Histoire de la langue française

Histoire de la langue française
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Cet article fait partie de la série : Langue française

Cette boîte : voir • français est une langue romane parlée en France, dont elle est originaire, ainsi qu'en Belgique, au Canada, au Luxembourg, en Suisse et dans 51 autres pays, principalement localisés en Afrique, ayant pour la plupart fait partie de l’ancien empire colonial français ainsi que la République démocratique du Congo, ancien Congo belge.

Issu de l’évolution du bas latin vers le latin vulgaire puis le roman au cours du premier millénaire de l'ère chrétienne, le français devient une langue juridique et administrative avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. S’ensuit une longue réforme de la langue promue par les académiciens, pour la régulariser et y réintroduire des vocables latins. Le français classique du XVIe et XVIIe siècles devient le français moderne du XVIIIe siècle, langue véhiculaire de l’Europe. Avec la colonisation, le français se répand en Amérique du Nord au XVIIe siècle, en Afrique au XIXe siècle, ce qui en fait une langue mondiale. Cependant le français perd en influence dans la seconde moitié du XXe siècle, au profit de l’anglais.

Claude Hagège distingue trois périodes de rayonnement du français : la période du Moyen Âge qui s'étend de la fin du XIe au début du XIVe siècle, la période qui s'étend du début du règne de Louis XIV à la fin du XVIIIe siècle, et la période allant de la fin du XIXe au début du XXe siècle[1].

Le terme « langue d'oïl », dans certains cas, peut être un synonyme de français.

La langue française a cette particularité que son développement a été en partie l’œuvre de groupes intellectuels, comme la Pléiade, ou d’institutions, comme l’Académie française. C’est une langue dite « académique ». Toutefois, l’usage garde ses droits et nombreux sont ceux qui malaxèrent cette langue vivante, au premier rang desquels Molière : on parle d’ailleurs de la « langue de Molière ».

Devant la prolifération d'emprunts lexicaux à des langues étrangères, le gouvernement français tente de prendre des mesures pour protéger la « pureté » de la langue. Ainsi, le 7 janvier 1972, il promulgue le décret no 72-9 relatif à l’enrichissement de la langue française, prévoyant la création de commissions ministérielles de terminologie pour l’enrichissement du vocabulaire français. La loi Toubon de 1994 procède de la même préoccupation. Son décret d'application de 1996 a mis en place un dispositif coordonné d'enrichissement de la langue française.

Au Québec, l’Office québécois de la langue française s’occupe de réglementer l’usage de la langue française, elle-même protégée par la loi 101 du Québec. L'office propose sur l'Internet son grand dictionnaire terminologique[2].

Sommaire

Du Ier au Ve siècle : interactions entre latin vulgaire et langues gauloises

L’histoire de la langue française commence avec l’invasion de la Gaule par les armées romaines sous Jules César de 58 à 50 av. J.-C. On considère que la Gaule comptait alors environ 10 millions d’habitants. Après la conquête, les soldats et les commerçants romains ont importé avec eux le sermo cotidianus, ou latin vulgaire. Malgré l'apparente similitude des deux langues (syntaxe, numération, morphologie) le gaulois et le latin vulgaire, l'assimilation est plutôt lente puisqu’elle s'achève après plusieurs siècles, probablement après l'évangélisation des milieux ruraux sous Dagobert. Le latin fonctionne comme langue de l’écrit et de l’administration, tandis que le gaulois, de tradition orale puisqu’il ne s’écrivait pas ou peu, conserve alors une fonction de langue d’échange jusqu'au IIIe siècle dans les centres urbains qui ont connu un essor rapide sous les Romains.

Le latin vulgaire

Article détaillé : Latin vulgaire.

Le latin vulgaire se distingue du latin classique par le fréquent usage de la métaphore : on utilise manducare (« mâchouiller ») au lieu du classique edere (d'où « manger ») ou parabolare (dérivé de parabola « parole ») au lieu de loqui (d'où « parler »), le recours aux diminutifs *auricula et *genuculum (« oreille », « genou »), par la simplification des formes morphosyntaxiques :

  • les genres et cas voient une réduction progressive aux seuls nominatif et accusatif (alors qu'il y en a six en latin classique), la déclinaison du neutre est ramenée à celle du masculin, et des modèles de déclinaisons (troisième, quatrième et cinquième déclinaisons) s’alignent sur les modèles les plus fréquents (première et deuxième déclinaisons).

Le latin vulgaire (ou latin populaire) voit l'apparition des formes verbales analytiques avec un futur de type venire habeo (vénire áio, d'où « je viendrai » en français, vindré en catalan ou vendré en castillan), les formes passives de type amatus sum a valeur de présent (alors qu'en latin classique amatus sum a valeur de passé), et le passé de type habeo panem manducatum (áio pane manducatu, « j'ai du pain mangé », d'où le sens « j’ai mangé du pain »). Disparaissent le supin, le participe futur (morituri te salutant ne peut être traduit que par une périphrase en français moderne), et les infinitifs futur et parfait (amaturum esse, approximativement « être destiné à aimer », et amavisse, approximativement « avoir aimé », peuvent difficilement se traduire en français moderne). Les temps du passé du subjonctif se confondent et se réduisent.

Certains adverbes adoptent aussi des formes analytiques telles que in hac hora (d'où le français « encore », le catalan encara ou l'italien ancora). Les adverbes adoptent la forme en -mente (bonamente, d'où « bonnement »).

L'ordre des mots tend à se fixer. Cela est dû à la réduction des cas aux seuls nominatif et accusatif. En outre, au niveau phonétique, le « m » final, significatif de l'accusatif, disparaît dans la langue parlée (rosam prononcé [rosa, roza] se confond avec le nominatif rosa). Les prépositions, du coup, progressent : ad pour marquer le datif ou l'accusatif (eo ad Roma(m) < eo Romam), de pour marquer le génitif. L'adjectif, l'épithète et le génitif se placent après le substantif (le nom commun). Le verbe prend une position médiane dans la phrase (et non finale, comme en latin classique).

On constate un enrichissement des phonèmes (sons, voyelles et consonnes) avec l'augmentation des phonèmes vocaliques (c'est-à-dire les voyelles telles qu'elles sont dites, plutôt qu'écrites). Cela provient du fait que le système « voyelles courtes/longues » du latin classique est remplacé en latin vulgaire par un système « voyelles ouvertes/fermées ». Ainsi [é] court devient [è], [é] long devient [é] court, tandis que [o] court devient « o ouvert » (comme dans « bonne »), et [o] long devient « o fermé » (comme dans « zone »). Par conséquence, certaines voyelles courtes disparaissent : caldus (calidus, d'où l'adjectif français « chaud » ou le substantif espagnol caldo (« bouillon »). Certaines diphtongues se réduisent : oru(m) < aurum (« or »). Certaines voyelles longues simples se diphtonguent. Mais la diphtongaison n'est pas propre au latin vulgaire, puisque les voyelles longues ne se diphtongueront qu'à partir du IVe siècle; on la rencontre néanmoins dans toute la Romania : français « pied », espagnol pie (<péde(m)). Ce phénomène sera davantage le fait de la Gaule à partir du VIe siècle. Les sons [v] et [z] apparaissent (vivere était prononcé [wiwere] en latin classique). Les consonnes sourdes intervocaliques se sonorisent : [vida] (< vita), [roza] (< rosa). Les consonnes affriquées apparaissent : [k] se palatise devant e et i devenant ainsi ky/ty puis tsh (en Italie) et ts (en Espagne et en Gaule), voire se sonorise entre deux voyelles (en Gaule) : placere prononcé [plajdzere] (d'où « plaisir »).

Le substrat gaulois

Articles détaillés : Gaulois (langue) et Langue celtique.

Lors de la mise en place du pouvoir romain, La Gaule était peuplée d'une multitude de tribus celtes et belges qui, pour la plupart, parlaient le gaulois (ou plutôt, de nombreuses variantes sans doute mutuellement intelligibles car ayant un fond commun important). Après la conquête du pays en 51 av. J.-C., et au cours des siècles suivants, la langue des Romains (le latin vulgaire) fut peu à peu adoptée par tous, mais le bilinguisme dut être une réalité jusqu'à la fin IVe siècle selon certains[3], ou du Ve siècle selon d'autres[4],[5].

  • Le gallo-roman conservera la syntaxe et l'influence sur le vocabulaire fut certaine : en gaulois, le verbe est souvent en deuxième position dans la phrase, et l'ordre sujet+verbe est fréquent. La numération vigésimale (par vingt) proviendrait du gaulois (« quatre-vingts »), ainsi que le suffixe de localisation -acum: noms topographiques ou noms de domaines en -ac (dans la partie sud de la France et en Bretagne) ou en -ay, -ai, -ey, -é ou -y (dans la partie nord et centrale de la France, en Suisse romande et en Belgique romane[6], d'où les villes Cognac, Tournai, Cernay, Neuilly, Chaillé, etc.). Ne subsistent en français moderne qu'environ 150 mots courants, mais aussi des termes et expressions dont l'étymologie reste mal éclaircie et qui pourraient dans certains cas, s'expliquer par une action du substrat gaulois. Ex. : aveugle < bas-latin aboculis présenté souvent, sans argument convainquant, comme un calque du grec, jusqu'à la découverte sur le Plomb de Chamalières du terme celtique exsops ayant précisément la même signification qu'aboculis "privé d'yeux"[7].
  • L'action du substrat gaulois dans l'évolution phonétique du latin de Gaule est plus difficile à déterminer. Cependant elle est certaine, puisque attestée sur des inscriptions, pour l'évolution du groupe /pt/ et /ps/ qui se sont confondus avec /kt/ et /ks/, c'est-à-dire réduits à /xt, xs/ puis à /it, is/ (/i/ second élément d'une diphtongue). Exemple : capsa > *kaxsa > caisse; captîvus > kaxtivus > vieux français chaitif > chétif[8]. La voyelle [y] (le « u » français, y du grec classique ou ü allemand) était présente en gaulois, mais certains linguistes estiment que ce sont les Francs qui l'ont réintroduite en Gaule. Certaines évolutions phonétiques décrites comme aberrantes pourraient être liées à une action du substrat gaulois. Ex: coudre (coudrier) < *colurus, par métathèse, < latin corylus, influence du gaulois *collos Cf. irlandais, gallois coll.
  • L'influence du gaulois explique aussi probablement la « faculté » qu'a eue la langue française à s'éloigner des mots « étymons », de sorte qu'on en perde l'étymologie des mots. Les langues celtes ont cette faculté de se transformer vite à travers les siècles, de sorte que si on compare aujourd'hui le breton et l'irlandais, le profane n'y verra pas de ressemblances entre les deux langues. Les Italiens, les Catalans, les Occitans et les Castillans peuvent à la rigueur se comprendre entre eux, mais ils ne pourront pas comprendre un francophone. Exemples : « métier » (< ministerium)[9], « raide » (< rigidus) et « froid » (< frigidus).

Autres caractéristiques du gaulois :

  • C'est une langue à déclinaisons et conjugaisons, avec un lexique riche en dérivations et compositions (suffixes, préfixes):

Ver-cingeto-rix (« supérieur-marcheurs (guerriers)-roi »).

  • Présence de phonèmes étrangers au latin classique : l'affriquée [ts] parfois écrite par un d barré (le français « souche » pourrait venir d'un gaulois *tsuka); présence de la voyelle [y].

La langue gauloise est mal connue car peu d'inscriptions ont été retrouvées, même si le corpus des inscriptions gauloises est de plus en plus important, donc la connaissance de la langue augmente. On la retrouve dans le français par des mots attachés au terroir (tels que char/charrue, arpent, bâche, borne, alouette, bruyère, bouleau, chêne, if, druide, chemin, suie, caillou, galet, marne, glaise, etc.), aux produits qui intéressent peu le commerce romain (tels que ruche[10], mouton, crème, raie, tanche, vandoise, tonneau[11], jarret, etc.) ou aux toponymes (Voir toponymie française).

Du Ve au IXe siècle : influence du superstrat francique

Article détaillé : Francique (langue morte).

Facteurs externes, linguistiques et non linguistiques

Les migrations des germains à partir du Bas Empire provoquent en partie la chute de l'Empire romain en 476 et marquent traditionnellement la fin des évolutions phonétiques communes à l'ensemble de la Romania. En Gaule du Nord, la langue gallo-romane et le germanique cohabitent dès le IIIe siècle jusqu'au Xe siècle à l'écart des zones frontalières avec les dialectes germaniques, et le colinguisme devient la règle. Même s'il n'a pas pu prévaloir (les soldats et chefs germains se mariant à des Gallo-Romaines, leurs enfants tendent à privilégier la langue maternelle), le francique (et les autres langues germaniques) influe dès lors sur la langue romane ; il resterait en français moderne moins de 1 000 mots de cette origine ; cette langue aurait modifié le protofrançais dans sa prononciation et plus légèrement dans sa syntaxe. Les Francs des premiers siècles parlaient davantage des dialectes bas-allemand tandis que les Francs de l'époque de Charlemagne parlaient davantage des dialectes haut-allemands comme le montrent les Serments de Strasbourg [12].

L'influence des parlers germaniques sur le gallo-roman parlé en Gaule du nord a aussi eu des conséquences phonétiques, avec notamment l'apparition de nouveaux phonèmes inexistants ou disparus du latin vulgaire. Ainsi, un phonème /w/ apparait avec les emprunts de termes au germanique, mais qui va aussi se substituer au /v/ du latin vulgaire à l'initiale de quelques mots d'origine latine, différenciant en cela le français des autres langues romanes, y compris l'occitan. Ainsi le bas latin « vespa » va-t-il devenir « wespa » en gallo-roman septentrional, pour aboutir à « guêpe » en français central (et « wêpe » ou « vêpe », plus au Nord), tout comme « gui », « goupil » (renard), etc. De même, le phonème /h/ « expiré » (par une fricative vélaire sourde [χ] ou par une spirante laryngale) apparait avec l'emprunt de mots germaniques, mais comme le cas précédent, par contamination de mot d'origine latine, par exemple haut, influencé par le terme germanique hôh équivalent. Aujourd'hui, ce phonème est réduit au h graphique dit « aspiré », destiné à empêcher la liaison avec la voyelle du terme précédant. Voir aussi Liste des graphies des phonèmes du français.

C'est cette influence germanique qui distingue la langue d'oïl de la langue d'oc. Le picard, le wallon et le normand septentrional sont les langues néo-latines les plus germanisées, alors que le français officiel tend à se rapprocher du latin sous l'action des clercs et des érudits dès la fin du Moyen Âge et surtout à la Renaissance avec l'emprunt de nombreux termes au latin classique, mais aussi au latin populaire par l'intermédiaire de l'italien. Au niveau graphique par exemple, le français moderne a cherché à éliminer les lettres k et w, jugées trop germaniques, alors que ces lettres furent employées couramment en ancien français (Voir La Chanson de Roland dans son texte original). Parallèlement aux emprunts au latin, les mots d'origine germanique tendent à devenir moins nombreux : « sûr »/« sûre » (au sens d'« amer » / « amère », cousin de l'allemand sauer), « maint »/« mainte » (< *manigiþô- cf. néerlandais menigte, foule, grand nombre; anglais many), guet (du francique waht-), « heurt » (probablement issu du francique *hûrt, d'après le vieux norrois hrutr), etc. Cependant, certains mots d'origine germanique ont pénétré le français par le biais de l'anglais, du néerlandais et de l'allemand : « boulevard » (du vieux néerlandais bolwerk), « échoppe » (du néerlandais, voir aussi l'anglais shop), « nord »/« sud » (du vieil anglais), « bâbord »/« tribord » (du néerlandais bakboord).

Avant le Ve siècle, de nombreux mots d'origine franque et germanique en général seraient entrés en latin vulgaire bien avant les grandes invasions[13]. Dès le IIIe siècle notamment, des Lètes germaniques s'installent en Gaule du nord, d'autres sont en garnisons dans l'armée romaine aux frontières terrestres mais aussi maritimes de l'empire. Ainsi, par exemple, y avait-il de nombreux contacts entre Germains rhénans et Romains notamment en Gallia belgica. Les Francs, en particulier, occupèrent de hautes fonctions dans l'administration romaine et dans l'armée, à l'origine de la dynastie mérovingienne entre autres. Avant les grandes invasions, les rapports entre Germains et Gallo-Romains sont tels que le Code théodosien (an 370) interdit les mariages mixtes et les édits d'Honorius (fin IVe-début Ve) interdisent le port du costume barbare en ville (manteau de fourrure, cheveux longs, pantalons). Le mot Francia lui-même, qui devait désigner probablement une zone imprécise en Gallia Belgica, est une latinisation du francique Franko qui date du IIIe siècle (Franko, pour Franko(n) ; voir Franconie en français, Franken en allemand).

Du Ve au IXe siècle, en Gaule du Nord, la langue gallo-romane et le germanique cohabitent souvent. De même, la zone des parlers germaniques proprement dit s'étend vers le sud et l'ouest. La majeure partie de l'Alsace, une très grande partie de la Lorraine, la Flandre, le Boulonnais sont gagnés au germanique avant que celui-ci recule par endroit au Moyen Âge. Il était même de mode de donner aux enfants des prénoms germaniques, mode qui se perpétua, puisqu'au IXe siècle neuf personnes sur dix portent un prénom d'origine franque (exemples « Charles », « Louis », « Guillaume », « Richard » et « Robert »). Les Mérovingiens, puis les Carolingiens sont bilingues; Hugues Capet (Xe siècle) qui était de mère saxonne, semble avoir été le premier souverain de France à avoir eu besoin d'un interprète pour bien comprendre le francique ou certains de ses dialectes.

C'est le bilinguisme dans l'armée qui explique pourquoi les Serments de Strasbourg de 842 furent écrits en romana lingua et en teudisca lingua (teudisca, on rencontre aussi thiotisca et theodisca, de même racine que l'allemand deutsch, l'ancien français thiois et l'italien tedesco > « tudesque » (XVIIIe siècle) ; les alternances t/th et eu/eo/io reflètent des tentatives diverses de transcrire des sons absents de l'alphabet latin). On estime généralement que les Serments de Strasbourg sont le premier texte écrit en protofrançais (ou romana lingua ou encore roman). Cette romana lingua ne ressemble pas beaucoup au français moderne mais elle en est l'ancêtre. La première mention de l'existence d'une langue romane ne date que de 813, lors du concile de Tours, réuni à l'initiative de Charlemagne, qui impose désormais de prononcer les homélies dans les langues vulgaires au lieu du latinrusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur, c’est-à-dire dans la « langue rustique romaine » (« langue romane de la campagne », forme de protofrançais nommée roman ou gallo-roman (pour la France) ou dans la « langue tudesque » (tiesche langue en ancien français) pour l'Allemagne — afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit. C'est en effet à cette époque qu'en France on prend conscience qu'on parle une langue différente du latin, probablement parce que, de toutes les langues romanes, elle en est la plus éloignée. Il faut attendre entre 880 et 881 pour le premier texte littéraire, la Séquence de sainte Eulalie, encore que l'on puisse considérer que la langue de ce texte est plus du picard que du français lui-même[réf. nécessaire].

La substance du superstrat francique

Les changements linguistiques observables en français attribuables au superstrat francique sont :

Le vocabulaire avec l'introduction de mots issus de la guerre et la conquête : balafre, broyer, butin, effrayer, 'éperon, épieu, fief, flanc, galoper, garder, gars/garce/garçon de *wrakjo (« soldat, mercenaire »), guerre, guetter, hache, heaume, maréchal, sénéchal, taper ; des fêtes et institutions : bannir, baron, danser, fief, gage, rang ; des sentiments : émoi, épanouir, haïr, honte, orgueil, regretter ; des vêtements : broder, coiffe, écharpe, étoffe, gant, haillon, housse, moufle, poche ; de la nourriture : cruche, flan, gâteau, gaufre, groseille, souper ; des corps : babines, crampe, guérir, hanche, heurter, rider, saisir, tomber ; des animaux : brème, chouette, épervier, esturgeon, hanneton, hareng, marsouin, mulot, renard ; des constructions : auberge, beffroi, halle, loge, salle ; des adjectifs de couleurs [14] : blafard, blanc, bleu, blond, brun, gris, sale ; des adverbes : trop (même origine que troupe), guère [15] ; généralement tous les mots en <h> aspiré et en <gu> dur (haine, guerre).

La dérivation morphologique avec les suffixes en :

  • -ard, propre au français, du francique hard (« dur »): chauffard, trouillard, criard. Ce suffixe produit des mots péjoratifs d'une intensité réelle et est encore productif dans la langue moderne.
  • -aud (du francique -wald) de nature péjorative, n'est par contre plus productif pour créer de nouveaux mots, cependant il s'est confondu avec le suffixe latin -ot à cause de l'érosion consonantique (Il est devenu homophone) et de la proximité de sens.
  • masculins -ois, ais, ancien féminin -esche proviennent généralement du francique -isk comme dans français < françois < frankisk (cf. all. fränkisch, angl. frankish), anglais < anglois < anglisk (cf. all. englisch, angl. English) qu'on ne doit pas confondre avec le suffixe -ais/aise (espagnol és, italien -ese) issu du latin -ens(is).
  • -ange (voir anglais ou néerlandais -ing, allemand -ung) par l'intermédiaire des dialectes d'oïl du Nord : boulange/boulanger, vidange (du verbe vider), mélange/mélanger (du verbe mêler).
  • ancien suffixe -enc (de -ing comme le précédent) > -an/and, rare, dans les mots chambellan, cormoran, paysan, merlan ainsi que tisserand, flamand, etc. Il s'est confondu parfois avec -ant d'où l'alternance graphique paysan / jadis également paysant (Cf. anglais peasant) ou encore -anum > -ain, chambellan / jadis également chamberlain (Cf. anglais chamberlain). Ne pas confondre avec -an < -ano issu des mots empruntés à l'italien comme artisan.

avec les préfixes :

  • mé(s)- de *missi- ne subsiste que dans quelques mots (mésentente, mégarde, méfait, mésaventure, mécréant, mépris, méconnaissance, méfiance, médisance) et n'est plus utilisé de façon spontanée dans la création de nouveaux mots (voir anglais misunderstand, mistake, miscarry, allemand miss-).
  • for- / four- de fĭr- (cf. allemand ver- au sens négatif) qui s'est confondu avec la préposition d'origine latine fors (anc. franç. foers, fuers), hors de, du lat. fŏris. : forcené (anc. franç. forsené sur sen < germ. sinnu, bon sen(s), intelligence, direction, confondu avec le latin sensus, sens. cf. assener); (se) fourvoyer, forban, etc.

La prononciation voit le renforcement de l'accent tonique d'intensité en milieu de mot ; ceci a eu pour conséquence l'amuïssement ou la chute de la voyelle finale, et la diphtongaison des voyelles longues en milieu de mot (phénomène attesté à partir du VIe siècle) : murus > murs (masculin singulier), murum > mur (accusatif singulier); máre > *maer > mer; rosa > rosa (prononcé [rozë])[16]. Ceci entraîne l'assourdissement des consonnes finales : grande > grant (d'où la prononciation [t] dans « grand homme » en français moderne).

On observe la (ré)introduction du [y] (ü): parmi les langues romanes, ce phonème existe également en occitan ainsi que dans certains dialectes gallo-italiques et rhéto-romans.

Le « h » aspiré, disparu du latin tardif, tout comme dans la plupart des langues romanes réapparaît. La période romane avait introduit la prononciation d'un [h] dit «aspiré» dans des mots d'origine francique comme hache, haine, haïr, halles, harnais, hêtre, héron, etc. Cette prononciation du [h] s'est atténuée au cours de l'ancien français, qui finira par ne plus écrire le <h> initial dans la graphie. Par exemple, le mot homme du français moderne s'écrivait ome (du latin hominem) en ancien français. Le < h > graphique a été réintroduit dans les siècles suivants soit par souci étymologique (p. ex. ome < lat. hominem > homme, alors que « on » issu de l'étymon homo, ne prend pas de < h >) soit pour interdire la liaison et noter le hiatus (p. ex. harnais, hutte, etc.) ou encore pour empêcher la confusion du u (écrit jadis v) avec un v a l'initiale de mots comme huile, huis, huit

La consonne [w], disparue du latin vulgaire, apparait dans les mots d'origine francique et se mue [gw], pour aboutir à [g] en français moderne (et dans les autres langues romanes) : guerre, gâcher, garder, gaulois/Gaule, alors que les dialectes du nord des pays de langue d'oïl (normanno-picard, wallon, champenois, bas-lorrain, bourguignon..), l'allemand et l'anglais conservent le [w] : allemand Ver-wirr-ung "désordre, trouble" < moyen haut allemand werre, waschen "laver", warten "attendre, garder", welsch "français (péjoratif)"; anglais wash "laver", ward "pupille, salle d'hôpital", welsh "gallois". À noter que certains termes d'origine latine avec [v] initial sont passés à [w] sous l'influence de mots germaniques analogues (contrairement aux autres langues romanes en général) : goupil, guêpe, guiche, gué, gui, gaine...

La syntaxe voit la présence systématique d'un pronom sujet devant le verbe, comme dans les langues germaniques : « je vois », « tu vois », « il voit », alors que le pronom sujet est facultatif - fonction du paramètre pro-drop - dans les autres langues romanes (comme dans veo, ves, ve). Le pronom « on » (de (h)om/homme), propre au français, pourrait lui aussi être un calque du germanique (voir allemand mann/man, néerlandais man/men, danois mand/man). L'inversion « sujet/verbe > verbe/sujet » pour former les interrogations, se rencontre dans les langues germaniques mais pas dans les langues romanes, sauf en français. L'adjectif placé devant le substantif est propre aux langues germaniques, il est plus fréquent en français que dans les autres langues romanes et parfois obligatoire (« belle femme », « vieil homme », « grande table », « petite table »); quand il est facultatif c'est que le sens n'est pas le même : « homme grand »/« grand homme » (et «l'homme le plus grand»/«le plus grand homme») , « certaine chose »/« chose certaine ».

De plus, la syntaxe germanique exerça également une influence assez importante, comme l'atteste le fait de faire placer le sujet après le verbe lorsqu'un complément ou adverbe précède celui-ci. Par exemple, l'endemain manda le duc son conseil pour le duc appela le lendemain son conseil. Tous ces faits illustrent que la germanisation de la «langue romane rustique» fut très considérable au point où les langues d'oïl prendront des aspects très différents des autres langues issues du latin, notamment au sud où les langues occitanes sont restées plus près du latin[17].

Possiblement l'usage du verbe « avoir » comme verbe modal pour former des temps du passé (« j'ai fait », « j'ai dit »); cet usage est commun à toutes les langues germaniques, qu'on retrouve aussi en catalan, castillan et italien où il y a des superstrats germaniques. Cet usage du verbe « avoir » n'existait pas en latin classique. Possiblement, en ancien français, la conservation d'un suffixe nominatif sujet (un -s étymologiquement issu du latin dans li mur-s "le mur", li fil-s "le fils") absent du latin vulgaire et des autres langues romanes.

Graphie

Aussi, les minuscules de l'alphabet dit latin sont en fait la variante nord-européenne / germanique de l'alphabet des Romains. L'alphabet que les Romains utilisaient n'avait pas de minuscules, et correspondait aux seules majuscules (A, B, C…). Charlemagne unifia l'écriture de l'Europe du Nord et celle du Sud en combinant les deux (le Sud n'utilisait encore que l'alphabet romain), d'où le double alphabet majuscules/minuscules. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on appelle parfois les minuscules l'« écriture caroline » [carol-, de Carol(us Magnus) "Charlemagne"]. Le Nord germanique a toujours su créer de nouvelles lettres (w, j, Þ, ð, ø; il y a aussi le k peu présent en latin mais répandu dans le Nord et en ancien français), alors que le sud a toujours été plus conservateur et préfère l'ajout d'accents à des lettres existantes (ç, é, è, à, ñ, ô, ã, etc.) ou la combinaisons de lettres pour transcrire un seul son (« ch », « ph », il y a aussi les combinaisons françaises « eu », « ou » (digrammes), ou encore « qu » là où « k » pourrait être utilisé).

Roman ou gallo-roman

Article détaillé : Roman (langue).

« Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, dist di in auant, in quant deus sauir et podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra saluar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon uol cist meon fradre Karle in damno sit »
    — extrait des Serments de Strasbourg (843) :

L'influence du germanique est visible au niveau de la syntaxe, l'adjectif mis avant le nom (christian poblo) et l'orthographe; présence du k (Karle, « Charles ») et du dh (Ludher, « Lothaire ») qui transcrit le d interdental (le th sonore anglais).

Ici l'écriture caroline (les minuscules modernes) est employée. Elle n'existait pas au début de l'ère chrétienne (on n'utilisait alors que les majuscules actuelles); ainsi la lettre « v » s'écrivait « V » en majuscule et « u » en minuscule, et transcrivait aussi bien la consonne [v] ou la voyelle [y] (le « u » français ou le ü allemand). La différenciation V/v et U/u n'apparaitra que bien plus tard.

Du IXe au XIIIe siècle : ancien français

Articles détaillés : ancien français et langue d'oïl.

Pendant la période du Xe au XIIIe siècle, les locuteurs appelaient leur langue le « roman/romanz/romance », puis fanceis vers les XIIe-XIIIe siècles.

Rayonnement de l'ancien français

La période qui s'étend de la fin du XIe siècle au début du XIVe siècle correspond à une période de rayonnement du français médiéval.

Le français sous sa forme normande s'introduit en Angleterre dans le sillage de la conquête de ce pays en 1066 par Guillaume le Conquérant. Le règne du français y durera plus de trois cents ans, laissant dans le vocabulaire de l'anglais des marques profondes, qui donnent à une grande partie de ce vocabulaire une physionomie romane, souvent trompeuse.

L'érudit florentin Brunetto Latini écrit en langue d'oïl son Livre du Trésor, vers 1265, et s'en explique en déclarant que c'est là la « parlure plus délectable et plus commune à toutes gens ». Le chroniqueur vénitien M. da Canale assure, à la fin du XIIIe siècle, que « la langue française court le monde[18] ».

Emprunts de l'ancien français à des langues étrangères

Les Normands, suite à leur conquête de l'Angleterre reçoivent en retour des mots issus des Vikings : l'ancien français s'enrichit principalement de termes de navigation : agrès, cingler, crique, étai, étambot, étrave, gréer, hauban, hune, narval, quille, tillac, etc.

L'ancien français emprunte environ 270 mots à la langue arabe, généralement par l'intermédiaire du latin médiéval ou, dans une moindre mesure, de l'italien et de l'espagnol. L'Empire arabe s'accompagne d'un développement des lettres, des sciences et des arts. L'ancien français y puise notamment des mots scientifiques (en particulier dans le domaine de la médecine, de l’alchimie, des mathématiques et de l’astronomie) et des termes issus de la riche civilisation des Maures : alambic (< latin médiéval alembicus), alchimie (< latin médiéval alchimia), algèbre (< latin médiéval algebra), amiral, azur (< latin médiéval azurium), calibre, chiffre (< latin médiéval cifra « zéro »), échec (< latin médiéval scacus, avec probable influence francique sur la finale), élixir (<latin médiéval elixir), hasard (< espagnol azar), jupe (< dialecte italien du sud jupa), momie (< latin médiéval mum(m)ia), nuque, raquette, sirop (, zénith (<latin médiéval zenit), zéro (< italien zero, altération de zefiro, issu du latin médiéval zephirum), gazelle, goudron, etc. Le développement du commerce des grandes cités italiennes avec des pays de langue arabe, enrichit la langue française en termes liés à ces activités commerciales : arsenal, avarie (< italien gênois avaria), camphre (< latin médiéval camphora < italien cafora), coton (< italien cotone), douane (< ancien italien doana, dovana), magasin (< italien magazzino), matelas (< italien materasso), orange (< italien arancia), sucre (< italien zucchero)[15], etc.

Œuvres principales

Aux XIVe et XVe siècles : moyen français

Article détaillé : moyen français.

Cette langue de transition entre le français ancien et moderne a duré du XIVe au XVe siècle. Les XIVe et XVe siècles se caractérisent par une grande désorganisation. Le XIVe siècle est marqué par la grande peste et par la guerre de Cent Ans, qui entraîne une désorganisation des institutions.

Pour cette période, le Livre des merveilles du monde de Jean de Mandeville est important sur le plan linguistique. Ce livre qui raconte le voyage en Chine de l'auteur, est un manuscrit édité à 250 exemplaires dans différentes langues.

Au XIVe siècle, Les Enseignemenz, livre de recettes, écrit entre 1304 et 1314 recommande : « Por blanc mengier — Se vos volez fere blanc mengier, prenez les eles e les piez de gelines e metez cuire en eve, e prenez un poi de ris e le destrempez de cele eve, puis le fetes cuire a petit feu, e puis charpez la char bien menu eschevelee e la metez cuire ovec un poi de chucre. » Au XVe siècle, François Villon écrit le Lais ou le Petit Testament vers 1456 : « Le regart de celle m’a prins / Qui m’a esté felonne et dure / Sans ce qu’en riens j’aye mesprins, / Veult et ordonne que j’endure / La mort, et que plus je ne dure. »

Du XVIe au XVIIIe siècle : français classique

Article détaillé : français classique.

Néologisme foisonnant

La Renaissance se produit en France avec un siècle de retard par rapport à l'Italie. Pendant la Renaissance, la société cultivée continue d'apprendre et d'employer le latin et le grec ancien dans les universités. Pour la première fois dans notre langue, les emprunts lexicaux au grec se font directement et non par l'intermédiaire du latin et les néologismes helléniques sont fréquents dans le domaine des sciences et de la politique[19]. On observe une relatinisation avec création de très nombreux doublets lexicaux. Ainsi, par exemple, au mot populaire cheville s'adjoint le mot médical clavicule tous deux issus du latin classique clavicula. Dans la satire de François Rabelais sur les latinismes de l'écolier limousin, cinq mots sont attestés pour la première fois dans notre langue : célèbre, génie, horaire, indigène et patriotique[19].

L'italien, rayonnement culturel oblige, donne lieu à de nombreux emprunts lexicaux (environ 2 000 mots). Citons parmi tant d'autres balcon, banque, caleçon, pantalon, douche, escalier, concert, carnaval, carrosse, façade, frégate, négoce, carnaval, courtisane, moustache, sonnet, caresse, spadassin, sentinelle, caporal, brave. Le philologue Henri Estienne se moque de tous ces emprunts dans Deux dialogues du nouveau français italianisé et autrement déguisé entre les courtisans de ce temps en 1578, dans lequel il s'adresse aux lecteurs et tutti quanti[20].

L'espagnol, pour les mêmes raisons, nous donne bandoulière, bizarre, fanfaron, mascarade et surtout les mots venus du Nouveau Monde comme tabac, patate, cacao, chocolat alors que le portugais nous lègue ananas venu du Brésil et mangue venu de la langue de Malabar[21].

Outre ces « importations », le français foisonne alors de mots nouveaux et les auteurs de La Pléiade (dont Du Bellay qui publie en 1549 Défense et illustration de la langue française afin de promouvoir sa langue) créent des nouveaux modes de formation avec juxtaposition adjectivale (doux-utile, aigre-doux), verbale (ayme-musique), la formation de noms à partir d'infinitifs (tels que le chanter, le mourir, le vivre, le savoir), la suffixation ou préfixation (contre-cœur, nombreux diminutifs comme mignonelettte, doucelette, etc.) dont certains éléments n'existent pas de façon autonome : monologue n'est pas un mot grec mais un mot français de la Renaissance ! La logique de Port-Royal correspond à des travaux en logique en rapport avec la linguistique, par les jansénistes Antoine Arnauld et Claude Lancelot.

Codification

L'une des pages de l'ordonnance de Villers-Cotterêts

La langue française acquiert alors un statut officiel définitif, illustré par l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui impose le français comme langue du droit et de l'administration. Le droit doit être écrit en français[22] et plus en latin. Dans le sud du royaume, cette mesure porte le coup de grâce à l'usage juridique et administratif de l'occitan, qui était déjà en recul depuis deux siècles[23].

Avec l'imprimerie, grande invention de la Renaissance, et la diffusion du savoir — un besoin de codification — les grammairiens, les lexicographes, les théoriciens de la langue, les linguistes[24] prennent de l'importance. Le premier Dictionnaire françoislatin, celui de Robert Estienne, est publié en 1539. Moins d'un siècle plus tard, en 1635, la création de l'Académie française consacre l'effort de codification, défense et illustration de la langue française (pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Joachim du Bellay publié en 1549). Paradoxalement, il s'en est suivi une relatinisation artificielle[évasif] (ex: doit devenant 'doigt' pour le rapprocher du latin digitus ou pie devenant 'pied' qui se rapproche de pedis) et un appauvrissement du lexique, suite à une purge du vocabulaire, plus particulièrement des mots d'origine non latine, promu par les auteurs et les écrivains de renom ayant reçu une formation des milieux religieux devenus les seuls tenants de la langue latine (ecclésiastique). Épurer et discipliner la langue française a été notamment l’œuvre de la vie de François de Malherbe, supprimant notamment les vocables provinciaux ou les mots techniques. Le janséniste Claude Lancelot écrit en 1660 la célèbre Grammaire de Port-Royal, texte normatif fondamental pour la langue française. C'est dans ce contexte de codification que s'est développé le courant littéraire de préciosité qui utilise à foison les métaphores et périphrases, crée de nombreux néologismes.

Rayonnement culturel et géographique

De 1604 à 1759, quelques milliers de Français venant de différentes régions de France colonisèrent la Nouvelle-France. Ces immigrants arrivèrent souvent avec des patois qui n'étaient pas celui de leurs nouveaux voisins et adoptèrent alors rapidement une langue commune pour bien se comprendre, soit le français parlé par l'administration royale, les fonctionnaires et les officiers de l'armée et de la marine[25]. C'est ici que les Français québécois, acadien et terre-neuvien prennent leur origine.

En Europe, le français devient progressivement la langue diplomatique et remplace le latin dans les traités entre États. Le traité d'Utrecht (1713) entre l'Espagne, la Grande Bretagne et la France[26] et le traité de Rastatt (1714), conclu entre Louis XIV et Charles VI[27], ont été rédigés en langue française.

À partir du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours : le français moderne

Nationalisation et internationalisation de la langue française

À la veille de la Révolution française, on estime qu'un quart seulement de la population française parle français, le reste de la population parle des langues régionales.

Au nord ce sont les parlers d'oïl, au sud les parlers d'oc, formes régionales de l'occitan, ainsi que le breton, le basque, le catalan, l'arpitan, le flamand, l'alsacien entre autres. L'unification du français débutée par Talleyrand et continuée par Jules Ferry a pour but de créer une seule langue française sur tout le territoire français. Si le français s'impose assez vite dans les régions où l'on parle des dialectes de langue d'oïl et du francoprovençal, des méthodes très coercitives sont employées afin d'éliminer le breton, l'occitan, le catalan, le basque, le corse, etc. (notamment des humiliations physiques sur les jeunes élèves, voir Vergonha (lingüicidi)).

Dans son rapport de juin 1794 l'abbé Grégoire révéla qu'on ne parlait «exclusivement» le français uniquement dans « environ quinze départements » (sur 83). Il lui paraissait paradoxal, et pour le moins insupportable, de constater que moins de trois millions de Français sur 28 parlaient la langue nationale, alors que celle-ci était utilisée et unifiée « même dans le Canada et sur les bords du Mississippi[28]. »

En revanche, le français est couramment pratiqué dans toutes les cours européennes. En 1685, Pierre Bayle peut ainsi écrire que le français est « le point de communication de tous les peuples de l'Europe ».

Le français est alors la langue de la diplomatie mais également un puissant vecteur dans les domaines de l'art, des sciences et des techniques. On lit Rabelais dans le texte en français de Moscou à Lisbonne.

Au XVIIIe siècle, le français est la langue véhiculaire de l'Europe.

Cette période perdure jusqu'à l'émergence d'un concurrent au même rôle, l'anglais. Le mouvement intellectuel, culturel et scientifique du siècle des Lumières en Angleterre, principalement dans le domaine de la politique et de l’économie, apporte en retour des mots de la langue anglaise tels que bifteck, brick, budget, cabine, club, coke, grog, humour, importer, meeting, punch, redingote, spleen[15].

La cour anglaise a pratiqué longtemps le français en mémoire des fondateurs de la couronne moderne. La guerre de Cent Ans a mis un terme à cet usage (1362), mais aujourd'hui encore, toutes les devises royales anglaises sont en français : « honni soit qui mal y pense » au premier chef, « Dieu et mon droit », moins souvent cité, également. L'anglais garde toutefois une forte empreinte de français et les dernières études menées sur ce thème évaluent à environ 29 % la part du français dans le lexique anglais moderne (voire pour certains jusqu'à 70 %[29]).

Le français s'est toujours écrit au moyen de l'alphabet latin, enrichi depuis le XVIe siècle par des diacritiques dont l'écriture et l'utilisation ne seront réglées qu'à partir du XVIIIe siècle.

Sur le plan national, la Révolution va au-delà de l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) puisque les Jacobins imposent le français comme « Langue universelle des Lumières » et, par conséquent, comme langue maternelle obligatoire pour tous. L'usage des patois et dialectes devient alors synonyme de « régression sociale », comme réminiscence de l'Ancien Régime, de même que l'usage du latin. La Révolution apporte son lot de vocabulaire administratif recensé dans le Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution du Dictionnaire de l’Académie publié en 1798 : si les mois républicains ne sont plus utilisés, d'autres se sont imposés: are, carmagnole, cocarde, département, école normale, guillotine, hectare, kilogramme, kilomètre, litre, préfet, sans-culotte.

Enrichissement et simplification de la langue française

Au XIXe siècle, les Romantiques s'opposent au français classique. Afin d'enrichir leurs œuvres, ils utilisent aussi bien les mots « nobles » que les mots « bas ». À la fin du XIXe siècle, les écrivains réalistes empruntent le nouveau lexique dû à la révolution industrielle (termes des moyens de transport : tunnel, rail, wagon, tender, tramway, steamer ; de la médecine : analgésique, hydrothérapie, homéopathie etc.). La codification se poursuit : le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré en 1873 reflète un état de la langue française classique et du bon usage littéraire entre le XVIIe siècle (grand siècle que le dictionnaire privilégie) et le XIXe siècle. Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse en 1876 est un outil utilisé aussi bien par les écoliers que les adultes[15].

Parallèlement, l'Académie française continue son travail : en 1835, elle publie la sixième édition de son Dictionnaire. Une nouvelle fois, les simplifications sont nombreuses. Par exemple, "j'avois" devient "j'avais" ; "enfans" (qui jusque-là perdait le "t" au pluriel) s'écrit "enfants" etc. En 1935, elle publie la huitième édition de son Dictionnaire. On y voit apparaître des modifications comme grand-mère remplaçant grand'mère. En 1990, l'Académie française et les instances francophones publient le rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques. Bien qu'officiellement recommandées, il faut par exemple attendre 2008 pour que ces modifications soient clairement encouragées dans l'enseignement en France[30].

La mondialisation s'intensifie dans les années 1970 avec la prédominance de l'influence de la culture américaine, ce qui entraîne un grand emploi de la langue anglaise : vocabulaire des machines (tank, bulldozer, tanker, scooter, jeep), du spectacle et de l’information (prime time, show, star, crooner, show-biz, hit-parade, live, zapping, interviewer, casting, top model), de l'économie (cash flow, data, money), de l'Internet (click, firewall, hardware). Cela pousse l'Etat français à réagir. Le 7 janvier 1972, le gouvernement français promulgue le décret no 72-9 relatif à l’enrichissement de la langue française, prévoyant la création de commissions ministérielles de terminologie pour l’enrichissement du vocabulaire français. Le 4 août 1994, à la suite de la loi de 1975, est promulguée la loi dite loi Toubon qui tend à imposer l'utilisation du français dans nombre de domaines (affichage, travail, enseignement etc.) particulièrement dans les services publics.

Évolution de la graphie et du statut du français à travers l'histoire

Contrairement à certaines idées reçues, l'histoire du français et de son orthographe comporte de nombreuses réformes. De tout temps, l'orthographe du français a subi de nombreuses rectifications, mais l'habitude littéraire d'adapter les ouvrages dans l'orthographe officielle du moment nous donne une impression de continuité que la langue française écrite n'a en fait jamais eue.

On peut définir à peu près cinq états de la langue française, qui est passée progressivement de l'un à l'autre ; dans les exemples ci-dessous, l'orthographe est celle des éditeurs et non celle des auteurs. Jusqu'au XIXe siècle, l'orthographe normalisée du français, qui s'établit lentement à partir du XVIe siècle, reste très variable. D'autres découpages sont possibles et ne sont que des moyens de situer un texte par rapport à l'état de la langue. En voici un exemple concret à travers ces trois versions d'un même texte, le début de La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf de Jean de La Fontaine (Pourquoi ? sur orthographe-recommandee) :

  • Édition originale (XVIIe siècle) :
    • Une Grenoüille vid un Bœuf,
      Qui luy sembla de belle taille.
      Elle qui n'estoit pas grosse en tout
      comme un œuf […]
  • Édition de 1802 :
    • Une grenouille vit un bœuf
      Qui lui sembla de belle taille.
      Elle, qui n'étoit pas grosse en tout
      comme un œuf […]
  • Orthographe d'aujourd'hui :
    • Une grenouille vit un bœuf
      Qui lui sembla de belle taille.
      Elle, qui n'était pas grosse en tout
      comme un œuf […]

La manière de classer les états de la langue ne s'appuie pas seulement sur sa grammaire, mais aussi sur son orthographe.

Bibliographie

  • Jacques Leclerc, Histoire de la langue française, Québec, TLFQ, Université Laval, 19 février 2006.
  • Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi, Mille ans de langue française : histoire d'une passion, Paris, Perrin, 2007.
  • Albert Dauzat, Jean Dubois et Henri Mitterand, Nouveau dictionnaire étymologique et historique, éditions Larousse 1974.
  • T.F. Hoad, English Etymology, Oxford University Press 1993.
  • Fouché, Pierre (1958). Phonétique historique du français. Paris: Klinksiech.
  • Frings, Theodor & Walther von Wartburg (1937). "Französisch und Fränkisch." In: Festschrift Karl Jaberg. Halle (Saale): Niemeyer, 65-82. (Réimpression dans: Sammelband Frings. Tübingen: Niemeyer, 1951).
  • Gamillscheg, Ernst (1939). "Französisch und Fränkisch. (Aus Anlaß des gleichbetiteltenAufsatzes von Th. Frings und W. von Wartburg in ZRP 1937, 193 ff.)" Zeitschrift für französische Sprache und Literatur 62.1-17.
  • Martinet, André (1955, 1964). Économie des changements linguistiques : traité de phonologie diachronique. Berne: Francke.
  • Schürr, Friedrich (1970). La Diphtongaison romane. Tübingen : Niemeyer (Tübinger Beitrage zur Linguistik).
  • Wartburg, Walther von (1950). Die Ausgliederung der romanischen Sprachräume. Berne: Francke.
  • Wartburg, Walther von (1934, 19585). Évolution et structure de la langue française. Berne: Francke.
  • Weinrich, Harald (19582). Phonologische Studien zur romanischen Sprachgeschichte. Münster: Aschendorff.
  • Giovanni Dotoli, Le français, langue d'Orient, Paris, Éditions Hermann, 2010.
  • Yves Cortez, Le français ne vient pas du latin, Paris, 2007, Éditions L'harmattan.

Articles connexes

Liens externes

Références

  1. Claude Hagège, Combat pour le français, pages 16 à 25
  2. Grand dictionnaire terminologique sur Office québécois de la langue française
  3. « À la fin du IVe siècle, le gaulois était virtuellement éteint » (François de la chaussée, Initiation à la phonétique historique de l'ancien français, Paris, 1989, éditions Klincksieck, p. 167)
  4. Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise, éditions errance 1994. p. 10.
  5. Miles Dillon, Nora Kershaw Chadwick, Françoise Leroux et Christian-Joseph Guyonvarc'h, Les royaumes celtiques p. 420 ch : La disparition du gaulois et le substrat celtique en roman, éditions Ameline, Crozon 2001.
  6. L'évolution du suffixe -acum dans les régions germanisées (Allemagne, Autriche, Alsace, Lorraine francique, Flandres), de langue italienne, de langue celtique (Irlande, Galles, Écosse et Bretagne bretonnante) n'est évidemment pas prise en compte pour ces exemples.
  7. Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise, éditions errance 1994.
  8. Pierre-Yves Lambert, op. cité.
  9. Le mot italien mestiere, ayant évolué sémantiquement, est un emprunt au français
  10. Alors que le mot « miel », produit qui se vend bien, est issu du latin.
  11. Les Romains privilégient l'amphore.
  12. Ces termes de bas allemand et haut allemand sont à interpréter dans une signification purement linguistique classant les langues issues de la sous-branche germano-néerlandaise des langues germaniques en deux groupes distincts. Ainsi, le texte en theodisca lingua des Serments de Strasbourg est rédigé dans un francique rhénan de l'époque, une variété de francique appartenant au groupe haut allemand, qui était également la langue maternelle de Charlemagne
  13. Louis Guinet, Les Emprunts gallo-romans au germanique : du Ier au Ve siècle, éditions Klincksieck 1982.
  14. Les Romains, d'un pays de soleil, sont plus sensibles au fait qu'une couleur soit mate ou brillante.
  15. a, b, c et d La langue française : une longue histoire riche d'emprunts[PDF] Dossier du linguiste Jean Pruvost
  16. Cette explication est attribuable pour ses fondements à Frings & Wartburg (1937) et Wartburg (1950). Schürr (1970) explique ainsi l'origine du Nord-Est de diphtongues spontanées décroissantes soutenant que celle-ci proviennent des régions où l'élément francique a renforcé l'accent expiratoire gaulois.
  17. Jacques Leclerc, « Histoire de la langue française » sur Trésor de la langue française au Québec
  18. Claude Hagège, Combat pour le français, au nom de la diversité des langues et des cultures, pp. 16-18
  19. a et b Mireille Huchon, Histoire de la langue française, Le Livre de poche, 2002, p. 144.
  20. Speaker Icon.svg : La langue française : toute une histoire ! émission de Canal Académie du 31 octobre 2010 avec le linguiste Jean Pruvost
  21. Mireille Huchon, Histoire de la langue française, Le Livre de poche, 2002, p. 145.
  22. Jusque là, si les plaidoiries se faisaient en français, les jugements étaient rendus en latin.
  23. Eugeen Roegiest, Vers les sources des langues romanes: un itinéraire linguistique à travers la Romania, ACCO, 2006 (ISBN 978-90-334-6094-4) , pp. 204-205, Lire l'extrait en ligne sur Google Books
  24. C'est au XVIIe siècle, par Raphelengius puis Marcus Zuerius van Boxhorn, qu'est formulée pour la première fois l'hypothèse de l'origine indoeuropéenne des langues romanes, germaniques, du persan et de l'hindi.
  25. La Nouvelle-France (1534-1760) : L'implantation du français au Canada sur http://www.tlfq.ulaval.ca
  26. Claude Truchot, Europe : l'enjeu linguistique, page 29
  27. Claude Hagège, Combat pour le français, au nom de la diversité des langues et des cultures, page 19
  28. Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser la langue française par l'abbé Grégoire, site du Trésor de la langue française au Québec
  29. Entretien avec Henriette Walter.
  30. La nouvelle orthographe et l'enseignement sur orthographe-recommandee

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