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Affaire de Tiszaeszlár
En 1882 – 1883, des Juifs sont accusés à tort et jugés pour un crime rituel à Tiszaeszlár en Hongrie, entraînant dans le pays une violente agitation antisémite.
Sommaire
Origine de l'accusation
Le 1er avril 1882, Eszter Solymosi, une jeune paysanne chrétienne de 14 ans, employée comme servante chez András Huri à Tiszaeszlár, un village hongrois situé sur la rivière Tisza, est envoyée faire des courses. Elle ne reviendra jamais.
Après des recherches infructueuses, une rumeur circule que la jeune fille a été victime du fanatisme religieux juif. Géza Ónody, représentant de Tiszaeszlár au Parlement Hongrois et Győző Istóczy, un parlementaire qui fondera par la suite le "Parti Antisémite", demandent à la Chambre des Députés, l'expulsion des Juifs de Hongrie. Des agitateurs excitent le peuple contre les habitants juifs provoquant ainsi de nombreux actes de violence et des pogroms. Ils répandent l'accusation que les Juifs ont tué la jeune fille afin de récupérer son sang pour la préparation du pain azyme à l'approche de la Paque Juive qui débute le 4 avril.Le 4 mai 1882, la mère de la fille accuse devant le juge local les Juifs d'avoir tué sa fille et le presse de procéder à une investigation.
"Confessions" des enfants Scharf
Le 19 mai, le tribunal du comté de Nyíregyháza envoie l'officier de justice József Bary comme juge d'instruction à Tiszaeszlár.
Après avoir placé les Juifs suspectés sous surveillance policière, Bary commence par interroger Sámuel, le fils âgé de cinq ans de József Scharf, le bedeau de la synagogue. Après l'avoir amadoué avec quelques menues pièces de monnaie et des bonbons, quelques femmes réussissent à obtenir de lui qu'il reconnaisse que son père avait fait venir Eszter dans sa maison, et que le "shohet" (l'abatteur rituel) lui avait coupé la tête. D'après le récit de l'enfant transcrit par Bary, l'abatteur avait, en présence de son père et d'autres hommes, fait une incision dans le cou de la fille, tandis que lui et son frère Móric avait reçu le sang dans une coupe.
Son père, son frère Móric, qui a près de 14 ans ainsi que toutes les autres personnes suspectées nient toute implication dans la disparition de la fille et son assassinat présumé. Le 19 mai 1882, Scharf et sa femme sont arrêtés.
Móric répète sa déposition et ajoute qu'il n'avait pas eu connaissance de la disparition de la fille, même par ouï-dire. Dans la soirée, il est remis à Recsky, le commissaire chargé de la sécurité, qui l'emmène dans sa villa à Nagyfalu, où le greffier, Péczely, reçoit comme instruction officielle de veiller à la sécurité du garçon. En réalité, il semble que Péczely, un géant qui a passé 12 ans en prison pour meurtre, a reçu comme véritable instruction de Recsky de faire de Móric l'instrument d'une accusation classique de crime rituel.
Comme les dénonciations transcrites d'un enfant de cinq ans n'ont aucune valeur devant une cour, il est important de faire "craquer" son frère. Intimidé, harcelé, malmené, Móric finit par confesser qu'après l'office du samedi matin, son père avait fait venir Eszter dans sa maison sous le prétexte de lui demander de retirer quelques bougies (un acte interdit aux Juifs pieux le Chabbat); qu'un mendiant juif, Hermann Wollner, qui loge chez eux avait conduit la fille dans le vestibule de la synagogue et l'avait agressée; et qu'après l'avoir dévêtue, deux abatteurs, Ábrahám Buxbaum et Leopold Braun, l'avaient maintenue, tandis qu'un autre abatteur Salamon Schwarz, avait incisé son cou avec un grand couteau et avait vidé son sang dans une coupe. Ces trois hommes, candidats au poste vacant de précepteur et de shohet, étaient arrivés à Tiszaeszlár pour officier en ce shabbat particulier et d'après l'enfant étaient restés dans la synagogue après l'office du matin. D'après sa confession, Móric aurait observé toute la scène, en épiant par le trou de serrure de la porte de la synagogue. Pendant les 45 minutes durant lesquelles il aurait regardé, il aurait aussi vu qu'après avoir saigné la jeune fille, Sámuel Lustig, Ábrahám Braun, Lázár Weisstein, et Adolf Jünger lui aurait mis un foulard autour du cou et l'aurai rhabillée.
Les deux conspirateurs, Recsky et Péczely appellent immédiatement le juge d'instruction Bary, devant lequel la même nuit, Móric recommence son récit, ajoutant qu'après le départ des abatteurs, il avait fermé la synagogue à clef.
Mais malgré les fouilles minutieuses organisées par Bary, aucun corps ni aucune trace de sang ne sont trouvés dans la synagogue, ni dans les maisons des Juifs suspectés, ni parmi les tombes du cimetière juif. Cependant douze Juifs sont arrêtés en suspicion et le jeune Móric Scharf et remis au geôlier.
Le 18 juin, un corps est retiré de la rivière Yisza près du village de Dada. Le médecin légiste déclare que le corps est celui d'une jeune fille d'environ 14 ans et beaucoup de témoins malgré l'état de décomposition avancée reconnaissent la jeune Eszter Solymosi. Sa mère refuse catégoriquement de reconnaître le corps de sa fille, mais ensuite identifie les habits portés par la morte comme étant ceux de sa fille. Un comité d'experts composé de deux médecins et d'un chirurgien déclare que le corps est celui d'une fille de 18 à 20 ans qui s'est noyée huit à dix jours auparavant. Le corps est enterré au cimetière catholique de Tiszaeszlár.
Les agitateurs antisémites, avec parmi eux le prêtre catholique de la ville, insinuent que le corps a été "trafiqué" par les Juifs et habillé avec les habits d'Eszter Solymosi afin de dissimuler le crime de meurtre rituel. Les artisans qui trouvèrent le corps sont conduits sous la menace à retirer leur première déposition et à déclarer qu'ils ont eux-mêmes mis le corps dans la rivière après qu'une juive inconnue leur eut demandé de vêtir la morte avec les habits qu'elle avait apportés
De nouvelles arrestations sont opérées, et l'affaire devient maintenant une cause nationale.
Les accusations formelles
Le 29 juillet des accusations formelles sont portées à l'encontre des 15 personnes suivantes: Salamon Schwarz, Ábrahám Buxbaum, Leopold Braun, et Hermann Wollner pour meurtre. József Scharf, Adolf Jünger, Ábrahám Braun, Sámuel Lustig, Lázár Weisstein, et Emánuel Taub pour assistance volontaire à un crime; Anselm Vogel, Jankel Smilovics, David Hersko, Martin Gross, et Ignác Klein pour complicité de crime et dissimulation de corps.
Le retard apporté à l'affaire est principalement dû aux actes reconnus arbitraires et illégaux de Bary qui a conduit les interrogatoires seul sans l'assistance d'un procureur, a rédigé les procès-verbaux sans témoin et a torturé les accusés et les suspects.
Par ordre du gouvernement, le jeune Móric Scharf est placé sous le contrôle de l'huissier de justice du district qui le place en détention préventive chez le gardien Henter. Il lui est interdit de communiquer avec les autres inculpés et les autres Juifs. Il est ainsi entièrement sous l'influence de leurs adversaires et reçoit des instructions pour le témoignage qu'il doit faire lors du procès.
Les accusés sont défendus par Károly Eötvös, un journaliste et membre de la Chambre des Députés, associé aux avocats B. Friedmann, Sándor Funták, Max Székely de Budapest, et Ignác Heumann de Nyíregyháza, le siège du tribunal correctionnel où est jugé l'affaire.
Dans une requête adressée au Ministre de la Justice Pauler, Eötvös proteste contre les tortures pratiquées par Bary, Recsky, et Péczely, mais sa protestation ne produit aucun effet. L'affaire ayant traîné trop en longueur, le procureur du Roi à Budapest, Kozma, se rend à Nyíregyháza en septembre pour accélérer l'instruction.
Protestation de Lajos Kossuth
La lenteur de l'instruction attire l'attention générale. Le pays est gravement agité. Un grand nombre de pamphlets attise les passions du peuple et essayent d'établir la culpabilité des accusés.
Lajos Kossuth, qui vit alors en exil à Turin, fait entendre alors sa voix puissante pour critiquer sévèrement l'action des autorités et pour désapprouver cet embrasement de préjugés anti-Juifs. Il considère que la suspicion de crime rituel est un déshonneur pour la Hongrie; de représenter un meurtre, aussi abominable soit-il, commis par un individu, comme un crime rituel ou un crime racial, n'est pas digne d'une civilisation moderne. Ce cri d'indignation d'un patriote vétéran contraste étrangement avec la furie de persécution et de préjugés qui fait rage à travers le pays et qui se répercute à la Chambre des Députés.
Le procureur général Havas se rend alors à Nyíregyháza, et constate qu'en dépit de la déclaration officielle du juge d'instruction, les accusés n'ont jamais été entendus. Il relâche quelques prisonniers, mais réalisant que son travail pour accélérer l'affaire est entravé par des personnes influentes, il offre sa démission qui est promptement acceptée
Exhumation du corps d'Eszter
Vers la mi-novembre, la femme de József Scharf est libérée, tandis que son mari et les autres prisonniers restent détenus.
Le 7 décembre, à la demande des avocats de la défense, le corps retrouvé dans la Tisza est exhumé et réexaminé par trois professeurs de médecine de l'Université de Budapest: Schenthauer, Belky, et Mihalkovics. Ils trouvent que l'opinion émise par les membres du comité précédent n'est basée sur aucune base scientifique et plus tard lors du procès, ils les taxeront de grave ignorance. Le corps est en état trop avancé de décomposition pour permettre un jugement catégorique. Le fait que le corps n'ait jamais été réclamé ne laisse que peu de doute dans leur opinion que c'est bien celui d'Eszter Solymosi. En plus, ils constatent que la gorge n'a pas été tranchée et qu'un crime rituel n'a pas été commis
Le 17 juin 1883, le dernier acte de cette sinistre affaire se déroule devant la cour de Nyíregyháza. Le juge Ferenc Korniss préside avec Eduard Szeyffert comme procureur d'État. Bien que le témoignage de Móric Scharf soit la seule base de l'accusation, la cour va tenir 30 sessions pour examiner l'affaire dans tous ses détails, et entendre de nombreux témoins. Les contradictions flagrantes du garçon, en dépit des instructions qu'il a reçues, et la fausseté de ses accusations par rapport à l'inspection de la scène supposée du crime effectuée par la cour à Tiszaeszlár le 16 juillet, conduisent le 3 août, à l'acquittement unanime des accusés
Szalay, l'avocat de la veuve Solymosi, dans un discours plein d'invectives hideuses, fait appel de la décision, mais la cour suprême rejette l'appel et confirme le verdict du tribunal correctionnel
Le jeune accusateur qui avait été conditionné pour renier sa foi et ses parents, retourne chez ses parents qui l'accueillent joyeusement
Acquittement des accusés
Le verdict de l'acquittement et la libération des prisonniers, qui pour la plupart avaient langui 15 mois en prison, sont le signal de soulèvements à Presbourg (Bratislava), Budapest, et dans d'autres villes de Hongrie. Les spectateurs qui se pressaient dans le tribunal pendant les sessions, se conduisent scandaleusement à l'annonce du verdict, en insultant les prisonniers, en menaçant les témoins et les avocats de la défense et en vociférant des cris de haine. Parmi eux, et loin d'être le moins actif, Onody, le représentant de Tiszaeszlár à la Chambre des Députés.
Voir aussi
- Leo Frank
- Affaire Beilis
- Affaire Hilsner
- Affaire Dreyfus
- Histoire des Juifs en Hongrie
- Antisémitisme
- Accusation de crime rituel contre les Juifs
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Tiszaeszlár blood libel ».
- fr: Thomas Gergely, L’affaire de Tiszaeszlar, un procès de meurtre rituel dans la Hongrie dite libérale de François-Joseph, dans Problèmes d’Histoire du Christianisme, éd. par M. Mat-Hasquin, vol. 11, éd. de l’Université libre de Bruxelles, 1982, pp. 27-61.
- en: JewishEncyclopedia
- de: Bibliography: Allg. Zeit. des Jud. 1882-83, 1884, p. 248;
- de: Die Neuzeit, 1882-83;
- de: Der Blutprozess von Tisza-Eszlar, New York, 1883;
- de: Paul Nathan, Der Prozess von Tisza-Eszlar, Berlin, 1892.S. S. Man.
- hu: Eötvös Károly: A nagy per, Budapest, 1904.
- hu: Krúdy Gyula: A tiszaeszlári Solymosi Eszter, Budapest, 1975. (2nd ed.)
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