Tophet de Carthage

Tophet de Carthage

36° 50′ 29″ N 10° 19′ 23″ E / 36.841507, 10.323069

Présentation actuelle du tophet : stèles et cippes de grès dEl Haouaria
Plan des divers éléments du site archéologique de Carthage, le tophet est figuré au n°24

Le tophet de Carthage, aussi appelé tophet de Salammbô, est une ancienne aire sacrée dédiée aux divinités phéniciennes Tanit et Baal situé dans le quartier carthaginois de Salammbô, à proximité des ports puniques. Ce tophet, « hybride de sanctuaire et de nécropole »[1], regroupe un grand nombre de tombes denfants qui, selon les interprétations, auraient été sacrifiés ou inhumés en ce lieu après leur mort prématurée. Le périmètre est rattaché au site archéologique de Carthage classé au patrimoine mondial de lUnesco.

La question du sort de ces enfants est fortement liée à la religion phénicienne et punique mais surtout à la manière dont les rites religieuxet au-delà la civilisation phénicienne et puniqueont été perçus par les Juifs dans le cas des Phéniciens ou par les Romains à loccasion des conflits qui les opposèrent aux Puniques. En effet, le terme de « tophet » désigne originellement un lieu proche de Jérusalem synonyme de lenfer[2] : ce nom provenant de sources bibliques induit une interprétation macabre sur les rites supposés y avoir lieu et corrobore un postulat partagé par les interlocuteurs ayant livré des sources sur les Phéniciens en général et les Puniques en particulier : la religion à Carthage était « infernale ». Plus récemment, limaginaire collectif a été alimenté par le roman de Gustave Flaubert[3], Salammbô[4] (1862), qui donna son nom au quartier fut découvert le sanctuaire. La bande-dessinée Le spectre de Carthage, partie des aventures dAlix écrites par Jacques Martin, reprend cette interprétation.

La difficulté majeure pour déterminer la cause des inhumations réside dans le fait que les seules sources écrites rapportant le rite du sacrifice des enfants sont toutes étrangères à la cité de Carthage. Les sources archéologiquesstèles et cippessont quant à elles sujettes à de multiples interprétations. Le débat a donc été longtemps vif et nest pas encore totalement tranché entre les divers historiens qui se sont penchés sur le sujet. La plus grande prudence simpose donc, lhistorien de lAntiquité se trouvant face à des sources écrites et archéologiques sinon divergentes, du moins soumises à interprétations.

Sommaire

Brève histoire dune découverte

Prémices

Depuis longtemps, on connaît la présence de stèles sur le site, les premières indications connues datant de 1817. En effet, les stèles étaient réparties sur lensemble du site de Carthage, de par la dispersion ayant suivi la destruction de 146 av. J.-C. et les opérations durbanisme ayant remué le sol lors de la construction de la ville romaine.

Par ailleurs, dans lhistoire de Carthage, il faut donner une place à part à la cargaison du Louvre ainsi quau naufrage du Magenta, navire amiral de la flotte de la Méditerranée coulé à Toulon le 31 octobre 1875, à la suite dun incendie suivi dune explosion[5]. À bord se trouvaient plus de 2 000 stèles puniques et dautres pièces dont la statue de limpératrice Sabine, femme de lempereur romain Hadrien (117-138). Les pièces archéologiques avaient été chargées à La Goulette, faisant suite aux fouilles de Pricot de Sainte Marie, interprète au consulat général de France, ces mêmes fouilles étant autorisées par Sadok Bey. À la suite du naufrage, les scaphandriers récupérent une partie des stèles et de la statue, les pièces archéologiques étant dispersées entre diverses collections, dont la Bibliothèque nationale de France. Quant à lépave, elle est dynamitée afin quelle nempêche pas laccès au port. Sous douze mètres de fond, ce qui subsistait de lépave sest envasé peu à peu. Trois campagnes archéologiques sont effectuées en 1995-1998 par Max Guerout et le Groupe de recherche en archéologie navale afin de récupérer des stèles ainsi que la tête de la statue. En avril-mai 1995, la tête de la statue de Sabine est retrouvée[6] puis, en avril-mai 1997, environ 60 fragments de stèles ainsi que des fragments de la statue. Enfin, en 1998, 77 fragments ou stèles retrouvent la surface[7].

Parmi les précurseurs, il faut souligner le rôle tenu par Jean Herszek Spiro (1847-1914), pasteur et un temps professeur au Collège Sadiki, revenu à Lausanne avec 19 stèles, et rédigeant un ouvrage sur Les inscriptions et les stèles votives de Carthage (1895). Nous navons aucune indication de la découverte du tophet tant pour les fouilles de Pricot de Sainte Marie que pour les découvertes de Spiro. Tout au plus on soulignait pour le premier la découverte de stèles réemployées dans des murs dépoque romaine. Tous ces vestiges provenant primitivement du tophet avaient fait lobjet dun déplacement dès lAntiquité et personne ne cherchait un lieu précis elles avaient pu être regroupées. Les collectes archéologiques de Spiro relevaient surtout dune recherche épigraphique. Une découverte fortuite allait faire changer la compréhension de tout un pan de la topographie de la Carthage punique.

Découverte de 1921

Fouilles du tophet de 1921

En 1921 est mise au jour la stèle dite du prêtre dans le cadre de fouilles archéologiques clandestines, très fréquentes à lépoque. Une stèle en calcaire, sur laquelle figure un adulte portant un chapeau typique des kohanim (prêtres puniques), une tunique punique et tenant dans ses bras un jeune enfant, est alors proposée par un pourvoyeur à des amateurs éclairés dantiquités, Paul Gielly et François Icard, fonctionnaires en poste en Tunisie. Face à une pièce qui semblait confirmer en tous points les données bibliques et certains auteurs classiques, les deux amateurs sont émus et décident de mettre fin à la clandestinité afin que nulle découverte ne puisse échapper aux archéologues et historiens. Ils achètent le terrain et y pratiquent des fouilles jusquà lautomne 1922.

La première fouille américaine, menée par Kelsey et Harden en 1925, apporte une compréhension globale de lorganisation du site. Hélas, le décès de Kelsey en 1927 entraîne la fin de cette session de fouilles. Quant au père Lapeyre, père blanc, il fouille un terrain voisin en 1934-1936 et récolte du matériel archéologique et épigraphique divers, mais sans précisions stratigraphiques permettant de comprendre le contexte de la découverte.

Fouilles récentes : de Pierre Cintas à la campagne internationale de lUnesco

« Chapelle Cintas » et lieux de culte

Une partie du mobilier de la chapelle Cintas exposée au musée national de Carthage

À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Cintas effectue des fouilles sur le site et découvre en 1947 lun des éléments qui soulève à lépoque une vaste polémique : lélément dénommé « chapelle Cintas » en lhonneur de son découvreur. Entouré de maçonnerie dans une chambre denviron 1 m², ce qui fut interprété comme un dépôt de fondation de haute époque était constitué de pièces de céramique de diverses origines du VIIIe siècle avJ.‑C., soit le plus ancien élément de la présence des Phéniciens sur cette terre. Elles ont fait lobjet détudes poussées et étaient déposées dans des anfractuosités sur le sol natif[8]. Les méandres de la datation des céramiques en particulier, manifestement égéennes pour une partie dentre elles, permettent une datation moins haute que celle qui fut dabord proposée par Cintas[9].

Dernières fouilles américaines

Ces dernières fouilles, liées à la campagne internationale de fouilles menées par lUnesco ont lieu entre 1976 et 1979 sous légide de lAmerican Schools of Oriental Research (ASOR) et de Lawrence E. Stager. En guise de bilan des fouilles a été prouvée une utilisation continue du site sur six siècles, avec une surface estimée à 6 000 m², 20 000 urnes ayant été découvertes sur diverses strates :

« Dès que laire sacrée était totalement occupée, elle était recouverte de terre et les dépositions recommençaient au niveau supérieur[10]. »

Les restes découverts, dès les premières fouilles, ont fait lobjet danalyses médico-légales, les résultats ayant semé davantage de troubles que donné une réponse aux questions lancinantes que se posaient les spécialistes.

Topographie du site et découvertes archéologiques

Caractères du site

Tophet sous des fondations romaines

« Fouiller, cest détruire » : cet adage de tout archéologue (le fouilleur détruit lobjet de sa science) est encore davantage valide dans le cas du tophet de par la nature du site et la superposition des stèles et des urnes. Il faut signaler de même que le périmètre du site nest pas connu précisément du fait du bouleversement du site de Carthage depuis lépoque romaine et de lurbanisation intense qui fait que le tophet se situe actuellement dans un quartier résidentiel. Situé à lextrême sud de la cité, à proximité du port commercial, le site se trouvait à un endroit particulièrement insalubre et marécageux. Lors des fouilles, les archéologues atteignent un niveau deau saumâtre. Le tophet, comme celui de Motyé, était situé à lécart des vivants et même de la nécropole stricto sensu :

  • Site vierge : aucune couche archéologique antérieure à larrivée des marchands phéniciens na été trouvée. Ce caractère est valable également pour les autres tophets qui ont pu être reconnus et fouillés ;
  • Site à lair libre : limage la plus connue du tophet est celle de la partie qui est située sous des voûtes romaines et qui a été dégagée lors des fouilles Kelsey. Cette image, il faut bien lavouer, qui correspondait assez à un lieu le sacrifice tant honni aurait eu lieu, nest pas lespace tel quil se présentait à lépoque, délimité et à lair libre ;
  • Site clos : à Carthage, lenceinte du tophet na été reconnue que très partiellement au moment des fouilles de Pierre Cintas. Cependant, cette enceinte semble avoir été débordée dès le Ve siècle avJ.‑C.. Pour ce qui est de la surface précise du tophet, il est fort peu probable quon la connaisse un jour de par lemprise urbaine de la Carthage contemporaine, en particulier dans la zone littorale ;
  • Site à une double fonction : votive (stèles portant dédicace à Ba'al Hammon ou à Tanit) et funéraire (stèles funéraires)[11], le double caractère trouve un élément de preuve dans le fait que le terme « molk » (offrande) est très peu présent dans les stèles épigraphiées, les autres étant associées à des urnes funéraires sans autre indication.

Stratigraphie du tophet et typologie des stèles et cippes

Organisation en périodes (Tanit I, II, III)

Stratigraphie de Harden (fouilles de Kelsey en 1925)
Stratigraphie du tophet (fouilles ASOR en 1976-1979)

La typologie du produit des découvertes, et en particulier des stèles, est le fruit des fouilles américaines, dabord des fouilles Kelsey-Harden de 1925, et sest vue affinée dans les années 1970 :

« Compte-tenu des divers types de poteries renfermant les cendres de victimes et de linstallation des dépôts sacrificiels, on peut distinguer trois phases dans cette stratification : la plus ancienne, les vases étaient recouverts sous des tas de petites pierres ou sous des galets ; la deuxième [...] qui contient des urnes posées sous des pierres en forme dobélisque, de bétyles ou sous des cippes de divers types ; la plus récente enfin, qui est caractérisée par des stèles plates à sommet triangulaire, parfois flanqué dacrotères[12]. »

Types de motifs présents sur les stèles

Ces signes se trouvent particulièrement sur les stèles tardives, les stèles des premières catégories étant signifiantes de par leurs formes des influences sexerçant, en particulier égyptiennes. On y trouve de nombreux symboles religieux :

Sur les stèles tardives, une ornementation figurative se fait jour : on y trouve des animaux (éléphants), des éléments végétaux (palmiers), des humains, tels une main ouverte, des portraits laissant transparaître linfluence hellénique et bien évidemment des représentations dhommes dans lintégralité (scène du prêtre avec lenfant) et des éléments marins (bateau). Ce métissage de traits sémitiques et dapports externes est surtout net à partir du moment Carthage a des contacts avec le monde grec, en particulier avec la Sicile.

Épigraphie punique

Les stèles sont parfois gravées dinscriptions du même type mais qui laissent apparaître le tophet comme « un sanctuaire dexpression populaire et de piété fervente »[13]. Soit les dédicants demandent un vœu, soit ils remercient de la réalisation de celui-ci :

« À la grande dame Tanit Péné Baal et au seigneur Baal Hammon, ce qua offert [un tel], fils d[un tel], quils [Baal] ou quelle [Tanit] entende[nt] sa voix et le bénisse[nt]. »

Les inscriptions sont stéréotypées en un « formulaire désespérément sec et répétitif[14] ».

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Occupation romaine du site

À lépoque romaine, le site est réutilisé : les fondations dun temple dédié à Saturne sont découvertes dans les fouilles, de nombreuses fondations dédifices ultérieurs ayant percé les couches archéologiques. Sont également visibles sur le site des piles des fondations romaines, à lendroit du tophet qui fut fouillé par Pierre Cintas, des ateliers dartisans (potiers) et des hangars.

Le site actuel est un élément important de la visite de la Carthage antique bien que la mise en scène constitue une présentation hétéroclite de stèles appartenant à diverses époques, surtout les plus anciennes. Ne sont exposées pratiquement que des stèles de grès dEl Haouaria mais on trouve cependant quelques stèles de calcaire plus tardives dans la partie voûtée.

Questions autour de linterprétation du site

Sources antiques

Sources à charge

Le mythe de Saturne revisité par le peintre Francisco de Goya

« Ils [les Carthaginois] estimèrent que Kronos aussi leur était hostile, en raison de ce queux, qui auparavant sacrifiaient à ce dieu les meilleurs de leurs fils, sétaient mis à acheter secrètement des enfants quils nourrissaient puis envoyaient au sacrifice. Après enquête, on découvrit que certains des [enfants] sacrifiés avaient été substitués. Considérant ces choses et voyant lennemi [larmée dAgathocle] campé devant les murs, ils éprouvaient une crainte religieuse à lidée davoir ruiné les honneurs traditionnels dus aux dieux. Brûlant du désir de réparer leurs errements, ils choisirent deux cents enfants des plus considérés et les sacrifièrent au nom de lÉtat. Dautres, contre qui on murmurait, se livrèrent volontairement ; ils nétaient pas moins de trois cents. Il y avait chez eux [à Carthage] une statue de Kronos en bronze, les mains étendues, la paume en haut, et penchées vers le sol, en sorte que lenfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu[16]. »

« On dit que les Anciens sacrifiaient à Cronos à la façon dont cela se passait à Carthage tant que dura la cité[17]. »

« Les Phéniciens, lors des grandes calamités que sont les guerres, les épidémies ou les sécheresses, sacrifiaient une victime prise parmi les êtres quils chérissaient le plus et quils désignaient par un vote comme victime offerte à Cronos. »

« Cest en pleine conscience et connaissance que les Carthaginois offraient leurs enfants, et ceux qui nen avaient pas achetaient ceux des pauvres comme des agneaux ou de jeunes oiseaux, tandis que la mère se tenait à côté sans larmes et sans gémissements. Si elle gémissait ou pleurait, elle devait perdre le prix de la vente et lenfant nen était pas moins sacrifié ; cependant, tout lespace devant la statue était rempli du son des flûtes et des tambours afin quon ne pût entendre les cris. »

« Des enfants étaient immolés publiquement à Saturne, en Afrique, jusquau proconsulat de Tibère, qui fit exposer les prêtres mêmes de ce dieu, attachés vivants aux arbres mêmes de son temple, qui couvraient ces crimes de leur ombre, comme à autant de croix votives : je prends à témoin mon père qui, comme soldat, exécuta cet ordre du proconsul. Mais, aujourdhui encore, ce criminel sacrifice continue en secret[18]. »

Silence dautres sources majeures

Face à ces textes accablants, il faut signaler le silence dautres historiens qui dénote, notamment quand il sagit de sources majeures pour lhistoire antique tels quHérodote, Thucydide, Polybe ou Tite-Live :

« [Ce] silence [...] détonne fortement dans le concert des accusations dimpiété et de perfidie qui sont, chez les auteurs classiques, le lot habituel des Carthaginois[19]. »

Débats actuels

Stèle du prêtre conservée au musée national du Bardo

Il ne sagit pas que de rappeler que les sacrifices humains étaient fort répandus et particulièrement lors de périodes de troubles ou de difficultés. La mythologie se fait lécho de cette pratique au travers du mythe dIphigénie et on se contentera de rappeler quà Rome même, en 216 av. J.-C., on sacrifia un couple de Gaulois et de Grecs sur le Forum Boarium, sacrifice relaté par Tite-Live dans son Histoire romaine[20] :

« Cependant, sur lindication des livres du Destin, on fit plusieurs sacrifices extraordinaires : entre autres, un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vivants au marché aux bœufs, dans un endroit clos de pierres, arrosé déjà auparavant du sang de victimes humaines, cérémonie religieuse bien peu romaine[21]. »

Déjà, dès la découverte du tophet, et face aux affirmations et interprétations qui étaient conjectures, Charles Saumagne sindignait. Le débat a toujours été vif, les recherches successives ne permettant pas encore de trancher le débat de façon définitive. Les historiens de lAntiquité saffrontaient encore récemment, du fait des conclusions de léquipe américaine de lASOR. Selon Lawrence E. Stager, « lanalyse des contenus et le contexte archéologique, ainsi que la reconsidération des sources écrites [...] démontrent sans aucun doute que le sacrifice des enfants était pratiqué à Carthage depuis au moins 750 av. J.-C. jusquà la destruction de la ville[22] ». Le même auteur souligne qu’« à Carthage, le sacrifice denfant navait pas une dimension religieuse mais aussi des aspects sociaux et économiques [...] Linfanticide semblait moins hasardeux pour la santé de la mère que lavortement dun fœtus ; de plus, cette pratique permettait aux parents de réguler les naissances et deffectuer une sélection par le sexe. Parmi lélite économique de Carthage, linstitution religieuse du sacrifice denfants peut avoir été utilisée par les familles riches pour consolider et maintenir leur fortune en leur permettant de modérer le nombre dhéritiers mâles entre lesquels lhéritage aurait être partagé ainsi que le nombre de filles à doter au moment de leur mariage[23] ».

Sabatino Moscati affirme pour sa part que « le tophet, aire sacrée dédiée aux deux divinités suprêmes Tanit et Baal Hammon, était le lieu étaient brûlés et, par la suite ensevelis dans des urnes, des enfants morts-nés ou morts peu après leur naissance. Les tombes des très jeunes enfants quon ne trouve pas dans les nécropoles se trouvent en réalité dans le tophet. Le sanctuaire abritait ainsi les restes de ceux qui, morts trop tôt, étaient exclus de la société des adultes et de leurs nécropoles. , ils étaient voués ou offerts à la divinité en étant incinérés de façon rituelle[24] ». Le tophet est donc perçu comme un « hybride de sanctuaire et de nécropole »[1], les jeunes enfants étant inhumés dans le même lieu qui connaît des « sacrifices humains occasionnels comme chez beaucoup de peuples de cette époque[1] ». Car le sacrifice pouvait être exceptionnellement pratiqué dans des circonstances particulièrement graves selon Michel Gras[25].

Selon François Decret[26] mais également Michel Gras et ses collègues, un sacrifice de substitution dit « molchomor » (sacrifice de lagneau) se mit progressivement en place, le sacrifice étant accompli « souffle pour souffle, sang pour sang, vie pour vie[27] ». La difficulté de cette interprétation concerne lutilisation dinscriptions romaines du IIe siècle ainsi que par le constat dans lanalyse du contenu des urnes dune réduction de la proportion des substitutions au fil du temps.

Débat qui nest pas encore tranché par la médecine

Dès la découverte du site, les archéologues ont tenu à mettre en place de véritables analyses médico-légales[28] même si le but inavoué était de trouver une confirmation des assertions des auteurs anciens les plus prolixes sur les Carthaginois :

  • Échantillonnage ;
  • Contenu des urnes ;
    • Enfants très jeunes (maximum trois ans) hormis un cas unique denfant denviron 12 ans[29] ;
    • Petits animaux : capridés et quelques cas doiseaux. On peut constater une évolution dans le temps : alors que les urnes analysées et datées du VIIe siècle avJ.‑C. voient parmi elles environ un tiers de substitution, la part de restes de petits animaux est dune urne sur dix au IVe siècle avJ.‑C. ;
  • Interprétation : les résultats des analyses de lInstitut de médecine de Lille ont inquiété, les médecins se refusant de faire des tophets des « nécropoles réservées à des cadavres denfants ou de fœtus, ou de nouveau-nés, cadavres incinérés avant linhumation[30] ». La médecine est incapable en létat actuel dindiquer les raisons des décès et il est impossible de dire « si les enfants incinérés étaient mis vivants sur le bûcher ou bien sils étaient déjà décédés de mort naturelle[31] ».

Pour le tophet de Salammbô, jusquà une éventuelle nouvelle découverte, la confrontation des sources écrites et archéologiques reste sujette à débat, la rencontre de sources diverses et convergentes tant attendue par les historiens et les archéologues nayant pas eu lieu.

Notes et références

  1. a, b et c Hélène Bénichou-Safar, « Les rituels funéraires des Puniques », La Méditerranée des Phéniciens. De Tyr à Carthage, éd. Somogy, Paris, 2007, p. 255
  2. Pour en apprendre plus à ce sujet, vous pouvez consulter les articles sur Tophet et Géhenne.
  3. Lauteur qualifie le rite décrit dans son roman de « grillade de moutards », citation extraite de « La Méditerranée des Phéniciens », Connaissance des arts, n°344, octobre 2007, p. 62
  4. Cela concerne en particulier le chapitre intitulé Moloch.
  5. (fr) Fiche du navire Magenta (Groupe de recherche en archéologie navale)
  6. (fr) Notice sur la tête de Sabine retrouvée sur le Magenta (Musée du Louvre)
  7. Voir à ce propos la page du ministère français de la Culture
  8. Gilbert Charles-Picard et Colette Picard, La vie quotidienne à Carthage au temps dHannibal, éd. Hachette, Paris, 1958, pp. 37-45
  9. Pierre Cintas change son interprétation de sa découverte entre son article paru dans la Revue tunisienne en 1948 et intitulé « Un sanctuaire précarthaginois sur la grève de Salammbô » il date initialement le dépôt de la fin du IIe millénaire av. J.-C., et le premier tome de son Manuel darchéologie punique (pp. 315-324) paru en 1970 il le place dans la première moitié du VIIIe siècle.
  10. Edward Lipinski [sous la dir. de], Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, éd. Brépols, Paris, 1992, p. 463
  11. Maurice Sznycer, « La religion punique à Carthage », Carthage. Lhistoire, sa trace et son écho, éd. Association française daction artistique, Paris, 1995, p. 100-106
  12. François Decret, Carthage ou lempire de la mer, éd. du Seuil (coll. Points histoire), Paris, 1977, pp. 145-146
  13. Hélène Bénichou-Safar, « Les rituels funéraires des Puniques », La Méditerranée des Phéniciens. De Tyr à Carthage, éd. Somogy, Paris, 2007, p. 254
  14. Serge Lancel, Carthage, éd. Fayard, Paris, 1992, p. 340
  15. Hédi Slim et Nicolas Fauqué, La Tunisie antique. De Hannibal à saint Augustin, éd. Mengès, Paris, 2001, p. 64
  16. Voir la lecture critique de ce texte dans Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, Lunivers phénicien, éd. Arthaud, Paris, 1994, pp. 178-179
  17. Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, Lunivers phénicien, éd. Arthaud, Paris, 1994, p. 176
  18. (fr) Tertullien, Apologétique, IX, 2-3
  19. Serge Lancel, op. cit., p. 348
  20. (fr) Tite-Live, Histoire romaine, Livre XXII, 57
  21. Interim ex fatalibus libris sacrificia aliquot extraordinaria facta, inter quae Gallus et Galla, Graecus et Graeca in foro bouario sub terram uiui demissi sunt in locum saxo consaeptum, iam ante hostiis humanis, minime Romano sacro, imbutum.
  22. Azedine Beschaouch, La légende de Carthage, éd. Gallimard, Paris, 1993, pp. 79-80
  23. Lawrence E. Stager, « Le tophet et le port commercial », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, p. 75
  24. Azedine Beschaouch, op. cit., p. 80
  25. Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, op. cit., p. 180
  26. François Decret, op. cit., pp. 138-147
  27. Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, op. cit., p. 178
  28. Tant dans le cadre des fouilles Icard de 1922-1924 que des fouilles Cintas et plus récemment de léquipe de Lawrence E. Stager
  29. Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, op. cit., p. 186
  30. P. Rohn, auteur dune thèse en 1950 sur la détermination de lâge des enfants incinérés à Carthage et à Sousse cité par Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, Lunivers phénicien, éd. Arthaud, Paris, 1994, p. 186
  31. Azedine Beschaouch, op. cit., p. 78

Bibliographie

  • Badr-Eddine Arodaky [sous la dir. de], La Méditerranée des Phéniciens. De Tyr à Carthage, éd. Somogy, Paris, 2007 (ISBN 9782757201305)
  • Claude Baurain et Corinne Bonnet, Les Phéniciens, marins des trois continents, éd. Armand Colin, Paris, 1992 (ISBN 2200212232)
  • Hélène Bénichou-Safar, Le tophet de Salammbô à Carthage. Essai de reconstitution, éd. École française de Rome, Rome, 2004 (ISBN 2728306974)[1],[2]
  • Azedine Beschaouch, La légende de Carthage, éd. Découvertes Gallimard, Paris, 1993 (ISBN 2070532127)
  • Gilbert Charles-Picard et Colette Picard, La vie quotidienne à Carthage au temps dHannibal, éd. Hachette, Paris, 1958
  • François Decret, Carthage ou lempire de la mer, éd. du Seuil (coll. Points histoire), Paris, 1977 (ISBN 2020047128)
  • M'hamed Hassine Fantar, Carthage. Approche dune civilisation, éd. Alif, Tunis, 1993
  • Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, Lunivers phénicien, éd. Arthaud, Paris, 1994 (ISBN 2700307321)
  • Christophe Hugoniot, Rome en Afrique. De la chute de Carthage aux débuts de la conquête arabe, éd. Flammarion, Paris, 2000 (ISBN 2080830031)
  • Serge Lancel, Carthage, éd. Cérès, Tunis, 1999 (ISBN 9973194209)
  • Serge Lancel, « Questions sur le tophet de Carthage », La Tunisie carrefour du monde antique, éd. Faton, Dijon, 1995, pp. 40-47
  • Edward Lipinski [sous la dir. de], Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, éd. Brépols, Paris, 1992 (ISBN 2503500331)
  • Hédi Slim et Nicolas Fauqué, La Tunisie antique. De Hannibal à saint Augustin, éd. Mengès, Paris, 2001 (ISBN 285620421X)
  • Lawrence E. Stager, « Le tophet et le port commercial », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, pp. 73-78 (ISBN 9232027828)
  • Carthage. Lhistoire, sa trace et son écho, éd. Association française daction artistique, Paris, 1995 (ISBN 9973220269)
  • « La Méditerranée des Phéniciens », Connaissance des arts, n°344, octobre 2007

Voir aussi

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