- Droite réelle
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Nombre réel
Les nombres réels (dont l'ensemble est noté ℝ) peuvent très informellement être conçus en mathématiques comme tous les nombres associés à des longueurs ou des grandeurs physiques. Ce sont les nombres, qu'ils soient positifs, négatifs ou nuls, ayant une représentation décimale finie ou infinie. Autrement dit, ce sont les rationnels (qui peuvent s'écrire sous forme de fraction) complétés par les nombres dont la représentation décimale est infinie non périodique[1], tels la racine carrée de 2 et π. Ces derniers sont appelés nombres irrationnels. Parmi les nombres réels on distingue également les nombres algébriques et les nombres transcendants.
Le terme de nombre réel apparaît pour la première fois chez Georg Cantor en 1883 dans ses publications sur les fondements de la théorie des ensembles. C'est un rétronyme, donné en réponse à la découverte des nombres imaginaires. Les nombres réels sont au centre de la discipline mathématique de l'analyse réelle, à laquelle ils doivent une grande part de leur histoire.
La notation originale de l'ensemble des nombres réels est . Cependant, les lettres grasses étant difficiles à écrire sur un tableau ou une feuille, la notation s'est imposée.
Sommaire
Dans la vie courante
Les nombres réels peuvent représenter n'importe quelle mesure physique telle que : le prix d'un produit, la durée entre deux événements, l'altitude (positive ou négative) d'un site géographique, la masse d'un atome ou la distance de la plus lointaine des galaxies. Une partie des nombres réels est utilisée tous les jours, par exemple en économie, en informatique, en mathématique, en physique ou en ingénierie.
La plupart du temps, seuls certains sous-ensembles de réels sont utilisés :
- les entiers naturels,
- les entiers relatifs,
- les nombres décimaux, qui sont les réels que l'on peut écrire exactement en base 10 ;
- les nombres rationnels, exprimables sous forme de fractions à numérateurs et dénominateurs entiers,
- les nombres algébriques, qui comprennent notamment tous les nombres que l'on peut écrire en utilisant les quatre opérations élémentaires et les racines.
- les nombres calculables, qui comprennent la quasi-totalité des nombres utilisés en science et en ingénierie (notamment e et π).
Bien que tous ces sous-ensembles des réels soient de cardinal infini, ils sont tous dénombrables et ne représentent donc qu'une infime partie de l'ensemble des réels. Ils ont chacun des propriétés propres. Deux sont particulièrement étudiés : les nombres rationnels et les nombres algébriques ; on appelle « irrationnels » les réels qui ne sont pas rationnels et « transcendants » ceux qui ne sont pas algébriques.
En science
La physique utilise les nombres réels comme ensemble de mesure pour deux raisons essentielles :
- Les résultats d'un calcul de physique utilisent fréquemment des nombres qui ne sont pas rationnels, sans que les physiciens ne prennent en compte la nature de ces valeurs dans leurs raisonnements.
- La science utilise des concepts comme la vitesse instantanée ou l'accélération. Ces concepts sont issus de théories mathématiques pour lesquelles l'ensemble des réels est une nécessité théorique. De plus, ces concepts disposent de propriétés fortes et indispensables si l'ensemble des mesures est l'espace des nombres réels.
En revanche, le physicien ne peut réaliser des mesures de précision infinie. La représentation numérique du résultat d'un calcul peut être approchée aussi précisément qu'il le souhaite par un nombre décimal. Dans l'état actuel de la physique, il est même théoriquement impossible de réaliser des mesures de précision infinie. C'est pourquoi, aussi bien pour des besoins expérimentaux que théoriques, si le physicien calcule les mesures dans , il exprime les résultats numériques sous forme de nombres décimaux.
Ainsi le physicien utilise les propriétés des nombres réels qui permettent de donner un sens aux mesures qu'il réalise et offrent des théorèmes puissants pour démontrer ses théories. Pour les valeurs numériques, il se contente des nombres décimaux. Quand il mesure la distance que parcourt un solide sur un cercle complet, il utilise la valeur π sans se poser de question sur son existence, mais un nombre de décimales souvent petit lui suffit pour les calculs.
Enfin, bien que les nombres réels puissent représenter n'importe quelles grandeurs physiques, et bien que cet espace possède souvent plus de mesures qu'il n'est possible d'en utiliser, les nombres réels ne sont pas adaptés pour travailler sur de très nombreux problèmes physiques. Des « sur-ensembles » construits autour des réels ont été créés pour pouvoir manipuler certains espaces physiques. Par exemple :
- l'espace , pour modéliser des espaces, par exemple de dimension 2, 3 (ou plus) ;
- l'ensemble des nombres complexes dont la structure possède des propriétés plus fortes que celle de l'ensemble des nombres réels.
Considérations technologiques
Les nombres réels peuvent être représentés sous la forme d'un développement décimal infini. En théorie, n'importe quelle grandeur peut donc être représentée de la sorte. En pratique, ces nombres à développement décimal infini ne sont pas adaptés aux calculs et ne sont pas représentables sur des ordinateurs. Les économistes et les ingénieurs les utilisent sous une forme arrondie, en tronquant ou en arrondissant le développement décimal infini. Typiquement les commerçants font un arrondi à deux chiffres après la virgule.
Les informaticiens, bien que disposant des types de données telles que la virgule flottante (float ou double en pseudo-code anglais) et de la virgule fixe n'utilisent également que des approximations adaptées aux calculs informatiques. Pour représenter exactement certains réels sur un ordinateur, il faudrait disposer d'une mémoire infinie ou d'un processeur dédié aux calculs symboliques.
Premières remarques sur la notion de « développement décimal infini »
Tout nombre réel peut être représenté sous la forme de « nombre à développement décimal infini ». Cette définition peut sembler plus simple que d'autres utilisées couramment par les mathématiciens. Pourtant, elle apparaît rapidement comme peu adaptée et implique des définitions et des démonstrations bien plus complexes. En effet les nombres réels sont intéressants pour la structure et les propriétés de l'ensemble qu'ils forment : addition, multiplication, relation d'ordre, et les propriétés qui lient ces notions. Ces propriétés sont mal reflétées par la définition « développement décimal infini » et des problèmes théoriques apparaissent :
- Certains nombres possèdent deux représentations.
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- Par exemple, le nombre x=0,9999... (les 9 se poursuivent à l'infini), vérifie l'équation 10x = 9+x. Le nombre y=1,000000... (les 0 se poursuivent à l'infini) en est également solution [2]. Or l'existence et l'unicité de solution à cette équation sont deux propriétés essentielles pour une définition univoque des réels. Pour remédier à cette situation, il devient nécessaire d'identifier les représentations décimales qui sont solutions d'une même équation : la définition devient plus complexe.
- Utiliser un développement décimal fait jouer un rôle particulier à la base 10.
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- Cette difficulté n'est pas insurmontable. Elle est résolue par l'utilisation d'une base quelconque : on parle alors de développements en base p. Il est alors possible de démontrer que les ensembles construits à partir de ces bases sont isomorphes et que les propriétés des nombres réels sont valables dans toutes ces bases. Cependant les démonstrations deviennent lourdes, et la définition perd de sa simplicité.
- Enfin les algorithmes naturels pour effectuer une addition ou une multiplication, trouvent leur limite du fait de la double représentation des nombres décimaux.
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- En effet, les « retenues » se calculent de la droite vers la gauche, et un algorithme effectif demande de ne traiter qu'un nombre fini de décimales, c'est-à-dire de tronquer les nombres sur lesquels on calcule : il se peut donc qu'en tronquant aussi loin que l'on veut, on n'ait jamais la moindre décimale exacte, par exemple sur le calcul 0,33...+0,66...=1. Surmonter cette difficulté demande de faire appel à des notions de convergence, qui amènent naturellement vers d'autres modes de définition des réels.
Cependant, une fois établie la structure de l'ensemble des nombres réels, la notation par développement décimal permet des calculs effectifs, en gardant à l'esprit que ce n'est pas tant les décimales exactes d'un nombre qui comptent, que la position du nombre vis-à-vis des autres réels.
Aspect historique
Origine des nombres
Mise en place des fractions
Depuis l'Antiquité la représentation d'une grandeur mesurable — par exemple une longueur ou une durée — a répondu à un besoin. La première réponse fut la construction des fractions (quotient de deux entiers positifs). Cette solution, mise en place très tôt chez les Sumériens et les Égyptiens, est finalement performante. Elle permet d'approcher une longueur quelconque avec toute la précision souhaitée.
Correspondance avec des longueurs
La première formalisation construite en système que l'on connaisse est le fruit du travail d'Euclide au IIIe siècle av. J.-C. Sa construction, inscrite dans les Éléments d'Euclide, apporte deux grandes idées d'un apport majeur dans l'histoire des mathématiques.
- Les mathématiques sont formalisées avec des axiomes, des théorèmes et des démonstrations. On peut alors construire un système, avec des théorèmes dont les démonstrations s'appuient sur d'autres théorèmes. Les mathématiques sont classées en catégories, la géométrie et l'arithmétique en sont les deux plus grandes. Parler de construction prend alors tout son sens.
- Un pont est bâti entre les deux grandes catégories. Cette démarche, permettant d'utiliser des résultats d'une des branches des mathématiques pour éclairer une autre branche est des plus fécondes. Les nombres sont alors mis en correspondance avec des longueurs de segments.
Problèmes d'incomplétude
Irrationalité de la racine carrée de 2
L'approche d'Euclide met en évidence la première contradiction entre la notion de nombre de l'époque - les fractions - et le rôle qui leur est attribué, la représentation d'une grandeur mesurable.
- Une longueur dont le carré est égal à 2 existe. Un raisonnement géométrique, déjà vieux à l'époque d'Euclide, montre qu'il est possible de construire un carré B de surface double de celle d'un carré initial A que l'on choisit de côté égal à 1. Si l'on note l la longueur du côté du carré B, qui est égale à la longueur de la diagonale du carré A, l'égalité l2 = 2 est alors vérifiée.
- Une longueur dont le carré est égal à 2 n'existe pas sous forme de fraction. Quelques résultats sont déjà connus en arithmétique, par exemple le lemme d'Euclide. À partir de ce lemme on montre qu'aucun nombre ne peut être la racine carrée de 2. Ici, nombre signifie fraction positive non nulle car aucune autre formalisation n'est encore imaginable.
Les Éléments d'Euclide se fondent sur une axiomatique qui semble permettre de prouver à la fois qu'une proposition est vraie et fausse. Plus de deux millénaires seront nécessaires aux mathématiciens pour résoudre cette apparente contradiction, expliquer pourquoi les rationnels ne représentent qu'imparfaitement la droite réelle et trouver comment bien les représenter.
Trois siècles avant Euclide, Pythagore connaissait probablement l'irrationalité de certaines racines. En revanche, la première formalisation dans un véritable corpus mathématique construit nous vient d'Euclide.
La racine carrée de 2 est irrationnelleUne démonstration par l'absurde montre l'irrationalité de .
Supposons donc que soit un rationnel. Il existe deux entiers p et q (strictement positifs) tels que
- .
Quitte à simplifier par le P.G.C.D. de p et q, nous pouvons supposer p et q premiers entre eux (la fraction p / q est dite irréductible).
Nous élevons au carré, les deux membres pour obtenir
En multipliant par q2 les deux côtés, nous obtenons alors
Nous en déduisons que 2 divise p2=p×p et d'après le lemme d'Euclide puisque 2 est premier, nous en déduisons que 2 divise p, donc il existe k un entier tel que p=2k. Nous obtenons alors en simplifiant par 2 :
Cette égalité montre, d'après le lemme d'Euclide, que 2 divise q.
On a donc montré que 2 divise p et q, ce qui est contradictoire avec l'hypothèse de départ, où l'on avait supposé p et q premiers entre eux.
Développement décimal illimité non périodique
Si les fractions permettent effectivement d'exprimer toute longueur avec la précision souhaitée, il faut néanmoins comprendre que les opérations et particulièrement la division deviennent complexes si le système de numération n'est pas adapté. Le problème est décrit par l'article fraction égyptienne qui propose quelques exemples concrets.
Il faut attendre le Ve siècle pour voir l'école indienne découvrir le concept du zéro et développer un système de numération décimal et positionnel.
Un deuxième problème apparaît alors. Toutes les fractions possèdent un développement décimal dans la mesure où ce développement est infini et périodique, c'est-à-dire que la suite des décimales ne s'arrête pas mais boucle sur un nombre fini de valeurs. La question se pose alors de savoir quel sens donner à un objet caractérisé par une suite de décimales non périodique. Par exemple, le nombre à développement décimal infini qui s'exprime comme
- 0,1010010001... où le nombre de 0 entre les chiffres 1 croît indéfiniment, correspond-il à une longueur ?
Suites et séries
Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, on assiste à un extraordinaire épanouissement des mathématiques dans le domaine du calcul des séries et des suites.
Nicolaus Mercator, les Bernoulli, James Gregory, Godfried Leibniz, et d'autres travaillent sur des séries qui semblent converger mais dont la limite n'est pas rationnelle. C'est le cas par exemple :
- de la série de Mercator : qui converge vers
- de la série de Gregory : qui converge vers
Pire, Liouville en 1844, prouve l'existence de nombres transcendants c'est-à-dire non racine d'un polynôme à coefficients entiers. Il ne suffit donc pas de compléter les rationnels en y ajoutant les nombres algébriques pour obtenir l'ensemble de tous les nombres.
- des séries du type représentant les nombres de Liouville, où (an) est une suite d'entiers compris entre 0 et 9.
Le calcul infinitésimal
Durant la deuxième partie du XVIIe siècle, Isaac Newton et Gottfried Wilhelm von Leibniz inventent une toute nouvelle branche des mathématiques. On l'appelle maintenant l'analyse, à l'époque elle était connue sous le nom de calcul infinitésimal. Cette branche acquiert presque immédiatement une renommée immense car elle est la base d'une toute nouvelle théorie physique universelle : la théorie de la gravité newtonienne. Une des raisons de cette renommée est la résolution d'une vieille question, à savoir si la Terre tourne autour du Soleil ou l'inverse.
Or le calcul infinitésimal ne peut se démontrer rigoureusement dans l'ensemble des nombres rationnels. Si les calculs sont justes, ils sont exprimés dans un langage d'une grande complexité et les preuves procèdent plus de l'intuition géométrique que d'une explicitation rigoureuse au sens de notre époque.
L'impossibilité de la construction de l'analyse dans l'ensemble des fractions réside dans le fait que cette branche des mathématiques se fonde sur l'analyse des infiniment petits. Or, on peut comparer les nombres rationnels à une infinité de petits grains de sable (de taille infiniment petite) sur la droite réelle laissant infiniment plus de trous que de matière. L'analyse ne peut se contenter d'un tel support. Elle demande pour support un espace complet. Le mot est ici utilisé dans un double sens, le sens intuitif qui signifie que les petits trous en nombre infini doivent être bouchés et le sens que les mathématiciens donnent aujourd'hui plus abstrait mais rigoureusement formalisé.
Cette notion est tellement importante qu'elle deviendra à l'aube du XXe siècle une large branche des mathématiques appelée topologie.
Pourquoi R est indispensable pour l'analyseL'analyse suppose qu'une fonction réelle de la variable réelle est essentiellement connue par son comportement infinitésimal. Par exemple, si l'accélération d'une planète est connue à chaque instant et que sa position et sa vitesse initiales sont connues, alors il est possible d'en déduire la trajectoire exacte. Une chaîne de théorèmes, celle du théorème des accroissements finis qui se prouve par le théorème de Rolle qui se prouve par le théorème des bornes devient fausse sur les fractions rationnelles. Si on représente ce théorème en termes imagés, on peut décrire ces théorèmes de la manière suivante : pour le théorème des accroissements finis, si une voiture parcourt 120 km en 2 heures alors cette voiture se déplace au moins une fois à 60 km/h; pour le théorème de Rolle (respectivement le théorème des bornes), si une voiture part et arrive du même endroit sans jamais changer de route alors elle a fait au moins une fois demi-tour (respectivement il existe un moment où la voiture est le plus loin de son point de départ).
Ce sont ces théorèmes qui intuitivement sont si évidents, que l'on se demande même comment il est possible de les démontrer. Newton a poussé tellement loin les conséquences de ces évidences, que seules quelques rares personnes pouvaient à son époque véritablement comprendre son ouvrage majeur Philosophiae Naturalis Principia Mathematica. Les preuves se fondaient toujours in fine sur une intuition.
Explicitons alors pourquoi la démonstration du théorème des bornes impose une compréhension profonde de la nature topologique des nombres réels. Pour cela considérons la fonction f sur les rationnels de l'intervalle dans , où désigne l'ensemble des fractions rationnelles, définie par :
La fonction semble discontinue en un point dont le carré est égal à 2, mais ce point n'existe pas dans les rationnels, la fonction est donc continue partout où elle est définie. On remarque que les petits trous rompent notre notion intuitive de continuité. Un description infinitésimale ne peut donc décrire convenablement une fonction car les petits trous permettent des sauts qui ne sont pas décrits par le comportement infinitésimal. Notre notion intuitive de continuité n'a donc pas le même sens dans que dans . Plus l'abscisse se rapproche par la droite de ce point qui n'existe pas dans , plus elle augmente. Il n'existe donc aucun point qui atteint le maximum.
La droite réelle
Si l'existence des nombres négatifs apparaît très tôt dans l'histoire (mathématiques indiennes), il faut attendre 1770 pour qu'ils obtiennent grâce à Euler un vrai statut de nombre et perdent leur caractère d'artifice de calcul. Mais il faut attendre encore un siècle pour voir l'ensemble des réels associé à l'ensemble des points d'une droite orientée, appelée droite réelle.
On considère une droite D contenant un point O que l'on appellera, par convention, origine. Soit un point I distinct de O appartenant à D que l'on identifie au nombre 1. Par convention, on dira que la distance de O à I est égale à 1 et que l'orientation de la droite est celle de O vers I. À tout point M de la droite, on associe la distance entre O et M. Si M et I sont du même côté par rapport à O alors la distance est comptée positivement, sinon elle est négative.
Cette relation que la formalisation actuelle appelle bijection permet d'identifier un nombre réel à un point d'une droite.
L'abscisse du point Q est égale à , OI et OQ désignant les distances de O à I et de O à Q respectivement Après 2200 ans : la solution
La construction
Article détaillé : Construction des nombres réels
L'analyse permet une intuition de plus en plus précise sur la topologie des nombres. Un siècle sera alors suffisant pour permettre de construire rigoureusement les nombres réels c'est-à-dire boucher les trous.
Comme parfois en mathématiques, une fois le problème arrivé à maturité, ce n'est pas un, mais deux penseurs qui résolvent la difficulté.
Le premier à avoir défini un concept permettant de résoudre la problématique de la construction des nombres réels est Augustin Louis Cauchy. Son approche est restée la plus fructueuse. Elle s'applique à bien d'autres cas que celui des nombres réels. Son idée est la suivante: une suite de nombres devrait converger (c'est-à-dire avoir une limite), si, au bout d'un certain temps, tous les éléments de la suite sont à une distance les uns des autres aussi petite que l'on veut. Cette idée est formalisée dans l'article suite de Cauchy. Considérons la suite 1 puis 1,4 puis 1,41 et ainsi de suite en alignant une par une toutes les décimales de , cette suite vérifie le critère de Cauchy. Sa limite est un bon candidat pour représenter la racine carrée de 2 et cette approche permet de construire les nombres réels. Ce n'est que vers la fin du XIXe siècle que cette idée permet une construction rigoureuse de l'ensemble des réels qui est réalisée par deux mathématiciens Cantor en 1872 et Méray en 1869.
Le second est Richard Dedekind qui, en 1872, propose dans son ouvrage Was sind und was sollen die Zahlen (ce que sont et ce que doivent être les nombres) une méthode plus simple en étudiant la relation d'ordre sur les fractions. Son idée consiste à considérer les coupures, par exemple tous les nombres négatifs ou dont le carré est plus petit que 2. Cet objet est aussi un bon candidat pour représenter la racine carrée de 2.
Il existe une autre méthode à partir des développements décimaux, cependant l'addition puis la multiplication ne sont pas des opérations simples à définir. C'est probablement cette raison qui fait de cette approche la moins populaire.
Ces méthodes construisent toutes le même ensemble, celui des nombres réels.
La solution est plus riche que prévue
Le XIXe siècle montre que cette nouvelle structure, l'ensemble des nombres réels, ses opérations et sa relation d'ordre, non seulement remplit ses promesses mais va au-delà.
- Non seulement le paradoxe de la est résolu, mais également un théorème puissant : le Théorème des valeurs intermédiaires qui permet de construire toutes les fonctions réciproques nécessaires, aussi bien de la forme des radicaux avec les fonctions de type , que dans le cas des fonctions trigonométriques.
- Les développements décimaux infinis ont maintenant un sens. De plus, il devient possible de mieux comprendre les nombres réels et de les classifier. Ainsi, en dehors des fractions rationnelles on découvre le corps des nombres algébriques, c'est-à-dire des nombres qui sont racines d'un polynôme à coefficients entiers. Une nouvelle famille de nombres est exhibée : les transcendants qui ne sont racines d'aucune équation polynomiale à coefficients entiers. Les propriétés de ces nombres permettent la démonstration de vieilles conjectures comme la quadrature du cercle.
- Enfin, le Théorème de Rolle est généralisé et permet la démonstration d'un résultat essentiel pour l'analyse. Le comportement infinitésimal d'une fonction, par exemple le fait que la dérivée soit toujours positive, permet de déduire un comportement global. Cela signifie par exemple, que si un solide se déplace sur une droite avec une vitesse instantanée toujours positive, alors le solide a avancé, c'est-à-dire qu'il s'est déplacé positivement (vers « l'avant ») par rapport à l'origine. Cette problématique qui avait arrêté les Grecs, incapables de résoudre les paradoxes de Zénon, est définitivement comprise. Ce résultat, que l'intuition déclare évident, a demandé des siècles d'efforts.
- Dans le développement du calcul infinitésimal, la manipulation des infiniment petits peut alors être abordée différemment. L'ensemble des nombres réels ne pourra satisfaire tous les mathématiciens. Dans les années 1960, Abraham Robinson met en place la notion de nombre hyperréel et permet le développement de l'analyse non standard. Cette nouvelle théorie permet d'exprimer et de démontrer plus simplement certains résultats fondamentaux comme le Théorème de Bolzano-Weierstrass.
Nature : mathématiques et philosophie
L'évolution des concepts de nombre réel et de continuité est tout aussi philosophique que mathématique. Que les nombres réels forment une entité continue veut dire qu'il n'y a pas de « saut » ou de « bande interdite ». Intuitivement, c'est tout comme la perception humaine de l'espace ou de l'écoulement du temps. Certains philosophes conçoivent qu'il en est d'ailleurs exactement de même pour tous les phénomènes naturels. Ce concept est résumé par la devise du mathématicien et philosophe Leibniz : natura non facit saltus, « la nature ne fait pas de sauts ».
De la Grèce antique au début des Temps modernes
Article détaillé : Mathématiques de la Grèce antique.L'histoire de la continuité débute en Grèce antique. Au Ve siècle av. J.-C., les atomistes ne croient pas seulement que la nature est faite de « sauts », mais aussi qu'il existe des particules de base non divisibles, les atomes. Les synéchistes quant à eux clament que tout est connecté, continu [3]. Démocrite est un tenant d'une nature faite d'atomes intercalés de vide, tandis que Eudoxe le contredit, faisant de ses travaux certains des plus anciens précurseurs de l'analyse. Ceux-ci évoluent plus tard en ce que l'on connaît sous le nom de géométrie euclidienne.
Encore au XVIIe siècle, des mathématiciens énonçaient qu'une fonction continue est en fait constituée de lignes droites infiniment petites, c'est-à-dire infinitésimales. C'est ainsi que le concept d'infiniment petit, vu dans l'optique atomiste, peut promouvoir cette façon de concevoir la nature. La question d'infini est donc centrale à la compréhension de la continuité et des nombres réels.
Les paradoxes de Zénon illustrent la contre-intuitivité de la notion d'infini. L'un des plus connus est celui de la flèche, dans lequel on imagine une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise et si l'instant est trop court, alors la flèche n'a pas le temps de se déplacer et reste au repos pendant cet instant. Les instants suivants, elle reste immobile pour la même raison. La flèche est toujours immobile et ne peut pas se déplacer : le mouvement est impossible. Pour résoudre ce paradoxe, il faut additionner ces infiniment petits un nombre infini de fois, par la méthode de la limite, découverte au cours de l'évolution de l'analyse.
Histoire de l'analyse
Article détaillé : Histoire de l'analyse.Le concept de continuité des nombres réels est central en analyse, dès le début de son histoire. Une question fondamentale est de déterminer si une fonction donnée est en fait une fonction continue. Au XVIIIe siècle, on formulait cette question comme « est-ce qu'une variation infinitésimale dans son domaine engendre une variation infinitésimale dans son image ? » Au XIXe siècle, cette formulation est abandonnée et remplacée par celle des limites.
Dès le XVIIIe siècle, les infinitésimales tombent en disgrâce : elles sont dites d'utilité pratique, mais erronées, non nécessaires et contradictoires. Les limites les remplacent tout à fait et à partir du début du XXe siècle, les infinitésimales ne sont plus le soubassement de l'analyse. En mathématiques elles demeurent en quelque sorte des non-concepts, jusqu'à ce qu'on les réintroduise à grands frais en géométrie différentielle, leur donnant le statut mathématique de champ tensoriel.
Dans les sciences appliquées, en particulier en physique et en génie, on se sert toujours des infinitésimales. Ceci cause évidemment des problèmes de communication entre ces sciences et les mathématiques.
Définitions axiomatiques de et premières propriétés
Si l'on souhaite être bref, on peut caractériser l'ensemble des nombres réels que l'on note en général , par la phrase de David Hilbert : est le dernier corps commutatif archimédien et il est complet. « Dernier » signifie que tout corps commutatif archimédien est isomorphe à un sous ensemble de . Ici « isomorphe » signifie intuitivement qu'il possède la même forme, ou se comporte exactement de la même manière, on peut donc sans grande difficulté, dire qu'ils sont les mêmes.
Approche axiomatique
Une approche axiomatique consiste à caractériser un concept par une ou une série de définitions. Ce point de vue, dont Hilbert est le précurseur dans son formalisme moderne, s'est révélé extrêmement fécond au XXe siècle. Des notions comme la topologie, la théorie de la mesure, ou les probabilités se définissent maintenant par une axiomatique. Une approche axiomatique suppose une compréhension parfaite de la structure en question et permet une démonstration des théorèmes uniquement à partir de ces définitions. C'est la raison pour laquelle de bonnes définitions peuvent en mathématiques s'avérer si puissantes. L'approche axiomatique de ne montre néanmoins pas son existence. Il apparaît alors nécessaire de construire cette structure. Cette question est traitée dans l'article Construction des nombres réels.
La définition axiomatique nous est essentiellement donnée en introduction. est l'unique corps archimédien complet, un tel corps est nécessairement commutatif. Mais on trouve aussi d'autres définitions axiomatiques qui lui sont équivalentes. Ainsi :
- est l'unique corps totalement ordonné qui satisfait l'axiome de la borne supérieure.
- est l'unique corps totalement ordonné qui satisfait le lemme de Cousin.
L'unicité signifie ici que, si K est un corps totalement ordonné possédant la propriété de la borne supérieure, il existe un unique isomorphisme strictement croissant de K dans .
- est un corps. a donc une structure algébrique pure, autrement dit toutes ses lois sont internes. En effet l'addition (respectivement la multiplication) s'appliquent à deux nombres réels pour donner un troisième nombre réel. est un corps commutatif. Ses deux opérations, l'addition et la multiplication, possèdent donc toutes les propriétés usuelles.
- est un corps totalement ordonné . Cela signifie que tous les nombres peuvent être comparés entre eux (l'un est soit plus grand, soit plus petit, soit égal à l'autre) et que cette relation respecte l'addition et la multiplication. En langage mathématique on a:
-
- ;
-
- L'axiome de la borne supérieure s'exprime de la manière suivante : si un ensemble A est non vide et majoré, autrement dit s'il existe un nombre donné plus grand ou égal à chaque élément de A; alors A admet une borne supérieure, c'est le plus petit des majorants.
Ce dernier axiome différencie de tous les autres corps. Il existe en effet une infinité de corps commutatifs totalement ordonnés, mais un seul satisfait l'axiome de la borne supérieure.
- est archimédien. Cela signifie que si l'on considère un nombre a strictement positif, par exemple 2 et que l'on considère la suite a, 2a, 3a, ... C’est-à-dire dans notre exemple 2, 4, 6, ... alors on obtiendra dans la suite, des nombres aussi grands que l'on veut. En langage mathématique, cela s'écrit :
- est un corps complet. C'est-à-dire que toute suite de Cauchy réelle converge.
DémonstrationsIl s'agit de démontrer l'équivalence entre les deux définitions axiomatiques.
- Si est un corps totalement ordonné vérifiant la propriété de la borne supérieure alors est archimédien. Soit un élément de , et un élément de . Il s'agit de trouver un entier tel que .
- Si , il suffit de prendre
- Sinon, on considère l'ensemble . est non vide et majoré par donc possède une borne supérieure . L'élément n'est donc pas un majorant de , il existe donc un entier tel que alors donc donc .
- Si est un corps totalement ordonné vérifiant la propriété de la borne supérieure alors est complet. Soit une suite de Cauchy dans , il s'agit de prouver que converge. Une suite de Cauchy est toujours bornée. Il en est de même de l'ensemble non vide et borné, il possède une borne supérieure et une borne inférieure . On va prouver que les suites et sont adjacentes.
- est décroissante. En effet est un majorant de donc de donc .
- est croissante. Démonstration analogue.
- Pour tout , il existe tel que, pour tout et tels que , (car la suite est de Cauchy). est donc un majorant de donc . De même . Donc donc . La suite converge donc vers 0.
- Deux suites adjacentes convergent vers la même limite (c'est une conséquence directe de la propriété de la borne supérieure - voir plus bas). On note cette limite. On sait que . D'après la remarque précédente, pour tout , il existe tel que, pour tout , . Comme , on aura . Ce qui confirme que la suite converge vers .
- Tout corps commutatif archimédien complet vérifie la propriété de la borne supérieure. La démonstration est analogue à celle utilisée pour la construction des nombres réels par les suites de Cauchy
Premières propriétés
Cette section est essentiellement technique. Elle traite des propriétés essentielles et élémentaires pour un travail analytique sur .
La propriété suivante provient du fait que est archimédien.
- Entre deux réels distincts, il existe toujours un rationnel et un irrationnel.
Les autres propriétés sont des conséquences de la propriété de la borne supérieure.
- Tout ensemble non vide et minoré de admet une borne inférieure.
- Toute suite croissante et majorée dans est convergente.
- Toute suite décroissante et minorée dans est convergente.
- Deux suites adjacentes convergent vers la même limite. On appelle suites adjacentes deux suites, l'une croissante, l'autre décroissante, dont la différence tend vers 0.
Démonstrations- Tout ensemble non vide et minoré de admet une borne inférieure. La démonstration est analogue à celle de l'axiome de la borne supérieure.
- Toute suite croissante et majorée dans est convergente. Considérons l'ensemble d'arrivée de cette suite. Il est non vide et majoré. Il admet donc une borne supérieure que nous notons l. Tout élément strictement plus petit que l n'est pas une borne supérieure. On en déduit donc:
-
- La suite est croissante, on en déduit que la proposition (1) s'écrit aussi:
- La proposition (2) est la définition de la convergence de la suite .
- Toute suite décroissante et minorée dans est convergente. La démonstration est analogue à la précédente.
- Deux suites adjacentes convergent vers la même limite. voir théorème des suites adjacentes
- Entre deux réels distincts, il existe toujours un rationnel. Soit deux réels distincts. Notons le plus petit et le plus grand . Montrons qu'il existe un rationnel entre les deux. Appelons le réel strictement positif . étant archimédien, il existe un entier tel que . On considère alors l'ensemble des entiers relatifs tels que . Comme est archimédien, cet ensemble est non vide et majoré. Il admet alors un plus grand élément tel que . Le rationnel est bien strictement compris entre et .
- Entre deux réels distincts, il existe toujours un irrationnel. Pour cela, nous devons considérer un irrationnel. Or est irrationnel d'après une démonstration donnée dans l'appendice. Montrer l'existence d'une telle valeur est aisé, il suffit de considérer une suite rationnelle convergeant vers cette valeur. L'article Fraction continue en donne un exemple dans la section Équation de Pell. On prend les réels et , d'après la propriété précédente, il existe un rationnel compris entre et , puis en multipliant par , il existe un irrationnel compris entre et .
Clôture algébrique
Il existe un ensemble de fonctions particulièrement intéressantes, les polynômes. Un polynôme peut parfois être factorisé. C'est-à-dire qu'il s'exprime sous la forme de produit de polynômes non constants de degrés plus petits. L'idéal étant que l'on puisse factoriser tout polynôme en facteurs de degré 1 (c'est-à-dire sous la forme ). Cette propriété dépend du corps sur lequel on construit ces polynômes. Par exemple sur le corps des rationnels, quel que soit n entier supérieur ou égal à deux, il existe des polynômes de degré n irréductibles, c'est-à-dire que l'on ne peut pas les exprimer sous forme de produit de polynômes de degrés plus petits. Pour les nombres réels, on démontre que le plus grand degré d'un polynôme irréductible est égal à deux. En d'autres termes, si le polynôme ne se décompose pas, c'est qu'il est de la forme . Les corps qui n'ont comme polynômes irréductibles que les polynômes de degré 1 sont dit algébriquement clos.
Si n'est pas algébriquement clos, on peut plonger ce corps dans un corps plus vaste. Il s'agit d'un nouveau corps, le corps des nombres complexes. Cependant ce corps n'est pas globalement « meilleur ». Sa clôture algébrique est une propriété fort intéressante, mais elle a un coût : le corps des complexes ne peut pas posséder de relation d'ordre compatible avec ses deux opérations. En quelque sorte, ce qui est gagné d'un côté est perdu d'un autre.
Topologie
La raison d'être des nombres réels est d'offrir un ensemble de nombres avec les bonnes propriétés permettant la construction de l'analyse. Deux approches utilisant deux concepts différents sont possibles.
- On peut utiliser la notion d'espace métrique qui sur associe la distance usuelle. Cette distance, que l'on ici note , était déjà utilisée par Euclide. Elle est définie de la manière suivante:
-
- Ce concept est le plus intuitif et en général demande des démonstrations un peu plus naturelles. C'est souvent à partir de ce concept que les propriétés analytiques de sont développées et prouvées.
- On peut aussi utiliser la théorie de la topologie. Cette théorie est plus générale que celle associée à la distance. Tout espace métrique est associé à un espace topologique. Mais la réciproque n'est pas vraie.
L'élégance favorise la base axiomatique la plus faible. Au XXe siècle un travail de reformulation générale des mathématiques est entrepris par l'association Bourbaki et se traduit par la rédaction d'un ouvrage appelé Éléments de mathématique. Cet ouvrage traite, de manière rigoureuse, d'une vaste partie des mathématiques actuelles. Pour cette raison, les Éléments développent et démontrent les propriétés de l'ensemble des réels à partir de la topologie. C'est le choix que nous suivrons ici.
Propriétés- Soit un nombre réel. Un voisinage de est un ensemble contenant un intervalle ouvert contenant . Démonstration dans l'article Voisinage.
- est un espace séparé.
- est partout dense dans . Démonstration dans l'article Adhérence.
- Les ouverts de sont les réunions quelconques d'intervalles ouverts. Démonstration dans l'article Voisinage.
- Les compacts de sont les fermés bornés. Cette propriété permet une démonstration simple et rapide du Théorème des bornes. En particulier les segments sont compacts. Démonstration dans l'article Espace compact.
- Toutes suites bornée de admet une sous-suite convergente. Démonstration dans l'article Théorème de Bolzano-Weierstrass
- est connexe et simplement connexe. Démonstration dans les articles Connexité et Connexité simple.
- Les connexes de sont les intervalles. Cette propriété permet une démonstration simple et rapide du Théorème des valeurs intermédiaires. Démonstration dans l'article Connexité.
- Théorème des fermés emboîtés. Soit une suite de fermés bornés emboités non vides. Alors leur intersection est non vide. En termes mathématiques, cela signifie que:
-
- .
- En effet, considérons une suite qui vérifie la propriété . C'est une suite bornée, elle admet donc une sous-suite convergente. Sa limite est adhérente à tout intervalle et comme cet ensemble est un fermé, il contient tous ses points adhérents.
Cardinalité
Article détaillé : Histoire de la logique.Article détaillé : Nombre transfini.Combien y a-t-il de nombres réels ? Une infinité, mais laquelle ? Il existe plusieurs cardinaux infinis. Ici cardinal peut se comprendre naïvement comme le nombre d'éléments que contient un ensemble. Dans le cas où les ensembles ne sont pas finis, notre première intuition est trompeuse. Pour comprendre le piège, comparons le cardinal des nombres entiers positifs et des nombres pairs positifs. Notre premier réflexe est de dire que le cardinal des entiers positifs est plus grand car cet ensemble contient, non seulement les nombres pairs mais en plus les nombres impairs, donc deux fois plus de nombres. Puis on peut se dire que l'application qui, à un nombre entier positif, associe le double de ce nombre, montre une correspondance bijective, c'est-à-dire qui associe à chaque nombre de l'ensemble de départ un et un unique élément dans l'ensemble d'arrivée. Notre premier réflexe n'est pas le bon et ne permet pas de construire de théorie des cardinaux. Les deux cardinaux sont en fait égaux. En fait, l'ensemble des entiers positifs et l'ensemble des entiers pairs positifs (ou impairs positifs) correspondent à un même cardinal dit dénombrable. Autrement dit, il y a autant de nombres entiers positifs que de nombres pairs (ou impairs) positifs !
Qu'en est-il du cardinal des nombres rationnels ? Il semble infiniment plus grand que celui des entiers car entre deux entiers il existe une infinité de fractions. Cependant, il est encore possible d'établir une bijection entre l'ensemble des entiers et celui des fractions. La démonstration en est donnée dans l'article ensemble dénombrable.
Posons nous alors la même question pour l'ensemble . Son cardinal n'est pas dénombrable, il est supérieur à celui des nombres entiers. Le cardinal des nombres rationnels est noté et se prononce aleph 0. Celui des nombres réels est noté ou et il est appelé le cardinal du continu. D'où provient ce changement d'échelle de cardinal ? En fait, les rationnels et même les nombres algébriques ont toujours un cardinal dénombrable. L'ensemble des nombres réels possède le cardinal du continu. Ils sont donc infiniment plus nombreux que les nombres algébriques et donc que les nombres entiers. Georg Cantor, génial inventeur de l'argument de la diagonale, établit cette théorie et se pose la question de l'existence d'un cardinal strictement plus grand que celui des nombres rationnels et strictement plus petit que celui des nombres réels. Son hypothèse est qu'un tel cardinal n'existe pas, on l'appelle l'hypothèse du continu. Cette conjecture est fondamentale dans l'histoire des mathématiques à deux titres :
- Tout d'abord la question des cardinaux a été englobée par Cantor dans une théorie plus vaste, la théorie des ensembles, qui sert maintenant de fondement à toute la Mathématique. L'intégralité du formalisme et de la construction des mathématiques possède pour fondation cette théorie.
- Ensuite la réponse à la question de l'hypothèse du continu est réellement étrange, il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour la trouver. Elle est indécidable. Cela signifie qu'il est aussi impossible de démontrer l'existence d'un tel ensemble, que de montrer que cet ensemble n'existe pas, si l'on ne modifie pas la base axiomatique utilisée, ce qui par exemple débouche sur la théorie de l'analyse non standard.
Une rumeur prétend que cette question a fini par rendre Cantor fou. Ce que l'on peut affirmer, c'est que Cantor a travaillé sur ce problème, qu'il ne l'a jamais résolu et qu'il était atteint d'une psychose maniaco-dépressive.
DémonstrationMontrons que le cardinal de l'intervalle n'est pas dénombrable. Pour cela il nous faut montrer qu'une suite injective dans n'est jamais surjective. Il nous suffit de trouver un point qui n'est pas dans l'ensemble d'arrivée de la suite. Pour cela construisons deux suites , définies par récurrence telles que la proposition suivante soit vraie:
Initialisons nos deux suites par les définitions suivantes :
Il est évident que la propriété (1) est vraie si n est égal à 0. Définissons alors nos suites pour le rang .
L'intervalle est inclus dans l'intervalle , il ne peut contenir d'élément de la suite d'ordre strictement inférieur à par hypothèse de récurrence. Par construction des suites et , l'intervalle ne peut pas non plus contenir et la propriété (1) est vérifiée.
est une suite d'intervalles fermés emboités. Son intersection est non vide et contient donc au moins un élément . Pour conclure, il suffit de remarquer que n'est jamais une valeur de la suite pour les premières valeurs. Comme est quelconque, nous avons démontré la proposition.
Rem : une autre démonstration est possible et est développée dans l'article : Argument de la diagonale de Cantor
Construction des nombres réels
Article détaillé : construction des nombres réels.Sources
Liens internes
Liens externes
- Histoire des nombres
- Chronomath
- Construction des nombres réels
- [pdf] Une histoire des mathématiques
- J.J. O'Connor et E.F. Robertson, School of Mathematics and Statistics, University of St Andrews.
- (en) Histoire des nombres réels, première partie : de Pythagore à Stevin ;
- (en) Histoire des nombres réels, seconde partie : de Stevin à Hilbert.
- (en) Étude plus approfondie.
- (histoire des sciences) L'article de 1874 de Cantor sur la non-dénombrabilité des réels en ligne et commenté sur le site BibNum.
Références
- Richard Mankiewicz Christian Jeanmougin Denis Guedj, Une histoire des mathématiques, Éditions Seuil
- Denis Guedj, L'empire des nombres, Éditions Gallimard
- J. Dhombres et al., Mathématiques au fil des âges [détail des éditions]
- Nicolas Bourbaki, Éléments d'histoire des mathématiques, Édition Masson
Livres historiques de mathématiques
- Euclide, Les Éléments Vol 4 Livre XI à XIII, Édition Puf
- Isaac Newton, préface de Voltaire et traduction d'Émilie du Châtelet, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Édition Dunod
Références sur les nombres réels et l'analyse élémentaire
- Nicolas Bourbaki, Éléments de mathématique - Les structures fondamentales de l'analyse - Livre III - Topologie générale
- Nicolas Bourbaki, Éléments de mathématique - Les structures fondamentales de l'analyse - Livre IV - Fonctions d'une variable réelle (Théorie élémentaire)
- Roger Godement, Analyse mathématique
Notes
- ↑ En effet, un nombre (réel) est rationnel si son développement décimal est périodique. Par exemple, 1/3=0,333333... est bien rationnel.
- ↑ Voir aussi Démonstration de l'égalité entre 0,9999... et 1.
- ↑ (en) Continuity and Infinitesimals, de l'encyclopédie de philosophie Stanford, en ligne.
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