- Lemme de Cousin
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En mathématiques, le lemme de Cousin[1] est une propriété de la droite réelle équivalente à l'existence de la borne supérieure pour les parties majorées de . Il joue un rôle important dans l'intégrale de Kurzweil-Henstock, mais permet également de démontrer directement des théorèmes d'analyse.
Énoncé
Le lemme de Cousin s'énonce comme suit :
Soit un segment [a, b] de et soit une fonction δ définie sur [a, b] à valeurs strictement positives (appelée jauge). Alors il existe une subdivision finie a = x0 < x1 < ... < xn = b et des nombres t1, ..., tn tels que, pour tout i, . On dit que ti marque le segment [xi − 1,xi], et que la subdivision {xi} marquée par les points ti est plus fine que δ.
DémonstrationConsidérons l'ensemble C des réels y éléments de [a, b] tels que la propriété de Cousin est vraie sur le segment [a, y]. C contient l'élément y = a et est majoré par b. Il admet donc une borne supérieure c. Comme c − δ(c) < c, il existe un élément d de C tel que c − δ(c) < d. La propriété de Cousin est alors vraie sur [a, d], et il existe une subdivision marquée finie plus fine que δ commençant par a et finissant par d. Si on joint à cette subdivision l'intervalle [d, c] marqué par c, on obtient une subdivision marquée de [a, c], plus fine que δ, ce qui prouve que c est élément de C et est donc le maximum de C. Il en résulte que c = b, sinon on rajoute également l'intervalle [c,c + δ(c) / 2] marqué par c, ce qui donne une subdivision marquée de [a,c + δ(c) / 2] plus fine que δ, impliquant que c + δ(c) / 2 appartient à C et contredisant la maximalité de c.L'intégrale de Kurzweil-Henstock
Article détaillé : Intégrale de Kurzweil-Henstock.L'intégrale de Riemann est une définition de l'intégrale généralement accessible aux étudiants de premier cycle universitaire, mais elle présente plusieurs inconvénients. Un certain nombre de fonctions relativement simples ne possèdent pas d'intégrale au sens de Riemann, par exemple la fonction de Dirichlet. Par ailleurs, cette théorie de l'intégration est trop faible pour démontrer des théorèmes puissants d'intégration, tels que le théorème de convergence dominée, le théorème de convergence monotone ou le théorème d'interversion série-intégrale. Ces lacunes sont comblées par l'intégrale de Lebesgue mais celle-ci est plus complexe et difficilement accessible dans les premières années du supérieur.
Kurzweil et Henstock ont proposé une théorie de l'intégration, guère plus difficile que la théorie de Riemann, mais aussi puissante que la théorie de Lebesgue, en posant :
Une fonction f bornée ou non sur un segment [a, b] est intégrable au sens de Kurzweil-Henstock ou KH-intégrable, d'intégrale I, si, pour tout , il existe une fonction jauge δ, telle que, pour toute subdivision {xi} marquée par les ti, plus fine que δ, on a :
Si on prend des jauges constantes, on retrouve l'intégrale de Riemann.
Dans cette théorie, le lemme de Cousin joue un rôle essentiel.
Quelques applications en analyse
Nous donnons ci-dessous quelques exemples de propriétés susceptibles d'être directement démontrées au moyen du lemme de Cousin. Dans chacun des cas, il suffit de choisir une jauge adéquate[2].
Existence de la borne supérieure
La propriété de Cousin peut servir de propriété caractéristique de dans le sens où, si on l'admet, elle permet de démontrer l'existence de la borne supérieure pour une partie non vide majorée A. Il suffit en effet de choisir a dans A et b un majorant de A. On définit ensuite la jauge suivante sur [a,b] :
- (i) si t ne majore pas A, il existe c dans A tel que t < c. On prend alors δ(t) = c − t.
- (ii) Si t majore A sans être le plus petit majorant, il existe c majorant de A tel que c < t. On pose alors δ(t) = t − c
- (iii) Si t est le plus petit majorant de A (autrement dit la borne supérieure cherchée), on prend δ(t) quelconque strictement positif.
Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision marquée finie plus fine que δ et cela impose qu'une des marques soit du type (iii). En effet, les subdivisions finies marquées uniquement par des points du type (i) ou (ii) ne permettent pas de recouvrir entièrement .
Le théorème des bornes
Soit f continue sur un segment [a, b]. Montrons que f admet un maximum.
- (i) Si t est tel que f(t) soit le maximum cherché, prendre δ(t) quelconque strictement positif.
- (ii) Sinon, il existe y dans [a,b] tel que f(t) < f(y). f étant continue, il existe δ(t) > 0 tel que, pour tout x élément de ]t − δ(t),t + δ(t)[, f(x) < f(y).
Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision marquée finie plus fine que δ et cela impose qu'une des marques soit du type (i). En effet, les subdivisions finies marquées uniquement par des points du type (ii) ne permettent pas de recouvrir entièrement [a,b]. Si tel était le cas, on aurait une subdivision finie {xi} marquée par des points {ti}, et pour chaque i, il existe yi tel que f(ti) < f(yi). Soit k tel que f(yk) soit le plus grand des f(yi). yk est dans l'un des intervalles [xi-1, xi] de la subdivision, mais il doit alors vérifier, comme les autres éléments de cet intervalle : f(yk) < f(yi), ce qui est contradictoire avec la maximalité de f(yk).
Le théorème des valeurs intermédiaires
Soit f définie sur [a, b].
- (i) Si f(t) < 0, f étant continue, il existe δ(t) > 0 tel que f reste strictement négative sur l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[.
- (ii) Si f(t) > 0, f étant continue, il existe δ(t) > 0 tel que f reste strictement positive sur l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[.
- (iii) Si f(t) = 0, prendre δ(t) quelconque strictement positif.
Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision marquée finie plus fine que δ. S'il n'existe pas de marqueur du type (iii), alors nécessairement f est de signe constant. En effet, les conditions (i) et (ii) impose que f garde un signe constant sur tout intervalle [xi-1, xi] de la subdivision, et le signe de f sera le signe commun à tous les xi, et ceci sur tout l'intervalle [a, b].
Le théorème de Heine dans le cas réel
Soit continue sur , et soit . Pour tout , il existe tel que, pour tout de , on a Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision finie marquée par les points , plus fine que . Choisissons . Si et sont tels que , et si est dans l'intervalle [xi − 1;xi] marquée par , alors et se trouvent tous deux à une distance de inférieure à , de sorte que et . Il en résulte que . On a ainsi montré que était uniformément continue.
Approximation d'une fonction continue par des fonctions en escalier
Soit f une fonction continue sur un segment [a,b]. Soit ε > 0. f étant continue, pour tout t de [a,b], il existe δ(t) > 0 tel que, pour tout x de ]t − δ(t),t + δ(t)[, on a . Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision {xi} finie marquée par les points ti, plus fine que δ. Considérons alors la fonction en escalier φ définie comme suit :
- φ(xi) = f(xi)
- Pour tout x élément de ]xi − 1,xi[, φ(x) = f(ti)
Alors φ approche f uniformément à moins de près.
Le théorème de relèvement
Soit f une fonction continue sur un segment I de à valeurs dans le cercle unité du plan complexe. Par continuité de f, pour tout x de I, il existe δ(x) strictement positif assez petit tel que l'image par f de l'intervalle [x − δ(x),x + δ(x)] soit entièrement inclus dans une partie de de la forme . f possède alors un relèvement local sur [x − δ(x),x + δ(x)]. Par exemple, si f([x − δ(x),x + δ(x)]) est inclus dans , on prendra comme relèvement la fonction θ égale à arccos(Re(f)), défini à un multiple de 2π près. Si on considère une subdivision (xi) de I plus fine que δ, on obtient un relèvement local θi sur chaque sous-intervalle [xi − 1,xi] de la subdivision. On obtiendra un relèvement global continu en remplaçant au besoin θi + 1 par θi + 1 + θi(xi) − θi + 1(xi), de façon à obtenir la continuité au point xi.
Le théorème de Bolzano-Weierstrass dans le cas réel
Soit (un) une suite réelle contenue dans un segment [a, b].
- (i) Si t est une valeur d'adhérence de la suite, on prend δ(t) quelconque strictement positif.
- (ii) Sinon, il existe δ(t) > 0 tel que l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[ ne possède qu'un nombre fini de termes de la suite.
Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision marquée finie plus fine que δ. Cela impose nécessairement au moins un marqueur du type (i), car si tous les marqueurs étaient du type (ii), la suite n'aurait qu'un nombre fini de termes.
Le théorème de Borel-Lebesgue dans le cas réel
Soit (Oi) une famille d'ouverts recouvrant un segment [a,b]. Pour tout t de [a,b], t est dans l'un des Oi. Ce dernier étant ouvert, il existe δ(t) > 0 tel que l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[ soit inclus dans Oi. Le lemme de Cousin affirme l'existence d'une subdivision marquée finie plus fine que δ. Chaque intervalle de cette subdivision est inclus dans l'un des Oi, ce qui définit un recouvrement de [a,b] par un nombre fini d'ouverts Oi.
Fonction continue à dérivée nulle sauf sur un ensemble dénombrable
Soit f une fonction continue définie sur et telle que sa dérivée f' soit définie et nulle, sauf en un nombre dénombrable de points. Alors f est constante. En effet, soit . Posons :
- (i) Si t est égal à l'un des points tn, n entier, en lequel la dérivée n'est pas définie ou n'est pas nulle, utilisant la continuité de f, choisissons δ(tn) > 0 tel que, pour tout x dans ]tn − δ(tn),tn + δ(tn)[, . Remarquons que la variation de f sur l'intervalle ]tn − δ(tn),tn + δ(tn)[ est au plus de , et que la somme de ces variations sur tous ces intervalles lorsque n décrit l'ensemble des entiers, est majoré par .
- (ii) Sinon, f'(t) = 0 et il existe δ(t) > 0 tel que, pour tout x élément de ]t − δ(t),t + δ(t)[, on ait . Remarquons que la variation de f sur l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[ est au plus de fois la longueur de l'intervalle, et que la somme de ces variations sur un réunion de tels intervalles est majoré par fois la somme des longueurs des intervalles.
Alors, pour tout a < b, l'application du lemme de Cousin sur [a, b] fournit une subdivision marquée finie plus fine que δ. En distinguant les marqueurs du type (i) et du type (ii), on obtient , b - a étant un majorant de la somme des longueurs des intervalles de la subdivision du type (ii). L'inégalité étant vraie pour tout , il en résulte que f(a) = f(b).
Fonction lipschitzienne à dérivée nulle presque partout
Soit f une application lipschitzienne de rapport M définie sur et telle que sa dérivée f' soit définie et nulle presque partout. Alors f est constante. En effet, soit et soit U un ouvert de mesure inférieure à contenant les points où la dérivée de f est non nulle ou non définie.
- (i) Si t est un point de U, choisissons δ(t) > 0 tel que ]t − δ(t),t + δ(t)[ soit inclus dans U. Pour tout x et tout y dans cet intervalle, | f(x) − f(y) | < M | x − y | . Remarquons que la variation de f sur cet intervalle est au plus de M fois la longueur de l'intervalle, et que la somme des longueurs de tels intervalles disjoints (sauf en leur extrémité) est inférieure à la mesure de U.
- (ii) Sinon, f'(t) = 0 et il existe δ(t) > 0 tel que, pour tout x élément de ]t − δ(t),t + δ(t)[, on ait . Remarquons que la variation de f sur l'intervalle ]t − δ(t),t + δ(t)[ est au plus de fois la longueur de l'intervalle, et que la somme de ces variations sur un réunion de tels intervalles est majoré par fois la somme des longueurs des intervalles.
Alors, pour tout a < b, l'application du lemme de Cousin sur [a, b] fournit une subdivision marquée finie plus fine que δ. En distinguant les marqueurs du type (i) et du type (ii), on obtient , b - a étant un majorant de la somme des longueurs des intervalles de la subdivision du type (ii). L'inégalité étant vraie pour tout , il en résulte que f(a) = f(b).
Une démonstration analogue s'applique aux fonctions absolument continues.
Le théorème fondamental de l'analyse
Soit F dérivable sur [a, b] de dérivée f. Alors f est KH-intégrable et . Il n'est pas nécessaire pour cela de supposer f continue. En effet, soit . Pour tout t de [a,b], il existe δ(t) > 0 tel que, pour tout x élément de ]t − δ(t),t + δ(t)[, on a :
ou encore :
Pour toute subdivision finie plus fine que δ, on aura, donc, en ce qui concerne l'intervalle [xi-1, xi] marqué par le point ti :
donc :
donc :
ou enfin :
Or cette inégalité signifie que f est KH-intégrable et que son intégrale vaut F(b) - F(a).
On peut montrer que la conclusion reste vraie si F est dérivable sauf en un nombre dénombrable de points.
Bibliographie
- Pierre Cousin, Sur les fonctions de n variables complexes, Acta Math. 19 (1895) 1-62
Notes et Références
- du nom du mathématicien français Pierre Cousin (1867-1933)
- Brian S. Thomson, Rethinking the elementary real analysis course, Amer. Math. Monthly, 114 (2007) 469-490
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