- Amphibologie
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L’amphibologie (substantif féminin), du grec ampibolia ("action de lancer de tous côtés"), est, en logique, une construction grammaticale qui permet à une phrase d'avoir deux sens différents (indécidabilité) et qui peut conduire à un raisonnement fallacieux.
L'amphibologie est également une figure de style qui consiste en une ambiguïté grammaticale qui peut donner lieu à diverses interprétations d'une même phrase.
Sommaire
Exemples
« Et osent les vaincus les vainqueurs dédaigner »
Qui, des vaincus ou des vainqueurs, constitue respectivement le sujet et le complément d'objet direct de la phrase ?
« L'oracle de Delphes dit à Crésus que s'il continuait la guerre, il détruirait un grand royaume — il n'avait pas précisé qu'il s'agirait du royaume de Crésus lui-même »
— Hérodote, Les Histoires
« Les vieux ne devraient pas être autorisés à conduire sur les routes, c'est bien trop dangereux. »
La phrase peut être comprise de deux manières : les "vieux" étant de véritables inconscients, ils rendent la route dangereuse pour les autres, et de ce fait, ils ne devraient pas être autorisés à conduire ou les routes sont tellement dangereuses qu'on ne devrait pas laisser les vieux conduire dessus, pour leur propre bien. (À noter qu'elle peut encore en avoir un troisième : les vieux sont autorisés à conduire, mais ailleurs que sur les routes.)
« Elle est sortie en pleurant du café »
a deux sens : pleure-t-elle en sortant du café (le bistrot) ou pleure-t-elle du café en guise de larmes ?
« Il viole sa fille le jour de son anniversaire. »
— Titre de journal
Est-ce l’anniversaire de la fille ou celle du violeur ?
- L'amphibologie permet fréquemment le mot d'esprit ou witz. Exemple : Un enfant sur trois naît indien ou chinois. C'est bien embêtant : ma femme en veut un troisième, et je ne parle aucune des deux langues. (Hervé Le Tellier, billet du site lemonde.fr). L'équivoque est encore plus facile en langue anglaise, dont la morphologie est réduite, et le jeu sur ces ambiguités a fait les beaux jours de Mad magazine, surtout dans les années 1950.
Définition
Définition linguistique
L'amphibologie fait partie de la classe des ambiguïtés. Longtemps perçue comme une faute de construction elle est néanmoins très employées pour un objectif communicationnel précis. La figure repose sur une impossibilité de déterminer le sens, en raison d'un brouillage morpho-syntaxique : la construction de la phrase peut laisser apparaître deux interprétations différentes et concurrentes.
L'amphibologie est une figure favorisée par l'usage libre de la ponctuation et par la place assignée aux syntagmes mais la figure est toujours caractérisée par une ambiguïté syntaxique, qui conditionne et aboutit à une ambiguïté sémantique, autrement appelée indécidabilité, permise par une ellipse souvent, ou encore une syllepse.
La construction incertaine du complément du nom notamment est un ressort spécifique de l'amphibologie ; « La crainte des ennemis » a ainsi deux sens, opposés: "la crainte qu'éprouvent les ennemis" ou "la crainte inspirée par les ennemis", ou les deux. L'objet décide donc de l'interprétation attendue ; on désigne ainsi l'objet grammatical selon le locuteur énonciatif : on parle de génitif subjectif dans le premier cas (les ennemis sont sujets de l'action) et de génitif objectif dans l'autre (les ennemis sont objet de l'action).
Le pronom relatif complément d'objet direct que en français favorise également la formation spontanée d'amphibologies, de même que certaines homonymies. La polysémie enfin se mêle souvent à la figure, surtout dans le langage poétique, afin de générer des effets de sens qui laissent au lecteur toute latitude d'interprétation :
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne(Guillaume Apolinaire, Le pont Mirabeau.)Deux sens s'offrent ici au lecteur lorsque le poème est récité : le fleuve coule, ou les amours coulent (comme le fleuve), ou les deux. L'ambiguïté n'existe plus dans la version écrite en raison de l'accord du verbe.
Définition stylistique
L'amphibologie vise en majorité des effets comiques et ironiques, en ce sens, elle appartient aux jeux de mots et se rapproche de la syllepse, qui elle aussi, brouille la référence sémantique.
La remarque du comique américain Groucho Marx « J'ai tué un éléphant en pyjama » est totalement ironique : l'image naissant des deux sens possibles est surréaliste (un éléphant en pyjama ou l'auteur en pyjama tuant un éléphant).
Genres concernés
Les devins et oracles furent les premiers utilisateurs des amphibologies et des double sens : leurs visions est souvent traduite par une ambiguïté syntaxique que seule la suite des événements lèvera.
La poésie en majorité utilise l'amphibologie, en premier lieu la poésie dite hermétique et symboliste comme celle de Maurice Maeterlinck ou de Mallarmé :
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le CygneOn ne sait si l'adjectif inutile se réfère au cygne ou à l'exil. En définitive, le poème laisse le lecteur décider, et les auteurs jouent sur ce consensus d'interprétation pour favoriser des lectures à double niveaux.
Les discours rhétoriques sont des lieux privilégiés pour former des amphibologies, et dont les discours politiques modernes héritent. La casuistique médiévale ou de la Renaissance, le langage religieux et exégétique par ailleurs emploient les ressources de la figure, en particulier les Jésuites[réf. nécessaire][1] (la référence donnée fait allusion à la restriction mentale admise par des auteurs jésuites, qui ne repose pas sur l'amphibologie).
Historique de la notion
Étudiées et collectées par Jean Charles dans Les Perles du facteur, les amphibologies sont une figure redécouverte par l'intérêt moderne pour le langage populaire.
Figures proches
- Figure "mère": ambiguïté
- Figures "filles": aucune
- Paronymes: aucun
- Synonymes: équivoque, double sens
- Antonymes:
Notes et références
Voir aussi
Articles connexes
- Barbarisme
- Janotisme
- Aristote, Les Réfutations sophistiques
Bibliographie
- Jean CHARLES, Les perles du facteur, Calmann Lévy, 1960
Bibliographie des figures de style
- Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », 1989, 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8).
- Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, Paris, A. Wechel, 1557.
- César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p.
Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne
- Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977 (ISBN 2-0808-1015-4) [lire en ligne].
- Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8).
- Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1).
- Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3).
- Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », 1996, 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6).
- Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998 (ISBN 2-1304-9310-6).
- Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001, 16 × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7).
- Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9).
- Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6).
- Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, 2003, 218 p. (ISBN 2-200-26457-7).
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