Philosophie des Lumières

Philosophie des Lumières

Lumières (philosophie)

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Fragment du frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : on y voit la Vérité rayonnante de lumière ; à droite, la Raison et la Philosophie lui arrachent son voile (peint par Charles Nicolas Cochin et gravé par Benoît-Louis Prévost en 1772.

Le mot Lumières définit métaphoriquement le mouvement culturel et philosophique qui a dominé, en Europe et particulièrement en France, le XVIIIe siècle auquel il a donné, par extension, son nom de siècle des Lumières. Ils ont marqué le domaine des idées et de la littérature par leurs remises en question fondées sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté. Par leurs engagements contre les oppressions religieuses, morales et politiques, les membres de ce mouvement, qui se voyaient comme une élite avancée œuvrant pour un progrès du monde, combattant l’irrationnel, l'arbitraire et la superstition des siècles passés, ont procédé au renouvellement du savoir, de l’éthique et de l’esthétique de leur temps. L’influence de leurs écrits a été déterminante dans les grands événements de la fin du XVIIIe siècle que sont la Déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique et la Révolution française[1].

Le mouvement de renouveau intellectuel et culturel des Lumières, qui a touché tous les domaines du savoir, est connu, en anglais, sous le nom d’Enlightenment, en allemand sous le nom d’Aufklärung, Ilustración en espagnol, Illuminismo en italien. Dans une moindre mesure, on parle aussi d'Iŀlustració en catalan ou de Titafawen en kabyle. Enfin, le Bunmei-kaika (文明開化 ; littéralement "Lumières culturelles et Civilisation ouverte") se réfère à ce qu'on a appelé les Lumières japonaises. Ce dernier mouvement ne coïncide néanmoins pas chronologiquement avec les Lumières européennes, puisqu'il prend réellement son essor à partir des années 1870, avec la Restauration impériale de Meiji et l'ouverture à l'Occident. Or, dans son sens historique strict, le mouvement des Lumières reste avant tout européen et découle presque exclusivement d'un contexte spécifique de maturation des idées héritées de la Renaissance.

De manière très générale, sur le plan épistémologique et théorétique, les Lumières voient le triomphe de la raison sur celui de la foi et de la croyance. Sur le plan politique et économique, le triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse et le clergé.

Il arrive qu'on entende parler des Lumières pour désigner les penseurs, les écrivains, ainsi que les philosophes emblématiques de ce mouvement de pensée, c'est une faute de langue, les lumières ne désignent ni les penseurs, ni les écrivains, ni les philosophes. Il faut parler de philosophe des Lumières.

Sommaire

Révolution dans les sciences et programme de la philosophie des Lumières

Le mouvement des Lumières a été en grande partie un prolongement des découvertes de Copernic au XVIe siècle, peu diffusées sur le moment, puis surtout des théories de Galilée (1564-1642). Une quête d’axiomes, de certitudes éprouvées, se poursuivit dans le mouvement du cartésianisme tout au long du XVIIIe siècle[réf. nécessaire].

Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646-1716) développa les mathématiques et le calcul infinitésimal. Sa philosophie des monades se démarquait également de celle de Descartes. Les philosophes anglais, comme Thomas Hobbes et David Hume, adoptèrent une démarche empirique, mettant l’accent sur les sens et l’expérience dans l’acquisition des connaissances, au détriment de la raison pure.

Spinoza prit parti pour Descartes, surtout dans son Éthique[réf. souhaitée]. Il se démarqua pourtant de son aîné dans son Traité de la réforme de l'entendement (Tractatus intellectus amendatione), où il montra que le processus de perception engage non seulement la raison, mais aussi les sens et l’intuition. La conception de Spinoza était centrée sur une vision de l’UniversDieu et la Nature ne font qu’un. Cette idée deviendra centrale au siècle des Lumières[réf. souhaitée], depuis Newton (1642-1727) jusqu’à Thomas Jefferson(1743-1826).

Un changement notable fut l’émergence de la philosophie naturaliste à travers toute l’Europe, incarnée par Isaac Newton. Ses idées, sa réussite indéniable à confronter et assembler les preuves axiomatiques et les observations physiques en un système cohérent, source de prédictions, donnèrent le ton de tout ce qui allait suivre son exemplaire Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (1687). Pour montrer le progrès entre l’Âge de la Raison et le mouvement des Lumières, l’exemple de Newton reste en effet indépassable, en ce que le scientifique utilisa des faits observés empiriquement, comme la dynamique des planètes de Johannes Kepler ou l’optique, pour construire une théorie sous-jacente expliquant ces faits a priori : la théorie de la gravitation universelle. Ce mouvement correspond à l’unification d’un pur empirisme, comme celui de Francis Bacon et de l’approche axiomatique de Descartes (1596-1650).

La croyance en un monde intelligible ordonné par le dieu chrétien a représenté le plus fort élan du questionnement philosophique sur la connaissance. D’un côté, la philosophie religieuse se concentrait sur la piété, la toute-puissance et le mystère de la nature ultime de Dieu ; de l’autre, des idées telles que le déisme soulignaient que le monde était visiblement compréhensible par la raison humaine et que les lois le gouvernant l’étaient tout autant. L’image de Dieu comme « Grand Horloger » pénétra alors les esprits, tandis que les observateurs du monde prenaient conscience que ce dernier semblait bel et bien parfaitement ordonné et que, dans le même temps, on réalisait des machines de plus en plus sophistiquées et précises.[réf. nécessaire]

Cette constance à rechercher et énoncer des lois, à déterminer les comportements particuliers, fut également un élément important dans la constitution d’une philosophie où le concept d’individualité prévalait, en somme où l’individu avait des droits basés sur d’autres fondements que la seule tradition. On parle alors d’avènement du sujet pensant, en tant que l’individu peut décider par son raisonnement propre et non plus sous le seul joug des us et coutumes. Ainsi, John Locke rédigea ses deux Traités du gouvernement civil dans lequel il avance que le droit de propriété n’est pas familial, mais totalement individuel et retiré du travail consacré au terrain concerné, ainsi que de sa protection face à autrui. Une fois l’idée émise qu’il y avait des lois naturelles et des droits naturels, il devenait possible de s’aventurer dans les domaines nouveaux qu’on appelle maintenant l’économie et la philosophie politique.

Dans son célèbre essai Was ist Aufklärung?, Emmanuel Kant donne des Lumières la définition suivante : « Les Lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

Les Lumières se basent donc sur la croyance en un monde rationnel, ordonné et compréhensible, exigeant de l’homme l’établissement d’une connaissance également rationnelle et organisée. Cela commence par l’idée que les lois gouvernent, aussi bien les cieux, que les affaires humaines et que le pouvoir du Prince émane de la loi et non l’inverse. La conception de la loi en tant que contrat social théorisée par Rousseau comme relation réciproque entre les hommes, plutôt qu’entre les familles ou des groupes, devint de plus en plus remarquable, accompagnée du souci de la liberté individuelle comme réalité imprescriptible - le seul droit tiré de Dieu. Le mouvement des Lumières créa ou réinventa donc les idées de liberté, propriété et rationalité, telles qu’on les connaît toujours aujourd’hui et telles qu’introduites dans la première philosophie politique : l’idée et le désir d’être un individu libre, liberté d’autant plus garantie que l’État assure la stabilité des lois.

Pour comprendre quels changements interviennent réellement entre « l’Âge de Raison » et le « mouvement des Lumières », la comparaison entre Thomas Hobbes et John Locke est une bonne approche. Hobbes, qui traverse les trois quarts du XVIIe siècle, a entrepris de classer de façon systématique les émotions humaines, ce qui l’amena à construire un système rigide garantissant par coercition la stabilité du chaos primaire - qui est la source de son travail (voir le Léviathan). À l’inverse, Locke voit en la Nature la source de l’unité et de tous les droits, que l’État doit s’assurer de reprendre et de protéger, non pas d’étouffer. Ainsi, la « révolution » culturelle entre les deux siècles fait intervenir la relation de l’homme à la Nature : on passe d’une vision noircie et chaotique, à une admiration de l’ordre naturel fondamental.

Diffusion du savoir - l’Encyclopédie

Jean le Rond d’Alembert.

Un second changement important dans le mouvement des Lumières par rapport au siècle précédent, trouve son origine en France, avec les Encyclopédistes. Ce mouvement intellectuel défend l’idée qu’il existe une architecture scientifique et morale du savoir, une structure prévalente et ordonnée et que sa réalisation est un moyen de libération de l’homme[réf. souhaitée]. Le philosophe Denis Diderot et le mathématicien d’Alembert publient en 1751 l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers.

Le processus de diffusion des idées nouvelles se trouva amplifié par le progrès des techniques de diffusion de l’information. Les passages de l’Encyclopédie sont lus par les nobles, les ducs, et les bourgeois dans des salons, les personnes présentes donnent leur avis sur les écrits des philosophes. Les journaux et la correspondance permirent des échanges plus rapides dans toute l’Europe, réalisant une nouvelle forme d’unité culturelle. Ceci ne fut pas sans poser des questions sur la liberté d’accès et de diffusion de ces informations. On connaît le rôle joué par la presse dans la diffusion des idées, pendant la Révolution française notamment.

Caricature représentant le tiers état écrasé par la noblesse et le clergé.

Critique de l’organisation sociale

Le mouvement des Lumières est, sur toute sa durée, le substrat de deux pressions sociologiques antagonistes : d’une part, une forte spiritualité accompagnée d’une foi traditionaliste en la religion et l’Église ; d’autre part, la montée d’un mouvement anticlérical critiquant les divergences entre théorie religieuse et pratique, qui s’est surtout manifesté en France.

Dans ce dernier pays, la société était subdivisée en trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état. Ces ordres correspondaient à la subdivision héritée de la période médiévale : ceux qui combattent, ceux qui prient, et ceux qui travaillent.

L’unification politique de la France à la Renaissance avait eu pour conséquence qu’une fraction importante de la noblesse disposait de droits et de privilèges sans rapport avec ses obligations militaires. D’autre part, une nouvelle classe apparaissait avec le développement des échanges commerciaux : la bourgeoisie, qui souhaitait davantage de liberté dans le domaine économique. Le peuple devenait sous-représenté dans le tiers état, par rapport à son importance numérique.

L’anticléricalisme ne fut donc pas la seule source de tension en France : certains nobles contestaient le pouvoir monarchique et la haute bourgeoisie souhaitait bénéficier des fruits de ses efforts. Les membres du haut clergé, notamment les chanoines, bénéficiaient à cette époque de prébendes disproportionnées par rapport à leurs responsabilités effectives. La libéralisation des mœurs engendrait la contestation de l’absolutisme et de l’ordre ancien. Le courant janséniste en France fut aussi, selon un historien américain[Qui ?], une source de division.

Dans ce contexte, le système judiciaire se révélait archaïque. Même si le droit du commerce avait été codifié au XVIIe siècle, le droit civil n’était pas unifié ni codifié.

Tel est l’arrière-plan social et juridique dans lequel s’exerce la critique et se développe la contestation, qu’un auteur comme Voltaire a pu incarner.

Exilé en Angleterre entre 1726 et 1729, il y étudie les travaux de John Locke, Isaac Newton et la monarchie anglaise. Il se rend populaire par sa dénonciation des injustices (affaires Calas, Sirven, de La Barre, Lally-Tollendal). Le milieu du XVIIIe siècle correspond à l’apogée de la philosophie des Lumières[réf. souhaitée].

« Pour Voltaire, il est clair que si le Prince obtient du peuple qu’il croie en des choses déraisonnables, alors ce peuple fera des choses déraisonnables »[réf. nécessaire]. Ce constat simple a introduit ce qui devait être la principale critique faite aux Lumières, et que devait formuler la pensée romantique : la construction raisonnable crée autant de problèmes qu’elle en résout[réf. souhaitée].

Selon les philosophes des Lumières[réf. souhaitée], le point crucial du progrès intellectuel consistait en la synthèse de la connaissance, éclairée par la raison humaine, afin de créer une autorité morale qui serait seule souveraine. Le point de vue contraire se développa, mettant en avant le fait que de façon intrinsèque, ce processus serait corrompu par le poids des conventions sociales, montrant ainsi la « nouvelle vérité » raisonnable comme une mauvaise imitation de la Vérité immanente et insaisissable

Le mouvement des Lumières trouva alors un certain équilibre, entre l’appel à la liberté « naturelle » et la liberté de cette liberté, c’est-à-dire la reconnaissance d’une autonomie de la Nature face à la raison. Correspondent à ce stade les réformes de plusieurs monarchies, par l’intermédiaire de lois nouvelles allant dans le sens des sujets et d’une réorganisation parcellaire de la société. L’idée d’un ordre éclairé entre également dans la pensée scientifique avec, par exemple, le travail du biologiste Carl von Linné.

En Allemagne, Emmanuel Kant se montra critique à la fois par rapport aux prétentions de la Raison (critique de la raison pure), mais aussi à celles de l’empirisme anglais (critique de la raison pratique). Par rapport à la métaphysique très subjective de Descartes, le philosophe allemand souhaita développer une vision plus objective de cette branche de la philosophie.

Les grands penseurs de la fin du mouvement des Lumières (Adam Smith, Thomas Jefferson ou encore le jeune Goethe) adoptèrent dans leurs pensées le schème, dérivé d’une métaphore biologique, des forces d’auto-organisation et d’évolution. L’achèvement des Lumières est alors pressenti, avec le constat suivant : le Bien est le fondement de la Nature, mais celle-ci n’est pas ordonnée par elle-même. Bien au contraire, c’est la raison et la maturité humaine qui doivent en trouver la constante structure, en retirer la stabilité naturelle. Le romantisme en prendra le contre-pied parfait.

L'influence de la Philosophie des Lumières dans les changements politiques

Dès la fin du XVIIe siècle, John Locke avait défini la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif[réf. souhaitée]. Montesquieu reprit l’idée de séparation des pouvoirs et l’étendit à un troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire dans De l'esprit des lois (1748).

Dans les années 1750, on tenta, en Angleterre, en Autriche, en Prusse et en France, de « rationaliser » les monarchies et leurs lois.

L’idée lumineuse d’un gouvernement « rationnel » s’incarna dans la Déclaration d’Indépendance américaine et, dans une moindre mesure, dans le programme des Jacobins au cours de la Révolution française. On peut citer également la Constitution américaine de 1787.

La Révolution française, en particulier, représente une application violente de la philosophie des Lumières, notamment lors de la brève période de pouvoir des Jacobins. Le désir de rationalité conduisit à une tentative d’éradiquer l’Église et le christianisme dans son ensemble ; ainsi, la Convention nationale changea le calendrier, système de mesure du temps, et le système monétaire, tout en plaçant l’idée d’égalité, sociale et économique, au plus haut point des priorités de l’État.[réf. souhaitée]

Les Lumières, source de la Révolution française ?

À mesure que se développait l’esprit philosophique, dans les salons, les cafés ou les clubs, l’autorité monarchique se délitait, sapée tant par des tentatives de réformes sans lendemain que par l’opposition aristocratique.[réf. nécessaire]

Les Lumières, source de la Révolution américaine ?

Thomas Jefferson, rédacteur de la Constitution des États-Unis.

Les colonies européennes

La personnalité qui pénétra le plus les Lumières en Amérique du Nord fut sans doute Thomas Jefferson.[réf. nécessaire] Ce planteur originaire de Virginie, cultivé et instruit, était très marqué par le philosophe anglais (John Locke) et français (Jean-Jacques Rousseau). De ce dernier, il tenait son attachement au droit de propriété.[réf. souhaitée] Il rédigea partiellement la Déclaration d’indépendance de la Virginie en juin 1776, ainsi que la déclaration d'indépendance des États-Unis, qui fut proclamée le 4 juillet 1776 au congrès de Philadelphie.[réf. nécessaire]

La diffusion des Lumières

Les progrès de l’alphabétisation et de la lecture[2] permettent le développement de ce qu’on a appelé un « espace public », les débats intellectuels et politiques dépassent le cercle restreint de l’administration et des élites, impliquant progressivement des secteurs plus larges de la société.

Les salons et les cafés

Une soirée chez Madame Geoffrin de Gabriel Lemonnier

Ce sont d’abord les cafés, où on lit et on débat, comme le café Procope, à Paris qui sont le rendez-vous nocturne des jeunes poètes ou des critiques qui discutent passionnément des derniers succès de théâtre ou de librairie.

Mais ce sont surtout les salons mondains, ouverts par tous ceux qui ont quelque ambition, ne serait-ce que celle de paraître. Ils sont caractérisés par la mixité intellectuelle ; les gens s’y expriment, y trouvent une occasion de satisfaire leur soif de savoir et y entretiennent leur vision du monde. Mais il faut y être introduit. Les grandes dames reçoivent artistes, savants et philosophes. Chaque hôtesse a son jour, sa spécialité et ses invités de marque. Le modèle est l’hôtel de Madame de Lambert, au début du siècle.

Les gens de talent s’y retrouvent régulièrement pour confronter leurs idées ou tester sur un public privilégié leurs derniers vers. Mondaines et cultivées, les créatrices de ces salons animent les soirées, encouragent les timides et coupent court aux disputes. Ces fortes personnalités, très libres par rapport à leurs consœurs, sont souvent elles-mêmes écrivaines et épistolières.

La mixité est particulièrement réussie en France, au XVIIIe, dans ces « États Généraux de l’esprit humain » où s’épanouit la philosophie des Lumières. Des femmes cultivées, intelligentes y sont de véritables partenaires avec qui on peut remettre en question des idées religieuses, politiques, scientifiques, qui sont capables de donner un élan aux débats ; on cite par exemple l’intervention d’Anne Dacier dans la querelle des Anciens et des Modernes et les œuvres d’Émilie du Châtelet.

Les Académies, les bibliothèques, les loges et la presse

Articles détaillés : Académie et Loge maçonnique.
La Lecture de Fragonard

Les Académies étaient des sociétés savantes qui se réunissaient pour s’occuper de Belles-lettres et de sciences et contribuer à la diffusion du savoir. En France, après les fondations monarchiques du XVIIe siècle (Académie française, 1634 ; Académie des inscriptions et belles-lettres, 1663 ; Académie royale des sciences, 1666 ; Académie royale d'architecture, 1671), naissent encore, à Paris, l’Académie royale de chirurgie (1731) et la Société royale de médecine (1776). Le clergé et, dans une moindre mesure, la noblesse y prédominent.

Ces sociétés provinciales regroupent les représentants de l’élite intellectuelle des villes françaises. Leur composition sociale révèle que les privilégiés y occupent une place moindre qu’à Paris : 37 % de nobles, 20 % de gens d’Église. Les roturiers constituent 43 % des effectifs : c’est l’élite des possédants tranquilles qui siège là. Marchands et manufacturiers sont peu présents (4 %).

Voisines des Académies, souvent peuplées des mêmes hommes avides de savoir, les bibliothèques publiques et chambres de lecture se sont multipliées, fondées par de riches particuliers ou à partir de souscriptions publiques. Elles collectionnent les travaux scientifiques, les gros dictionnaires, offrent une salle de lecture et, à côté, une salle de conversation. Toutes ces sociétés de pensée fonctionnent comme des salons ouverts et forment entre elles des réseaux provinciaux, nationaux, européens, échangeant livres et correspondance, accueillant les étrangers éclairés, lançant des programmes de réflexion, des concours de recherche. On y parle physique, chimie, minéralogie, agronomie, démographie. Dans les Treize colonies britanniques en Amérique du Nord, James Bowdoin (1726-1790), John Adams (1735-1726) et John Hancock (1737-1793) fondent l’American Academy of Arts and Sciences à Boston durant la Guerre d'indépendance des États-Unis d'Amérique. En 1743, Benjamin Franklin fonde la Société philosophique américaine. Au début du XIXe siècle, Thomas Jefferson avait l’une des plus riches bibliothèques privées du pays. Parmi les réseaux éclairés, le plus développé est celui de la franc-maçonnerie, quoique réservé aux couches supérieures.

Née en Angleterre et en Écosse, la franc-maçonnerie, groupement à vocation humaniste et initiatique, concentre tous les caractères des Lumières : elle est théiste, tolérante, libérale, humaniste, sentimentale. Elle connaît un succès foudroyant dans toute l’Europe où l’on compte des milliers de loges en 1789. Les milieux civils, militaires et même religieux, liés aux appareils d’État, y sont tout particulièrement gagnés. Ni anticléricales (elles le seront au XIXe siècle) ni révolutionnaires, les loges ont contribué à répandre les idées philosophiques et l’esprit de réforme dans les lieux politiquement stratégiques. La discussion intellectuelle l’emporte sur le caractère ésotérique ou sectaire. Surtout, les élites y font, plus encore que dans les Académies, l’apprentissage du primat de l’égalité des talents sur les privilèges de la naissance.

La presse a facilité la diffusion des textes philosophiques (notamment l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert), et a déclenché les processus de la réflexion chez le peuple. La presse contribue enfin à la constitution de l'opinion publique, malgré la censure, toujours active. Le Journal des Sçavans, le Mercure de France, les périodiques économiques comme les Éphémérides du Citoyen rédigées par Nicolas Baudeau du parti des Économistes (parti des philosophes politiques ou les Physiocrates comme aussi François Quesnay), sont en fait plutôt ce que nous appellerions des revues. Par le recensement d’ouvrages et par les abonnements collectifs des sociétés de pensée, un public éloigné des centres de création peut prendre connaissance des idées et des débats, des découvertes du mois, sinon du jour.

L’écho des Lumières

Projet de reconstruction de l’Opéra de Paris d’Étienne-Louis Boullée, 1781

Mouvement intellectuel inscrit dans leur siècle, les Lumières ont influencé l’art de leur temps. Si elles n’ont pas dicté une esthétique spécifique[réf. souhaitée], elles ont en revanche pensé et pris en charge la question de l'urbanisme[réf. souhaitée]. La ville des Lumières est le fruit des efforts conjoints des pouvoirs publics et des architectes soucieux du bien public : elle doit être éclairée, aérée, saine et fonctionnelle[réf. souhaitée].Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) est sans doute l’architecte dont les projets incarnent le mieux l’utopie d’un habitat totalement fonctionnel et utilitaire[réf. nécessaire]. Il dirige, à partir de 1775, l'édification de la Saline royale d'Arc-et-Senans, dans le Doubs, véritable cité usinière.

Les Lumières n’ont touché que les élites aristocratiques et les fractions montantes des bourgeoisies[réf. nécessaire]. L’écho, dans ces milieux dominants, est certes considérable en Angleterre et en France, mais plus restreint en Allemagne et en Italie ; le public éclairé est très peu nombreux en Espagne ou en Russie, où seuls quelques intellectuels, hauts fonctionnaires et grandes familles participent au mouvement. Le peuple, lui, n’est pas touché : l’immense majorité des paysans, même français, n’a jamais entendu parler de Voltaire ou de Rousseau.

Malgré tout, les Lumières ont ébranlé les certitudes anciennes. Et l’ébranlement ne s’est pas arrêté aux portes du social et du politique : les Lumières ont inspiré la génération révolutionnaire. Ce qui ne signifie nullement qu’elles aient consciemment appelé de leurs vœux la Révolution de 1789.

Valeurs et représentations sociales des Lumières

Changement de représentation

  • Les valeurs essentielles défendues par les hommes des Lumières dans toute l’Europe sont la tolérance, la liberté, l’égalité.
  • Ces valeurs débouchent, en Angleterre, en Amérique et en France, sur la définition de nouveaux droits naturels et sur une séparation des pouvoirs politiques,

On peut dire que cette période marque l’avènement de nouvelles représentations sociales, ce que Michel Foucault appelle une épistémè, et qui répond, à certains égards, au phénomène qui s’est produit à la Renaissance[réf. souhaitée].

Cette citation de Montesquieu est révélatrice de ce changement :

« Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celles de nos pères, celles de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières[3]. »


Idéal du philosophe

L’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal, encyclopédie de l’anticolonialisme au XVIIIe siècle

La figure idéale des Lumières est le philosophe, homme de lettre avec une fonction sociale qui exerce sa raison dans tous les domaines pour guider les consciences, prôner une échelle de valeurs et militer dans les problèmes d’actualité. C’est un intellectuel engagé qui intervient dans la société, un « honnête homme qui agit en tout par raison » (Encyclopédie), « qui s’occupe à démasquer des erreurs » (Diderot), « celui dont la profession est de cultiver sa raison pour ajouter à celle des autres », un défenseur des droits de l’humanité, opposé au despotisme...

Parmi les figures des Lumières à avoir critiqué l’esclavage et la colonisation, on compte, entre autres, Denis Diderot dans le Supplément au voyage de Bougainville, Voltaire dans Candide, mais surtout Guillaume-Thomas Raynal et son Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, véritable encyclopédie de l’anticolonialisme au XVIIIe siècle auxquels ont collaboré, parmi d’autres, Diderot et d’Holbach.

Coexistence des sentiments et de la raison

Le rationalisme des Lumières n’exclut en aucun cas la sensibilité. Raison et sentiments ont toujours dialogué au sein même de la philosophie des Lumières. Ses penseurs sont tous capables de rigueur intellectuelle mais aussi de sensibilité.

Idéal encyclopédique : tout connaître

La Rotonde de l’université de Virginie, dessinée par Thomas Jefferson

Cette époque cultive un goût particulièrement prononcé pour les écrits totalisants qui rassemblent l’ensemble des connaissances de leur temps, les bilans généraux du savoir. Cet idéal va trouver sa réalisation dans l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, publiée entre 1750 et 1770, dont le but était de sortir le peuple de l’ignorance par une diffusion très large du savoir.

Influences de la pensée des Lumières

– l’université de Virginie, inscrite au patrimoine mondial de l’Humanité défini par l’UNESCO, a été fondée par Thomas Jefferson. Ce dernier dessina les plans d’une partie du campus en suivant les valeurs des Lumières ;
– la place Stanislas de Nancy est le cœur d’un ensemble urbanistique classique, inscrite depuis 1983 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ainsi que d’autres places de cette ville comme la place de la Carrière et la place d’Alliance, autour desquelles s’articulent administrations et services de l’époque.
  • Pendant la période révolutionnaire, les idées des philosophes ont inspiré les débats politiques. La plupart des députés de l’Assemblée nationale sont des bourgeois cultivés qui se sont nourris des valeurs de liberté et d’égalité. Par exemple, Robespierre est un rousseauiste convaincu. Pourtant, la plupart des philosophes français sont morts avant d’avoir vu l’œuvre de la Révolution française, sauf Condorcet, mort en 1794 et l’abbé Raynal, mort en 1796, qui connaîtront tous des déboires avec la Révolution.

Prosopographie des philosophes des Lumières

Comme les humanistes de la Renaissance, les philosophes des Lumières s’intéressent à divers domaines : l’Américain Thomas Jefferson avait reçu une formation juridique mais pratiquait également l’archéologie et l’architecture. Benjamin Franklin eut une carrière de diplomate et de physicien. Condorcet écrivit sur des sujets aussi différents que le commerce, les finances, l’éducation ou la science.

La cour de Frédéric II de Prusse avec le philosophe Voltaire

Les origines sociales des philosophes sont diverses : beaucoup sont issus de familles bourgeoises (Voltaire, Thomas Jefferson), d’autres de milieux plus modestes (Emmanuel Kant, Benjamin Franklin, Denis Diderot) ou encore de la noblesse (Montesquieu, Condorcet). Un certain nombre d’entre eux avaient reçu une éducation religieuse (Denis Diderot, Louis de Jaucourt) ou une formation juridique (Montesquieu, Thomas Jefferson).

Les philosophes constituaient des réseaux et communiquaient par lettres. On connaît la correspondance violente entre Rousseau et Voltaire. Les grands esprits du XVIIIe siècle se rencontraient et discutaient dans les salons, les cafés ou les académies. Parce qu’ils critiquaient l’ordre établi, les philosophes étaient poursuivis par les autorités et devaient recourir à des subterfuges pour éviter la prison. François-Marie Arouet prit le pseudonyme de Voltaire. Thomas Jefferson rédigea en 1774 un rapport destiné aux délégués de Virginie du premier Congrès continental, qui se réunissait pour discuter des griefs des colonies à l’égard de la Grande-Bretagne. En raison du contenu du texte, il fut contraint de le publier anonymement. La Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient valut à Denis Diderot d’être emprisonné au fort de Vincennes pour sa remise en cause de la religion. Accusé d’avoir rédigé des pamphlets contre le régent Philippe III d’Orléans, Voltaire fut emprisonné à la Bastille. Montesquieu publia de façon anonyme les Lettres persanes en 1721 en Hollande. De 1728 à 1734, il visita plusieurs pays d’Europe. Les penseurs et les savants formaient une communauté internationale. Ben Franklin, Tom Jefferson, Smith, Hume ou Galiani séjournèrent plusieurs années en France.

Face à la censure et aux difficultés financières, les philosophes recouraient souvent à la protection d’aristocrates et de mécènes : Malesherbes et la marquise de Pompadour, favorite de Louis XV, soutinrent ainsi Diderot. Marie-Thérèse Geoffrin (1699-1777) subventionna une partie de la publication de l’Encyclopédie. Elle organisait un salon bihebdomadaire, recevant des artistes, des savants, des gens de lettres et des philosophes, de 1749 à 1777. L’autre grand salon de l’époque des Lumières était celui de Claudine de Tencin. Dans les années 1720, Voltaire dut s’exiler en Angleterre où il s’enquit des idées de John Locke.

Les philosophes luttaient généralement moins contre le pouvoir royal que contre l’hégémonie ecclésiastique et nobiliaire[réf. souhaitée] : dans sa défense de Jean Calas, Voltaire défendait ainsi la justice royale contre les excès d’une justice provinciale jugée plus fanatique[réf. nécessaire]. Bien des monarques européens - Charles III d'Espagne, Marie-Thérèse et Joseph II d’Autriche, Catherine II de Russie, Gustave III de Suède - lisaient et appréciaient les philosophes. Comme Voltaire, qui fut accueilli à la cour de Frédéric II de Prusse ou Diderot, qui fut accueilli à la cour de Catherine II, les philosophes comme d’Holbach se montraient favorables au despotisme éclairé dans l’espérance de voir leurs idées se répandre le plus rapidement possible en touchant directement à la tête de l’État[réf. souhaitée]. La suite des événements devait montrer aux Philosophes les limites de leurs ambitions chez des souverains plus despotes qu’éclairés[réf. nécessaire]. Seul Rousseau revendiqua avec constance l’égalité politique, qui devint par la suite un idéal révolutionnaire.

Notes et références

  1. Josiane Boulad-Ayoub : « Ainsi explicitée, adaptée, transformée, la Philosophie a pu servir de garant aux idées et aux valeurs que la Démocratie française propageait sur toute l’Europe, et qui, au nom des lois de la République une et indivisible, au nom de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité, faisait trembler les tyrans sur les champs de bataille ou, chez elle, guillotinait le roi » et http://www.univ-paris1.fr/IMG/doc/expos__sur_les__tats_unis_1_.wps.doc - « La vie coloniale (de l'Amérique du nord) s’organisa autour de quatre idées inspirées par les philosophes des Lumières : les droits naturels, la hiérarchie de lois (aucune loi des colonies n’est contraire à la Couronne ), la séparation des pouvoirs, le contrôle du contre-pouvoir. Ces pensées influenceront les révolutionnaires français de 1789. »
  2. Voir Daniel Roche, Le Peuple de Paris : essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1998 et Jean de Viguerie, « Une Forme nouvelle de vie consacrée : enseignantes et hospitalières en France aux XVIIe et XVIIIe siècles », Femmes et pouvoirs sous l'ancien régime, sous la direction de Danielle Haase Dubosc et Éliane Viennot, Paris, Rivages, 1991, p. 175-95.
  3. L’Esprit des lois, première partie, livre quatrième, Chap. IV « Différence des effets de l’éducation chez les Anciens et parmi nous. »

Représentants des Lumières

France Angleterre Écosse Allemagne Pologne États-Unis Italie Espagne Russie

Bibliographie

Article détaillé : Bibliographie des Lumières.

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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