Cesare Beccaria

Cesare Beccaria
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Cesare Beccaria
Cesare Beccaria 1738-1794.jpg

Naissance 1738
Milan
Décès 1794 (à 56 ans)
Milan
Nationalité Drapeau d'Italie Italie
Profession Professeur d'économie puis homme d'État
Activité principale Philosophe, juriste

Cesare Beccaria Bonesana, marquis de Gualdrasco et Villareggio[1] (né le 15 mars 1738 à Milan où il est mort le 28 novembre 1794), était un juriste, philosophe, économiste et homme de lettres italien rattaché au courant des Lumières. Dans Des délits et des peines, il fonde le droit pénal moderne et se signale notamment en développant la toute première argumentation contre la peine de mort.

Sommaire

Biographie

Il subit d'abord, selon ses propres dires, « huit années d'éducation fanatique et servile » (1747-1755) dans un collège jésuite pour jeunes aristocrates à Parme. Il obtient ensuite en 1758, à l'âge de 20 ans, son doctorat en droit à l'université de Pavie. Il rompt avec sa famille après sa rencontre avec Teresa Blasco, qu'il épouse en 1761 : le père de Beccaria considère ce mariage comme une mésalliance. Peut-être en souvenir du roman de Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, qui paraît l'année même de leur mariage et dont l'histoire d'amour socialement impossible ne pouvait manquer d'évoquer leurs propres mésaventures, les jeunes époux donnent le nom de Giulia à leur premier enfant, qui deviendra la mère du grand romancier Alessandro Manzoni.

Très influencé, selon sa propre expression, par « l'immortel » Montesquieu[2], ainsi que par Helvétius et les encyclopédistes français, Beccaria s’intéresse très tôt aux questions liées à l’équité du système judiciaire. Il signe son chef-d’œuvre à 26 ans avec Des délits et des peines (1764-1766)[3], qui pose les bases de la réflexion moderne en matière de droit pénal et amorce le premier mouvement abolitionniste[4]. Certains des arguments avancés sont déjà anciens, mais Beccaria en fait une parfaite synthèse d’autant plus neuve qu’il se dégage de tout modèle religieux. Il y établit les bases et les limites du droit de punir, et recommande de proportionner la peine au délit. Beccaria pose aussi en principe la séparation des pouvoirs religieux et judiciaire. Dénonçant la cruauté de certaines peines comparées au crime commis, il juge « barbare » la pratique de la torture et la peine de mort, et recommande de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

Désireux de réduire les sources du droit à la seule loi du souverain, il développe une théorie (sans doute excessive et d'ailleurs inapplicable) de l'herméneutique judiciaire, dite « théorie du syllogisme ». Le juge criminel ne doit en effet pas interpréter la loi pénale, mais seulement l'appliquer de manière purement syllogistique (« Pour chaque délit le juge doit faire un syllogisme parfait »[5]): le prévenu a accompli telle action, or cette action est punie par telle peine, donc le prévenu doit être condamné à cette peine.

Très rapidement traduit en français (1765), en allemand (1766), en anglais (1767), en suédois (1770), en polonais (1772), en espagnol (1774), cet ouvrage provoque un vif débat auquel participent des intellectuels de renom comme Voltaire ou Diderot. Beccaria met au monde le débat qui sévit depuis plus de deux siècles entre les partisans de la répression et ceux de la prévention, que Beccaria appelle de ses vœux. Très hostile à la peine de mort, il pose une démonstration, la première du genre, qui amène l’auteur à qualifier la peine capitale, qui n'est «ni utile, ni nécessaire»[6], d'«assassinat public».

Couverture de Des délits et des peines

En 1768, on crée pour lui à Milan une chaire d’économie politique où il enseigne pendant deux ans, de 1769 à 1770. Il s’était proposé de rédiger un grand ouvrage sur la législation en général ; mais il ne mit jamais ce projet à exécution.

À partir de 1770, il devient haut fonctionnaire dans l’administration milanaise alors sous domination autrichienne; il occupera ce poste jusqu’à sa mort.

Il inspire les réformes judiciaires menées en Suède (1772) et en France (1780 et 1788) instaurant l’abolition de l’emploi de la torture. Beccaria est publié en 1777 aux États-Unis, où il inspire Thomas Jefferson.

Quelques principes posés par Beccaria dans Des délits et des peines (1764) :

  • « Nullum crimen nulla poena sine lege » (en français : « Pas de crime, pas de punition sans loi ») aujourd’hui qualifié de principe de légalité: la formule ne sera forgée que plus tard (par P. J. A. von Feuerbach), et l'idée avait déjà été formulée (sans doute pour la première fois par Hobbes), mais Beccaria lui donne une importance inédite.
  • « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. » (Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen du 26 août 1789, art. 8) appelé la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère
  • « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. » (ibidem, art. 7)
  • « La loi n’a le droit de proscrire que les actions nuisibles à la société. » (ibidem, art. 5)
  • « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » (ibidem, art. 9) traduit par la présomption d'innocence
  • «  Est fausse l’idée d’utilité qui sacrifie mille avantages réels pour un inconvénient imaginaire ou sans conséquence, qui priverait les hommes du feu parce qu’il incendie et de l’eau parce qu’elle inonde, qui ne remédie aux maux qu’en détruisant. Les lois qui interdisent le port d’armes sont de cette nature ; elles ne désarment que ceux qui ne sont ni enclins ni déterminés à commettre des délits […]. Ces lois aggravent la condition des agressés, en améliorant celle des agresseurs, elles ne diminuent pas les homicides, mais les augmentent, parce que c’est avec plus d’assurance qu’on agresse les gens désarmés que les gens armés. On peut dire de ces lois qu’elles ne préviennent pas mais craignent les délits, et naissent de la tumultueuse impression de certains faits particuliers, non de la méditation raisonnée des avantages et des inconvénients d’un décret universel. »[7]

Ces principes sont aujourd’hui des piliers de la justice et le traité Des délits et des peines demeure une référence incontournable dans le cursus universitaire en droit pénal.

Ses leçons d'économie n’ont été imprimées qu’après sa mort, en 1804, sous le titre Elementi di economia pubblica. Beccaria avait participé en 1764 et 1765 à une publication périodique analogue au Spectateur, le Café (1764-1766), où étaient traités divers sujets de littérature et de philosophie.

Peine de mort

C’est dans son ouvrage Des délits et des peines qu’il s’oppose au principe de la peine de mort :

«  Il me paraît absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui détestent et punissent l’homicide, en commettent un elles-mêmes, et que pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public[8]. »

«  Ce n'est pas le spectacle terrible mais passager de la mort d'un scélérat, mais le long et pénible exemple d'un homme privé de liberté, qui, transformé en bête de somme, rétribue par son labeur la société qu'il a offensée, qui est le frein le plus fort contre les délits[9]. »

C'est pourquoi Beccaria propose comme substitut à la peine de mort « l'esclavage perpétuel » (c'est-à-dire la peine de travaux forcés à perpétuité), dont l'impression de durée s'inscrit plus fortement dans les esprits que la peine de mort, « que les hommes voient toujours dans un obscur éloignement ». C'est donc bien une peine continuelle que prône Beccaria, car les « passions violentes » s'effacent avec le temps.

On a parfois mal compris le texte en pensant que, dans le chapitre 28 sur la peine de mort, Beccaria admettait néanmoins la peine de mort dans certains cas (sédition ou complot contre la sûreté de l'État, ou bien lorsque la mort est « le seul véritable frein pour détourner les autres de commettre des délits »). Mais cette interprétation est inexacte[10]: le premier cas ne concerne que des situations d'anarchie ou de guerre civile étrangères au cours normal de la vie d'un État de droit, et le second est une hypothèse invalidée dans toute la suite du chapitre.

Partout en Europe, les cas passibles de peine de mort commençaient à décroître. Mais c'est bien sous l'influence des Délits et des peines que, pour la première fois au monde, la peine de mort est officiellement et réellement abolie dans le grand-duché de Toscane en 1786, par Léopold d'Autriche, franc-maçon, qui devint en 1790 empereur germanique sous le nom de Léopold II. Le livre de Beccaria a plus tard servi et sert encore de référence aux luttes abolitionnistes engagées depuis le XIXe siècle (la peine de mort est ainsi abolie par le jeune État italien en 1889). Certains de ses arguments ont été repris par Robert Badinter dans son combat pour l’abolition de la peine de mort en France (1981), que Jacques Chirac a fait inscrire dans la constitution de la République française (art. 66-1, 26 février 2007), et aujourd'hui encore par des abolitionnistes américains comme Hugo Adam Bedau.

Moyen de lutter contre le crime

« Enfin le moyen le plus sûr mais le plus difficile de prévenir les délits est de perfectionner l’éducation […]. »[11]

Œuvres

Des délits et des peines a été traduit en français au XVIIIe et XIXe siècle par :

Il a été notamment commenté par Voltaire, Diderot, Joseph-Michel-Antoine Servan et Jacques-Pierre Brissot de Warville, ainsi que par Michel Foucault dans Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

Il a également publié, en 1770, des Ricerche intorno alla natura dello stile (Recherches concernant la nature du style).

Notes

  1. Le nom de marquis de Beccaria – que l'on trouve dans de très nombreuses sources (dont l'Encyclopædia Universalis) – semble erroné: on reprend ici la dénomination adoptée par Maria G. Vitali-Volant (Cesare Beccaria, 1738-1794: cours et discours d'économie politique, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 9) et par Philippe Audegean ("Introduction", dans Cesare Beccaria, Des délits et des peines. Dei delitti e delle pene, Lyon, ENS Éditions, 2009, p. 9). Dans sa biographie de Beccaria, Renzo Zorzi (Cesare Beccaria. Il dramma della giustizia, Milan, Mondadori, 1995, p. 53) a en effet rappelé que, comme l'ont établi des recherches récentes, le grand-père de Beccaria a obtenu son titre de noblesse en acquérant en 1711 les deux fiefs de Gualdrasco et de Villareggio : Cesare est donc le troisième marquis du nom.
  2. C. Beccaria, Des délits et des peines, introduction (trad. Philippe Audegean, Lyon, ENS Éditions, 2009), p. 145.
  3. Titre italien : Dei delitti e delle pene. La première édition est de 1764 ; une deuxième édition, modifiée et augmentée de nouveaux chapitres, paraît en 1765 ; une troisième édition encore augmentée paraît en 1766.
  4. Jean-Yves Le Naour, Histoire de l'abolition de la peine de mort : 200 cents ans de combats, Perrin, 2011, 404 p. (ISBN 978-2-262-03628-7) 
  5. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 4, p. 153.
  6. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 28, p. 229.
  7. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 40, p. 281-283.
  8. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 28, p. 237 (en italien : « Parmi un assurdo che le leggi, che sono l’espressione della pubblica volontà, che detestano e puniscono l’omicidio, ne commettono uno esse medesime, e per allontanare i cittadini dall’assassinio, ordinino un pubblico assassinio. »)
  9. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 28, p. 231-233.
  10. Voir l'édition des Délits et des peines citée dans la bibliographie, note 198, p. 367-368.
  11. C. Beccaria, Des délits et des peines, § 45, p. 293.

Œuvres

  • Cesare Beccaria, Des délits et des peines. Traduction de l'italien par Maurice Chevalier; introduction par Franco Venturi, Genève, Droz, 1965 (plusieurs fois réédité), XLVI, 80 et (2) p. (Les Classiques de la pensée politique, numéro 1).
  • Cesare Beccaria, Des délits et des peines. Dei delitti e delle pene, texte italien établi par Gianni Francioni, introduction, traduction et notes par Philippe Audegean, Lyon, ENS Éditions, 2009. ISBN 978-2-84788-149-3
  • Cesare Beccaria, Recherches concernant la nature du style, traduit de l'italien par Bernard Pautrat, Paris, Éditions rue d'Ulm, 2001.

Bibliographie

  • Philippe Audegean, La philosophie de Beccaria. Savoir punir, savoir écrire, savoir produire, Paris, Vrin, 2010 (ISBN 978-2-7116-2303-7)
  • Michel Porret, Beccaria. Le droit de punir, Paris, Michalon, 2003, 126 p. (ISBN 2 84186 191).
  • Michel Porret (sous la direction de), Beccaria et la culture juridique des Lumières, Genève, Droz, 1997. (ISBN 260000176X)
  • Michel Porret, "Beccaria, une révolution des Lumières", in L'Histoire, 357, numéro spécial: La Peine de mort, octobre 2010, pp. 48-53.
  • Michel Porret, "Cesare Beccaria: contre la peine de mort", in Le Point. Références, Les Textes fondamentaux, Penser la mort, octobre 2010, pp. 78-79.
  • Michel Porret, "Voltaire: justicier des Lumières", in Cahiers Voltaire (Revue annuelle de la Société Voltaire), 8, Ferney-Voltaire, 2009, pp. 7-28.
  • Michel Porret, "Un Échafaud romantique contre la peine capitale. Anne Bignan L’Échafaud Paris, 1832", in Critique. L'Europe romantique, juin-juillet 2009, no 745-746, pp. 592-602.
  • Michel Porret, "Pour une abolition universelle de la peine capitale: la voix de Beccaria", Le Courrier (Genève), vendredi 9 septembre 2001 (http://www.lecourrier.ch/).
  • Maria G. Vitali-Volant, Cesare Beccaria (1738-1794). Cours et discours d'économie politique, Paris, L'Harmattan, 2005, 136 p. (ISBN 274759033X)

Annexes

Voir aussi

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