Projet Manhattan

Projet Manhattan
Le général Leslie Groves, à gauche, était le chef militaire du Projet Manhattan. À droite, le physicien Robert Oppenheimer, directeur scientifique du projet.

Projet Manhattan est le nom de code du projet de recherche mené pendant la Seconde Guerre mondiale, qui permit aux États-Unis, assistés par le Royaume-Uni, le Canada et des chercheurs européens[1], de réaliser la première bombe A de l'histoire en 1945.

Sous la direction du physicien Robert Oppenheimer et du général Leslie Groves, le projet fut lancé en 1942 dans le plus grand secret, suite à une lettre de Leó Szilárd du 2 août 1939 co-signée par Albert Einstein au président Roosevelt selon laquelle l'Allemagne nazie travaillait peut-être sur un projet équivalent[2]. En fait, les efforts de recherches allemandes sur le sujet étaient assez limités.

Le projet Manhattan conduisit à la conception, la production et l'explosion de trois bombes atomiques. La première, une bombe au plutonium (appelée « Gadget », « Trinity » étant le nom de code du premier essai atomique de l'histoire), fut testée le 16 juillet 1945 dans le désert près d'Alamogordo dans l'État du Nouveau-Mexique. Les deux suivantes, l'une à l'uranium et l'autre au plutonium (appelées Little Boy et Fat Man), furent larguées respectivement sur les villes japonaises de Hiroshima le 6 août 1945 et Nagasaki le 9 août.

En 1945, le projet employait plus de 130 000 personnes. Il coûta près de deux milliards USD au total.

Sommaire

Situation géographique des sites de recherche et de production

Les principaux sites du Projet Manhattan

Bien que plus de trente sites de recherche et de production aient été impliqués, le projet Manhattan fut largement mis en œuvre dans trois cités scientifiques dont l’existence fut gardée secrète jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale : Hanford dans l’État de Washington, Los Alamos dans l’État du Nouveau Mexique et Oak Ridge dans l’État du Tennessee. Le Laboratoire national de Los Alamos fut construit sur une mesa qui accueillait auparavant la Los Alamos Ranch School. Le site de Hanford, qui atteignit près de 2 600 km2, prit la place de terres irriguées, de vergers, d’une voie ferrée et de deux communautés agricoles, Hanford et White Bluffs. Les usines d'Oak Ridge, qui couvraient plus de 243 km², prirent la place de plusieurs communautés agricoles. Des familles installées là depuis des générations eurent seulement deux semaines pour évacuer leurs terres.

Certains sites comme le Laboratoire national de Los Alamos et le Laboratoire national d'Oak Ridge sont encore en activité aujourd’hui.

Origines du projet

Durant l’entre-deux-guerres les États-Unis prirent la tête de la recherche en physique nucléaire, grâce aux efforts des physiciens locaux et des immigrants récents. Ces scientifiques avaient développé de nouveaux instruments, comme le cyclotron et d’autres accélérateurs de particules, qui permirent de découvrir de nouveaux éléments, dont les radioisotopes comme le carbone 14.

Le 16 janvier 1939, Niels Bohr arriva du Danemark aux États-Unis pour passer plusieurs mois à l’université de Princeton. Juste avant son départ du Danemark, deux de ses collègues, Lise Meitner et Otto Robert Frisch (deux réfugiés d’Allemagne), lui avaient fait part de leur hypothèse selon laquelle l’absorption d’un neutron par un noyau d’uranium provoque parfois la séparation de celui-ci en deux parties approximativement égales et la libération d’une énorme quantité d’énergie, un phénomène qu’ils appelaient « fission nucléaire ». Cette hypothèse se fondait sur l’importante découverte d'Otto Hahn et Fritz Strassmann (publiée dans Naturwissenschaften au début du mois de janvier 1939) qui démontrait que le bombardement d’uranium par des neutrons produisait un isotope du baryum. Bohr avait promis de garder secrète l’interprétation de Meitner et Frisch jusqu’à ce qu’ils publient un article afin de leur assurer la priorité, mais à bord du bateau il en parla avec Léon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret. Dès son arrivée, Rosenfeld en parla à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répandit à d’autres comme le physicien d’origine italienne Enrico Fermi de l’université Columbia. Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et G. B. Pegram débouchèrent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d’uranium.

Le 26 janvier 1939, se réunit une conférence de physique théorique à Washington D.C., organisée conjointement par l’université George Washington et la Carnegie Institution de Washington. Fermi quitta New York pour participer à cette conférence avant le lancement des expériences de fission à Columbia. Bohr et Fermi discutèrent du problème de la fission, Fermi mentionnant en particulier la possibilité que des neutrons puissent être émis durant le processus. Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, ses conséquences c’est-à-dire la possibilité d’une réaction nucléaire en chaîne étaient évidentes.

Dans un discours de 1954 prononcé à l’occasion de son départ de la présidence de l’American Physical Society, Fermi se rappelle cet épisode :

« Je me souviens avec précision du premier mois, janvier 1939, où j’ai commencé à travailler dans les Laboratoires Pupin car tout est allé très rapidement. À l’époque, Niels Bohr enseignait à Princeton et je me souviens qu’un après-midi Willis Lamb est revenu très excité pour annoncer que Bohr avait divulgué une grande nouvelle. Cette fuite était la découverte de la fission et au moins les grandes lignes de son interprétation. Ensuite, un peu plus tard durant le même mois, il y a eu une conférence à Washington où l’importance potentielle du phénomène de fission nouvellement découvert a été pour la première fois discutée à moitié sérieusement comme source possible d’énergie nucléaire. »

Lettre d'Einstein à Roosevelt

Albert Einstein
Franklin Roosevelt en 1933

Les physiciens nucléaires Leó Szilárd, Edward Teller et Eugene Wigner (tous les trois des réfugiés juifs hongrois) étaient convaincus que l’énergie libérée par la fission nucléaire pouvait être utilisée dans des bombes par l'Allemagne nazie. Ils persuadèrent Albert Einstein, l’un des plus célèbres physiciens au monde et lui aussi un réfugié juif, d’avertir de ce danger le Président américain Franklin Roosevelt dans une lettre datée du 2 août 1939 dont Szilárd fit le brouillon. La lettre fait état de la possibilité de créer des bombes d'une puissance encore inconnue : « des bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes pourraient être assemblées. »

Le texte laisse présager que la Belgique serait un précieux allié pour obtenir de grandes quantités d'uranium : « les sources les plus importantes se trouvent au Congo belge. »

Einstein demande l'appui de Roosevelt, pour que le gouvernement « porte une attention particulière à la préservation de l'approvisionnement en uranium » et qu'il soutienne la recherche sur ce domaine « qui n'est à présent accompli que dans les limites des budgets des laboratoires universitaires ».

Il fait part de ses craintes au sujet de l'Allemagne qui a mis l'embargo sur les ventes d'uranium tchécoslovaque, et où « le fils du sous-secrétaire d'État allemand, von Weizsäcker, est attaché à l'Institut du Kaiser Wilheim » qui travaille sur ces problèmes.

La réponse de Roosevelt fut d’encourager des recherches supplémentaires sur les implications militaires de la fission nucléaire. La marine de guerre américaine dut accorder une première subvention de 6 000 USD, gérée par le Comité consultatif pour l'uranium, pour des expériences sur l’énergie nucléaire, ce qui donna ensuite naissance au projet Manhattan.

Après le bombardement d'Hiroshima, Einstein déclara regretter amèrement d’avoir écrit cette lettre (I could burn my fingers that I wrote that first letter to Roosevelt).

Projet uranium

Minerai d'uranium

Roosevelt créa le Comité Uranium présidé par le chef du National Bureau of Standards Lyman Briggs. Le Comité lança de petits programmes de recherche en 1939 au Naval Research Laboratory à Washington, où le physicien Philip Abelson travailla à la séparation isotopique de l’uranium. À l’université Columbia, Fermi construisit un prototype de réacteur nucléaire aussi appelé « pile atomique » en testant diverses configurations de graphite et d’uranium. Ces empilements de plusieurs tonnes de minerai et de matériaux permettaient de faire des tests de réactions en chaîne et de vérifier les premières hypothèses concernant les phénomènes physiques en jeu.

Vannevar Bush, directeur de la Carnegie Institution de Washington, organisa le National Defense Research Committee (NDRC) en 1940 pour mobiliser les ressources scientifiques américaines au service de l’effort de guerre. Outre les recherches sur le radar et le sonar, le NDRC prit en charge le « projet uranium », comme on appelait alors le programme de recherche dirigé par Brigg. En 1940, Bush et Roosevelt créèrent le Office of Scientific Research and Development (OSRD) pour amplifier ces efforts. Ce bureau allait innover dans un vaste éventail de domaines technologiques et militaires : bombes plus légères, véhicules militaires, matériel médical, etc. Certaines recherches allaient s'avérer utiles pour les bombes atomiques, en particulier pour améliorer les détonateurs et les explosifs nécessaires au déclenchement de la réaction en chaîne.

S-1 Committee

Le projet uranium n’avait pas beaucoup progressé au printemps 1941, quand parvinrent d’Angleterre les résultats des calculs d'Otto Frisch et Rudolf Peierls. Un rapport préparé par le MAUD Committee, un sous comité du Committee for the Scientific Survey of Air Warfare dirigé par G.P. Thomson, professeur de physique à Imperial College (Londres), démontrait qu’une très faible quantité d’uranium 235, l’isotope fissile de l’uranium, pouvait provoquer une explosion équivalente à plusieurs milliers de tonnes de TNT.

La National Academy of Sciences incita à un effort total pour construire l’arme atomique et le 9 octobre 1941, Roosevelt autorisa son développement. Le 6 décembre 1941, soit un jour avant l’attaque sur Pearl Harbor, Vannevar Bush créa un comité spécial (S-1 Committee) pour guider cet effort.

Un effort de recherche tous azimuts

Lorsque les États-Unis entrèrent en guerre en décembre 1941, plusieurs projets en cours étudiaient la séparation isotopique de l’uranium, la production de plutonium et la faisabilité de piles ou d’explosions nucléaires.

Les scientifiques du Metallurgical Laboratory de l’université de Chicago, du Radiation Laboratory de l’université de Californie et du département de physique de l’université Columbia accélérèrent leurs recherches pour produire les matériaux nécessaires. Ils devaient apprendre à séparer l’uranium 235 du minerai brut d’uranium (contenant 99,3% d’uranium 238) et à créer du plutonium, un élément n'existant pas dans la nature, en bombardant l’uranium naturel contenu dans un réacteur par des neutrons générés par une source d’uranium 235.

Mesure et calcul des propriétés nucléaires

Au début de 1942, le prix Nobel de physique Arthur Holly Compton organisa le Metallurgical Laboratory de l’université de Chicago afin d’étudier le plutonium et les piles à fission. Il chargea Oppenheimer des calculs sur les neutrons rapides. John Manley devait aider le théoricien Oppenheimer à trouver une solution en contactant et coordonnant plusieurs groupes de physique expérimentale dispersés à travers le pays.

La mesure et le calcul des interactions des neutrons rapides avec les matériaux de la bombe sont essentiels pour la réussite de l’arme atomique parce que le nombre de neutrons produits lors de la fission de l’uranium ou du plutonium doit être connu. De plus, la substance entourant l’uranium ou le plutonium doit pouvoir refléter les neutrons vers la réaction en chaîne avant qu’elle ne se disperse. Cette couche externe, le réflecteur, est conçue de manière à augmenter l’énergie produite.

L’estimation de la puissance explosive nécessitait de connaître d’autres propriétés nucléaires, comme la section efficace de la réaction des neutrons avec les noyaux d’uranium et d’autres éléments. Les neutrons rapides ne pouvaient être produits que dans des accélérateurs de particules, des instruments peu courants dans les départements de physique en 1942.

Conception des différents modèles de bombes possibles

Colloque à Los Alamos. De gauche à droite au premier rang : Norris Bradbury, John Manley, Enrico Fermi et J.M.B. Kellogg. Derrière Manley se trouve Robert Oppenheimer, avec Richard Feynman à sa gauche.

Au printemps 1942, Oppenheimer et Robert Serber de l’université de l'Illinois travaillèrent sur le problème de la diffusion des neutrons. Afin de discuter de ce travail et de la théorie générale des réactions de fission, Oppenheimer réunit un séminaire d’été à Berkeley en juin 1942. Les théoriciens Hans Bethe, John Van Vleck, Edward Teller, Felix Bloch, Emil Konopinski, Robert Serber, Stanley S. Frankel et Eldred C. Nelson (les trois derniers étaient d’anciens étudiants d'Oppenheimer) conclurent qu’une bombe à fission était réalisable.

Ce séminaire d’été, dont les résultats furent plus tard résumés par Serber dans The Los Alamos Primer (LA-1 online), fournit les premières bases théoriques à la conception de la bombe atomique ainsi que l’idée de la bombe H.

Pour démarrer une réaction nucléaire en chaîne, il fallait atteindre la masse critique soit en percutant deux masses sous-critiques d’uranium 235, soit en faisant imploser une boule creuse de plutonium avec une ceinture d’explosifs. Serber attribue la première idée d’une implosion à Tolman.

Teller imagina une autre possibilité : en entourant la bombe à fission avec du deutérium et du tritium, une bombe bien plus puissante (Superbomb ou simplement Super) pouvait être réalisée. Cette idée était fondée sur l’étude de la production d’énergie par les étoiles réalisée par Bethe avant la guerre. Lorsque l’onde de choc de la bombe à fission traverserait le mélange de deutérium et de tritium, leurs noyaux fusionneraient en produisant beaucoup plus d’énergie que la fission. Bethe était sceptique et réfuta tous les plans proposés par Teller. L’idée fut donc mise de côté jusqu’à la fin de la guerre. La bombe H ne fut testée qu’en 1952, suite à une bataille politique opposant Teller à Oppenheimer, qui s’acheva par l’éviction de ce dernier.

Teller souleva également la possibilité théorique qu’une bombe atomique puisse « enflammer » l’atmosphère, suite à une hypothétique réaction de fusion des noyaux d’azote. Selon Serber, Bethe démontra que c’était impossible mais Oppenheimer fit malencontreusement part de cette idée à Arthur Compton, qui « n’eut pas le bon sens de la fermer ». Cela parvint par le biais d’un document jusqu’à Washington ce qui conduisit à ce que la question « soit toujours restée en suspens ». Selon Bethe, cette catastrophe ultime resurgit à nouveau en 1975 dans un article de magazine par H.C. Dudley, inspiré par un entretien de Pearl Buck avec Compton en 1959, où celle-ci comprit tout de travers. L’inquiétude n’était pas encore totalement dissipée dans l’esprit de certaines personnes au moment du test Trinity.

LittleBoySchema.png Bombe à insertion (Little Boy) : deux blocs de masse sous-critiques entrent en collision
Implosion Nuclear weapon fr.svg Bombe à implosion (Fat Man) : une boule de matière fissile est compressée
Teller-ulam-basique.png Bombe à hydrogène de type Teller-Ulam (Castle Bravo) : une bombe à implosion provoque la fission et projette des rayons X pour amorcer la fusion dans la seconde partie du dispositif

Passage à l’échelle industrielle

Le besoin d’une meilleure coordination était clair. En septembre 1942, les difficultés rencontrées en menant les études préliminaires sur l’arme atomique dans des universités dispersées à travers le pays plaidaient en faveur d’un laboratoire dédié uniquement à cet effet. Ce besoin était néanmoins éclipsé par la demande d’usines pour produire l’uranium 235 et le plutonium.

Des débuts laborieux

Bush, à la tête de l'OSRD, un organisme civil, demanda au Président Roosevelt d’attribuer à l’armée les opérations à grande échelle en lien avec le projet d’arme atomique en croissance rapide. Roosevelt décida que l’armée coopérerait à la construction des usines de production d’uranium 235 et de plutonium. Le Corps des ingénieurs de l’armée choisit le colonel James Marshall pour superviser cette construction.

Les scientifiques avaient exploré plusieurs méthodes pour produire le plutonium et séparer l’uranium 235 mais aucune ne se prêtait encore à la production à grande échelle, des quantités microscopiques ayant seulement été préparées. Seule une méthode, la séparation électromagnétique développée par Ernest Lawrence du Radiation Laboratory de l’université de Californie, semblait prometteuse. Néanmoins, les scientifiques devaient continuer à étudier les autres méthodes possibles car la séparation électromagnétique était très coûteuse et pouvait difficilement produire à elle seule suffisamment de matériaux avant la fin de la guerre.

Marshall et son adjoint, le colonel Kenneth Nichols, durent lutter pour comprendre à la fois ces méthodes et les scientifiques avec qui ils devaient travailler. Jetés brutalement dans le domaine de la physique nucléaire, ils se sentaient incapables de distinguer entre les préférences d’ordre technique ou personnelles. Bien qu’ils aient décidé qu’un site près de Knoxville dans l’État du Tennessee conviendrait pour installer la première usine de production, comme ils ne savaient pas quelle surface était nécessaire, ils repoussèrent son acquisition. De plus, à cause de son caractère expérimental, leur projet ne pouvait pas rivaliser avec les tâches plus urgentes pour l’armée. Ainsi, l’incapacité de Marshall à obtenir suffisamment d’acier, nécessaire à d’autres productions militaires, entraîna des retards.

Même le choix d’un nom pour le projet d’arme atomique était difficile. Celui choisi par le général Brehon Somervell, Development of Substitute Materials, posait question car il semblait trop révélateur.

Le « projet Manhattan »

À l’été 1942, le colonel Leslie Groves était adjoint à la construction du Corps des ingénieurs de l’armée et avait supervisé la construction du Pentagone, le plus grand immeuble de bureaux au monde. Souhaitant une mission outre-mer, il protesta vigoureusement quand Somervell le nomma à la tête du projet d’arme atomique. Ses objections furent rejetées et Groves dut se résigner à diriger un projet qui lui paraissait avoir peu de chances de réussir.

Sa première décision fut de rebaptiser le projet The Manhattan District. Ce nom venait de l’habitude qu’avait le Corps des ingénieurs de l’armée de nommer les districts d’après leur ville quartier général (le quartier général de Marshall était à New York). En même temps, Groves fut promu brigadier general, un rang jugé nécessaire pour traiter avec les plus importants scientifiques impliqués dans le projet.

Une semaine après sa nomination, Groves avait résolu les problèmes les plus urgents du projet Manhattan. Sa manière énergique et efficace devient rapidement un peu trop familière aux scientifiques.

La première réaction en chaîne auto-entretenue

Le premier obstacle scientifique majeur fut levé le 2 décembre 1942 au-dessous des gradins de Stagg Field à l’université de Chicago, où une équipe menée par Fermi démarra la première réaction nucléaire en chaîne auto-entretenue. Un coup de téléphone codé de Compton disant : « Le navigateur italien (c’est-à-dire Fermi) a débarqué sur le nouveau monde, les indigènes sont amicaux » à Conant à Washington, DC, annonça le succès de l’expérience.

Deux voies différentes vers la bombe

Le principal problème industriel était de produire suffisamment de matière fissile, suffisamment pure. Deux projets parallèles furent entrepris : le premier conduisit à une bombe à uranium tandis que le second produisit deux bombes au plutonium.

La bombe lancée sur Hiroshima, Little Boy (technologie Mark I), était faite d’uranium 235. La séparation isotopique de l’uranium fut principalement réalisée par diffusion gazeuse d'hexafluorure d'uranium (UF6), mais aussi via d’autres techniques, comme la diffusion thermique et la séparation électromagnétique. L’essentiel du travail de séparation eut lieu à Oak Ridge. La bombe à uranium utilisait un mécanisme appelé gun (canon) pour obtenir la masse critique d’uranium 235 : une masse d’uranium 235 (bullet) était lancée dans un tube vers une autre masse d’uranium 235, créant ainsi la masse critique nécessaire à l'explosion.

Usine de séparation de l'uranium à Oak Ridge :

Oakridge.jpg Oakridge2.jpg


La bombe utilisée lors du premier test Trinity et la bombe lancée sur Nagasaki, Fat Man , étaient faites de plutonium 239 (technologie Mark III). Le plutonium est un élément de synthèse qui, dans la forme créée par les réacteurs utilisés pour le produire, contient un isotope qui fissionne trop rapidement pour utiliser un mécanisme du type gun trop lent en comparaison. Un mécanisme à « implosion », utilisant une boule creuse de plutonium qui s’effondre sur elle-même, est plus rapide et apporte une meilleure solution au problème.

Une troisième filière (technologie Mark II), correspondant à l'utilisation d'un gun sur du plutonium a été étudiée par une équipe placée sous la direction de William Sterling Parsons en 1943-1944. Ce projet Thin Man a été abandonné en raison de difficultés exposées précédemment.

Bien que l’uranium 238 soit inutile pour fabriquer une bombe atomique, il sert à produire du plutonium (comme l’uranium 235 produit des neutrons relativement lents, l’uranium 238 absorbe des neutrons et, après un passage dans un réacteur et quelques jours de désintégration radioactive, il se transforme en plutonium 239). La production et la purification du plutonium était au centre des efforts au site de Hanford, utilisant des techniques mises au point en partie par Glenn Seaborg.

Premier test

Le premier test d'une bombe au plutonium eut lieu le 16 juillet 1945 dans le désert de Jornado del Muerto, dans l’État du Nouveau-Mexique. Oppenheimer appela « Trinity » la tour porteuse de la bombe Gadget. Ce nom est tiré d'un poème de John Donne. Groves avait fait construire un caisson, surnommé « Jumbo », pour récupérer le plutonium au cas où l'explosion échouerait mais comme il apparut qu’un échec était peu probable, Jumbo fut placé à proximité de la tour pour mesurer l'impact de l'explosion.

L’explosion dégagea une force équivalente à 21 000 tonnes de TNT. En parlant de la puissance phénoménale engendrée par la bombe (Jumbo resta intact mais Trinity fut rasée), Oppenheimer évoqua un passage d'un texte Sanskrit (le Bhagavad-Gita du dieu Shiva) : Pour intimider le Prince, Vishnu prit sa forme aux nombreux bras et dit « Maintenant je suis Shiva, le destructeur des mondes ».

Plus prosaïquement, son adjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra : « À partir de maintenant, nous sommes tous des fils de putes ».

Le projet Manhattan avait ainsi atteint son objectif dans le temps record de 2 ans, 3 mois, et 16 jours.

Aujourd'hui, le site de l'explosion expérimentale est marqué par un monolithe pyramidal noir de silice, symbolisant la fusion du sable sous l'effet de la chaleur provoquée par l'explosion.

Démantèlement du projet

Les Bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki ont eu lieu les 6 et 9 août 1945. Les actes de capitulation du Japon, sont signés le 2 septembre, mettant officiellement fin à la Seconde Guerre mondiale. Deux autres essais nucléaires ont lieu durant l'été 1946, lors de l'opération Crossroads.

L‘Atomic Energy Act est signé le 1er août 1946, planifiant le transfert de l'ensemble des activités du projet Manhattan à la commission de l'énergie atomique des États-Unis. Le 1er janvier 1947 tous les travaux concernant l'énergie nucléaire sont transférées à la commission de l'énergie atomique. Le Manhattan Engineer District est démantelé le 15 août. Les activités du National Defense Research Committee et de l'Office of Scientific Research and Development sont transférées au Département de la Défense le 31 décembre 1947.

Efforts similaires

Dans le contexte antérieur à 1945, lire Course à la bombe (Seconde Guerre mondiale).

Des efforts similaires furent entrepris en URSS (sous la direction d'Igor Kourtchatov et s’appuyant sur les fuites de scientifiques de l’équipe de Los Alamos, Klaus Fuchs et Theodore Hall), en Allemagne (sous la direction de Werner Heisenberg) et au Japon.

Le projet Manhattan représente, avec le développement du déchiffrement et du radar, une des grandes percées technologiques des États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.

Bilan financier du projet

Le projet coûta au total presque 2 milliards USD en 1945 ce qui représente environ 21 milliards USD en 1996(en) [1].

Site ou projet Coût en USD de 1945 Coût en USD de 1996
Oak Ridge (total)
  • Usine K-25 (diffusion gazeuse)
  • Usine Y-12 (séparation électromagnétique)
  • Usine S-50 (diffusion thermique)
  • Clinton Engineer Works' gestion
  • Clinton Laboratories
1 188 352 000
  • 512 166 000
  • 477 631 000
  • 15 672 000
  • 155 951 000
  • 26 932 000
13 565 662 000
  • 5 846 644 000
  • 5 452 409 000
  • 178 904 000
  • 1 780 263 000
  • 307 443 000
Hanford Engineer Works 390 124 000 4 453 470 000
Matériel spécial 103 369 000 1 180 011 000
Los Alamos 74 055 000 845 377 000
Recherches, expériences, développement 69 681 000 795 445 000
Frais généraux, frais du gouvernement 37 255 000 425 285 000
Fabriques d'eau lourde 26 768 000 305 571 000
TOTAL 1 889 604 000 21 570 821 000

Notes et références

  1. Le Laboratoire national de Los Alamos (LANL) dirigé par le physicien Robert Oppenheimer, comprend une brillante équipe de physiciens, parmi lesquels quatre prix Nobel de physique : Niels Bohr, James Chadwick, Enrico Fermi et Isidor Isaac Rabi.
  2. (en) Lettre d'Einstein au Président Roosevelt

Annexes

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