- Jeanne de Constantinople
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Jeanne de Constantinople Statue de Jeanne de Constantinople, dans le jardin du béguinage de CourtraiTitre Comtesse de Flandre et de Hainaut 1205 – 1244 Prédécesseur Baudouin VI de Hainaut Successeur Marguerite de Constantinople Biographie Père Baudouin VI de Hainaut Mère Marie de Champagne modifier Jeanne de Flandre ou Jeanne de Hainaut ou Jeanne de Constantinople[1], née à une date inconnue entre 1194 et1200, et morte le 5 décembre 1244, comtesse de Flandre et de Hainaut de 1205 à 1244 est une femme politique du Moyen Âge qui gouverna la Flandre et le Hainaut dans la première moitié du XIIIe siècle. Elle était la fille aînée de l'empereur Baudouin de Constantinople et de Marie de Champagne.
Ses parents étant morts aux Croisades, elle est élevée à Paris sous la tutelle du roi Philippe Auguste, qui la marie à Ferrand de Portugal en 1212. Ce dernier se tourne vite contre son suzerain français, provocant une guerre qui se termine par la défaite de Bouvines et l’emprisonnement du jeune comte. Jeanne gouverne alors seule la Flandre et le Hainaut. Elle doit affronter la rivalité avec sa propre sœur Marguerite, puis la sédition de ses comtés menée par un imposteur qui prétend être son père. A l'issue de cette guerre civile, son époux Ferrand est libéré, mais meurt peu après. Elle épouse en secondes noces Thomas de Savoie. Jeanne décède en 1244 à l'abbaye de Marquette.
La comtesse Jeanne amené une politique favorable au développement économique de ses comtés et octroyé de nombreuses chartes de franchises aux cités flamandes. Elle a joué un rôle important dans le développement des ordres mendiants, des béguines, les Victorines et les communautés hospitalières dans ses comtés, sans pour autant négliger les ordres traditionnels. Sous son règne, les fondations féminines, rares auparavant, se sont multipliées, transformant la place des femmes dans la société et dans l'église.
La Troisième continuation, l'un des romans du conte du Graal fut rédigé pour Jeanne de Constantinople, de même que la Vie de sainte Marthe de Wauchier de Denain. Le premier roman en langue néerlandaise, Van den vos Reynaerde, fut rédigée par un clerc de son entourage.
Jusqu'au XIXe siècle, Jeanne de Constantinople conserva une image très négative, jusqu'à ce qu'elle soit réhabilitée par les historiens. Il existe plusieurs représentations peintes ou sculptées de la Comtesse en France et en Belgique, ainsi que deux géants.
Sommaire
Biographie
L'enfance
La date de naissance exacte de Jeanne de Constantinople est inconnue, plusieurs hypothèses ayant été avancées sans preuves tangibles. On sait simplement que, tout comme sa jeune sœur Marguerite, elle fut baptisée en l'église Saint-Jean de Valenciennes[2].
En 1202, le père de Jeanne, Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, quitte ses terres pour participer à la quatrième croisade. Après la prise de Constantinople, il est proclamé empereur par les croisés, le 9 mai 1204[3]. Son épouse Marie de Champagne décide de faire un pèlerinage en Terre sainte avant de le rejoindre. Elle meurt en arrivant à Acre. Puis Baudouin lui même disparaît au cours de la bataille d'Andrinople face aux Bulgares de Jean Kalojan, le 14 avril 1205. Son sort exact, mort ou prisonnier, est inconnu, mais son corps n'est pas retrouvé[3].
Après la disparition du comte et de son épouse, les comtés de Flandre et de Hainaut sont administrés par un conseil composé du chancelier de Flandre, du prévôt de Lille et des châtelains de Lille et Saint-Omer. L'éducation de Jeanne et de sa sœur cadette Marguerite est assumée par leur oncle paternel Philippe Ier, comte de Namur[3]. Mais, dès 1208, ce dernier délègue cette charge au roi de France Philippe-Auguste[4]. Elles sont élevées à Paris, en compagnie du jeune Thibaud de Champagne[3].
Dès 1206, Philippe Auguste impose à Philippe de Namur de ne pas marier ses nièces sans son consentement. Deux ans plus tard, un accord est conclu aux termes duquel le roi de France s'engage à ne pas les marier avant leur majorité sans le consentement du comte de Namur, mais que ce dernier ne s'opposera pas au choix royal après leur majorité. Enfin, au cas où l'une ou l'autre des deux sœurs refuserait le candidat de Philippe Auguste, l'accord prévoit qu'elle serait remise au comte de Namur, et s'engagerait à servir le roi et à lui verser une compensation financière[3].
En 1211, Enguerrand de Coucy propose à Philippe Auguste la somme de cinquante mille livres pour épouser Jeanne, tandis que son frère Thomas épouserait Marguerite. La noblesse flamande est hostile à ce projet. Mathilde de Portugal, comtesse douairière et veuve de Philippe d'Alsace, propose alors de marier Jeanne à son neveu Ferdinand de Portugal, (1188-1233) dit Ferrand de Portugal, pour la même somme. Le mariage est célébré à Paris[2] le 12 janvier 1212[réf. insuffisante][3]. Après cette date Ferrand de Portugal est connu sous le nom de Ferrand de Flandre.
La jeunesse
Article détaillé : Philippe II de France.Lors de leur voyage de retour en Flandre, les nouveaux époux sont capturés par le cousin de Jeanne, le prince Louis (le futur Louis VIII de France), fils aîné de Philippe-Auguste. Le but de Louis est de récupérer une vaste portion du territoire comprenant l'Artois qu'Élisabeth de Vermandois avait apporté en dot à la Flandre par son mariage avec Philippe d'Alsace, comte de Flandre.
Après avoir cédé les villes d'Aire-sur-la-Lys et de Saint-Omer (par le traité du Pont-à-Vendin, le 24 février 1211), Jeanne et Ferrand de Flandre rejoignent les anciens alliés de Baudouin, le roi Jean d'Angleterre et l'empereur Otton IV, dans une alliance contre la France. Ils se concilient la puissante bourgeoisie gantoise, qui avait pourtant initialement refusé de reconnaître Ferrand pour comte, en octoyant l'élection annuelle des quatre prudhommes, qui choisissaient avec la comtesse les échevins de la cité. Puis, ils autorisent les habitants de Gand et d'Ypres à fortifier leurs villes, et Ferrand démet de leurs fonctions les châtelains de Bruges et de Gand, réputés profrançais[5].
Philippe Auguste réagit en attaquant Lille, qu'il incendie (à l'exception du castrum fortifié et des églises) en 1213[3]. À Damme, la flotte française est détruite par les Anglais. À la bataille de la Roche-aux-Moines, le 2 juillet 1214, le prince Louis bat l’armée anglaise. Puis Philippe Auguste inflige à ses adversaires une défaite décisive à Bouvines le 27 juillet 1214, où Ferrand est fait prisonnier[6]. Pendant les douze ans que Ferrand de Flandre reste prisonnier des Français, Jeanne gouverne seule.
Seule au pouvoir, Jeanne commence par ordonner la reconstruction des remparts de Lille, mais craignant une nouvelle offensive française, elle finit par se soumettre au roi de France. Elle tente alors de faire annuler son mariage par le pape, puisqu'il n'a pas été consommé. En 1221, elle va notamment chercher à épouser Pierre Mauclerc, baillistre de Bretagne, veuf d'Alix de Thouars. Mais Philippe Auguste s'y oppose[3].
Le conflit avec Marguerite
En 1213, Marguerite, sœur cadette de Jeanne, a épousé Bouchard d’Avesnes, Philippe Auguste, qui voit cette union d'un mauvais œil, fait savoir au pape, Innocent III, que Bouchard aurait reçu les ordres majeurs comme sous-diacre. En 1215, lors du quatrième concile du Latran, le souverain pontife accepte d'annuler le mariage pour ce motif. Mais Marguerite et Bouchard n'en tiennent aucun compte : ils se réfugient chez le duc de Luxembourg, au château d'Houffalize dans les Ardennes. C'est là que naissent leurs fils, Jean et Baudouin. En 1219, lors d'une chevauchée en Flandre contre Jeanne, Bouchard est capturé. Deux ans plus tard, acceptant de renoncer au mariage et de se séparer de son épouse, il est libéré. Vers la fin de l'année 1223, Marguerite épouse alors Guillaume de Dampierre[3].
Un autre conflit va agiter le règne de Jeanne. En 1224, elle cherche à acquérir, pour son conseiller Arnoul d'Audernarde, la châtellenie de Bruges, que Philippe Auguste avait confié à Jean de Nesle, bailli de Flandre, après la bataille de Bouvines. Elle conteste la somme trop élevée qui en est demandée. Sa cause est jugée par deux chevaliers, ce dont elle fait appel au roi, lors d'une réunion de sa cour à Melun, considérant qu'elle ne peut être jugée que par ses pairs. Le roi finit par donner raison à Jean de Nesle, ce qui est un désaveu pour Jeanne[3].
Le retour de Baudouin
Article détaillé : Louis VIII de France.Selon les Chroniques de Hainaut, le gouverneur de Flandre et de Hainaut Arnoul de Gavre aurait reconnu son oncle Josse de Materne, en tenue de franciscain, à Valenciennes. En l’interrogeant, il aurait appris que le comte Baudouin et ses compagnons seraient parvenus à échapper aux Bulgares après vingt ans de captivité[7]. La Chronique rimée de Philippe Mouskes signale, à la même époque, qu'un mystérieux étranger distribuait de larges sommes d’argent en annonçant le retour de Baudouin[7]. En 1225, un ermite vivant prêt de Mortagne, dans la forêt entre Valenciennes et Tournai, avoue être effectivement le comte Baudouin. Il revendique alors la restitution par Jeanne de ses droits de souveraineté sur les comtés de Flandre et de Hainaut[8].
Baudouin crée des chevaliers, scelle des actes, se comporte comme un véritable comte[7]. Rapidement, il est soutenu par les nobles hennuyers, notamment Jean de Nesle et Robert de Dreux. Puis il reçoit le soutien de la majorité des villes de Flandre et de Hainaut[7], dont Lille et Valenciennes. Le roi Henri III d'Angleterre lui propose même de renouer une alliance contre le roi de France, et il reçoit le soutien des ducs de Brabant et de Duché de Limbourg[7]. Jeanne envoie son conseiller Arnoul d'Audenarde, qui ne peut rencontrer l'ermite mais revient néanmoins convaincu qu'il est bien le véritable Baudouin. D'autres témoins sont plus sceptiques, mais ils sont accusés par le peuple d'êtres vendus à la comtesse[7].
Jeanne est contrainte de se réfugier à Mons, seule ville qui lui reste fidèle. Contre la promesse de vingt mille livres et la mise en caution de Douai et de Lécluse, le roi Louis VIII accepte d'intervenir avec son armée pour rétablir Jeanne dans ses droits[3]. Il négocie âprement son soutien : Jeanne s'engage à lui rembourser les frais de guerre, gageant cette promesse sur les villes de Douai et de L'Ecluse[7].
Avant de lancer les opérations militaires, Louis VIII envoie sa tante Sybille de Beaujeu, sœur de Baudouin, rencontrer l'ermite. Celle-ci conçoit des doutes sur son identité. Le 30 mai 1225, le roi rencontre alors le prétendu Baudoin à Peronne et l'interroge sur des détails de sa vie[7] : il est incapable de se souvenir quand et où il a été fait chevalier, pas plus qu'il ne se souvient de sa nuit de noces. Les évêques d'Orléans et de Beauvais le reconnaissent comme un jongleur, qui avait déjà essayé de se faire passer pour le comte Louis de Blois, également disparu à la bataille d'Andrinople[7].
Convaincu qu'il s'agit d'un imposteur, Louis VIII lui donne trois jours pour fuir. Le faux Baudouin se réfugie chez ses partisans à Valenciennes[7], mais la ville est rapidement reprise par les Français. jeanne exige une capitulation sans conditions[7]. Le faux Baudouin prétend alors se réfugier chez l’archevêque de Cologne, mais il fausse compagnie à ses derniers partisans et prend la fuite. Rattrapé près de Besançon, il est livré à Jeanne[7]. Malgré la promesse de ne pas le mettre à mort, le comtesse le fait exposer au pilori entre deux chiens, puis pendre aux portes de Lille[3]. Il est probable que Bouchard d'Avesnes, l'époux de Marguerite de Constantinople écarté par Jeanne, qui ait été l'âme du complot[7]. Le faux Baudouin avait reconnu les droits légitimes de ses fils comme héritiers des deux comtés.
Après la reprise des villes rebelles, Jeanne impose de lourdes amendes. Cela lui permet non seulement de rembourser ses dettes envers le roi de France dès l'année suivante, au lieu des vingt années prévues, mais aussi de payer la rançon de son époux Ferrand de Portugal[7].
La libération de Ferrand
Les énormes amendes que Jeanne impose aux villes rebelles qui avaient soutenu le faux Baudouin lui permettent de payer rapidement les vingt mille livres prévues pour la reprise des deux comtés par les troupes françaises[3].
En 1226, par le traité de Melun signé entre Jeanne et le roi Louis VIII, la rançon de Ferrand est fixée à cinquante mille livres payables en deux versements. Le traité prévoit que les villes de Lille, Douai et Lécluse serviront de caution en attendant le payement complet de cette somme considérable. Jeanne est contrainte par cet accord de conserver Ferrand pour époux. Tous deux encourent l'excommunication s'ils sont infidèles au roi - ce qui constitue un parjure en droit féodal. Enfin, ses chevaliers et les représentants des villes doivent eux aussi prêter serment de fidélité au roi de France : vingt-sept villes et trois-cent cinquante nobles prêtent ce serment[5]. Après la mort de Louis VIII survenue le 8 novembre, sa veuve Blanche de Castille et son fils et successeur Louis IX autorisent effectivement, en janvier 1227, la libération de Ferrand après avoir accordé à Jeanne un rabais de moitié de la rançon, réduite à vingt-cinq mille livres[3].
Vers 1227 (ou 1228), Jeanne met au monde une fille, Marie. Celle-ci, qui sera leur unique enfant, est promise à Robert d'Artois, frère du roi de France Louis IX. Mais cette fille unique mourra en 1236. Ferrand de Portugal meurt le 27 juillet 1233[9] à Noyon de la maladie de la pierre dont il souffrait depuis sa détention[3]. Son cœur est inhumé en la cathédrale, tandis que son corps est ramené à l'abbaye de Marquette, en Flandre. Après le décès de son mari, Jeanne souhaite épouser Simon de Montfort, comte de Leicester, mais le roi de France refuse cette alliance. C'est au cours de cette même année 1233 que Bouchard d'Avesnes, emprisonné depuis son intrigue du faux Baudouin, est libéré[3].
Le mariage avec Thomas de Savoie
En 1237, Jeanne épouse en secondes noces Thomas II de Savoie (v. 1199-1259), fils du comte de Savoie Thomas Ier (1178-1233) et de Béatrice Marguerite de Genève (†1257), et surtout oncle de la reine Marguerite de Provence, épouse de Louis IX[3]. Il est comte de Maurienne (sous le nom de Thomas II), (1233-1259), et seigneur (1233) puis comte (1245-1259) de Piémont. Pour ce mariage, Jeanne est contrainte de payer trente mille livres au roi de France et de lui renouveler ses serments de fidélité. Avec son époux, ils vont notamment le soutenir contre la révolte menée par Hugues de Lusignan[3].
À la mort de Jeanne le 5 décembre 1244, à l'abbaye de Marquette, sa sœur Marguerite lui succède, tandis que Thomas retourne en Savoie[3]. Le tombeau de Jeanne a été redécouvert en 2005 sur le site de l'ancienne abbaye de Marquette[10]. Les fouilles menées en 2007 ont néanmoins permis de découvrir que le corps de la comtesse ne se trouvait pas dans ce tombeau[11].
Le rôle politique de la comtesse Jeanne
Économie
La comtesse Jeanne, dès les premières années de son règne personnel (1214-1226), a mené une politique favorable au développement des cités flamandes. Elle accorde des privilèges judiciaires et fiscaux à Dunkerque, Gand, Lille, Mardyck, Seclin (1216), puis Biervliet et Ypres (1225)[5]. À Courtrai, en 1217, elle favorise l'arrivée d'ouvriers pour l'industrie lainière en exemptant de taille les personnes qui viendraient s'installer dans cette ville[5]. Après le retour de son époux Ferrand, elle confirme cette orientation politique, en octroyant à Douai, Gand et Ypres, ainsi que les Métiers de Bruges et de Lederzeele de nouveaux privilèges, qui leur confèrent une plus grande autonomie vis-à-vis du pouvoir comtal. Après la mort de Ferrand (1233), elle promulgue encore la charte de Lille et autorise la construction d'un beffroi à Valenciennes.
Puis, après son mariage avec Thomas de Savoie (1237-1244), elle complète cette politique par des exemptions fiscales, une réorganisation du système judiciaire, des mesures destinées à favoriser le commerce fluvial et les ports de mer, qui concernent les villes de Bergues, Bourbourg, Bruges, Damme, Furnes, Mude et Kaprijke[5]. Dans les régions moins urbanisées, notamment en Hainaut, le pouvoir comtal reste fort. Sous la pression constante de la bourgeoisie flamande, consciente de la nécessité de son soutien pour la comtesse face au roi de France, Jeanne a mené une politique qui a favorisé le développement économique et l'autonomie urbaine, non sans contreparties fiscales[5].
Afin de favoriser le commerce fluvial, Jeanne a fait construire en 1237 des portes d'eau à Menin et Harelbeke, rendant la Lys navigable. Puis en 1242, avec Thomas de Savoie, elle autorise les échevins de Lille à créer trois écluses, à Marquette-lez-Lille, à Wambrechies et à Lille même, étendant le réseau à la Deule. La dernière ne sera finalement pas construite, mais remplacée par un bassin à double porte au Quesnoy[12].
Religion
En bonnes relations avec les Cisterciens, Jeanne a fondé l'abbaye féminine de Marquette-lez-Lille, et confirmé, soutenu ou aidé la fondation de plusieurs autres abbayes de moniales cisterciennes. Alors que jusqu'au XIIe siècle, les abbayes des deux comtés étaient exclusivement masculines, vingt monastères féminins sont fondés en Flandre et cinq en Hainaut au cours du XIIIe siècle, soutenus par Jeanne, puis par sa sœur Marguerite - pour certains d'entre eux, le rôle de créatrices leur fut attribué a posteriori, durant la période moderne[13].
Jeanne soutient également l'installation des ordres mendiants dans ses comtés. À Valenciennes, alors qu'une petite communauté franciscaine s'est installée vers 1217, elle leur donne, en 1226, l'ancien donjon de la ville pour en faire un couvent ; elle se heurte au refus des « spirituels », dont elle vainc la résistance en écrivant au général de l'ordre, qui envoie des « conventuels » s'y installer. Les deux communautés fusionnent avant 1241[14]. Dans le cas des franciscains de Lille, on sait que Jeanne leur envoie son maître d’œuvre et des charpentiers pour aider à la construction de l'église et du couvent[15].
La comtesse joue également un rôle dans la création des « cours de béguines », c'est-à-dire un terrain clos, construit de maisons et parfois équipé d'une église ou d'un hôpital, qui deviendront les « béguinages » classiques : Mons et Valenciennes pour le Hainaut, Bruges, Gand, et Ypres pour la Flandre, tous fondés entre 1236 et 1244, auxquels il faut ajouter Douai et Lille, créés en 1245 par Marguerite en exécution du testament de sa sœur aînée Jeanne. Il est possible que l'influence des Dominicains ait joué un rôle dans ces fondations, dont certaines sont placées sous leur directions spirituelle[16].
Dès la fin du XIIe siècle, des religieuses Victorines s'implantent en Flandre et en Hainaut. Une dizaine de monastères sont fondés entre 1217 et 1262. Jeanne encourage ce mouvement, et soutient directement, en 1244 la création du prieuré de Bethléem, à Mesvin, dans le diocèse de Cambrai[17]. Ces monastères, qui bénéficient d'une grande autonomie, ont une vocation caritative et urbaine. Ils répondent bien aux demandes de la nouvelle spiritualité féminine au XIIIe siècle[17].
Jeanne a soutenu les hôpitaux, notamment les hospices Saint-Sauveur et Saint-Nicolas à Lille. En 1228, avec son époux Ferrand, elle donne un terrain pour la fondation de la Biloke à Gand[15]. En février 1237, elle fonde l'Hospice Comtesse, pour lequel elle donne les jardins de sa résidence, au sein du castrum de Lille, à l'emplacement de l'ancien donjon qui avait été rasé par les Français en 1213[3]. Elle crée également l'hôpital Sainte-Élisabeth-de-Hongrie à Valenciennes, quatre ans après sa canonisation. Cette fondation est desservie par des béguines[15].
Influence de Jeanne sur la littérature médiévale
Article détaillé : Littérature médiévale.Deux manuscrits connus sont considérés comme ayant appartenu à la bibliothèque de Jeanne. Le premier est un psautier conservé à la Bibliothèque nationale de France (Lat. 238), confectionné vers 1210, qui pourrait avoir été offert par Blanche de Navarre à sa nièce Jeanne lors de son mariage avec Ferrand de Portugal[18]. Le second, daté des années 1210-1220 est un exemplaire du Conte du Graal, conservé à la British Library (Add. 36614). Ce second manuscrit aurait comporté le Perceval de Chrétien de Troyes, auquel Jeanne aurait fait ajouter les Continuations et la Vie de sainte Marie l'Égyptienne[19]. Tous deux proviennent d'un atelier champenois[18].
La rédaction du cycle du Conte du Graal est fortement liée à la famille comtale de Flandre. Chrétien de Troyes écrivait sous la protection de l'oncle de Jeanne, Philippe de Flandre. Manessier, auteur de la Troisième continuation, a dédié son œuvre à la comtesse Jeanne[18]. Il est vraisemblable que son prédécesseur Wauchier de Denain, auteur de la Seconde continuation ait également fait partie de son entourage, sans qu'on puisse démontrer de manière certaine que l'ouvrage fut écrit pour elle[20]. Par contre, il a dédié sa Vie de sainte Marthe à la jeune comtesse, vers 1212. Malgré son caractère hagiographique, ce texte semble avoir été conçu à la fois comme un livre pour l'instruction et l'édification de sa dédicataire adolescente, mais aussi comme un récit merveilleux, proche du roman de chevalerie, notamment par l'épisode de la Tarasque. Marthe y est présentée comme une grande oratrice, capable de vaincre la sédition des villes là où saint Front et saint Georges ont échoué[20].
Van den vos Reynaerde est la première version du Roman de Renart en néerlandais et l’une des premières œuvres littéraires rédigées dans cette langue[21]. Elle contient des épisodes originaux, qui n’appartiennent pas à la version romane. Son auteur, « Willem die Madocke maecte », a été identifié comme le convers cistercien Guillaume de Boudelo[22], décédé en 1261. Cet clerc talentueux fut recruté par la comtesse Jeanne, qui en fit la demande au chapitre général cistercien en 1238[23]. Elle le nomme notamment administrateur de l’hospice Comtesse de Lille, lors de sa fondation, de 1238 à 1244[24], puis au couvent de Marke, près de Courtrai[25].
Néanmoins, l'activité de Jeanne comme mécène littéraire semble avoir été limitée. Il est possible que, pour s'imposer dans un monde dominé par les hommes, elle ait volontairement écarté ce rôle généralement attribué aux femmes[20].
Postérité de Jeanne de Constantinople
Les chroniqueurs médiévaux postérieurs à Jeanne, tels que Matthieu Paris, lui sont généralement hostiles ; presque tous considèrent que l'ermite était bien le véritable Baudouin de Flandre et qu'en le faisant mettre à mort, elle a commis un parricide[7]. Au milieu du XVe siècle, Le livre de Baudouin, comte de Flandre, présente jeanne comme la fille naturelle née de relations du comte avec une sarrasine possédée par un démon, qui commet le parricide au terme d'une tortueuse intrigue romanesque[7].
En 1823, Sismondi reprend cette thèse du parricide dans son Histoire des Français, tout comme les dramaturges Fontan et Victor Herbin dans leur pièce Jeanne de Flandre, en 1835. En réaction, Emile Gachet entreprend de réhabiliter la comtesse dans la Revue du Nord, nouvellement fondée[7]. Enfin, en 1840, Jules de Saint-Genois, le père du roman historique belge, écrit un Faux Baudouin, puis l'année suivante, Edward le Glay publie son Histoire de Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, qui fera longtemps autorité sur le sujet et contribue à réhabiliter la comtesse[7].
Le musée de l'Hospice Comtesse possède deux tapisseries de Guillaume Werniers, d'après des cartons d'Arnould de Vuez, représentant la comtesse Jeanne. L'une, réalisée en laine et soie, présente Jeanne assise entre ses deux époux successifs, Ferdinand de Portugal et Thomas de Savoie, identifiés par leurs blasons ; elle porte la mention « Jeanne de Constantinople comtesse de Flandres / fondatrice de cette maison 1233 », qui montre que la tapisserie a été réalisée pour l'hospice Comtesse. L'autre présente le comte Baudouin IX, avec son épouse et ses deux filles, les futures comtesses Jeanne et Marguerite[26]. Dans le même musée, une peinture anonyme de 1632, dite « Fondation de l'hôpital Notre-Dame », montre les comtesses Jeanne et Marguerite, entourées de la Vierge, de saint Augustin et de sainte Élisabeth de Hongrie, ainsi que des religieux et religieuses de l'hospice Comtesse[26].
La statue de la comtesse Jeanne orne les jardins du béguinage de Courtrai. Le nouvel hospital mère et enfant du Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille porte son nom[27]. La ville de Wattrelos a crée un géant Jeanne de Flandre, ainsi que des géants Ferrand de Portugal et Thomas de Savoie, ses époux[28]. C'est également le cas de la ville de Marquette-lez-Lille, où la comtesse fut inhumée[29].
A l'automne 2009, une exposition intitulée Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, lui est consacrée[30]. Ce fut l'occasion d'une création artistique consacré aux jeunes comtesses Jeanne et Marguerite par la photographe Laura Henno[31].
Ascendance
Bibliographie
- Edward Le Glay, Histoire de Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Lille, Vanackere, 1841. [première biographie scientifique consacrée à Jeanne de Constantinople, fondée sur l'étude des archives et chroniques, par un archiviste-paléographe.]
- Theo Luykx, Johanna van Constantinopel, gravin van Vlaanderen en Henegouwen, Leuven, 1947. [Etude très documentée, qui fait toujours référence, en flamand.]
- Geneviève De Cant, Jeanne et Marguerite de Constantinople, Éditions Racine, Bruxelles, 1995. [Biographie à destination du grand public, fondée sur les ouvrages précédents.].
- Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009. [Catalogue de l'exposition de Lille, septembre-novembre 2009. 22 contributions d'auteurs américains, belges, français, suisses, actualisant les connaissances sur le sujet.][32].
Notes et références
- Généalogie de Jeanne de Flandre sur le site FMG
- Edward Le Glay, Histoire de Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Vanackere, 1841, chapitre I, pp. 1-12.
- Gérard Sivéry, « Jeanne et Marguerite de Constantinople, comtesses de Flandre et de Hainaut au XIIIe siècle », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 15-30.
- Isabelle de Hainaut, épouse de Philippe Auguste. Philippe Auguste était également leur oncle par alliance, Baudouin de Flandre étant le frère d'
- « La politique de Jeanne de Constantinople à l'égard des villes (1212-1244). Une situation gagnant-gagnant ? », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 55-63 Els de Paermentier,
- Georges Duby, Le dimanche de Bouvines, éditions Gallimard, Collection Folio histoire, 1985.
- « Jeanne de Constantinople face aux fantômes du père », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 33-40. Gilles Lecuppre,
- Présence de l'au-delà: une vision médiévale du monde, 2004, p. 30 Henri Platelle,
- Rénier Chalon, Recherches sur les monnaies des comtes de Hainaut, Bruxelles, librairie scientifique et littéraire, 1848, p. 23.
- « Le mausolée de la comtesse Jeanne à l'abbaye de Marquette : essai de restitution », Archéologie de la Picardie et du Nord de la France, Revue du Nord, 2006, Tome 88, n° 368, p. 109-125. Benoit Chauvin et Guillaume Delepierre,
- Marquette -"L'abbaye", site de la société Archéopole.
- Catherine Monet, Lille au fil de l'eau, La Voix du Nord éditions, 2001, p. 56.
- Bernard Delmaire, Le monde des moines et des chanoines, sa féminisation au XIIIe siècle, dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 81-92.
- Bernard Delmaire, Un nouveau mode de vie consacrée : les ordres mendiants, leur diffusion en Flandre et en Hainaut au XIIIe siècle, dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 95-104.
- Alain Salamagne, L'architecture au temps de Jeanne de Constantinople, dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 163-174.
- Bernard Delmaire, Béguines et béguinages en Flandre et en Hainaut au XIIIe siècle, dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp. 107-115.
- « Jeanne de Constantinople et quelques fondations féminines de l'ordre de Saint-Victor », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp.117-122 Isabelle Guyot-Bachy,
- « La littérature en Flandre et en Hainaut au XIIIe siècle », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp.125-132. Olivier Collet,
- « L'enluminure au temps de Jeanne de Constantinople et Marguerite de Flandre », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp.177-189. Alison Stones,
- « Sainte Marthe et Perceval : deux figures entre exemple et divertissement, ou les œuvres littéraires écrites pour Jeanne de Flandre », dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp.135-143. Sébastien Douchet,
- Rudi Malfliet, La comtesse Jeanne de Constantinople et l’histoire de Vanden vos Reynaerde, dans Nicolas Dessaux (ed.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Somogy, 2009, pp.145-149.
- R. van Daele, Ruimte et naangeving in Van den vos Reynaerde, Koniniklijke Academie for Nederlandse Taalen letterkunde, Gent, 1994.
- J.M. Canivez, Statuta Capitulorum Generalium Ordinum Cisterciencis, Tomus I, n° 25 (138), Bibliothèque de la revue d’histoire ecclésiastique, Fasc. 9, Louvain, 1933.
- R. Schneider, Vom Klosteraushlat zum Stadt und Staadhausalt, 38, Monographien zur Geschchte des Mittelalters, Band 38, Stuttgart, Anton Hierseman 1994.
- F. van de Putte, Chronique et cartulaire de l’abbaye de Groeninghe à Courtrai, N° 9 et 10, Bruges, s.n., 1872.
- Aude Cordonnier, Musée de l'hospice Comtesse, Miroir de Lille et des Pays-Bas, XIIIe-XXe siècle, Casterman, 1994.
- Hôpital Jeanne de Flandre, site du CHRU de Lille.
- « les géants de Wattrelos et leur légende ». Jean-Luc Lobbedez,
- Jeanne de Flandre, site de la ville de Marquette.
- « Jeanne de Flandre, une comtesse honorée dans l'hospice qu'elle a créé », La Voix du Nord, 9 septembre 2009 M. CA,
- Henno Laura - Jeanne de Constantinople Comtesse de Flandre et de Hainaut, Actuphoto, février 2010.
- Recension par Sabine Berger, Histara, novembre 2010.
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