- Narcissisme
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Le narcissisme est le fondement de la confiance en soi. Lorsqu'il est défaillant, le terme peut désigner l'importance excessive accordée à « l'image » de soi. Le dictionnaire commun le définit comme « contemplation de soi ou attention exclusive portée à soi ». Sigmund Freud a introduit cette notion en 1914 dans sa métapsychologie. Alors qu'il a un sens bien précis en psychanalyse, comme point de départ de la seconde topique, il est aussi utilisé de manière plus générale et plus floue dans d'autres disciplines. Le terme est aussi employé dans le langage sociologique et comme entité dans le manuel behavioriste de classifications psychiatriques : le DSM.
Sommaire
Le narcissisme chez Freud
Freud a introduit le concept. Il parle de narcissisme primaire sain, pour désigner une période de l'enfance où le bébé investirait préférentiellement sa personne, encore peu différenciée de celle de l'autre. Ce narcissisme primaire est actuellement vu comme une fiction théorique qui a donné lieu à nombre de débats (cf. les écrits de Jean Laplanche, etc.). Le « narcissisme secondaire » désignerait un investissement libidinal de soi qui se fait au détriment de l'investissement libidinal de l'autre. Il repose sur un moi différencié, ce qui le distingue du « narcissisme primaire ». Dans les cas les plus graves, cet investissement se fait en circuit fermé. Freud pensait que la schizophrénie était un trouble du narcissisme.
- Lou Andreas-Salomé a souhaité valoriser le bon côté du narcissisme : « Le narcissisme au sens créateur n'est plus un stade à franchir, c'est plutôt un accompagnement durable de toutes les expériences profondément vitales - d'une part toujours présent, de l'autre encore très au-delà de toutes les possibilités de creuser, à partir de notre conscience, divers stades de notre inconscient » [1].
Narcisse dans la mythologie
Ce terme provient du mythe grec de Narcisse.
Dans la mythologie grecque, Narcisse était un jeune homme dont s'éprit la nymphe Écho. Comme Écho ne savait que répéter la dernière syllabe des mots qu'elle entendait, elle fut incapable de lui exprimer son amour. À défaut de pouvoir lui parler, pour entrer en contact avec lui, elle voulut le toucher. Après qu'il eut repoussé ses avances, elle mourut. Face à cette impossible communication, Narcisse se croit indigne d'amour et incapable d'aimer. Il vint près d'une source limpide et pure pour apaiser sa soif. En regardant le reflet de son visage il s'extasie devant lui-même ; (...) il admire tout ce qui le rend admirable. Sans s'en douter, il se désire lui-même ; il est l'amant et l'objet aimé (...)."(3) Désespéré de ne pouvoir assouvir son amour, de l'impossible étreinte, Narcisse dépérit et mourut. Il est alors transformé en un narcisse, la fleur qui porte son nom. Il est important de se rappeler que Narcisse est né de l'inceste (viol) de sa mère par le fleuve Céphise, ce qui restitue l'effraction traumatique et le vide symbolique aux sources de la dérive existentielle du jeune homme.
Narcissisme et société moderne
Le concept de narcissisme est investi par plusieurs auteurs pour décrire l'évolution récente des sociétés contemporaines. Christopher Lasch centre ses interrogations sur les évolutions de la société américaine sur la question du narcissisme[2]. Dans une perspective anthropologique, Pierre Legendre, construit sa critique des processus à l'œuvre dans les sociétés ultramodernes autour du développement du narcissisme : autofondation du sujet, abolition du discours de la limite, destitution des figures séparatrices de l'autorité. Comme il l'écrit :
« Ainsi la fonction sociale de l’autorité a-t-elle pour visée un désenlacement, d’infliger au sujet qu’il renonce au totalitarisme, à sa représentation d’être tout, c'est-à-dire en définitive de le limiter » (Leçons VI, 1992, p. 52).
Une telle analyse permet par exemple de porter le regard sur des phénomènes emblématiques de nos sociétés urbaines :
« Si la notion de narcissisme social a un sens, cela comporte que la question du père se trouve posée d’emblée, à cette même échelle de la culture et de la société. Posée, mais comment, sur quel mode ? Je dirai : sur le mode de l’image et de la symbolisation de l’image. Un exemple va le faire comprendre : les « tags », ces inscriptions murales désordonnées, qui sont à la fois essais et déchets esthétiques dans les sociétés occidentales d’aujourd'hui. Que font les jeunes taggers ? Ils inscrivent une énigme, l’énigme de leur demande, de cette demande de séparation qui constitue la créance généalogique de tout sujet ; mais ils l’inscrivent comme demande non fondée, désespérée donc et condamnée par avance. Les laissés-pour-compte de la symbolisation symbolisent ainsi leur position, qu’il faut bien appeler légale, de déchet, en l’inscrivant partout, sur les murs et les objets en représentation de cette légalité de la demande dont ils sont bannis. À la manière des condamnés de la Colonie pénitentiaire décrite par Kafka, sur la peau desquels était tatouée leur sentence de condamnation, les taggers recouvrent les murs, cette peau de la ville, d’un tatouage : la société ultramoderne porte le tatouage de la condamnation du Père » (Leçons VI, p. 205).
Dans les classifications psychiatriques du DSM
Le DSM est une classification critiquée par nombre de psychiatres et de psychanalystes. Par exemple, le professeur E. Zarifian : « Le symptôme est apparemment univoque pour celui qui ne le considère que d'une manière comptable ; et c'est à cette dimension comptable que conduit l'usage du DSM. La situation devient caricaturale : on réduit la souffrance d'un être unique à un symptôme, décrit dans un catalogue et on ignore son contexte social ou personnel » [4]. Ce que confirme Daniel Lemler : « Voilà le DSM promu en nosologie psychiatrique, promotion orchestrée en grande partie par les laboratoires pharmaceutiques »[5].
Bibliographie
- Sigmund Freud
- Pour introduire le narcissisme (1914)
- Le Moi et le ça (1922)
- Bela Grunberger et collectif : Le Narcissisme, l'amour de soi, Sand & Tchou, 1997, ISBN 2-7107-0599-0
- Bela Grunberger : Le narcissisme, Payot, 2003, ISBN 2-228-89772-8
- Cléopâtre Athanassiou-Popesco : Le narcissisme de soi à l'autre, Delachaux et Niestlé, 2003, ISBN 2-603-01256-8
- René Roussillon : Agonie, Clivage et Symbolisation, PUF, 1999, ISBN 2-13-050407-8
- Alberto Eiguer : Du bon usage du narcissisme, Bayard, 1999, ISBN 2-227-13766-5
- Christopher Lasch : La culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances (1979), trad. franç. Michel L. Landa, éd. Climats, 2000, 333 p. ISBN 2 84158 139 X
- Pierre Legendre : Leçons VI. Les enfants du Texte. Étude sur la fonction parentale des États, Fayard, 1992, 470 p. ISBN 2-213-02794-3
Articles connexes
- Sigmund Freud
- Égocentrisme
- Mégalomanie
- Psychanalyse
- Perversion narcissique
- Névrose narcissique (psychologie)
- Nombre narcissique (mathématiques)
Notes et références
- L. Andreas-Salome,A l'école de Freud, journal d'une année 1912-1913, Mercure, p. 72.
- Il en fera un ouvrage, intitulé La culture du narcissisme; publié aus États-Unis en 1979, il sera traduit en français en 2000 et publié aux éditions Climats.
- Référence pour la liste ci-après : American Psychiatric Association, DSM-IV Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : Le sujet (homme ou femme) a un sens grandiose de sa propre importance. Il surestime ses réalisations et ses capacités, s'attend à être reconnu comme supérieur sans avoir accompli quelque chose en rapport.
- Libération, mardi 16 janvier 1996.
- D. Lemler, Répondre de sa parole, Erès, 2011, p. 138.
Lien externe
La psychopathologie en question
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