- Civilisation
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Selon Littré, le mot civilisation, utilisé dès le milieu du XVIIIe siècle, apparaît dans le dictionnaire de l'Académie en 1835. Par "civilisations anciennes", on entend habituellement, celles qui sont nées avant 1500 environ avant le début des "Temps Modernes".
Ce terme civilisation — dérivé indirectement du latin civis signifiant « citoyen » par l'intermédiaire de « civil » et « civiliser » — a été utilisé de différentes manières au cours de l'histoire. Il a en français trois grandes acceptions :
- la civilisation, dans l'acception la plus courante, est le fait de civiliser, c'est-à-dire de porter une société à un niveau considéré comme plus élevé et plus évolué, et c'est, par métonymie, l'état atteint par cette société évoluée. Cette acception inclut une notion de progrès[1]. L'opposition historique aux termes de barbarie et sauvagerie tend à s'atténuer, notamment depuis l'annonce du principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes[2] ». Le statut d'égalité à toutes les civilisations est reconnu, bien que pas toujours respecté, notamment lorsque des peuples ayant conservé des pratiques ancestrales (Awá, Punan, etc.) sont poussés vers une extinction quasi-inéluctables par certaines entreprises multinationales, défrichant par exemple des espaces forestiers correspondant à leurs territoires.
- la civilisation, c'est aussi l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral, sans porter de jugement de valeur. À ce titre, on peut parler de civilisations au pluriel et même de civilisations primitives (attention toutefois, le mot primitif peut être connoté à « inférieur ». Il faut le prendre ici sans jugement de valeur au sens de « premier » ou de « le plus ancien connu »).
- l'état auquel sont parvenues quelques cultures dans l'histoire de l'humanité. Cette acceptation est dans la lignée directe des théories évolutionnistes du XIXe siècle, réfutées depuis au bénéfice de théories plus neutres.
Sommaire
Une étape de développement technique ou politique
Les premières civilisations ayant laissé suffisamment de trace pour être identifiées comme telles sont Sumer, l’Égypte antique, la vallée de l’Indus et la Chine. Les fonctionnalités de ces groupes sont vues comme les différenciant des établissements précédents comme le Néolithique ; un élément déterminant de la rupture avec le Néolithique est la découverte puis la maîtrise de l'agriculture, laquelle entraîne une nouvelle organisation de l'espace et de l'activité humaine. Pour être qualifiée de civilisation, celle-ci doit regrouper la plupart des caractéristiques suivantes :
Cinq critères primaires (organisation)
- la présence d'une ville (sédentarisation des populations)
- spécialisation du travail à temps plein
- concentration de surplus de production
- structure de classe (hiérarchie)
- organisation étatique (État)
Cinq critères secondaires (réalisations matérielles)
- travaux publics monumentaux
- commerce à longue distance
- réalisations artistiques monumentales
- écriture (comptabilité, registre, etc.)
- connaissances scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie)
Une norme de comportement
La civilisation développe des normes de comportements en société, comme la chevalerie. Une société définit souvent son type d'homme idéal (l'« homme de bien » de Confucius, l'« honnête homme » du XVIIe siècle européen, le « gentleman » de l'Angleterre victorienne...).
Le comportement civilisé est celui qui permet aux hommes de vivre ensemble pacifiquement. Un mythe rapporté par Platon dans Protagoras distingue les apports de la technique de ceux de la civilisation. Prométhée a apporté aux hommes les arts et les sciences, mais les hommes ne parviennent pas à s'entendre et à profiter de ces présents : ils continuent à vivre comme des animaux. Zeus leur fournit alors la pudeur et la justice, c’est-à-dire la possibilité de prendre en compte les autres membres de la société et de régler les différents de manière pacifique et ordonnée : les hommes peuvent alors construire la vie en cité. La civilisation apparait comme étant le moyen pour les hommes de s'élever au-dessus de la condition animale.
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'idée de civilisation est exprimée par les mots « politesse » et « civilité ». Ces termes contiennent une connotation, justifiée ou non, de supériorité morale : de la classe noble sur les classes populaires, de l'Europe sur les « barbares ». Saint-Simon, en 1717, est fasciné par le mélange chez le tsar Pierre Ier, en visite à Paris, d'une « politesse » remarquable et de « cette ancienne barbarie de son pays qui rendait toutes ses manières promptes, même précipitées, ses volontés incertaines ». C'est que la civilisation s'observe non seulement dans la vie de la cité, mais aussi dans toutes les circonstances de la vie quotidienne : manières de table, contrôle de son corps en société... Norbert Elias a étudié ce « processus de la civilisation » : selon lui, les classes les plus élevées de la société ont dû apprendre peu à peu à maîtriser leurs pulsions pour s'adapter à un monde dans lequel les contacts entre les individus sont de plus en plus importants, condition d'apparition de l'État moderne.
La civilisation suppose donc l'existence de lois et de règlements destinés à éviter que les gens ne deviennent violents. Mais la possession de forces autorisées à recourir à la violence, telle que la police ou l'armée ne disqualifie pas une culture qui prétend être civilisée. Ce qui distingue le pays « civilisé », c'est plutôt la manière dont la violence est utilisée : dans un État moderne, toute force armée doit relever de l'État, qui a le « monopole de la violence légitime » selon l'expression de Max Weber.
Le terme de « civilisation » apparaît au milieu du XVIIIe siècle, dans l'œuvre de Mirabeau père. Par la suite, la civilisation apparaît de plus en plus comme un processus : les sociétés passent d'un état « barbare » à un état civilisé, caractérisé par l' « adoucissement de ses mœurs » (Mirabeau). Or, si la société européenne a atteint cet idéal, pourquoi le reste du monde ne pourrait-il pas en bénéficier aussi ? De plus, tout au long du XIXe siècle, l'association entre progrès technique et progrès de la civilisation semble évidente. Dès lors, l'Europe, aidée par son avance technique et militaire, va se sentir investie d'une mission civilisatrice permettant de lancer (ou, a posteriori, de justifier) la colonisation de l'Afrique et de certaines parties de l'Asie.
Des événements marquants à l'intérieur même de ces sociétés occidentales au XXe siècle, entre autres quinze ans de pouvoir du nazisme de 1933 à 1945[3], mèneront conséquemment à relativiser la notion de civilisation. On ne cherche plus guère, aujourd'hui, à parler d'un progrès unidirectionnel des sociétés, pas plus qu'on ne parlera de « barbares » ou de « sauvages ». Tout au plus parlera-t-on de « civilisations » au pluriel. Fait significatif : dans le même temps que les ethnologues et artistes occidentaux partent à la recherche de ce que ces autres cultures peuvent inspirer comme progrès à notre civilisation, ces autres civilisations effectuent de leur côté leurs choix de ce qu'elles désirent prendre ou laisser dans la culture ou la technique occidentales : l'ayatollah Khomeini, qui rejette l'occidentalisation de l'Iran proposée par le Shah, n'en mène pas moins son action de communication par des cassettes audio, produit de ce même Occident (il s'en expliquera à Oriana Fallaci). Gandhi, qui en a fait auparavant de même pour l'Inde, n'en refuse pas pour autant sa technologie optique. D'ailleurs, l'Inde avait bien elle-même déjà donné le zéro au reste du monde.
Un phénomène culturel
Une école de pensée définit la civilisation comme une identité culturelle associée pour chaque individu à « la plus grande subdivision de l'humanité à laquelle il peut s’identifier ». Elle représente donc un groupe plus étendu que la famille, la tribu, la ville de résidence, la région ou encore la nation. Les civilisations sont souvent liées à la religion ou à d’autres systèmes de croyance.
À des fins de classification, l’historien Arnold Joseph Toynbee en distingue vingt-six avec leurs montées et déclins. C’est aussi la thèse de Samuel Huntington pour qui les conflits globaux de l'époque contemporaine en sont les témoins. Plus critique, le livre Effondrement de Jared Diamond analyse comment dans le passé plusieurs civilisations (Île de Pâques, Mayas, Groenland...) ont elles-mêmes provoqué leur propre effondrement par négligence du long terme. Il place ensuite les causes ainsi dégagée en parallèle avec l'état actuel de la civilisation (par exemple au Montana) pour tenter de trouver des moyens d'action afin d'éviter de futurs effondrements. Le sous-titre de son livre l'annonce sans ambiguïté : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.
Le concept d’« empire » se superpose à celui de « civilisation ».
Un outil d’oppression ?
Quelques postmodernes et anarchistes refusent le terme comme indésirable et affirment qu’une hiérarchisation ne peut prendre en compte la complexité de chaque situation.
Peu de gens contestent de toute façon qu'il existe dans toute société du monde des personnes qui sont plus heureuses avec elle et d'autres qui seraient plus heureuses sans elle. Chiffrer en revanche le nombre d'individus dans un cas ou dans l'autre est difficile. Des films comme Koyaanisqatsi pour la civilisation occidentale, Powaqqatsi pour les autres civilisations du globe, témoignent de la grande difficulté d'en avoir une idée même qualitative.
Sigmund Freud, dans Malaise dans la civilisation, établit un inventaire des frustrations apportées par la société moderne et examine en contrepartie le bilan des compensations qu'elle offre en matière de sécurité, de santé, de culture et d'art. Il y évoque le fait que l'accumulation de ces frustrations puisse conduire parfois à des réactions violentes (voir : Instinct de mort). Ces points seront aussi relevés par Wilhelm Reich, Herbert Marcuse, etc.
Henri Laborit, dans L'Homme et la ville (l'urbanisation accompagne souvent la civilisation) met en relief le fait que celle-ci fonctionne comme une machine servant à juxtaposer sans heurts de grandes inégalités de conditions qui ne seraient pas tolérées dans un autre contexte.
Un critère objectif ?
Considération du mode de gestion (tout-à-l'égout, toilettes sèches, ...) - de l'inexistence pure au respect de conditions sanitaires et environnementales et de confort - des déchets organiques du genre humain.
Découpes civilisationnelles
Tableaux synthétiques
Sont présentés ici des civilisations dont l'étendue, le rayonnement, la durée, les vestiges, ont laissé des traces jusqu'à aujourd'hui (non exhaustif).
Civilisations modernes et contemporaines Civilisations Localisation Occidentale États-Unis, Canada, Europe occidentale, Cône Sud, Australie et Nouvelle-Zélande Latino-américaine Amérique latine (sauf Cône Sud) Soviétique et ex-soviétique Europe Centrale et Orientale (sauf la Grèce) Afrique coloniale et postcoloniale Afrique subsaharienne Arabe Afrique du Nord, Moyen-Orient Inde et Asie du Sud-Est Sous-continent indien, Tibet, Birmanie, Thaïlande, ex-Indochine, archipels du Sud-Est asiatique Extrême-Orient Chine, Corée, Japon, (Singapour) Océanienne Mélanésie, Micronésie, Polynésie Certaines régions se caractérisent comme une zone de contact entre plusieurs ensembles :
- La Turquie, entre le monde occidental et le monde arabe
- L'Asie centrale, influencée par le monde iranien et arabe et par la Russie, tout en gardant ses racines nomades
- La corne d'Afrique orientale, entre le monde arabe et le monde négro-africain
Enfin, le monde juif et hébraïque constitue un cas à part : dans la mesure où il s'est construit une culture originale, on peut le qualifier de civilisation, mais à part Israël, il n'a pas de zone géographique définie.
Tableau synoptique
Le tableau suivant, quoique incomplet, propose une autre approche avec une classification par zone géographique et par période des différentes cultures ou civilisations du monde.Tableau synoptique des civilisations et cultures de l'Humanité
Pays actuels où sont nées et où se sont superposées plusieurs grandes civilisations : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Irak-Syrie, Arabie saoudite, Éthiopie, Soudan, Mali, Guinée, Ghana, Bénin, Congo, Nigeria, Italie, Grèce, Danemark, Suède, France, Allemagne, Espagne, Bulgarie, Turquie, Iran, Chine, Japon, Corée, Russie, Bolivie, Colombie, Pérou.
Citations
- Ce que les hommes appellent "civilisation", c'est l'état actuel des mœurs et ce qu'ils appellent "barbarie", ce sont les états antérieurs.
- Il existe infiniment plus d'hommes qui acceptent la civilisation en hypocrites que d'hommes vraiment et réellement civilisés.
- " Toute civilisation (...) prend, à l'intérieur de chaque peuple, de chaque État, des caractères particuliers. mais les éléments les plus essentiels qui la constituent ne sont la chose ni d'un État, ni d'un peuple ; ils débordent les frontières, soit qu'ils se répandent, à partir des foyers déterminés par une puissance d'expansion qui leur est propre, soit qu'ils résultent des rapports qui s'établissent entre sociétés différentes et soient leur œuvre commune (...) La civilisation est (...) une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n'étant qu'un forme particulière du tout." Émile Durkheim
- " Ce que l'Histoire n'oublie pas." Marcel Mauss
- Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.
- Une civilisation naît au moment où les hommes sans génie croient qu'elle est perdue.
- L'impérialisme est civilisation pure. Le destin de l'Occident est dans ce phénomène irrévocable. L'homme cultivé a son énergie en dedans, le civilisé en dehors.
- La civilisation de jouissance se condamne elle-même à la mort lorsqu'elle se désintéresse de l'avenir.
- Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisation.
- Ce qu'on appelle la civilisation a contribué à rendre une partie de la société plus heureuse et l'autre plus malheureuse que l'une et l'autre ne l'auraient été à l'état de nature.
- "C'est la connaissance, la croyance, l'art, la loi, la coutume, et toutes les autres aptitudes ou habitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société." E. Tyler, 1871
Notes et références
- Marquis de Mirabeau, Traité de la population (1756) : la civilisation est un idéal de progrès à atteindre dans le domaine tant social que matériel et culturel
- Discours du président Wilson après la Seconde Guerre mondiale, Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
- Renaissance en historiographie à propos de l'abandon du concept hégelien. lire
- Luca Corchia, La logica dei processi culturali. Jürgen Habermas tra filosofia e sociologia, Genova, Edizioni ECIG, 2010, ISBN 978-88-7544-195-1.
Voir aussi
Bibliographie
- Tableau synoptique de l'histoire du monde, de Louis-Henri Fournet. Édition sides. ISBN : 978-2868610157
- Bertrand Binoche, Les équivoques de la civilisation, éd. Champ Vallon, 2005
- Paul Trouillas, Séparation et Civilisation, Hermann Documents, Éditions Hermann, 2010
Articles connexes
Liens internes
- Culture ; Culture et zones de contact entre civilisations ;
- Alcibiade Didascaux, brève histoire des civilisations du bassin méditerranéen ;
- La Civilisation, Emerson
- Échelle de Kardashev (astronomie)
- Histoire de la civilisation occidentale
Liens externes
- (en)Histoire des civilisations (carte interactive en flash)
- (en)La civilisation sans peur … à venir de Richard André. Essai présentant une démarche rationnelle pour imaginer créativement le futur de la Civilisation.
Liens musées
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