Socialisme nazi

Socialisme nazi

National-socialisme et socialisme

La question des relations, voire d’une parenté entre national-socialisme et socialisme a provoqué des polémiques depuis l'origine du national-socialisme. Au-delà de la polémique, cette question relève de la science politique et de l’histoire.

La question a ainsi été soulevée dans les années 1940 compte tenu de l'utilisation du mot « socialisme » par les nazis (et souvent en lui donnant des sens très divers, lire plus bas sur la polysémie du mot pour les nazis). Des socialistes ont alors montré le caractère fallacieux de l'utilisation du mot socialisme par le nazisme (par exemple, lire plus bas les textes des résistants communistes français Gabriel Péri et de Georges Politzer). En revanche, à la même époque, l'économiste libéral austro-américain Friedrich Hayek (La Route de la servitude, chapitre XII, 1943) attribue des racines en partie socialistes au nazisme.
Dans les années 1950, des penseurs comme Hannah Arendt (Les Origines du totalitarisme, 1951) ont tracé des parallèles entre le régime stalinien et le régime nazi, sans que cela porte cependant sur l'idéologie socialiste. Le débat a été repris dans des travaux contemporains controversés, comme ceux de François-Georges Dreyfus, Ernst Nolte ou Jean-François Revel.
L'historien spécialiste du nazisme Ian Kershaw rappelle que le nazisme fait partie des « mouvements extrémistes antisocialistes »[1].

Le nazisme au pouvoir a violemment réprimé tous les socialistes dès 1933, enfermant les militants du SPD, KPD, SAP et KPO dans les premiers camps de concentration. Les livres des principaux théoriciens socialistes étaient interdits et brûlés par les nazis. Les divers courants socialistes ont été très actifs au sein de la Résistance allemande au nazisme.

Sommaire

Approche historique

La question de l’existence ou non d’une « parenté » entre socialisme et national-socialisme a été envisagée sous plusieurs aspects.

L'origine du national-socialisme (1920)

Le mot « national-socialisme »[2], la formation du premier parti nazi en 1919 en tant que Parti ouvrier allemand (DAP en allemand), posent la question d'éventuels liens originels avec le socialisme (voir par exemple l'affirmation de Bernard-Henri Lévy dans Le Testament de Dieu[3]). La question peut être abordée sous trois angles : les éventuelles filiations structurelles, l'origine politique des premiers membres, les éventuelles filiations idéologiques, en particulier à travers l'étude des programmes politiques.

Sur le plan structurel

Le DAP allemand (1919)

Créé ex nihilo en 1919, le DAP ne dérive pas des organisations socialistes existantes mais est issu des mouvements nationalistes, on le voit à travers trois éléments :

Les historiens replacent la création du parti nazi dans une politique des milieux pangermanistes réactionnaires de prendre le contrôle des ouvriers allemands au détriment du puissant Parti social-démocrate. Pour l’historien communiste est-allemand Kurt Gossweiler, « le but déclaré de l’autre faction de la bourgeoisie (NB : la tendance dure représentée par l’industrie lourde et les grands propriétaires terriens, les Junkers) était la soi-disant « nationalisation » des travailleurs allemands et leur « libération » de leurs dirigeants sociaux-démocrates, comme on disait dans leur terminologie. » [4]. D’où plusieurs tentatives citées par Gossweiler : le Parti de la patrie allemande (Deutschen Vaterlandspartei, DVLP, 1917-1918), le Comité libre pour une paix ouvrière allemande (1917) (Anton Drexler, futur fondateur du parti nazi DAP en 1919, membre du DVLP en 1917, créa un comité ouvrier libre pour une bonne paix à Munich), le Parti allemand des ouvriers et employés (Deutsche arbeiter und angestellten partei, DAAP, 1918-1920), puis le parti nazi DAP (1920).

Les historiens soulignent le rôle direct de l’organisation nationaliste Société de Thulé : « Créé à Munich au tournant de l’été 1917-1918 (la Société de Thulé) était l’émanation du German Orden fondé à Leipzig en 1912 afin de regrouper divers petits groupes et organisations antisémites. La liste de ses adhérents, où l’on trouve, aux côtés de Lehmann, l’ « expert en économie » Gottfried Feder, le publiciste Dietrich Eckart, le journaliste et cofondateur du DAP Karl Harrer et les jeunes nationalistes Hans Frank, Rudolf Hess et Alfred Rosenberg, se lit comme un who’s who des premiers sympathisants et personnalités nazis de Munich » [5].

Les historiens soulignent aussi le rôle d’éléments ultra-nationalistes de l’armée dans le démarrage du parti nazi : s’il fut préservé d’un échec précoce, « il le dût avant tout à quelques officiers du détachement bavarois de la Reichswehr, stationné à Munich, et en particulier au dirigeant de la section de renseignement, le capitaine Karl Mayr [6] et au capitaine Ernst Röhm, officier d’état major du chef d’infanterie de la division bavaroise, le chevalier von Epp. » [7]. Karl Mayr « voulait faire du parti national ouvrier une forte troupe d’assaut pour le combat contre la République » et c’est pourquoi « il envoya quelques-uns de ses protégés, parmi lesquels Adolf Hitler. »[8].

Le Parti ouvrier allemand de Bohême (1904)

Le parti Parti ouvrier allemand de Bohême (très antérieur au DAP munichois) est quant à lui organiquement issu d’organisations socialistes et syndicales au sein de l'Empire autrichien : "Syndicats et partis se scindèrent en des formations tchèques et allemandes : en 1898, naquit un Parti national-socialiste ; en 1904, le Deutsche Arbeiterpartei (DAP) vit le jour à Trautenau, appuyé sur les syndicats allemands réunis en une Commission centrale des associations syndicales allemandes ; un tiers de celles-ci adhéraient au DAP. Ses membres étaient des employés de commerce, des ouvriers, des mineurs et des cheminots dont une partie avait auparavant soutenue les sociaux-démocrates."[9]. En 1910, son chef, Walter Riehl, était venu du SPD[10]. Le DAP de Bohême se rebaptisera Deutsche nazionalsozialistische Arbeiterpartei (DNSAP) en 1918, soit avant même la fondation du DAP-NSDAP. Les deux partis entretiendront ensuite des liens.
Au sujet du DAP de Bohême : « Il eut des contacts avec le mouvement de Hitler au début des années 1920 mais en 1923 celui-ci avait assis sa suprématie et, en 1926, Hitler fut reconnu comme le seul chef des 2 sections, autrichienne et allemande, du NSDAP nouvelle mouture »[11]

L'historienne Marlis Steinert considère que "beaucoup de thèmes de la Weltanschauung nazie sont donc déjà présents et largement répandus en Autriche pendant l'enfance et la jeunesse d'Adolf Hitler. Il les a perçus et intériorisés pour pouvoir, au moment voulu par l'histoire, amalgamer ce "modèle autrichien" avec les idéologies héritées du IIe Reich."[12]. Le DAP de Bohême sera l'origine du parti nazi des Allemands des Sudètes.

Sur le plan des hommes

Les historiens disent peu de chose des tous premiers membres du parti nazi DAP, hormis concernant les deux fondateurs, l'ouvrier Anton Drexler et le journaliste nationaliste Karl Harrer, avant l'arrivée de Hitler (55e membre du parti). Ils évoquent généralement le parcours des premières personnalités du parti à partir du moment où Hitler commence à y avoir de l'influence (fin 1919-début 1920). Le profil est alors majoritairement celui de nationalistes, même si quelques personnes de tendance socialiste sont présentes.

Les premiers nazis signalés comme étant passés par la mouvance socialiste sont :

  • Hermann Esser, premier chef de la propagande du DAP et l’un des principaux premiers compagnons d’Hitler : « excellent orateur, il contribua largement au succès du NSDAP. » [13]. Il était à l'origine social-démocrate : « En 1919, il avait collaboré au journal social-démocrate « Allgauer Volkswart » à Kempten »[14]. Il sera sous-secrétaire au Tourisme du Reich (1939-1945).
  • Gottfried Feder, le mentor d’Hitler en matière d’économie. Selon l'historien Ian Kershaw, Feder « avait adressé au mois de novembre précédent (NB : 1918) un exposé de ses idées au gouvernement socialiste dirigé par Kurt Eisner [15]. En 1919, il avait écrit un manifeste contre l'esclavage du taux d'intérêt ("Brechung der Zinsknechtschaft"). Il demandait la nationalisation des banques et l'abolition de l'intérêt. En 1933, Hitler le nomme sous-secrétaire au ministère de l'Économie.
« Der Nationalsozialismus ist eine Weltanschauung, die in schärfster Opposition zu der heutigen Welt des Kapitalismus und seiner marxistischen und bürgerlichen Trabanten steht. »

— Gottfried Feder, Das Programm der NSDAP und seine weltanschaulichen Grundgedanken, 1927

  • Selon certains historiens (Ian Kershaw), Adolf Hitler lui-même aurait brièvement appartenu à des dissidents de l'USPD ou aurait pu avoir adhéré au SPD, mais il s'agissait certainement, selon eux, d'un engagement tactique et non de conviction[16].

Même peu nombreux, les anciens socialistes présents au NSDAP ont cependant eu une influence prépondérante sur le Programme en 25 points rédigé par Adolf Hitler, Anton Drexler, Gottfried Feder, Dietrich Eckart, adopté le 24 février 1920 et déclaré intangible en 1926[17]. Ce programme ne contient ni le mot socialisme, ni le mot capitalisme, et « seuls les thèmes d'opposition (contre Versailles, contre les "criminels de novembre", contre les juifs, etc.) y sont formulés avec clarté. [...] l'idéologie nazie est un catalogue de rejets »[18].

Cependant, les personnes ayant quitté la mouvance socialiste sont minoritaires au sein du premier cercle dirigeant du DAP et NSDAP. Le profil petit bourgeois nationaliste domine statistiquement[réf. souhaitée].

De surcroît le NSDAP va vite "s'embourgeoiser" (selon les termes d'historiens) : fin 1919, « peu à peu, le public qui participe à ces réunions se modifie, il s’embourgeoise : les ouvriers ne représentent plus qu’un tiers de l’auditoire. »[19]. (cf. aussi statistique sociologique des morts du parti lors du putsch de la brasserie de 1923).

Sur le plan des idées

Si l'on s'en tient aux seules questions économiques et sociales, les rapports entre socialisme et national-socialisme peuvent être examinés :

  • à partir du programme du parti nazi de 1920.
  • à partir de certains courants du socialisme allemand, à travers l'existence de certains rapprochements de socialistes avec le nationalisme.
Le programme en 25 points du parti nazi

Plusieurs des 25 points du programme peuvent être considérés comme consacrés à des questions économiques et sociales, au sens large :

  • 7 : Nous demandons que l'État s'engage à procurer à tous les citoyens des moyens d'existence. Si ce pays ne peut nourrir toute la population, les non citoyens devront être expulsés du Reich.
  • 10 : Tous les citoyens doivent avoir des droits égaux et des devoirs égaux.
  • 11 : Nous demandons la suppression du revenu des oisifs et de ceux qui ont la vie facile, la suppression de l'esclavage de l'intérêt.
  • 12 : Considérant les énormes sacrifices de sang et d'argent que toute guerre exige du peuple, l'enrichissement personnel par la guerre doit être stigmatisé comme un crime contre le peuple. Nous demandons donc la confiscation de tous les bénéfices de guerre, sans exception.
  • 13 : Nous demandons la nationalisation de toutes les entreprises appartenant aujourd'hui à des trusts.
  • 14 : Nous demandons le partage des bénéfices des grandes entreprises.
  • 15 : Nous demandons une augmentation substantielle des pensions des retraités.
  • 16 : Nous demandons la création et la protection d'une classe moyenne saine, la remise immédiate des grands magasins à l'administration communale et leur location, à bas prix, aux petits commerçants. La priorité doit être accordée aux petits commerçants et industriels pour toutes les livraisons à l'État, aux Länder ou aux communes.
  • 17 : Nous demandons une réforme agraire adaptée à nos besoins nationaux, la promulgation d'une loi permettant l'expropriation, sans indemnité, de terrains à des fins d'utilité publique, la suppression de l'imposition sur les terrains et l'arrêt de toute spéculation foncière.
  • 18 : Nous demandons un combat sans merci contre dont les activités nuisent à l’intérêt commun. Les "coupables de crimes contre le peuple" (Volksverbrecher), les usuriers, les fraudeurs, etc. doivent être condamnés à mort sans qu’il soit tenu compte de leur confession ou de leur race.
  • 20 : L'extension de notre infrastructure scolaire doit permettre à tous les Allemands bien doués et travailleurs l'accès à une éducation supérieure, et par là à des postes de direction. Les programmes de tous les établissements d'enseignement doivent être adaptés aux exigences de la vie pratique. L'esprit national doit être inculqué à l'école dès l'âge de raison (cours d'instruction civique). Nous demandons que l'État couvre les frais de l'instruction supérieure des enfants particulièrement doués de parents pauvres, quelle que soit la classe sociale ou la profession de ceux-ci.
  • 21 : L'État doit se préoccuper d'améliorer la santé publique par la protection de la mère et de l'enfant, l'interdiction du travail de l'enfant, l'introduction de moyens propres à développer les aptitudes physiques par l'obligation légale de pratiquer le sport et la gymnastique, et par un puissant soutien à toutes les associations s'occupant de l'éducation physique de la jeunesse.[20]).

Ces points laissent entrevoir des préoccupations sociales compatibles le capitalisme, et favorisant une classe moyenne de petits propriétaires au détriment du grand capitalisme. L'aile « socialiste » du parti tentera d'imposer un nouveau programme plus social en 1925-1926, mais Hitler proclamera ce programme "intangible" au congrès de Bamberg en 1926. Les rares mesures pouvant être communes avec des revendications socialistes sont en fait très largement répandues dans des programmes électoraux, comme l’« augmentation substantielle des pensions des retraités » (point 15), par exemple[réf. nécessaire].

Les rapprochements nationalisme/socialisme antérieurs en Allemagne

Des rapprochements entre certains éléments du socialisme et le nationalisme sont apparus en Allemagne avant l'apparition du DAP.

Les révisionnismes de la social-démocratie

Au sein de la social-démocratie allemande s'étaient développés différents courants de pensée amenant à concevoir un rapprochement entre socialisme et nationalisme :

    • Un socialisme étatique autoritaire symbolisé par la convergence entre Ferdinand Lassalle, fondateur historique de la sociale-démocratie allemande (l'Association générale allemande des travailleurs, en 1863), et le chancelier Bismarck. L'historien du socialisme Jacques Droz, parle alors de "césarisme social (page 35) et de "l'aspect antidémocratique, autoritaire et prussophile du lassallianisme (page 36) (Jacques Droz, Le socialisme démocratique, 1864-1960, collection U, Armand Colin, 1966). En 1891, avec le programme d'Erfurt, le Lassallisme laissera la place au marxisme comme théorie dominante du parti social-démocrate d’Allemagne, mais Jacques Droz relève qu' "il ne faut pas se dissimuler l'empreinte profonde et persistante de Lassalle sur le socialisme allemand." (idem, page 36).
    • Un socialisme nationaliste et impérialiste : le « social-impérialisme », une tendance du courant "révisionniste" (c'est-à-dire réformiste) du SPD. Ces « sociaux-impérialistes » « comme Schippel et Heine, donnent leur appui à une politique impérialiste, seule capable, à leurs yeux, de relever la situation matérielle des ouvriers allemands par l’ouverture de vastes débouchés industriels, et estiment que la formation des cartels est de nature à limiter les crises dans l’avenir (« théorie du capitalisme organisé ») » (Jacques Droz, Le socialisme démocratique, page 43). Jacques Droz évoque "de nombreux rédacteurs de la Sozialistische monatshefte (L. Quessel, M. Schippel), qui se disaient "socialistes impérialistes" et qui, selon la théorie de la "compensation" étaient prêt à soutenir la politique étrangère du gouvernement, à condition d'obtenir certaines conditions pour la classe ouvrière ; leur position se rapprochait en général de celle de Frédéric Naumann." (Jacques Droz, idem, page 48). Un "compromis" qui anticipe celui que passera plus tard une large partie du peuple allemand avec le régime nazi selon certains historiens tel Götz Aly (lire plus bas).
    • Un socialisme devenu violemment anticommuniste au cours de l'écrasement de la révolution spartakiste de 1919. Le symbole de cette répression est le ministre SPD Gustav Noske qui fit alliance avec les Corps-Francs nationalistes pour écraser les communistes et socialistes révolutionnaires, et faire assassiner les leaders spartakistes Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Leo Jogiches.

Il n'y a pas de lien entre ces courants sociaux-démocrates et le nazisme. D'autant que les nazis combattaient violemment la social-démocratie dont de nombreux dirigeants étaient juifs (y compris Lassalle, évoqué ici). En revanche, paradoxalement, ces courants ont pu préparer l’opinion publique allemande à accepter l’idée que le socialisme puisse être anticommuniste et séparé de l’internationalisme.

Certains observateurs contemporains du nazisme (le philosophe Élie Halévy[21], l'économiste libéral Friedrich Hayek[22]) ou postérieurs au nazisme (l'essayiste Thierry Wolton[23]) considèrent ces courants comme faisant partie des sources du nazisme.

Le national-bolchévisme

Le courant national-bolchévique, apparu en Allemagne en 1919, a initié une synthèse de léninisme et de nationalisme. Ce courant a été rejeté par le mouvement communiste allemand. Il a été incarné en particulier par Ernst Niekish (1889-1967).

Les nationaux-bolchéviques se sont majoritairement opposés au nazisme. Cependant, certains groupes nationaux-bolchéviques vont collaborer avec le nazisme (tel le Fichte-Bund du docteur Kessemaier à Hambourg). Certains responsables nazis du nord de l'Allemagne étaient attirés par cette idéologie, à commencer par Joseph Goebbels[24] qui disait que le nazisme était du bolchévisme-national.

L'antisémitisme

L'antisémitisme d'Hitler serait issu en partie de l’antisémitisme de certains courants chrétiens-sociaux du XIXe siècle, surtout à travers les influences de Georg von Schönerer (pour les idées) et de Carl Lueger (pour la méthode) (cf. le long hommage d'Hitler dans Mein Kampf à l'égard des deux hommes et cf. Marlis Steinert, Hitler, page 41-43[25]). Hitler a également été influencé par la lecture de la revue antisémite et völkisch Ostara, Briefbücherei der Blonden und Mannesrechtler, éditée par Jörg Lanz von Liebenfels[26].

Selon l'historien Ian Kershaw, en 1919 : « Avant se confondre avec l’antimarxisme, l’antisémitisme haineux de Hitler, tel qu’il ressort de ses discours, est directement lié à ses dénonciations du capitalisme. »[27]. Ce sont Rosenberg et Scheubner-Richter, sur la période 1919-1924, qui « persuadent Hitler que le bolchévisme est par essence juif – idée qui ne tardera pas à devenir la pierre angulaire de son édifice idéologique. » (Kershaw, idem).

Les antisémites s’opposaient aux théoriciens socialistes allemands, dont beaucoup étaient d’origine juive, à commencer par Karl Marx. Dans Mein Kampf, Hitler s'en prend férocement au « juif Karl Marx », à la presse socialiste (« je cherchai à mieux connaître ceux qui fabriquaient cette collection de canailleries. C’étaient tous sans exception, à commencer par les éditeurs, des Juifs. »), au marxisme qui est pour lui une « doctrine juive » et une « peste mondiale »[28]. Pierre Milza rappelle que « L'identification du socialisme avec la "juiverie" est ancienne »[29].

Le mouvement nazi (1924-1933)

Les revendications sociales et le discours « anticapitaliste » tenu par le NSDAP posent la question de la part de socialisme qui a pu exister au sein du mouvement nazi (avant la prise de pouvoir), même en faisant la part de la propagande et de la polysémie. Un courant se revendiquant du socialisme a existé au sein du parti nazi (aux côtés de nombreux autres courants politiques aux idées souvent opposées). Le courant « socialiste » du parti nazi a été en butte à l'hostilité constante du chef du mouvement, Adolf Hitler, qui s'est attaché à le réduire.

Le courant « socialiste » du parti nazi : les Strasser et la SA

Un courant « socialiste » a existé au sein du NSDAP.

  • Ce courant se disait "socialiste", certains de ses chefs en venaient (Otto Strasser avait été au SPD).
  • Ce courant s'est continuellement opposé à la direction du parti qu'elle accusait de conservatisme.
  • Certains éléments de ce courant finirent par quitter le NSDAP pour rejoindre le parti communiste KPD (par exemple les éléments du NSKD, été 1931).
La grande tentative du « socialisme » nazi (1925-1926)

Lors de la reconstruction du parti nazi en 1924-1926, un « courant socialiste » s’est exprimé au sein du parti, principalement en Allemagne du Nord, sous la direction des frères Gregor Strasser et Otto Strasser, et de Joseph Goebbels (à Berlin). Selon le spécialiste de l'Allemagne Alfred Grosser, « Il existait au sein du parti, une fraction, dirigée par les frères Strasser, qui eût voulu orienter non seulement la propagande, mais aussi la politique du parti vers une défense active des intérêts des ouvriers et vers un socialisme, non marxiste certes et fortement nationaliste, mais destiné cependant à bouleverser profondément l’ordre social de l’Allemagne. » [30]. Ils forment l'Association national-socialiste du travail, courant « socialiste » au sein du NSDAP.

A l'automne 1925, ce courant s'affirme, en opposition avec la tactique d'alliance à droite décidée par Hitler :

  • Ils soutiennent la demande du SPD d’expropriation des princes allemands en 1925[31].
  • « Soutenu par les SA, dont Ernst Röhm a quitté la direction en désapprobation de la nouvelle tactique du Führer, Strasser en vient en octobre dans ses « Lettres nationales-socialistes » à proposer de collaborer avec la Russie soviétique pour briser l’impérialisme de l’Entente »[32].
  • Goebbels se déclare également pro-soviétique (par exemple dans un article de NS Briefe du 15 novembre 1925) et prône dans son discours de Königsberg le 19 janvier 1926 l’alliance des nazis et des socialistes[33].

Cependant, la tentative d'imposer cette ligne au sein du NSDAP tournera court. Hitler impose sa ligne d'alliance à droite au congrès de Bamberg en février 1926 : Goebbels se rallie à Hitler, les frères Strasser sont mis en minorité, Hitler fait voter l'inaltérabilité du programme en 25 points de 1920. Beaucoup de strassériens seront exclus, même s'ils resteront puissants en Saxe et dans certains endroits de la Ruhr. En 1927, Gregor Strasser écrit encore : « Nous sommes socialistes, nous sommes des ennemis, des ennemis mortels de l’actuel système économique capitaliste avec son exploitation des personnes faibles économiquement, avec l’injustice des salaires, avec son immoral classement des hommes suivant leur fortune et leur argent au lieu de leur responsabilité et de leur travail et nous sommes résolus à anéantir ce système quelles que soient les circonstances. »[34].

L'exclusion des « nazis socialistes » d'Otto Strasser (1930)

Dans le climat semi-insurrectionnel de l'Allemagne des années 1929-1932, marqué par la crise économique, le courant « socialiste » nazi va de nouveau s'opposer à la direction du parti. Dans un contexte de crise sociale, des passerelles se formeront même entre le Parti communiste d'Allemagne (KPD) et l'aile gauche du parti nazi.

En avril 1930, la rupture est définitive entre Hitler et Otto Strasser, partisan de la grève ouvrière en Saxe et qui, sur le fond, refuse le bellicisme d’Hitler et préfère la « révolution socialiste » intérieure. Otto Strasser quitte le NSDAP le 3 juillet 1930 et écrit dans un article : « Les socialistes quittent le NSDAP »[35]. Otto Strasser et ses partisans vont alors former un petit parti nazi de gauche, le Kampfgemeinschaft Revolutionäre Nationalsozialisten (KGRNS) (Timothy S Brown, idem), puis le Front noir[réf. nécessaire]).

La « révolte Stennes » de la SA et l'exemple Scheringer (1930-1931)

En septembre 1930, les SA de Berlin, de culture révolutionnaire, se rebellent contre la direction du parti au prétexte de questions financières et pour dénoncer, sur le fond, l'embourgeoisement du parti nazi. Le leader de la rébellion est Walter Stennes, chef de la SA de l'Est (comprenant les vastes régions de Berlin-Brandenburg, Prusse-Orientale, et Mecklenburg-Poméranie). Pour sauver la situation, Hitler remet Ernst Röhm à la tête de la SA. La révolte gronde de plus belle en février 1931. Stennes est suivi par 30% des SA de Berlin et 20% des Jeunesses hitlériennes, par les chefs de la SA de Silésie et Poméranie, etc. Selon l'historien américain Timothy S. Brown, sur les 25.000 SA d'Allemagne orientale, Stennes aurait le soutien de 8.000 à 10.000 hommes. Exclu du NSDAP, Stennes fonde alors le Nationalsozialistische Kampfbewegung Deutschlands[36] (NSKD). Les craintes sont alors fortes au sein du parti nazi et des milieux bourgeois que les SA ne rejoignent le parti communiste KPD. De même, ce dernier lance une opération de séduction envers les SA. Ce passage entre le parti nazi et le parti communiste sera incarné par la « conversion » spectaculaire de Richard Scheringer (27 février 1931), vedette médiatique du parti nazi (cf. Timothy Brown). Toutefois, les résultats de la propagande communiste ne semblent pas avoir été très importants.

En juin 1931, le KGRNS d'Otto Strasser (plus intellectuel) et le NSKD de Stennes (plus violent) se rejoignent au sein du Nationalsozialistische Kampfgemeinschaft Deutschlands (nouveau NSKD), fort de 10.000 membres. La révélation du rôle du réactionnaire Hermann Ehrhardt brise cependant le mouvement « socialiste » nazi. « La crise a précipité le départ d'un bon nombre de soutiens de Strasser vers le KPD[37] » (Timothy S. Brown)

Alliance avec le KPD contre Weimar (fin 1932)

Fin 1932, le |NSDAP va brièvement et tactiquement se rapprocher du parti communiste KPD afin de faire tomber la République de Weimar. Ce qui n'empêche pas de violents affrontements de rues entre militants KPD et NSDAP.

  • 12 septembre 1932 : vote d’une motion de censure commune KPD-NSDAP pour faire tomber le gouvernement von Papen, mais Hindenburg la refuse.
  • Octobre-novembre 1932 : grève des transport à Berlin organisée par la KPD et le NSDAP (dont des piquets de grève communs), et grève des loyers
  • Novembre 1932 : le NSDAP adopte un ton très révolutionnaire pendant la campagne électorale
  • 12 décembre : Le NSDAP vote au Parlement la proposition du KPD de rejet du plan de relance économique de von Papen.[38].
  • fin 1932 : les nazis les plus révolutionnaires passent au KPD.

La stratégie « révolutionnaire » sera cependant un échec (recul aux législatives de novembre 1932 et lâchage par les milieux d'affaires) et Hitler revient à sa stratégie d'alliance à droite qui lui permettra d'arriver au pouvoir.

Le chancelier Schleicher joue la gauche nazie contre Hitler (fin 1932)

En 1932, le chancelier Kurt von Schleicher (dernier chancelier avant Hitler) envisage une coalition de la dernière chance (pour éviter Hitler) entre la branche « socialiste » du parti nazi, des éléments militaires et les syndicats. Le 8 décembre 1932, Hitler exclut Gregor Strasser du NSDAP au prétexte qu’il veut convaincre le parti de participer au gouvernement von Schleicher. La rupture avec Strasser soulage les conservateurs et les milieux d’affaires qui vont revenir vers le NSDAP[39]. C'est donc par une alliance avec la droite, comme le souhaitait Hitler, que le parti nazi accède au pouvoir en janvier 1933.

La fin des SA (1934)

En 1934, les SA (milice du parti nazi) réclament une deuxième révolution, « sociale » cette fois, après la révolution « nationale » opérée en 1933. Pour rassurer l'armée et les milieux conservateurs, dont il cherche le soutien pour sa future politique expansionniste, Hitler élimine les chefs de la SA lors de la nuit des Longs Couteaux (30 juin 1934), qui marque la fin officielle du courant « social » nazi.

Le courant « socialiste » du parti nazi : quelle représentativité ?

Un courant parmi d'autres

Le courant « socialiste » au sein du parti nazi est l’un des nombreux courants de pensée présent au sein de la mouvance nazie puisque l’on retrouve aussi :

  • un courant pro-capitalistes. Le parti nazi a reçu le soutien d’une partie du patronat, limité avant l’accession au pouvoir, mais tout de même réel. Goering était un représentant de ce courant.
  • un courant traditionaliste réactionnaire (militaristes, grands propriétaires terriens, monarchistes) proche du parti DNVP.
  • un courant conservateur composé des classes moyennes traditionnelles, petits commerçants et artisans attachés à la défense de la petite propriété et de la tradition.
  • un courant raciste mystique (Alfred Rosenberg, Himmler, Walther Darré, Rudolf Hess).
  • un vaste centre de classes moyennes « modernes » (employés, fonctionnaires), souvent apolitiques.

Il est difficile de quantifier le poids de ces différents courants. Le poids du courant « socialiste » peut éventuellement être grossièrement estimé en fonction du poids des ouvriers dans la sociologie du parti, à une époque de forte identification entre la politique et les classes sociales[40]).

Un courant opposé à la ligne majoritaire

Adolf Hitler s’est toujours opposé à partir de 1925 aux tendances « socialistes » au sein du parti nazi. L’échec du putsch de la brasserie à Munich en 1923, au cours duquel la police du gouvernement régional conservateur a tiré sur les nazis, le persuade qu’une prise du pouvoir n’est possible qu’avec l’assentiment des conservateurs. Il ne cesse dès lors de s’attacher à obtenir leur alliance.

Hitler a donc obtenu l’éviction progressive des courants opposants au sein du parti nazi (congrès de Bamberg en février 1926, exclusion d'Otto Strasser et ses partisans en été 1930, scission de Stennes au printemps 1931, exclusion de Gregor Strasser et ses partisans à la fin 1932) jusqu’à la décapitation violente des SA lors de la Nuit des Longs Couteaux en juin 1934. Ces exclusions prouvent à la fois la capacité de renouvellement et la marginalisation de ce courant.

Le parti nazi contre le socialisme

Le parti nazi est considéré comme un parti nationaliste et non un parti socialiste par l'ensemble de la communauté universitaire, qui développe notamment les arguments suivants. En effet :

Sociologie

Le parti nazi se caractérise par une surreprésentation des classes moyennes, à une époque où le socialisme était fortement corrélé avec le vote ouvrier (sous-représentés au sein du parti nazi). En 1932 [41] :

  • ouvriers : 45,8 % de la population allemande, 28,1% des membres du NSDAP,
  • employés : 12% de la population, 25,6 % des nazis,
  • indépendants : 9% de la population, 20,7 % des nazis,
  • fonctionnaires : 5,1 % de la population, 8,3 % des nazis,
  • paysans : 10,6 % de la population, 14 % des nazis.
Idéologie

L'idéologie centrale du parti nazi est le nationalisme et le racisme :

  • C'est le nationalisme qui est capable de réunir des capitalistes et des anticapitalistes, des modernistes et des réactionnaires. Or le socialisme est majoritairement internationaliste, en témoigne l'existence de l’Internationale ouvrière socialiste (IOS, auquel adhère le SPD, jamais le NSDAP n'aurait fait partie d'une tel organisation) et de l'Internationale Communiste (IC).
  • C'est le racisme qui est la clé de voûte de l'idéologie expliquée par les idéologues au cœur du mouvement (Hitler, Himmler, Ronseberg, Darré).
Alliances et oppositions
  • Malgré certaines alliances tactiques (en 1932 avec le KPD pour renverser Weimar) ou de fonds (l'insurrection paysanne du Schleswig-Holstein de 1928-1929), Hitler a joué la stratégie de l'alliance avec la droite et c'est elle qui l'a porté au pouvoir en 1933.
  • Le parti nazi a, sauf exceptions, soutenu très peu de mouvements sociaux. L'historien Kurt Gossweiler se réfère à l'exemple du NSBO, organisation de cellules d’entreprises du parti nazi, qui joue un peu le rôle de « syndicat » nazi. Il est créé seulement en 1929 avec le marxisme pour ennemi principal et non le patronat. Le NSBO ne décolle pas : aux élections professionnelles du printemps 1931, il ne recueille que 0,5 % des voix. Ce n’est qu’en août 1932 que le NSBO décide de soutenir des conflits sociaux, ce seront les grèves très politiques contre le gouvernement conservateur de von Papen en octobre-novembre 1932 [42].
  • Le parti nazi a toujours mené une opposition violente aux partis socialistes et communistes, ce qu'il n'a pas fait contre les partis de droite.
  • Les partis sociaux-démocrates européens, membres de l'Internationale ouvrière socialiste (IOS), considéraient le fascisme - au sens large - comme l'adversaire numéro un du socialisme.
  • L'électorat du SPD, de même que celui du KPD, restera dans une large mesure fidèle à son parti et ne passa pas en masse au NSDAP.

Le régime nazi (1933-1945)

Des mesures dirigistes sur le plan économique et des réformes sociales prises par le régime nazi (1933-1939 essentiellement) posent la question de l'analogie avec des régimes qui se déclarèrent socialistes. Des éléments de réponse contradictoires ont été apportées si l'on juge la pratique économique et sociale du régime nazi à l'aune du socialisme.

Dès les années 1930, de très nombreuses analogies ont été relevées entre le régime nazi et le régime de l'URSS stalinienne. Dans les années 1940-1950, des chercheurs ont théorisé et popularisé la notion de « phénomène totalitaire » (cf. Hannah Arendt) concernant ces deux régimes. Ces questions font l'objet d'un débat séparé (voir l'article sur le totalitarisme).

Possibles analogies avec le socialisme : des mesures sociales et dirigistes

Le régime nazi (1933-1945) a repris des mesures économiques et sociales qui relèvent classiquement des programmes des partis socialistes.

Dirigisme économique
  • Un vaste secteur économique d’État a été développé par l’État nazi sous la direction de différents organes :
    • les organismes de Göring (HG Werke) : « L’empire de Göring, le Plan de quatre ans, ne comprenait pas moins de 22 sphères d’ « autorité spéciale », telles que le contrôle des prix, la production chimique, la production minière, les routes, les voies navigables, la marine marchande et l’exploitation des biens polonais spoliés. »[43]. sur la SS, etc.
    • Himmler et la SS contrôlaient 40 entreprises regroupant 150 usines.
    • L'État contrôlait également le centre industriel de Salzgitter et différentes entreprises : Volkswagen (détenu par le Deutsche Arbeitsfront ?), des entreprises des secteurs des cycles, de l'aéronautique, des eaux minérales, etc.
  • La planification : plans de quatre ans en 1933-1936 (infrastructures du pays telles les autoroutes et préparation des Jeux Olympiques d'été de 1936) et en 1936-1939 (réarmement) pour encadrer une relance économique de style keynésien. Un pratique proche des plans quinquennaux dirigés par Staline en URSS.
  • Une relance par la dépense publique de style keynésien. Les dépenses publiques sont multipliées par deux de 1936 à 1939. En 1938, elles atteignent 35 % (hors dépenses locales et assurances sociales), contre 24% au Royaume-Uni et 11% aux États-Unis. Selon l'économiste libéral américain George Reisman, le fait de mener une politique de relance dans une situation de pénurie confère à l'État le véritable pouvoir de décision sur l'économie sans avoir besoin de prendre le contrôle du capital, car c'est alors lui qui alloue les matières premières, impose la nature des investissements, etc.
  • Des mesures dirigistes : création d'un réseau de 23 chambres économiques régionales, contrôle des prix, blocage des salaires, contrôle des changes et du commerce extérieur.
  • Une fiscalité alourdie sur les sociétés (l'impôt sur les bénéfices passe de 20% en 1935 à 40% en 1939). Les dividendes versés aux actionnaires sont limités à 6% du capital de l'entreprise. Au-delà, ils se transforment en achat obligatoire de bons du trésor.

Aucune de ces mesures n’est socialiste[travail inédit?].

Politique sociale
  • Le plein-emploi est atteint en 1938. Le chômage revient de 30% en 1932 à 2% en 1938.
  • Une protection sociale de bon niveau. Le pouvoir d'achat de 1929 est rétabli en 1938. Certains auteurs estiment ainsi que Hitler a en quelque sorte acheté la paix sociale[44]. « Le niveau de vie de la population allemande est resté, jusqu’à la fin du conflit, relativement stable »[45].
  • Une fiscalité redistributrice : les taux d’imposition des bénéfices, accrus avec le temps, seraient plus proches de pratiques socialistes que de pratiques capitalistes . L'historien Götz Aly constate que : "Hitler obtint que ni les paysans, ni les ouvriers, ni même les employés et les petits et moyens fonctionnaires ne soient touchés de manière significative par des impôts de guerre, ce qui représentait là encore une différence essentielle par rapport à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Mais cette exonération de la grande majorité des contribuables allemands s’accompagna d’une augmentation considérable de la charge fiscale pour les couches sociales disposant de gros ou de très gros revenus. L’impôt exceptionnel de 8 milliards de reichsmarks que durent verser les propriétaires immobiliers fin 1942 constitue ainsi un exemple frappant de la politique de justice sociale pratiquée ostensiblement par le IIIe Reich, tout comme l’exonération fiscale des primes pour le travail de nuit, le dimanche et les jours fériés accordée après la victoire sur la France, et considérée jusque récemment par les Allemands comme un acquis social."[46].
  • Les conditions de travail ont été améliorées sur le plan matériel (hygiène, éclairage, sécurité, esthétisme).
  • Les congés payés, les loisirs et des sports ont été développés dans les milieux populaires. "Le régime assurait des compensations aux travailleurs par les congés payés et par l'action de "La Force par la joie" (Kraft durch Freude) (service du DAF), qui organisait les loisirs (voyages collectifs), s'occupait des sports, des services d'instruction populaire..."[47].
  • Une volonté affichée mais non réalisée, de diffusion de la propriété à travers des projets de logements populaires et de voiture populaire (Volkswagen, mais sacrifiée aux impératifs de guerre).

Comme le résume un historien « La notion de « race des seigneurs » s’accompagnait du désir d’égaliser les rapports sociaux entre Allemands. D’où une imposition plus forte des hauts revenus ; une politique familiale développée ; une protection renforcée des gens endettés ; une politique du logement ; l’instauration de congés payés… »[48].

Certains historiens estiment que les réformes sociales nazies, comme celles des autres régimes totalitaires, auraient accéléré la mise en place de l'État providence en comparaison avec les pays libéraux (hors pays scandinaves). Pierre Guillaume (université Bordeaux 3), écrit que « À des degrés divers, l'État, dans tous les pays industrialisés européens, a mis en place, depuis la fin du XIXe siècle, un certain nombre de mesures de protection sociale. En 1938, ce sont les pays totalitaires, Italie, Allemagne, URSS, qui affirment, par leur propagande, l'existence des éventails de mesures les plus larges. Cette propagande, accompagnée d'indéniables réalisations, joue un grand rôle dans la large adhésion des populations a ces régimes. Dans les démocraties, l'émergence de l'État providence se heurte a la résistance de tous ceux qui se réclament de la conception libérale traditionnelle d'un État non interventionniste. »[49].

Ces politiques ne sont pas propres aux partis se revendiquant du socialisme.

Politique économique nazie

  • Économie mixte et compromis avec le capitalisme. Les mesures économiques et sociales du régime nazi (hors l'importante question du droit social) sont les suivantes : pas de propriété collective des moyens de production (pas de nationalisation), ni droits nouveaux pour les travailleurs dans l'entreprise. Au contraire la politique sociale et dirigiste nazie recherche un compromis avec la société capitaliste. L'historienne Marlis Steinet juge ainsi qu'il s'agissait d'une économie mixte. « Reste à savoir si, le Führer se montrait plutôt favorable à une économie de marché ou dirigée ? Les spécialistes d’histoire économique ne sont pas tous du même avis. (…) Son social-darwinisme le poussait vers la libre concurrence – mais c’était là un credo professé par des politiciens bourgeois. D’autre part, son souci d’harmonie sociale et son attachement à la primauté du politique le faisaient plutôt pencher vers une certaine planification. Ce qu’il recherchait, c’était une synthèse, comme celle qu’il croyait avoir trouvée entre le nationalisme et le socialisme. Avec les années, il critiqua de plus en plus le libre jeu économique, et son penchant pour la planification s’intensifia. Le système économique auquel il aspirait était une « alternative au capitalisme et au communisme ; ni une économie de marché ni une planification totale. » Il proposait donc une sorte d'économie mixte. »[50].
  • L'État nazi intervient fortement dans l’économie, il a cependant toujours maintenu la propriété privée des entreprises. La concentration des entreprises au sein de trusts (tel IG Farben dans la chimie) se fait sous la direction et au profit des grandes entreprise et de leurs dirigeants. "Si l'économie du Reich obéissait à une planification et à un dirigisme sévères, il ne portait aucune atteinte grave à la propriété privée industrielle ou bancaire ; la constitution de cartels fut tout au contraire facilitée et, en fait, la période du national-socialisme a correspondu avec une accélération de la concentration capitaliste"[51].
  • Une part de la politique sociale nazie repose aussi sur un simple effet psychologique [52]
donner aux allemands une impression de promotion sociale. Ce qui passe notamment par la promotion des Allemands par rapport à la main d’œuvre étrangère et l'arrivée au pouvoir d’une nouvelle élite nazie aux origines souvent populaires ou petite-bourgeoise.

Mesures explicitement contraires au socialisme

  • La suppression des droits des travailleurs dans l'entreprise, revenant sur les réformes sociales menées au cours des décennies précédentes. Sous le régime nazi, les relations sociales au travail reposent sur le Führerprinzip, par lequel chaque patron est le véritable maître et guide de son entreprise. La discipline est durcie, les grèves interdites, les livret de travail sont obligatoires (1935). "Le personnel était exclu complètement de la direction des entreprises, la grève était rigoureusement interdite."[53]. Des conseils de confiance du DAF (1935), aux membres sont élus sur une liste établie par le parti nazi et le patron de l’entreprise, remplacent les anciens conseils de cogestion.
  • Le conseil de travail du Reich est l’instance suprême en matière de relations sociales. C’est un organisme d’appel pour les conseils de confiance. Le conseil de travail du Reich fixe les normes en matière de travail et de salaires.
  • L'intérêt du grand patronat. Le patronat, dont une partie a aidé le parti nazi avant son accès au pouvoir, est devenu un soutien du régime. La situation sera cependant contrastée. D'un côté, le grand patronat de l'industrie lourde profitera pleinement de la politique de réarmement. De l'autre, les petites et moyennes entreprises (PME) seront sacrifiées. Après une courte période favorable (lois de protection du petit commerce de mai et novembre 1933), le régime prend des mesures autoritaires (concentration obligatoire en juillet 1933, interdiction de créer de petites PME en juillet 1934, suppression de plus petites PME en avril 1939, PME écartées des livraisons de matières premières, etc.). Au total, de 1931 à 1938, le nombre de société par action est réduit de moitié en Allemagne.

Pour Ian Kershaw, les politiques nazies « réduisirent à néant les acquis sociaux remportés par le monde ouvrier non seulement depuis 1918, mais même depuis l’ère bismarckienne »[54].

Différences de finalité avec le socialisme

Certaines mesures du régime nazi (intervention de l’État dans l’économie, protection sociale, plein emploi, fiscalité, lutte contre le chômage, etc.) seraient identiques à celles de certains gouvernements socialistes (lesquels?), mais n’avaient cependant pas la même finalité. L’objectif des mesures nazis était :

  • de protéger la « race allemande ». La politique sociale en faveur des « Allemands » est réalisée au détriment des minorités (Juifs, etc.) et des peuples occupés au profit des seuls soit-disant "Aryens". L'historien Götz Aly écrit "comment la guerre la plus coûteuse de l’histoire mondiale fut-elle financée pour que la majorité de la population s’en trouve le moins affectée possible ? La réponse est évidente : Hitler a épargné les aryens moyens aux dépens du minimum vital d’autres catégories de personnes (...). Les caisses allemandes furent aussi alimentées par les milliards issus de la spoliation des juifs d’Europe (...) Il semble nécessaire d’appréhender le régime nazi comme un socialisme national pour, à tout le moins, mettre en doute la projection récurrente de la faute sur des individus et des groupes clairement circonscrits."[55]. Pour Götz Aly, il s'agit d'un « socialisme national » au profit des seuls "Aryens". Dans cette perspective, la politique sociale nazie, par son exclusive raciale, diffère profondément des politiques socialistes.

Des arbitrages inhumains sont également réalisés au sein de citoyens allemands. Le régime nazi renforce la protection sociale de certaines catégories sociales utiles au régime (les travailleurs, les jeunes, les familles) au détriment d’autres catégories jugées moins utiles (retraités, handicapés, malades).

  • de renforcer la nation (notamment son économie) et sa cohésion sociale en vue notamment de préparer la guerre. Le dirigisme économique de l’État nazi s’explique d'abord par la mise en place d’une économie de guerre. Les dépenses militaires passent ainsi de 4% du budget de l'État en 1933 à 50 % en 1938 (le budget militaire représente 10 % du PIB en 1939). La relance économique par une politique, pionnière en Europe, de construction d'autoroutes, voies de déplacement rapide des troupes, constitue de plus un exemple de la double finalité de certaines mesures non comptabilisées dans les dépenses militaires.
  • d' acheter la paix sociale pour permettre le fonctionnement efficace de l'économie. Le philosophe marxiste Herbert Marcuse estime ainsi que "La mobilisation générale de la force de travail n’aurait pu se faire sans que l’individu reçoive des compensations pour la perte de son indépendance. Le national-socialisme en offre deux : une nouvelle sécurité économique et un nouveau privilège. Le fait que l’économie impérialiste du IIIe Reich ait assuré le plein-emploi, offrant du même coup une sécurité économique élémentaire à ses citoyens, est d’une importance cruciale.[56]. Autrement dit, les Allemands auraient sacrifié leur liberté en échange de la sécurité économique.
  • De mieux embrigader l'individu. Le travail est obligatoire sous peine de « camps de l’éducation par le travail. » En raison de la pénurie de man d’œuvre, l’État établit un maximum de salaires (1938) et la semaine de travail passe de 41 à 46 heures.

Concernant la politique de loisirs, souvent mise en avant pour exposer la politique sociale nazie, le philosophe marxiste Herbert Marcuse écrit que La mobilisation totale de la force de travail de l’individu met à bas l’ultime rempart qui le protégeait de la société et de l’État : elle viole le domaine privé de ses loisirs. Au cours de la période libérale, l’individu se différenciait de la société par la distinction établie entre son travail et ses loisirs. Sous le national-socialisme, cette séparation, comme celle qui existait entre la société et l’État, est abolie. (...) En enrégimentant aussi le loisir, le national-socialisme s’en prend au dernier rempart protecteur des aspects progressistes de l’individualisme.[57].

Approche de sciences politiques

Cette approche, plus théorique et intemporelle que l’approche historique, bute tout d’abord sur la question de la définitions des termes.

Des différences de valeur

Le socialisme est un ensemble de courants qui combattent l'individualisme ; défendent les notions d'égalité, d'égalitarisme et de solidarité. Il s'agit selon ses tenants de procéder à « l'abolition du gouvernement politique des hommes par d'autres hommes » et de « passer à une administration des choses par les hommes eux-mêmes ». Le socialisme est ainsi un projet à la fois économique (collectivisme économique, autogestion, économie mixte), social (égalité), et politique (démocratie).

Le nazisme se différencie donc du socialisme sur des points essentiels :

  • Le nazisme est antidémocratique.
  • Le nazisme ne reprend pas les valeurs universelles du socialisme :
    • Si, comme le socialisme, le nazisme combat également l'individualisme au profit de la primauté du groupe, il ne s'agit cependant pas du même groupe. Il s'agit de la « race » pour le nazisme et de l'humanité dans son ensemble pour le socialisme (la référence aux droits de l'homme pour le socialisme idéaliste ; le genre humain et l'internationalisme pour le « socialisme scientifique » marxiste ; la « personne humaine » pour le socialisme chrétien, etc.).
    • Le nazisme ne prône pas l'égalité, mais se base au contraire sur les idées d'inégalité des races et de domination des plus forts, en référence en particulier à Nietzsche.
    • NB : On peut cependant se poser la question des relations communautaires au sein du sous-groupe que constitue la « race ».
  • La finalité des mesures sociales et dirigistes nazies est différente de celle du socialisme.

Différence sémantique : les sens du mot « socialisme » pour les nazis

Certains contemporain ont du entendre le mot national-socialisme comme la mise en place d’une véritable politique socialiste. D'autres ont considéré qu'il ne s'agit que d'un mot de propagande (lire plus bas). Il faut cependant compter avec une troisième hypothèse : la signification d'un véritable contenu, mais différent du sens traditionnel du mot socialisme.

  • Un mot provocateur, de transgression dans les milieux bourgeois de l’époque.
  • Un équivalent du mot « communauté », le « socialisme » exprimant la volonté de cohésion et d’homogénisation de la communauté nationale. "Socialiste" voulait dire « qui fait passer l'intérêt collectif, sous entendu national, avant l'intérêt individuel ». Ceci parce que les nazis (les idéologues : Hitler, Himmler, Rosenberg, etc.) voulaient revenir à la notion de communauté tribale d'avant l'individualisme chrétien (c'est l'un des points du premier programme du NSDAP), puis libéral des Lumières. Mais, ce rêve du retour à la communauté tribale est-loin des idées socialistes. Le philosophe marxiste Georges Politzer donne ainsi son interprétation de mot "socialisme" pour les nazi" : Quant au « Sang », il doit exprimer que l’Allemagne n’est pas, à proprement parler, un pays capitaliste, puisque, précisément, il s’appelle « national-socialiste ». Le « Sang » définit le national-socialisme en tant que régime social. Plus exactement, il doit symboliser la grande « idée unificatrice » dont M. Rosenberg déplorait l’absence dans la Kriegspropaganda de l’Allemagne impériale. Il doit exprimer que l’Allemagne n’est plus une société divisée en classes antagonistes, mais une société sans classes.(...) M. Krupp von Bohlen s’adresse à l’ouvrier et lui dit « nous sommes du même sang toi et moi ». Et si l’ouvrier le croit, s’il ne se sent plus d’une autre classe, mais de la même race, s’il se sent uni avec M. Krupp von Bohlen, alors l’unification de la société s’est réalisée, le mystère du sang s’est accompli. Cette unification est un mystère, parce que les classes subsistent extérieurement, tout en ne subsistant plus intérieurement, du moins cette abolition intérieure de l’antagonisme des classes est chaudement et, en même temps, férocement recommandée aux travailleurs. (L’obscurantisme au vingtième siècle, La Pensée libre, no 1er février 1941 ([8])).

Ce sens du mot « socialisme » remonte en particulier aux penseurs nationalistes allemands du début du siècle :

    • Le socialisme "éthique et "volontariste" d'Oswald Spengler (livre Prussianisme et socialisme ou Preussentum und Sozialismus, 1919),
    • Le « socialisme allemand » de Moeller van den Bruck (livre Das Dritte Reich, 1923) qui affirme : « Chaque peuple a son propre socialisme ». et « Aujourd'hui, le socialisme soit se transformer d'un socialisme de classe en un socialisme du peuple (Volkssozialismus) ».
  • Un "socialisme" prétexte au totalitarisme étatique. L'historienne Malis Steinert juge que « (…) le véritable sens qu’Hitler donnait un mot « socialisme » : un totalitarisme où l’homme était entièrement mis à la disposition du pouvoir politique au nom de l’intérêt national. »[58].
  • Un « socialisme » réduit à sa dimension de lutte et détourné contre « le grand capitalisme international », sous-entendu les Juifs.
  • La polysémie du mot socialisme pour les nazis est telle qu'elle « fait perdre aux mots leur sens », comme le relève en 1941 avec ironie, peu avant d'être fusillé par les nazis, le résistant communiste Gabriel Péri  : "en 1937, dans un de ses discours, Hitler devenu chancelier a posé à ses auditeurs cette question : « Existe-t-il un socialisme plus magnifique que ce socialisme dont l’organisation permet à chacun parmi des millions de garçons allemands, si la Providence veut se servir de lui, de trouver la voie juste jusqu’à la tête de la Nation ? ». D’autres prophètes, plus heureux que le Führer, ont-ils donné une définition plus concrète de ce "socialisme" ? Oh, les définitions ne manquent pas ! Un compilateur des écrits nazis en a découvert une centaine. Mais toutes sont du goût de celles-ci : "Le Socialisme, dit Bernard Kohler, est la défense morale du peuple, de même que le national-socialisme est sa défense physique." ( !) "C’est le socialisme allemand, écrit von Tschammer, qui réapparaît dans l’esprit militaire." Explication qui s’apparente à celle de Robert Ley, chef du Front du Travail, pour qui : "Le meilleur ordre socialiste est l’ordre militaire." Le même Robert Ley dit aussi : "Socialisme, c’est le sang et la race, la foi sacrée et profondément sérieuse en un Dieu." "Le Socialisme, dit Göbbels, c’est la doctrine libératrice du savoir-faire." "La cathédrale de Cologne, voilà le socialisme allemand", prononce un autre. Et Rosenberg, dans son Mythe du vingtième siècle, va jusqu’à proclamer : « Le socialisme, c’est la police ». (« Non, le nazisme n’est pas le socialisme », avril 1941 ([9])).

Un simple mot de propagande

Pour une partie des contemporains l'utilisation du mot socialisme par les nazis relevaient de la propagande destinée à séduire les masses, à une époque où le mot est très populaire (près de 50% des suffrages pour les organisations socialistes lors des élections en Allemagne). Le résistant communiste Gabriel Péri exprime cette position dans son texte « Non, le nazisme n’est pas le socialisme » d'avril 1941, peu avant d'être fusillé : « On te trompe, peuple de France. Les disciples français du nazisme sont les agents de la réaction capitaliste. Ils vitupèrent la ploutocratie ; c’est pour mieux sauver ses privilèges. Tu ne les croirais pas, tu refuserais de les entendre s’ils parlaient leur langage et s’ils se présentaient à toi tels qu’ils sont. Alors ils se maquillent et choisissent pour te parler les mots que tu as si souvent employés toi-même, les grands mots de socialisme, de révolution qui expriment tes aspirations et ton effort vers une vie meilleure et un monde plus juste ». ([10]).

Le thème du « socialisme » nazi a également été utilisé pendant la deuxième guerre mondiale. Georges Politzer écrit ainsi que "M. Hitler a parlé explicitement, dans l’un de ses récents discours, d’une guerre entre deux mondes, où l’Angleterre incarne le Capitalisme. La démagogie anticapitaliste est transportée du plan de la politique intérieure sur le plan de la Kriegspropaganda." ("L’obscurantisme au vingtième siècle"in La Pensée libre, numéro 1, février 1941 ([11])).

Socialisme ou capitalisme ? Un débat secondaire pour les nazis

  • Le terme « national-socialiste » pris à la lettre comme la synthèse du nationalisme et d’éléments socialistes (ou anticapitalistes), s'applique à un certains nombre de régimes fascistes. Mais il ne met pas en valeur ce qui est retenu comme le cœur de l'idéologie nazie : une vision raciste du monde.
  • Si le nazisme se définit par une vision raciste de l'histoire du monde (hiérarchie des races, constitution d’un empire germanique, extermination des Juifs et autres groupes ethniques, etc.) alors la question du socialisme et du capitalisme apparaît comme secondaire. Hitler ne cache pas dans Mein Kampf qu’il ne s’agit que de moyens pour mener à bien son dessein (par exemple : « L'État n'est pas un but, mais un moyen. Il est bien la condition préalable mise à la formation d'une civilisation humaine de valeur supérieure, mais il n'en est pas la cause directe. Celle-ci réside exclusivement dans l'existence d'une race apte à la civilisation »[59]. Ou encore : « L’État n’a rien à faire avec une conception économique ou un développement économique déterminé (..) Il est l’organisation d’une communauté d’êtres vivants, pareils les uns aux autres au point de vue physique et moral, constituée pour mieux assurer leur descendance et atteindre le but assigné à leur race par la Providence. C’est là, et là seulement, le but et le sens d’un État. L’économie n’est qu’un des nombreux moyens nécessaires à l’accomplissement de cette tâche. » [60]. Dans ce cas, l'idéologie nazie n’a pas plus de parenté avec le socialisme qu’avec le capitalisme.

Historiographie de la question

La vision marxiste

La thèse marxiste est apparue en même temps que la montée du nazisme et, dans le contexte de la victoire de 1945, elle est devenue largement dominante dans l'opinion publique.
La thèse marxiste explique que l'utilisation du terme « socialisme » et les promesses sociales des nazies ne sont que des outils de propagandes permettant de conquérir les masses au profit du capital. Et que les réalisation dites « sociales » du régime cachent en fait le renforcement de la structure économique du capitalisme.

  • Pour le Komintern, le nazisme est en fait « la dictature ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier » (selon les termes employés par le dirigeant communiste Georgi Dimitrov au 7e congrès du Komintern, en 1935, notamment cité dans Le Monde diplomatique d’octobre 2000 et (- nb4)).
  • L'école de Francfort précise différentes interprétations marxistes du nazisme : « Capitalisme d'État » pour certains (Max Horkheimer et Friedrich Pollock) ; « capitalisme monopoliste totalitaire » (simple forme du capitalisme) pour d'autres (Franz Leopold Neumann, Arkadji Gurland et Otto Kirchheimer).
  • La thèse marxiste était également globalement celle de l’Internationale ouvrière socialiste social-démocrate. Selon l'historien du socialisme Jacques Droz, l’interprétation social-démocrate du fascisme (au congrès de l'International socialiste de Vienne de 1931) « ne se distingua pas essentiellement de celle qu’en donnaient alors les communistes, à savoir qu’il était le dernier sursaut d’un régime économique moribond et d’une classe condamnée, qu’il était dirigé par les « valets de la réaction. » »[61].

La vision libérale

Certains penseurs libéraux comme Ludwig Von Mises ou Friedrich Hayek ont développée l’idée que le national-socialisme et le socialisme, au delà des mots, avaient un mode de gouvernement similaire pour celui-là, une parenté idéologique pour celui-ci. Pour le premier, socialisme et nazisme impliquent le même mode de gouvernement : « La marque essentielle du socialisme est que seule une volonté unique agit. Peu importe de savoir de qui c'est la volonté. ... L'organisation et l'ordre planifié sont substitués à l'"anarchie" de la production et aux diverses initiatives des gens... En désignant ce directeur par le terme de société (comme font les marxistes), ou les mots d'État (E majuscule), de gouvernement ou d'autorité, on est enclin à oublier que le directeur est toujours un être humain, et non une notion abstraite, une mythique entité collective. » (Mises, l'action humaine, XXV, 3)

Historiens contemporains

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

Textes d'historiens et penseurs

Notes et références

  1. Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 93.
  2. Le parti abrégeait parfois son nom en « National-Soz-Deutsche-Arbeiter-Partei », faisant disparaître le mot « socialisme ». Cf affiche électorale de 1925, reproduite par Pierre Milza (Les Fascismes, 1985, entre les pages 160 et 161).
  3. Cet ouvrage a été très fortement critiqué par l’historien Pierre Vidal-Naquet en 1979.
  4. Kurt Gossweiler, Classe ouvrière et fascisme, 1978
  5. Ian Kershaw, Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999, p. 218
  6. (qui finira social-démocrate et déporté selon Ian Kershaw, Hitler… Hubris, page 196)
  7. Kurt Gossweiler, Classe ouvrière et fascisme, 1978
  8. Gossweiler idem
  9. Marlis Steinert, Hitler, Paris, Fayard, Pluriel, 1991 page 41-4
  10. Brigitte Hamon, La Vienne d'Hitler, page 323
  11. (Ian Kershaw, Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999, p 214).
  12. Marlis Steinert, Hitler, p. 45
  13. Marlis Steinert, Hitler, Paris, Fayard Pluriel, 1991, page 129
  14. Marlis Steinert, Hitler, page 129. Et aussi Ian Kershaw, Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999, p. 192
  15. Ian Kershaw, Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999, p. 192. Kershaw ne s'en étonne pas, rappelant que le général SS Sepp Dietrich (chef de la garde personnelle d'Hitler et fondateur des Waffen-SS avait élu président d'un conseil de soldat pendant les troubles révolutionnaires 1918 et que le chauffeur de Hitler, Julius Schreck, était aussi un ancien de l’ « armée rouge » de 1919.
  16. Ian Kershaw, Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999 pp 191-192
  17. F.-G. Dreyfus, Le IIIe Reich, page 63
  18. Pierre Milza, Les Fascismes, Imprimerie Nationale, 1985, p. 177.
  19. François-Georges Dreyfus, Le IIIe Reich, page 62 ou 63
  20. rédaction abrégée du programme, selon Jacques Boudet Dictionnaire Les mots de l'histoire, Larousse, 1998, page 775 et ([1]), et ([2]) et (National Socialist Program#The full text of the 25 point program)
  21. « Lassalle ancêtre du nazisme ? Elie Halévy n’était pas loin de le penser lorsqu’il prononça sa fameuse conférence de novembre 1936 devant la Société française de philosophie : « Si Lassalle n’était pas né juif, on serait en droit de saluer en lui un précurseur dans les grandes halles où s’exalte aujourd’hui l’enthousiasme national-socialiste. » » (cité dans Thierry Wolton, Rouge-Brun, le mal du siècle, JC Lattès, 1999, page 203)
  22. A propos des socialistes révisionnistes du SPD : « Dans cette dérive nationaliste de la gauche allemande, Friedrich von Hayek verra plus tard l’une des sources socialistes du nazisme. » (La Route de la servitude, cité par Wolton, page 243)
  23. Wolton voit dans le DAP un « lointain héritier de Lassalle et Bernstein. » (Wolton, page 249). Il faut tout de même préciser que Bernstein s’est opposé au nationalisme et à la guerre mondiale, et a pour cette raison été exclu du SPD en 1917. Egalement : « En voulant associer socialisme et Etat pour la plus grande gloire de la nation prussienne, Lassalle produisit un mixte théorique dont allait s’inspirer, par la suite, le national-socialisme » (Wolton, page 202)
  24. « Certains activistes en vue du Nord, comme le jeune Josef Goebbels dans la région d'Elberfeld (Ruhr) étaient séduits par l'idée d'un "bolchévisme national. » Ian Kershaw (Hitler 1889-1936 : Hubris, Flammarion, 1999, p 395)
  25. Selon l'historienne Marlis Steinert (IUHEI de Genève), citant elle-même d'autres historiens : "Si Schönerer "métamorphosa une tradition de l'ancienne gauche en une idéologie de la nouvelle droite" par la transformation du nationalisme démocratique grossdeutsch en un pangermanisme raciste, Lueger fît exactement le contraire : "Il transforma une idéologie de l'ancienne droite, celle du catholicisme politique autrichien, en une idéologie de la nouvelle gauche, le socialisme chrétien". Marlis Steinert, Hitler, Pluriel, Fayard, 1991, page 41
  26. Pierre Milza, Les Fascismes, Imprimerie Nationale, 1985, p. 171.
  27. Ian Kershaw, Hitler, NRF essais, Gallimard, 1995 page 40
  28. Chapitres VIII, II et III. Dans le chapitre V, il écrit que le but du marxisme est « la destruction de tous les États nationaux non juifs ».
  29. Pierre Milza, Les Fascismes, Imprimerie Nationale, 1985, p. 157.
  30. Alfred Grosser, 10 leçons sur le nazisme, page 63
  31. "Late in 1925, a group of party leaders from the north and west formed the National Socialist Working Association (..) This group differed from Hitler and the Munich party leadership on four issues. (..). They supported the Socialist demand for the expropriation of the property of the royal princes." (The Wilderness Years, Gerhard Rempel, professeur d'histoire au Western New England College, Springfield, Massachusetts ([3]))
  32. Fenal, page 68
  33. FG Dreyfus, Le IIIe Reich
  34. Gregor Strasser, objectifs et chemin, in NS-Brief juillet 1927, cité pat Kurt Gossweiler, 1978
  35. Timothy S. Brown in Bolsheviks, Beefsteaks, and Brownshirts: A Cultural History of the Radical Extremes in the Weimar Republic : "When Strasser announced that the "socialists are leaving the NSDAP" in July 1930, very few "socialists" came with him. This fact has often been used to argue that his ideas were not influential or widely shared in the movement, but it is probably more accurate to say that many Nazis who shared his anti-capitalism, despite concerns over the NSDAP's increasing respectability, continued to feel that they could pursue their socialism within the movement." ([4])
  36. Timothy S. Brown, Bolsheviks, Beefsteaks, and Brownshirts:A Cultural History of the Radical Extremes in the Weimar Republic
  37. « the crisis precipitated the departure of a number of Strasser's supporters to the KPD (..) »
  38. Fenal
  39. Fenal
  40. Cf. les statistiques sur le parti nazi in Pierre Milza, Les fascismes
  41. chiffres cités par Kurt Gossweiler, in Classe ouvrière et fascisme, 1978
  42. Kurt Gossweile, Classe ouvrière et fascisme, 1978
  43. Ian Kershaw, Hitler, page 144
  44. cf. Götz Aly, Comment Hitler a acheté les Allemands : Le IIIe Reich, une dictature au service du peuple
  45. Édouard Husson, université Paris-IV, L’Histoire n°302
  46. Götz Aly, Ainsi Hitler acheta les Allemands in Le Monde Diplomatique, mai 2005 ([5])
  47. Michel Mourre, Le Petit Mourre, Larousse, 1998 page 30
  48. Édouard Husson, université Paris-IV, L’Histoire n°302
  49. Naissance de l'État providence, in Revue économique, Vol. 51, No. 2, De l'Europe d'avant-guerre a l'Europe d'aujourd'hui: Regards sur l'Europe de 1939, Mars 2000, pp. 371-384 et ([6])
  50. Marlis Steinert, Hitler, page 180-181
  51. Michel Mourre, Le Petit Mourre, Larousse, 1998 page 30
  52. Selon Marlis Steinert, Hitler, page 177 : « Et il est vrai que le régime nazi fît beaucoup pour revaloriser psychologiquement la place des travailleurs dans la société »
  53. (Le Petit Mourre, page 30
  54. Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 278.
  55. Götz Aly, Le Monde diplomatique, mai 2005
  56. in État et individu sous le national-socialisme
  57. in État et individu sous le national-socialisme
  58. Marlis Steinert, Hitler, page 183
  59. Mon combat, Nouvelles Editions Latines, 1934, p. 389, également cité dans un cours de l'historien Alain-Gérard Slama ([7])
  60. Mein Kampf cité par Marlis Steinert, Adolf Hitler, page 179
  61. Jacques Droz, Le Socialisme démocratique, 1864-1960, Armand Colin, 1968, page 183
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