles-ci ont avant tout pour but d'éliminer le problème des vibrations dans le tiers arrière. Ce problème est en effet loin d'être mineur car il endommage les tuyauteries et systèmes électriques du navire, et empêche les passagers de dormir. Après expérimentations, il est déterminé que le problème est dû aux hélices à trois pales du navire. Celles-ci sont remplacées par des hélices à quatre pales dont les mouvements se révèlent plus fluides dans l'eau[50].
D'autres modifications plus structurelles sont faites. La première concerne le salon des touristes : le précédent, au centre du navire, n'avait pas de sabords. Un nouveau est donc construit sur une esplanade à l'arrière du grill, qui était jusque là destinée aux passagers de première. La modification a un but double : ceci permet d'améliorer la qualité de vie de la classe touriste pour mieux concurrencer le Queen Mary sur le point d'entrer en service, et ces changements font passer la jauge du Normandie de 79 000 à 82 000 tjb : il dépasse ainsi son futur concurrent britannique et reste jusqu'à 1940 le plus gros paquebot jamais construit[52]. D'autres installations sont modifiées, avec la création d'une chapelle pour la classe touriste et d'une synagogue[53]. La forme de la passerelle de navigation est également modifiée, les ailerons de manœuvre courbes laissant place à des ailerons rectilignes[54].
Les changements prennent du temps : les nouvelles hélices n'arrivent en effet qu'en avril 1936. Elles remplissent très bien leur rôle cependant : à trente nœuds, le navire ne vibre plus[55]. Le 5 mai, le Normandie est prêt à reprendre du service, lorsqu'une étrange nouvelle est rapportée au commandant : une des hélices bâbord a disparu. Aucune hélice à quatre pales n'est disponible pour la remplacer sur le moment, et la traversée ne peut être annulée. L'hélice et sa symétrique sont remplacées par des trois pales. La traversée a lieu, mais est à nouveau marquée par les vibrations. Le problème est réglé dès la traversée suivante, le 20 mai[56].
Trois années d'un succès prometteur
La saison 1936 débute avec l'arrivée d'un concurrent de taille : le Queen Mary, qui entre en service. Celui-ci n'est pas sans défauts puisqu'il affiche les mêmes problèmes de vibrations que son rival français. Il s'impose cependant comme une valeur sûre de la Cunard Line[57]. Le Normandie traverse pour sa part 30 fois l'Atlantique en 1936. Lorsque l'été survient, le capitaine au long cours René Pugnet prend sa retraite, laissant le commandement à Pierre Thoreux pendant trois ans. Peu avant, un incident peu commun s'est produit : en juin, un avion de la R.A.F., aveuglé par les fumées des cheminées du navire, s'écrase sur la plage avant. Les dégâts sont cependant minimes et le pilote s'en sort indemne[58]. Lors de sa dernière traversée de la saison, le navire affronte une tempête violente sans subir de dégâts. Cependant, une ombre obscurcit ce tableau : durant l'été, le Queen Mary a remporté le Ruban bleu[59].
La Compagnie générale transatlantique refuse de laisser la récompense aux mains des britanniques. Aussi le Normandie subit-il une nouvelle refonte durant l'hiver. Celle-ci touche avant tout ses machines dont la puissance est légèrement améliorée, et ses hélices : les nouvelles sont plus efficaces, et engendrent encore moins de vibrations. Lorsqu'il reprend du service en mars 1937, le Normandie reprend le Ruban bleu dès sa première traversée. Sur un plan commercial, le nombre de passagers augmente cette année là, ce qui en fait une très bonne période pour la Transat[60].
1938 commence par une nouvelle mise sous les projecteurs du Normandie. Du 5 au 27 février, il cesse ses traversées transatlantiques pour une croisière d'agrément entre New York et Rio de Janeiro. La destination est en effet très prisée des Américains. Cette croisière est cependant aussi un véritable défi : elle implique une traversée plus longue et donc des problèmes d'approvisionnement en carburant, mais aussi en linge propre (des navires spéciaux sont affrétés pour porter du linge au paquebot)[61]. La croisière est un franc succès puisque la totalité des cabines de classe Cabine (ancienne Première classe) et une partie des cabines de classe Touriste sont occupées[62]. On compte ainsi un millier de passagers : un record pour une croisière à l'époque. L'engouement médiatique est également très fort[63]. À Rio, le Normandie, ouvert aux visiteurs, est envahi par des foules immenses au grand dam des passagers[64].
L'année 1938 voit également la 100e traversée du Normandie, qui perd également peu après définitivement le Ruban bleu face au Queen Mary[65]. Le service du paquebot français n'est troublé que par un important mouvement de grève en fin d'année, dans un contexte international qui se tend pourtant de plus en plus[66]. En avril 1939, le navire part au Havre pour son entretien annuel. La guerre semble proche : les canots de sauvetage sont peints de couleurs vives pour être vus plus facilement en cas d'acte de guerre. Des craintes d'attentat sont également à l'ordre du jour[67]. C'est alors que survient un drame pour la Transat : le Paris, accosté non loin, s'embrase et chavire le 18 avril. Il faut en découper les mâts pour que le Normandie puisse quitter son bassin de radoub[68]. À la même époque, Pierre Thoreux quitte le commandement pour un poste logistique dans le port du Havre : ce choix n'est pas de son fait, mais sa longévité sur le navire amiral de la compagnie empêchait les autres commandants de recevoir de l'avancement. Son successeur est Étienne Payen de La Garanderie, qui est sur le point de devenir le dernier commandant du Normandie en service transatlantique[69].
Deuxième Guerre mondiale et destruction
Dernières traversées
Août 1939 voit s'approcher l'ombre de la Seconde Guerre mondiale ; la Transat décide de réduire la vitesse du Normandie afin qu'il ait suffisamment de carburant pour faire demi-tour en cas de déclaration de guerre pendant une traversée. Celle qui débute le 9 août marque un dernier temps de gloire : le réalisateur Yves Mirande tourne en effet à bord son film Paris-New York avec l'acteur Michel Simon[70]. Après une nouvelle traversée vers la France, le Normandie entame son dernier voyage le 23 août dans un climat international très tendu. Le pacte germano-soviétique vient d'être signé et le conflit semble inévitable. Le paquebot tente en cours de route de semer le Bremen par crainte d'être signalé aux U-boots. Tout le reste de la traversée, les lumières du pont sont coupées, les rideaux fermés et le trafic radio cesse afin de rendre le navire indétectable[71].
Avec la déclaration de guerre le 3 septembre, il n'est plus question pour le Normandie de traverser l'Atlantique à la merci des sous-marins ennemis[72]. Le 6 septembre, le navire est désarmé. Le 8, une grande partie de l'équipage (principalement le personnel hôtelier) est rapatriée en France. Le reste des hommes prépare le navire à son immobilisation, de façon à préserver mobilier et machines[73].
Réquisition par les États-Unis
Pour l'équipage stationné aux États-Unis, la vie s'organise tant bien que mal : avec l'arrivée de l'hiver, la compagnie leur fournit quelques vêtements chauds, et les marins tentent de garder un lien avec leur famille. Cependant, avec la défaite de juin 1940, ce lien tend à disparaître. Par ailleurs, le 5 juin, Étienne Payen de la Garanderie rentre en France, laissant le commandement à Hervé Le Huédé, qui servait à bord depuis plusieurs années[74].
Son entrée dans le conflit semblant s'approcher, le gouvernement américain commence à envisager de réquisitionner le Normandie pour en faire un transport de troupes. Avec l'instauration du régime de Vichy, les risques de sabotages s'accroissent pour le navire : un fidèle du gouvernement français pourrait tenter de soustraire le navire à l'effort de guerre américain[75]. Le 11 avril 1941, la prise de contrôle du paquebot est votée par le Congrès des États-Unis. Un détachement de Coast Guards embarque pour surveiller les actes de chaque membre d'équipage français pour éviter tout sabotage. Plus d'hommes sont appelés après l'attaque sur Pearl Harbor, et le 11 décembre, les États-Unis prennent possession du Normandie en vertu du droit d'angarie[76]. L'équipage français est débarqué à l'exception des officiers et de cinq autres membres. Les protestations du commandant Le Huédé empêchent cependant les Américains de baisser le pavillon français, et les membres d'équipage sur le départ entonnent La Marseillaise, selon le récit du commandant[77].
Les nouveaux possesseurs du navire doivent encore l'apprivoiser : les plans circulent parmi les Coast Guards qui apprennent le fonctionnement du paquebot, tandis que le chef mécanicien aide à traduire les nombreuses inscriptions en français[77]. Vient également la question de savoir comment en faire usage : s'il semble au premier abord naturel de l'utiliser comme transport de troupes à l'instar des deux Queen britanniques, l'architecte naval William Francis Gibbs propose de le transformer en porte-avions et expose un projet détaillé qui n'est finalement pas retenu[78].
Les travaux débutent par l'évacuation du mobilier et de la décoration, à l'exception de ceux du théâtre, des lieux de culte et de deux appartements de luxe destinés aux officiels de haut rang : c'est grâce à cela que la décoration du paquebot a été préservée de la catastrophe qui doit le frapper l'année suivante[79]. Le navire est réaménagé pour accueillir jusqu'à 16 000 hommes, et est renommé début 1942 USS Lafayette en hommage au Marquis de La Fayette et pour faire écho à l'histoire commune des États-Unis et de la France[80],[81].
Incendie et chavirage
Le 9 février 1942, les travaux de réaménagement sont toujours en cours. L'opération du jour consiste notamment à retirer quatre grandes colonnes d'acier dans le grand salon, et nécessite un chalumeau. Ce jour là, le salon, bien que débarrassé de son mobilier et de ses décors, est rempli de milliers de paquets de gilets de sauvetage en kapok (matière très inflammable), qu'une équipe chargée de poser du linoléum déplace en permanence[82]. Le découpage des deux premières colonnes se passe sans encombre, puis survient la pause déjeuner et la troisième est ensuite retirée[83]. C'est lors de l'attaque de la quatrième que l'incident survient : une étincelle touche un des paquets de gilets, soit par maladresse du porteur du chalumeau, Clement Derrick, soit parce que l'assistant chargé de protéger les paquets avec un bouclier l'a retiré trop tôt[84]. Plusieurs paquets s'embrasent rapidement, et les personnes présentes, tentant d'éloigner les paquets qui semblent indemnes, ne font qu'accélérer la propagation de l'incendie[85]. De plus, aucun extincteur ne se trouvait dans le compartiment et les membres d'équipage chargés de lutter contre le feu ne sont pas prévenus à temps : il s'agit de toute façon d'hommes non formés, qui avaient bénéficié d'une promotion à un poste a priori tranquille[84].
L'incendie se propage rapidement au pont promenade, rempli de couchettes en toile, tandis que l'équipage, pris de panique, évacue le navire. Un quart d'heure après le début du sinistre, les secours sont appelés, à 14 h 49, et arrivent sur les lieux trois minutes plus tard. Le flot continu d'hommes évacuant le navire les empêche cependant d'embarquer. Par ailleurs, plus personne n'est présent pour faire fonctionner les systèmes de sécurité et l'électricité à bord[85]. Le secours vient donc des bateaux-pompes qui projettent près de 6 000 tonnes d'eau sur le navire en feu[86]. On dénombre quelques blessés dans la cohue, et un mort, Franck Trentacosta touché par un morceau d'acier projeté par une explosion. Par ailleurs, le concepteur du navire, Vladimir Yourkevitch se voit refuser l'accès sur les lieux du sinistre : il aurait pourtant pu indiquer comment maintenir le paquebot à flots malgré la carène liquide due au poids de l'eau[87].
Le navire commence ainsi à gîter sévèrement sous l'effet des tonnes d'eau déversées. Les conseils d'Hervé Le Huédé permettent de pratiquer des ouvertures qui le rééquilibrent sensiblement. Lorsque l'incendie semble éteint, vers 18 heures, il apparaît que 10 000 tonnes d'eau ont été déversées sur bâbord, dont plus de la moitié stagnent encore dans les hauts du navire. Les chaufferies restent pour leur part préservées[88]. En début de soirée, le Lafayette semble sauvé : il s'est stabilisé, et l'on peut même embarquer pour évaluer les dégâts, qui ne sont importants qu'en apparence : le navire pourra être remis en état. C'est sans compter sur les marées : la mer se retire, puis revient, déséquilibrant le navire. À 2 h 40, il chavire définitivement[89].
Remise à flot et démolition
Après le drame vient le temps des questions. La rumeur commence à faire circuler l'idée que le navire a été coulé par un acte de sabotage. Une enquête, bien vite demandée, conclut cependant le contraire : c'est bien par simple maladresse que le navire a été détruit. La Navy est blâmée pour sa gestion des événements, notamment à cause de la sécurité très relâchée qui aurait pu permettre des opérations de sabotage si l'accident ne s'était pas chargé du sort du navire[90]. Très vite également apparaissent les premiers projets de renflouage, à la demande de Franklin Roosevelt et à une époque où les États-Unis subissent un certain nombre de revers dans la Guerre du Pacifique. Vladimir Yourkevitch sert de consultant dans le cadre de ces opérations, de même que William Francis Gibbs[90]. Il faut de surcroît déterminer si le navire peut-être récupéré ou doit être démoli. Dans tous les cas, il faudra démonter les superstructures et cheminées qui gêneraient un redressement de la coque. Les travaux commencent donc le 20 février et se poursuivent jusqu'en mai tandis que la Transat se sépare de nombreux éléments décoratifs du navire[91].
Pour préparer le pompage qui devrait redresser le navire, il faut également en extraire la vase, et surtout refermer les hublots et sabords laissés ouverts lors de l'évacuation. S'engage ainsi un travail de plusieurs mois pour une équipe de scaphandriers. Le Pier 88 est également racheté par la Navy et en partie démonté pour éviter d'endommager l'arrière lorsque le redressement débutera[91]. Les opérations de nettoyage prennent plus d'un an, et c'est à partir du 4 août 1943 que le pompage débute[92]. Le 15 septembre, le navire est sorti de l'eau. Le 27 octobre, il est rendu à la Navy par la firme Merritt, Chapman and Scott qui l'a prise en charge, les échafaudages ayant été enlevés. Au total, le renflouement du paquebot a coûté onze millions de dollars[93]. Cette prouesse technique permet de former des hommes à ce type d'opération, qu'ils reproduisent plusieurs centaines de fois jusqu'à la fin de la guerre[94].
Le navire part ensuite à Bayonne, dans le New Jersey, où un bassin de radoub l'attend pour qu'il y soit remis en état[94]. Cependant, la coque et les machines se révèlent plus endommagées que prévu. Dans ce dernier cas, il faut en construire de nouvelles, chose problématique vu la spécificité des appareils. Par ailleurs, les chantiers navals sont très occupés par les nombreuses commandes. Début 1944, le projet est abandonné[95]. Un maigre espoir subsiste encore : le président Roosevelt continue à défendre un projet de remise en état, car, pense t-il, la destruction du Normandie sera forcément injustifiable après la libération. William Francis Gibbs, quant à lui, propose de faire du navire un paquebot qui, en temps de paix comme en temps de guerre, surpassera les deux Queen britanniques (ce qui se fera finalement bien plus tard avec le United States)[96]. L'imminence du débarquement et la mort de Roosevelt ont cependant définitivement raison du navire. Le 20 septembre 1945, il est déclaré surplus de la Navy. Un an plus tard, alors que la France refuse de récupérer l'épave, le navire est acheté par les frères Lipsett qui obtiennent le droit de le démolir. Les opérations se déroulent du 7 janvier au 7 octobre 1947[96]. L'opération se traduit par un profit d'un million de dollars de l'époque[97].
Caractéristiques
Aspects techniques
Architecture de la coque
La coque du Normandie fait, durant sa conception, l'objet de nombreuses études : il faut en effet construire un navire aérodynamique qui puisse avoir une bonne vitesse. À partir de l'été 1929 et pendant un an, plus de 150 modèles sont dessinés et 20 sont testés en bassin[98].
La coque définitive est finalement proposée par un architecte russe émigré en France, Vladimir Yourkevitch. Elle s'illustre par des formes très originales : le navire est beaucoup plus large que ses concurrents, et une l'étrave retouchée en forme de Y pour mieux pénétrer dans l'eau et offrir le moins de résistance de carène possible. Elle est également rééquilibrée par un bulbe d'étrave et pourvue d'un brise-lame[98]. Contrairement à tous les navires contemporains, dont le Queen Mary, le Normandie ne présente en aucun endroit une coque rectiligne. Le navire est également beaucoup moins sensible au roulis, grâce à la largeur de sa coque qui n'entrave pas son hydrodynamisme[99].
D'un point de vue externe, la silhouette du Normandie est résolument moderne. L'étrave à guibre avec un dévers prononcé, ouvre un écubier logeant une ancre avec sa ligne de mouillage. Les apparaux de manœuvre et de mouillage de la plage avant sont abrités sous le pont. L'arrière se démarque des autres navires de l'époque : pas d'ouverture pour le chargement, mais une succession de terrasses incurvées. Les ponts, immenses, sont par ailleurs dispensés de tous les dispositifs habituels d'aérations et autres gigantesques manches à air. Enfin, les trois cheminées, rouges à manchette noire, les couleurs de la Transat, sont nettement plus tassées, à l'image de ce qui se fait sur les paquebots allemands Bremen et Europa à la même époque, là où le Queen Mary conserve les hautes cheminées des anciens paquebots[100]. Ces cheminées sont très particulières pour les chantiers de Penhoët : ce sont les premières qui ne soient pas maintenues en place par d'imposants haubans, et également les premières construites directement sur le navire. Auparavant, un atelier préparait les cheminées, qui étaient ensuite posées sur le pont[101]. La cheminée arrière, "postiche" (comme on disait à l'époque), abrite le chenil, équipé d'une copie de lampadaire parisien et d'une bouche à incendie new-yorkaise dans l'aire de promenade des animaux[102]. Enfin, dernière particularité, le mât avant se situe au-dessus de la passerelle et non devant, afin de ne pas gêner la veille optique[102].
Appareil de propulsion
Article détaillé : Propulsion électrique des navires.L'appareil propulsif du Normandie inclut les dernières innovations techniques de l'époque. Comme sur toutes les grandes unités du moment, il s'agit d'un navire dont la propulsion est assurée par la vapeur. Les concepteurs doivent relever un défi inédit sur un navire de l'époque : battre les records de vitesse tout en restant économique. Construire des turbines alimentant directement les hélices, comme sur l’Île-de-France est impossible : elles seraient bien trop lourdes et encombrantes. Des turbines plus petites et tournant plus rapidement que les hélices seraient plus économiques[103].
C'est ainsi qu'est choisi le recours à une propulsion turbo-électrique, inédite sur un navire de grande taille. L'appareil évaporatoire est constitué par 29 chaudières principales et 4 chaudières auxiliaires, chauffant au mazout. Le carburant est stocké dans les soutes à mazout à l'intérieur de la double coque, et le navire en transporte en général 7 000 tonnes : en effet, à 30 nœuds, il consomme environ deux tonnes de mazout par nautique[104].
Les chaudières alimentent les turbo-alternateurs qui eux-mêmes alimentent les moteurs de propulsion. L'installation est très compartimentée du fait des cloisons étanches réparties sur tout la longueur de la coque : chaque compartiment contient une installation particulière du système de propulsion[104]. Par ailleurs, le système permet une grande flexibilité : un seul turbo-alternateur peut alimenter deux moteurs. Même avec un turbo-alternateur en avarie, le navire peut continuer à faire tourner ses quatre hélices, comme lors de son voyage inaugural[105].
Dispositifs de sécurité
Le Normandie est l'objet, avant même sa mise en service, de nombreuses prestations publiques visant à vanter ses mérites et gagner les faveurs de l'opinion. Un thème est maintes fois répété : la solidité du navire à toute épreuve. Celui-ci est en effet conçu pour survivre aux chocs grâce à une double coque et des compartiments étanches.
Un point est particulièrement cité par les armateurs du navire : sa résistance au feu. À l'époque, en effet, plusieurs navires français ont coulé suite à des incendies, notamment le Georges Philippar et L'Atlantique, et la Transat a elle-même failli perdre le Paris dans de telles circonstances en 1927[Note 4] : gagner l'opinion sur ce terrain est nécessaire. Le navire est donc divisé en quatre zones isolées par des cloisons étanches et des portes coupe-feu. Les plans ont été conçus de façon à ce que les passagers ne puissent pas se perdre dans les coursives qui ne sont jamais en cul-de-sac. Des dispositifs de lutte contre le feu sont aussi répartis dans le navire. René Pugnet, commandant du navire qui assiste à sa construction, a également l'idée de faire percer des trous dans le plafond de divers espaces afin que l'on puisse attaquer le feu par au-dessus. Enfin, toutes les opérations sont contrôlées et commandées depuis un poste central (PC) sécurité où veille en permanence une équipe de marins pompiers parés à intervenir[106].
Pour détecter les icebergs, fréquents dans l'Atlantique Nord, le Normandie embarque en 1936 un équipement DEM (Détection Électro-Magnétique) qui fut le premier radar français.
Installations
Des installations diverses pour les passagers
Les passagers du Normandie sont répartis en trois classes : la première classe (devenue classe cabine après la première saison d'exploitation), la classe touriste, et la troisième classe. La première occupe environ 70 % de l'espace du navire, dans sa partie centrale. Les touristes se trouvent en arrière, et les troisième classe encore plus[107]. La troisième classe ne transporte à l'origine que 315 passagers sur un total de 1 972, et voit sa capacité réduite à 186 places, soit 10 % de la capacité du navire. Tout est fait à bord pour la première classe qui représente la moitié de la clientèle du navire : l'équipage très important de plus de mille personnes donne un ratio de 2 membres d'équipage pour trois passagers, bien plus que sur les autres navires de l'époque[108]. Si les officiers sont logés dans des cabines, les maîtres, les matelots et les agents du service général sont logés dans des postes.
Les installations du navire sont nombreuses. La première classe est centrée autour d'une salle à manger étalée sur trois ponts de haut, mais qui ne s'étend pas sur toute la largeur du navire, permettant la création de nombreuses cabines sur les côtés du navire plus populaires. Elle dispose également d'un restaurant grill, d'une chapelle, d'un grand salon, de boutiques, d'un stand de tir, d'un théâtre/cinéma, d'une piscine intérieure, d'une bibliothèque, d'un jardin d'hiver… La première classe dispose par ailleurs de plusieurs appartements de luxe portant les noms de villes normandes : Deauville, Rouen[109], etc.
La classe touriste n'est pas en reste, mais son salon se révèle présenter un inconvénient majeur : il n'a aucune vue vers l'extérieur. Il est ainsi déplacé sur le pont supérieur durant la refonte de 1936 dans une annexe réalisée à la place d'un espace de promenade pour la première classe[107]. Les cabines de troisième classe sont évidemment moins luxueuses, mais ses salle à manger, salon et pont-promenade sont tout à fait convenables[110].
Décoration intérieure
La décoration du Normandie se veut une vitrine de l'art français des années 1930, selon les explications que donne Henri Cangardel au théâtre de la Michodière en février 1935. L'agencement général est confié aux architectes Pierre Patout, Henri Pacon, Richard Bouwens Van der Boijen et Roger-Henri Expert. À l'exception du dernier, tous ont travaillé à la décoration de l’Île-de-France quelques années auparavant. Ce sont eux qui dressent les plans des installations principales du navire[111].
Les installations de première classe (classe cabine à partir de 1936) sont l'objet d'une attention particulière, avec des pièces particulièrement vastes. La grande salle à manger, par exemple, s'étend sur trois pont de hauteur, et on y accède par des portes monumentales de 6 mètres de haut. Elle est richement décorée de statues laquées de Louis Dejean, comme la grande statue Pax - qui se dresse en son centre pour symboliser l'Accueil, la Concorde, avec un rameau d'olivier à la main[112] - ou encore de « pots à feu » (cascades de verre) de René Lalique. Les murs sont quant à eux recouverts de verre gravé d'Auguste Labouret[113]. Le grand salon est pour sa part décoré de colonnes en verre de Lalique, de motifs muraux de laque d'or de Jean Dunand et de peintures sur glace de Jean Dupas[114]. La porte de la chapelle est un panneau coulissant en émaux de François-Louis Schmied représentant un chevalier normand[115]. La salle à manger des enfants est pour sa part confiée à Jean de Brunhoff qui la décore dans le thème de sa création, Babar l'éléphant[116]. Durant la première saison, elle sert également à l'occasion de synagogue, cette dernière ayant été oubliée[117].
Le thème principal de la décoration est la Normandie. On retrouve ainsi des médaillons représentant dix grands villes de la région sur les portes monumentales (6 mètres de haut) de la salle à manger de première classe, dessinés par Raymond Subes[118]. Sur le palier supérieur de l'escalier du fumoir se dresse également une statue de la Normandie, par Baudry[119]. Bien qu'il revienne de façon récurrente dans certaines parties du paquebot, le thème de la Normandie est cependant absent de certaines pièces, car somme tout assez limité pour les décorateurs[120].
Les décorateurs doivent répondre à des exigences particulières : les matériaux utilisés doivent être les plus incombustibles possibles afin d'éviter de reproduire le drame de L'Atlantique, et le paquebot en tire une certaine simplicité, qui ne le rend pas moins somptueux[121]. Les concepteurs du Normandie innovent d'ailleurs grâce à l'emploi de nouveaux matériaux. Ainsi, après les timides expériences menées sur le Colombie, puis sur le Champlain on y généralise l'usage de l'acier inoxydable à 26 % de métaux blancs, inaltérable dans la masse malgré l'air salin, et dont le très beau poli en fait un élément de décoration. On fait appel à un spécialiste, Georges Halais, qui en fournit plus de 50 000 kg, sous des formes très diverses : équipements des 300 salles de bain, poignées de porte, parties métalliques des appartements de grand luxe et de luxe[122]...
L'aluminium apparaît également, dans un usage utilitaire d'abord (réduire le poids embarqué, grâce à un matériau résistant à la corrosion) : l'alpax, alliage d'aluminium au silicium, est ainsi utilisé pour les dispositifs de fermeture des hublots. Mais on fait également appel aux alliages légers d'aluminium pour leur aspect décoratif, notamment pour les cloisons de douze appartements et cabines de luxe, ou encore, pour le revêtement de la porte de la chapelle. Au total, ce sont 25 000 kg d'alliages légers, correspondant à 60 000 kg d'acier, qui sont utilisés sur le Normandie[123].
Postérité
Remplacement du Normandie
La perte du Normandie se ressent véritablement lorsque la Compagnie générale transatlantique fait le bilan de la Seconde Guerre mondiale : elle a perdu 44 navires dans le conflit, c'est-à-dire les deux tiers de sa flotte. Ne reste comme navire important que l'Île-de-France qui doit d'abord achever son service de transport de troupes. À l'inverse, toutes les autres grandes compagnies (à l'exception des allemandes), ont réussi à préserver une partie de leurs navires, notamment les deux Queen. La situation de la Transat est donc préoccupante, et la perte du Normandie est en très grande partie responsable de cet état de fait[73]. La compagnie reçoit cependant une compensation des États-Unis, en dollars, qui lui permet de construire trois navires, mais aussi en nature avec le Europa fraîchement remis à la France par l'Allemagne, au titre de réparation des dommages de guerre. La Transat fait également renflouer le De Grasse, coulé durant le conflit mais récupérable[124].
Ce n'est qu'en 1950, après un quasi-naufrage, que l'Europa, rebaptisé Liberté, peut naviguer aux côtés de l’Île-de-France. À son bord se trouvent une partie des éléments décoratifs du Normandie qui avaient été démontés avant l'incendie : lorsqu'il rentre en service, le Liberté n'a plus grand chose à voir avec ce qu'il était à son lancement, et porte haut les couleurs de sa compagnie[125]. La Transat s'impose un temps, mais ses navires peinent à affronter les nouveaux géants, qu'il s'agisse des deux Queen, du United States ou de l’Andrea Doria[126]. La Transat frappe, en 1962, un dernier coup d'éclat avec le France dont les formes de coque s'apparentent à celles du Normandie, tout comme les polémiques qui entourent sa construction. Cependant, le contexte n'est pas le même et la concurrence du trafic aérien l'empêche de connaître une carrière couronnée de succès[127].
Le Normandie occupe une place à part dans l'histoire de la marine marchande française : il est le seul paquebot français à avoir détenu le Ruban bleu, et le seul également à avoir été le plus gros navire jamais construit à son époque. Le Normandie est en effet considéré comme un des meilleurs paquebots jamais construits, sinon comme le meilleur[128]. Par sa décoration, le paquebot a également acquis une place de référence dans le domaine de la décoration de style Art déco, en représentant de l'art français des années 1930, et est à ce titre souvent considéré comme l'un des plus beaux paquebots du monde[129].
La fin du navire l'a également fait entrer, d'une autre façon, dans la légende. Pour beaucoup, en effet, la perte du navire ne peut être accidentelle, et avant même les conclusions de la Navy, le sabotage est évoqué, qu'il vienne des équipages français fidèles au régime de Vichy ou de la Mafia. Tous ces faits sont cependant sérieusement démentis[130]. L'épave du navire peut également être vue l'année même du naufrage, dans le film Cinquième colonne d'Alfred Hitchcock[131]. Le film Paris-New York a également été tourné à son bord en 1939[132].
Enfin, de nombreux éléments de mobilier et de la décoration du Normandie qui avaient été démontés peu avant le naufrage ont été vendus aux enchères, et dispersés à travers le monde chez des collectionneurs particuliers ou dans des musées. Le paquebot Celebrity Summit des Celebrity Cruises est équipé d'un restaurant décoré d'éléments du Normandie[133].
Notes et références
Notes
- Oceanic voit sa construction cesser rapidement, avant que la White Star et la Cunard ne fusionnent pour construire le Queen Mary. Celui de la White Star, l’
- L'article accompagnant le nom du navire a, à l'époque, fait débat dans la presse et jusqu'au sein de la compagnie. Fallait-il parler du Normandie, de la Normandie, de La Normandie ou de Normandie comme un nom de personne ? La compagnie choisit ce dernier cas pour sa publicité, tandis que la presse utilise les appellations à sa convenance. Parler du Normandie avec un article masculin est cependant devenu la norme avec les années.
- Les ouvriers craignent que la fin de la construction entraîne des licenciements dans une période de crise, ce à quoi les chantiers répondent par des augmentations de salaires.
- Le navire, après avoir subi une lourde refonte, reprend du service avant de prendre à nouveau feu dans le port du Havre en 1939 et de sombrer de façon similaire au Normandie.
Références
- Construction : 1 milliard de francs 1935 (732 760 000 d'euros)
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- Frédéric Ollivier 2005, p. 20
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 45
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- Frédéric Ollivier 2005, p. 45
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 57
- John Maxtone-Graham 2007, p. 60
- Frédéric Ollivier 2005, p. 60
- Frédéric Ollivier 2005, p. 61
- Frédéric Ollivier 2005, p. 62
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- Frédéric Ollivier 2005, p. 66
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 108
- Frédéric Ollivier 2005, p. 70
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- Frédéric Ollivier 2005, p. 71
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 113
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- (fr) « Liste de passagers du paquebot Normandie ; 29 mai 1935, Le Havre - Southampton - New York », French Lines. Consulté le 11 janvier 2011
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- L'Illustration, ouvrage collectif 1987, p. 154
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 78
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- John Maxtone-Graham 2007, p. 13
- (fr) « Cinquième colonne », IMDb. Consulté le 12 février 2011
- (fr) « Paris New-York », IMDb. Consulté le 12 février 2011
- John Maxtone-Graham 2007, p. 242 - 243
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
: Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article
- (en) Frank Osborn Braynard, Picture history of the « Normandie » with 190 illustrations, Dover Publications, 1987, 133 p. (ISBN 0486252574)
- Bruno Foucart, François Robichon, « Normandie »: l'épopée du « Géant des mers », Herscher, 1985, 207 p. (ISBN 2733500864)
- L'Illustration, ouvrage collectif, Les Grands Dossiers de L'Illustration - Les paquebots, Le Livre de Paris, 1987 (ISBN 2904310894)
- (en) John Maxtone-Graham, « Normandie »: France's legendary art deco ocean liner, W.W. Norton & Company, 2007, 259 p. (ISBN 0393061205)
- Jean-Pierre Mogui, Le « Normandie », seigneur de l'Atlantique, Denoël, 1985, 169 p. (ISBN 2207231429)
- Frédéric Ollivier, « Normandie »: un chef-d'œuvre français (1935-1942), Chasse-marée, 2005, 191 p. (ISBN 2914208804)
Filmographie
- Documentaire, Éric Lange & Claude Villers, À bord du « Normandie », France, 2006 (52 minutes)
Liens externes
- (fr) Association French Lines, site de l'association chargée de la sauvegarde du patrimoine des compagnies françaises, avec notamment des photos et des listes de passagers
- (fr) Paquebot Normandie, site consacré au Normandie, en particulier aux collections d'objets en provenant
- (en) Normandie sur The Great Ocean Liners, site consacré aux grands paquebots de l'histoire
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