Histoire du programme nucléaire militaire de la France

Histoire du programme nucléaire militaire de la France

L'histoire du programme nucléaire militaire de la France relate le cheminement qui a conduit la France à développer un programme nucléaire militaire ambitieux, d'abord avec un programme d'essais qui prendra fin le 27 janvier 1996 et la mise en place d'une force de dissuasion nucléaire opérationnelle.

Sommaire

L'aventure scientifique de l'atome (1895-1945)

Les origines (1895-1903)

La recherche scientifique internationale dans le domaine de l'atome naît avec la découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Röntgen en 1895, à Würzbourg, suite à l'observation d'une étrange lueur blafarde qui relie la cathode à l'anode quand on fait passer un courant électrique dans un tube cathodique[A 1]. En France, Henri Becquerel, faisant des expériences en 1896 pour trouver l'origine de cette fluorescence, constate par hasard que des sels d'uranium émettent spontanément un rayonnement, qu'ils aient ou non été exposés à la lumière. Ils les baptisera dans un premier temps rayons uraniques[A 2].

Pierre et Marie Curie vont tenter à partir de 1896 de trouver une explication au phénomène découvert par Wilhelm Röntgen. Ils vont traiter des centaines de kilos de minerai d'uranium par concassage puis dissolution dans de l'acide. En 1898, Marie Curie découvre que le thorium possède les mêmes propriétés de rayonnement que l'uranium. Puis les deux physiciens isolent un premier élément, qui recevra le nom de polonium, en hommage à la patrie de Marie, puis un second encore plus actif : le radium. Ces découvertes leur vaudront le prix Nobel de physique en 1903, en même temps qu’Henri Becquerel[A 2].

En 1903, Ernest Rutherford, un jeune physicien anglais d'origine néo-zélandaise apporte une explication scientifique à la présence de ces nouveaux éléments et à leur liens entre eux. Il émet l'hypothèse que les éléments radioactifs réunis autour de l'uranium et du thorium sont liés entre eux, l'élément le plus lourd perdant de sa substance par désintégration pour donner naissance à un autre élément et ainsi de suite[A 2].

La structure interne de l'atome (1903-1932)

En 1910, Rutherford fournit une première représentation de la structure interne de l'atome : un noyau chargé positivement autour duquel gravitent des charges négatives. Mais c'est Niels Bohr qui parviendra à expliquer en 1913 que les électrons ne s'effondrent pas sur le noyau par attraction et restent à un niveau donné, en utilisant la théorie quantique de Max Planck[A 3].

Irène, fille de Marie Curie et Frédéric Joliot-Curie observent que le bombardement du béryllium peuvent donner lieu à la projection de protons, en sus de l'émission de radioactivité. L'Anglais James Chadwick apportera une explication décisive en 1932 en découvrant l'existence de neutrons dans l'atome, des particules non chargées aux côtés des protons[A 4].

Découverte de l'énergie nucléaire (1932-1939)

Irène Curie et Frédéric Joliot en 1934

Ce sont les travaux de Irène et Frédéric Joliot Curie qui vont vraiment donner naissance à la physique nucléaire. Fin 1933, en bombardant une feuille d'aluminium par une source de polonium, ils mettent en évidence la production de phosphore 30 radioactif, isotope du phosphore 30 naturel. Ils en déduisent qu'il est possible de fabriquer par irradiation des éléments ayant les mêmes propriétés que les éléments naturels mais qui sont également radioactifs. Dès le début ils voient toutes les applications qu'il est possible d'en tirer, notamment dans le domaine médical, avec le traçage par des éléments radioactifs. Ils obtiennent le prix Nobel pour cette découverte en 1935[A 4].

En 1934, l'Italien Enrico Fermi, constate que les neutrons ralentis (par un trajet dans la paraffine par exemple) ont une efficacité beaucoup plus grande que les neutrons ordinaires. Des matériaux ralentisseurs, «modérateurs», comme l'eau lourde, seront donc à prévoir dans les futures installations[A 5].

De nombreux laboratoires de recherche européens bombardent des noyaux pour en analyser les effets. Il revient à Lise Meitner et Otto Frisch, deux Allemands exilés en Suède, de trouver en décembre 1938 une explication capitale de l'énergie nucléaire avec le phénomène de la fission nucléaire.

En février 1939, Niels Bohr met en évidence le fait que sur les deux isotopes contenus dans l'uranium naturel, U238 et U235, seul l'Uranium 235 est «fissible». Il est malheureusement le plus rare (0,72 % de l'uranium). Pour obtenir un combustible plus réactif, il y aura donc nécessité d'enrichir le minerai d'uranium pour augmenter la porportion de matériau fissible.

Enfin en avril 1939, quatre français, Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin publient dans la revue Nature, peu de temps avant leurs concurrents américains, un article fondamental pour la suite des événements démontrant que la fission du noyau de l'uranium s'accompagne de l'émission de 3,5 neutrons (le chiffre exact sera de 2,4) qui peuvent à leur tour fragmenter d'autres noyaux et ainsi de suite, par un phénomène de «réaction en chaîne»[A 5].

En mai 1939, les quatre français déposent trois brevets secrets traitant de la production d'énergie à partir d'uranium et du perfectionnement des charges explosives[B 1],[1]. Ces trois chercheurs étaient alors employés par le Collège de France au sein d'une équipe dirigée par Frédéric Joliot. Frédéric Joliot, convaincu de l'importance future des applications civiles et militaires de l'énergie atomique rencontra Raoul Dautry, ministre de l'armement, au début de l'automne 1939. Ce dernier le soutenu totalement, en premier pour les développements d'explosifs et, en second lieu, pour la production d'énergie[1].

Suspension des recherches en France (1940-1945)

En février 1940, sur demande du Collège de France, Raoul Dautry envoya une mission secrète en Norvège pour récupérer le stock d'eau lourde détenu par la société Norsk Hydro (à capital en partie français), stock que l'Allemagne convoitait aussi[1].

L'invasion de la France par l'Allemagne en mai 1940 contraint à l'arrêt des travaux et aux déplacements secrets d'une part du stock d'eau lourde au Royaume-Uni par Hans Halban et Lew Kowarski et d'autre part du stock d'uranium au Maroc[1].

La coopération entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour la construction d'une bombe atomique exclut les membres de l'équipe du Collège de France. Ces derniers contribuèrent cependant, à partir de la fin de l'année 1942, aux travaux réalisés au Canada par une équipe anglo-canadienne[1]. Leurs travaux furent aussi déterminants pour la reprise des recherches françaises sur ce domaine.

La genèse d’un programme nucléaire (1945–1958)

Position de la France à la sortie de la seconde guerre mondiale

Les accords de Québec entre les États-Unis et le Royaume-Uni, conclus en 1943, précisant la non-divulgation de leur travaux sur le nucléaire, le programme français dut se faire indépendamment[1].

Dès mars 1945, Raoul Dautry (alors ministre de la reconstruction et de l'urbanisme du Gouvernement provisoire) informa le général de Gaulle (alors président du Gouvernement provisoire) que le nucléaire bénéficierait à la reconstruction ainsi qu'à la Défense nationale. C'est ainsi que le général de Gaulle chargea Raoul Dautry et Frédéric Joliot de proposer une organisation de l'industrie française du nucléaire[1].

Fort de ces avancées, mais aussi au vu des progrès réalisés par la recherche américaine dans ce domaine et après les explosions de Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945, le général de Gaulle crée le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) le 18 octobre 1945. Cet organisme a vocation à poursuivre les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de l’industrie, de la science et de la défense[2],[3]. Les deux premières personnalités à se partager la responsabilité de la direction de cet organisme sont Frédéric Joliot-Curie en qualité de Haut Commissaire pour les questions scientifiques et techniques et Raoul Dautry, l'ancien Ministre de l'Armement, en tant qu’administrateur général[A 6].

Toutefois, l'importance attribuée au nucléaire militaire en 1945 ne doit pas être sur-estimée : c'était la reconstruction du pays qui primait. Dans ce contexte, et sous la claire influence de Frédéric Joliot (adhérent au Parti communiste), l'opposition à l'utilisation militaire de l'atome était courante au sein du CEA[1]. En tant que Haut-Commissaire du CEA, Joliot défendait que la France devait déclarer son opposition à la fabrication d'armes atomiques et son accord pour leur interdiction au niveau mondial. Ce fut d'ailleurs cette position politique qui fut affirmée en juin 1946 par l'ambassadeur Alexandre Parodi devant la commission de l'énergie atomique de l'ONU. Cette position fut aussi la position officielle pendant toute la Quatrième République[1].

Zoé, la première pile atomique française

plaque commémorative sur le site de stockage des combustibles de Zoé, la première pile atomique française

Le fort de Châtillon, sur la commune de Fontenay-aux-Roses, est affecté au CEA le 8 mars 1946 et c’est sur cet emplacement que la première pile atomique française Zoé fonctionne pour la première fois (« diverge ») le 15 décembre 1948[A 6]. Cette pile fonctionne avec un combustible d’oxyde d’uranium naturel modéré à l’eau lourde. Elle ne dégage presque pas d’énergie, quelques kilowatts à peine, mais elle va permettre des études de physique assez poussées pour mieux comprendre les réactions nucléaires et permettre la production de radioéléments pour la recherche et l’industrie[4].

Les opérations de raffinage du minerai d'uranium qui vient d'Afrique sont réalisées dans une enclave de la Poudrerie du Bouchet, à proximité de Ballancourt-sur-Essonne où sont également isolés les quatre premiers milligrammes de plutonium le 20  novembre 1949. L’événement est considérable car les combustibles irradiés, retirés de la Pile Zoé, peuvent dès lors être traités et parallèlement on dispose d'un procédé pour extraire le plutonium, essentiel pour constituer la première bombe atomique[A 7].

En 1949 commence la construction des bâtiments du centre de Saclay. En 1952, un accélérateur de particules est mis en service et la seconde pile à eau lourde (EL2) diverge. Elle est destinée aux expériences de physique et de métallurgie ainsi qu'à la production des radioéléments artificiels[A 7],[5].

La fin de la position pacifiste

Le développement de la guerre froide d'une manière générale, et l'explosion de la première bombe nucléaire soviétique en 1949 en particulier, amena la France à ne plus conserver la position pacifiste du CEA, telle qu'affirmée par Frédéric Joliot. Ce dernier, après des déclarations publiques favorables à l'Union Soviétique, fut forcé de démissionner du CEA en avril 1950. Le Gouvernement français en profita pour rappeler que le CEA avait aussi pour vocation la Défense nationale[1].

La question de l'armement atomique de la France ne fut cependant posée officiellement qu'en juillet 1952 lors du premier débat à l'assemblée nationale sur le plan quinquennal de l'énergie atomique. Ce dernier, préparé par Félix Gaillard (secrétaire d'état à la présidence du Conseil dans le gouvernement de René Pleven, visait un développement du nucléaire sur le long terme. La filière suivie allait être celle des piles atomiques au graphite, fonctionnant à l'uranium naturel et produisant du plutonium. En effet, le CEA n'avait pas les moyens techniques et financiers pour l'enrichissement isotopique de l'uranium. Il s'agissait de produire assez de plutonium pour pouvoir être en capacité de développer un programme atomique militaire[1]. Le Parti communiste proposa un amendement visant à interdire à la France la fabrication d'armes atomiques, mais les députés le rejetèrent massivement. Même certains opposants à l'emploi militaire du nucléaire (tel le socialiste Jules Moch) votèrent contre cette amendement au motif qu'il ne fallait pas s'interdire unilatéralement cette possibilité[1].

En matière de production électrique, Félix Gaillard, membre du Gouvernement Pinay (de mars 1952 à janvier 1953), propose en juillet 1952 au Parlement, qui l'accepte, le premier plan quinquennal de développement de l'énergie atomique donnant une accélération décisive aux recherches. Il a pour objectif essentiel de trouver un remède pour le déficit énergétique français. Félix Gaillard sera nommé ultérieurement, le 18 mars 1955, président de la Commission de coordination de l'énergie atomique[6]. Ce plan prévoit la construction de deux réacteurs, complétés plus tard par un troisième. En l’absence d'installations d'enrichissement de l'uranium, la France est conduite à choisir la filière uranium naturel graphite gaz(UNGG). Il s'agit d'un type de réacteurs utilisant l'uranium naturel comme combustible, le graphite comme modérateur de neutrons et le gaz carbonique pour le transport de la chaleur vers les turbines et pour le refroidissement du cœur[A 8].

Le premier réacteur (G1) diverge en septembre 1953 sur le site de Marcoule. Il s’agit encore d’un équipement prototype de puissance limitée (40 MW). Il produit moins d’énergie électrique qu'il n'en consomme. Les deux autres G2 en 1958 et G3 en 1959 sont plus puissants (150 MW) et vont constituer la tête de série de la filière[A 8].

Face aux besoins nouveaux en combustible, de nouvelles mines d'uranium sont ouvertes en Vendée sur le site de Fleuriais, à Mortagne-sur-Sèvre [7], et dans le Forez[8] en plus de celles du Limousin, déjà en exploitation[9],[10]. Fin 1956, la production de minerai s'élèvera à 175 t en uranium contenu[A 8].

Si le plan quinquennal de 1952 ouvra la voie à la bombe nucléaire française, la décision de sa fabrication ne fut pas prise alors. En fait, l'utilisation du nucléaire à des fins militaires ne fut prise par la France qu'en 1954, sur la base[1] :

  • de la défaite de Dien Bien Phu. Face à l'encerclement des troupes françaises à Dien Bien Phu, en mars 1952, le Comité de Défense restreint demanda aux États-Unis l'utilisation de l'arme atomique, demande que la Maison Blanche ignora. Il apparut ainsi que l'alliance militaire avec les États-Unis ne pouvait garantir totalement les intérêts français ;
  • du traité concernant la Communauté Européenne de Défense (CED) et qui interdisait aux États membres d'entreprendre un programme nucléaire militaire indépendant. Ce traité, bien que rejeté par le parlement français en août 1954, mit en avant la nécessité de prendre une décision ;
  • d'un changement de stratégie de l'OTAN, en faveur de représailles massives et précoces par l'emploi de l'arme atomique. Dans ce contexte, les chefs d'état-major des armées françaises se prononcèrent en septembre 1954 pour un armement atomique national intégré à l'OTAN.

En parallèle, à partir de mars 1954, le général Paul Ély mit en avant auprès de René Pleven (ministre de la Défense) l'importance de l'arme nucléaire pour la puissance exercée par une nation au niveau mondial. Il se basait sur l'avis des chefs d'état-major, sur les capacités du CEA et sur les ressources en plutonium développées par la plan quinquennal de 1952[1]. Le général Ely préconisa que[1] :

  • du personnel militaire soit associé au CEA ;
  • le budget du CEA soit augmenté et placé sous contrôle de la Défense nationale ;
  • un comité militaire spécial interarmées soit créé.

Il faut ajouter à ces éléments l'explosion de la première bombe nucléaire anglaise en octobre 1952 qui avait remis en cause le leadership de la France en Europe.

Des débuts secrets à la décision de faire des essais

C'est en fait le gouvernement de Pierre Mendès-France qui se prononça en faveur du développement d'un programme nucléaire militaire français. Pierre Mendès-France, alors président du Conseil, avait des avantages politiques à lancer une première tranche de travaux menant à un tel programme, sachant que la décision finale de construire une bombe atomique serait prise plus tard[1]. Le 26 octobre 1954, Pierre Mendès-France signa un décret secret créant la Commission Supérieure des Applications Militaires de l'Energie Atomique (CSMEA). Le 4 novembre 1954, il signa un autre décret secret, créant le Comité des Explosifs Nucléaires (CNE)[1]. Au contraire du CNE, la CSMEA ne se réunissa jamais. Le CNE, comme le CEA, dépendait étroitement du président du Conseil.

Le 24 décembre 1954, le CNE remis à Pierre Mendès-France un projet de programme atomique militaire qui intégrait[1] :

  • la réalisation de deux réacteurs nucléaires de type G2 pour produire 70 à 80 kg/an de plutonium ;
  • la création du Bureau d'Études Générales (BEG) pour mettre sur pied et gérer les équipes scientifiques et techniques ;
  • la création d'un centre d'essais pour mettre au point les dispositifs de mesure à utiliser lors des essais réels ;
  • la création d'un centre d'essais au Sahara, le Centre d'expérimentations militaires des oasis ;
  • la création d'un réseau de détection permanent des essais ;
  • l'étude de la séparation isotopique.

Le 26 décembre 1954, Pierre Mendès-France convoqua une réunion d'experts. Les conclusions, longtemps débattues, apparaissent avoir été[1] :

  • le lancement secret d'un programme de fabrications d'armes nucléaires ;
  • le lancement d'un programme de sous-marins atomiques ;
  • le projet d'une décision soumise au conseil des ministres.

Cette dernière décision ne fut jamais soumise à cause de la chute du Cabinet Mendès-France quelques semaines plus tard.

Le BEG, ancêtre de la Direction des Applications Militaires (DAM), fut créé au sein du CEA le 28 décembre 1954[11]. Dès la fin de l'année 1954, le CEA disposa d'un terrain 30 ha à Bruyères-le-Châtel (près d’Arpajon), financé par des fonds du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE). À partir de juillet 1955, il accueillit le centre d'études du BEG, la première équipe scientifique arrivant en juillet 1956[1]. Des études de détonique sont entreprises au Fort de Vaujours dès 1955. Enfin des études de neutronique et de criticité sont entreprises dans un centre spécialisé à Valduc et à Moronvilliers dès 1957[A 9].

Le programme étant sous la direction du CEA, et malgré leurs résistances, les militaires ne purent que reconnaître le leadership du CEA[1]. Ainsi, ce n'est qu'en 1958, sous contrainte du général de Gaulle, que les ingénieurs de la section atomique de la DEFA (créée en 1951) intégrèrent le BEG. Ce sont eux qui trouveront la solution de l'amorçage neutronique qui sera utilisé dans l'essai atomique de février 1960[1].

Un pas important est franchi avec la décision ministérielle du 11 avril 1958 de Félix Gaillard prescrivant de préparer une première série d'explosions nucléaires expérimentales qui doivent intervenir au cours du premier trimestre 1960[12]. Cette décision fut confirmée, dès son retour au gouvernement, par le général de Gaulle[1].

Vers une officialisation du programme nucléaire militaire

Ce n'est qu'en 1958 que le programme nucléaire militaire français fut officialisé par le général de Gaulle. Avant 1958, les présidents du Conseil (Pierre Mendès-France, Edgar Faure et Guy Mollet) tiennent un double-discours qui ne doit pas minimiser les décisions prises entre temps. Ainsi, en 1955, le programme nucléaire français fut doté d'un budget spécifique, l'inscrivant dans la durée[1].

De la Quatrième à la Cinquième République

Si le succès du programme nucléaire militaire français eu lieu sous la Cinquième République, c'est bien sous la Quatrième République, et de manière secrète, qu'il commença. Sous la IVeme République, l'arme nucléaire française était vu comme intégrée à l'OTAN par les responsables politiques français. Le retrait français des instances militaires intégrées de l'OTAN en 1966 avait pour objectif de renforcer la place de la France et pas de couper les liens avec ses alliés. Cette décision avait un objectif d'indépendance et pas de dislocation de l'OTAN[1].

Collaborations avec d'autres pays

Collaboration avec les États-Unis

Alors qu'à la suite de la seconde guerre mondiale, les États-Unis cherchent à empêcher la prolifération nucléaire, ils infléchissent leur politique et vont favoriser le développement du programme nucléaire militaire français bien que l'Atomic Energy Act (en) interdise le transfert de technologies atomiques[1]. Cet appui va se faire, avec différents niveaux de développement, dans 4 domaines :

Visite du champ de tir atomique du Nevada
Dès mai 1955, le colonel Pierre Marie Gallois fait une visite au Site d'essais d'armes atomique du Nevada. En avril 1957, le général Charles Ailleret (commandant interarmées des armes spéciales) y effectuera une autre visite. Cela permis de comprendre l'organisation de tels essais et de valider l'organisation envisagée pour le site d'essais du Sahara[1].
Appareils de mesure ultra-rapide
En 1958, grâce aux bonnes relations entre Félix Gaillard (président du Conseil) et Eisenhower, le général Ailleret, le colonel Buchalet et le professeur Yves Rocard (CEA) se rendent aux États-Unis dans le cadre de la mission Aurore. Une bonne partie de la mission fut consacrée à des réunions qui cherchaient apparemment à dissuader la France de construire une bombe atomique. Toutefois, des réunions techniques permirent à la délégation française d'en apprendre plus sur les appareils de diagnostic de l'explosion. Et au final, des appareils d'électronique ultra-rapide furent ramenés en France, où ils faisaient défaut[1].
Uranium enrichi
Un protocole conclut entre les ministères des finances et de la défense le 30 novembre 1956 prévoyait la construction par le CEA d'une usine d'enrichissement de l'uranium. La programmation de cette usine fut officialisé en juillet 1957, par le vote par le parlement du second plan quinquennal de l'énergie atomique. Les travaux débutèrent à Pierrelatte en 1960 et le premier lingot d'uranium faiblement enrichi fut obtenu en janvier 1960[1].
Le 25 décembre 1957, Pierre Guillaumat (administrateur général du CEA) rencontra l'amiral Elliott B. Strauss (en) au sujet de la fourniture d'uranium enrichi pour construire un réacteur nucléaire de sous-marin. Les États-Unis fournirent bien de l'uranium enrichi, ce qui permit au prototype de réacteur nucléaire de sous-marin, construit au Centre de Cadarache, de diverger en août 1964. Mais les États-Unis ne s'engagèrent pas à fournir de l'uranium enrichi pour le moteur de sous-marin lui-même. De plus, l'amiral Strauss chercha à dissuader le CEA de construire sa propre usine d'enrichissement de l'uranium. La coopération dans ce domaine fut donc très limitée[1].
Information ouverte.
Le rapport Smyth (en), publié le 16 août 1945 par le gouvernement américain, fut une bonne source d'information pour les Français. Ce rapport montrait comment les Américains avaient fait pour réussir à construire leurs bombes atomiques[1]. Les « conférences des Nations Unies sur les utilisations pacifistes de l'énergie atomique »[13] apportèrent aussi des informations utilisables. La première conférence (août 1955) s'accompagna, coté américain, de la déclassification de nombreux documents fournissant des informations plutôt théoriques. La seconde conférence (septembre 1958) fournit des informations plus pratiques, en particulier sur la notion de masse critique[1].

Collaboration avec l'Allemagne fédérale et l'Italie

En 1955, la France initia une coopération avec la République fédérale d'Allemagne pour la construction d'une usine d'enrichissement d'uranium. Lors de la conférence de Messine (juin 1955), un élargissement à l'échelle européen fut aussi envisagé par la France. Dans une tentative de faire échouer ce projet, les États-Unis proposèrent de fournir aux pays européens quelques kilos d'uranium enrichi à tarif préférentiel. La France tenta d'élargir cette coopération à l'Italie (accord tri-partite du 28 novembre 1957)[1]. Chaque pays avait son propre objectif :

  • L'Allemagne fédérale cherchait à acquérir un armement nucléaire national. Si, selon les Accords de Paris (1955), la RFA ne pouvait produire des armes nucléaires (mais aussi bactériologiques et chimiques) sur son territoire, il ne lui était pas interdit d'en posséder, à condition qu'elles soient produites à l'étranger. De plus, les accords de Paris n'interdisaient pas à la RFA les recherches dans ce domaine[1]. D'ailleurs, elle possédait un ministre en charges des questions atomiques : Franz Josef Strauß, partisan de l'armement nucléaire de la RFA et futur ministre de la Défense.
  • L'Italie visait la construction d'un armement nucléaire européen, afin de ré-équilibrer les forces au sein de l'OTAN[1] ;
  • La France voulait qu'une usine d'enrichissement soit construite à l'échelle européenne afin de réaliser des économies financières. Poussée par Jacques Chaban-Delmas (ministre de la Défense), cette collaboration devait aussi permettre de diminuer la dépendance aux États-Unis. Elle avait aussi peut-être pour objectif de mettre fin aux accords anglo-américains[1].

Cette collaboration fut interrompue en juin 1958 par l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle[1].

Collaboration avec Israël

En 1955, le premier ministre israélien David Ben Gourion manifeste sa volonté de doter l'État israélien de l'arme atomique. L'objectif israélien est d'obtenir, au travers de l'arme atomique, une garantie d'existence et de survie de la part des États-Unis[1]. La constitution du gouvernement socialiste Mollet en février 1956 lui permet d'envisager une collaboration avec la France. Guy Mollet, mu par son idéal socialiste, était très enclin à aider à la survie d'Israël. Or, les armes conventionnelles fournies par la France ne suffiraient pas à Israël pour faire face indéfiniment aux pays arabes[1]. Le 13 septembre 1956, Pierre Guillaumat et Francis Perrin rencontrèrent le professeur Ernst David Bergmann (en) (responsable du programme atomique militaire israélien) et Shimon Peres (représentant le ministre de la défense - et premier ministre - Ben Gourion) afin de parler de la construction d'un réacteur de recherche dans le désert du Néguev[1]. La coopération entre la France et Israël s'accentua avec l'arrivée à la présidence du Conseil de Maurice Bourgès-Maunoury en mai 1957. À la mi-1957, un accord fut conclu pour la construction en Israël d'un réacteur nucléaire équivalent à la pile G1 de Marcoule (production de 10 à 15 kg de plutonium par an). Les travaux débutèrent six mois plus tard à Dimona[1]. Comme la coopération franco-italo-germanique, cette collaboration fut interrompue par l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle[1].

Le rôle de Pierre Mendès-France

Dans les années 1970, Pierre Mendès-France nia son rôle dans le lancement du programme atomique nucléaire : ce n'était qu'un pas vers la bombe atomique et, s'il avait poursuivit sa fonction de président du Conseil, il aurait pu décider librement dans les années suivantes pour ou contre la fabrication effective de la bombe atomique[1]. Selon Pierre Mendès-France, la décision de décembre 1954 était uniquement politique : la France entendait faire pression sur l'URSS et les États-Unis pour qu'ils renoncent aux essais, tout en gardant la possibilité à la France, en cas de poursuite des essais, de mettre en œuvre son propre programme nucléaire militaire.

Pierre Mendès-France a toutefois ouvert la voie au programme nucléaire militaire français à la fin de l'année 1954, même s'il s'agissait en premier lieu d'une arme diplomatique pour de futures négociations. Il semble aussi que ses déclarations des années 1970 soient liées à des fins de politique intérieure, son électorat et ses militants étant pacifistes[1].

Le programme d'essais nucléaires (1960-1996)

Article détaillé : Essais nucléaires français.

Les premiers essais en Algérie (1960-1966)

Les essais aériens à Reggane

Le premier essai nucléaire français, Gerboise bleue, est effectué le 13 février 1960, sous présidence de Charles de Gaulle. Toutefois, c'est au début d'avril 1958 que Félix Gaillard, premier ministre sous la présidence de René Coty, décide que ce premier essai aura lieu au début de l'année 1960 et que le site de test sera localisé au Sahara[14].

Un champ de tir a été créé à Reggane, au centre du Sahara algérien et à 600 kilomètres au sud de Bechar. Les tirs ont été effectués à partir d'une tour située plus précisément à Hamoudia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Regganne.

Le rapport annuel du CEA de 1960 montre l'existence d'une zone contaminée de 150 km de long environ.

À la suite immédiate du putsch des Généraux (23 avril 1961) (ou « putsch d'Alger »), le gouvernement français a ordonné la détonation du 25 avril 1961 (Gerboise verte) afin que l'engin nucléaire ne puisse tomber dans les mains des généraux putschistes[15].

Les essais en galerie au Hoggar

La France doit abandonner les essais aériens à la faveur d'essais souterrains, moins polluants. Le site choisi In Ecker (Sahara algérien) se trouve au sud de Reggane et à environ 150 km au nord de Tamanrasset. Les tirs sont réalisés en galerie, celles-ci étant creusées horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella. Ces galeries se terminaient en colimaçon pour casser le souffle des explosions et étaient refermées par une dalle de béton. Elles devaient permettre un bon confinement de la radioactivité.

Le 7 novembre 1961, la France réalise son premier essai nucléaire souterrain. Mais le 1er mai 1962, lors du deuxième essai souterrain, un nuage radioactif s'est échappé de la galerie de tir. C'est l'accident de Béryl (du nom de code de l'essai).

Article détaillé : Accident de Béryl.

De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont été effectués dont quatre n'ont pas été totalement contenus ou confinés (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade). Malgré cela, ce système donnait satisfaction mais les Accords d'Évian ayant prévu que la France devait abandonner ses expériences au Sahara, l'État français a dû se mettre à la recherche d'un autre site.

Le centre d'expérimentation du Pacifique (1966-1996)

Vue de l'atoll de Moruroa par un satellite espion américain KH-7 (26 mai 1967)

Les essais aériens

Le 2 juillet 1966 a lieu le premier essai nucléaire aérien sur l'atoll de Moruroa (Polynésie).

Deux ans plus tard, le 24 août 1968, a lieu le premier essai d'une bombe H sur l'atoll de Fangataufa du nom de code Opération Canopus.

Les essais aériens en Polynésie ont fait intervenir plusieurs techniques :

  • les essais sur barge
  • les largages à partir d'avions qui permettent de reproduire les conditions réelles de façon assez proche
  • les essais de sécurité afin de vérifier que les bombes n'explosent pas tant quelles ne sont pas amorcées. En principe, ces essais ne provoquent pas d'explosion.
  • les essais sous ballons captifs.

Au total, 46 essais nucléaires aériens ont été réalisés en Polynésie.

Le nuage radioactif consécutif à l'essai « centaure » a effectivement touché Tahiti, le 19 juillet 1974. Des précipitations de forte intensité, conjuguées aux effets du relief, conduisirent à des dépôts au sol, hétérogènes en termes d'activités surfaciques : à Hitiaa sur le plateau de Taravao, et au sud de Teahupoo.

Le retour aux essais souterrains

De 1975 à 1996, la France a réalisé 146 essais souterrains en Polynésie. Ils ont été réalisés dans les sous-sols et sous les lagons des atolls de Moruroa et Fangataufa.

Le 6 août 1985 est signé le Traité de Rarotonga (Îles Cook), déclarant le Pacifique Sud zone dénucléarisée. La France ne s’y est pas associée. Le 15 juillet 1991 est lancé le dernier essai français dans le Pacifique avant le moratoire d’un an décidé par le président François Mitterrand le 8 avril 1992, et renouvelé.

Le 13 juin 1995 le président Jacques Chirac rompt le moratoire et ordonne la réalisation d'une dernière campagne d'essais nucléaires dans le Pacifique. Cette ultime campagne a pour but de compléter les données scientifiques et techniques pour passer définitivement à la simulation.

Ces essais nucléaires, au nombre de six, prennent fin par un dernier essai le 27 janvier 1996 à Fangataufa[16].

Le développement de la force de dissuasion (1960 - )

Chronologie

En 1959 est créée la Société pour l'étude et la réalisation d'engins balistiques (SEREB), le mandataire de l'État et maître d'œuvre des futurs systèmes d'armes de la Force nucléaire stratégique (FNS). Un an plus tard, la SEREB collabore avec les sociétés Nord-Aviation et Sud-Aviation et établit les programmes des « Études balistiques de base » (EBB), dits des « Pierres Précieuses ». Ils sont destinés à acquérir les technologies nécessaires à la réalisation de la FNS. C'est aussi en 1959 que le premier bombardier Mirage IV, construit par Dassault, est présenté en vol au général de Gaulle lors du salon du Bourget, à peine trois années après la signature du projet.

Et le 13 février 1960 a lieu le premier essai français d'une bombe A à Reggane, dans le Sahara algérien. Suivi en 1961 par l'essai en vol de la fusée AGATE, première de la série des « Pierres Précieuses » au Centre d'essais d'engins spéciaux créé le 24 avril 1947 à Colomb-Béchar en Algérie française.

En 1963, le gouvernement français opte pour la réalisation de deux nouveaux systèmes d'armes, terrestre et naval, avec :

L'année 1964 marque le début de la permanence de la dissuasion nucléaire française. En effet, le 14 janvier, les Forces aériennes stratégiques sont créées. En février, le premier Mirage IV et le premier avion ravitailleur Boeing C-135 arrivent dans les forces. En octobre, la première prise d'alerte par un Mirage IV, armé de la bombe AN-11, et un avion ravitailleur C-135F a lieu sur base aérienne de Mont-de-Marsan (40). La triade arme nucléaire, avion vecteur et avion de projection est alors opérationnelle.

Au printemps 1966, avec 9 escadrons de Mirage IV, l'ensemble de la 1re composante de la force de dissuasion est réalisée.

Le 24 août 1968 a lieu le premier essai d'une bombe H, sur l'atoll de Mururoa dans l'océan Pacifique.

Le Redoutable, le 1er sous-marin nucléaire français.

Les États-Unis partagent secrètement le dispositif de sécurité et d'armement avec la France dans les années 1970 [17].

La première unité opérationnelle de la Base aérienne 200 Apt-Saint-Christol sur le plateau d'Albion est mise en service le 2 août 1971 avec 9 SSBS S2, la seconde le 23 avril 1972[18].

Le 1er décembre 1971 entre en service le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Redoutable.

En octobre 1972, deux escadrons de Mirage IIIE de la 4e escadre de chasse de la forces aériennes tactiques (FATac) se voient confier la mission nucléaire tactique avec l’arrivée de la bombe AN 52[19]

En 1973, 60 Mirage IV répartis sur 9 bases sont désormais en alerte[20].

Le 1er mai 1974, le premier des 5 régiments de missiles Pluton entrent en service dans l'armée de terre française.

Le 1er octobre 1974, 2 escadrons de SEPECAT Jaguar de la 7e escadre de chasse sont déclarée officiellement nucléaire tactique. Ils seront rejoint dans cette mission par un troisième escadron le 1er janvier 1981. Un escadron abandonnera ce rôle à partir du 31 juillet 1989 suivi par les 2 derniers le 31 août 1991[21].

Le 10 décembre 1978, le porte-avions Clemenceau reçoit, suite à une IPER, la qualification nucléaire : un local spécial pour l'embarquement de quatre ou cinq armes nucléaires AN-52 pouvant être utilisé par les Super-Étendard de la Marine nationale y était aménagé[22]; entre 1980 et 1981, c'est le Foch qui est à son tour aménagé dans cette fonction pour une prise opérationnelle de service le 15 juin 1981 [23],[24].

Durant les années 1980, la Force de frappe atteint son maximum avec plus de 500 ogives nucléaires. Le Bulletin of the Atomic Scientists annonçant un pic de 540 ogives en 1992 et un total de 1 260 armes construites depuis 1964[25] :

  • Six SNLE basés à l'Île-Longue dans la rade de Brest emportant 384 têtes sur 64 missiles MSBS. En novembre 1987, les SNLE représentent une puissance de destruction de 44 mégatonnes [26] ;
Un missile S3 au musée du Bourget.

Le 11 septembre 1991, le Président de la République annonce le retrait anticipé des missiles Pluton dont les derniers seront retiré le 31 août 1993.

Le 8 avril 1992, le président François Mitterrand annonce la mise en place d'un moratoire sur les essais nucléaires. Le 13 juin 1995, nouvellement élu, le président Jacques Chirac annonce que huit essais nucléaires auront lieu de septembre 1995 à janvier 1996. Ces essais ont pour but de récolter assez de données scientifiques pour simuler les futurs essais. Une vague de contestation internationale a lieu. Le 29 janvier 1996, dans un communiqué, la présidence annonce, après le sixième essai (qui a eu lieu le 27 janvier sur l'atoll de Fangataufa en Polynésie) sur les huit prévus à l'origine, que la France met fin aux essais nucléaires. Avec ce dernier tir, c'est 210 explosions qui ont été réalisées par la France depuis l'acquisition de l'arme atomique en 1960.

Suite à la fin de cette dernière campagne de tests, la France signe le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) le 24 septembre et démantèle ses installations de tests dans le Pacifique. Le Parlement ratifie le TICE le 6 avril 1998, engageant ainsi la France à ne plus jamais réaliser d'essais nucléaires.

En 1996, les 18 silos de missiles sol-sol du plateau d'Albion dans le Vaucluse sont désactivés.

Au début du XXIe siècle, les tests grandeurs natures ne sont plus effectués. Les missiles sont modélisés en laboratoire.


L'appui des États-Unis

Dans les années 1970

Généralités

Les relations franco-américaines étaient au plus bas en 1966, lorsque le président de Gaulle retira la France de la structure militaire de l'OTAN. L'amélioration des relations avec la France fut un des objectifs de la politique étrangère du président Richard Nixon. L'administration Nixon inversa ainsi la politique américaine d'opposition au programme nucléaire français[28]. En conséquence, au début des années 1970, les États-Unis prirent l'initiative de discussion avec la France sur le nucléaire militaire. Les discussions des années 1970 étaient aussi un moyen pour les américains d'en apprendre plus sur l'arsenal nucléaire français. De plus, l'amélioration de la force nucléaire française renforcerait la position stratégique des États-Unis face à l'Union soviétique[28]. En plus d'être censées gardées secrètes au niveau international, ces discussions, puis l'aide apportée, se firent sans en informer ni le Congrès américain, ni le Département d'État. En effet, l'Atomic Energy Act (en) interdisait le transfert de technologies des armes nucléaires. Toutefois, les américains tinrent informés les Anglais des développements faits en France.

Au final, cette aide, bien que limitée, permis des économies de temps et d'argent au programme nucléaire militaire français. Elle se poursuivit sous l'administration Ford. Elle resta inconnue du public jusqu'en 1989, lorsque Richard Ullman publia son article « The Covert French Connection » dans la revue « Foreign Policy »[28].

Déroulement

La visite de Georges Pompidou à Washington en février 1970[29],[30] fut l'occasion du redémarrage des relations franco-américaines. Pompidou avoua la faiblesse stratégique de la France et la possibilité que les missiles nucléaires français ne soient pas capable d'atteindre leurs cibles. Si Pompidou ne demanda pas directement d'aide américaine, il fit remarquer que le “comité franco-américain pour les échanges technologiques“ était au point mort. Nixon reconnu que la « question nucléaire » pourrait faire le sujet de discussions sur la coopération. À la suite, le Secrétaire de la Défense Melvin Laird suggéra de fournir à la France des informations sur l'amélioration de la sûreté des missiles et sur les matériaux pour la phase de rentrée atmosphérique. Il était plus circonspect sur le transfert de la technologie de navigation astronomique[28].

Missiles M45 et M51 dans des coques de SNLE (type Redoutable, à gauche) et de SNLE-NG (type Triomphant, au milieu), Trident II américain à droite

En juin 1970, l'Assistant Secretary of Defense for Research and Engineering John S. Foster, Jr. effectua un voyage à Paris pour y rencontrer le délégué général pour l'armement au ministère des armées Jean Blancard. Une liste des demandes françaises fut soumise. Elle portait sur le développement de missiles terrestres et sous-marins, tel que les techniques de fabrication, la fiabilité des moteurs à propergol solide ou les matériaux résistants aux effets atomiques pour les véhicules de rentrée atmosphérique. Foster fit clairement savoir qu'il n'y aurait pas d'aide sur la technologie de navigation astronomique, mais que cela pouvait être possible sur le guidage inertiel des missiles sous-marins[28].

La Maison-Blanche pris presque une année pour statuer sur la demande française car elle souhaitait tout d'abord passer en revue la politique d'aide militaire à la France. La réponse ne pouvait pas être négative car c'était les États-Unis qui avaient pris l'initiative des pour-parler sur les missiles de 1970. Aussi, en mars 1971, Nixon approuva un programme d'aide minimum : les États-Unis assisteraient la France pour l'amélioration des systèmes existants mais pas pour le développement de nouveaux systèmes. Cette réponse fut transmise par le Département d'État et le Ministère de la Défense en avril 1971[28].

Une délégation menée par Foster fit une seconde visite en France en juin 1971. Les discussions portèrent sur les moyens pour Washington d'aider le programme de missiles nucléaire français. Les français demandèrent de l'assistance sur l'amélioration de la sureté et de l'opérationnalité au travers d'un appui sur des problèmes techniques allant de la propulsion aux connecteurs électriques. Une règle de fonctionnement fut arrêtée : les Français feraient parvenir des descriptions de leurs problèmes techniques et les Américains les conseilleraient. La délégation américaine fut conduite à Bordeaux pour visiter les installations de production de missiles et voir les missiles eux-mêmes. Les Français étaient apparemment satisfait des échanges techniques autorisés par Nixon en 1971[28].

En juillet 1972, le ministre de la Défense Michel Debré effectua une visite officielle aux États-Unis. Alors que la presse spécula sur l'éventualité de discussions sur la coopération nucléaire, Debré nia ce point et, à l'époque, aucune information sur ces discussions ne parut dans la presse. Lors d'une réunion avec Henry Kissinger, Debré demanda la fourniture de renseignements sur les missiles antibalistiques de l'URSS. Kissinger y était favorable, mais considérant que l'Administration pourrait s'y opposer, suggéra que l'ambassadeur français ne formule pas de demande officielle. Les fonctionnaires du Département d'État avaient été tenu à l'écart des discussion de Debré avec la Maison-Blanche et le Pentagone. Ils apprirent cependant qu'une nouvelle liste de demandes avait été transmise à Foster et que ces demandes portaient sur des sujets très sensibles (miniaturisation des têtes nucléaires, mode d'utilisation des sous-marins nucléaires lanceur d'engins, etc.)[28].

Après la visite de Debré, les Français continuèrent à demander plus d'informations. En mars 1973, suivant les conseils de Melvin Laird, Richard Nixon autorisa le transfert d'informations sur :

  1. les simulateurs des effets nucléaires (et la vente de petits simulateurs) ;
  2. les techniques de durcissement des missiles et des véhicules de rentrée ;
  3. les missiles antibalistiques soviétiques.

Foster suggéra de fournir aussi des informations sur les systèmes d'alerte précoce afin de renforcer le caractère dissuasif de la force nucléaire française[28].

Les présidents Nixon (gauche) et Pompidou (droite) lors du sommet en Islande

À la fin mai 1973, lors d'une rencontre en Islande entre Kissinger, Nixon et Pompidou[31], ce dernier demanda à ce que les discussions, jusqu'alors limitées à la technologie des missiles, soient étendues aux technologies des armes nucléaires. En conséquence, le nouveau ministre des Armées Robert Galley se rendit aux États-Unis pour des discussions secrètes avec Kissinger et le nouveau Secrétaire de la Défense James Schlesinger. Galley expliqua à Kissinger que la France souhaitait des informations sur :

  1. la pénétration des missiles, incluant le durcissement des véhicules de rentrée, l'aide à la pénétration et les missiles à ogives multiples pour les sous-marins;
  2. la taille et la masse des détonateurs accélérés ;
  3.  la réalisation d'essais souterrains aux États-Unis.

Il s'agissait pour les français de développer une nouvelle génération de missiles[28].

Afin d'éviter d'avoir à demander l'autorisation du Congrès américain (et ainsi contourner l'Atomic Energy Act (en)), Kissinger et Galley s'accordèrent pour que les États-Unis s'en tiennent à du « conseil par la négative» (sans que l'on sache qui proposa ce type d'accord), c'est-à-dire que les Américains se contenteront de critiquer les idées soumises par les Français. Ces discussions se poursuivirent pendant 4 ans. Elles devaient rester secrètes afin de ne pas compliquer les relations entre les États-Unis et ses autres alliés qui auraient alors pu demander le même traitement. Ni le Département d'État, ni le Congrès, n'en eurent connaissance[28].

Les têtes multiples d'un missile américain Minuteman

Un missile balistique peut porter plusieurs ogives permettant de frapper des objectifs différents dans une même zone. Si Kissinger était conscient des limites du programme français et de l'intérêt que la France pouvait jouer en termes de dissuasion, Il décida cependant de modérer le transfert des informations afin de donner l'impression aux Français que les discussions avec Galley avait fait un pas en avant. Toutefois, au début de l'année 1975, les français s'inquiétèrent de la lenteur du retour d'informations. Les Américains répondirent qu'il n'y avait rien d'anormal et que c'était simplement dû à l'analyse détaillée de leurs demandes. Certaines demandes étaient de toutes façons difficile à satisfaire, telle l'utilisation du site du Nevada pour des essais souterrains. Sur ce point, à la mi-1975, le président Ford demanda tout de même d'étudier les possibilités d'aider les français à conduire des tests souterrains. Il autorisa aussi un programme d'assistance qui incluait :

  1.  l'amélioration de la sécurité, de l'opérationnalité et de la diminution de la vulnérabilité nucléaire des missiles stratégiques ;
  2.  le durcissement des missiles et des véhicules de rentrées ;
  3.  les véhicules de rentrées à têtes multiples (à condition qu'ils visent une même cible) ;
  4.  les connaissances fondamentales sur le comportement des matériaux liés à la conception des armes nucléaires.

Ford interdit la fourniture d'informations sensibles et l'utilisation du site du Nevada pour y exposer les matériaux des véhicules de rentrée[28].

Le flux d'informations continua à rester limité. Quelques mois plus tard, le président Valéry Giscard d'Estaing s'en inquiéta auprès de Ford et Kissinger. Kissinger l'expliqua par les réticences du Pentagone et le fait que le Congrès verrait d'un mauvais œil que la Maison-Blanche autorise l'exportation d'ordinateurs performants. Si la décision sur les ordinateurs dû attendre plusieurs mois, l'assistance fut effective sur les technologies de tests souterrains, les véhicules de rentrées à têtes multiples et la vulnérabilité des sous-marins[28].

Depuis les années 1980

Les coopérations des années 1980 et 1990 restent très peu connues, tout comme le contenu de l'accord de coopération nucléaire entre la France et les États-Unis décidé par Jacques Chirac et Bill Clinton en 1996[28].


Notes et références

  1. p.  10
  2. a, b et c p.  11
  3. p.  12
  4. a et b p.  13
  5. a et b p.  14
  6. a et b p.  16
  7. a et b p.  17
  8. a, b et c p.  18
  9. p.  19


  1. p.  17


  1. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, w, x, y, z, aa, ab, ac, ad, ae, af, ag, ah, ai, aj, ak, al, am, an, ao, ap, aq et ar Mongin Dominique, « Aux origines du programme atomique militaire français », dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 31, 1993, p. 13-21 [texte intégral, lien DOI (pages consultées le 17 juillet 2011)] 
  2. (en) Nuclear Weapons sur www-pub.iaea.org/. Consulté le 17 mai 2011
  3. (en) Ordonnance no 45-2563 du 18 octobre 1945 modifiée portant création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur www.dsi.cnrs.fr/. Consulté le 17 mai 2011
  4. La pile française, Science et Vie - hors série "L'age atomique", décembre 1950. Consulté le 17 mai 2011
  5. Pierre O. Robert, « La pile P2. Seconde étape vers l’autonomie atomique », dans Science et Vie, no 430, juillet 1953 [texte intégral [PDF]] 
  6. Felix Gaillard sur www.assemblee-nationale.fr. Consulté le 17 mai 2011
  7. Gisements et exploitations d’uranium en Vendée sur www.vendee.fr. Consulté le 18 mai 2011
  8. Gisements et exploitations Saint-Priest-la-Prugne en Forez sur www.francenuc.org. Consulté le 18 mai 2011
  9. Site industriel de Bessines en Limousin sur www.francenuc.org. Consulté le 18 mai 2011
  10. [PDF]R. Lacotte, « Le complexe industriel de Bessines » sur www.persee.fr, 1966. Consulté le 18 mai 2011
  11. Chronologie de la politique de défense nationale sur www.vie-publique.fr. Consulté le 18 mai 2011
  12. Genèse de la DAM sur http://pbillaud.fr. Consulté le 18 mai 2011
  13. AIEA, « Les conférences de Genève », AIEA, 1964. Consulté le 29 juillet 2011
  14. Irwin M. Wall, France, the United States, and the Algerian War, éd. University of California Press, Berkeley, 2001, p. 158 (ISBN 0520225341)
  15. Peter Feaver et Peter Stein, Assuring Control of Nuclear Weapons: The Evolution of Permissive Action Links, CSIA Occasional Paper #2, Lanham, MD: University Press of America, 1987
  16. Les essais nucléaires en Polynésie
  17. Cypel S., "Les États-Unis ont un programme secret de sécurisation de l'arsenal nucléaire pakistanais", Le Monde, édition du 19.11.07
  18. SSBS et MSBS , Les fusées en Europe, Université de Perpignan
  19. La 4ème Escadre de chasse, Site de la base aérienne116
  20. Henri de Wailly, Cette France qu'ils aiment haïr, L'Harmattan, 2004. ISBN 2-7475-7277-3, p. 31
  21. La 7e Escadre et ses Escadrons, Association des Personnels et Amis de la 7e Escadre de Chasse
  22. Guide d'accueil du porte-avions Clemenceau R98
  23. Georges Croulebois, Pont libre, Éditions des 7 vents, 1993, (ISBN 287716-052-1), p. 211
  24. Marc Théléri, Initiation à la force de frappe française (1945-2010), Stock, 1997, (ISBN 2234047005), p. 100
  25. (en) Robert S. Norris, Hans M. Kristensen, « Global nuclear weapons inventories, 1945–2010 » sur http://bos.sagepub.com/, Bulletin of the Atomic Scientists, 1er juillet 2010. Consulté le 22 février 2011
  26. Patrick Boureille, « L’outil naval français et la sortie de la guerre froide (1985-1994) » sur http://rha.revues.org, Revue historique des armées, 2006. Consulté le 26 octobre 2009
  27. [PDF] Allocution prononcée par le Premier ministre de la France, Pierre Mauroy, le 20 septembre 1983, lors de la séance d'ouverture de la 36e session de l'IHEDN
  28. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m et n William Burr, « U.S. Secret Assistance to the French Nuclear Program, 1969-1975: From Fourth Country to Strategic Partner », NPIHP Research Updates sur http://www.wilsoncenter.org/, Woodrow Wilson International Center for Scholars, Juillet 2011. Consulté le 6 août 2011
  29. Le président Pompidou aux USA. Journal télévisé de 20h du 3 mars 1970 sur http://www.ina.fr, mars 1970. Consulté le 6 août 2011
  30. Voyage officiel de Monsieur Georges Pompidou Président de la République aux Etats Unis d'Amérique. Vingt quatre heures sur la deux - Diffusé le 4 mars 1970 sur http://www.ina.fr, mars 1970. Consulté le 6 août 2011
  31. Entretien Pompidou/Nixon. Journal télévisé de 20h du 31 mai 1973 sur http://www.ina.fr, mai 1973. Consulté le 6 août 2011

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • « Un nucléaire très cartésien » in Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage et Daniel Hémery, Les servitudes de la puissance, Flammarion, coll. nouvelle bibliothèque scientifique, 1986, p. 299-342.
  • Paul Reuss, L'épopée de l'énergie nucléaire: une histoire scientifique et industrielle, Paris, EDP SCIENCES, coll. « Génie Atomique », 8 février 2007, poche, 167 p. (ISBN 978-2-86883-880-3) (LCCN 2007459192) [lire en ligne] 

Vidéographie



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