Libertin

Libertin
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Le terme libertin (du latin libertinus, « esclave qui vient d’être libéré », « affranchi ») comporte deux acceptions principales :

  • dans sa version d’origine, le libertin est celui qui remet en cause les dogmes établis, c’est un libre penseur (ou libertin d’esprit) dans la mesure où il est affranchi, en particulier, de la métaphysique et de l’éthique religieuse (exemple : ''Dom juan'' de Molière) ;
  • le sens qui prévaut de nos jours se réfère au libertin de mœurs, c’est-à-dire celui qui s’adonne aux plaisirs charnels (voire à la sexualité de groupe) avec une liberté qui dépasse les limites de la morale conventionnelle et de la sensualité bourgeoise normale, mais aussi avec un certain raffinement cultivé[réf. souhaitée].

Sommaire

Libertinage intellectuel du XVIIe siècle

Relecture des théories du philosophe grec Épicure, le libertinage est un courant de pensée né au XVIe siècle en Italie (Cardan, Paracelse, Machiavel), puis au siècle suivant Gassendi. Affirmant l’autonomie morale de l’homme face à l’autorité religieuse (aspect surtout spéculatif de la liberté d’esprit), il débouche au XVIIIe siècle sur la forme moderne de l’esprit critique : appliqué à la réalité, expérimental[1]. Critique envers le dogmatisme, le libertinage refuse la notion de système philosophique ; il se constitue davantage sur une pluralité d'essais philosophiques portant sur divers thèmes, convergeant dans une même critique de la religion et du dogme[2].

Matérialistes, les libertins considèrent que tout dans l’univers relève de la matière, laquelle impose, seule, ses lois. Ils estiment donc que la compréhension du monde relève de la seule raison, reniant, pour beaucoup, la notion de Créateur. Sur le plan politique, ils considèrent que les prêtres participent à la domination des princes sur les peuples, régnant sur eux par la superstition[2]. L'école de Padoue conteste en particulier la notion de miracles et d'oracles, affirmant la seule existence du déterminisme naturel[2].

Alors que la monarchie française repose sur une légitimité divine, on comprend facilement la menace que pouvaient représenter des individus se voulant indépendants de toute contrainte religieuse ou moraliste, établie par l’Église, l’État ou la Tradition. Ce d’autant que les libertins appelaient de leurs vœux l’apparition d’une société reposant sur le mérite (et non les privilèges), dans un esprit de justice et d’entente sociale.

Toutefois, considérant que l'obéissance du peuple repose sur les mensonges des prêtres, ils se montrent extrêmement prudents et secrets: il ne s'agit pas en effet de révéler à tous les impostures du clergé. Ces idées sont ainsi exposées par G. C. Vanini[2] « Si la liberté de penser est totale, il n’en est pas de même de la liberté d’expression qui doit s’imposer quelques règles. » (F. Charles-Daubert, 2004[2]). Mais le secret de ces petits clubs de réflexion (les Dupuy à Paris) n'est pas qu'une précaution politique: c'est aussi une position théorique assumée, qui reprend la distinction de Montaigne entre le public et le privé[2], équilibrant le scepticisme avec un apparent conformisme au-dehors. La superstition, qui fonde l'obéissance indispensable du peuple, est ainsi contrastée avec l'examen raisonné de toutes choses par le philosophe[2].

La politique est analysée comme étant essentiellement tromperie (voir Les considérations politiques sur les coups d'Etat de Gabriel Naudé)[2] — position qui converge fortement avec celle de Pascal. Or, si Pascal critique les « demi-habiles », critique qui vise les libertins (Pascal lui-même vécut une jeunesse libertine, avant d'embrasser de façon quasi-mystique le jansénisme), pour vouloir révéler des vérités dangereuses, et ne pas savoir s'élever à des vérités d'un rang supérieur (telles que la valeur de la tromperie), en fait les libertins eux-mêmes sont loin de vouloir révéler les supercheries de la religion, qui lie le peuple ; ils sont en effet « d’autant plus discrets que le pouvoir repose sur l’apparence et qu’il suffirait d’une démystification pour qu’il se retrouve privé des moyens de s’exercer » (F. Charles-Daubert, 2004[2]).

Si l’on ne retient aujourd’hui volontiers que l’aspect sensuel et vaguement immoral du libertinage, ce rejet d’une morale dogmatique se fonde sur la négation de l'existence de Dieu, qui légitime l’envie de jouir de sa vie terrestre. Le libertinage n'est pas pour autant immoral: le Theophrastus redivivus, traité anonyme de 1659, préfigure l'athée vertueux de Pierre Bayle[3], qui fera l'éloge de Spinoza dans son Dictionnaire. Davantage qu'immoral, le libertinage prône un relativisme moral, pour lequel la morale chrétienne n'est pas un absolu, mais un mode de règlement des rapports sociaux, de la même façon que le sont les lois[2].

Parallèlement à ce mouvement se développe une école du doute : un courant de pensée né en Italie remet en question la science s’appuyant sur Aristote et figée par les dogmes religieux (thomisme). Une réflexion naît sur les rapports entre la foi et la raison. Les Grandes Découvertes géographiques ébranlent le dogme de l’univers chrétien au centre du monde. La redécouverte des chefs-d’œuvre païens démontrent que l’art et la beauté peuvent exister en dehors de toute référence chrétienne. L'anthropologie permet à La Mothe le Vayer de relativiser la Révélation divine revendiquée par le christianisme, en rabattant celui-ci sur le paganisme[2]. Les découvertes scientifiques mettent en contradiction le fait scientifique et le dogme religieux. Les perturbations politiques et les conflits religieux affaiblissent la confiance que l’on peut avoir envers des dirigeants religieux.

Vers 1615, un groupe de poètes athées (Boisrobert, Tristan L'Hermite, Saint-Amant et Théophile de Viau) forme une société secrète. Ils se considèrent comme des « antéchrists » et diffusent des œuvres anonymes défendant leurs thèses. On les considère à l’époque comme des sorciers et des sorcières. Plusieurs œuvres sont publiées dans ces années:

  • Gabriel Naudé, Apologie pour les grands personnages soupçonnés de magie, 1625 et Considerations politiques sur les Coups d’État, 1652
  • Gassendi, De vita et moribus Epicuri, 1647.
  • La Mothe Le Vayer, Discours (1655); Traités (1662); Dialogues (1669).

En 1647, Pierre Gassendi réhabilite la philosophie d’Épicure. Ouvrant la voie au libertinage de mœurs, ces idées se font plus discrètes après la condamnation de certains libertins à la mort (le philosophe Jules César Vanini périt sur le bûcher en 1619), à l’emprisonnement ou à l’exil.

En 1659 est publié le Theophrastus redivivus, un compendium d'extraits d'auteurs anciens, qui tente une relecture de l'histoire de la philosophie en tant qu'histoire de l'athéisme[2]. A la fin du siècle, Hobbes et Spinoza seront intégrés, à tort ou à raison, dans cette « généalogie d'une philosophie athée »[2]. Ainsi, en 1721, l'auteur présumé de La Vie et l’esprit de M. Benoit Spinoza, qui reprend en fait un ouvrage blasphématoire intitulé le Traité des trois imposteurs, Jean Maximilien Lucas, y fait l'apologie de la méthode exégétique décrite dans le Traité théologico-politique[2].

Le roman libertin du XVIIIe siècle

Difficile de parler d’écriture libertine sans évoquer les auteurs de romans libertins comme Crébillon, Sade ou Laclos, autant d’auteurs appartenant au siècle dit « des Lumières ». Pourtant des auteurs considérés comme « libertins » semblent se faire connaître dès le XVIe siècle, mais moins pour leurs œuvres que pour l’esprit frondeur qu’ils y instillaient. Ainsi, des historiens humanistes étaient taxés de « libertinage » de par leurs travaux qui remettaient en cause l’histoire officielle souvent complaisante envers la monarchie et ses représentants les plus influents.

C’est donc bien au XVIIIe siècle que l’écriture libertine à proprement parler prend une toute autre dimension. Elle met en scène, à travers le roman, une liberté de penser et d’agir qui se caractérise le plus souvent par une dépravation morale, une quête égoïste du plaisir. Des œuvres majeures comme les Liaisons dangereuses de Laclos ou encore Les Égarements du cœur et de l'esprit de Crébillon fils, ont introduit de nouveaux codes, une nouvelle façon de penser, d’écrire et de décrire le libertinage. La vie en société est présentée comme un jeu de dupe dont les libertins maîtrisent à la perfection les codes et enjeux. La séduction y est un art complexe que l’on entreprend par défi, désir ou amour-propre. La femme est identifiée comme une proie à « entreprendre », qui finit plus ou moins rapidement par céder devant son « chasseur ». On retrouve bien souvent, prodiguée par un libertin, une initiation au sexuel, au cynisme, au comportement à adopter en société, destinée à celui ou celle qui devra lui succéder dans ses préceptes. L’expression choisie est fine, raffinée, souvent allusive, tranchant avec une littérature dite licencieuse.

Libertinage agissant du XXe siècle

Se posant sur une référence plus ou moins explicite aux intellectuels et écrivains du libertinage philosophique, en particulier sur les auteurs les plus "érotiques" (Sade, Laclos), les pratiques libertines contemporaines (clubs libertins, échangisme, mélangisme) s'appuient sur le matérialisme rationnaliste pour contester et remettre en question, de fait, les principes jugés puritains des sociétés occidentales.

Même si ces pratiques dites libertines se sont démocratisées - et que leur aspect militant tend à s'effacer - la dimension de "libre-pensée" est aujourd'hui reprise par diverses publications libertines telles que des magazines en ligne ou autres.

Cet aspect des choses est souvent négligé, à tort, par les penseurs de la société contemporaine et diverses études en sciences sociales tendent à montrer aujourd'hui le lien entre les pensées philosophiques libertines (XVII-XIXèmes siècles) et les pratiques sexuelles et érotiques actuelles.[réf. souhaitée]

Notes et références

  1. André Lagarde, Laurent Michard, XVIIIe siècle, Bordas, 1961, p. 13.
  2. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m et n Françoise Charles-Daubert, "Spinoza et les libertins", Hyper-Spinoza, Publié le 3 mai 2004, mise à jour le 27 novembre 2007
  3. Le Theophrastus redivivus, ou l'athéisme comme position philosophique à l'âge classique, Ecole normale supérieure, 2008

Voir aussi

Bibliographie

  • SCEPTICISME, CLANDESTINITÉ ET LIBRE PENSÉE. Scepticism, Clandestinity and Free-Thinking. Sous la direction de G. Paganini, M. Benitez et J. Dybikowski. Éditions Honoré Champion, 2002.
  • Jean-Pierre Cavaillé, Dis/simulations. Jules-César Vanini, François La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto. Religion, morale et politique au XVIIe siècle. Éditions Honoré Champion, 2002.
  • MINORA CLANDESTINA I. "Le Philosophe antichrétien" et autres écrits iconoclastes de l’âge classique. Sous la direction d’Alain Mothu et Alain Sandrier. Éditions Honoré Champion, 2003.
  • PHILOSOPHES SANS DIEU. Textes athées clandestins du XVIIIe siècle. Réunis par Gianluca Mori et Alain Mothu. Éditions Honoré Champion, 2005.
  • Sophie Gouverneur, Prudence et subversion libertines. La critique de la raison d’État chez François de La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé et Samuel Sorbière.Éditions Honoré Champion, 2005.
  • Valentina Ponzetto, Musset ou la nostalgie libertine, Droz, 2007. ISBN 9782600011273
  • Patrick Wald Lasowski, Le Grand Dérèglement. Le roman libertin du XVIIIe siècle, Gallimard, 2008. ISBN 9782070119387
  • Laurence Tricoche-Rauline, Identité(s) libertine(s). L’écriture personnelle ou la création de soi, Éditions Honoré Champion, 2009.
  • Denis Grattepain, Tranches de vies libertines, Éditions Publibook, 2010.
  • Claude Reichler, L'âge libertin, Paris, Editions de Minuit, 1987.
  • Philippe Laroch, Petits-maîtres et roués, Québec, Les Presses de l'Université de Laval, 1979.
  • Michel Delon, Le savoir-vivre libertin, Paris, Hachette, 2000.
  • Anne Staquet, Descartes et le libertinage, Éditions Hermann, Paris, 2009;

Liens externes


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