Histoire de la pensee economique

Histoire de la pensee economique

Histoire de la pensée économique

La pensée économique peut être découpée en trois grandes phases : les précurseurs (grecs, romains, arabes), les pré-modernes (Mercantilisme, Physiocratie) et l'économie moderne (qui débute avec Adam Smith à la fin du XVIIIe siècle).

« […] les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’économie et de la politique ont plus d’importance qu’on ne le pense en général. À vrai dire le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. Les illuminés du pouvoir qui se prétendent inspirés par des voies célestes distillent en fait des utopies nées quelques années plus tôt dans le cerveau de quelque écrivailleur de Faculté[1]. » John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, chapitre 24, 1936

Sommaire

Les précurseurs de l'économie

Le Code d'Hammurabi

Code d'Hammurabi

L'archéologie a montré que la pensée économique est très ancienne, comme en témoignent les lois et les principes économiques exposés dans le code d'Hammurabi (roi de Babylone au XVIIIe siècle av. J.-C.). L'État fixe les salaires, en fonction de la qualité de chaque œuvre et du travail qu'elle nécessite (notion de valeur), il réglemente les emprunts, les locations, il établit la responsabilité professionnelle...

La pensée économique de l'Antiquité orientale et grecque

La réflexion économique apparaît d'abord en Grèce antique et en Chine antique, là ou une production marchande et une économie monétaire semblent avoir été développées en premier.

Le mot économie vient d'ailleurs du grec (de oikos, la maison, notamment en tant qu’unité sociale et économique, et nomos, l’ordre, la loi).

Parmi les penseurs, souvent philosophes, qui se sont intéressés à l’économie, Platon et son élève Aristote sont probablement les plus connus. Les philosophes grecs subordonnent l’économie à la politique : c’est l’art d’administrer ses biens ou sa cité. La science économique n’existe pas, au contraire de la science politique, qui se rapporte à la cité et est considérée par bien des Grecs comme la première des sciences. L’économie, que l'on envisage que centrée sur l’individu, est souvent vue de façon suspecte, et comme une activité servile. On peut observer la place de l’économie dans la société antique et comment elle était perçue à ses débuts à partir de quatre figures : Thalès, Xénophon, Platon et Aristote.

Thalès

Thalès de Milet (circa 625547 av. J.-C.) n’a jamais écrit sur l’économie, mais son histoire montre un des premiers exemples de spéculation économique, un corner sur le pressage d'olives. Alors qu’on lui reprochait l’inutilité de la philosophie qui ne permettait aucune application avantageuse et que l’on raillait sa pauvreté constante, il se livra à différents calculs astronomiques. Ceux-ci lui permirent de prévoir une période particulièrement chaude et ensoleillée, durant laquelle on ferait vraisemblablement une abondante récolte d’olives. Il loua donc tous les pressoirs à olives des régions de Milet et de Chios à bas prix, quand ils n’intéressaient personne. Ses prévisions se révélèrent exactes, et quand advint le moment de la récolte, la demande en pressoirs se fit extrêmement importante. Thalès, qui détenait un monopole régional, put sous-louer les pressoirs aux conditions qu’il demandait, se plaçant par là à la tête d’une certaine fortune.

Si cette anecdote ne révèle pas une analyse poussée des mécanismes économiques, elle les préfigure en ce qu'elle montre une réflexion sur des stratégies financières, reposant sur des idées diffuses de la loi de l'offre et de la demande, ou du monopole et de ses conséquences.

Xénophon

Xénophon

Il est nécessaire d’évoquer Xénophon (circa 426355 av. J.-C.), qui comme Platon fut élève de Socrate, à propos de l’histoire de la pensée économique : non seulement parce qu’il est le premier à employer ce terme, mais encore parce qu’il y consacrera tout un ouvrage, L’Économique (qui consiste en un dialogue entre Socrate et Ischomaque), autour d’un thème unique, celui de l’administration d’un domaine agricole. On peut ainsi se rendre compte combien dans l’Antiquité le terme est lié à l’idée de l’administration domestique ; cependant le dialogue en vient presque à porter sur des stratégies d’accroissement des richesses, le père d’Ischomaque achetant par exemple des terres à bas prix pour les revendre bien plus cher après les avoir défrichées. En vérité, celui qui connaît l’art – ou la science – de l’économie est de facto un bon gestionnaire, et ce dans toute situation. Le bon père de famille peut ainsi savoir ce qui est bon pour l’administration d’une cité. C’est toutefois à la femme que revient le rôle de l’entretien de la maison (oikos), de même la politique est l’affaire des hommes, et le travail, réservé aux seuls esclaves. Dans L’Économique, Ischomaque enseigne cet art à sa femme : ce sera le rôle de celle-ci que d'en faire l'application.

Sur la fin de sa vie, Xénophon écrira également Les Revenus, ouvrage où il propose de multiplier les exploitations agricoles et industrielles dans l’Attique, et notamment d’exploiter à plein rendement les mines d’argent du Laurion. À cette occasion, il aborde (mais de façon peu approfondie) des concepts comme ceux de la demande et de la valeur des biens, et du rapport qu’ils entretiennent entre eux. L'œuvre est un projet politique et économique pour toute une région, et tente de défendre un point de vue cohérent.

En définitive, les ouvrages de Xénophon portent sur la manière de gérer un domaine agricole, et sur l'économie domestique (l'expression serait, en grec, tautologique) ; Les Revenus montre cependant bien que ces enseignements sont applicables ailleurs, et place l'économie comme art de satisfaire les besoins d’une société. On peut pour Xénophon extrapoler de l'étude d'une microentité : n'est-ce pas la prémisse de la microéconomie ?[réf. nécessaire]

Platon

Platon

Platon (427348 av. J.-C.) qui à travers son dialogue La République expose sa vision de l’utopie se trouve entraîné à aborder l’économie comme gestion des biens et des personnes de la façon la plus juste possible dans la cité idéale.

Il défend ainsi l’idée d’une société divisée en trois classes (magistrats/philosophes, gardiens et travailleurs/producteurs, en ordre décroissant) où le droit de propriété n’est réservé qu’à la classe inférieure des « producteurs » : les autres classes ne doivent pas être tentées par le lucre et l’accumulation des richesses. Le philosophe sait que la cité est supérieure à l’individu ; pour préserver l’équilibre de la cité et parvenir au plus haut degré de la vertu politique, il est nécessaire de poser une limitation de la fortune et des biens de chacun, d’autant plus que pour Platon et son époque la quantité totale de richesse est imaginée comme à peu près fixe. Il expose de cette façon une forme d’organisation sociale basée sur la communauté des biens et propose même dans Les Lois un partage égalitaire de la terre. L’économie platonicienne cherche ainsi à régir la répartition des ressources, et ce à une fin politique et philosophique. Moins qu’un art, l’économie pour Platon se rapprocherait donc plutôt de ces savoir-faire décrits dans Gorgias ; il n'en demeure pas moins que ses tentatives d'organisation d'une cité parfaite impliquent souvent des préoccupations qui sont purement de l'ordre de la science économique telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Platon, le premier, s'intéresse strictement au problème de la cité et de la manière dont il faut qu'elle soit régie, et ce sur tous les plans. Il tire de son étude un modèle social et économique basé sur le collectivisme à plusieurs niveaux (biens, femmes, terres) tout en ne remettant pas en cause le principe de l'État (la cité de Platon n'est donc pas socialiste). Dans d'autres œuvres, il confirmera la validité du recours à l'esclavage comme moyen technique. Il critique en revanche de façon générale la volonté de possession, l'appât des richesses, l'esprit de lucre.

Aristote

Aristote

Chez Aristote (circa 384322 av. J.-C.), on trouve une place beaucoup plus importante consacrée à l’économie : il s'agit de ce point de vue d'un auteur fondamental dans l'Antiquité, et qui aura une très grande influence durant toute la période médiévale.

Aristote montre avec Les économiques et l'Éthique à Nicomaque la différence fondamentale entre l'économique et la chrématistique. La chrématistique (de khréma, la richesse, la possession) est l'art de s'enrichir, d’acquérir des richesses. Selon Aristote, l'accumulation de la monnaie pour la monnaie est une activité contre nature et qui déshumanise ceux qui s'y livrent : suivant l’exemple de Platon, il condamne ainsi le goût du profit et l'accumulation de richesses. Le commerce substitue l’argent aux biens ; l’usure crée de l’argent à partir de l’argent ; le marchand ne produit rien : tous sont condamnables d'un point de vue philosophique. Bien qu'Aristote traite de la chrématistique comme ensemble de ruses et de stratégies d’acquisition des richesses pour permettre un accroissement du pouvoir politique, il la condamnera toujours en tant que telle.

Au contraire, l’agriculture et le « métier » permettent de fonder une économie naturelle où les échanges et la monnaie servent uniquement à satisfaire les besoins de chacun, ce qu’il valorise. Aristote garde toujours le souci d’agir conformément à la nature. Celle-ci fournit « la terre, la mer et le reste » : l’économique est ainsi l’art d’administrer, d’utiliser les ressources naturelles, totalement à l’opposé de l’art d’acquérir et de posséder. Y est incluse l’idée d’un rapport de réciprocité : Aristote ne sépare pas l’économique du social, établissant l’échange comme un « retour sur équivalence » ; on comprend donc qu’il condamne la chrématistique, qui substitue l’objet à la relation sociale puis l’argent à l’objet.

De fait, l'échange, basé sur la monnaie, est toujours envisagé chez Aristote comme permettant de renforcer le lien social : il établit son inexistence dans la tribu (où seul le troc existe) et son apparition avec la cité, c'est-à-dire la société.

Car s'il n'y avait pas d'échanges, il ne saurait y avoir de vie sociale ;
il n'y aurait pas davantage d'échange sans égalité,
ni d'égalité sans commune mesure.

Ainsi, l’apport d’Aristote est tout d’abord une distinction fondamentale qu’il établit entre économie naturelle (économique) et économie d’argent (chrématistique) ; de là une réflexion fine sur le rôle de l'échange dans le lien social. Un autre résultat original et remarquable des réflexions d’Aristote est la différenciation qu’il fait entre valeur subjective et valeur commerciale d’un bien, que l’on peut facilement rapprocher des notions de valeur d'usage et de valeur d'échange qui apparaîtront chez Adam Smith au XVIIIe siècle. On trouve ainsi dans l'éthique à Nicomaque des concepts comme les quatre causes (cause matérielle, cause formelle, cause efficiente, cause finale), qui sont, pour certaines de ces causes, des esquisses des notions de valeur d'échange et de valeur d'usage utilisées dans les théories économiques modernes.

La pensée économique judéo-chrétienne

L'Ancien Testament contient de nombreux jugements et prescriptions économiques. Il ordonne l'absence de propriété perpétuelle sur la Terre et instaure une redistribution périodique. Il interdit les prêts à intérêt, et enfin il hiérarchise selon leur honneur les activités économiques, faisant de l'agriculture la première et du commerce la dernière.

Le Nouveau Testament encourage l'homme à mettre en valeur ses talents, en faisant fructifier des placements (parabole des talents). Si l'homme travaille la terre, c'est un moyen de mettre en valeur ses talents en agriculture, et de même dans tous les domaines de l'activité humaine, dans l'industrie et le commerce par exemple. Mais le Nouveau Testament prévient aussi contre les tentations matérielles liées à l'accumulation et à l'utilisation superflue des richesses. Il insiste sur une répartition équitable des biens (Lazare).

Au IVe siècle se produisit une séparation nette entre le christianisme et le judaïsme sur les questions économiques : le judaïsme commença à élaborer une codification de l'économie (voir Intérêt de l'argent et religions monothéistes), tandis que le christianisme resta figé dans l'interdiction du prêt à intérêt. Cette situation eut des conséquences très importantes par la suite sur les relations entre les chrétiens et les juifs, ces derniers assurant souvent la fonction de banquier, interdite aux chrétiens. Cela fut sans doute aussi une des causes majeures de l'antijudaïsme dans l'Église, le juif étant qualifié de perfide par les chrétiens.

La pensée économique à l'époque médiévale

Les théologiens

Saint Thomas d'Aquin

Le Moyen Âge voit un renouveau des échanges commerciaux et une multiplication des opportunités de profit. Les théologiens de l’époque ne s’attachent pas alors à décrire des mécanismes économiques mais cherchent à définir leur moralité, leur caractère licite ou illicite selon la morale chrétienne.

Pour Saint Thomas d'Aquin (1225-1274), les marchands doivent pratiquer un « juste prix » découlant de la coutume et qui est censé les prévenir d’un enrichissement exagéré. L’activité commerciale doit être légitimée par un apport réel de richesse au produit via sa transformation, son transport ou à la limite par son caractère vital pour la survie du marchand et de sa famille. Il condamne par ailleurs le prêt à intérêt, car selon lui la reconnaissance de l’emprunteur ne doit pas se manifester par une récompense financière, mais par l’estime, la gratitude ou l’amitié. À ce sujet, Saint Thomas d’Aquin pressent bien le futur argument selon lequel « time is money », mais pour lui le temps ne peut être une marchandise : il n’appartient qu’à Dieu.

La pensée économique orientale

À l'époque médiévale, des penseurs arabes ont réfléchi aux problèmes économiques. Notamment Ibn Khaldun (1332 - 1406) a écrit une théorie économique et politique dans Prolegomena montrant par exemple, comment la densité de la population est liée à la division du travail qui conduit à la croissance économique. Cette dernière contribue à accroître la population, formant ainsi un cercle vertueux. Il apporte aussi des premières explications quant à la formation des prix.

La pensée économique de l'époque moderne

L'époque moderne n’apporta pas véritablement une théorie économique. La Renaissance fut une période de changement radical des mentalités et de vision du monde, dû à l'apparition de l'imprimerie et aux grandes découvertes. Le nouveau monde offrit brusquement des perspectives sur le plan économique.

Les besoins de réforme se faisaient sentir depuis le XIVe siècle, justement sur ces questions. En effet, certains aspects économiques pervers de cette époque, comme le trafic des indulgences, étaient de plus en plus mal ressentis par la population, en particulier dans les pays du nord de l'Europe. Les grandes découvertes, qui permirent aux pays du sud de l'Europe de s'enrichir par le commerce transatlantique, ne fit qu'accentuer ce sentiment d'injustice. Le traité de Tordesillas excluait les pays du nord de l'Europe.

La Réforme protestante de Luther se construisit ainsi autour d'une réaction contre le système des indulgences.

Parmi les réformateurs protestants, Jean Calvin défendit le prêt à intérêt, en préconisant un taux modéré de 5%. Le crédit put ainsi se développer dans les villes protestantes.

La Réforme protestante se développa donc dans ce climat de changement de mentalité, dans lequel le travail prenait davantage de valeur par rapport au commerce pur. C’est la célèbre thèse de Max Weber (L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 1905). Il explique qu’avec la Réforme, le travail devint une nouvelle vertu : auparavant destiné à la seule survie, il devint l’origine de la richesse et de son accumulation qui, selon la logique protestante de la prédestination, serait un signe d’« élection divine ». Le travail et la richesse qu’il produit concourent à la gloire de Dieu ; le temps est précieux et l’épargne devient une vertu. La pensée protestante transmettrait aussi selon lui l’éthique du métier, mais assurerait surtout une rationalité plus grande que celle permise par la pensée catholique. Ce faisant, elle lève de nombreux obstacles moraux à l’activité économique.

En 1516, Thomas More fit une première critique des conséquences sociales de la naissance de ce nouveau système économique, que marquait le mouvement des enclosures[2] en Angleterre en décrivant dans Utopia une société imaginaire ou règnerait un régime de communautaire, sans aucune monnaie. Les échanges y étaient régis par un système de troc. Toutefois, on ne peut considérer Utopia comme un traité d'économie, et encore moins réduire la pensée de Thomas More à ce seul ouvrage : Thomas More n'était pas un économiste, mais plutôt un juriste, un homme politique, et un théologien (voir l'œuvre complet dans l'article Thomas More). Il est probable que, vu le peu de facilité dans l'impression, la traduction, et la diffusion des ouvrages à l'époque moderne, la postérité ait effectué un biais sur la pensée et l'œuvre de Thomas More, prenant Utopia comme argument pour la satire d'un système de privilèges aux limites, puis pour la construction de pensées uniformisantes, que nos contemporains assimilent vite, sans doute par un effet d'historicisme, au communisme.

Parallèlement, en Espagne, l'École de Salamanque, à partir de la théorie des droits naturels, propose une conception subjective de la valeur et justifie la propriété privée et la liberté des échanges. Ses auteurs principaux sont les jésuites Francisco de Vitoria (14831546), Martín de Azpilcueta (14931586), Domingo de Soto (14941560), et Luis de Molina (15351600). Cette tradition sera reprise par les classiques français et l'Ecole autrichienne.

Les guerres de religion à la suite de la Réforme ont fait émerger l'idée du libre-échange qui sera formulée plus tard par Hugo de Groot (Grotius).

La naissance de l'économie moderne

Origines

Les premiers précurseurs de l'économie moderne sont Pierre de Boisguilbert et l'économiste irlandais Richard Cantillon. Ce dernier vécut à Paris. Il définit pour la première fois les circuits économiques globaux, et inspira François Quesnay et les physiocrates. Adam Smith, dans son célèbre traité Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations publié en 1776, cite en référence Richard Cantillon (l'un des rares auteurs cités).

Le traité d'Adam Smith est souvent reconnu comme l'acte de fondation de l'économie moderne. L'économie est désormais une branche distincte de la philosophie et de la théologie. Les penseurs en économie ne sont plus issus de l'Église ni des milieux politiques.

Le mercantilisme et les idées physiocrates contribueront à l'autonomisation progressive de l'économie.

Le mercantilisme

William Petty
Article détaillé : mercantilisme.

Dans un contexte de capitalisme commercial, marqué par la multiplication des transports, les grandes découvertes et les monarchies absolues de France et d'Espagne se développe le courant mercantiliste, qui dominera la pensée économique européenne entre le XVIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle.

Au cours de cette période, une littérature éclatée apparaît, pendant laquelle les hypothèses ont évolué, rendant l'idée d'un courant unique assez vague. Il se répandra dans la plupart des nations européennes en s'adaptant aux spécificités nationales. On distingue parmi les écoles mercantilistes: le bullionisme (ou « mercantilisme espagnol ») qui préconise l'accumulation de métaux précieux; le colbertisme (ou « mercantilisme français ») qui est tourné pour sa part vers l'industrialisation; le commercialisme (ou « mercantilisme britannique ») qui voit dans le commerce extérieur la source de la richesse d'un pays et le chrysohédonisme (le fait de placer le bonheur au sein de l'or).

Jusqu'au Moyen Âge, les questions économiques étaient traitées sous l'angle de la religion et les théologiens étaient les principaux penseurs des questions économiques. Cette rupture majeure sera réalisée par les conseillers des princes et des marchands. Cette rupture est marquée dès 1513 avec la parution du Prince de Machiavel où ce dernier va jusqu'à expliquer que « dans un gouvernement bien organisé, l'État doit être riche et les citoyens pauvres ». En 1615, Antoine de Montchrestien publie son Traité d'économie politique et utilise pour la première fois l'expression d'économie politique. Avec lui, les plus célèbres mercantilistes sont le français Jean Bodin, l'espagnol Luis de Ortiz et l'anglais William Petty.

La théorie élaborée par les mercantilistes fait de l'accumulation de métaux précieux (comme l'or et l'argent) la source de la richesse et prône un excédent commercial. D'autre part, elle prend pour objectif le renforcement de la puissance de l'État, représenté par le monarque absolu. Dans ce sens est prônée une « guerre commerciale », se basant sur le protectionnisme et l'interventionnisme. Les mercantilistes veulent une conquête des marchés extérieurs (ventes à l'extérieur des produits manufacturés) mais une préservation (ou une extension) du marché intérieur (restriction aux importations).

On leur doit par ailleurs (et notamment à William Petty) le développement et l'utilisation des statistiques et des méthodes empiriques en économie. Celles-ci dérivent de leur souci de surveiller la balance commerciale et les flux de métaux précieux, et parfois d'une sorte d'obsession du numéraire.

La théorie physiocratique

Article détaillé : Physiocratie.

Par la suite, les physiocrates ou comme ils s'appelaient entre eux la secte des économistes, vont s'opposer aux idées des mercantilistes. Le terme de physiocrate, développé par Pierre Samuel du Pont de Nemours, signifie littéralement « gouvernement de la nature » (du grec kratos et physio ). L'école des physiocrates est originaire de France et a eu son apogée au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le plus célèbre d'entre eux est François Quesnay, qui publie en 1758 son fameux Tableau économique.

La théorie physiocratique voit dans la terre la source de toute richesse, et s'élève contre les politiques qui la délaissent au profit de l'industrie naissante. Au contraire des mercantilistes, les physiocrates s'opposent à l'intervention de l'État. Ils mettent en avant l'existence de lois économiques, comme il existe des lois en physique. Du fait de l'existence d'un ordre naturel gouverné par des lois qui lui sont propres, le seul rôle des économistes est de « révéler » ces lois de la nature.

Autres contributions

Bernard de Mandeville publie en 1714, La Fable des abeilles où il tend à opposer la vertu et la prospérité. Selon cet auteur, la richesse économique collective découle des « vices privés », en particulier de la consommation de biens de luxe condamné par les mercantilistes ou les physiocrates comme un gâchis. Cette tentative de séparer la morale de l'efficace montre la nécessité de rompre avec l'influence des valeurs et de refuser les a priori dangereux. En effet, la conclusion provocatrice de cet auteur est que les vices privés se révèlent en fait être profitables à la communauté et sont donc des « vertus collectives ». Son analyse qui tend à faire de la consommation une action tout aussi utile que l'épargne annonce les thèses futures de John Maynard Keynes. Par d'autres aspects, elle préfigure le libéralisme économique et, selon Friedrich Hayek, l'ordre spontané[3].

Les philosophes des Lumières développent aussi des analyses économiques. Montesquieu est salué par Keynes pour avoir compris le premier le rôle des taux d’intérêt comme instrument de la création monétaire dans De l’esprit des lois (1748). Dans cette œuvre il voit aussi le commerce comme source d'adoucissement des mœurs et de paix entre les nations au contraire des mercantilistes qui en faisaient le « nerf de la guerre ». Jean-Jacques Rousseau décrit quant à lui le processus social de l’appropriation des terres, fondement de l’inégalité parmi les hommes et origine du Droit et de la société civile. L'écossais David Hume apporte la première contribution majeure à la théorie du libre-échange en tentant de démontrer que les déséquilibres commerciaux sont naturellement corrigés par des mécanismes monétaires.

L'école classique et les réponses au classicisme

Les classiques

Article détaillé : École classique.
Adam Smith

L'école classique marque vraiment l'avènement de l'économie moderne. La période classique commence avec le traité d’Adam Smith sur la Richesse des Nations en 1776 et se termine avec la publication en 1848 des Principes de John Stuart Mill. Cette pensée est historiquement développée en France et en Grande-Bretagne. C'est Karl Marx qui inventera le terme classique en opposant les économistes classiques aux économistes vulgaires. Les classiques étant ceux qui ont cherché à déterminer l'origine de la valeur. Keynes adopte une vision plus large lorsqu'il fait référence aux Classiques car il étend cette école jusqu'aux travaux de Pigou (1930). Pour lui, l'ensemble des économistes qui adhèrent à la loi de Say font partie de l'école Classique.

Trois générations d'auteurs vont se succéder:

Les classiques s'intéressent principalement aux questions de production, de fixation des prix de répartition, et de consommation. Il existe entre ces auteurs une grande communauté de pensée. Libéraux, contemporains de la révolution industrielle en Grande-Bretagne, ils assistent à la naissance du capitalisme industriel et en sont les fervents défenseurs. Plusieurs principes et postulats sont au centre de la pensée de cette école.

David Ricardo

Tout d'abord, il existe un ordre relativement naturel dont les lois conduisent à une relative harmonie des intérêts particulier. Mais cet ordre est constamment menacé et il revient à la puissance publique de le protéger. Ainsi pour Jean-Baptiste Say, l’État se doit absolument de protéger la propriété privée qui ne va pas de soi. Pour Adam Smith, il doit empêcher les conspirations des entrepreneurs qui tentent par des ententes de faire monter les prix, ou encore prendre en charge l’éducation des ouvriers que la division du travail abrutit. Les libéraux ont repris à un physiocrate, Vincent de Gournay, la sentence « Laissez faire les hommes, laissez passer les marchandises ». Le marché concurrentiel remplace donc l’État comme régulateur de l’économie, mais l’État garde son pouvoir comme garant de l’existence du marché. Il doit limiter ses autres interventions à ses fonctions régaliennes, ainsi qu'à la fourniture de biens collectifs que l'initiative privée ne saurait fournir (routes, ponts, éducation …)

Enfin, le moteur de l'activité économique est l'intérêt individuel : en ce sens, le libéralisme économique est un individualisme. Pour Adam Smith ou Turgot, l'intérêt de la collectivité est réalisé par la confrontation des intérêts individuels. « Ainsi [...], les motifs égoïstes de l'homme mènent le jeu de leur interaction au plus inattendu des résultats : l'harmonie sociale »[4] (phénomène que Smith désigne sous le terme de « main invisible[5] »).

La différence essentielle entre les classiques anglais et les classiques français est dans leur conception de la valeur. Pour l'école anglaise, le travail est la seule source de la valeur (théorie de la valeur travail[6]). Pour l'école française, la valeur est l'expression du désir que les hommes éprouvent pour les choses (théorie de la valeur-utilité chez Say). On trouve un autre clivage important dans l'école classique entre « le monde merveilleux d'Adam Smith » [7] et les « funestes pressentiments du pasteur Malthus et de David Ricardo »[8]. Ainsi une partie des classiques décrivent un monde autorégulé par la « main invisible » où les crises durables sont impossibles (selon la loi dite « de Say ») tandis que d'autres craignent de voir la surnatalité provoquer la famine, dû à la croissance économique qui entraine un enrichissement de la population et donc un taux de mortalité décroissant (chez Malthus et Ricardo), ou que l'évolution logique de la répartition des richesses en faveur des rentiers entraîne l'économie vers la stagnation (chez Ricardo).

Prémices du socialisme

Les classiques et leurs analyses ont été rapidement critiqués. En 1818, Jean de Sismondi publie ses Nouveaux principes d’économie politique où il critique les conséquences sociales de l'industrialisation visibles dans l’Angleterre de son époque : chômage, inégalité, paupérisation … dénonçant un libéralisme qui ne se fait qu’à sens unique, procurant des droits aux entrepreneurs et imposant des obligations aux ouvriers. Il cherche aussi à développer une théorie économique montrant la possibilité de déséquilibres globaux dans l’économie, notamment des crises majeures de surproduction. Pour ce faire, il introduit la notion de délai entre la production et la consommation (un an dans le cas de l’agriculture par exemple) pour réfuter la loi de Say selon laquelle « les produits s’échangent contre des produits ». À titre d’exemple l’introduction du progrès technique n’accroît pas simultanément l’offre et la demande, car son premier effet est de permettre le licenciement des ouvriers qui ne seront réembauchés qu’à moyen terme, à condition que d’ici là les déséquilibres de court terme ne provoquent une crise de surproduction.

Cette époque est aussi celle de l’émergence de la pensée socialiste. Certains socialistes utopiques comme Charles Fourier dénoncent l’anarchie industrielle. Ce dernier rêve de mettre en place des phalanstères, communauté de 1620 personnes sélectionnées pour leurs caractères et leurs aptitudes complémentaires afin que la communauté soit au mieux organisée et puisse prospérer. De nombreux phalanstères furent par exemple créés aux États-Unis. Certains industriels philanthropes comme Robert Owen théorisent et mettent en pratique des usines modèles ou se développent les cours du soir, la hausse de la productivité par la réduction du temps de travail, où les familles sont prises en charges et jouissent de nombreux agréments : écoles, jardins d’enfants, etc. À l’image de Fourier, il rêve de mettre en place des « villages de coopération ».

En France, Claude Henri de Saint-Simon développe le progressisme industriel et souhaite mettre en place une intervention technocratique de l’État basée sur la planification industrielle et dont l’objectif serait l’amélioration des conditions de la classe laborieuse. Autour de lui se forme une véritable « secte économique », le saint-simonisme.

Enfin, en Grande-Bretagne, le dernier des classiques anglais, John Stuart Mill prône que le libéralisme est la meilleure façon de produire des richesses mais indique qu’il n’est pas pour autant la meilleure façon de les répartir…

Le marxisme

Karl Marx

Au début des années 1840, des universitaires se revendiquant disciples de Hegel et de la gauche, appelés « hégéliens de gauche », critiquent les économistes classiques. Les plus célèbres sont Karl Marx et Friedrich Engels, qui ont écrit ensemble ou séparément de nombreux ouvrages économiques, le plus célèbre étant Le Capital.

Le marxisme repose sur une vision philosophique du monde, à laquelle l'économie est intimement liée. L'économie de Marx repose sur des concepts existants (le travail, la propriété, la consommation, la production, le capital, l'argent ...) que Marx a complétés et surtout redéfinis. Il a notamment développé la théorie de la valeur et la valeur-travail, qu'il a repris aux classiques anglais (en particulier Ricardo).

Le marxisme est resté une théorie hétérodoxe féconde surtout dans les domaines de la philosophie et de la sociologie, ainsi que de l'économie où notamment Rosa Luxemburg avec L'Accumulation du capital[9] (1913), ou plus récemment Paul Baran ou Paul Sweezy ont continué les travaux des marxistes.

L'école historique

Article détaillé : Historicisme (économie).

L'école historique apparaît dans les années 1840 en réaction à l'universalisme des classiques. Elle rejette l'idée de « lois » économiques dissociées de leur contexte historique, social et institutionnel. Wilhelm Roscher déclare que la recherche économique doit être pluridisciplinaire, incorporant des méthodes d'historiens et de sociologues en plus d'économistes.

L'Allemagne est le pays où la pensée historiciste s'est le plus développée et a eu le plus d'influence, allant même jusqu'à rendre ce pays plus ou moins imperméable aux influences exercées par le courant marginaliste en Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

L'école historique allemande s'est formée dans les années 1840 avec les écrits de Bruno Hildenbrand (1812-1878), Karl Knies (1821-1898) et surtout de Wilhem Roscher (1817-1894). Par la suite, Gustav von Schmoller, Friedrich List et Max Weber entre autres contribueront à cette école.

L'école historique anglaise s'est développée parallèlement et indépendamment de sa consœur germanique. Bien que s'appuyant sur une importante tradition empiriste et inductiviste héritée de Bacon et de Hume, elle n'aura pas la même aura que cette dernière. Il faut néanmoins remarquer que durant la période de transition séparant la domination de l'économie classique ricardienne et l'émergence du marginalisme dans les années 1870, l'école historique anglaise constituera pour un temps l'orthodoxie de l'économie politique britannique. Ainsi, W.S. Jevons aura toutes les peines du monde à s'imposer dans le milieu académique.

Très influencée par les auteurs allemands, la version française de l'historicisme n'aura qu'une portée limitée et une unité contestable. Le principal élément fédérateur sera un rejet de l'école de Lausanne de Léon Walras. Ses principaux auteurs seront Charles Gide (1847-1932) et François Simiand (1873-1935).

Voir École des Annales : Fernand Braudel

L'école néoclassique et les réponses au néoclassicisme

L'école néoclassique et ses héritiers

Article détaillé : École néoclassique.
Vilfredo Pareto

L'École néoclassique naît de la « révolution marginaliste » dans les années 1870. Elle forme avec le keynésianisme l'essentiel de l'économie « orthodoxe » qui domine l'enseignement et la pratique universitaire de la discipline économique depuis le début du XXe siècle.

Le terme marginalisme vient du fait que cette école a été la première à utiliser l'utilité marginale comme déterminant de la valeur des biens et le calcul différentiel comme instrument principal de raisonnement. Elle se caractérise en particulier par une extrême mathématisation. Cette école s'est constituée à partir des travaux de Stanley Jevons (1835-1882), Carl Menger (1840-1921) et Léon Walras (1834-1910).On peut distinguer trois écoles issues du marginalisme : l'École de Lausanne, avec Léon Walras et Vilfredo Pareto; l'École de Vienne, avec Carl Menger (voir ci-dessous) et l'École de Cambridge, avec William Jevons.

L'école autrichienne, d'abord assimilée à l'école néoclassique, a toujours soutenu des positions très différentes de celles de Walras et Jevons et est maintenant considére comme hétérodoxe.

Plusieurs courants néoclassiques contemporains se réclament des néoclassiques : les Néo-walrasiens (Kenneth Arrow, Gérard Debreu), l'École des choix publics (James M Buchanan, Gordon Tullock), les Nouveaux classiques (Robert Lucas Jr, Paul Romer), l'École de Chicago (Frank Knight, Jacob Viner, George Stigler, Gary Becker) ou encore les monétaristes (Milton Friedman).

L'École autrichienne

Article détaillé : École autrichienne d’économie.

L’École autrichienne d’économie, issue de Carl Menger en 1871, se distingue de l'École néoclassique en rejetant l’application à l’économie des méthodes employées par les sciences naturelles, et en s’intéressant aux relations causales entre les évènements et non aux équilibres. Outre Carl Menger, ses représentants les plus connus sont Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek. Elle défend le libéralisme en matière économique et plus généralement d’organisation de la société.

La tradition autrichienne se rattache aux scolastiques espagnols du XVIe siècle (École de Salamanque), via les économistes classiques français.

L’École autrichienne s’est opposée à l’École historique allemande (suite à la Methodenstreit), puis à Léon Walras et aux néoclassiques, à la conception objective de la valeur et donc à Karl Marx et au socialisme, et enfin à Keynes et aux macroéconomistes. Ces controverses sont encore vivaces et mettent la tradition autrichienne en conflit avec presque toutes les autres écoles de la pensée économique contemporaine.

L'institutionnalisme

Thorstein Veblen publie en 1899 Why is Economics not an Evolutionary Science?, le document fondateur de l'École institutionnaliste. Il rejette de nombreux postulats de l'école néoclassique, comme l'hédonisme individuel justifiant la notion d'utilité marginale, ou l'existence d'un équilibre stable vers lequel l'économie converge naturellement. L'École institutionnaliste comprend des héritages de l'École historique allemande ; elle se développe principalement aux États-Unis.

Représentants : Arthur R Burns, Simon Kuznets, Robert Heilbroner, Gunnar Myrdal, John Kenneth Galbraith

La théorie des cycles

Article détaillé : cycle économique.

La croissance économique ne se fait pas de façon continue. Elle passe par des phases de croissance rapide et de croissance plus faible, voire de décroissance momentanée ou même de crise économique.

L'évolution de l'activité économique sur des périodes courtes (typiquement sur quelques années) est dénommée la conjoncture économique. Cette notion permet de distinguer ces hauts et bas relativement rapprochés des périodes d'évolutions plus longues de développement, stagnation, voire déclin économique pouvant s'étaler sur des générations.

Observant une certaine régularité dans ces fluctuations de la croissance, des auteurs ont bâti la « théorie des cycles » afin de rendre compte des successions de phases, et ainsi d'envisager une prévision des crises et des reprises de l'économie.

Le keynésianisme

Article détaillé : keynésianisme.

L'analyse de Keynes

Harry White saluant John Maynard Keynes (à droite, 1946)

La crise de 1929 met en exergue la portée limitée des enseignements de la théorie néoclassique : ce courant ne peut en effet appréhender et analyser l'existence dans les années 1930 d'un phénomène de chômage massif. Les théoriciens orthodoxes ne peuvent expliquer que la présence d'un chômage volontaire (au taux de salaire fixé par le marché du travail, certains agents économiques ne préférent pas travailler). John Maynard Keynes développe au contraire une « théorie générale » car elle rend compte non seulement des situations d'équilibre de sous-emploi, mais aussi de plein emploi de toutes les forces de travail et de capital, alors que l'existence d'au moins un équilibre général est l'unique résultat démontré par la théorie néoclassique (encore aujourd'hui !). Son approche théorique est considérée comme la première théorie macroéconomique, qui remet en question plusieurs des principes néoclassiques : la monnaie n'est pas un voile des échanges, le montant de l'épargne n'est pas déterminé sur le marché des capitaux, la détermination du taux d'intérêt est monétaire et non réelle.

Keynes montre qu'une économie de marché parvient le plus souvent à un « équilibre de sous-emploi » durable des forces de travail et de capital. Il rompt ainsi avec l’analyse néoclassique qui analysait le chômage comme « frictionnel » ou « volontaire », afin de montrer que l’économie peut durablement souffrir d’un chômage de masse que les mécanismes du marché seuls ne peuvent résoudre. Ainsi Keynes décrit une dynamique qui empêche toute reprise spontanée de l’économie. Une offre excédentaire initiale provoque des licenciements. Keynes nie de la sorte qu'il occurera un ajustement par les salaires permettant en retour selon les néoclassiques un réajustement des profits et un retour de l’investissement, de la croissance et en fin de l’emploi. La montée du chômage signifie au contraire la disparition des débouchés. Et cette baisse de la demande effective provoque le scepticisme des entrepreneurs qui n’investissent plus induisant une aggravation de la crise. [Il importe de ne pas oublier une autre partie de l'analyse : Les taux d'intérêt monétaire déterminent principalement le niveau de l'activité économique (chapitre 17 de la théorie Générale).

Pour sortir de cette situation non optimale, il est essentiel de stimuler la demande, ce qui permettra de redonner confiance aux investisseurs. Pour ce faire, l’État dispose de plusieurs moyens. Il peut tout d’abord redistribuer les revenus des plus riches (qui ont une plus forte propension à épargner) aux plus pauvres (qui eux ont une forte propension à consommer). L’État peut aussi stimuler la création monétaire via une baisse des taux d’intérêt qui encouragera les gens à emprunter pour consommer et surtout rendra rentable des projets d'investissement dont l'Efficacité Marginale du Capital était inférieur au niveau du taux d'intérêt monétaire. Enfin l’État peut accroître ses dépenses publiques induisant une augmentation de la demande globale en lançant des programmes de grands travaux par exemple. Pour ce faire, il peut même recourir au déficit budgétaire dont il peut espérer qu’il sera à moyen terme comblé par la reprise économique. Le financement de cette politique interventionniste s'opère soit par des prélevements obligatoires supplémentaires, soit une émission de titres sur les marchés des capitaux. Les méthodes de Keynes qui s’appuient sur l’étude des agrégats économiques (entreprises, ménages, État …) et se distinguent de l’étude néoclassique des comportements individualistes, fondent la macroéconomie [10].

L'État-providence Beveridgien

Article détaillé : État-providence.

Alors que la Seconde Guerre mondiale a finalement succédé à la crise, un économiste et parlementaire britannique, William Beveridge, fait de nombreuses propositions visant à redéfinir le rôle de l’État d’après-guerre. En 1942, il préconise dans le rapport Social Insurance and Allied Services un régime de sécurité sociale visant à « libérer l’homme du besoin » en garantissant la sécurité du revenu, sans cesse menacée par les aleas de la vie : maternité, maladie, décès, chômage, accident du travail… Pour ce faire, il propose la mise en place d’un système totalement généralisé, uniforme et centralisé. Il s'intéresse plus spécifiquement au problème du chômage qu’il considère comme le risque majeur dans nos sociétés (Full Employment in a Free Society, 1944), et comme l’aboutissement définitif de tous les autres risques (maladie, maternité, …). Il assimile le devoir de l'État de garantir le plein emploi aux fonctions régaliennes : « Ce doit être une fonction de l’État que de protéger ses citoyens contre le chômage de masse, aussi définitivement que c’est maintenant la fonction de l’État que de protéger ses citoyens contre les attaques du dehors et contre les vols et les violences du dedans. » Depuis, le rôle de l'État dans l'économie a été profondément modifié.

Les débats contemporains

Les keynésiens

Les keynésiens vont sortir l'analyse de Keynes de son contexte original, celui d'une crise économique, pour en faire une méthode de régulation permanente des marchés.

Les prolongements de l'école keynésienne sont :

Les néo-keynésiens

Article détaillé : Néo-keynésien.

Le courant néo-keynésien (appelé aussi « équilibres à prix fixes » ou « école du déséquilibre ») est une synthèse des théories keynésiennes et néoclassiques. Les économistes de cette école s'intéressent aux fondements microéconomiques de la macroéconomie. Sur certains points, tel la rationalité, les néokeynésiens sont plus proches des conceptions de Friedman que de celles de Keynes. Mais ils conservent le caractère non volontaire du chômage en intégrant les systèmes de marché des néoclassiques auxquels ils ajoutent des imperfections du marché du travail comme cause de non-réalisation du plein emploi (asymétrie d'information. aléa moral, Théorie des insiders-outsiders...). Ce courant a été initié par John Hicks dans les années 1930, qui a présenté un modèle succinct de la Théorie générale en termes néoclassiques, le modèle IS/LM. Ses représentants comportent : Franco Modigliani, Paul Samuelson, Robert Mundell, Robert Solow ou encore Edmond Malinvaud en France.

Il convient de ne pas confondre ce courant avec celui des nouveaux keynésiens et les post-keynésiens.

Les monétaristes

Article détaillé : monétarisme.

Au début des années 1960, plusieurs économistes menés par Milton Friedman (chef de file de l'école de Chicago) tentent de relancer la théorie quantitative de la monnaie mise à mal par les analyses keynésiennes. Étudiant le cas américain (M. Friedman et Anna Schwartz, Une histoire monétaire des États-Unis) il remarque que toute évolution brutale de la masse monétaire (aussi bien son augmentation préconisée par les keynésiens dans le cadre des politiques interventionnistes, que sa diminution dans le cadre de politique de rigueur) est synonyme de déséquilibres économiques. Renouant avec la théorie quantitative de la monnaie, ils recommandent une politique monétaire restrictive où l'émission de monnaie serait limitée à une proportion fixe de la croissance du PIB, assurant une expansion parallèle à celle de l’activité. Les monétaristes pronent également la mise en place d'un change flottant permettant le rééquilibrage automatique de la balance extérieure. Ces conclusions remettent en cause la base des politiques keynésiennes et suscitent de nombreux débats depuis.

École des choix publics

Article détaillé : Théorie du choix public.

La théorie des choix publics s'est imposée comme une discipline de l'économie qui décrit le rôle de l'État et le comportement des électeurs, hommes politiques et fonctionnaires. Elle entend ainsi appliquer la théorie économique à la science politique. Le texte fondateur de ce courant est The Calculus of Consent publié en 1962 par James M. Buchanan (« Prix Nobel » d'économie 1986) et Gordon Tullock.

La politique y est expliquée à l'aide des outils développés par la microéconomie. Les hommes politiques et fonctionnaires se conduisent comme le feraient les consommateurs et producteurs de la théorie économique, dans un contexte institutionnel différent : entre autres différences, l'argent en cause n'est généralement pas le leur (Cf. le problème principal-agent). La motivation du personnel politique est de maximiser son propre intérêt, ce qui inclut l'intérêt collectif (du moins, tel qu'ils peuvent le concevoir), mais pas seulement. Ainsi, les hommes politiques souhaitent maximiser leurs chances d'être élus ou réélus, et les fonctionnaires souhaitent maximiser leur utilité (revenu, pouvoir, etc.)

Théorie du capital humain

Article détaillé : Capital humain.

La théorie du capital humain est une théorie/concept économique introduit par Theodore W. Schultz, puis précisé par Gary Becker -dans Human Capital, 1964- visant à rendre compte des conséquences économiques de l'accumulation de connaissances et d'aptitudes par un individu ou une société. Il comprend donc non seulement le savoir, l'expérience et les talents (capital-savoir), mais aussi sa santé physique ou sa résistance aux maladies.

Théorie des contrats implicites

La théorie des contrats implicites cherche à expliquer la défaillance du marché suivante: les salaires ne varient pas en fonction de la productivité marginale des travailleurs. Les observations empiriques montrent une progression constante des salaires au cours de la carrière. Cela s'explique par l'aversion au risque des travailleurs et par la peur de manquer de personnel de la part des employeurs. Cela conduit à l'établissement d'un contrat implicite passé entre ces deux agents où le salarié accepte un salaire inférieur au marché en période de plein-emploi/haute conjoncture et un maintien de son salaire en période de sous-emploi/basse conjoncture (Azariadis, Implicit contracts and unemployment equilibria, 1975).

Selon Bernard Salanié, « l'objet de la théorie des contrats est d'appréhender les relations d'échange entre des parties en tenant compte des contraintes institutionnelles et informationnelles dans lesquelles elles évoluent. »

Nouvelle économie classique

Article détaillé : Nouvelle économie classique.

La Nouvelle économie classique ou Nouvelle macroéconomie classique est un courant de pensée économique qui s'est développé à partir des années 1970. Elle rejette le keynésianisme et se fonde entièrement sur des principes néoclassiques. Sa particularité est de reposer sur des fondations micro-économiques rigoureuses, et de déduire des modèles macroéconomiques à partir des actions des agents eux-mêmes modélisés par la micro-économie.

Les nouveaux classiques comprennent Robert Lucas Jr, Finn E. Kydland, Edward C. Prescott, Robert Barro, Neil Wallace, Thomas Sargent

Nouvelle économie keynésienne

Article détaillé : Nouvelle économie keynésienne.

École de pensée économique se réclamant de la pensée keynésienne pour quelques idées seulement et s'opposant à l'intervention trop rigoureuse de l'État chaque fois que le marché est incapable d'assurer une situation efficace.

Cette nouvelle école n'est pas un courant de pensée unifié, mais ses principaux participants, - George Akerlof, Joseph Eugene Stiglitz, Gregory Mankiw, Stanley Fischer, Bruce Greenwald, Janet Yellen et Paul Romer, sont d'accord sur deux points fondamentaux: la monnaie n'est pas neutre et les imperfections des marchés expliquent les fluctuations économiques[11].

Diversification actuelle de la pensée économique

Depuis les apports de John Maynard Keynes (macroéconomie) dans les années 1930, on note une grande diversification des courants de pensée économiques de nos jours, notamment par l'application de nouvelles approches techniques :

Par ailleurs, l'essor des sciences de gestion (management, marketing, organisation, relations humaines, technologies de l'information) a perfusé en économie, aboutissant en particulier à la reconnaissance du savoir, de la compétence et de l'information comme facteur essentiel (économie de la connaissance) de production et de développement, en plus des trois « classiques » : ressources naturelles, travail et capital.

Notes et références

  1. G.Lelarge, Dictionnaire thématique de citations économiques et sociales, Hachette Education, Paris, 1993, pp.115
  2. imposition de la propriété privée des terres
  3. Friedrich Hayek, "Lecture on a Master Mind : Dr. Bernard Mandeville", Proceedings of the British Academy, 1966, vol. 52, p. 125-141
  4. Robert L. Heilbroner, Les grands économistes, Points Seuil, p.55
  5. cette référence est souvent abusive : l'expression n'apparaît qu'une seule fois dans l'immense ouvrage que constitue La Richesse des Nations et ne sert à décrire que les activités du petit artisanat
  6. Chez Smith, c'est la valeur travail commandé alors que Ricardo opte pour la valeur travail incorporé
  7. R. Heilbroner, Les grands économistes, p. 41
  8. R. Heilbroner, Les grands économistes, p. 75
  9. Rosa Luxembourg : R. Luxemburg : L'accumulation du capital (Sommaire)
  10. on peut toutefois noter que Ricardo avait déjà fait des études sur l’influence de la répartition des revenus entre classes sociales
  11. Marc Montoussé (1999), Théories économiques, Paris, Bréal, p.242

Annexes

Bibliographie

  • Joseph Alois Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, Traduit de l'anglais sous la direction de Jean-Claude Casanova, préface de Raymond Barre, trois tomes, Gallimard, 1983, collection Tel 2004. ( 1600 p. au total, une véritable mine, un monument d’érudition et d’intelligence de la connaissance économique).
  • Maurice Baslé, Histoire des pensées économiques, Sirey, Paris, 1997.
  • Ghislain Deleplace, Histoire de la pensée économique, Sirey, Paris, Dunod, 1999, ISBN 2-10-004233-5
  • Françoise Dubœuf, Introduction aux théories économiques, Repères, La Découverte, 1999, ISBN 2707129577
  • Philippe Steiner, Sociologie de la connaissance économique. Essai sur les rationalisations de la connaissance économique (1750-1850), PUF, 1998.
  • Karl Pribram, Les fondements de la pensée économique, Economica, 1986

Articles connexes

Liens externes

Pensée économique orientale :

Pensée scolastique:

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