Romancier

Romancier

Roman (littérature)

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Le roman est un genre littéraire aux contours flous caractérisé pour l'essentiel par une narration fictionnelle plus ou moins longue, ce qui le distingue de la nouvelle. La place importante faite à l'imaginaire transparaît dans certaines expressions comme « C'est du roman ! » ou dans certaines acceptions de l'adjectif « romanesque » qui renvoient à l'extraordinaire des personnages, des situations ou de l'intrigue.

Le roman, très vite écrit en prose, dès la fin du XIIe siècle, se définit aussi par sa destination à la lecture individuelle, à la différence du conte ou de l'épopée qui relèvent à la base de la transmission orale. Le ressort fondamental du roman est alors la curiosité du lecteur pour les personnages et pour les péripéties, à quoi s'ajoutera plus tard l'intérêt pour un art d'écrire.

Au fil des derniers siècles, le roman est devenu le genre littéraire dominant avec une mutiplicité de sous-genres qui soulignent son caractère polymorphe.

Sommaire

Le texte romanesque

De manière synthétique et générale, on peut dire que le texte romanesque est un récit de taille très variable mais assez long, aujourd'hui en prose, qui a pour objet la relation de situations et de faits présentés comme relevant de l'invention même si l'auteur recherche souvent un effet de réel, ce qui le distingue du simple récit-transcription (biographie, autobiographie, témoignage...) mais aussi du conte qui relève du merveilleux. La diversité des tonalités littéraires présentes dans les romans est d'ailleurs totale.

Le roman appartenant au genre narratif, on peut rendre compte de l'enchaînement plus ou moins complexe des événements d'un roman en établissant le schéma narratif de l'œuvre et définir le principe général de l'action par le schéma actanciel qui expose les différents rôles présents dans le récit. On peut également définir le statut du narrateur (ou des narrateurs), distinct(s) de l'auteur, ainsi que les points de vue narratifs choisis et la structure chronologique de l'œuvre. Genre polymorphe, le roman exploite aussi bien les différents discours (direct, indirect, indirect libre), la description (cadre spatio-temporel - portraits) que le récit proprement dit (péripéties), le commentaire ou l'expression poétique.

Le roman a été et est toujours l'objet de remises en question qu'il s'agisse pendant très longtemps de sa vanité et de son immoralité (jusqu'au XIXe siècle), puis de la mise en cause de la psychologie avec le behaviourisme, de la notion même de personnage avec le Nouveau Roman, de l'éclatement de la narration (forme chorale avec la multiplication des narrateurs - perturbation de la chronologie...) ou de la séparation auteur/narrateur avec l'autofiction.

Le roman s'est progressivement installé depuis le XVIIIe siècle comme un genre dominant dans la littérature occidentale en corrélation avec le développement de la notion d'individu et une réflexion non religieuse sur le sens de la vie et de l'Histoire et aussi avec la généralisation de l'apprentissage de la lecture par l'école et la diffusion imprimée. Le roman a ainsi supplanté le conte et l'épopée qui marquent davantage les traditions d'autres civilisations (persane et indienne notamment), mais il existe au moins deux traditions romanesques non-européennes dont les caractéristiques sont assez semblables : il s'agit du roman chinois et du roman japonais traditionnel. Cet article présentant une histoire de la tradition romanesque occidentale, le lecteur est invité à se référer à ces pages spécifiques pour plus de détails.

Les origines du roman

D'une langue à un genre

Toute tentative de définition satisfaisante du roman est étroitement liée à l'identification de ses origines. Ainsi, nombreux sont les théoriciens du roman qui ont cherché à appuyer leurs théories génériques sur des théories génétiques. Voilà pourquoi une entrée satisfaisante pour tenter de définir le terme de roman peut se trouver dans l'origine même de ce mot. Ce terme sert originellement à désigner une langue utilisée au Moyen Âge, la langue romane, issue de la langue utilisée au nord de la France, la langue d'oïl, qui prévaudra sur la langue d'oc du sud de la France. Cette langue, née de l'évolution progressive du latin, remplace ce dernier dans l'usage et dans les pratiques orales du nord de la France.

Romanus (latin) > romanice (latin vulgaire) > romanz ou romans (ancien français). Les premiers écrits historiques sont apparus pendant la période de l'Antiquité, l'Iliade, l'Odyssée d'Homère, l'Énéide de Virgile et l'Histoire véritable de Lucien de Samosate en sont quelques exemples.

Ensuite, au Moyen Âge, l'usage du latin se restreint aux textes écrits tandis que les communications orales se font en langue romane. Le latin n'étant connu que d'une minorité de la population, constituée essentiellement de religieux et de lettrés, il faut alors transcrire ou écrire en langue romane certains textes afin de les rendre accessibles à un public plus large. Le terme « roman » est donc appliqué à tous les textes écrits en langue romane dans ce but, qu'ils soient en prose ou en vers, qu'ils soient narratifs ou non. Les romans s'opposent alors aux textes écrits en latin, notamment les textes officiels et sacrés. L'expression « mettre en roman », apparue vers 1150, signifie donc « traduire en langue vulgaire ». Pour désigner les textes qui appartiennent au genre narratif, les termes estoire et conte sont le plus souvent utilisés. Ainsi, Chrétien de Troyes écrit-il : « ore commencerai estoire ».

À l'origine dévolue à la traduction de textes hagiographiques, cette langue vulgaire - le roman - est vite utilisée par la littérature narrative. Le terme se met à désigner progressivement un genre littéraire à part entière. Ainsi, dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette, Chrétien de Troyes écrit-il : « puisque ma dame de Champagne veut que j'entreprenne un roman, je l'entreprendrai très volontiers ». Le terme commence alors à se rapprocher de son sens moderne, celui de récit fictif à épisodes centré autour d'un ou de plusieurs personnages. Le roman a tout d'abord été le récit d'une aventure fantastique, comprenant un personnage idyllique vivant une aventure idyllique elle-même. Les livres étaient au début destinés aux nobles et non au peuple.

Le genre littéraire

Jusqu'au XIIe siècle, la chanson de geste et la poésie lyrique dominent le paysage littéraire et narratif, mais progressivement, un genre nouveau fait son apparition : le roman. Bien que novateur et original, il puise pourtant de nombreux motifs dans les genres littéraires qui l'ont précédé. Il est novateur car il mêle les exploits guerriers de la chanson de geste, la vision amoureuse de la poésie lyrique et puise dans les légendes celtiques.

Les sources du roman médiéval

La Chanson de Roland.

La poésie lyrique

La rupture littéraire amorcée par l'apparition du nouveau genre de la poésie lyrique ne doit pas pour autant masquer une large continuité dans les thèmes et les motifs évoqués par le roman. Il hérite en premier lieu des personnages stylisés de la poésie lyrique : la dame y est une femme mariée de condition supérieure à celle de son prétendant ; l'homme vassal est obéissant à la dame, il est timide et emprunté devant elle et le losengiers est un personnage fourbe, un traître en puissance. Il reprend également le thème de la fine amor, cet amour secret, sacré dans lequel la femme est divinisée, sacralisée. Il hérite aussi de la Reverdie. La Reverdie est un retour cyclique au printemps qui entraîne la contemplation de la dame par l'amant ainsi que son portrait élogieux fait d'associations entre la beauté de la nature et celle de la femme. La sonorité est également une partie intégrante de la poésie lyrique, car la poésie ne peut se faire sans rimes et le lyrisme ne peut se séparer des sonorités, du rythme.

Cependant, le romancier ne reprend pas ces thèmes à l'identique, très souvent il les réactualise, les modifie et les dramatise. Mais surtout, il substitue une nouvelle figure à celle du poète amoureux. Le modus operandi de la séduction évolue : la femme ne se séduit plus par des paroles et des chansons mais par des actions. Le personnage du poète est remplacé par le chevalier hérité des chansons de geste.

La chanson de geste

Le héros de la chanson de geste tient ses traits du héros épique. Il est vaillant, brave, il sait manier les armes, il allie la franchise à la loyauté et à la générosité. Par-dessus tout, il sait préserver son honneur. Parmi les nombreux motifs hérités de la chanson de geste, notons celui de la description des armes du chevalier, de ses acolytes ou de ses ennemis, celui des combats et des batailles qui s'en suivent ou bien encore ceux des embuscades, poursuites et autres pièges qui jalonnent le chemin du héros. On trouve également les scènes d'ambassade chères à la chanson de geste, les scènes de conseil entre un seigneur et ses barons ou encore le regret funèbre (lamentations sur un héros, un compagnon perdu) et la prière du plus grand péril.

Cependant, le roman s'éloigne sur plusieurs points de la chanson de geste :

Lancelot du Lac, XVe siècle.
par sa forme tout d'abord
La chanson de geste est une suite de laisses assonancées psalmodiées par des jongleurs accompagnés de vielle. Le roman est bien écrit en vers mais ceux-ci sont organisés en couplets d'octosyllabes à rimes plates ;
par l'auditoire ensuite
La chanson de geste est écoutée par des hommes installés dans la grande pièce du château alors que le roman est écouté dans la chambre des dames par des personnes plus raffinées et plus cultivées ;
l'espace de la diégèse se restreint
On passe des immenses champs de bataille à des vergers ou à des champs, voire à de petites pièces ou des locus amoenus (lieu intime et paradisiaque où règne la dame).
par les personnages 
La chanson de geste met en scène les exploits guerriers d'un groupe, d'une armée face à une autre, chaque armée ayant plusieurs héros dans leurs rangs. Dans le roman, au contraire, les exploits sont réalisés par un personnage seul.

Les thèmes et les motifs que l'on peut rencontrer dans le roman ne naissent donc pas ex nihilo, le nouveau genre s'inspire largement de ceux qui l'ont précédé tout en procédant à de larges modifications et innovations.

Les trois matières

Au-delà des thèmes et des motifs exploités, les sujets traités par le roman se caractérisent par leur originalité et leur diversité. Il est toutefois possible de les rassembler en trois grands sujets (dits matières) :

  1. la matière de Rome, ou antique a inspiré le Roman de Thèbes, le Roman d'Énéas, le Roman de Troie et le Roman d'Alexandre ;
  2. la matière de France, récits de guerres et de prouesses militaires des Francs ;
  3. la matière de Bretagne, la plus féconde, a inspiré tous les romans dits « arthuriens ».

La matière de Bretagne se développe à la cour d'Henri II Plantagenêt et de sa femme Aliénor d'Aquitaine ainsi qu'à la cour de la fille d'Aliénor, Marie de France, en Champagne. La matière de Bretagne est imprégnée des traditions et des légendes celtiques transmises oralement par les conteurs bretons et gallois. Bien que de nombreuses imprécisions demeurent sur son existence, Chrétien de Troyes apparaît comme l'auteur le plus représentatif et le plus innovant de cette matière de Bretagne. Son écriture se caractérise notamment par une attention particulière portée aux effets de structure (miroirs, parallèles, échos divers, correspondances entre des personnages ou des épisodes, etc.). Il innove également par le tour qu'il donne aux aventures de ses héros. Il les orne d'évènements imprévus et surprenants qui apparaissent souvent comme les signes du destin du chevalier. De plus, il lie étroitement ces aventures à la notion de quête. Celle-ci peut avoir pour objet un personnage disparu, un amour, une identité, une gloire ou une fin spirituelle. Ces quêtes prennent place dans un univers romanesque qui allie des éléments surnaturels et merveilleux à des effets de réel.

Le roman en prose au XIIIe siècle

Le Roman de la Rose (1420-30).

Avant le XIIIe siècle, à l'exception des textes juridiques, peu de textes étaient écrits en prose. Mais à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, la prose prend de plus en plus d'importance dans les textes narratifs. Deux raisons peuvent expliquer cette tendance. D'une part, la prose augmente probablement la crédibilité des aventures racontées, par assimilation à la fiabilité des textes juridiques. D'autre part, le passage à la prose marque également un changement dans la manière de lire : la lecture collective et orale est remplacée par la lecture individuelle. La découverte du papier et le développement de l'écrit de manière générale favorisent cette évolution. Et de ce fait, la versification en tant qu'artifice mnémotechnique est de moins en moins nécessaire.

Ces romans en prose s'inspirent du modèle de la passion du Christ et se rapportent massivement au mythe du Graal ou du Saint Calice.

Les romans réalistes

Ces romans apparaissent conjointement au développement de la bourgeoisie et d'un esprit progressivement plus matérialiste. La redécouverte des textes d'Aristote accompagne ce renforcement du rationalisme au détriment d'une part de spiritualité et de merveilleux. Le Roman de la rose et Jehan et Blonde illustrent cette nouvelle orientation du genre. Les auteurs de ces romans choisissent de rester dans les limites du vraisemblable et rejettent le merveilleux arthurien. La géographie des lieux devient de plus en plus familière aux lecteurs, les personnages fictifs y rencontrent des personnages historiques (réels) et les héros choisis sont de plus en plus issus de milieux modestes et sont de moins en moins légendaires. Cependant, ce genre est marqué par un fort paradoxe : alors que la prose semble être la forme la plus adaptée à transcrire le réel avec crédibilité et alors que la majorité des romans sont désormais écrits en prose, ces romans réalistes continuent à être écrits en vers (couplets octosyllabiques). Conséquence ou non de ce paradoxe, ils disparaîtront progressivement devant le succès croissant des romans en prose.

Naissance du roman moderne

Au début de l'histoire du roman cohabitent deux traditions très contrastées. La première est celle du roman comique, engagée par Cervantès et Rabelais, qui se poursuit tout au long du XVIIe siècle, particulièrement en France et en Espagne. C'est un roman résolument parodique et réaliste, qui raille la littérature noble et les valeurs établies.

La seconde est l'héritière du roman de chevalerie et du roman grec. Elle revendique une certaine noblesse des sentiments et de l'expression et un style sérieux. Avec l'avènement du roman historique, le merveilleux qui caractérisait cette tradition est progressivement abandonné au profit du réalisme.

Au cours du XVIIIe siècle, ces deux traditions vont peu à peu fusionner pour donner naissance au genre que nous connaissons, avec son mélange caractéristique de sérieux et d'ironie.

Les fondateurs

La Pantagrueline Pronostication de François Rabelais, 1532.

On considère généralement que le roman moderne naît avec Rabelais (les Cinq livres, 1532-1564) puis Cervantès (Don Quichotte, 1605-1615). De façon caractéristique, ces deux romans parodient le roman de chevalerie médiéval. À la langue noble et aux lieux communs du roman de chevalerie, ces auteurs opposent la diversité des langages de toute la société et un parti pris de réalisme, voire de trivialité.

Le roman de chevalerie n'est pas le seul modèle dont se sont inspirés les premiers romanciers modernes. La nouvelle médiévale (et plus particulièrement le Décaméron de Boccace) ainsi que la littérature et la farce populaire furent des sources également influentes. L'influence de la littérature chrétienne, notamment franciscaine, sur l'œuvre de Rabelais a été également notée [1].

Rabelais et Cervantès resteront une référence constante pour la quasi-totalité de la littérature romanesque.

Le roman baroque

Le roman baroque héroïque se développe au XVIIe siècle à la cour du roi de France. Inspiré du roman grec, c'est un roman sentimental et d'aventure, avec des accents champêtres (dans l'idylle) ou merveilleux. Deux amants sont séparés par le destin et se cherchent au cours d'aventures pleines de rebondissements imprévus au cours desquelles leur amour et leur détermination est mise à l'épreuve. Les amants se retrouvent à la fin ; leur amour est confirmé par les épreuves endurées.

Les romans baroques sont des « romans-fleuves » très volumineux. Les dialogues amoureux y tiennent une place importante. On peut parler à ce propos d'une sorte de casuistique amoureuse (cf. la célèbre Carte du Tendre dans Clélie). Les personnages et les situations sont très stéréotypés.

Les exemples les plus célèbres sont Le grand Cyrus de Georges et Madeleine de Scudéry, L'Astrée d'Honoré d'Urfé, Zayde de Madame de Lafayette.

Publié en préface de Zayde, le célèbre Traité de l'origine des romans de Pierre-Daniel Huet, pose un certain nombre de questions touchant au genre romanesque : que nous apprennent les œuvres de fiction d'une culture étrangère ou d'une période éloignée sur ses créateurs ? À quels besoins culturels de telles histoires répondent-elles ? Existe-t-il des bases anthropologiques fondamentales incitant à la création de mondes fictifs ? Ces œuvres de fiction ont-elles été divertissantes et instructives ? Se sont-elles contentées – ce qu'on pourrait supposer à la lecture des mythes antiques et médiévaux – de fournir un produit de remplacement à une connaissance plus scientifique, ou ont-ils constitué un ajout aux luxes de la vie appréciés par une culture particulière ? Ce traité, qui a créé le premier corpus des textes à discuter, a été le premier à montrer comment interpréter les œuvres de fiction. Véhiculé dans un certain nombre d'éditions et traductions, le Traité de Huet a obtenu une position centrale parmi les écrits traitant de la fiction en prose.

Le petit roman galant et historique

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, on voit apparaître un nouveau type de roman qui s'oppose radicalement à l'esthétique du roman baroque. Il s'agit de « petits romans » très courts (par opposition aux milliers de pages du roman baroque), et d'un style résolument réaliste. Alors que le roman baroque se situait dans un passé mythique, ces romanciers empruntent leur sujet au passé historique. Dans le roman baroque, les aventures se déroulent entièrement dans la sphère de la vie publique. Dans le petit roman, c'est la sphère privée qui est mise au centre du récit. D'autre part ces petits romans s'opposent aux romans comiques par un ton sérieux et l'emploi d'un style élevé. Pour ces raisons, on peut considérer que ces romans marquent la naissance de la forme romanesque telle que nous la connaissons encore aujourd'hui.

Les exemples les plus significatifs sont la Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (1678) et Dom Carlos de César Vichard de Saint-Réal (1672). Alors que le premier roman de Madame de Lafayette, Zayde (1670), était une « histoire espagnole », son deuxième roman révèle un caractère plus typiquement français. Aux histoires de fiers Espagnols se battant en duel pour venger leur réputation succède un roman français plus volontiers porté à l'observation minutieuse du caractère et du comportement humains. L'héroïne, placée devant l'occasion d'un amour illicite, résiste non seulement à la tentation, mais se rend plus malheureuse en admettant ses sentiments à son mari.

Le roman comique et picaresque

Page de titre de la Vie de Lazarillo de Tormes, édition de 1554.

C'est avec la Vie de Lazarillo de Tormes, le celèbre récit espagnol anonyme paru en 1554, que commence la vogue du roman picaresque en Europe. Dans le roman picaresque, par moyen d´un récit linéaire un héros miséreux mais génialement débrouillard (le pícaro) traverse toutes les couches de la société au cours d'aventures pleines de rebondissements. Francisco de Quevedo y Villegas, avec Vida del buscón llamado don Pablos (en français L'Histoire de Don Pablo de Ségovie), 1626) donnera à ce genre son expression la plus aboutie.

Près d'un siècle plus tard, le Français Alain-René Lesage reprend la tradition de Francisco de Quevedo avec l'Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735).

Le roman picaresque restera un modèle pour le roman ultérieur : Robinson Crusoe, Tom Jones, Till l'espiègle.

Le roman au XVIIIe siècle

C'est au XVIIIe siècle que le roman prend sa forme et sa place moderne au sens où l’on peut l’entendre en 2009. Il se développe en Grande-Bretagne et s’exporte vers la France puis la Prusse. S’il reste en quête de légitimation et de définition, comme le montrent les nombreuses réflexions qu’il suscite à l’époque, il connaît en même temps un essor considérable et ses sujets se diversifient. Le roman épistolaire, le roman-mémoire, le roman libertin et le roman utopique rencontrent particulièrement le goût du temps.

Page de titre de Robinson Crusoë, édition de 1719.

L'essor du roman en Grande-Bretagne

C'est en Grande-Bretagne au cours du XVIIIe siècle que le roman acquiert peu à peu la place centrale dans la littérature, par l’intérêt que lui porte une population récemment alphabétisée. Les premiers romans à succès paraissent, tels Robinson Crusoe ou Tristram Shandy. Le renouveau du roman se propage rapidement à la France, puis à l'Allemagne, comme l'esprit des Lumières. Par ailleurs la forme et l’esthétique du roman changent. Jusqu’alors, la fiction reste mise en avant de façon ludique, par des auteurs comme Laurence Sterne. Mais progressivement, elle va être dissimulée sous l'apparence d'un récit authentique : biographie, confession, correspondance, récit de voyage, … Le Robinson Crusoë de Daniel Defoe illustre très bien cette évolution.

Enfin, c'est à cette époque que naît le héros romanesque, avec une psychologie complexe et évolutive et qui donne son nom au roman : Robinson Crusoe, Rob Roy, Paméla, …

Dans le foisonnement du roman anglais de l'époque, on peut distinguer les catégories suivantes.

légende
Genre Représentants Héritiers
roman de mœurs Samuel Richardson, Henry Fielding, Jane Austen abbé Prévost et Marivaux
roman d'aventure et historique Walter Scott, Daniel Defoe Candide
roman comique Laurence Sterne, Tobias Smollett Diderot, Jean Paul
roman gothique Horace Walpole, Matthew Gregory Lewis, Ann Radcliffe, William Thomas Beckford romantisme, fantastique, marquis de Sade, Jean Potocki

Le roman épistolaire

Page de titre de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau

Le roman épistolaire apparaît en France en 1721, avec les Lettres persanes de Montesquieu mais rencontrera surtout le succès à la fin du siècle, après ceux de Paméla ou la Vertu récompensée (1740) et de Clarisse Harlowe (1748) et de l’intérêt du public pour la lecture de correspondances réelles. Il explore surtout le thème de l’amour impossible. Ces thèmes propres au roman sensible annoncent aussi le romantisme.

Le roman libertin

Le roman est une nouvelle forme d’expression du libertinage intellectuel des siècles précédents tout en donnant au mot un sens nouveau. La liberté de pensée et d’action dérive, avec le roman, à une dépravation morale, une quête égoïste du plaisir. La vie en société est présentée comme un jeu de dupe, cynique avec ses codes et ses stratégies à apprendre ; la séduction y est un art complexe que l’on entreprend par défi, désir ou amour-propre ; la femme est identifiée comme une proie qui finit plus ou moins rapidement par céder au « chasseur ». Contrairement à la littérature clairement licencieuse, la forme du roman libertin est choisie, fine, raffinée et allusive.

Le roman philosophique

Le succès du roman en tant que genre favorise son utilisation pour la diffusion des idées philosophiques même si le conte (Candide de Voltaire) et le dialogue restent les formes privilégiées.Les auteurs anglais avaient ouvert cette voie avec les Voyages de Gulliver de Swift ou Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

Le XIXe siècle ou le roman roi

À la fin du XVIIIe, le roman est parvenu à sa maturité. Sa forme et son esthétique ne changeront plus beaucoup jusqu'au XXe siècle. Le format des romans, le découpage en chapitres, l'utilisation du passé de narration et d'un narrateur omniscient forment un socle commun peu remis en question. Les descriptions et la psychologie des personnages deviennent primordiales.

Le roman romantique

Article détaillé : Roman romantique.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce genre fut assez peu pratiqué par les romantiques. Ainsi Byron, Schiller, Lamartine, Leopardi lui préfèrent le drame, la poésie, les mémoires ou le conte. Les romantiques sont toutefois les premiers à accorder une place au roman dans leurs théories esthétiques. Le roman romantique se caractérise par une rupture avec la séparation des styles en vigueur à la période classique, une exaltation des sentiments et une recherche du pittoresque.

En Allemagne, les préromantiques et romantiques se sont surtout illustrés dans le bildungsroman ou roman de formation : Wilhelm Meister de Goethe (1796), Henri d'Ofterdingen de Novalis (inachevé, 1801). Par ailleurs, l'œuvre romanesque de Jean Paul et celle d'E. T. A. Hoffmann sont à la fois abondantes et irriguées par une puissante imagination. Mais elles conservent essentiellement l'esthétique romanesque hétéroclite du XVIIIe siècle (Laurence Sterne et le roman gothique).

En France, les auteurs préromantiques et romantiques se sont plus largement consacrés au roman. Citons Madame de Staël, Chateaubriand, Alfred de Vigny (Stello, Servitude et grandeur militaires, Cinq-Mars), Prosper Mérimée (Chronique du règne de Charles IX, Carmen, La Double Méprise), Alfred de Musset (La Confession d'un enfant du siècle), Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo) George Sand (Lélia, Indiana) ou encore Victor Hugo (Notre Dame de Paris). Toutefois l'inspiration romanesque de Victor Hugo, qui puise à la fois dans le réalisme historique et social et dans le roman populaire, est assez éloignée de l'esprit romantique. Dans un style proche d'Hugo, citons aussi l'Italien Alessandro Manzoni (Les Fiancés, 1825-1827). L'œuvre de Stendhal enfin, marque la transition entre le romantisme et le réalisme.

En Grande-Bretagne, c'est avec les sœurs Brontë et Walter Scott que le roman romantique trouve son expression.

Réalisme et naturalisme

Le roman réaliste se caractérise par la vraisemblance des intrigues, souvent inspirées de faits réels, ainsi que par la richesse des descriptions et de la psychologie des personnages. On y rencontre des personnages appartenant à toutes les classes de la société et à plusieurs générations successives dans une perspective souvent critique. Cette volonté de construire un monde romanesque à la fois cohérent et complet voit son aboutissement dans La Comédie humaine d'Honoré de Balzac. Ce projet aura une influence considérable sur l'histoire du roman notamment dans la première moitié du XXe siècle.

Outre Balzac, l'école réaliste française compte également Flaubert et Maupassant. Notons toutefois que ces auteurs ne se sont pas cantonnés au style réaliste (littérature fantastique pour Balzac et Maupassant, symbolisme pour Flaubert). À la fin du XIXe, le réalisme évolue d'une part vers le naturalisme objectif d'un Zola et d'autre part vers le roman psychologique.

Le roman russe a donné au roman réaliste plusieurs de ses chefs-d'œuvre : Anna Karénine de Léon Tolstoï (1873-1877), Pères et fils de Ivan Tourgueniev (1862), Oblomov de Ivan Gontcharov (1858). Enfin, l'œuvre romanesque de Dostoïevski, dont l'importance pour l'histoire du roman est fondamentale, peut par certains aspects être rattachée à ce mouvement.

Le réalisme s'impose également dans le reste de l'Europe : George Eliot et Anthony Trollope en Angleterre, Eça de Queiroz au Portugal, Giovanni Verga en Italie. En Allemagne et en Autriche, le style Biedermeier impose un roman réaliste emprunt de moralisme (Adalbert Stifter).

Au début du XXe siècle, ce sont les écrivains américains tels que John Steinbeck, Jack London ou Ernest Hemingway qui perpétueront le style naturaliste.

Le roman populaire

Couverture des des Aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne dans l'édition Hetzel.

Avec la généralisation de l'alphabétisation, le goût de la lecture touche maintenant les couches populaires, notamment au travers des éditions bon marché distribuées par colportage et du roman feuilleton. Parmi les auteurs populaires du XIXe, citons Eugène Sue, George Sand, Alexandre Dumas et Paul de Kock.

Le XIXe siècle voit aussi la naissance de deux genres romanesques populaires : le roman policier avec Wilkie Collins et Edgar Allan Poe et le roman de science-fiction avec Jules Verne et Herbert George Wells.

Le roman satirique

La tradition satirique anglaise du XVIIIe siècle se perpétue avec des auteurs tels que Charles Dickens, William Makepeace Thackeray ou, en France, Octave Mirbeau. Tout en intégrant certains aspects du roman réaliste, notamment l'importance des descriptions et l'ambition de présenter une « vue en coupe » de toute la société, c'est un roman populaire et bourgeois.

En Russie, le style satirique est illustré par Nicolas Gogol (les Âmes mortes, 1840), et par certains romans de Dostoïevski (le Bourg de Stepanchikovo et ses habitants, 1859).

Le roman à la conquête du monde

Le roman moderne remplace peu à peu la poésie comme moyen d'expression privilégié de la conscience nationale des peuples qui accèdent à la modernité. On peut citer par exemple :

Le roman comme univers

Des années 1880 aux années 1940, le roman tend à rendre compte de toute l'expérience humaine individuelle (roman psychologique) ou collective (roman viennois et américain). Les romans se font plus longs et cherchent à unir dans une structure unique des éléments hétérogènes.

Article connexe : Littérature moderniste.

Le roman psychologique

Vers la fin du XIXe siècle, de nombreux romanciers cherchent à développer l'analyse psychologique des personnages : derniers romans de Maupassant, Romain Rolland, Paul Bourget, Colette, D.H. Lawrence. L'intrigue, les descriptions de lieux et, dans une moindre mesure, des milieux sociaux, passent au second plan.

Henry James introduit un aspect supplémentaire qui deviendra central dans la suite de l'histoire du roman : le style devient le moyen privilégié de refléter l'univers psychologique des personnages. Le désir d'approcher au plus près la vie intérieure des personnages amènera notamment au développement de la technique du monologue intérieur : Le Lieutenant Güstel, Arthur Schnitzler (1901), Les Vagues, Virginia Woolf (1931), et plusieurs chapitres dUlysse de James Joyce (1922).

L'essor du roman psychologique reflète celui de la psychologie expérimentale (travaux de William James, frère d'Henry, et de l'école viennoise), puis celui de la psychanalyse. L'intérêt des romanciers pour ces développements théoriques est illustré par exemple par le roman La conscience de Zeno d'Italo Svevo (1923).

Le roman viennois

Au début du XXe siècle, plusieurs romanciers reprennent le projet balzacien de construire un roman polyphonique reflétant tous les aspects d'une époque. Ce sera notamment le cas de plusieurs romanciers viennois. Ainsi l'Homme sans qualités de Robert Musil (publication posthume en 1943) et les Somnambules de Hermann Broch (1928-1931) ont l'ambition de représenter, à travers le destin de quelques personnages, l'évolution des valeurs de la société occidentale. Ces deux romans intègrent de longs passages de réflexions et de commentaires philosophiques qui éclairent la dimension allégorique de l'œuvre. Dans la troisième partie des Somnambules, Broch élargit encore l'horizon du roman par la juxtaposition de styles différents : narratif, réflexif, autobiographique.

On retrouve dans une certaine mesure la même ambition totalisante chez d'autres romanciers viennois de cette époque (Arthur Schnitzler, Heimito von Doderer, Joseph Roth) et plus généralement chez des auteurs de langue allemande tels que Thomas Mann, Alfred Döblin ou Elias Canetti (tout ce que Milan Kundera a appelé "le grand roman d'Europe centrale").

Enfin, cette conception du roman se retrouve également chez le Français Roger Martin du Gard dans les Thibault (1922-1929) et l'Américain John Dos Passos dans sa trilogie U.S.A. (1930-1936).

Proust et Joyce

Epreuves de la recherche du temps perdu, avec les révisions de l'auteur.
Articles détaillés : Marcel Proust et James Joyce.

Avec À la recherche du temps perdu de Marcel Proust et Ulysse de James Joyce, c'est la conception du roman considéré comme un univers qui trouve son aboutissement. C'est aussi la continuation d'une certaine tradition du roman d'analyse psychologique. Ces deux romans ont également la particularité de proposer une vision originale du temps : temps cyclique de la mémoire pour Proust, temps d'une journée infiniment dilaté pour Joyce. En ce sens, ces romans marquent aussi une rupture avec la conception traditionnelle du temps romanesque inspirée de l'Histoire. Enfin, ces deux auteurs ont également en commun leur virtuosité stylistique, homogène dans La recherche, et plus éclectique dans Ulysse.

On peut rapprocher l'œuvre de Joyce de celle de l'Anglaise Virginia Woolf et de l'Américain William Faulkner.

L'ère du soupçon

La remise en cause du modernisme et de l'humanisme consécutive aux deux guerres mondiales entraîne un bouleversement du roman. Le grand roman immanent et monumental disparaît au profit de récits plus personnels, plus irréels ou plus formels. Les romanciers sont alors confrontés à une double impossibilité : celle d'un récit objectif d'une part, et celle d'une transmission de l'expérience individuelle d'autre part. C'est entre ces deux limites que se construit pendant cette période une œuvre romanesque dominée par l'angoisse et l'interrogation.

Le roman existentialiste

De forts liens ont existé entre la philosophie existentialiste et le roman. Søren Kierkegaard, qu'on considère généralement le précurseur de cette philosophie, s'est beaucoup intéressé au roman (voir p.ex. Le Journal du Séducteur dans Ou bien… ou bien…). Selon lui, seul un récit subjectif peut rendre compte de ce qu'est réellement l'existence.

De fait, on peut observer l'émergence dans les années 1930 de romans faisant écho aux concepts de la philosophie existentialiste. Ces romans se présentent souvent sous la forme d'un récit à la première personne, voire d'un journal. Les thèmes de la solitude, de l'angoisse, de la difficulté à communiquer et à trouver un sens à l'existence y sont importants. Souvent, on y trouve également une certaine critique de la modernité et de l'optimisme humaniste. Ces auteurs utilisent généralement un style expressionniste hérité de Dostoïevski.

C'est sans doute Jean-Paul Sartre qui illustre le plus clairement ce lien entre littérature et philosophie. Son premier roman, la Nausée, avait été conçu d'emblée comme une mise sous forme romanesque de concepts philosophiques.

Le romancier polonais Witold Gombrowicz, qui connaissait très bien la philosophie existentialiste, considérait également le roman comme un moyen de rendre concrète la réflexion philosophique. Dans le courant existentialiste il fait exception par la légèreté et l'humour de ses romans qui le place dans la lignée de Charles Dickens.

On pourra citer encore le cas d'Albert Camus, dont la philosophie, proche de l'existentialisme, a également nourri son œuvre romanesque. Son style minimaliste, proche de celui des écrivains naturalistes américains, contraste toutefois avec l'expressionnisme d'un Sartre ou d'un Gombrowicz. D'une façon plus générale, on peut retrouver des similitudes entre la pensée existentialiste et les romans de Knut Hamsun, Louis-Ferdinand Céline, de Dino Buzzati, Cesare Pavese voire de Boris Vian.

Enfin, le roman japonais d'après-guerre (Mishima, Kawabata, Kōbō Abe et plus encore Kenzaburō Ōe) développe souvent des thèmes proches de l'existentialisme.

L'imagination libérée

Frontispice de la première édition de la Métamorphose de Franz Kafka.

L'invraisemblable était un élément essentiel du roman à sa naissance, mais il fut peu à peu exclu de la littérature romanesque, à l'exception de la littérature de genre (fantastique, merveilleux).

Au début du XXe siècle l'invraisemblable refait son apparition dans le roman ainsi que dans la nouvelle. Il s'agit généralement d'une imagination sombre ou grotesque. Ainsi Franz Kafka plonge ses personnages dans un univers de cauchemar où l'on peut être condamné pour une faute qu'on n'a pas commise (le Procès, publication posthume en 1925), ou encore nommé à une charge qui n'existe pas (le Château, publication posthume en 1926). L'influence de Kafka sera profonde sur tout le roman du XXe siècle, et suscitera chez de nombreux écrivains une plus grande liberté face aux canons du réalisme.

Parmi les nombreux romanciers qui ont participé à ce renouveau de la littérature d'imagination, Mikhaïl Boulgakov, Boris Vian, mais également la génération du boom de la littérature latino-américaine, qui publie ses œuvres principales dans les années 1960 et 1970 : Gabriel García Márquez, Alejo Carpentier, Julio Cortázar, Carlos Fuentes. Voir l'article réalisme magique.

Ce mélange de réalisme et d'éléments fantastiques est toujours très présent dans le roman d'aujourd'hui. Citons par exemple l'écrivain japonais Haruki Murakami, ou le groupe français de la Nouvelle Fiction.

L'expérience totalitaire

La dimension tragique de l'histoire du XXe siècle s'est trouvée largement reflétée par la littérature de l'époque. Les récits ou témoignages de combattants des deux guerres mondiales, d'anciens déportés ou de rescapés de génocides traduisent tout d'abord une volonté de partager une expérience tragique et de l'inscrire dans la mémoire de l'humanité. Cependant la recherche d'une forme esthétique spécifique pour ces récits est tout à fait significative. Ceci n'a pas été sans conséquence sur la forme romanesque. On voit ainsi apparaître des récits non-fictionnels mais utilisant la technique et le format du roman. Citons par exemple Si c'est un homme (Primo Levi, 1947), la Nuit (Elie Wiesel, 1958) l'Espèce humaine (Robert Antelme, 1947), Être sans destin (Imre Kertész, 1975). Ces récits auront à leur tour une influence sur la littérature romanesque, pour des auteurs tels que Georges Perec ou Marguerite Duras.

Du fait de la censure, le recours à la fiction dans la dénonciation des crimes de la terreur soviétique est plus systématique. Des romans tels que une journée d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljenitsyne (1962), un Tombeau pour Boris Davidovitch de Danilo Kis (1976), ou encore la Plaisanterie de Milan Kundera (1967) ont été pour beaucoup dans la prise de conscience des méfaits du totalitarisme soviétique. Plus spécifiquement, c'est la destruction de la sphère de la vie privée, lieu par excellence du roman, qui est dénoncée dans ces œuvres.

Enfin, on peut noter le développement au XXe siècle d'un nouveau genre de roman, la dystopie ou anti-utopie. Ces romans, dont la dimension politique est essentielle, décrivent un monde livré à l'arbitraire de la dictature. Ce genre a connu un succès spectaculaire notamment en Europe centrale et en Russie. Les plus célèbres sont le Procès de Franz Kafka, 1984 de Georges Orwell, le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, et Nous Autres d'Ievgueni Zamiatine. Ces romans anticipent parfois de façon saisissante les dérives totalitaires du XXe siècle.

Le roman lettriste

Dans son optique de bouleversement culturel, Isidore Isou, le fondateur du lettrisme, propose en 1950 de rénover le roman comme il l'a déjà fait avec la poésie et la musique. Pour lui, le renouveau romanesque va de pair avec le renouveau des arts plastiques. En effet, il considère qu'après l'anéantissement de la représentation figurative perpétré par le dadaïsme et l'art abstrait, ainsi que l'épuisement de la prose "alphabétique" par le roman Finnegans Wake de James Joyce, la seule façon d'apporter de l'inédit dans ces deux arts est de partir sur une nouvelle structure formelle : l'hypergraphie (d'abord nommé "métagraphie"), qui signifie "multi-écriture", et qui se base sur l'agencement de l'intégralité des signes de la communication visuelle.

Ainsi la structure hypergraphique retrouve, à la fois sur le chemin de la recherche picturale et romanesque, le foyer des moyens de la communication où les deux arts ne constituaient qu'un seul domaine d'écriture unique.

En proposant, au cours de la phrase, le remplacement des termes phonétiques par des représentations analogiques, mais, aussi, par tous les graphismes cohérents et incohérents, acquis ou inventés, Isou, dans son ouvrage Essai sur la définition, l'évolution et le bouleversement du roman de la prose (1950), restituait l'unité originelle et proposait au roman la matière neuve des notations multiples – idéographiques, lexiques et alphabétiques – capables de reconstruire, sur un plan neuf, l'histoire complète, constructive et destructive, de la narration. Au sein de cet essai, Isou propose même le "roman tridimensionnel" où objets, animaux, humains ou architectures pouvaient être considérés comme des signes ou des supports romanesques inédits. La prose hypergraphique est immédiatement appliquée, au sein du même ouvrage, avec le roman d'Isou Les Journaux des Dieux.

Le roman hypergraphique devait également s'enrichir de la graphologie, de la calligraphie, de tous les genres d'énigmes visuels et des rébus, comme il devait s'annexer, en 1952, avec Amos ou introduction à la métagraphologie, la photographie, les différentes possibilités de l'impression superposée, la reproduction sonore, le cinéma, l'architecture, pour intégrer l'ensemble des matières symboliques de la vie, toutes les philosophies et sciences du signe, depuis la linguistique et la grammaire, jusqu'aux techniques d'imprimerie, en passant par les mathématiques. Isou proposera, dans la phase destructive du roman hypergraphique, le roman blanc avec La loi des purs (1963), un roman uniquement constitué de pages blanches (précédé toutefois d'un manifeste qui justifie cet ultime anéantissement).

Le roman hypergraphique est dépassé, en 1956, par le roman infinitésimal, constitué de n'importe quel support servant de tremplin mental au lecteur, invité à imaginer des infinités de narrations inexistantes ou inconcevables.

En 1960, le roman super-temporel proposait des cadres vides ouverts à la participation active et infinie des lecteurs qui pouvaient remplir, à leur guise, quantités de supports vierges, comme autant d'éléments constitutifs d'une prose perpétuellement changeante et interactive.

À la suite d'Isidore Isou, de nombreux lettristes vont s'essayer à ces nouvelles formes romanesques, notamment Maurice Lemaître et Gabriel Pomerand qui publient respectivement, en 1950, Canailles (in la revue Ur n°1) et Saint-Ghetto-des-Prêts (éditions O.L.B), deux parfaits exemples de proses hypergraphiques, Roland Sabatier qui publie, en 1963, Manipulitude (éditions Psi), défini comme un roman hypergraphique super-temporel, ou encore Anne-Catherine Caron qui publie en 1978 Roman à Equarrir (éditions Anakota), un roman hypergraphique épuré et hermétique que l'on peut qualifier d'anti-roman tant la trame narrative est absente et les codes romanesques remis en question ou tournés en dérision.

Le Nouveau Roman

Article détaillé : Nouveau roman.

Les premiers romans 1950 par les éditions de Minuit ont d'emblée marqué une rupture assez profonde avec certains traits du roman traditionnel, tels que la caractérisation des personnages, le respect de la chronologie, voire la cohérence logique du texte. Par ailleurs ces romans sont fréquemment réflexifs, en ce sens qu'ils mettent en scène l'aventure de l'écriture (ou de la lecture) aussi bien que l'intrigue romanesque. Le Nouveau Roman est d'ailleurs indissolublement lié à l'effervescence théorique de l'époque qui se manifeste autour de la revue Tel Quel ou des colloques de Cerisy.

Il serait cependant faux de concevoir le Nouveau Roman comme une école littéraire unifiée par une esthétique commune, à l'image du romantisme ou du surréalisme. Il y a en effet peu de ressemblance entre les parodies d'un Alain Robbe-Grillet et les épopées tragiques d'un Claude Simon, ou entre l'impressionnisme psychologique d'une Nathalie Sarraute et l'ironie caustique d'un Robert Pinget. Enfin, on doit signaler l'énorme influence de l'œuvre de Samuel Beckett, en marge du Nouveau Roman.

Il n'en reste pas moins que cette période est probablement celle où, dans toute son histoire, la forme romanesque a été la plus renouvelée. Si le Nouveau Roman apparaît comme un mouvement proprement français, on peut toutefois le rapprocher des expérimentations des romanciers américains de la Beat Generation, et plus particulièrement de William Burroughs. Enfin B.S. Johnson ou Ann Quin en Angleterre, Carlo Cassola en Italie, Max Frisch en Suisse ont été inspirés par le Nouveau Roman.

Le roman aujourd'hui : la forme romanesque en question

En Europe, retour à l'exploration tous azimuts du XVIIIe : le roman cherche de nouveaux modèles dans les autres genres : autobiographie, poésie, journal, reportage, voire dans les arts plastiques. Le caractère fictif qui était central à l'origine prend moins d'importance. Le roman est plus vu comme un genre très libre capable d'accueillir des expérimentations de langage.

Aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon, maintien d'une tradition plus classique, critique moraliste du matérialisme et nihilisme de la société moderne.

La place du roman dans les pratiques culturelles change profondément. Concurrencé par la radio, la bande dessinée, le cinéma, la télévision et internet, il perd son statut de reflet privilégié de l'époque. Les romans se font plus courts, reflétant la diminution du temps consacré à la lecture. L'offre se diversifie avec la multiplication de petites maisons d'éditions. Enfin, un marché littéraire mondial dominé par la production anglo-saxonne se met en place.

Le moralisme anglo-saxon

Roman qui se veut critique de la société moderne. Rejet du nihilisme et du matérialisme, mais laïque. Fidèle au style polyphonique et réaliste balzacien, mais avec plus de liberté dans la narration. Parfois quelques incursions dans un futur proche, science-fiction avec Ballard et Houellebecq. Essentiellement représenté dans le monde anglo-saxon, États-Unis, Grande-Bretagne, Afrique du Sud et Israël. Grands noms : Philip Roth, J.M. Coetzee, Saul Bellow, et l'inspiration de Milan Kundera. Plus jeunes : Rick Moody, Jonathan Franzen, William Vollmann, Bret Easton Ellis. On peut ajouter l'Anglais James Graham Ballard, les Français Michel Houellebecq, Benoît Duteurtre.

Le roman culte ou générationnel

On entend par « roman culte » le roman qui fédère un groupe de lecteurs plus ou moins vaste et qui prend la dimension de générationnel. Parmi les exemples les plus souvent cités on compte entre autres : l'Attrape-Cœurs de J. D. Salinger, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Junkie de William S. Burroughs, Last exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr, Sur la route de Jack Kerouac, Bandini de John Fante, Moins que zéro de Bret Easton Ellis, Journal d'un oiseau de nuit de Jay McInerney, Generation X de Douglas Coupland, Fight Club de Chuck Palahniuk, le Vieillard et l'Enfant de François Augiéras, etc.

Le roman comme terrain de jeu

L'espace de la page

Regain d'intérêt pour l'exploration des possibilités typographiques (héritage de Laurence Sterne, mais aussi de la poésie). William Gass, Raymond Federman, les français Maurice Roche et, plus récemment, Olivier Cadiot et Alexandre Jardin.

Romans hybrides

Hybridation du roman avec l'essai, journal littéraire (Pascal Quignard, Miklos Szentkuthy) ou intime (Hervé Guibert et l'autofiction), le reportage, le récit historique ou biographique. Typique à cet égard l'œuvre de W. G. Sebald, qui mélange l'autobiographie, l'essai historique ou littéraire, le reportage photographique et la fiction.

La langue orale

Le roman a toujours fait fonctionner la dialectique entre la langue écrite (littéraire) et la langue orale. Mais depuis une dizaine d'années, cet aspect est devenu central. Œuvre de l'Autrichien Thomas Bernhard, très grande influence sur la littérature mondiale. Exemples : Lydie Salvayre, Emmanuel Adely, Jonathan Safran Foer, Roddy Doyle, etc.

Théorie du roman

Les origines du roman : Approche psychanalytique

Le roman est sans doute le lieu du plus grand des secrets, celui que l'on ne peut avouer et que Freud appelait le roman familial des névrosés. De quoi s'agit-il ? Marthe Robert - retient que le jeune enfant passe par deux types de scénarios : celui de l'enfant trouvé qui s'imagine né d'une famille royale, puis celui du Bâtard qui relègue le père dans un royaume de fantaisie (l'éloigne, s'en débarrasse...). Ces deux attitudes se retrouvent dans le genre romanesque et, pour Marthe Robert, le définissent en tant que tel. Le roman n'a pas de formes fixes déterminées mais un contenu obligé, celui de rendre compte du « roman familial de l'enfance ». Le conte s'arrête au seuil de la chambre conjugale, les personnages y sont anonymes, et figurent d'un côté les méchants, puissants et vieux, et de l'autre les opprimés faibles et jeunes. Le véritable roman naît avec l'arrivée du bâtard, lorsque, sans renoncer à ses visions de paradis, le genre s'éveille aux exigences de la réalité œdipienne. Surgissent alors Don Quichotte et Robinson Crusöé. Don Quichotte prétend s'engendrer lui-même, il se passionne pour les familles fictives (livres de chevaleries) se conduit en Enfant Trouvé (est d'avis que tout lui est dû parce qu'il fait grand bruit de son désintéressement), mais le monde que lui offre Cervantès se moque de lui et le corrige.

On notera au passage qu'il est fort probable que Cervantès ait été juif marrane et donc contraint sous l'Inquisition de cacher son identité, « ce qui conduit le romancier non pas exactement à militer pour ses convictions, mais à voir clair tout en restant dans le doute quant à la validité de ses propres choix intellectuels ».

Robinson Crusoé, quant à lui, rompt une fois pour toute avec ses parents qu'il renie, retombant ainsi à l'état préœdipien, mais pour la première fois dans un roman, la terre du rêve doit être défrichée à l'aide d'outils, de calculs, d'expérience… Après une longue période d'apprentissage (26 ans) l'arrivée de Vendredi fait de lui un père et bientôt le possesseur d'une île dont il tire d'énormes profits. Après ces romans de la bourgeoisie naissante, le genre va évoluer dans le contexte historique napoléonien : Le Père du peuple coupable (du régicide) qui se fabrique une famille de rois et la légitimise en épousant une héritière d'empire légal. Le rêve des bâtards - l'ascension sociale par les femmes - va devenir possible. Balzac se dira l'égal des hommes d'état, il va créer une Comédie Humaine qui doit lui permettre de s'enrichir et de s'anoblir, de se gagner des titres de gloire dans la vie. Et pourtant Balzac, qui n'est pas celui que ses personnages rêvent d'être, reste l'Enfant Trouvé tout puissant qui délaisse les biens dérisoires du rang et de l'argent pour se faire l'égal du Créateur. Refusant le réalisme, Flaubert exprimera sur un autre mode son désir de toute puissance, il rêve d'un roman beau dans ses seuls assemblages formels comme par ailleurs il rejette la bêtise de la chair - voir la scène du fiacre dans Mme Bovary - et les hasards de la naissance (scène primitive). Ainsi se rêve-t-il à la fois homme et femme (il est Emma), abolissant la différenciation sexuelle et recomposant la totalité perdue du Paradis. Mais le Bâtard a aussi sa place dans l'imaginaire de Flaubert qui ne cesse malgré ses idées formalistes d'observer la réalité de façon plus que scrupuleuse de sorte que Marthe Robert dit de son art que " Si l'Enfant Trouvé règne incontestablement sur la phrase, le Bâtard de son côté assume la responsabilité des plans, … " et que le " besoin de tout savoir à fond " accroît son exigence de perfection formelle. L'ouvrage de Marthe Robert est une formidable invitation à revisiter les classiques du genre romanesque où l'on s'aperçoit qu'en retraçant l'évolution du roman c'est l'évolution de la société qui se lit. En 1972, Marthe Robert relevait que le roman était devenu purement formel, que le Bâtard n'y avait plus son mot à dire, et que seul l'Enfant trouvé y régnait en maître laissant le roman libre de ne dire que le vertige narcissique de sa propre écriture.


Types d'écriture

Article détaillé : Écriture littéraire.

On peut distinguer plusieurs type d'écriture du roman.

  • Biographie romancée, où des évènements réels sont mis en reliefs par une reconstitution sous forme de récit (Napoléon de Max Gallo),
  • Biographie factuelle, où il n'y a qu'un récit d'évènements et une analyse de l'auteur de la biographie sur la vie et l'œuvre de l'auteur dont il rapporte la vie. (Romain Gary, le caméléon de Myriam Anissimov)
  • Autofictionnel quand l'auteur prétend être le narrateur, tout en racontant des faits majoritairement non réels ou romancés à l'excès, en fait probablement plus « librement inspirés ». (Catherine Millet)
  • Un roman peut bien sûr être historique (contexte réel) et fictif (personnage fictif et réel dans des situations imaginées par l'auteur : Mémoires de Mike Mc Quay).

Bibliographie

  • Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Moscou, 1975 ; traduit du russe par Daria Olivier, Gallimard, 1978
  • Emmanuelle Baumgartner, Histoire de la littérature française : Moyen Âge (1050-1486), Paris, Bordas, 1987
  • Pierre Chartier, Introduction aux grandes théories du roman (ISBN 2-10-003245-3)
  • René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961.
  • Frank Greiner, Les Amours romanesques de la fin des guerres de Religion au temps de L'Astrée (1585-1628), Paris, H. Champion, 2008.
  • Jean Guenot, Écrire, guide pratique de l'écrivain, avec des exercices (ISBN 2-85405-079-7)
  • Isidore Isou, Les Journaux des Dieux précédé de Essai sur la définition, l'évolution et le bouleversement total de la prose et du roman, Paris, Aux Escaliers de Lausanne, 1950.
  • Milan Kundera, L'Art du roman (ISBN 2-07-032801-5), Les testaments trahis (ISBN 2-07-075871-0)
  • Ch-V. Langlois, La Vie en France au Moyen Âge de la fin du XIIe et au milieu du XIVe d'après des romans mondains du temps, Paris, Hachette, 1926
  • Marthe Robert Roman des origines, origine du roman (ISBN 2-85181-191-6)
  • Natacha Michel, Giraudoux, le roman essentiel, Hachette, 1998 ; L'écrivain pensif, Verdier, coll. « Philia », 1998.
  • Jean-Luc Moreau La Nouvelle Fiction, Paris, Criterion, 1997.
  • Frédérick Tristan Fiction, ma liberté, Paris, Rocher, 1999.
  • Maurice Wilmotte, Origines du roman en France. L'évolution du sentiment romanesque jusqu'en 1240, Paris, Boivin

Notes et références

  1. M. Bakhtine

Voir aussi

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Voir sur Wikisource : Romans.

Articles connexes

Liens externes

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