Oxymore

Oxymore
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En rhétorique, un oxymore ou oxymoron, du grec ὀξύμωρος (oxúmōros - de ὀξύς, « aigu, spirituel, fin » et de μωρός, « niais, stupide  », mot qui en grec signifie « malin stupide, spirituel sous une apparente stupidité », lui-même un oxymore) est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire.

L'oxymore permet de décrire une situation ou un personnage de manière inattendue, suscitant ainsi la surprise. Il exprime ce qui est inconcevable. Il crée donc une nouvelle réalité poétique. Il rend compte aussi de l'absurde.

Sommaire

Définition linguistique

Les formes oxymoriques

L'expression « alliance de mots » est souvent employée comme synonyme d'oxymore[1]. L'étymon « oxumoron », également utilisé en français comme synonyme académique de l'oxymore[2], est quant à lui un mot forgé à l'image de la figure qu'il désigne, de la même manière que la figure de la dorica castra.

L'oxymore met en relation, dans une même expression, voire plus rarement à l'échelle de la phrase, deux mots opposés, souvent des antonymes. Les formes oxymoriques sont ainsi diverses et variées ; elles peuvent s'appuyer soit sur un syntagme nominal (substantif et épithète combinés le plus souvent) comme dans l'expression « impitoyable tendresse », soit sur un syntagme verbal (verbe et adverbe combinés) comme dans la célèbre maxime latine : « festina lente » (« Hâte-toi lentement » en français). Il existe également des constructions dites « double-oxymore », comme dans « Buveurs très illustres, et (...) Verolez très précieux »[3], qui sont cependant moins évidents d'interprétation qu'un oxymore simple.

Oxymore, antithèse et antilogie

La figure aboutit à une relation dite « asémantique », proche de celle constitutive de l'antithèse et surtout de la classe des antilogies ( ou paradoxisme chez Pierre Fontanier), classe à laquelle la linguistique l'affilie. On emploie ainsi parfois, à tort, le mot d’antilogie comme synonyme d'oxymore, bien que l'antilogie soit par définition illogique car elle est une antithèse poussée jusqu'à l'absurde alors que l'oxymore est formellement deux termes opposés réunis grammaticalement et sémantiquement qui aboutit à une image certes antithétique mais sans outrage à la logique comme dans ces vers de Madeleine de Scudéry :

La Lamentation sur le corps du Christ mort de Dosso Dossi, décrit par Madeleine de Scudéry comme un clair-obscur.


À travers la noirceur de l'ombre, qui cache la mer et les cieux,
Une clarté blafarde et sombre, fait voir l'une et l'autre à nos yeux

(Madeleine de Scudéry, Le Cabinet.)

L'adjectif « blafarde » suggère en effet la blancheur de l'astre lunaire, et il s'oppose à l'adjectif « sombre ». L'image est certes surprenante mais pas impossible : ce n'est pas une antilogie, simplement un procédé de contraste permettant à Madeleine de Scudéry de suggérer le clair-obscur du tableau de Poussin.

Fontanier cite comme antilogie le vers de Racine, dans Britannicus : « Ah ! si dans l'ignorance il le fallait instruire ». Allier dans une même phrase deux mots de sens et de logique opposés comme « ignorance » et « instruire » comporte une part de paradoxe, contrairement à un oxymore strict, qui accole deux mots de sens opposés mais sans confiner à l'antilogie, comme dans l'expression : « s’élancer en avant derrière la musique » (James Joyce).

Définition stylistique

Une figure d'opposition

Illustration de la nouvelle The Black cat de Edgar Allan Poe par Aubrey Beardsley.

L'oxymoron vise un effet de non-sens, néanmoins son intérêt réside dans le large spectre de nuances sémantiques et de connotations que suggèrent les deux termes mis en contradiction. L'oxymore peut tout d'abord renforcer des descriptions comme dans ce vers :


(...) de grandes vaches se déplaçaient avec lenteur dans un silencieux tintement de clochettes

(Alain Robbe-Grillet, Le miroir qui revient.)

L'oxymore permet de mettre en relief l'aspect bucolique de la scène. Il unit ce que la réalité logique oppose ; en cela il est proche du clair-obscur des peintres, d'où son utilisation préférentielle par les auteurs baroques, et plus tard, par les romantiques, Victor Hugo en tête. Elle est proche d'une autre figure d'opposition : l'hypallage, qui est la réunion de termes n'appartenant pas au même champ sémantique et imposant une image peu commune.

Effets stylistiques

La figure sert alors à suggérer des atmosphères oniriques ou hallucinatoires, où l'antithèse domine. La figure peut aussi, en poésie comme dans le langage parlé, servir à saisir une contradiction interne ou une passion à la fois captivante et repoussante comme l'exprime ce passage de la correspondance de Gustave Flaubert : « Un sujet à traiter est pour moi comme une femme dont on est amoureux, quand elle va vous céder, on tremble et on a peur, c'est un effroi voluptueux »(Gustave Flaubert[4].

Si certains oxymores ont été imaginés pour attirer l'attention du lecteur ou de l'auditeur, d'autres le sont pour créer une catégorie verbale décrivant une réalité qui ne possède pas de nom spécifique. Ce sont les « oxymores discrets » : étant entrés dans le langage courant, ils n'apparaissent plus comme des antithèses manifestes. Ainsi les noms composés tels que clair-obscur (de l'italien « chiaro oscuro ») ou aigre-doux, doux-amer, ou encore réalité virtuelle sont des oxymores. Cependant, un véritable oxymore doit être relativement créatif, ou poétique, par exemple, on parlera de « flammes glacées », ou d'un « horrible plaisir », afin de provoquer un effet stylistique surprenant.

Accusations d'oxymore

Un procédé rhétorique assez répandu est de qualifier d'oxymore une expression qui n'est pas censée l'être, dans le but de discréditer le concept. Cette démarche est généralement partiellement humoristique, mais constitue tout de même une attaque assez violente. Jean-Pierre Chevènement par exemple accusait l'expression « Fédération d’États-nations » d'être un oxymore[5]; de même pour le philosophe Michel Serres au sujet de l'"Identité nationale" (France 3, émission "7 à voir", du 7 mars 2010).

Genres concernés

C'est avec le théâtre antique et tragique que naît l'oxymore. Sophocle déjà dans sa pièce Antigone qualifie l'héroïne éponyme de « saintement criminelle », matérialisant par une image un dilemme, clé et nœud du genre tragique, que relève également Aristote.

Les auteurs baroques affectionnaient l'oxymore car il pouvait répondre à leur recherche : la rencontre des contraires. Eugène Green, dans La Parole baroque montre ainsi que la déclamation, la gestuelle, plus largement la théâtralité baroque, incluant aussi la peinture, l'architecture et la musique du courant esthétique du XVIIe siècle mettent en œuvre des apparitions paradoxales, ce qu'il nomme des « oxymores tragiques », clé du baroque européen.

Le Classicisme a également eu recours à l'oxymore, figure privilégiée de la tragédie et de l'expression du dilemme des personnages pris dans une action sans rebours possible. Racine notamment dans Andromaque parle d'« heureuse cruauté », dans Phèdre, de « parricide joie ». Les rimes de ces tirades versifiées forment également de curieux oxymores : « joie / proie », ou encore « joie / noie ». Pouvant aussi être une source de comique, on le trouve aussi dans le titre de comédies, chez Molière, Le Bourgeois gentilhomme, ou chez John Crowne, le Campagnard homme d'esprit, une comédie de la Restauration anglaise de la même époque que Molière.

Les romantiques et préromantiques en font leur figure privilégiée, signe d'une condition contradictoire de l'homme : Milton évoque l'obscurité visible et l'absence de lumière « No light; but rather darkness visible » pour caractériser l’Enfer, dans Le Paradis perdu (Livre i, ligne 62) et Charles Baudelaire en fait son principe esthétique, à l'origine de son œuvre des Les Fleurs du mal, oxymore à elle seule. La figure apparait comme approprié à sa vision de l’homme, pris entre deux postulats contradictoires, d'un côté Dieu, de l’autre Satan comme dans :

Je serai ton cercueil, aimable pestilence.

Arthur Rimbaud consacre l'oxymore, dans ses Illuminations, figure qui lui permet de dévoiler son ambition poétique : réunir des inconciliables, comme dans « violent paradis », ou dans « tendresses bestiales ». L'oxymore lui permet de générer une harmonie poétique qui mène à l'hermétisme du monde[6] :


Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles, aux délices insensibles, - et ses secrets affolants pour chaque vice - et sa gaîté effrayante pour la foule.

Gérard de Nerval consacre ainsi par son poème El desdichado l'usage de la figure, rapproché souvent de l'éclipse solaire :


Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

la Melancholia de Albrecht Dürer.
  • En peinture, nombres d'artistes affectionnent les ressources de l'oxymore, à travers le clair-obscur comme chez Goya, mais surtout chez Albrecht Dürer, dans son œuvre Melancolia. On peut qualifier certaines œuvres du mouvement surréaliste d'oxymores picturaux. A titre d'exemple, L'empire des lumières de René Magritte (1954) peut être considéré comme la parfaite illustration de « cette obscure clarté »[réf. nécessaire].

Historique de la notion

Utilisée dès l'Antiquité la figure oxymorique fut longtemps nommée opposition en France jusqu'au XVIIIe siècle, d’après De Jaucourt, dans l’ Encyclopédie où il est attesté pour la première fois en français (en 1765). Les orateurs et poètes antiques ont créé des oxymores célèbres, toujours utilisées, comme Horace surtout avec perjura fides (« une fidélité parjure »), insaniens sapientia (« folle sagesse ») ou dulce periculum (« suave péril »). Au Moyen Âge, Nicolas de Cues propose comme titre de son ouvrage celui de docte ignorance (De docta ignorantia, 1440). Bernard Dupriez dans le Gradus range l’oxymore parmi l’alliance de mots contradictoires et en fait un synonyme de l'antonymie ; pour lui l'« alliance de mots est une ellipse de la définition alliance de mots contradictoires ». Pour Reboul, au contraire, revenant à la définition de Pierre Fontanier, l’oxymore s'assimile au paradoxisme ; il explique en effet que cette figure existe en raison de la contradiction entre la doxa (opinion courante) et l’énonciateur qui la contredit, par métaphore qu'elle permet[7].

En 2009, le philosophe Bertrand Méheust a signé un essai « La Politique de l’oxymore », qui soutient la thèse selon laquelle « l’invention et l’utilisation massive des oxymores par le pouvoir en place a atteint un degré inédit dans l’histoire »[8].

Exemples

Dans la littérature

Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;
L'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort
Les Maures et la mer montent jusques au port.

(Corneille, Le Cid, (1682), Acte IV, scène 3.)

Dans la chanson

  • « La bamba triste » (titre d'une chanson de Pierre Billon)
  • « nous parlons en silence d'une jeunesse vieille » (dans la chanson "jojo" de Jacques Brel)
  • « Mon plus beau cauchemar » (titre d'une chanson d'EZ3kiel)
  • « Fantaisie Militaire » (titre d'un album d'Alain Bashung)
  • « notre amourette éternelle » (dans la chanson "Je t'emmène au vent" de Louise Attaque)
  • « Douce violence » (titre d'une chanson de Johnny Hallyday et, également, titre d'un album d'Elsa Lunghini)
  • « Elles sont affreusement belles » (paroles de la chanson : "Tu n'as qu'à m'attraper" de Calogero, écrite par Dick Annegarn)
  • « Leur soleil nous fait de l'ombre » (paroles de la chanson : "Chanson pour l'Éthiopie", écrite par Renaud)
  • « Noir lumineux et blanc obscur » (paroles de la chanson : "Le dessinateur", écrite par David TMX)

Figures proches

Notes et références

  1. Entrée « Oxymore » sur le site lettres.net. Consulté le 6 février 2010.
  2. Entrée « Oxumoron », tome XI, p. 718 de lEncyclopédie ou dictionnaire raisonnée des sciences, des arts et des métiers sur le site portail.atilf.fr. Consulté le 6 février 2010.
  3. Rabelais, Gargantua, Prologue.
  4. Gustave Flaubert, Correspondance, lettre du 14 octobre 1846.
  5. souverainisme Jean-Pierre Chevènement
  6. Enétre Oxymore sur le site abardel.free.fr. Consulté le 6 février 2010.
  7. « L'oxymore : figure syntactico-sémantique ou élément d'une stratégie para-doxique ? » par Michèle Monte sur le site fabula.org. Consulté le 6 février 2010.
  8. « La Politique de l’oxymore »

Annexes

Articles connexes

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Liens externes

Bibliographie

  • (fr) Green Eugène, La parole baroque, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Texte et Voix », 2001, 326 p p. (ISBN 222005022X) 
  • (fr) Biet Christian, Vincent Jullien, Le siècle de la lumière 1600-1715. L'oxymore et le clair-obscur : peinture, rhétorique et poésie, Paris, Presses de l'ENS, coll. « Theoria », 1997, 410 p p. (ISBN 2-902126-40-9) 



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