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Mot-valise
Un mot-valise est un néologisme formé par la fusion d'au moins deux autres mots existant dans la langue[1],[2]. Il peut s'agir d'une haplologie : une même syllabe constitue à la fois la fin d'un mot et le début d'un autre, et le procédé consiste alors à les accoler sans répéter cette partie commune, d'autres fois, un seul des mots se voit amuï.
Dans la création d'un mot-valise, au contraire de la composition et de la dérivation, les constituants de départ ne sont plus entièrement reconnaissables, car ils se sont télescopés. En fait le mot-valise implique une troncation (abrègement de mots par la suppression d'au moins une syllabe) et un amalgame des éléments qui restent.
Le but du mot-valise est de faire un jeu de mots, ou d'enrichir la langue en « luttant contre les dictationnaires » (Bruno San Marco). C'est une figure très proche du néologisme et de l’orthographe fantaisiste.
Sommaire
À propos du nom
L'expression « mot-valise » est la traduction de l'anglais « portmanteau word ». Le mot « portmanteau » désignait autrefois une grande valise à deux compartiments[3]. C'est la raison pour laquelle Lewis Carroll, dans son célèbre roman De l'autre côté du miroir, utilisa l'image du portmanteau pour montrer l'intérêt des mots télescopés : il suffit d'un seul mot pour dire deux choses à la fois.
Au chapitre 6, Humpty Dumpty (l'œuf Gros Coco) explique à Alice la signification du mot « slithy » (« slictueux ») qu'elle a lu au début du poème Jabberwocky :
« Well, "SLITHY" means "lithe and slimy." "Lithe" is the same as "active." You see it's like a portmanteau—there are two meanings packed up into one word[4]. »« Eh bien, « slictueux » signifie : « souple, actif, onctueux. » Vois-tu, c'est comme une valise : il y a deux sens empaquetés en un seul mot[5]. »Exemples courants
Sont définitivement entrés dans la langue des mots-valises comme :
- informatique, fusion entre information et automatique, terme devenu très courant créé par Philippe Dreyfus en 1962 et officialisé par Charles de Gaulle
- cognitique, de connaissance et automatique
- progiciel, de professionnel et logiciel
- progiciel, de programme et logiciel
- franglais, de français et anglais
- denglish, de deutsch et english
- modem, de modulateur et démodulateur[6]
- codec, de codeur et décodeur
- motel, contraction de motorway et hotel
- alicament, d'aliment et médicament
- adulescent, d'adolescent et adulte (cf. Tony Anatrella, La société adulescente)
- tapuscrit, de taper et manuscrit
Comme tout néologisme, les mots-valises peuvent fournir une alternative aux emprunts lexicaux, notamment aux anglicismes :- clavardage, de clavier et bavardage (création québécoise[7] pour traduire le sens particulier qu'a pris en informatique le mot anglais chat, parfois francisé en tchate)
- courriel, de courrier et électronique (création québécoise[8] pour remplacer l'emprunt e-mail)
Les mots-valises ne sont pas tous des créations récentes :
- Décimeur : déformation critique et ironique, par Voltaire du mot décimateur, sous-entendant par là que la dîme était tellement importante pour les pauvres qu'elle les décimait par la famine
- Midouze : cours d'eau des Landes constitué par la jonction du Midou (parfois orthographié Midour) et de la Douze
- au Portugal, la ville d'Alcobaça et le petit fleuve Alcobaça (« Rio Alcobaça », nom du fleuve jusqu'à son embouchure dans l'océan Atlantique) tirent tous deux leur nom du confluent de deux rivières, l'Alcoa (« Rio Alcoa ») et le Baça (« Rio Baça »)
- Le nom de Budapest, capitale de la Hongrie, provient de la concaténation du nom de deux villes voisines, Buda et Pest.
En linguistique, le terme peut être utilisé comme synonyme plaisant de forme contractée (forme unique issue de deux lexèmes qu'on ne peut plus reconnaître : à + le → au, de + les → des en français, in + dem → im en allemand, etc.). De la même manière, un morphème porte-manteau est un morphème qui porte simultanément plusieurs significations : par exemple, le morphème anglais -s porte les significations : indicatif + présent + troisième personne + singulier.Cette forme de néologisme créée par contraction d'expressions n'est pas propre au français et existe dans de nombreuses langues.
Mots-valises en littérature
La création de mots-valises permet un nombre illimité de combinaisons, ce qui ne peut manquer de séduire les écrivains et les passionnés de jeux de langage :
- serpent + pantalon → serpentalon (au lieu de serpentpantalon)
- cheval + valise → chevalise
Lewis Carroll a ouvert la voie pour les poètes et la poésie, qu’emprunteront en France aussi bien Raymond Roussel et Antonin Artaud que Michel Leiris (avec son « a guest + a host = a ghost »), et les oulipiens dont, bien sûr, Marcel Duchamp et Raymond Queneau. Ce dernier, dans les Fleurs bleues fait ainsi dire à Lalix : « Vous êtes tournipilant à la fin ! ». Boris Vian inventa de même le « pianocktail » de L'écume des jours, objet onirique qui unit deux plaisirs sensuels, le gustatif et l'auditif, grâce à l'ivresse de l'alcool et celle du jazz.
Le jeu peut alors devenir définitionnel :
- adoléchiant : jeune personne au mauvais caractère
- cerf-les-fesses : cervidé plutôt trouillard (l'un des de Paul Fournel)
- chérisson : être dont on aime le charme piquant
- chirurchien : chirurgien qui réduit ses patients en charpie
- éléphapotame : pachyderme des rivières (éléphant + hippopotame)
- escrotale : vendeur aux dents longues
- homarylinmonroe : crustacé que certains aiment chaud (l'un des opossums célèbres d'Hervé Le Tellier)
- merdaille : une médaille dont le peu de valeur en fait un objet absolument quelconque, voire méprisable
- merdiateur : homme de médias faisant n'importe quoi
- milichien : chien policier
- poustache : moustache ayant poussé
- primaturé : singe né avant terme
- testicubes : testicules carrées
- brugnole : bruler des bagnoles
Le propre des auteurs littéraires est de créer leurs mots-valises :
- Edmond Rostand crée ainsi ridicoculiser en croisant ridiculiser et cocu
- Raymond Queneau crée alcoolade en télescopant alcool et accolade
- Nicole Brossard crée vfentre en télescopant fente et ventre
Certains l'emploient dans une perspective ludique :
- « Au secours! soupira-t-il. Je tombe en pommoison » (James Joyce)
- « Hépathétique : personne aux yeux si jaunes qu'elle inspire la pitié » (Alain Finkielkraut)
Le novlangue
Article détaillé : Novlangue.Dans son célèbre roman 1984, George Orwell a élaboré le novlangue (déjà un mot-valise), dont l'objectif était, grâce à la simplification lexicale et syntaxique de la langue, d'asservir la pensée elle-même.
Exemples de mots-valises en novlangue :
- Miniver : ministère de la vérité.
- Crimesex : activité sexuelle pratiquée sans but de reproduction.
Extension du mot-valise
- Lorsque le mot-valise est composé d'une contraction de trois mots et plus, on parle de « mot-pantalon ».
- Lorsque le mot-valise est composé de deux mots dont les dernière et première syllabes coïncident, on parle de « mot-gigogne ».
Notes et références
- ↑ (fr) Définitions lexicographiques et étymologiques de mot-valise du CNRTL. : « Création verbale formée par le téléscopage de deux (ou trois) mots existant dans la langue. »
- ↑ Entrée « Mot-valise » dans le Grand dictionnaire terminologique, OQLF : « Terme simple composé de deux éléments lexicaux réduits, ne conservant que la partie initiale du premier et la partie finale du dernier. »
- ↑ (en) Illustration d'un portmanteau
- ↑ (en) Lewis Carroll, Through the Looking Glass (And What Alice Found There), dans Wikisource.
- ↑ (fr) Lewis Carroll, À travers le miroir, traduction Jacques Papy, dans Wikisource.
- ↑ Par allusion au néologisme modem, dérive le nom acronymique du parti politique MoDem" versus Mouvement démocrate.
- ↑ Entrée « Clavardage » dans le Grand dictionnaire terminologique, OQLF.
- ↑ Entrée « E-mail » dans le Grand dictionnaire terminologique, OQLF.
Voir aussi
- Calembour et Contrepèterie
- Figure mère: Haplologie
- Figures filles: mot-pantalon, mot-gigogne
- Paronymes: orthographe fantaisiste
- Synonymes: néologisme
Ouvrages présentant des collections de mots-valises
- Petit fictionnaire illustré, Alain Finkielkraut, Seuil.
- Ralentir : mots-valises !, Alain Finkielkraut, Seuil.
- Nouveaucabulaire, Jean-Jacques Thibaud, Le Cherche Midi, isbn n°2749104386
- Le coin des valises, In Trucs, machins et autres choses, Michel Laclos, Zulma.
- Le pornithorynque est un salopare, Alain Créhange, Éditions Mille et une nuits.
- L'Anarchiviste et le Biblioteckel, Alain Créhange, Éditions Mille et une nuits.
- Distractionnaire, Robert Galisson et Louis Porcher, Clé international.
- Sardinosaures & Cie, Jacques Roubaud & Olivier Salon, La Bibliothèque oulipienne n° 146.
- Les animaux d'amour, Paul Fournel, La Bibliothèque oulipienne n° 147, rééd. 2007, illust. de Henri Cueco, Le Castor Astral.
- Les opossums célèbres, Hervé Le Tellier, illust. de Xavier Gorce, 2007, Le Castor Astral.
- Chambaron, Le dictaphonaire et les alphagrammes, éd. APAE, Colmar, 2005, 199 p. (ISBN 2-7512-0017-4) [présentation en ligne]
Liens externes
- Les opossums célèbres
- Le satire-larigot (120 mots-valises dans une nouvelle en ligne)
- L'an, faire des néologismes (nécessite un lecteur Flash, mots-valises "bleus" et "roses")
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