Prohibition

Prohibition
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Une descente de police à Elk Lake, Ontario en 1925.

La Prohibition fait références à plusieurs périodes de la première moitié du XXe siècle où la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation et la vente de boissons alcoolisées étaient prohibés dans certains pays, comme :

  • la Finlande (1919 à 1932), appelé kieltolaki ; la source d'inspiration de prohibition et de loïc de st marie en 1856
  • le Canada (de 1900 à 1948 dans la province de l'île-du-Prince-Édouard (moins de 80 000 habitants à l'époque) et pendant de plus courtes périodes dans plusieurs autres provinces) ;
  • la Russie (1914 à 1925) ;
  • les États-Unis (1919 à 1933).

Sommaire

Autres sens de « prohibition »

Lexicologiquement, la prohibition de quelque chose signifie l'interdiction de sa présence ou de son usage. Ceci n'est pas toujours le fait des lois ou d'un gouvernement, comme les écoles qui peuvent par exemple prohiber le port des jupes courtes.

En ce qui concerne l'alcool, le terme « prohibition » en jargon juridique, fait aussi référence aux autres lois interdisant la vente et la consommation d'alcool, en particulier, des lois locales qui ont un effet identique. Le 21e amendement, qui a annulé la prohibition nationale aux États-Unis, donne explicitement aux États le droit de limiter ou interdire l'achat et la vente d'alcool. Ceci a mené à une mosaïque de lois, par lesquelles l'alcool peut être légalement vendu dans certains endroits mais pas dans toutes les villes ou tous les comtés d'un État.

Dans le monde

États-Unis

Le premier État à limiter les ventes de boissons alcoolisées fut le Maine en 1851. En 1855, 13 États avaient établi la prohibition. Ils étaient appelés les dry states (États secs).

La prohibition fut établie à l'échelle nationale par le 18e amendement de la Constitution (ratifié le 29 janvier 1919) et par le Volstead Act (établi le 28 octobre 1919). La prohibition débuta dès le 16 janvier 1920, lorsque le 18e amendement prit effet. Le Volstead Act fut amendé afin d'autoriser les boissons peu alcoolisées comme les bières légères (ne titrant pas plus de 3,2 % d'alcool, 4 % en volume) grâce au Blaine Act du 17 février 1933. Le 18e amendement a été retiré au cours de la même année par la ratification du 21e amendement de la Constitution.

Genèse

La prohibition de l'alcool fut soutenue par les pasteurs, qui voulaient moraliser la vie des plus pauvres et par les femmes qui associaient alcoolisme et violences conjugales. Avant de devenir une loi, la Prohibition fut revendiquée par une partie du « mouvement pour la tempérance » (temperance movement), un mouvement actif aussi dans le Canada proche, qui souhaitait que l'alcool fût rendu illégal. Les premières Ligues de tempérance firent leur apparition à la fin du XVIIIe siècle. Lyman Beecher, pasteur presbytérien du Connecticut, se mit à haranguer ses concitoyens contre la consommation d'alcool en 1825. La Société Américaine de Tempérance fut formée en 1826. Dès la première moitié du XIXe siècle : le Maine instaure la prohibition ; en 1855, 12 États avaient rejoint le Maine dans la prohibition totale. Il y avait alors les « États secs » (Dry States), les États sans prohibition étaient les « États humides » (Wet States).

Dans les années 1870, des femmes organisèrent des manifestations devant les bars et les saloons. La WCTU fut créée en 1873 à Evanston, Illinois[1]. La WCTU s'intéressait également aux questions de société (travail, prostitution, santé publique et suffrage des femmes). Frances Willard, 2e présidente de la WCTU, milita pour l'émancipation des femmes, le droit de vote des femmes et la prohibition de l'alcool ; ses talents d'organisatrice et d'oratrice firent progresser la cause de la prohibition. Dès la fin des années 1880, l'association possédait des lobbyistes à Washington DC. En 1918, la WCTU compte quelque 250 000 membres. L'Anti-Saloon League of America (ASL, Ligue américaine contre les saloons) fut fondée en 1893. Sous la direction de Wayne Wheeler, elle a mobilisé la coalition religieuse pour faire passer des lois au niveau local et des États. En 1905, trois États américains avaient déjà interdit l'alcool. En 1912, le nombre de ces États passa à neuf, et en 1916, la prohibition faisait déjà partie de la législation dans 26 des 48 États composant les États-Unis.

La plupart des brasseries américaines étaient dirigées par des Allemands ou descendants d'Allemands[réf. nécessaire]. Le mouvement prohibitionniste fut encouragé par le sentiment anti-allemand pendant la Première Guerre mondiale. L'alcool ne devait pas détourner les Américains de leur but, remporter la victoire. Le 22 décembre 1917, le 18e amendement à la Constitution fut proposé au Parlement ; il fut adopté en 1919 par 36 états. Le Volstead Act interdit la fabrication, la vente et le transport des boissons qui contenaient plus de 0,5 % d'alcool, à l'exception des breuvages médicaux, du vin pour la messe, des boissons préparées à la maison. La consommation d'alcool n'était pas interdite.

Dès la parution du Volstead Act, la forte demande des consommateurs américains ne resta pas sans réponse. L'existence d'un grand marché potentiel suscita l'intérêt au Canada voisin ainsi qu'en Europe. Le commerce d'importation, parfaitement légal, s'organisa à partir des « têtes de pont » que furent les grandes distilleries canadiennes, les possessions britanniques des Bermudes, des Bahamas et du Belize, mais aussi Saint-Pierre et Miquelon, cet archipel étant un territoire français où convergeaient les alcools canadiens, français et britanniques, avant d'être chargés sur les « rum runners » en vue d'être introduits sur le continent voisin.

Conséquences

Le 21 Club à New York : un speakeasy pendant la Prohibition
Ordonnance médicale pour obtenir de l'alcool
Destruction d'alcool pendant la Prohibition
Al Capone en 1931

Les forces de l'ordre furent chargées de détruire le matériel des distilleries ou brasseries, de contrôler les frontières.

Les effets de la prohibition furent inattendus : certains bars se reconvertirent dans les sodas ou les bières sans alcool. Les populations urbaines, en particulier dans le Nord-Est du pays, résistèrent à l'interdiction de l'alcool : à New York par exemple, on comptait plusieurs dizaines de milliers de « speakeasies ». Les night clubs étaient les symboles des roaring twenties avec leurs fêtes et l'épanouissement du jazz. Les caves et les passages secrets souterrains comme ceux du 21 Club sur la 52e rue à New York furent aménagés. Les moonshines étaient des distilleries clandestines qui produisaient de l'alcool frelaté. En outre, on pouvait obtenir de l'alcool légalement par une ordonnance médicale (whisky médicinal).

On notera que dans les années 1890, l'éthanol était le premier carburant utilisé par les voitures. Cet alcool servait de carburant pour les engins agricoles, les locomotives et les voitures, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. En 1919, la police de la prohibition détruisit les distillateurs d'alcool de maïs, qui servaient aux fermiers à produire à faible coût leur carburant d'éthanol. Les dépenses supplémentaires pour se procurer de l'éthanol carburant forcèrent les agriculteurs à se tourner vers le pétrole, qui était bon marché à l'époque.

La production d'alcool étant tombée dans des mains criminelles ou étant assurée par des fabricants clandestins échappant à tout contrôle, la qualité du produit final variait grandement. Ainsi, de nombreux cas de buveurs souffrant de cécité ou subissant des lésions cérébrales graves furent répertoriés après l'ingestion d'un « bathtub gin » concocté à partir d'alcool industriel et autres poisons chimiques. Un incident resté dans les mémoires est lié au brevet médical (patent medicine) du gingembre de Jamaïque (Jamaica ginger), plus connu par ses consommateurs sous le nom de « Jake ». Il possédait un très fort degré d'alcool et permettaient à ceux qui consommaient ce médicament de contourner l'interdiction de l'alcool. Le Département du Trésor américain exigea des modifications dans la formule de ce dernier pour le rendre imbuvable. Certains revendeurs de Jake, peu scrupuleux, altéraient leur produit avec un plastifiant industriel pour tenter de contourner les tests gouvernementaux. En conséquence, des dizaines de milliers de victimes ont souffert de paralysie des mains et pieds, très souvent de manière permanente. La distillation amateur de liqueur n'était pas sans danger pour le producteur lui-même, le matériel de distillation trop primitif explosant parfois, provoquant incendies et ravages.

La prohibition a aussi provoqué la cécité, voire la mort de nombreux Américains. La distillation sauvage d'écorce de bois entraîne la synthèse de méthanol, qui comme l'éthanol provoque l'ivresse, mais détruit notamment le nerf optique puis tout le système nerveux. Ces incidents ont majoritairement été causés par l'ignorance des propriétés de ce composé, mais certains affirment que le gouvernement américain serait impliqué dans l'empoisonnement d'alcool industriel[2] qui était souvent volé pour la contrebande. On estime le bilan de la consommation de méthanol à plus de 10 000 morts.

Beaucoup de notables et politiciens américains admirent posséder de l'alcool durant la prohibition. Le 21 Club de New York était fréquenté par le maire de la ville Jimmy Walker. Cette antinomie entre la législation et les pratiques couramment admises nourrit un mépris important et répandu de la population pour les autorités de l'État, ces dernières étant considérées comme hypocrites. La satire prit de multiples formes, incluant de célèbres films comme ceux des Keystone Cops. Certaines personnalités d'exception trouveront grâce aux yeux de la population américaine. Ainsi en va-t-il des activités d'Eliot Ness et de son équipe de choc composée d'agents du Trésor, surnommée « Les Incorruptibles » (The Untouchables en anglais). Une autre exception sera le duo Izzy Einstein et Moe Smith, agents de la prohibition à New York, simplement surnommés « Izzy and Moe ». La presse américaine couvrira largement les qualités de ces rares exemples de probité : l'honnêteté proverbiale de Ness, alliée à son talent pour les relations publiques, les méthodes plus excentriques et plus déguisées mais cependant hautement efficaces de Izzy and Moe.

La prohibition fournit une opportunité alléchante pour le crime organisé de mettre sur pied des filières d'importations, des fabriques ou encore un réseau de distribution illégal de boissons alcoolisées aux États-Unis, notamment au travers des speakeasies. À Chicago, les Genna, famille d'origine sicilienne et Al Capone furent à la tête de ces trafics d'alcool, renforçant grandement son empire criminel grâce aux profits des ventes illégales d'alcool. Eliot Ness s'opposera à Capone, dans un combat devenu légendaire. Il ne réussira cependant pas à faire tomber le criminel pour des méfaits graves (vente d'alcool ou meurtre), mais devra recourir à l'invocation des « privilèges indissociables au droit de la personne » pour faire tomber Al Capone sous le coup d'une loi fédérale, contournant les juridictions législatives (les juges corrompus protégeant Capone au niveau local). Celui-ci se verra imposer la peine maximale (10 ans) pour fraude fiscale. Au total, les lois de Prohibition furent peu appliquées. Il y eut plusieurs arrestations, mais peu de condamnations. Plusieurs facteurs expliquent cette inefficacité : d'abord les policiers et les juges étaient corrompus. Ensuite, l'Etat fédéral manquait de moyens pour appliquer la prohibition : les frontières des États-Unis sont en effet immenses.

Beaucoup de problèmes sociaux furent attribués à l'ère de la prohibition. Un marché noir de l'alcool, rentable et souvent violent, s'est épanoui. Le racket surgit quand de puissants gangs corrompirent les agences dont la mission était d'assurer la prohibition. Les boissons les plus alcoolisées gagnèrent en popularité car leur pouvoir éthylique les rendaient plus rentables pour faire de la contrebande. Enfin, faire respecter la prohibition eut un coût élevé qui, ajouté à l'absence de revenu des taxes sur l'alcool (soit environ 500 millions de dollars américains annuellement pour l'ensemble du pays), a durement entamé les réserves financières de l'État américain.

La prohibition a eu un impact notable sur l'industrie de l'alcool au sens large au sein des États-Unis. Au moment où la loi fut abrogée, seule la moitié des brasseries d'avant la prohibition restaient encore ouvertes. La plupart des petites brasseries furent éliminées pour de bon. Étant donné que seules les brasseries industrielles survécurent à la prohibition, la bière américaine en vint à être méprisée, cette dernière ne présentant aucun caractère, si ce n'est celui d'être un produit de consommation de masse. Les connaisseurs de la boisson se plaignent de la faible qualité autant que du manque de variété dans la production. Certains jugent qu'il fallut attendre les années 1980 pour considérer qu'un minimum de savoir-faire a été réacquis par les brasseurs américains[réf. nécessaire]. Fred Maytag est traditionnellement crédité pour le début du renouveau de la tradition du brassage de la bière aux États-Unis[réf. nécessaire]. C'est la révolution des microbrasseries qui sortit la brasserie américaine de son état de complète décadence[réf. nécessaire].

La lutte actuelle contre les drogues modernes est souvent comparée à la prohibition[3],[4].

La fin de la prohibition

Les opposants comme l'Association Against the Prohibition Amendment (AAPA, Association contre l'amendement de la prohibition) avancèrent plusieurs arguments : la limitation des libertés individuelles, l'inefficacité de la loi, le manque à gagner sur les taxes et l'augmentation du chômage, une question importante avec la crise économique des années 1930.

En avril 1933, le président Franklin Delano Roosevelt abrogea le Volstead Act qui définissait la prohibition, ce qui permit à l’État de lever de nouvelles taxes.

Quand la prohibition cessa, le crime organisé perdit une part importante de ses revenus liés au marché noir d'alcool, conséquence directe de la concurrence des boissons alcoolisées en vente libre à des prix modérés. Il se recycla alors dans la vente d'autres drogues illégales, les jeux et la prostitution.

Après le retrait de la loi fédérale, certains États continuèrent à imposer la prohibition, comme l'Oklahoma, le Kansas et l'État du Mississippi qui étaient toujours « secs » en 1948. L'État du Mississippi, au sein duquel l'alcool fut rendu illégal dès 1907, fut le dernier État à procéder au retrait de la prohibition, en 1966.

Canada

C'est la province de l'Île-du-Prince-Édouard qui fut la première à voter une loi en 1900 prohibant l'alcool et la dernière fut le Québec, en 1919, et pour à peine quelques semaines.

Les provinces ont ensuite abrogé ces lois au cours des années 1920. Le Québec fut la première province à retirer sa loi dès 1920, n'imposant la prohibition que sur la période 1919-1920, tandis que celle de l'Île-du-Prince-Édouard fut la dernière à abroger sa loi de prohibition en 1948.

Dans la culture populaire

La prohibition a inspiré un certain nombre d'œuvres de fiction, parmi lesquels :

Notes et références

  1. (en) About Evanston > History, City of Evanston, 18-08-1961. Consulté le 09-04-2009
  2. (fr) Prohibition: quand le gouvernement américain empoisonnait les buveurs d'alcool, slate.fr, 05-03-2010. Consulté le 27-04-2010
  3. (fr) le-syndrome-Al-Capone, 20 octobre 2010. Consulté le 02-11-2010
  4. Tools for debate: U.S. federal government data on cannabis prohibition. Consulté le 03-18-2011

Annexes

Articles connexes

Liens externes


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