- Geopolitique du petrole
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Géopolitique du pétrole
La géopolitique du pétrole décrit l'impact des besoins en pétrole, la matière première la plus importante de toutes, sur le comportement des nations. Le pétrole est vite devenu essentiel à la vie économique des pays riches, mais ses gisements sont limités, et les plus importants ne se trouvent pas chez les plus grands consommateurs. Ceux-ci étant souvent de grandes puissances militaires, les moyens employés peuvent être violents, et en font une matière hautement stratégique, tendue, et fréquemment associée aux affrontements internationaux depuis le début du XXe siècle. Parfois connue de tous, parfois dissimulée ou mensongère, elle accompagne et traduit la puissance des nations.
La géographie des pays s'impose aux peuples ; ses caractéristiques se révèlent avantages ou inconvénients au gré des circonstances, mais aussi des décisions prises, parfois des siècles plus tôt, par les dirigeants. Le XXe siècle, accélérateur entre tous, entrechoque nations et passions, et montre sur une même page décisions et conséquences.
Sommaire
Les enjeux
Importance économique
En 2008, sur les 20 premières entreprises privées mondiales, 12 sont des compagnies pétrolières ou des constructeurs d'automobiles[1]. Sans pétrole, la majorité des actifs des pays riches ne pourraient même plus aller travailler le matin, ce qui poserait rapidement des problèmes de ravitaillement. Le pétrole a ainsi envahi toutes les strates du fonctionnement de nos sociétés, en à peine plus d'un siècle. Son importance stratégique est reconnue depuis la première guerre mondiale. Le pétrole est une "commodité", une matière première vendue en quantités telles, que son commerce est organisé à l'échelle mondiale, et cela depuis 1928. En 2009, le seul commerce du pétrole (donc sans compter les activités aval) représente des échanges de l'ordre de 6 milliards de dollars par jour. Cette commodité vient souvent d'ailleurs : l'Europe et les États-Unis en importent chaque jour 1,5 million de tonnes (ou 10 millions de barils)[2] chacun. Ainsi, le commerce du pétrole suscite des convoitises considérables ; il exige des gouvernements, responsables du bon fonctionnement de leurs états, une surveillance permanente, et les conduit à des comportements parfois extrêmes pour s'assurer de son approvisionnement régulier.
Le contrôle des gisements
En 1900, la capacité de projection des États était réduite à la portée de leurs armées ; pour s'assurer de l'approvisionnement en pétrole, ils n'avaient d'autre possibilité que d'occuper le terrain - c'est la diplomatie de la canonnière. Plus tard, il fut moins coûteux d'entretenir, ou d'installer, des régimes favorables dans les pays exportateurs - l'opération Ajax, en 1953, en est un exemple typique et bien documenté. A partir de 1979 environ, les effets de la mondialisation, la volonté croissante d'autonomie des pays producteurs, le recours aux règles du commerce international, la crainte des effets en retour ((en)« Blowback ») consécutifs à des interventions trop musclées, l'obsession de la sécurité d'approvisionnement génèrent l'émergence de méthodes plus fines, parmi elles la « diplomatie du pipeline » (« pipeline diplomacy »). En 2009, les États et leurs représentants ont toujours recours à un mélange de ces diverses méthodes. Enfin le prix reste une composante fondamentale.
Cet ensemble de méthodes a permis aux pays consommateurs de ne jamais souffrir de pénurie de pétrole, en dehors de périodes très limitées telles que : France en 1917, Allemagne en 1945, et 1979.
Le contrôle des détroits
La géostratégie des détroits par lesquels passent les pétroliers constitue le second enjeu, celui du transport pétrolier.
Près de 20 % du commerce mondial (et 40 % des exportations) du pétrole emprunte le détroit d'Ormuz[3] ; aujourd'hui, il est inconcevable qu'il soit fermé, ou même menacé. Les pays limitrophes sont l'Iran, Oman, les Emirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite, il est au cœur de l'une des régions les plus convoitées de la planète. La Cinquième flotte étatsunienne y stationne.
Les approvisionnements européens dépendaient très largement du canal de Suez ; ce dernier a été fermé de 1967 à 1973, et les pétroliers ont du rallonger leur route pour contourner le Cap de Bonne-Espérance, ce qui a poussé les armateurs à construire des pétroliers de taille considérable, (VLCC et ULCC). Cette interruption n'a pas suffi à bloquer l'approvisionnement européen. La présence d'un pipeline (Sumed) qui double le canal avec une capacité de 2,5 Mbl/j affaiblit encore la menace ; cependant, une occupation physique des lieux reste une menace.
Enfin ceux du Japon et de la Chine passent par le détroit de Malacca, toujours affecté par des actes de piraterie. La Chine cherchait en 2006 à passer contrat avec la Thaïlande pour faire passer son pétrole par voie de terre et doubler ainsi l'alimentation par le détroit ; la réactivation du pipeline qui double le Canal de Panamá est en cours (2009)[4].
Les menaces qui s'exercent sur les détroits peuvent être de nature militaire, mais aussi terroriste ou même la piraterie, qui connait des regains périodiques.
La tentation du cartel
Comme toutes les matières premières, le commerce du pétrole est en butte aux aléas du cycle pénurie-surproduction : suite à une demande en hausse, le cours du pétrole monte, poussant les compagnies pétrolières à investir pour découvrir de nouveaux gisements ; quand cela se produit, ce nouveau gisement est tellement abondant que le cours du pétrole s'effondre. Cela était particulièrement vrai dans la première moitié du XXe siècle, quand les grands gisements du Moyen-Orient, qui excédaient largement la demande, ont été découverts. Ces perturbations, qui pouvaient mener à la faillite des compagnies, étaient bien connues, et particulièrement craintes de deux personnages qui ont beaucoup influencé le commerce du pétrole, John D. Rockefeller et Henri Deterding, président de Shell. Ils ont été les acteurs principaux de la cartellisation du domaine pétrolier au début du XXe siècle. En 2008, les ententes illicites existent toujours dans l'industrie.
Monnaie unique et mouvements de capitaux
Le pétrole se paie en dollars - oublié le temps où les Etas-Unis fondaient des pièces d'or pour les livrer à l'Arabie Saoudite. Cette exclusivité accroît le poids déjà considérable de cette monnaie dans les échanges internationaux : les États-Unis useront de cette position de force pour menacer le Royaume-Uni, pendant la crise de Suez, de faire chuter la Livre Sterling. Mais elle génère, dans les périodes de hausse de cours, des quantités excessives de pétrodollars qui aboutissent, au moins en partie, sur les bourses occidentales, provoquant des bulles financières aux effets non souhaités. De plus, quand le dollar fléchit, les revenus des états producteurs fléchissent d'autant, ce qui a provoqué leur colère en 1971, et une exigence de majoration équivalente à la baisse des revenus ; un mouvement identique s'est produit dans la décennie 2000. Cette exclusivité, qui contribue à assujettir les pays producteurs, est périodiquement remise en cause, avec des succès nuls pour l'instant : Saddam Hussein avait annoncé qu'il souhaitait être payé en Euros en 2000 [5]; l'Iran a prétendu créer une bourse du pétrole en Euros - curieusement, cette bourse s'est ouverte, mais les transactions sont en monnaie iranienne. Le projet de monnaie unique pour les États du Golfe est toujours un projet.
Intégration et constellation
L'industrie du pétrole implique beaucoup de valeur ajoutée : frais d'exploration/production, transport et raffinage. Ceux-ci bénéficient souvent de l'économie d'échelle : une grosse raffinerie coûte moins cher que deux petites, etc., et très tôt les compagnies pétrolières se sont lancées dans une course à la taille. Mais ce marché est également cyclique, avec des revenus très variables. L'industrie s'est donc adaptée à ces contraintes en jouant l'intégration verticale, afin de bénéficier de la valeur ajoutée jusqu'au client final, l'intégration horizontale pour bénéficier de l'effet de masse - et absorber les concurrents, tout en s'entourant d'une constellation de sociétés de service, avec des contrats ponctuels, que l'on arrête de souscrire pendant les années maigres. Certaines de ces sociétés sont d'une taille respectable, et Halliburton a récemment fait l'objet d'une agitation médiatique[6]. Au fil des décennies, ces sociétés ont développé et conservé une haute technologie dans une multitude de domaines qu'elles sont seules à maîtriser : gravimétrie, sismique, logging, outils de forage, PVT, boues... sans ces technologies fréquemment inconnues hors du domaine pétrolier, il est rapidement devenu impossible de produire du pétrole dans des conditions compétitives. Quand les pays producteurs voudront se libérer du joug politique et commercial des compagnies pétrolières, elles se retrouveront face à la dépendance technologique.
Vingtième siècle : excès et excédents
A la fin du XIXe siècle, les grandes puissances se réduisent à un petit nombre d'acteurs : l'Empire Britannique règne sur les mers en jouant le Grand Jeu avec la Russie, la France est toujours une grande puissance militaire et coloniale, l'Allemagne est sur une formidable pente ascendante, et tous lorgnent l'Empire Ottoman, surnommé "l'homme malade de l'Europe". Les États-Unis ne sont encore qu'un lointain outsider, le Japon vient à peine de s'ouvrir au monde, la Chine connaît une de ses pires périodes de désunion.
L'avènement de l'industrialisation et de nouvelles technologies donne à ces puissances de nouvelles armes et de nouveaux appétits, qui liés à des idéologies délirantes, autoriseront à ce siècle tous les excès. Chacun est prêt à, et parfois désireux d'affronter l'autre, considérant le reste du monde comme un simple théâtre d'opérations.
Le pétrole, sous sa forme affleurante (bitume ou naphte), fut employé depuis des millénaires ; mais au cœur du XIXe siècle, on perfectionne sa distillation pour produire du kérosène, qui rapidement éclaire les villes (Bucarest, 1857), puis du fioul, qui remplace avantageusement le charbon comme source d'énergie, et particulièrement pour la propulsion navale. Alors on se met à en chercher activement, à commencer par les endroits où l'on trouvait du bitume tels que Bakou, et on se met à forer. Des sociétés aux noms historiques se créent à toute vitesse : Standard Oil (1863), Royal Dutch (1890), Branobel (1876), BNITO (1886), Burmah Oil[7] (1886), etc.. Le gaz naturel est un épiphénomène du pétrole : longtemps considéré comme une nuisance, il fut fréquemment mis à la torche jusque dans les années 1970. A partir de cette date, il commence à s'inclure dans la géopolitique du pétrole.
Du monopole au cartel, 1900-1928
Dès la fin du XIXe siècle, le pétrole était identifié comme ressource stratégique. La décision de l'amirauté britannique, vers 1910, de construire des navires qui consommeraient du fuel et non plus du charbon fut un moment important : la nation la plus puissante du monde, avec la flotte la plus puissante du monde, avait à l'époque beaucoup de charbon et pas une goutte de pétrole. Cette décision a posé la problématique européenne pour le reste du siècle [8].
Alors qu'en 1899, la Deutsche Bank signe avec le gouvernement ottoman un accord provisoire pour la construction de la ligne Berlin-Bagdad[9], qui devait être poursuivie jusqu'à Bassora, épicentre du pétrole mésopotamien, William Knox D'Arcy fait des recherches en Perse, obtient une concession pétrolière de 60 ans au profit de la Grande-Bretagne, et fonde la Anglo-Persian Oil Company, qui deviendra la British Petroleum.
Les Sept Sœurs 1 Standard Oil of New Jersey (Esso) ⇒ devenue Exxon, puis ExxonMobil. États-Unis 2 Anglo-Persian Oil Company ⇒ devenue BP (British Petroleum). Royaume-Uni 3 Royal Dutch Shell Royaume-Uni Pays-Bas 4 Standard Oil of California (Socal) ⇒ devenue Chevron. États-Unis 5 Texaco ⇒ fusionnée avec Chevron États-Unis 6 Standard Oil of New York (Socony) ⇒ devenue Mobil, puis ExxonMobil. États-Unis 7 Gulf Oil ⇒ absorbée par Chevron[10] États-Unis En 1904, la Standard Oil, fondée par John D. Rockefeller contrôle 91 % de la production pétrolière étatsunienne, dont elle exporte la moitié sous forme de kérosene ; ses méthodes sont tellement choquantes que c'est l'état fédéral qui lui intente un procès[11] et la condamne en 1911 à se partager en 34 sociétés séparées. La fin d'un géant ? Sans doute, mais le début d'une domination qui s'exercera jusqu'à la fin du siècle : les rejetons se mangeront entre eux et constitueront, avec Shell et BP, un cartel au succès économique spectaculaire - les Sept Sœurs[12].
Le tableau ci-contre montre les sociétés étatsuniennes en bleu, les britanniques en rose (Shell étant anglo-hollandaise), les sociétés absorbées en gris. L'histoire des fusions et acquisitions est sans fin, ce tableau n'est qu'un résumé ; de plus, derrière ces sept sociétés, on trouve une multitude de sociétés "indépendantes", qui ont éventuellement participé à certains accords tels que l'accord d'Achnacarry. Nombre d'entre elles ont été absorbées par d'autres au cours du XXe siècle ; aucune société extérieure au pétrole n'a réussi à se glisser parmi celles-ci.
Accords et désaccords
Le 11 juillet 1913, le Royaume-Uni, sur recommandation de Churchill, acquiert 51 % de l'Anglo Persian - mais pas avant une visite complète des champs en exploitation. Dès 1916, la France et le Royaume-Uni se partagent la dépouille de l'Empire Ottoman (carte ci-jointe) ; aux termes de l'Accord Sykes-Picot, le représentant britannique, mieux au fait des données pétrolières locales, se taille la part du lion en héritant du sud de l'Irak, laissant à la France la Syrie bien moins prometteuse. Le Royaume-Uni s'empressera d'écorner l'accord en installant des troupes à Mossoul en octobre 1918, s'emparant ainsi du reste des zones pétrolifères du futur Irak.
En 1920, les accords de San Remo confirmeront la révocation de Sykes-Picot, et en échange accorderont à la France un magnifique "détail" : la propriété des 25% que la Deutsche Bank détenait dans la Turkish Petroleum, que le Royaume-Uni avait saisis au premier jour de la guerre[13]. La France crée en hâte la Française des pétroles pour gérer ces parts : en Europe, l'État s'identifie à sa compagnie pétrolière.
En mai 1927, la Couronne britannique signe le Traité de Djeddah avec le jeune et victorieux Ibn Seoud, pacte de non-agression aux termes duquel celui-ci "s'engage à maintenir des rapports amicaux et pacifiques avec les territoires de Koveit et de Bahrein, ainsi qu'avec les cheiks de El-Kattar et de la côte d'Oman, avec lesquels le Gouvernement de Sa Majesté britannique entretient des relations spécialement déterminées par traité"[14]. Mais dès 1933, ce sont les États-Unis qui obtiennent une concession au profit de la Standard Oil of California.
En 1927, le pétrole coule enfin à Baba-Gurgur ("le père des flammes" en Kurde[15]), à côté de Kirkouk[16], et la surproduction menace. L'accord de la ligne rouge[17], signé en 1928, fige les relations territoriales et commerciales entre les partenaires présents dans la Turkish Petroleum, en y faisant une place aux compagnies étatsuniennes - aux dépens de l'état irakien. A ce titre, les partenaires présents s'interdisaient toute initiative personnelle sur l'ensemble du territoire concerné. Constitué de l'ex-empire ottoman, il incluait l'Arabie Saoudite, et excluait le Koweit. Chaque partenaire reçut 23.75% des parts : Anglo-Persian Oil Company, qui deviendra BP, Royal Dutch/Shell, la CFP, et la Near East Development Corporation, consortium de cinq compagnies étatsuniennes. Le reste des parts fut conservé par Calouste Gulbenkian, "Monsieur 5%". La France devient productrice de pétrole.
La même année, Anglo Persian, Standard Oil et Shell, à l'instar du Portugal et de l'Espagne se partageant le monde, en feront autant lors de la réunion d'Achnacarry[18]. En peu de temps, Gulf, Socony, Texaco et Atlantic les rejoignent[19]. Cet accord prévoit la répartition des bénéfices des compagnies concernées, ainsi que la calcul du prix du pétrole ("Gulf Plus") en tout point du globe. Le cartel, essentiellement anglo-saxon, est né, il règnera sans grande opposition sur le pétrole mondial jusqu'en 1971.
Il marque la survenance d'un nouveau type d'acteurs dans la scène politique internationale : les compagnies internationales ("IOC"), qui présentent le double intérêt de financer leur propre développement, sans apport des États, et de pouvoir être accusées de tous les maux dès que la morale est en jeu. Ainsi, quand le processus de décolonisation sera lancé après la seconde guerre mondiale, les États disposeront d'un relais presque aussi puissant qu'eux-mêmes.
Cette carte présente les principaux champs du grand Moyen-Orient ; mais en 1928, l'essentiel de ces champs sont encore inconnus.
En 1940, la France capitule ; le Royaume-Uni en profite pour saisir les parts de CFP dans IPC (et couler la flotte française à Mers el-Kebir). La France se trouve ipso facto éjectée de l'accord de la Ligne Rouge, et donc du Moyen-Orient[20], laissant (enfin) le terrain libre aux compagnies étatsuniennes. En 1944, le partage fut confirmé par les termes de l'Anglo-American Petroleum Agreement[21],[22]. Mais en 1945 la France intente un procès, et finit par obtenir gain de cause : elle est réintégrée dans IPC, mais avec une part de 6 %.
De la tutelle européenne à la tutelle américaine, 1928-1971
Deux guerres mondiales
Les offensives britanniques de la Première Guerre mondiale en Irak et en Palestine visaient à occuper des territoires identifiés comme riches en pétrole. En 1914, les États-Unis occupent Veracruz, grand port et région pétrolifère mexicaine. Le fameux Lawrence d'Arabie intervient en manipulant le nationalisme arabe afin de déstabiliser la tutelle ottomane au profit de l'Empire britannique. En 1917, l'Allemagne commet la bévue du télégramme Zimmermann, par lequel elle demande sa coopération au Mexique (deuxième producteur de pétrole à l'époque), et lui demande d'envahir le Texas. Le télégramme, intercepté par les Britanniques puis divulgué, contribuera à décider les États-Unis à entrer en guerre contre l'Allemagne. La même année, Clémenceau, à court de carburant, en réclame à Wilson[23]. En juin 1918 l'Allemagne, au bord de la défaite, et alertée par la divulgation prématurée de l'accord Sykes-Picot par les Izvestia en novembre 1917[24], dépêche une expédition vers Bakou - sans succès. Bakou, bien identifiée comme gisement pétrolier de classe mondiale, changera de mains quatre fois en quatre ans.
Entre les deux guerres, les chimistes allemands Fischer et Tropsch mettent au point le procédé permettant de produire des carburants liquides à partir du charbon, abondant en Allemagne.
La Seconde Guerre mondiale fut marquée par le blitzkrieg, stratégie très exigeante en carburants pour les transports de troupes, les chars et les avions ; l'Allemagne manque toujours cruellement d'accès au pétrole. Au début des années 1930, Henri Deterding (Shell), rêvant de Bakou, rencontre Hitler, avec lequel il étudie un plan d'approvisionnement de l'Allemagne en pétrole ; mais en 1936, il est contraint à la démission. Torkild Rieber (Texaco) prend immédiatement le relais. L'Allemagne n'a pas d'argent, qu'importe, il se fera payer en pétroliers, et alimentera l'Allemagne jusqu'en 1940. Lui aussi sera écarté par son conseil d'administration en août 1940. A cette date, l'Allemagne n'a plus que les champs de son allié roumain : les Alliés bombarderont les raffineries de Ploiesti de multiples fois[25] à partir de 1943, mais aussi les sites d'essence synthétique[26].
En 1941, Rachid Ali, favorable aux Allemands, tente de prendre le pouvoir en Irak, et coupe l'oléoduc d'Haïfa. Les Britanniques réagissent rapidement, prennent le contrôle de l'Irak, puis de la Syrie contre l'armée de Vichy. L'opération Countenance conjointe entre l'Armée rouge et l'armée britannique sécurise le corridor Perse pour le transport de matériel, mais également le pétrole iranien et la raffinerie d'Abadan. Cette opération est vécue comme une invasion, avec de nombreux morts côté Iranien. En septembre 1941, Hitler n'a plus aucun espoir d'accès au pétrole du Moyen-Orient. Alors c'est la course vers le Caucase et les champs de Bakou. Les Allemands prendront la raffinerie de Maikop[27], mais Stalingrad est la clé de la Caspienne ; la Wehrmacht et l'Armée Rouge y perdont chacune un million de soldats, et en dépit de ce film frappant où ses généraux offrent la Caspienne à Hitler en gâteau[28], celui-ci ne mettra jamais la main sur les pétroles de Bakou. Cet échec marquera le tournant de la guerre, et la pénurie de carburant contribuera à la défaite allemande.
En juillet 1940, les États-Unis décrètent un embargo pétrolier partiel, puis total en juillet 1941[29] à l'encontre de l’Empire du Japon, qui attaquera à Pearl Harbor le 7 décembre suivant. Le 17, les forces japonaises occupent Miri, un champ pétrolifère dans le nord du Sarawak.
Après-guerre
L'Après-guerre commence à Yalta[30], le 11 février 1945 : les États-Unis sortent leader du monde libre, les vieilles puissances coloniales sont en cendres, et l'ours russe sous Staline est clairement menaçant. Roosevelt doit occuper le terrain, comblant la carence des puissances continentales trop faibles pour le faire. A peine sorti de la conférence, Roosevelt rencontre Ibn Saoud sur le Quincy[31] et lui offre une coopération permettant l'exploitation des champs pétrolifères par les majors américains[32], en contravention flagrante avec les accords le Ligne Rouge. Cette coopération est assortie d'une protection militaire ; ce pacte durera jusqu'à la fin du siècle, et sera le socle de la politique pétrolière étatsunienne au Moyen-Orient. Attestent de cette vigueur diplomatique le sigle de l'Aramco adopté dès 1944 (Arabian-American Oil Company), ainsi que le casernement militaire visant à stabiliser les régions où sont situés les gigantesques gisements de Ghawar et Burgan.
Les plans Marshall évitent la terrible erreur de 1919 : les États-Unis avaient déjà à l'époque souligné que les conditions léonines imposées à l'Allemagne conduiraient à une nouvelle guerre. Mais deux choses resteront interdites aux perdants : une armée, et une compagnie pétrolière. 60 ans plus tard, le Japon et l'Allemagne, géants économiques, sont toujours des nains pétroliers.
La décolonisation est en route à marche forcée : pratiquement tout le continent africain retrouve sa liberté entre 1945 et 1980, dans des conditions paisibles ou sanglantes. A chaque fois, la puissance partante cherche à maintenir les relations commerciales comme aux accords d'Evian ; les régimes mis en place sont fréquemment favorables aux intérêts des Européens. Le Royaume-Uni avait inventé le Commonwealth en 1920, la France invente la Françafrique, plus critiquée. Fréquemment, les frontières artificielles des pays telles que la Ligne Durand, mises en place par des diplomates européens qui ignoraient ou écartaient les réalités locales, posent problème. Mais dans tous ces pays, le pétrole reste exploité, et consommé essentiellement par l'OCDE.
Le Moyen-Orient focalise tous les affrontements. La création, puis le support de l'état d'Israël, le comportement des compagnies pétrolières, les actions de la CIA sont mal vécus par les dirigeants et leurs populations. Après "indépendance", le mot d'ordre devient vite "nationalisation", qui terrorise les États-Unis, et les mène à des méthodes extrêmes. Les États-Unis inventent la "dénégation plausible". L'Iran, avec le mauvais souvenir du "corridor perse", nationalise ses gisements, et c'est l'affaire Mossadegh, déposé grâce à l'opération Ajax, qui sera niée par les États-Unis pendant des décennies. Le Shah sera imposé par la force à son propre pays, et les conditions de fonctionnement seront imposées au Shah. Toutes ces contraintes mèneront à un choc violent qui secouera toute la planète, la révolution iranienne.
L'opposition
La crise du canal de Suez[33] en 1956 démontre la faiblesse politique de l'Europe, et consacre les deux Grands en pleine coopération comme maîtres du jeu. Elle manifeste aussi l'émergence d'une capacité politique au Moyen-Orient. En 1960, Iran, Irak, Koweït, Arabie saoudite et Venezuela créent l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, en vue de gagner en puissance face aux Sept Sœurs. Son action restera sans résutat jusqu'en 1971. En 1968, le Koweit, la Libye et l'Arabie Saoudite créent l'Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole, avec une vision plus conservatrice que les partenaires de l'OPEP ; cette vision a beaucoup evolué depuis. L'Italie avait créé Agip en 1926 ; en 1953, elle devient l'ENI. Privée d'accès aux gisements, elle échappe au cartel, et pour séduire les pays producteurs, son président Enrico Mattei inaugure les contrats dits "fifty-fifty", aux termes desquels la Compagnie et le pays producteur partagent équitablement les revenus ; Mattei disparaîtra prématurément en octobre 1962, dans un accident d'avion resté mystérieux.
1971-2001 : chocs et guerres
Fin 1970, Mouammar Kadhafi, qui vient de prendre le pouvoir en Libye, contraint les compagnies à accepter une augmentation du baril. Cette nouvelle choque les gros producteurs, qui ont surtout subi des baisses de tarif depuis 1960. En 1971, les Etast-Unis, déjà importateurs nets de pétrole depuis 1949, voient leur production domestique décliner pour la première fois. Le 15 Août, c'est le "Nixon Shock", la révocation des Accords de Bretton Woods : l'équivalence or-dollar disparaît, et la valeur du dollar faiblit. Les pays producteurs, toujours payés en dollars, se sentent floués trois fois, et ne cherchent plus qu'une bonne occasion pour augmenter les prix et réduire leurs productions. La guerre du Kippour leur donnera cette occasion.
La réserve stratégique de pétrole est instaurée dès 1975. Les stratèges sont donc parfaitement au courant des enjeux nouveaux représentés par ces tensions, ce qui induit un redéploiement constaté des interventions américaines sur le globe à compter du début des années soixante-dix. À l'issue des deux chocs pétroliers, la majorité des pays de l'OCDE instaureront des réserves de pétrole stratégiques ; sous diverses formes, elles représentent fréquemment 3 mois de consommation d'un pays donné. Aux États-Unis, pays toujours producteur, cette notion est forcément plus floue ; le président G. W. Bush a décidé en 2007 de la rendre plus formelle.
Le deuxième choc pétrolier tend les relations entre les États-Unis et l'Iran, qui effectue une révolution islamique par suite au Vendredi noir : alors que la crise des otages semble creuser le fossé entre les deux pays [34], l'affaire Iran-Contra portant sur des ventes d'armes figurera parmi les scandales de la présidence Reagan.
Le "contre-choc pétrolier" de 1986 s'explique en partie par la volonté des États-Unis et de leurs alliés moyen-orientaux de mettre l'Union soviétique en banqueroute : ils livrent une guerre économique et financière en employant les pétrodollars et leur diplomatie saoudienne. Les exportations de pétrole étant vitales pour la balance des paiements soviétique et pour la diplomatie du Kremlin (garantir aux pays satellites un approvisionnement en pétrole était l'un des moyens qu'avait l'URSS de les tenir en captivité politique), les Américains réussirent à convaincre les Saoudiens (qui étaient déjà leurs alliés dans la guerre en Afghanistan), les Emiratis et les Koweïtis d'augmenter fortement leur production, afin de faire chuter les cours. Le prix du pétrole en fut divisé par deux.
Le coût fut élevé pour les pays à l'origine de cette offensive économique. Nombre de petits producteurs américains furent mis en faillite, tandis que l'afflux de pétrodevises pour les pays du Golfe se ralentit, causant une sévère réduction de leur "train de vie". Ces "effets secondaires" étaient parfaitement anticipés et acceptés par les gouvernements impliqués, et cette politique porta ses fruits. L'URSS pompa autant de pétrole qu'elle put, mais en 1988 son principal gisement, Samotlar, se mit à décliner sévèrement, entraînant la production du pays. La principale source de devises de l'URSS diminua, alors même que les finances du pays étaient terriblement sollicitées (le conflit afghan et les grands projets militaires s'ajoutant aux dépenses normales). Bien que négligé par nombre d'analyses, ce facteur fut l'un des plus importants dans l'effondrement de l'Union soviétique.
Un effet collatéral de cette guerre des prix fut l'effondrement économique de l'Irak, en pleine guerre avec son voisin ; S. Hussein demanda qu'on mette fin à cette politique[35], mais les États-Unis refusèrent pour les raisons ci-dessus, et l'Irak exsangue dut mettre fin rapidement à la guerre. Devant le refus de l'Occident de lui venir en aide économiquement, l'Irak envahit le Koweït, après en avoir averti les États-Unis.
La guerre entre l'Iran et l'Irak des années 1980 est en partie due à la volonté de l'Irak de contrôler des ressources frontalières. Les deux belligérants attaquèrent des tankers dans le Golfe[36], et l'US Navy dut intervenir, lors de l'opération Mante religieuse, sur deux plate-formes iraniennes. L'invasion du Koweït par l'Irak au début des années 1990 fut également à l'origine d'une guerre dans laquelle les États-Unis sont intervenus pour assurer la sécurité de leurs approvisionnements. À cette occasion, le président Bush père a même proclamé la théorie géopolitique du Nouvel ordre mondial en septembre 1989; vaincu, l'Irak fut assujetti à de dures sanctions économiques qui ne furent atténuées que par le programme "pétrole contre nourriture". Les États-Unis ont depuis eu une politique de prépositionnement (cf. infra).
Les conflits successifs en Tchétchénie s'inscrivent partiellement dans le contexte de la reprise du Grand Jeu précité concernant l'acheminement des hydrocarbures de la mer Caspienne : lire Enjeux économiques en Tchétchénie. Les groupes pétroliers russes Rosneft et Lukoil y ont des intérêts, notamment dans l'acheminement par pipeline.
Des individualités puissantes
La géopolitique est souvent le fait d'un tout petit nombre d'individus, que l'histoire retient ou pas selon leur flamboyance. On ne peut nier l'impact profond et durable de John D. Rockefeller (Exxon) et Henri Deterding (Shell), avec des côtés clairs, sombres ou dissimulés. Calouste Gulbenkian fut un artisan central de la politique mondiale. Plus tard, Mouammar Kadhafi et Enrico Mattei, dans deux genres très différents, seront les déclencheurs de la révolte des pays producteurs ; si l'un échappe à la mort, l'autre périt dans un accident d'avion resté mystérieux. Sheikh Yamani personnalise aussi bien la pondération que le terrorisme, selon les observateurs ; enfin il est possible que le nom de Dick Cheney reste associé à l'histoire du pétrole, mais l'histoire se lit à distance.
Prise de conscience actuelle
action britannique dans l'instauration de Reza Shah WP:en:Petroleum industry in Nigeria Yenangyaung. [Campagne perse]. Bataille de Bornéo (1945). Résolution de Khartoum ELF Aquitaine Sophie Marceau fait de la géopolitique
Le pétrole étant toujours une ressource importante pour les économies des différents pays du monde, sa raréfaction ne pourra qu'exacerber les tensions connues au XXe siècle, et particulièrement au Moyen-Orient qui présente toujours, en 2007, les premières ressources pétrolières mondiales.
Il est probable que le gaz et le charbon prendront une part importante de la place laissée par le pétrole manquant. Les ressources de charbon sont plus largement réparties dans le monde ; les nations qui sauront le plus vite se passer du pétrole bon marché gagneront en indépendance. C'est déjà le cas de la Chine, dont l'essentiel de l'énergie provient d'un charbon national abondant (troisièmes réserves mondiales).
Enfin, les grands acteurs de l'industrie pétrolière s'avèrent prêts à amorcer les filières de production du pétrole difficile à extraire : deep water, jusque des zones inexploitées jusque lors ; une nouvelle "ruée vers l'or" noir est même évoquée en Arctique.
- La réaction géostratégique américaine
Une des hypothèses stratégiques permettant de comprendre l'attaque de l'Irak par les États-Unis en 2003 concerne la sécurisation des approvisionnements en pétrole pour l'avenir. L'Irak a dans son sol les secondes réserves de pétrole les plus grandes du monde, qui de surcroît sont relativement faciles à extraire et raffiner. Une raison potentielle à ne pas négliger fut la volonté, à l'horizon 2000, de Saddam Hussein de vendre son pétrole en devises autres que le dollar. Une raison complémentaire est que 15 des 19 terroristes ayant perpétré les attentats du 11 septembre 2001, ainsi que son instigateur présumé, étaient des citoyens saoudiens : la permanence de la présence des États-Unis en Arabie saoudite était évidemment remise en question.
Cette stratégie fut élaborée par le think tank nommé Projet pour le Nouveau Siècle Américain auxquels Jeb Bush, Dick Cheney, Dan Quayle, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz participèrent.
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- Dans une certaine mesure, une continuité est observable dans la politique américaine voire occidentale dans cette région depuis la chute du Shah. Celle-ci a conduit à l'instauration d'un régime défavorable aux États-Unis, qui ont poussé S. Hussein, à l'époque en bons termes avec l'Occident, à attaquer son voisin[37]. Cette attaque a échoué, et entraîné l'invasion du Koweït par l'Irak[38]. Celui-ci a entraîné une nouvelle Guerre du Golfe, et l'installation de troupes américaines sur le sol de l'Arabie Saoudite. Cette installation a conduit aux attentats du 11 septembre 2001 [39], qui eux-mêmes ont servi de prétexte pour écraser le régime de S. Hussein. Cette défaite a entraîné l'inquiétude de ses voisins, dont l'Iran, qui affiche en 2006 sa volonté de disposer d'une capacité nucléaire.
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- En revanche, le désengagement des forces armées des États-Unis hors du sol de l'Arabie saoudite représente une discontinuité, jamais observée depuis 1945.
Pour une part, le rapport Cheney de 2001 [40] précisa qu'à l'horizon 2020 la production de pétrole mondiale serait dépendante à hauteur de 54 à 67 % des gisements situés dans le triangle du pétrole (Oil triangle). D'une manière étonnamment synchrone, le quartier général avancé de l'USCENTCOM déménagea de Riyadh au Qatar, situé au beau milieu de ces réserves.
Pour une autre part, cette décision doit tenir compte de la politique intérieure du royaume d'Arabie saoudite, désormais troublée : les enjeux liés à la rente pétrolière sont l'objet d'un possible conflit successoral en cours, dans la mesure où la famille princière Saoud, dont les liens sont ténus avec la famille Bin Ladin, vit les conséquences du onze septembre à l'intérieur de son territoire par l'émergence d'une rébellion depuis 2003 [41], dont les prodromes étaient perceptibles avec l'explosion des tours Khobar remontant à 1996.
- En revanche, le désengagement des forces armées des États-Unis hors du sol de l'Arabie saoudite représente une discontinuité, jamais observée depuis 1945.
Début du XXIe
Après un siècle et demi d'exploitation, rien ne change : les pays de l'OPEP représentent toujours 76 % des réserves prouvées[2]. Mais tout le reste change : l'offshore, toujours plus profond et plus coûteux[42] ; de nouvelles régions productrices apparaissent sur la carte, telles que l'Arctique ; les Compagnies Nationales, devenues puissantes, maîtrisent maintenant la technique ; le Brésil, dont la compagnie nationale est sur une vague de découvertes géantes[43], après avoir un moment envisagé de rejoindre l'OPEP, est maintenant tenté par un fonds national sur le modèle norvégien[44] ; et on utilise maintenant les technologies spatiales pour positionner les navires et repérer les gisements. Si l'on ose un résumé : le pétrole se trouve toujours plus loin des grandes puissances du vingtième siècle, à l'exception de la Russie. Les nouveaux venus (BRIC) ajoutent plus à la demande qu'à l'offre, et la Chine à elle seule réclame maintenant quatre millions de barils par jour (2008)[2]. Les Compagnies Internationales ont vu leur domaine se restreindre comme neige au soleil, et craignent que, au moment où le pétrole commence à devenir techniquement cher, elles n'aient plus le libre accès à la ressource.
Au XXe siècle, les Compagnies internationales s'étaient consacrées à l'appropriation des gisements et des marchés, à la gestion de l'excédent, au développement des techniques et des marchés, et au contrôle des prix avec une monnaie unique. Tout cela avait été possible grâce aux avantages précieux du pétrole, à l'asymétrie entre les pays producteurs et les pays consommateurs, à la fusion des intérêts objectifs des plus grands acteurs, et à la demande sans cesse accrue.
Au XXIe, le pétrole n'est plus ni nouveau, ni plaisant à cause des émissions de CO2 ; l'asymétrie s'est transformée en affrontement sanglant ; la dépendance au pétrole est plus mal considérée par les gouvernements ; les plus grands acteurs ont des intérêts objectifs variables ; la technologie peut, au lieu de tirer le pétrole vers le haut, lui fournir de dangereux concurrents (moteurs électriques, économie d'énergie[45]) ; le prix du pétrole, toujours plus virtualisé sur les marchés boursier, échappe à tout contrôle ; la monnaie unique semble un avantage injustifié ; le redéploiement vers des marchés complémentaires sera coûteux et difficile. Mais tant que le pétrole génèrera des marchés mondiaux aussi considérables, il restera accompagné d'affrontements violents.
Importateurs principaux
Pays Consommation Production Dépenses militaires USA 19 419 6 736 607
Chine
7 999 3 795 [85]
France 1 930 66
Royaume-Uni
1 704 1 544 65
Russie
2 797 9 886 [59]
Allemagne
2 505 47
Japon
4 845 46
En 2008, les trois principaux importateurs mondiaux de pétrole sont les États-Unis, la Chine (importateur net depuis 1996 et deuxième consommateur mondial depuis le deuxième trimestre 2003) et le Japon (deuxième consommateur jusqu'en 2003). La Chine notamment voit ses importations croître de 9 % par an, et consomme déjà 20 % de l'énergie des pays de l'OCDE.
Le tableau ci-contre montre les consommations et productions pétrolières[2] (millions de barils par jour, 2008) des pays classés par dépenses militaires[46] (milliards de dollars, 2008, [ ]=valeurs estimées).
Sous cet angle, la puissance des États-Unis paraît écrasante : avec des dépenses militaires supérieures à la somme des six suivants, qui eux-mêmes appartiennent à des familles géopolitiques très distinctes, ce pays a les moyens de ses ambitions, quelles qu'elles soient.
États-Unis
Depuis quelques années, les États-Unis ont mené des opérations militaires plus caractéristiques du XIXe siècle que du XXIe ; à l'automne 2003, les États-Unis ont soutenu une tentative de coup d'État contre le président vénézuélien Hugo Chavez. On peut se demander si ce pays ne va pas se tourner vers des méthodes plus modernes, c'est-à-dire moins coûteuses en hommes, en financement et en retombées politiques ("blowback").
La tentative, très osée et très coûteuse, de s'installer en Asie Centrale, en principe chasse gardée de la Russie et de la Chine, pour s'emparer du pétrole de la Caspienne, et pour le moment en échec, risque de trouver son terme.
Le maintien du dollar comme monnaie de réserve, et comme monnaie exclusive du commerce du pétrole, ne paraît pas remis à cause à court terme.
En 2003 également, les îles de Sao Tomé et Principe ont signé un accord autorisant les États-Unis à implanter des bases militaires sur leur territoire. Ces îles offrent des implantations de choix dans le golfe de Guinée, à proximité des gisements du Nigeria et de l'Angola, qui totaliseraient près de 85 milliards de barils de réserves, soit de quoi satisfaire 3 à 4 années de la demande mondiale. De plus, le golfe de Guinée est traversé par les pétroliers allant du golfe Persique aux États-Unis. L'annonce de la mise en place pour 2008 de l'USAFRICOM sur le plan militaire, dont l'aire de responsabilité est le continent africain, répond vraisemblablement à cette préoccupation de la part des géostratèges nord-américains.
Chine
Alors qu'elle exportait du pétrole, elle est devenue depuis 1992 importatrice nette, et sa consommation augmente de 15 % l'an depuis 2001. Elle est devenue le deuxième consommateur mondial, et sa courbe de croissance est la plus abrupte possible : ses besoins seront considérables dans la décennie à venir. La Chine, dernière venue sur le théâtre d'opérations, et privée des moyens militaires bruts, agit essentiellement par la diplomatie et les relations bilatérales, avec des succès de plus en plus frappants : la prise en main du pétrole Kazakh est une réussite à faible coût, et augure de ce qui se passera dans le futur dans d'autres régions, généralement celles qui lui sont ouvertes grâce au "blowback" occidental.
L'affrontement au Soudan entre les États-Unis et la Chine est indicatif : la Chine s'y installe dans des conditions difficiles[47], et les États-Unis ne peuvent que lancer une campagne médiatique[48] sans pouvoir s'y opposer sur le terrain.
La Chine entretient une campagne d'intimidation vis-à-vis de ses voisins en mer de Chine méridionale à propos de la souveraineté sur les îles Spratley ; ce conflit territorial traduit les enjeux pétroliers, au-delà des affiramtions de puissance régionale.
France
La France s'est beaucoup appuyée sur ses anciennes colonies pour accéder au pétrole sans affontements excessifs ; l'arrivée de nouveaux consommateurs, la perte de son influence lui rendront la tâche toujours plus difficile. Des accords de défense avec le Koweït, le Qatar et les Émirats arabes unis furent signés dans les années 1990. Cette politique trouve son couronnement dans l'ouverture en 2009 d'une base militaire interarmées à Abu-Dhabi[49]. Le travail de diplomatie et d'accords bilatéraux ne fait que commencer.
Voir aussi
Citations
« Le pétrole brut est le domino maître ; s'il dégringole, tous les autres dominos tombent. »— M. Bakhtiari, ex-cadre de la société iranienne des pétroles.[50]
« In war-time, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies. »— En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu'elle devrait être sans cesse protégée par une garde de mensonges, .Winston Churchill[51]
« The Allied cause floated to victory on a sea of oil. »— C'est une mer de pétrole qui porta les Alliés vers la victoire, Lord Curzon[52]
« Il faut que la France combattante, à l’heure du suprême choc germanique, possède l’essence aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. »Notes et références
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- ↑ nationalisation du canal annoncée par Nasser : notamment, point de passage obligé pour l'approvisionnement de l'Europe.
- ↑ Sans évoquer la théorie du complot nommée Surprise d'octobre, qui rejaillit sur un contexte de politique intérieure aux États-Unis.
- ↑ Vendredi 27 juillet 1990 : Suite aux demandes de l'Irak, l'OPEP décide, pour la première fois depuis décembre 1986, un relèvement du prix du baril de 18 à 21 US dollars. Ce qui représente pour l'Irak un gain annuel de 4 milliards US dollars, mais insuffisant au regard de ses besoins
- ↑ source.
- ↑ Gulf War : entre 1983 et 1990, l'Irak reçut 5 milliards de dollars sous forme de garanties de crédit à l'export du département de l'Agriculture américain.
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- ↑ Site de la Maison Blanche
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Liens internes et cartes
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- Géopolitique du pétrole Par Cédric de Lestrange,Christophe-Alexandre Paillard,Pierre Zelenko
- Géohistoire du pétrole roumain
- L'histoire secrète du pétrole, transcription
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- (en) Establishing the American Presence in the Middle East, United States Senate, Subcommittee on Multinational Corporations
- (en)Geopolitics of oil pipelines in central asia
- (en) Center for Strategic and International Studies
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