Jean Bart (bâtiment de ligne)

Jean Bart (bâtiment de ligne)
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Jean Bart
Jeanbart.jpg
Le Jean Bart photographié pendant les combats de Casablanca (novembre 1942) par des avions américains du porte-avions USS Ranger

Histoire
A servi dans Pavillon de la marine française Marine nationale française
Quille posée 12 décembre 1936
Lancement 6 mars 1940
Armé 1949
Statut retiré du service en 1961, ferraillé en 1970
Caractéristiques techniques
Type Cuirassé
Longueur 248 mètres
Maître-bau 35,5 m
Tirant d'eau 9,60 m
Déplacement 42806 t
46 500 t (normal)
48 950 t (pleine charge)
Propulsion 6 chaudières Sural
4 turbines Parsons - 4 hélices
Puissance 155 000 ch
Vitesse 32 nœuds (59 km/h)
Caractéristiques militaires
Blindage ceinture : 330 mm
pont blindé supérieur : 150 mm
pont blindé inférieur : 40 mm
tourelles : 430 mm
blockhaus : 340 mm
Armement 2 tourelles quadruples de 380 mm à l'avant
3 tourelles triples de 152 mm à l'arrière
En 1949
8 affûts simples de 40 mm AA
20 affûts simples de 20 mm AA
En 1953
12 tourelles doubles AA de 100 mm
14 tourelles doubles AA de 57 mm sous licence Bofors
Rayon d'action 7 671 milles à 20 nœuds
3 181 milles à 30 nœuds
Autres caractéristiques
Équipage 911 hommes en 1950 (incomplet)
1 280 lors des opérations de Suez
Chantier naval Ateliers et Chantiers de la Loire et Chantiers de Penhoët

Le Jean Bart était un cuirassé de la Marine nationale française, le second de la classe Richelieu. C'était le septième Jean Bart de la Marine française, son dernier prédécesseur était un cuirassé « dreadnought » lancé en 1911[1],[2].

Prévu identique au Richelieu, il était en construction à Saint-Nazaire, d'où il s'est échappé au dernier moment devant l'avance allemande et a gagné Casablanca. Endommagé au cours des combats de novembre 1942 auxquels il prit part, contre les Américains, il est resté inachevé pendant la guerre. Après qu'on eut abandonné l'idée de le transformer en porte-avions, il a été mis en service en 1955 seulement, dans une configuration assez proche de celle prévue à l'origine. Ce fut le dernier cuirassé mis en service au monde. Après une brève participation aux opérations contre l'Égypte, au cours de la crise du canal de Suez, il est ferraillé en 1970.

Sommaire

Arrière-plan

Les années 1920, en matière d'armements navals, ont été marquées par le traité de Washington, qui a, qualitativement, limité la construction des cuirassés à des navires de moins de 35 000 tonnes, armés de canons de 406 mm au plus, et en a quantitativement interdit, de fait, la construction, depuis 1922 jusqu'en 1936[3]. Au tournant des années 1930, la France et l'Italie n'avaient toujours pas utilisé leur droit à remplacer deux de leurs plus anciennes unités, lorsque l'Allemagne entreprit la construction du « navire blindé » Deutschland, qualifié par la presse de « cuirassé de poche ». La réponse française prit la forme d'un cuirassé rapide, de 26 500 tonnes et armé de huit pièces de 330 mm (en) en deux tourelles quadruples à l'avant, le Dunkerque[4]. Ses caractéristiques se situaient bien en-deçà des limites du traité de Washington, à une époque où il était fortement question de ramener celles-ci à 25 000 tonnes voire 22 000 tonnes pour le déplacement, et 305 mm voire 280 mm, pour le calibre de l'artillerie principale[5]. La Kriegsmarine allemande riposta avec deux bâtiments, le Scharnhorst et le Gneisenau, autres exemples de cuirassés rapides, bien protégés mais ne portant que des canons de 280 mm (en)[6].

En mai 1934, le Duce Benito Mussolini annonça la décision italienne de construire deux cuirassés de 35 000 tonnes, armés de canons de 381 mm (en)[6]. Dans l'urgence, l'Amirauté française dut se résoudre à mettre en construction une seconde unité de la classe Dunkerque, le Strasbourg, tout en lançant les études pour un cuirassé de 35 000 tonnes français : ce sera le Richelieu, mis sur cale en octobre 1935. Mais dans la foulée de la signature, le 18 juin 1935, de l'accord naval germano-britannique qui autorisait le Troisième Reich à se doter d'une marine égale à 35% de la Royal Navy, fut annoncée la construction d'un cuirassé allemand affichant également un déplacement de 35 000 tonnes, et armé de huit canons de 380 mm (en)[7].

Au début de 1936, la seconde conférence navale de Londres ayant tourné à la confusion, devant le refus japonais et italien de poursuivre la politique de limitation des armements navals, la France décida le 27 mai 1936 la construction d'une seconde unité de la classe Richelieu, le Jean Bart[8].

Ce devait être l'exacte réplique du Richelieu. Les dimensions de coque sont identiques (longueur : 248 m, largeur maximale : 33 m, tirant d'eau : 9,6 m). La disposition de l'artillerie principale est la même : deux tourelles quadruples de 380 mm (en) à l'avant[9]. Pour l'artillerie secondaire en tourelles triples de 152 mm, lorsqu'il fut décidé de retirer les deux tourelles latérales au milieu du navire sur le Richelieu, elles ne furent également pas installées sur le Jean Bart[10]. La protection est identique (ceinture blindée de 330 mm, pont blindé supérieur de 150 à 170 mm, pont blindé inférieur de 40 mm, face avant des tourelles d'artillerie principale blindée à 430 mm, blockhaus : 340 mm)[9], les machines également, six chaudières « suralimentées » construites sous licence par les Chantiers de Penhoët et les Ateliers et Chantiers de la Loire[11], et quatre turbines Parsons, développant 155 000 CV, pour obtenir une vitesse de 32 nœuds[12].

Carrière

L'« évasion » de Saint-Nazaire

La construction avait commencé en décembre 1936 aux Ateliers et Chantiers de la Loire de Penhoët. Lorsque la guerre éclata, le Jean Bart se trouvait encore sur cale, dans la forme « Caquot », du nom de son concepteur[13], qui recevra plus tard le nom de « Forme Jean Bart ». Pour éviter les aléas d'un lancement et l'immobilisation prolongée d'une cale sèche, le cuirassé était assemblé sur un terre-plein, accolé à une forme de radoub, l'ensemble étant entouré d'une enceinte. Le 6 mars 1940 le terre-plein fut inondé et un déplacement latéral plaça le Jean Bart dans la forme de radoub. La sortie définitive était alors prévue pour le 1er octobre[14].

Dès le début de la bataille de France, l'Amirauté se préoccupa de mettre le navire hors de portée de la Luftwaffe. Le 18 mai, le capitaine de vaisseau Ronarc'h s'est sérieusement inquiété pour l'avenir de son bâtiment : « La nuit blanche que j'ai passée du 17 au 18 mai laisse dans ma mémoire une marque ineffaçable », déclarera-t-il. Devant l'avance allemande, la construction fut accélérée : du 22 mai au 19 juin, 3 500 ouvriers de l'arsenal ont travaillé au montage des chaudières, de l'appareil moteur et des transmissions. En l'espace d'un mois les chaudières, l'appareil moteur, deux groupes de turbodynamos, les transmissions intérieures indispensables, deux pompes pour étaler d'éventuelles voies d'eau, et une partie de l'armement furent montés. Deux hélices furent mises en place le 6 et le 7 juin. Le 11, trois chaudières étaient montées et allumées trois jours plus tard. La fermeture des doubles fonds a eu lieu le 17 et l'installation des pompes le 18. Le manque de temps empêcha de faire de véritables essais.

La tranchée qui devait faire franchir au Jean Bart le plateau qui s'étendait au sud de la forme de radoub fut terminée à la hâte. La profondeur de dragage devait atteindre 9 mètres, sur 70 mètres de large ; cela forçait à attendre la grande marée du 18 au 22 juin pour sortir le bâtiment, ou à reporter l'opération au 3 juillet.

L'armement principal est limité à la tourelle avant ; on renonce au montage de la carapace de la tourelle 2, dont deux canons seulement sont arrivés à Saint-Nazaire. On ne réussit qu'à en embarquer un, sur un cargo, le Mécanicien Principal Lestin, qui, en route pour Casablanca, sera coulé par les Allemands, dans le Golfe de Gascogne[13]. Les pièces secondaires se limitent à quatre affûts doubles de 13,2 mm, complétés par deux affûts doubles de 90 mm, livrés le 15 et installés le 18, et par deux affûts doubles de 37 mm et deux affûts quadruples de 13,2 mm montés de justesse quelques heures avant l'appareillage.

Le creusement du canal de sortie a été ralenti à cause d'un plateau rocheux, qui a forcé à se contenter d'une bande de 50 mètres et une profondeur de 8,50 mètres alors que le tirant d'eau du Jean Bart était de 8,10 mètres.

Le 18 juin au matin, avec l'arrivée des Allemands à Rennes, le commandant a reçu l'ordre de rallier Casablanca, et non plus la Clyde, comme prévu initialement, ou de saborder le bâtiment : le départ a été fixé pour la nuit suivante. Cinq remorqueurs ont été prévus pour participer à l'opération. Dans la journée, une colonne motorisée présumée allemande a été signalée sur la route de Nantes. Quatre blockhaus défendaient l'accès des chantiers. Le Jean-Bart disposait lui-même de moyens d'auto-défense, mais des équipes de sabotage, armées de masses et de chalumeaux ont pris place aux points névralgiques du navire. À 13 heures, l'équipage a été mis aux postes de combat, et à 15 heures, l'équipe de veille de la tour a observé la marche de la colonne, longue de 600 mètres. À 17 heures, les véhicules ont été identifiés comme britanniques[15].

À la nuit, les manœuvres d'appareillage ont commencé. Un incident a éteint les chaudières et les turbodynamos se sont arrêtées, privant le Jean Bart d'énergie et de lumière. À 3 h 30, malgré tout, les remorqueurs ont commencé leur travail et fait tourner le bâtiment de 20 degrés sur la droite pour le mettre dans l'axe de la forme de radoub avant de l'engager dans le chenal. Dans la tranchée, les petites bouées étaient à peine visibles et le Jean Bart s'est échoué par l'avant sur la gauche, tandis que l'arrière reposait sur la berge ouest. Après trois quarts d'heure d'efforts, les remorqueurs ont réussi à dégager le navire, qui a fini par atteindre le chenal de la Loire aux premières heures de l'aube[16].

À 4 h 40, trois bombardiers allemands se sont présentés sur tribord, à 1 000 mètres d'altitude. Une bombe de 100 kg a explosé entre les deux tourelles de 380, sans causer de dégâts significatifs — un trou de 20 centimètres et quelques cloisons soufflées. Des chasseurs français sont intervenus, d'abord pris pour des appareils allemands et accueillis par des tirs de DCA. À 6 h 30, le Jean Bart a été rejoint par deux torpilleurs d'escorte, Hardi et Mameluck, et à 11 heures, il s'est accosté au pétrolier Tarn pour ravitailler en eau et en mazout. À 18 heures, après avoir décliné la proposition de bâtiments britanniques de l'escorter en Angleterre, le cuirassé a fait route sur Casablanca[17]. Après de nouveaux incidents et prouesses techniques, comme le montage, en route à la mer, d'un compas gyroscopique, le Jean-Bart réussit à filer 24 nœuds et arriva dans le grand port marocain, le 22 à 17h[18].

Au Maroc, les moyens font totalement défaut pour en poursuivre l'achèvement. Son artillerie anti-aérienne est débarquée, dans un premier temps, pour les affûts de 90 mm et de 37 mm, pour renforcer la Défense Contre Avions du port. Cependant pour son unique tourelle de 380 mm montée, on parvient à la mettre en état de tirer, avec une direction de tir « géodésique », en se coordonnant avec les stations côtières de Sidi Abderhamane et de Dar-bou-Azza, auxquelles le cuirassé est relié par radio et par téléphone. Les six coups d'« épreuve » réglementaires sont tirés en mai 1942. Le cuirassé met en service, en octobre, le dispositif de « détection électro-magnétique », ancêtre français du radar. Il est rééquipé en artillerie anti-aérienne : en novembre, sa Défense Contre Avions est constituée de cinq affûts doubles de 90 mm, deux affûts doubles de 37 mm Modèle 1933, un affût simple de 37 mm Modèle 1925, quatre affûts quadruples Hotchkiss de 13,2 mm, quatorze mitrailleuses Browning de 13,2 mm et une mitrailleuse Hotchkiss de 8 mm[19].

À Casablanca, 8-11 novembre 1942

Le 8 novembre 1942, lors du débarquement allié en Afrique du Nord, le Jean Bart ouvre le feu sur les forces navales américaines qui en assurent la couverture, devant Casablanca. Il est bombardé par avions, et touché à plusieurs reprises par le cuirassé 18 novembre, son commandant, le capitaine de vaisseau Barthes, est promu contre-amiral[23].

Achèvement

Le Jean Bart contribua d'abord, en février-mars 1943, à la refonte du Richelieu, qui a quitté Dakar pour rejoindre l'Arsenal de Brooklyn : les quatre canons de 380 mm (en) de son artillerie principale, installés en 1940, sont démontés pour remplacer les pièces endommagées du Richelieu, que l'industrie de guerre américaine, qui doit en assurer la refonte, ne peut construire, tous les cuirassés modernes américains ayant une artillerie principale de 406 mm. On entreprit en même temps de le mettre en état de reprendre la mer, avec l'espoir d'aller aux États-Unis, pour y être achevé. Le contact a été établi dès le mois d'avril entre l'amiral Fenard, chef de la Mission Navale auprès de la représentation de la France Combattante aux États-Unis, et l'amiral Horne, Directeur des Constructions Navales. Mais celui-ci, dès le mois de mai, se montra très réticent à l'idée de prendre en charge son achèvement, compte tenu des techniques de standardisation mises en œuvre dans la construction navale, pour les appliquer à un navire complètement différent des séries construites aux U.S.A[24].

Au mois d'août, alors que le cuirassé était prêt à effectuer des essais de machines à la mer, le refus américain a été confirmé. À l'instigation du capitaine de vaisseau Barjot, alors chef du Troisième Bureau de l'État-major de la Marine à Alger, il fut proposé d'achever le Jean Bart en bâtiment hybride, « cuirassé-porte-avions »[25]. Il aurait été armé de quatre canons de 340 mm (en), prélevés sur le vieux cuirassé Bofors 40 mm et d'Oerlikon 20 mm (en) et il aurait été doté d'installations d'aviation embarquée, à la poupe, permettant de mettre en œuvre six avions Gruman Avenger ou Fairey Barracuda pour le bombardement, Seafire ou Hellcat pour la chasse[26] : nouveau refus américain. On aura remarqué que sensiblement à la même époque, la Marine Impériale japonaise a transformé les deux cuirassés King, Chef d'État-major de l’U.S Navy, cette proposition se heurte encore à une fin de non-recevoir[28], confirmée, en mars 1944, par le Comité des Chefs d'État-major[23].

Le Jean Bart, dès lors, resta à Casablanca, et ne rejoignit la métropole que le 25 août 1945, pour entrer en carénage à Cherbourg, seul bassin de radoub qui n'ait pas été détruit, sur la côte atlantique, en attendant de rejoindre Brest, dont l'arsenal est en ruines[29].

La question de l'achèvement du Jean Bart va être reprise au niveau français et va être débattue au cours de l'année 1945 au sein du Conseil Supérieur de la Marine (C.S.M.). Il y a certes accord sur le principe de l'achèvement, mais selon quelles modalités ? « Comme le Richelieu » ? Ou en porte-avions ? Lors d'une réunion du C.S.M. au mois de février, on a retenu la solution « comme le Richelieu ». En juillet, l'amiral Barjot, devenu entretemps Chef d'État-major adjoint de la Marine, a chaudement plaidé pour la transformation en porte-avions, sans emporter l'adhésion du Conseil Supérieur. L'amiral Fenard qui avait porté, deux ans plus tôt, les projets d'achèvement avec l'aide de l’U.S. Navy, revint à la charge, et le Ministre, Louis Jacquinot a demandé au Conseil Supérieur de trancher définitivement[30]. Au cours de la séance du 21 septembre, l'Ingénieur Général Kahn, Directeur des Constructions navales, qui a conçu avant-guerre les plans du porte-avions Joffre[31], vint présenter les différentes options, et notamment un projet de transformation en porte-avions, embarquant une cinquantaine d'avions, pour un coût de 5 milliards de Francs, sous un délai de 5 ans. Ce projet est sévèrement critiqué par ceux qui prônent la transformation en porte-avions, pas assez d'avions embarqués, les délais de réalisation sont excessifs, le coût annoncé est surévalué[32], bref c'est une « caricature »[33], mais aussi par les partisans du cuirassé « intégral », c'est un gaspillage financier par rapport à aux dépenses déjà effectuées, il serait moins coûteux de construire un porte-avions ex nihilo[34]. Bref, le Conseil Supérieur opte pour l'achèvement du Jean Bart en cuirassé, la Marine veut un second Richelieu dont la DCA serait beaucoup plus puissante[33]. Le contre-amiral Barjot conclut : « Il fut assez surprenant de voir en 1945 l'État-Major de la Marine soutenir, par doctrine, la solution du cuirassé intégral. Ce fait, qui a dominé la discussion du 21 septembre 1945, montre à quel point, en dépit des enseignements de la guerre, le mythe suranné du gros canon continue de dominer notre doctrine navale. »[35]

Les travaux d'achèvement commencent à Brest, en mars 1946. Ils avancent lentement, en raison des contingences financières de l'époque, mais aussi parce pendant ce temps l'arsenal est en reconstruction. Le Jean Bart émerge avec une silhouette différente, plus ramassée, la tour avant ne porte plus qu'un seul télépointeur. Un bulge est ajouté à la coque, ce qui porte la largeur maximale de 33 m à 35,5 m[36]. Il s'agissait à la fois d'améliorer la protection anti-sousmarine, mais aussi de limiter l'accroissement du tirant d'eau prévu par l'augmentation du déplacement (il atteint maintenant un déplacement moyen de 46 500 tonnes)[37], lié à l'installation prévue de 12 tourelles doubles de 100 mm anti-aériennes, et de 14 pseudo-tourelles doubles de 57 mm anti-aériennes, sous licence Bofors. Début 1949, il a effectué les tirs d'épreuve de son artillerie de 380 mm, et de 152 mm, dans les parages de l'île de Groix, et ses essais de vitesse sur la base des Glénan, atteignant 32 nœuds, en développant 175 000 CV à feux poussés[37]. L'armement définitif est prononcé le 1er août 1949[38], et en 1950, le Jean Bart, qui a quitté Brest pour Toulon, manœuvre avec l'Escadre en Méditerranée. L'amiral, commandant l'Escadre y transfère temporairement sa marque. Mais le cuirassé n'est pas achevé : son artillerie anti-aérienne demeure composée de Bofors 40 mm et d'Oerlikon 20 mm et son équipement radar, de fabrication française, est de première génération. Mais dès 1951, une partie de l'artillerie principale est placée en « autoconservation »[39]. Les tourelles anti-aériennes de 100 mm Modèle 1945 ne furent mises en place qu'en 1952, et les groupements de conduite de tir des 100 mm et les 14 tourelles doubles AA de 57 mm Modèle 1948 sous licence Bofors en 1953[40],[41].

Service après-guerre (1955-1970)

L'admission en service actif a été prononcée le 1er mai 1955. En mai 1955, il emmena le Président de la République en visite officielle au Danemark, puis a continué jusqu'à Oslo. En juillet, il représenta la France à la commémoration du 175e anniversaire du débarquement à Newport des troupes françaises commandées par le comte de Rochambeau, au cours de la Guerre d'indépendance des États-Unis[42]. En octobre, il a quitté Brest pour Toulon, pour intégrer le Groupe École Sud (G.E.S.), et y remplacer le Richelieu[43]. L'amiral commandant le G.E.S. y transféra sa marque[44]. Le 30 janvier 1956, il manœuvra quelques heures, pour la seule fois de sa carrière, avec le Richelieu avant que celui ne rejoignit définitivement Brest[45]. Au printemps, il manœuvra avec l'Escadre, aux ordres du Vice-amiral Barjot, et il participa, en juin, à l'accueil du Roi des Hellènes, Paul Ier, en visite officielle en France[46].

En juillet 1956, lorsque la tension monte après la nationalisation du canal de Suez, le Jean Bart est rattaché à la Force Navale d'Intervention constituée en vue d'opérations au large des côtes égyptiennes. Son effectif est porté de 750 à 1280 hommes, mais on n'est en état d'armer qu'une tourelle de 380 mm, la tourelle axiale de 152 mm, et environ la moitié de l'artillerie de 100 mm et de 57 mm. Fin octobre-début novembre, il transporta d'Alger à Chypre le 1er Régiment Étranger de Parachutistes, et était présent lors du débarquement de Port-Saïd, où il a tiré quatre coups de 380 mm[47]. Mais aussi bien pour la protection contre-avions que pour l'appui contre la terre, le rôle principal échut à l'Aéronavale, et aux avions des porte-avions Arromanches et La Fayette.

En juillet 1957, après que ses canons eurent tiré les derniers obus de 380 mm de la Marine française, il est placé en réserve et ne sera plus utilisé que comme bâtiment-base pour les écoles de la Marine[48]. Pendant toutes ces années, il restera amarré dans la rade de Toulon. Sa silhouette, imposante et majestueuse, sera emblématique du port de Toulon.

Des projets de modernisation de son artillerie de 100 mm et de 57 mm, ou de transformation en cuirassé lance-missiles, avec le missile américain Terrier, car il n'existe pas à l'époque de matériel français opérationnel[49], ne connurent pas de suite. De même quand, en 1964, on rechercha un bâtiment de commandement pour le Centre d'Études Nucléaires du Pacifique, on lui préféra le croiseur 1970, il fut ferraillé à Bregaillon[48], laissant au Yavuz turc, l'ancien croiseur de bataille allemand SMS Goeben, le privilège d'être, six ans durant, le dernier survivant à flot de l'ère des cuirassés, dans les eaux européennes.

Le dernier navire de ligne construit aura été le HMS Vanguard de la Royal Navy mis en service en 1946, mais équipé de canons de 15 pouces (381 mm) installés pendant le premier conflit mondial sur les croiseurs de bataille HMS Courageous et HMS Glorious et restés disponibles lorsque ces navires ont été transformés en porte-avions. Le Jean Bart aura été le dernier cuirassé à entrer en service. Il n'aura jamais totalement été opérationnel et n'aura connu que 4 ans de service actif, servant de banc d'essais pour les nouveaux matériels français, radars et artillerie anti-aérienne, à une époque où la force de frappe des marines modernes, tant à la mer qu'en action contre la terre, reposait sur les porte-avions : trois sont opérationnels, de construction britannique ou américaine, dans la Marine Nationale, en attendant la construction du premier porte-avions moderne de construction française, auquel on aura donné le nom du cuirassé, inachevé, qui aurait dû être la troisième unité de la classe Richelieu, le Clemenceau .

Un huitième Jean Bart, une frégate anti-aérienne, du type F70 AA, est actuellement en service, depuis 1991, dans la Marine Nationale[51].

Notes et références

  1. Lepotier 1967, p. 268-282
  2. Labayle-Couhat 1974, p. 29-33
  3. Breyer 1973, p. 69-72
  4. Breyer 1973, p. 76-77
  5. Breyer 1973, p. 73
  6. a et b Breyer 1973, p. 79
  7. Breyer 1973, p. 80
  8. Dumas, Richelieu 2001, p. 10
  9. a et b Dumas, Jean Bart 2001, p. 10
  10. Dumas, Jean Bart 2001, p. 88
  11. Jordan &Dumas 2009, p. 117-118
  12. Dumas, Jean Bart 2001, p. 17
  13. a et b Jordan & Dumas 2009, p. 153
  14. Lepotier 1967, p. 129
  15. Lepotier 1967, p. 134-135
  16. Lepotier 1967, p. 135-136
  17. Lepotier 1967, p. 136-137
  18. Lepotier 1967, p. 137-139
  19. Dumas, Jean Bart 2001, p. 30-32
  20. Lepotier 1967, p. 160-163
  21. Dumas, Jean Bart 2001, p. 69 et 79
  22. Lepotier 1967, p. 164
  23. a et b Dumas, Jean Bart 2001, p. 70
  24. Lepotier 1967, p. 254-255
  25. Lepotier 1967, p. 256
  26. Dumas, Jean Bart 2001, p. 33
  27. Dumas, Jean Bart 2001, p. 33-34
  28. Lepotier 1967, p. 256-257
  29. Lepotier 1967, p. 258
  30. Lepotier 1967, p. 259
  31. Le Masson 1969, p. 31
  32. Lepotier 1967, p. 260
  33. a et b Dumas, Jean Bart 2001, p. 37
  34. Lepotier 2001, p. 260-261
  35. Extrait du compte-rendu n°858/EMG/DN adjt du 24-09-1945 du Contre Amiral Barjot
  36. Dumas, Jean Bart 2001, p. 71-72
  37. a et b Dumas, Jean Bart 2001, p. 38
  38. Dumas, Jean Bart 2001, p. 8
  39. Dumas, Jean Bart 2001, p. 47
  40. Dumas, Jean Bart 2001, p. 49
  41. Lepotier 1967, p. 325
  42. Lepotier 1967, p. 325-330
  43. Lepotier 1967, p. 333
  44. Dumas, Jean Bart 2001, p. 73-74
  45. Lepotier 1967, p. 334
  46. Lepotier 1967, p. 334-336
  47. Dumas, Jean 2001, p. 75
  48. a et b Dumas, Jean Bart 2001, p. 76
  49. Dumas, Jean Bart 2001, p. 54-56
  50. Dumas, Jean Bart 2001, p. 83
  51. Prézelin 2008, p. 24-25

Bibliographie

  • Georges Blond, L'épopée silencieuse, dernier chapitre [sur l'évasion du Jean Bart en 1940], Éd. Grasset 1942 ; republié au Livre de Poche, 1970.
  • Vice-Amiral Ronarc'h, L'Évasion du Jean Bart, juin 1940, éditions Flammarion, 1951.
  • (en) H. T. Lenton, Navies of the Second World War German surface vessels 1, Londres, Macdonald&Co Publishers Ltd, 1966 
  • Contre-amiral Lepotier, Les Derniers Cuirassés, Paris, Editions France-Empire, 1967 
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