Protofrançais

Protofrançais

Ancien français

Français
Région France médiévale
Typologie SVO
Flexionnelle - Syllabique
Classification par famille
(Dérivée de la classification SIL)
Statut officiel et codes de langue
IETF (en) fro
ISO 639-2 fro
ISO/DIS 639-3 (en) fro
type : historique
étendue : I (langue individuelle)
Derniers vers du texte en ancien français de La Chanson de Roland, XIIe siècle (édition de Léon Gautier)

La notion d’ancien français regroupe l'ensemble des langues romanes de la famille des langues d'oïl parlées approximativement dans la moitié nord du territoire français actuel, depuis le Xe siècle jusqu'au XIVe siècle environ.

Sommaire

Idée reçue des francophones

Contrairement à une idée reçue assez répandue chez les francophones et vulgarisée par des films populaires comme Les Visiteurs (qui n'ont aucune justesse linguistique), ce que l'on entend dans ces cas-là n'est pas de l'ancien français. Ce qui est souvent désigné ainsi est principalement du français classique voire moderne, que le locuteur peut en tout cas comprendre, souvent écrit dans une orthographe plus ancienne.

Or, l'ancien français n'est pas aisément compréhensible à un francophone ne l'ayant pas étudié spécifiquement. Ainsi, la phrase Sçavoir faisons, à tous presens et advenir, que pour aucunement pourveoir au bien de nostre justice, abréviation des proces, et soulaigement de noz subiectz, avons, par edict perpetuel et irrevocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s'ensuyvent (tirée de l'Ordonnance de Villers-Cotterêts, par François Ier, 1539) n'est nullement de l'ancien français mais du français préclassique, ou moyen français, du XVIe siècle. Au contraire, les vers suivants de la Chanson de Roland : En ceste tere ad asez osteiet / En France, ad Ais, s'en deit ben repairer / Vos le sivrez a la feste seint Michel / Si recevrez la lei de chrestiens / Serez ses hom par honur e par ben, sont bien de l'ancien français.

La confusion s'explique surtout par le caractère archaïsant et parfois déroutant que donne à un texte composé de mots déjà identiques aux nôtres une orthographe datant d'avant le XIXe siècle, siècle auquel on doit la graphie actuelle d'une majorité de mots. Ainsi, sçavoir, subiectz ou ensuyvent dans l'Ordonnance ne sont que les formes écrites différemment (mais prononcées à l'époque d'une manière très proche de la nôtre) de :

  • savoir (le ç, muet, ayant été ajouté à l'époque pour rappeler l'étymon latin supposé scire, alors que le mot vient de sapere),
  • sujets (à cette époque, i et j ne sont pas différenciés à l'écrit, le b et le c, muets, ont été ajoutés pour rappeler l'étymon latin subjectum et le -z final est un archaïsme issu des graphies médiévales mais mal utilisé puisque normalement la lettre est une abréviation pour la finale /ts/ ; le t précédent est donc redondant),
  • ensuivent (avec un y esthétique améliorant la lisibilité).

Origines et descendance

Il provient du roman, forme de latin vulgaire présente dans toute la Romania. Il est suivi, historiquement, par le moyen français. Ces distinctions temporelles de l'état de la langue ont cependant été définies de façon relativement arbitraire et récente par les linguistes. Du point de vue des locuteurs, l'évolution était peu ou pas ressentie, car le latin a évolué vers le français de façon continue et progressive, sans qu'une coupure soit perçue entre différents stades de cette évolution.

Consulter Phonétique historique pour plus de détails.

L'ancien français est l'ancêtre du français parlé aujourd'hui. L'apparition d'une langue unique sur le territoire français est cependant très tardive et l'on doit à plusieurs langues d'oïl anciennes ce qui constitue la langue actuelle.

Par exemple, on estime qu'à la veille de la Révolution française, les trois quarts de la population française parlaient un dialecte ou une autre langue.

Importance de l'ancien français dans l'histoire linguistique

Langue de culture et de littérature, il est très bien attesté et l'on peut constituer son histoire avec une grande précision (tant lexicalement, morphologiquement, phonétiquement que syntaxiquement). La série d'évolutions phonétiques ayant conduit de cette langue ancienne à la langue contemporaine est connue avec suffisamment de détails pour qu'une chaîne phonétique partant du latin et arrivant au français puisse être fournie siècle par siècle. L'étude du français et de son histoire ne peut se passer de la connaissance de l'ancien français. Du reste, cette matière (ainsi que son aspect phonétique historique) est obligatoire au CAPES de lettres modernes, à l’agrégation de lettres classiques et de grammaire, concours que l’on passe en France pour enseigner la langue et la littérature françaises.

Évolutions et état de la langue

Au sujet des mutations de la langue antérieures à l'époque de l'ancien français, voir en particulier l'article Langue romane.

Phonologie

On a utilisé ici pour décrire les caractéristiques phonologiques des mots le système de Bourciez, ou alphabet des romanistes, couramment utilisé dans les descriptions phonologiques de l'évolution du français. Consulter Système de Bourciez pour une description de ce système et un tableau de correspondances avec l'API.

Système vocalique

Le latin classique utilisait dix phonèmes vocaliques différents, distribués en cinq voyelles brèves (notées ă, ĕ, ĭ, ŏ et ŭ) et leurs cinq équivalents longs (ā, ē, ī, ō et ū). En effet, en latin, la longueur du son est phonologique, c'est-à-dire pertinente : deux mots peuvent ainsi avoir comme seule différence la longueur d'une de leurs voyelles (vĕnit « il vient » est différent de vēnit « il vint » ; pŏpulu(m) « peuple » est différent de pōpulu(m) « peuplier »).

L'un des changements majeurs intervenus dans l'évolution du latin vers le français est la disparition progressive des oppositions de longueur au profit de distinctions de timbre. L'accent musical a petit à petit laissé place à un accent tonique, qui a eu pour effet de modifier légèrement l'aperture des voyelles : la prononciation des voyelles brèves est légèrement plus ouverte que celle des voyelles longues. En conséquence, le timbre des voyelles est modifié et l'opposition de timbre entre deux voyelles devient le critère de différenciation (on distingue fermé dans pied de ę ouvert dans lait, dans maux de ǫ dans mort). Ce bouleversement vocalique est survenu aux cours des IIe, IIIe et IVe siècle, dans la phase primitive de l'évolution du français, encore fort proche du latin vulgaire. La plupart des évolutions sont dès lors communes à plusieurs langues romanes.

Le bouleversement vocalique se présente comme suit :

  • ē devient (nez, ) au IIe siècle  ;
  • ĕ devient ę (les, lait) quand il est accentué (voyelle tonique), sinon (voyelle atone) il devient (IIe siècle) ;
  • ĭ devient au IIIe siècle ;
  • ī reste i, sans distinction de longueur ;
  • ă et ā perdent leur opposition de longueur, de sorte que, d'un point de vue phonologique, l'ancien français ne connaît que a ;
  • ō devient (eau) au IIe siècle ;
  • ŏ devient ǫ (corps) quand il est accentué, sinon il devient (IIe siècle) ;
  • ū perd sa caractéristique de longueur, reste u (fou, sourd) ;
  • ŭ devient au IVe siècle.

Les trois diphtongues latines présentes dans le latin vulgaire, oe, ae et au, évolueront respectivement vers (Ier siècle), ę (IIe siècle) et ǫ (fin du Ve siècle).

Vers une langue oxytonique

En latin, tous les mots ont un accent tonique. Cet accent se place généralement sur l'avant-dernière syllabe du mot (on dit d'un mot accentué ainsi qu'il est paroxytons), sauf s'il s'agit d'un monosyllabe, auquel cas l'accent est forcément sur la seule syllabe du mot (mot oxyton), ou s'il s'agit d'un mot polysyllabique dont l'avant-dernière syllabe est brève (c'est-à-dire une syllabe dont la voyelle est brève et non entravée par une consonne qui la suivrait à l'intérieur de la syllabe), auquel cas l'accent est placé sur l'antépénultième syllabe (proparoxyton).

Syncope latine

À partir du Ier siècle, donc déjà en latin vulgaire, on remarque un amuïssement progressif des voyelles pénultièmes atones : cálĭdus devient cáldus, ámbŭlat devient ámblat, génĭta devient génte. Cette évolution marquante sera complètement achevée au Ve siècle. À cette époque, la majorité des proparoxytons sont donc devenus des paroxytons : avec la disparition de la voyelle pénultième qui suivait la voyelle tonique, cette dernière a « reculé d'une case ».

Amuïssement des prétoniques internes

Les voyelles prétoniques internes (c'est-à-dire atones, placées avant la tonique mais pas en position initiale), à l'exception de a, disparaissent avant le IVe siècle quand elles ne sont pas entravées : bonĭtátem deviendra bonté, computáre deviendra compter. Si elle est entravée par une consonne, la voyelle évoluera vers /e̥/ (un schwa, c'est-à-dire un « e caduc » non labialisé, différent du nôtre dans le ou dans petit), comme dans appelláre, qui donnera l'ancien français apeler.

Quand la prétonique interne est un a, soit, si elle est entravée, elle persiste (ĭntaminatáre donnera entamer), soit, si elle est libre, elle devient /e̥/ vers le VIIe siècle (firmaménte donnera fermement).

Voyelles finales


Morphologie

Sur le plan morphologique, l'ancien français est encore une langue flexionnelle (le français moderne est nettement plus analytique), mais il présente déjà une grande réduction des flexions par rapport au latin.

Le système du nom connaît déjà les deux genres (masculin / féminin) et les deux nombres (singulier / pluriel) du français moderne, mais conserve également une déclinaison à deux cas :

Quelques exemples (les noms de type I et II étaient de beaucoup les plus nombreux) :

Type I (féminin) Type II (masculin) Type III (mixte)
normal hybride (Ia) normal hybride (IIa) IIIa (masc. en -eor) IIIb (masc. en -on) IIIc (fém. en -ain) IIId (irréguliers masc. et fém.)
sg. sujet la dame la citez li murs li pere li chantere li lerre la none li cuens la suer
régime la dame la cité le mur le pere le chanteor le larron la nonain le conte la seror
pl. sujet les dames les citez li mur li pere li chanteor li larron les nones li conte les serors
régime les dames les citez les murs les peres les chanteors les larrons les nonains les contes les serors

En distinguant formellement sujet et complément, la déclinaison bicasuelle permettait d'employer sans ambiguïté des ordres de mots devenus impossibles plus tard : la beste fiert li cuens, si fiert li cuens la beste et li cuens fiert la beste signifient tous sans équivoque « le comte frappe la bête », li cuens étant marqué explicitement comme sujet.

Le cas sujet remplit ici la fonction de sujet, mais il peut aussi remplir celle d'apostrophe ou d'apposition au sujet.

Même si cette déclinaison bicasuelle est vivante dans la littérature, on relève de temps à autre des « fautes » dans les textes. La désagrégation du système est probablement due à la forme phonétique des désinences qui prêtaient à confusion (le -s indiquait le cas sujet singulier ainsi que le cas régime pluriel), à son caractère incomplet (dès l'ancien français, les féminins en -e issus de la 1e déclinaison latin, opposent simplement singulier et pluriel) ainsi qu'à l'amuïssement progressif des consonnes finales en français (le -s final ne se prononce aujourd'hui plus). Cette désagrégation n'a cependant pas été uniforme : dans un large mouvement d'Ouest à l'Est, ce système a été aboli d'abord dans les dialectes de l'Ouest, ensuite dans le Centre avec la région parisienne pour rester vivant dans les dialectes de l'Est jusqu'au XVe siècle.

Le lexique français actuel hérité de l'ancien français provient généralement du cas régime, le plus fréquent dans le discours. Dans quelques cas cependant, c'est le cas sujet qui s'est conservé (il s'agit surtout de noms de personnes, du fait de leur emploi fréquent au cas sujet comme appellatifs) : tel est le cas de fils, sœur, prêtre, ancêtre, et de nombreux prénoms. Les deux formes ont quelquefois survécu côte à côte en produisant des doublets, parfois différenciés sémantiquement par la suite : gars / garçon, copain / compagnon, sire / seigneur, pâtre / pasteur, nonne / nonnain, pute / putain.

Variations dialectales et langue littéraire

En préparation

Écriture

Il serait exagéré de dire qu'il n'y a pas d'« orthographe » en ancien-français ; il convient de définir en effet ce qu'on entend par là. Il est notable que chaque mot n'a pas une graphie fixe et que, de région en région, de scribe en scribe voire de ligne en ligne, un même mot s'écrit de très nombreuses façons. Cependant, les graphies médiévales ne sont pas dues au hasard.

Les scribes ont utilisé un principe en apparence simple : celui de noter tout ce qu'ils entendaient le plus directement possible au moyen de l'alphabet latin, assez inadapté car trop peu riche en graphèmes. En effet, en passant du latin vulgaire à l'ancien français, de nombreux phonèmes ont évolué, donnant naissance à de nouveaux sons pour lesquels aucune lettre n'était prévue.

Écriture et orthographe

Note : à partir de maintenant, la transcription adoptée est celle de l'API.

En outre, il n'existait que peu de diacritiques réels, la plupart servant de signes d'abréviation (les diacritiques utilisés en français datent du XVIe siècle), l'élision n'était pas signalée par l'apostrophe (apparition au XVIe siècle), l'écriture, bien que bicamérale, ne s'est pas servie avant le XIVe siècle de l'opposition entre majuscules et minuscules (la capitale sert de variante graphique et se trouve donc dans les titres, au commencement des vers). C'est après qu'on a pris l'habitude de signaler par la majuscule le début de certains mots sentis importants.

La ponctuation ne commence à ressembler à la nôtre qu'à partir des XIIe et XIIIe siècle. Les usages sont cependant très différents (on note surtout les groupes de souffle et de sens, mais pas forcément dans le respect de la syntaxe). On remarque l'utilisation du point pour encadrer des lettres utilisées comme chiffres (« .iij. » se lira donc « 3 »).

De plus, les manuscrits médiévaux sont tracés dans deux ou trois familles de caractères de l'alphabet latin (au sein desquelles on distingue d'innombrables variantes), de moins en moins lisibles par rapport au modèle latin (d'autant plus que les abréviations, les ligatures et les variantes contextuelles abondent) : l'onciale, la minuscule caroline puis la gothique. Ces « alphabets » ne distinguent pas i de j (qui n'ont pas de point en chef) ni u de v (dites « lettres ramistes » ; cette distinction date du XVIe siècle et a mis deux siècles à se stabiliser grâce, notamment, aux éditeurs hollandais), du moins pas de la même manière que nous (ce sont des variantes contextuelles : en gothique, v s'utilise de préférence en début de mot, u ailleurs, quelle que soit leur valeur, [y] de lu ou [v] de vie ; j, ou i long, sert lorsque des suites de lettre seraient illisibles, comme mmi, qui serait, dans une gothique légère, proche visuellement de ιιιιιιι). Le i n'a pas de point mais reçoit souvent un apex pour qu'on le distingue mieux. D'autres procédés sont notables, tel l'utilisation d'un l vestige devenu u par vocalisation mais présent dans l'étymon latin pour éviter que l'on confonde u et n, très proches en gothique (cas de lettre diacritique muette mais servant à préciser la lecture ; au XVIe siècle, leur emploi s'intensifiera). Autre lettre muette (depuis le XIe siècle) mais conservée dans l'écriture (et remplacée plus tard dans quelques cas par un accent circonflexe), le s devant une consonne, tracé alors comme un s long.

Ce n'est qu'au début du XVe siècle que les Humanistes, à la recherche de modèles plus lisibles et aérés que la gothique, parfois très ésotérique au profane, sont revenus à des graphies plus proches de l'écriture courante (minuscule humaniste, italique...). L'imprimerie marquera la fin progressive des graphies calligraphiques au profit de modèles de plus en plus lisibles qui, finalement, ont donné ceux qu'on peut lire sur un écran d'ordinateur.

Les éditeurs modernes, cependant, normalisent le plus souvent les textes pour faciliter la lecture. La graphie utilisée est celle des polices actuelles (Times New Roman, Arial...) avec les lettres ramistes, on utilise l'accent aigu pour distinguer les « e » caducs atones du /e/ tonique finals (après = après, amé = aimé), le tréma, l'apostrophe, la cédille la ponctuation et les majuscules comme en français actuel (meïsme = même ; n'aime ; lança).

Usages

Bien que les graphies puissent être très fluctuantes (même d'une ligne à l'autre dans un même manuscrit) surtout en raison du grand nombre de moyens trouvés pour contourner les limites de l'alphabet latin, il existe des usages orthographiques en ancien français, qui font le plus souvent intervenir des digrammes.

C'est la volonté de respecter les usages latins ainsi que l'origine étymologique des mots (ce qui renforce l'idée d'orthographe médiévale) qui expliquent les difficultés : le plus souvent, elles naissent du fait qu'une même lettre latine, qui notait alors un seul phonème, en est venue à en noter plusieurs (mais on ne rompt que rarement le lien avec le mot latin en se contentant de remplacer la lettre ambiguë par une autre), et, surtout, il n'existe pas de lettres pour noter de nouveaux sons apparus en ancien français. Pour la première raison, on peut citer le cas de la notation non ambiguë de /s/ devant /a/, /o/, /u/ avec la lettre c et inversement celle de /k/ devant /ə/, /e/, /i/, /y/ avec la même lettre latine ou encore l'utilisation de g, qui peut valoir /ʒ/ ou /g/, selon les voyelles. Pour la seconde, il suffit de mentionner l'inexistence en latin des phonèmes /ʃ/, /œ/ et, des différents timbres de /e/ (tonique – ouvert ou fermé – ou atone) ou de /o/ (ouvert ou fermé) et de la nasalisation.

Parmi les usages retenus et fréquents, on trouve :

  • pour /t͡s/ (devenu /s/ au XIIIe siècle) issu de c devant /a/, /o/, /u/ : digrammes ce ou cz (le z, souscrit, deviendra la cédille en Espagne, où l'on connaît des problèmes similaires avec cette lettre), parfois rien : lacea, lacza (pour laça).
  • pour /d͡ʒ/ (devenu /ʒ/ au XIIIe siècle) issu de g devant /ə/, /e/, /i/, /y/ : utilisation de i ou de ge ;
  • pour /t͡ʃ/ (devenu /ʃ/ au XIIIe siècle), digramme ch, à l'imitation du latin qui s'était servi de la lettre muette h pour créer des digrammes permettant de noter des sons étrangers (grecs, principalement) comme ch pour /kʰ/ ou ph /pʰ/ (devenu /f/ dans les mots d'emprunt à l'imitation de la prononciation grecque médiévale) ;
  • autres digrammes pour les sons /œ/ et /ø/ : ue, eu, par exemple ;
  • utilisation de z comme lettre muette pour indiquer un /e/ tonique en fin de mot (digramme -ez) dans certaines formes (asez pour assez) ; z sert dans les autres cas pour l'affriquée /ts/ (neveuz pour neveux) ;
  • notation de la nasalisation de manière plus ou moins explicite : gémination de la consonne nasale ou emploi du tilde, qui s'est maintenu longtemps (on le trouve encore entre les XVIe et XVIIIe siècle) ;
  • maintien des occlusives finales, normalement muettes pour la plupart depuis le XIIIe siècle, pour rendre visible certaines alternances et le lien avec des dérivés ;
  • le /l/ palatal (devenu un yod) est représenté de diverses manières dont -(i)ll ou -il (fille) et le /n/ palatal par -(i)gn (ainsi, Montaigne n'est qu'une forme parallèle de montagne mais l'orthographe a fortement influencé la prononciation, de même que dans oignon, qu'on entend souvent prononcé /waɲõ/).

Autres points à retenir : si l'ancien français s'écrit presque comme il se prononce, les graphies deviennent très vite archaïsantes. Par exemple, doté de nombreuses diphtongues, il les représente directement : eu se lit donc /ew/ et oi /oj/. Mais les graphies restent figées alors que la prononciation continue d'évoluer : eu vaut /ew/ au XIe siècle mais /œu/ au XIIe siècle et /œ/ à partir du XIIIe siècle sans que la graphie ne change réellement. De même pour oi : XIIe siècle /oj/ puis /ue/, XIIIe siècle /we/ (pour arriver à /wa/ au XVIIIe siècle). Cela explique pourquoi /o/ peut s'écrire eau en français : c'est qu'au XIIe siècle on prononçait avec une triphtongue /eaw/ (dont la graphie était ewe pour le mot 'eau') devenue au cours des siècles /əaw/ puis /əo/ en enfin /o/ à partir du XVIe siècle. Les occlusives et sifflantes appuyantes (contre une autre consonne) ainsi que les consonnes finales continuent d'être écrites après s'être amuïes : on ne prononce plus le s dans isle après 1066 (par contre on continue a le prononcer, jusqu'au XIII siècle, dans forest) non plus que le t à la fin de grant à partir du XIIe siècle. On continue cependant à les écrire pendant des siècles par tradition, choix esthétique et par habitude : le t de grant (« grand » et « grande ») s'entend encore au cas sujet grants : le conserver au cas régime grant permet d'obtenir un paradigme plus régulier (grants ~ grant est mieux que grants ~ gran). Le s muet sera plus tard (à la fin du XVIIIe siècle) remplacé par un accent circonflexe, le t muet par un d muet dans grand pour confirmer cette fois le lien avec le nouveau féminin grande tout en rappelant l'étymon latin grandis.

Enfin, les éditeurs conservent l'emploi d'une abréviation très courante : celle de la finale -us remplacée après voyelle par -x : biax équivaut à biaus, c'est-à-dire le cas sujet de l'adjectif bel (beau).

En conclusion, il convient de comprendre que l'ancien français possède une orthographe quasi-phonétique pratiquée avec un alphabet qui ne s'y prête pas forcément, ce qui explique l'abondance de graphies parallèles et les diverses solutions plus ou moins efficaces, tels les digrammes, mais, surtout, que dès les prémices de l'orthographe, au sens actuel, font leur apparition : l'écriture est en retard sur la prononciation mais permet, par l'adoption de conventions, une meilleure reconnaissance des constituants des mots.

Synthèse

On peut retenir les conventions de lecture suivantes en partant du principe que la graphie est normalisée par un éditeur moderne (utilisation des lettres ramistes, du tréma, de l'accent aigu, etc.). On suivra pour le reste les conventions propres au français. Il est entendu que c'est une approximation donnée à titre indicatif pour une lecture acceptable bien qu'imparfaite :

  • c se lit /t͡s/ avant le XIIIe siècle puis /s/ après devant e, i ;
  • ch se lit /t͡ʃ/ avant le XIIIe siècle puis /ʃ/ après ;
  • g devant e et i et j devant toute voyelle se lisent /d͡ʒ/ puis /ʒ/ (mêmes dates) ;
  • (i)ll se lit /ʎ/ (/l/ mouillé du castillan llamar ou de l'italien gli) et non /j/ (de yaourt) ;
  • e non accentué se lit /ə/ (schwa) et n'est pas labialisé, au contraire du « e » caduc actuel (le /ə/ ancien français se lit donc comme en anglais). En fin de mot et atone, il est muet depuis le XVIIe siècle ;
  • u se lit comme en français moderne /y/ (dans lu) ;
  • la lecture des diphtongues graphiques est complexe car les diphtongues prononcées ont évolué beaucoup plus vite que la graphie. On pourra retenir comme règle de lecture acceptable que les diphtongues se sont monophtonguées après le XIIe siècle (passant soit à une combinaison semi-consonne + voyelle soit à une voyelle seule. Retenir aussi que oi se lit /we/ ou /wɛ/ et ue comme eu /œ/ ou /ø/ ;
  • les voyelles nasales, écrites dans les éditions modernes à la manière du français actuel (sans tilde) sont prononcées comme dans le sud de la France : la voyelle nasale est suivie d'une consonne nasale. En ancien français même devant un -e final, une voyelle suivie d'une consonne nasale est nasalisée (dans ce cas, la nasale est redoublée). Par exemple : cheance (chance) /t͡ʃəãnsə/, bonne [bõnə], chambre /t͡ʃãmbrə/, flamme /flãmə/. La prononciation des voyelles nasale n'a cessé de se modifier. Il serait fastidieux de toutes les signaler. On pourra prononcer comme en français moderne (bien que les nasales de l'ancien français soient en nombre supérieur et de qualité parfois différente).
  • r est roulé ;
  • s se prononce à la française, /s/ ou /z/ (entre voyelles) ;
  • z est un raccourci pour ts ;
  • x une abréviation pour -us.

Littérature

Consulter Littérature médiévale.

Annexes

Bibliographie

  • Bernard Cerquiglini, La genèse de l'orthographe française (XIIe-XVIIe siècles), Honoré Champion, collection « Unichamp-Essentiel », Paris, 2004 ;
  • Mireille Huchon, Histoire de la langue française, Livre de poche, collection « Références », Paris, 2002 ;
  • Henri Bonnard et Claude Régnier, Petite grammaire de l'ancien français, éditions Magnard, Paris, 1991 ;
  • Noëlle Laborderie, Précis de phonétique historique (du français), Nathan Université, collection « Lettres 128 », Paris, 1994 ;
  • Algirdas Julien Greimas, Dictionnaire de l'ancien français, éditions Larousse, Paris, 2004 (1979) ;
  • Claude Buridant, Grammaire nouvelle de l'ancien français (800 pp), SEDES, 2000 (ISBN 2-7181-9265-8).

Articles connexes

Sur la culture au Moyen Âge

Sur les langues romanes

Sur la langue française

Sur les actes officiels sur l'utilisation de l'ancien ou du moyen français

Sur les premiers textes en ancien français conservés

Liens externes

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