Ulysse (roman)

Ulysse (roman)
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Ulysse
JoyceUlysses2.jpg
Auteur James Joyce
Genre Roman
Version originale
Titre original Ulysses
Éditeur original Shakespeare and Company
Langue originale Anglais
Pays d'origine Drapeau d'Irlande Irlande
Lieu de parution original Paris
Date de parution originale 1922
Version française
Traducteur Auguste Morel

Nouvelle traduction :
Jacques Aubert
Pascal Bataillard
Michel Cusin
Sylvie Doizelet
Patrick Drevet
Bernard Hoepffner
Tiphaine Samoyault
Marie-Danièle Vors

Lieu de parution Paris
Éditeur Gallimard
Date de parution 1929

Nouvelle traduction : 2004

Chronologie
Dedalus
Finnegans Wake

Ulysse (titre original Ulysses en anglais) est un roman de James Joyce, sorti dans un premier temps sous forme de feuilleton dans le magazine américain The Little Review entre mars 1918 et décembre 1920, avant d'être publié dans son intégralité le 2 février 1922 à Paris par la librairie Shakespeare and Company fondée par Sylvia Beach (cela restera l'unique parution de la librairie).

Le roman relate les pérégrinations de deux Irlandais, Leopold Bloom et Stephen Dedalus, à travers la ville de Dublin lors d'une journée ordinaire. L'action commence le 16 juin 1904 à 8 h 00 pour se terminer dans la nuit aux alentours de 3 h 00. L'auteur fait naître un Dublin dense et débordant de détails qui sont pour la plupart, si ce n'est délibérément faux, du moins discutables mais cela ne servira que de décor à l'action.

Dans cette banalité du quotidien de ces deux hommes, Joyce explore le concept du monologue intérieur où les sujets vont de la mort, la vie, le sexe à l'art, la religion ou encore la situation de l'Irlande. S'affranchissant totalement des normes littéraires, le roman se distingue entre autres par l'utilisation de la technique du courant de conscience, technique qui consiste à décrire le point de vue du héros en donnant le strict équivalent du processus de pensées de ce dernier.

Dès sa parution aux États-Unis, Ulysse a suscité la controverse notamment avec la plainte posée par la New York Society for the Suppression of Vice jugeant le livre obscène[1]. Le livre fut interdit aux États-Unis jusqu'en 1931, c'est Hemingway qui se chargea de faire passer les premiers volumes souscrits par des compatriotes. Il ne cessera par la suite d'être critiqué et sera l'objet de très nombreuses études. Qualifié de « cathédrale de prose », il est considéré comme l'un des romans les plus importants de la littérature moderne ainsi que celle du XXe siècle.

Sommaire

Structure

La narration du roman est fondée sur dix-huit chapitres, que l'on peut nommer épisodes, qui sont contenus dans trois grandes parties reprenant les noms de celles de l'Odyssée, à savoir la Télémachie, l'Odyssée et le Nostos :

  • La première partie contient les trois premiers épisodes. L'action est focalisée autour de Stephen Dedalus, personnage du roman qui représente les domaines spirituels et intellectuels ainsi que l'immatériel. Il est en ce sens l'opposé de Léopold Bloom. La partie est consacrée au départ de Stephen de la maison, tout comme Télémaque a quitté Ithaque au début de l'Odyssée.
  • Les douze épisodes qui suivent représentent la part la plus importante de l'œuvre. On découvre le personnage de Léopold Bloom qui représente le domaine du matériel et du sensoriel. Puis va venir le moment où les deux "opposés" vont se rencontrer.
  • La dernière partie, constituée des trois derniers épisodes, est le retour "à la maison", tel Ulysse revenant à Ithaque. C'est le retour de Léopold Bloom chez lui accompagné de Stephen Dedalus d'où la notion d'unité et de non-séparation qui s'en dégage.

Tout au long du roman, les voyages d'Ulysse sont figurés et parodiés par les déplacements de Léopold dans la ville. Chaque épisode fait référence de façon plus ou moins explicite aux aventures d'Ulysse, mais aussi à un organe du corps humain, à une couleur, à un art et à un symbole.
Les trois chapitres de la Télémachie ne font pas référence à un organe, Stephen Dedalus représentant le spirituel. Dedalus figure également James Joyce lui-même, ainsi que l'auto-biographe de Portrait de l'artiste en jeune homme (1915), quelques années plus tard.

La construction et les différentes techniques d'écriture utilisées, qui changent à chaque épisode, obtinrent un large écho lors de sa parution. Joyce réinvente le roman plusieurs fois, par les changements de style, en s'affranchissant des barrières du langage, et en déplaçant l'objet du roman : de la narration des événements à la narration elle-même et aux pensées intérieures des personnages. On y suit les pensées telles qu'elles apparaissent, se transforment. Le roman s'achève par le monologue intérieur de la femme de Léopold, long de 69 pages[2] et découpé en seulement huit paragraphes.

Partie I : La Télémachie

I. L'Aurore

Chapitre I : Télémaque

Résumé

Il est huit heures le 16 juin 1904 lorsque Buck Mulligan, un étudiant en médecine grossier et blasphémateur, commence à se raser en haut de la Tour Martello à Sandycove. Alors qu'il étale la mousse, il commence à discuter avec Stephen Dedalus, un jeune écrivain qui occupe le poste d'enseignant afin de se faire de l'argent. Tous deux contemplent la baie de Dublin devant eux. Malgré les remarques agressives de Mulligan, Stephen lui demande quand Haines, un Anglais venant d'Oxford (il ne fait l'objet d'aucune description), va quitter la tour. Ce dernier avait vociféré toute la nuit dans son sommeil, ce qui avait terrifié Stephen. Mulligan répond vaguement. Il lui reproche alors de ne pas s'être agenouillé devant sa propre mère le jour de sa mort, alors que c'était sa dernière volonté. Stephen tente de se justifier et s'en sort en disant qu'il lui en veut d'avoir parlé de lui comme celui "dont la mère est crevée comme une bête".

La conversation se rompt rapidement et ils descendent rejoindre Haines pour le petit déjeuner. Alors qu'ils sont à table, la laitière frappe à la porte. Il s'ensuit un débat sur l'Irlande. Haines, qui parle l'irlandais, estime que chaque Irlandais devrait le parler aussi. Ils reviennent à table. Stephen explique qu'il doit passer à l'école pour se faire payer, Haines dit qu'il doit passer à la bibliothèque nationale et Mulligan veut aller prendre son bain de mer mensuel.

Plus tard, ils sortent de la tour et descendent le chemin vers la mer. Mulligan explique à Haines que Stephen a démontré "par l'algèbre que le petit-fils d'Hamlet est le grand-père de Shakespeare et qu'il est lui-même le fantôme de son propre père". Ce dernier ne souhaite pas répondre. Alors Mulligan s'éloigne en chantant. Il s'ensuit une discussion sur la religion entre Haines et Stephen.

Mulligan arrive à l'eau et rencontre des connaissances. Il parle d'un certain Bannon et d'une fille qui se révèlera être Molly Bloom, la fille de Leopold Bloom. Stephen se décide à partir pour l'école. Mulligan lui demande les clefs de la tour et de l'argent. Stephen s'exécute, se retourne et s'en va, faisant fi des appels de l'étudiant en médecine. En lui-même, il le traite "d'Usurpateur".

Style

Le style est conventionnel, dans la continuité de son roman précédent. Pour ce chapitre, Joyce parlait d'un « style initial[3] ». Il reflète la personnalité de Stephen selon Stuart Gilbert : « un jeune esthète sérieux et narcissique ». Cependant, on découvre très rapidement les prémices du monologue intérieur de Dedalus.

Analyse

Le premier épisode s'ouvre sur un lever du jour ou plutôt une naissance. C'est la naissance d'un jour nouveau, d'une Odyssée nouvelle. Les couleurs du lever sont le blanc du ciel et l'or du Soleil. Stephen Dedalus, le héros du premier roman de Joyce : Portrait de l'artiste en jeune homme, nous est présenté. Il est âgé de 22 ans et rentre de ses études à Paris. Il a vécu la vie d'un étudiant sans le sou et est aujourd'hui professeur dans une école de garçons. Cet épisode ainsi que les deux suivants sont un pont entre le premier roman de Joyce et Ulysse.

Les allusions à l'Odyssée sont immédiates. Stephen est symboliquement Télémaque. Il habite une tour Martello qui est son Ithaque. Chez lui logent Mulligan, correspondant à Antinoos, l'un des prétendants de Pénélope, et Haines, un autre prétendant. Tout comme Antinoos parlait à Télémaque des décisions de sa mère (notamment sur un second mariage), Mulligan parle à Stephen des dernières volontés de la sienne, lui expliquant qu'il aurait dû l'écouter. Les deux "prétendants" ne semblent pas les bienvenus, surtout Haines. Ils taxent les ressources de Stephen : Mulligan attend son salaire pour aller au pub. On sent qu'ils poussent Stephen dehors et qu'ils s'approprient le lieu (Mulligan demande les clefs). Stephen, tel Télémaque, décide alors de partir de la tour. C'est le départ d'Ithaque, le départ de sa quête.

Il est à la recherche de son "père" (métaphorique) tel Télémaque ou Hamlet, ce qui fait de lui l'héritier : un lien entre le passé et le futur. Il cherche une complétude. C'est en ce sens que Joyce ne donne pas de référence à un organe puisque Stephen n'a pas de corps, il n'est pas "entier".

De plus, Stephen fait partie avec Mulligan et Haines d'une "trinité". Haines est le père (l'Anglais, colonisateur de l'Irlande, donc le maître), Mulligan le fils (l'Irlandais, le colonisé, donc le servant) et Stephen est le "Saint-Esprit" (il est extérieur à cette dualité) donc "non incarné". Mulligan est d'ailleurs traité d'usurpateur par Stephen. Il est le traître qui fait affaire avec les Anglais.
Les allusions au catholicisme sont nombreuses. On peut citer la parodie de messe que donne Mulligan dès les premières lignes de l'épisode. La rivalité entre les Saxons et les Irlandais est assimilable à la rivalité entre Troie et Athènes dont la guerre est la cause du voyage d'Ulysse.

Le passage avec la laitière peut être interprété de deux manières. Sur le plan mythologique, elle est l'incarnation de Mentor, le précepteur de Télémaque. Elle peut être aussi Athéna (Athéna aux yeux de chouette) qui est venue voir le fils d'Ulysse pour l'encourager à aller chercher son père. Joyce insiste sur les perceptions par Stephen du regard de la laitière. Or dans la mythologie, les dieux avaient pour habitude de prendre l'apparence de vieillards. Leur regard était le seul moyen de percevoir leur divin. Sur le plan politique, la laitière est l'Irlande exploitée par Haines/Empire britannique et Mulligan/traître. Stephen est dégoûté par cette soumission.

L'épisode est consacré à l'espace et à la forme : Mulligan "en majesté, dodu", la tour, le soleil, le petit-déjeuner, le "corniaud" (en anglais "dogsbody" proche de "god's body"), les clefs ...

Chapitre II : Nestor

Résumé

Stephen est en train de faire un cours d’histoire sur une des victoires de Pyrrhus Ier. Il fait face à une classe qui semble dissipée et non attentive. Alors qu’il demande à Talbot de lire un extrait du poème « Lycidas » de Milton, Stephen commence à s’interroger sur la rigidité de l’Histoire. Avant la fin du cours, les élèves demandent une histoire. Stephen leur énonce alors une devinette : "Le coq chantait / le ciel était bleu / Les cloches dans les cieux / Les onze coups sonnaient. / L’heure pour cette pauvre âme / D’aller dans les cieux". Devant l’étrangeté de la réponse ("Le renard qui enterre sa grand-mère sous un buisson de houx"), les élèves restent perplexes. Le cours terminé, ils prennent leurs affaires pour aller jouer au hockey dans la cour. Seul l’élève Sargent reste dans la classe pour montrer à son professeur un problème d’arithmétique qu’il avait eu à faire. Une fois que Stephen termine la correction, Sargent file rejoindre ses camarades dans la cour.

Là-bas, Stephen rencontre le directeur de l’école M. Deasy, un vieil homme pro-britannique et antisémite. Celui-ci l’emmène dans son bureau afin de le payer. D’abord seul, Stephen observe le lieu où Deasy a disposé ses pièces de monnaie de collection, des coquillages, des cuillères à l’effigie des apôtres et des portraits de chevaux. Le directeur entre, paie Stephen et lui conseille d’économiser et de faire comme les Anglais : payer son dû et ne jamais emprunter. Cela le laisse sceptique. Puis Deasy demande à Stephen, qui a des relations dans l’édition, s’il peut l’aider à faire paraître dans le journal un article qu’il a rédigé sur la fièvre aphteuse.

Parlant de ses problèmes, Deasy en vient à accuser les juifs disant qu’ils « sucent la vitalité » de l’Angleterre et « qu’ils ont péché contre la Lumière ». Stephen, lui demandant qui n’avait jamais péché, quitte le directeur. Ce dernier le rappelle au milieu de la cour pour ajouter que si l’Irlande n’avait jamais persécuté les Juifs, c’est parce qu’elle ne les avait jamais laissés entrer, puis il fait demi-tour, hilare.

Style

Le style reste là encore conventionnel. Cependant, le monologue intérieur de Stephen se fait de plus en plus présent. Ce monologue se limite toujours au personnage de Dedalus.

Analyse

Dans l’Odyssée, Télémaque part rendre visite à Nestor afin de lui demander conseil. Il rencontre dans le même temps Pisistrate, le fils de Nestor. Nestor est un vieil homme, chef des conducteurs de char et il donne de sages conseils à Télémaque. Le parallèle est ainsi fait entre Mr Deasy et Nestor. L'élève Sargent est Pisistrate, c'est lui que Télémaque rencontre avant d'aller voir Nestor. Stephen a entamé sa recherche et vient voir le directeur. On peut remarquer la référence des portraits de chevaux dans le bureau. C’est en ce sens que le cheval est un symbole de l’épisode. Etant conducteur de char, Nestor est caractérisé dans l'Odyssée comme un "dompteur de chevaux". Cet animal est noble mais il est dressé dans le but de servir l’homme. Ici c’est Stephen qui est « bridé et agité[4] » et qui cherche à se libérer.

Dans cet épisode, l'art mis en avant est l'Histoire. L’accent est mis sur le temps, en opposition avec l’espace. L’Histoire est à tous les niveaux : dans le cours de Stephen, dans les propos de Deasy, les références à la vie du Christ. Dans ses réflexions, Stephen définit l’Histoire comme un outil qui cristallise et organise tous les événements ainsi que les êtres (Jésus marchant sur les eaux n’est limité ni dans le temps ni dans l’espace), cherchant ainsi à limiter ce qui ne peut pas l’être. Pour lui, l’Histoire est « un cauchemar dont [il] essaye de [se] réveiller ». La relativité du temps est marquée par les différences d'âge entre les personnages : Deasy est vieux par rapport à Stephen, lui-même vieux par rapport aux élèves.

Stephen/Télémaque et Deasy/Nestor ont deux conceptions de l'Histoire différentes. Deasy la voit avec une portée téléologique. L'Histoire mène vers une fin : la manifestation de Dieu. Elle est donc déjà totalement fixée aussi bien dans le passé que dans le futur. On le voit par ses croyances qui restent fixes. De même son bureau est rempli de collections d'objets, symboles fixes d'un passé qui ne bouge pas. Au contraire Stephen voit l'Histoire comme un ensemble infini de possibilités dont une seule est gardée pour obtenir une cohérence dans le déroulement des événements. En parlant de la possible défaite de Pyrrhus ou de la possibilité qu'aurait pu avoir César de n'être pas poignardé, Stephen conclut que ces possibilités ont été exclues pour obtenir une cohérence. L'Histoire est donc à actualiser, elle n'est pas fixée mais impermanente et en mouvement. De même Dieu ne se limite pas à la fin de l'Histoire, il est "un cri dans la rue", il est immanent.

Face à l'élève Sargent, la culpabilité de Stephen envers sa mère lui revient. Voyant l'élève, il imagine l'amour maternel qui lui a été donné et, faisant le parallèle avec sa propre mère, il se dit chanceux d'avoir été aimé. Cependant, il reste hanté par sa décision de n'avoir pas respecté ses derniers vœux. Cette culpabilité le poursuivra durant tout le roman.

Dans cet épisode, on touche à deux thèmes centraux chez Joyce qui sont l'exil et le martyr. Un parallèle est fait entre le peuple juif et le peuple irlandais. Stephen est l'opposé de Bloom, qui sera introduit dans le troisième chapitre. Bloom est un juif irlandais qui n'est pas réellement à sa place dans un pays qui n'est pas vraiment le sien tandis que Stephen est un Irlandais qui n'est pas réellement à sa place dans une Irlande colonisée qui est vraiment son pays. Pour Joyce, tout homme est un être qui n'est pas tout à fait à sa place. L'Irlande est oppressée par l'Empire tout comme le peuple juif est oppressé par les antisémites. Cela se voit dans la morale donnée à Deasy concernant les finances. De même les élèves vont jouer au hockey, jeu imposé par les Britanniques.

Le thème de la femme comme source du péché dans le monde est introduit par Deasy. Après avoir fait allusion au péché de la pomme commis par Ève, il fait un parallèle entre la cause de la Guerre de Troie qui est l'enlèvement d'Hélène par Pâris et Kitty O'Shea qui selon lui a fait tomber l'Irlande aux mains des Britanniques. Kitty O'Shea fait donc référence à Hélène dans ce chapitre.

Chapitre III : Protée

Résumé

Stephen Dedalus a quitté l'école et se promène sur la plage de Sandymount Strand. Il fait une pause avant d'aller déposer le papier que lui a confié Mr Deasy et d'aller rejoindre Mulligan et Haines dans un pub, Le Ship, à midi et demi.

Nous suivons les réflexions de Dedalus sur des sujets très divers. Ses pensées vont et viennent au rythme des vagues. Il voit deux "frauenzimmer". Il observe les coquetiers. Il se demande s'il doit aller rendre visite à sa tante puis s'imagine la scène comme s'il le faisait. Puis il voit un couple accompagné d'un chien. Celui-ci trouvera sur le sable la charogne d'un autre chien avant de se faire rappeler à l'ordre par son maître. Dedalus sort ensuite le papier que lui a donné Deasy, il en déchire un bout pour écrire les première lignes d'un poème. Il repense à sa vie d'étudiant lorsqu'il était à Paris.

Il finit par s'allonger sur les rochers avant d'aller uriner derrière eux. Après cela, il pose une crotte de nez contre un rocher et, en quittant la plage, il voit derrière lui un trois-mâts rentrer au port, remontant le courant.

Style

Stephen Dedalus est pour la première fois seul tout au long de l'épisode. Son monologue intérieur est omniprésent et les passages narratifs sont très brefs. Sur ce chapitre, William Tindall a dit : "Nous nous trouvons en train de regarder l’esprit d’un poète-philosophe, un esprit riche, savant et allusif, qui nous dépasse toujours un peu." La technique du courant de conscience est ici largement employée par Joyce.

Analyse

Le titre de l'épisode est Protée. Dans l'Odyssée, Télémaque, après avoir demandé conseil à Nestor, va voir Ménélas, le mari d'Hélène. Celui-ci a aussi perdu la trace d'Ulysse après la fin de la guerre de Troie. Ménélas raconte alors à Télémaque comment il a poursuivi Protée, le Dieu de la Mer, qui change sans arrêt de forme. Si Ménélas l'a suivi, c'est parce que seul le Dieu pourra lui dire quel chemin prendre pour retourner chez lui. Ménélas a réussi à le trouver, il s'est fait expliquer comment rentrer et il a appris qu'Ulysse était retenu sur l'île de Circé. Il y a aussi une référence à la mythologie irlandaise puisque les vagues représentent aussi Mananaan McLir, le Dieu Irlandais de la Mer, qui possède le même don de métamorphose que Protée.

Dans l'épisode, la question de Stephen n'est pas tant de savoir où est son père, mais qui est son père. Il est toujours à la recherche de son père spirituel. Il se demande qu'est-ce qu'il penserait s'il allait rendre visite à sa tante. Il tente de comprendre la nature de la réalité, il veut trouver l'essence des choses, l'au-delà de la "substance". Cette quête est un voyage et il a besoin d'être guidé, c'est Protée qui va jouer ce rôle.

Les métamorphoses de Protée qui sont importantes dans l'épisode. Le symbole en est la marée. Elle représente le flux, le changement, l'instabilité ... Tout comme l'apparence de Protée, l'ensemble de l'épisode est instable : les pensées de Stephen, les déplacements du chien, la mer, le sable, les sage-femmes, les cardiidae ... Stephen va aller uriner, puis déposer une crotte de nez : le corps est lui aussi en perpétuel mouvement, en pleine instabilité.

Cependant, la marée introduit aussi l'idée du mouvement perpétuel, illustrant les transformations infinies de la vie mais aussi la cyclicité des évènements comme le fait que tout le monde est relié à ces ancêtres par un cordon ombilical. Tel le reflux, les idées de Stephen fusent, sans cohérence entre elles. Elles sont insaisissables telles les vagues.

La couleur de l'épisode est le vert qui se retrouve dans tous les éléments. C'est d'abord la couleur de la mer qui est "vert morve". C'est aussi celle des algues, des plantes et des arbres. Elle est aussi la couleur des feuilles sur lesquelles Stephen écrit, la couleur de l'urine ou celle de sa crotte de nez.

L'art de l'épisode est la philologie, science du langage. Celle-ci change en permanence dans le roman. Les mots sont malmenés par l'esprit de Stephen. Il utilise aussi de nombreuses langues différentes : le français, l'allemand, l'italien, le latin. Le langage n'appartient pas qu'aux Hommes, la nature le possède aussi. La mer possède le sien, tout comme l'urine : "Mieux vaut en terminer rapidement avec cette besogne. Écoute : discours de l’onde en quatre mots : siissouhh, hrss, rssiiess, ouhhhs. Souffle véhément des eaux au milieu des serpents de mer, des chevaux cabrés, des rocs. Dans les cuvettes des rochers ça ressort : coule, sort, saoule… Puis, tari, son discours s’épuise" (p.76). Stephen ajoute : "Ce sable pesant est un langage que vents et marées ont déposé ici". Tout a donc un langage pour lui, il suffit d'écouter la nature.

Après un premier épisode associé à l'espace et un second associé au temps, ce dernier épisode de la première partie est une synthèse associée à l'espace temps ou au temps espace. Stephen a de longues réflexions sur l'espace et le temps et deux mots lui viennent à l'esprit : "Nacheinander" qui signifie une chose après l'autre (temporalité) et "Nebeneinander" qui signifie une chose à côté de l'autre (spatial). La séparation, la différence découlent du temps et de l'espace. Nous sommes séparés de nos ancêtres par le temps et de ceux de notre génération par l'espace : nous sommes uniques dans le présent.

En plus d'être séparé, chaque être est limité. Stephen tourne ses pensées sur ce que les yeux peuvent voir et ne pas voir. Il remarque que ce qui est vu est limité. Il prend pour exemple Aristote qui expliquait que les couleurs rendaient les choses visibles. Seulement il a été montré que ce sont des ondes lumineuses qui sont perçues par nos yeux et donc la perception d'un objet n'est qu'une représentation de l'esprit. Il faut donc passer par la forme, pour tester la réalité solide d'un objet. La perception du "moi" est donc une limite pour trouver l'essence des choses qui est la quête de Stephen. Il ferme les yeux et tente de voir par ce moyen. Il se fait aveugle, condition qui est la sienne à ce moment de son voyage.

Si les êtres sont limités et séparés, ils sont tout de même interconnectés dans un système infini. Alors que Stephen voit une sage-femme et se dit qu'elle a dans son sac un "résidu de fausse couche traînant son cordon ombilical" (page 58), il s'imagine que les cordons ombilicaux forment une chaîne qui nous relie tous au passé. Ainsi pour être comme des dieux, il suffit de regarder son nombril, trace de l'éternité chez chacun. Puis, divaguant, il compare le téléphone au cordon ombilical. Il pense alors : "Allô! Kinch à l’appareil. Passez-moi Édenville. Aleph, alpha : zéro, zéro, un". Le cordon du téléphone nous relie à Adam et Ève. Il cherche à joindre Edenville, mot proche de l'Eden. À noter que l'Aleph est la première lettre de l'alphabet hébraïque (Bloom est juif) et l'Alpha est la première lettre de l'alphabet grec (Dedalus se réfère à Dédale, l'architecte du Labyrinthe).

Le chapitre finit sur une prémonition : Stephen se rappelle qu'il a rêvé d'un homme oriental rencontré dans la "rue des catins" qui l'invite à entrer. Cet homme est Bloom que Stephen rencontrera plus tard.

Partie II : L'Odyssée

II. La Matinée

Chapitre IV : Calypso

Chapitre V : Les Lotophages

Chapitre VI : Hadès

Chapitre VII : Éole

Chapitre VIII : Les Lestrygons

Chapitre IX : Charybde et Scylla

Chapitre X : Les Rochers Errants

Chapitre XI : Les Sirènes

Chapitre XII : Les Cyclopes

Chapitre XIII : Nausicaa

Chapitre XIV : Les Bœufs du Soleil

Chapitre XV : Circé

Partie III : Le Nostos

Chapitre XVI : Eumée

  • Scène : Le Refuge
  • Heure : Une Heure
  • Organe : Les Nerfs
  • Couleur : Aucune (Blanc laiteux)
  • Science, Art : Navigation
  • Personnages : Eumée - Télémaque - Ulysse - Le mauvais berger - Odysseus Pseudangelos (Ulysse, le faux messager)
  • Correspondance :
    • Eumée - La peau de la chèvre
    • Le marin - Odysseus Pseudangelos
    • Mélanthios - Corley
  • Technique : Prose détendue - Narratif (vieux)
  • Symbole : Marins
  • Sens : L'embuscade à la maison

Chapitre XVII : Ithaque

Chapitre XVIII : Pénélope

Analyse de l'œuvre

Ulysse est une œuvre somme, très savante, parodie des épisodes d'Ulysse par des descriptions très basiques et précises des moments de la vie quotidienne, ainsi que du flux des pensées qui en découle chez les différents personnages. Ces descriptions tentent en effet de capturer « ce qu'est la vie » dans le contexte de la modernité du début du XXe siècle.

James Joyce a choisi de narrer un jeudi car c'est le jour de Jupiter dont un symbole est le tonnerre, que Joyce assimile à un appel divin et qui va effectivement se faire entendre aux premières heures de la nuit. La raison pour laquelle Joyce a choisi cette date du 16 juin 1904, alors qu'il n'a séjourné dans la tour Martello qu'en septembre 1904, est évidemment liée à la personne qui a eu le plus d'influence sur sa vie et son œuvre : sa future compagne Nora Barnacle, qu'il avait abordée six jours plus tôt, le 10 juin 1904.
Joyce a donné quelques clés de lecture de son œuvre dans le Schéma Linati. C'est un tableau à plusieurs entrées qui donne les différentes références auxquelles font allusion les épisodes du roman.

Traductions françaises

La première traduction

La première traduction française a été commencée dès 1924 et fut faite par Auguste Morel, assisté par Stuart Gilbert et entièrement revue par Valery Larbaud et James Joyce[5]. La traduction a été publiée par La maison des Amis des Livres d'Adrienne Monnier en 1929[6] et c'est ce même texte qui a été repris en 1995 pour le second volume des Œuvres de Joyce dans la Bibliothèque de la Pléiade[7].

La 2004 traduction

La nouvelle traduction, qui est seulement la seconde du roman, date de 2004. Elle a été proposée par les éditions Gallimard à l'initiative de Stephen James, Solange Joyce et Antoine Gallimard.

Les arguments pour une nouvelle traduction

Les auteurs de la nouvelle traduction offrent plusieurs raisons pour ce travail. Tout d'abord, la traduction d'Auguste Morel était très proche dans le temps de la parution d'Ulysse. Une telle proximité peut être une source de défauts ou empêcher de saisir toute la complexité de l'œuvre. De fait, près d'un siècle d'études sur le roman, le texte et son histoire, a permis de faire surgir de nombreux échos, références et résonances qui, selon les auteurs de la nouvelle traduction, avaient échappé à la première traduction.

De plus, tout travail littéraire portant la marque d'une langue, d'une esthétique ainsi que d'une idéologie à une époque donnée, une nouvelle traduction permettait une meilleure perception des innovations présentes dans la narration de Joyce.

Enfin, les auteurs de la nouvelle traduction estimaient qu'une nouvelle traduction était nécessaire pour respecter autant que possible l'ordre des mots dans la phrase de Joyce pour faire ressortir plus en profondeur la musicalité de son texte[8]. En effet, l'écrivain donne priorité aux sensations des personnages afin d'approcher au maximum "l'effet de réalité". Les mots sont alors malmenés pour correspondre totalement aux pensées des personnages, ce qui donne une quantité de mots-valises. La musicalité possède une place également très importante. Les onomatopées sont utilisées fréquemment, un rythme est donné aux phrases, la ponctuation est elle aussi malmenée afin de coller au rythme. De nombreuses références à la musique, au music-hall ou encore à l'opéra parsèment l'œuvre.

Des traducteurs

Parlant de son roman, Joyce déclarait qu'il l'avait écrit de dix-huit points de vues différents qui sont autant de styles différents. Cela a donc favorisé un travail de traduction collectif. Ce travail à plusieurs possède l'avantage de donner au livre une résonance multiple et donc d'éviter une traduction trop personnelle.

Une équipe de huit traducteurs s'est donc composée de la sorte :

  • Trois écrivains
    • Tiphaine Samoyault
    • Patrick Drevet
    • Sylvie Doizelet
  • Un traducteur littéraire
    • Bernard Hoepffner
  • Quatre universitaires familiers de l'œuvre de Joyce
    • Marie-Danièle Vors
    • Pascal Bataillard
    • Michel Cusin
    • Jacques Aubert

Jacques Aubert était aussi chargé de la coordination ainsi que de l'harmonisation des travaux individuels.

Il est à noter que la traduction d'Auguste Morel avec la participation de Stuart Gilbert et Valery Larbaud a été gardée pour l'épisode des "Bœufs du Soleil".

Citations

  • "Monsieur Leopold Bloom se régalait des entrailles des animaux et des volatiles. Il aimait une épaisse soupe d'abats, les gésiers au goût de noisette, un cœur farci rôti, des tranches de foie panées frites, des laitances de morue frites. Plus que tout il aimait les rognons de mouton grillés qui lui laissaient sur le palais la saveur légèrement acidulée d'un délicat goût d'urine."
  • "L'instinct, c'est comme cet oiseau qui mourait de soif et qui a pu boire l'eau de la cruche en jetant des cailloux dedans."
  • "C'est décourageant le sable. Rien n'y pousse. Tout s'y efface."
  • "Le sentimental est celui qui voudrait le profit sans assumer la dette accablante de la reconnaissance."
  • "Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d'art, c'est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir."
  • "Le fromage fait tout digérer, sauf lui-même."
  • "L'homme et la femme, l'amour, qu'est-ce ? Un bouchon et une bouteille."
  • "Tout est trop cher quand on n’en a pas besoin."
  • "Voilà ce qui fait le bon commerçant. Il vous fait acheter ce qu'il a besoin de vendre."
  • "L’histoire est un cauchemar dont je cherche à m’éveiller."
  • "Tous les jours rencontrent leur fin."
  • "Dieu a fait l'aliment ; le diable, l'assaisonnement."
  • "C'est pourquoi, qui que tu sois, ô homme, considère ta fin qui est la mort, laquelle a prise sur tout homme né de femme, car de même qu'il sort nu du ventre de sa mère ainsi s'en retournera-t-il nu à son heure dernière afin de partir comme il est venu."

Notes et références

  1. in Les textes maudits, Hors Série Le Point n°21, Janvier-Février 2009
  2. Dans l'édition folio n°4457, chapitre allant de la p.1089 à la p.1157
  3. Lettre à Harriet Shaw Weaver
  4. dixit Stuart Gilbert
  5. http://library.buffalo.edu/pl/exhibits/joycebloomsday/caseXII/index.html
  6. Gallimard - Ulysse de James Joyce
  7. Ulysse, folio n°4457, p.1161
  8. Ulysse, folio n°4457, postface p.1162 à 1165

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Ulysse (roman) de Wikipédia en français (auteurs)

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