IVe Concile Du Latran

IVe Concile Du Latran

IVe concile du Latran

Le quatrième concile œcuménique du Latran (souvent surnommé Latran IV) est le douzième concile œcuménique de l'Église catholique. Il est tenu à Latran en 1215 sur l'initiative du pape Innocent III. Le concile Latran IV marque l'apogée de la chrétienté médiévale et de la papauté après l'effort de renouveau inauguré, 150 ans plus tôt, par Grégoire VII. Pendant les trois semaines que dure le concile, du 11 au 30 novembre 1215, de nombreuses décisions sont prises qui renforcent l'emprise du Saint-Siège sur la chrétienté occidentale.

Sommaire

Convocation et tenue du concile

Le pape Innocent III doit faire face à de nombreuses difficultés en Occident: lutte contre les souverains pour imposer la théocratie pontificale, contre les progrès de l'hérésie cathare, volonté de mieux organiser la croisade. Innocent III cherche à donner des solutions plus générales à tous les problèmes qui se posent à l'Eglise, d'où l'idée d'un concile oecuménique. Il décide de convoquer un nouveau concile et de lui donner la plus grande ampleur possible. La bulle d'indiction du concile, Vineam Domini Sabaoth, est publiée le 19 avril 1213, deux ans avant le début du concile. Tous les évêques doivent se rendre à Rome sauf deux dans chaque province ecclésiatique qui restent pour expédier les affaires courantes.

Le concile débute le 11 novembre 1215 après une allocution du pape. 80 provinces ecclésiastiques sont représentées, soit 412 évêques, 800 abbés ou prieurs auxquels il faut rajouter de nombreux délégués d'évêques ou d'abbés empêchés de venir. Pour la première fois, des évêques d'Europe centrale (Bohème, Hongrie, Pays Baltes) assistent aux débats. Plusieurs prélats orientaux, le patriarche des Maronites[1] Jérémie al-Achrîtî qui se voit d'ailleurs reconnaitre pendant le concile le titre de patriarche d'Antioche et la reine de Chypre sont présents. L'empereur Frédéric II, les rois de France, d'Angleterre, d'Aragon et de Hongrie ont envoyé des orateurs pour les représenter. Le concile de Latran IV représente vraiment toute la chrétienté occidentale[2].

Le concile se tient en trois séances solennelles, les 11, 20 et 30 novembre 1215. Le déroulement des séances intermédiaires nous est connu par la relation dite de « l'Anonyme de Giessen ». Les débats prennent place par nations avant d'être portés devant le pape et les évêques. Des auditions ont lieu : ainsi, les comtes de Foix et de Toulouse, accusés d'hérésie, viennent plaider leur cause devant le concile. Lors de la séance de clôture, présidée par le pape Innocent III le concile proclame la paix générale mais aussi un décret sur la croisade, promulgue ses décrets dont il nous reste 70 canons dogmatiques et disciplinaires.

Les décisions du concile

La lutte contre les hérésies

Le concile s'occupe en premier lieu de la question cathare. Dans leur premier canon, les pères conciliaires condamnent solennellement le catharisme et redéfinissent chaque point de la doctrine catholique contestée par les cathares. Ainsi, le concile réaffirme que seul Dieu est créateur de toute chose et que seul le prêtre peut administrer les sacrements[3]. Il précise qu'aucun être n'est originellement mauvais et que le mal provient d'un acte libre de la créature[4] : «Nous croyons fermement et nous professons simplement ... un principe unique de l'univers, créateur de toutes les choses visibles et invisibles, spirituelles et corporelles: par sa force toute-puissante dès le commencement du temps il créa tout ensemble de rien l'une et l'autre créature, spirituelle et corporelle, à savoir celle des anges et celle du monde, puis la créature humaine, qui tient en quelque sorte de l'une et de l'autre puisqu'elle est composée d'esprit et de corps. Car le diable et les autres démons ont été créées par Dieu naturellement bons, mais ce sont eux qui d'eux-mêmes se sont rendus mauvais; quant à l'homme, il a péché à l'instigation du diable»[5] Le canon 3 organise la répression de l'hérésie cathare. Il établit des tribunaux et l'essentiel de la procédure pour juger les hérétiques, embryon de la future inquisition. Il ordonne que les hérétiques soient livrés au pouvoir séculier et que leurs biens soient saisis, que ceux qui protègent les hérétiques soient excommuniés et privés de toute fonction publique, que les évêques recherchent dans leurs diocèses les hérétiques. Le canon interdit aussi à quiconque de prêcher sans l'autorisation du pape ou de l'évêque. De plus, la croisade contre les hérétiques reçoit les mêmes privilèges que celle contre les musulmans en terre sainte. Raymond VI, comte de Toulouse, est définitivement dépouillé de ses fiefs transférés à Simon de Montfort[6].

Le concile condamne également les amauriciens, jugés coupables de panthéisme, et les œuvres de Joachim de Flore, accusé de trithéisme. Plus généralement, le concile réaffirme les fondements de la politique catholique contre les hérétiques : les évêques sont chargés de débusquer les hérésies, et les autorités civiles doivent leur prêter leur concours. Dans le cadre du concile, le pape projette avec saint Dominique et Foulques, évêque de Toulouse l'établissement du futur Ordre des Frères Prêcheurs (ou dominicains).

Le renforcement de l'exclusion des Juifs

Concernant les Juifs, le concile décide qu'ils doivent porter sur eux une marque distinctive de leur différence : un chapeau particulier à bout pointu en Allemagne ou la rouelle en France, un signe en forme de tables de la Loi en Angleterre[7]. L'objectif est d'instaurer ainsi le principe d'une ségrégation forcée[8]. La justification donnée est que: « dans certaines provinces, les habits des Juifs et des Sarrasins se distinguent de ceux des Chrétiens, mais que dans d’autres, un degré de confusion se produit, de sorte qu’ils ne peuvent pas être reconnus par aucune marque distinctive. Comme résultat, par erreur, des Chrétiens ont des rapports sexuels avec des femmes juives ou sarrasines. De façon que le crime d’un tel mélange maudit ne puisse plus avoir d’excuse dans le futur, nous décidons que les Juifs et les Sarrasins des deux sexes, dans toutes les terres chrétiennes, se distinguent eux-mêmes publiquement des autres peuples par leurs habits. Conformément au témoignage des Écritures, un tel précepte avait déjà été donné par Moïse (Lévitique 19.19 Lévitique 19; Deutéronome 22.5.11 Deutéronome 22) »[9]. Par ailleurs, le concile interdit aux Juifs d’occuper des fonctions d’autorité, d’avoir des relations professionnelles et sociales avec les chrétiens, de sortir pendant la Semaine sainte.

La croisade

Le décret sur la croisade est le dernier du concile. Rendez-vous est donné aux croisés, le 1er juin 1217 en Sicile, pour ceux qui partent par mer. Le concile ordonne la prédication de la nouvelle croisade dans toute la chrétienté[10]. L'indulgence plénière est étendue à ceux qui contribuent à la construction de bateaux pour la croisade alors que jusque là seuls les combattants en bénéficiaient. C'est un appel direct aux armateurs de villes italiennes[11]. Le concile rappelle la protection accordée par l'Église aux personnes et aux biens des croisés. Il décide par ailleurs de frapper les revenus ecclésiastiques d'un impôt d'un vingtième et les biens de pape et des cardinaux d'un impôt d'un dixième. Les décisions ont comme but d'associer toute la chrétienté à l'idéal des croisades et non pas seulement les combattants. Il suffit pour cela d'aider financièrement à l'organisation de la cinquième croisade[12] Par ailleurs, interdiction est faite de nouveau de commercer avec les musulmans sous peine d'excommunication. Innocent III meurt peu après le concile, et finalement la croisade qu'il prêchait ne partira pas.

La réforme de l'Église

La réforme des mœurs du clergé et de la discipline des laïcs semble être pour Innocent II, la solution à tout succès d'une hérésie.

La foi

Le symbole issu de Latran IV, contenu dans la constitution dogmatique De fide catholica, est cinq fois plus long que celui de Nicée-Constantinople: " Nous croyons fermement et nous confessons franchement qu'Unique est le vrai Dieu, éternel, immense et immuable, incompréhensible, tout-puissant et ineffable, Père et Fils et Saint-Esprit : trois personnes, en vérité, mais une seule essence, une substance ou nature absolument unique : le Père n'est de personne, le Fils est du Père seul, et le Saint-Esprit est également de l'Un et de l'Autre : Ils sont sans commencement, toujours, et sans fin : le Père engendre, le Fils naît, le Saint-Esprit procède : ils sont consubstantiels, et co-égaux, et co-omnipotents et co-éternels : principe unique de toutes choses... "
Le concile affirme (principalement pour condamner les cathares) la Trinité, l'incarnation humaine du Christ, et introduit dans le dogme, sous l'influence des théologiens Pierre Lombard et Étienne Langton, le concept de la transsubstantiation qui est défini comme dogme pour la première fois dans un canon de l'Église catholique[13]. Ainsi le premier canon du concile affirme: " Il y a une seule Église universelle des fidèles, en dehors de laquelle absolument personne n’est sauvé et dans laquelle le Christ est lui-même à la fois le prêtre et le sacrifice, lui dont le corps et le sang, dans le sacrement de l’autel, sont vraiment contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstantié au corps et le sang au vin par la puissance divine, afin que, pour accomplir le mystère de l’unité, nous recevions nous-mêmes de lui ce qu’il a reçu de nous. " Le terme ‘transsubstantiation’ indique le changement de substance du pain et du vin en le corps et le sang de Jésus Christ Il était apparu vers 1140. Toute la réflexion qui se développe sur ce sujet aboutit à la déclaration du Latran[14]
La définition de Dieu créateur unique implique que l'acte créatif embrasse toutes les entités existantes en dessous de Dieu, y compris celles spirituelles, à savoir les Anges. Les Anges font donc partie des entités créées par Dieu et sont eux aussi soumis à l'action divine qui les a fait naître. Ce sont des créatures de Dieu. Cela contre la doctrine albigeoise qui considérait l'homme comme un Ange déchu et emprisonné dans la matière produite par Satan[15].

Les clercs

La simonie et le nicolaïsme sont de nouveau condamnés, de même que, pour les clercs, l'ivrognerie, le jeu, la participation aux festins et aux duels ou encore la pratique de la chirurgie. Il est rappelé que les contributions des fidèles sont volontaires et qu'il est hors de question de les tarifer. Le concile insiste sur leur décence nécessaire : interdiction des habits de luxe, obligation d'assister aux offices, de garder les lieux de culte propres et convenables (canon 20). Trois décrets règlent les problèmes de la hiérarchie ecclésiastique. Chaque année les sièges métropolitains doivent tenir un synode provincial pour surveiller l'élection et le travail des évêques de la province. Les ordres religieux doivent tenir un chapitre général tous les trois ans[16]. Il est de plus fait obligations aux évêchés qui le peuvent de fonder un séminaire pour former les prêtres[17].

Pour ce qui est des moines, la décadence de certains ordres comme Cîteaux est dénoncée. le concile tente de faire payer la dîme à Cîteaux exemptée de son paiement depuis 1132, mais sans résultat probant[18]. Le concile décide que toute nouvelle maison religieuse doit adopter une règle déjà reconnue, celles de saint Basile, de saint Augustin ou de saint Benoît[19].

Les laïcs

En ce qui concerne les laïcs, les sacrements font l'objet d'un travail de définition. C'est le cas par exemple pour la confession, mais aussi l'eucharistie : le décret Utriusque sexus impose la confession et la communion annuelles à tous les laïcs parvenus à l'âge de discrétion (annos discretionis : l'âge auquel on distingue le bien du mal) ou l'âge de raison. Il instaure la confession auriculaire (à l'oreille du prêtre) en remplacement de la confession publique, rare et réservée aux actes graves et connus de tous. Ce canon n'a jamais cessé d'être appliqué par l'Eglise catholique.

La qualité du mariage est mise en exergue comme l'un des sept sacrements et définie comme l'union de deux volontés plus que comme celle de deux corps. Cela signifie que le mariage ne peut être dissout que par la mort. La législation à ce sujet est affinée : la parenté minimale est ramenée à 4 degrés (au lieu de 7 depuis la réforme grégorienne), les bans deviennent obligatoires. Les évêques conciliaires n'autorisent que les mariages pour lesquels les deux conjoints, l'homme et la femme, ont publiquement exprimé leur consentement.

Le canon 62 règlemente la vénération des reliques. Il est interdit d'en vendre et d'en proposer de nouvelles sans autorisation du pape. Les récits de "faux" miracles sont interdits.

Enfin, dans le domaine judiciaire, l'ordalie (ou jugement de Dieu) est interdite.

Bilan

Le IVe concile du Latran revêt une importance considérable dans l'histoire de l'Église. Après le concile de Trente, il est celui qui a inséré le plus grand nombre d'articles dans le droit canonique. S'il a déployé des efforts importants pour moraliser l'Église et ses clercs, et développer la pastorale auprès des fidèles, il a également adopté des positions porteuses de danger, notamment en matière de politique. Enfin, l'accent mis sur la répression contre les Juifs et les hérétiques laisse préfigurer l'Inquisition.

Notes et références

  1. Hervé Legrand, Article Eglise maronite, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  2. Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991, p 311
  3. Jean Chélini, p 312
  4. Hervé Rousseau, Article Satan, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  5. «Firmiter credimus et sîmpliciter confitemur ... unum universorum principium, creator omnium invisibilium et visibilium, spiritualium et corporolium, qui sua omnipotenti virtute simul ab inîtio temporis, utramque de nihilo condidit creaturam, spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et mundonam, ac deinde humanam quasi communem ex spîritu et corpore constitutam. Diabolus enim et doemones alii a Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunt mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit ...» (Conciliorum Oecumenicorum Decreta (C.Oe.D.J, lère Ed., Bologne, 1962, p. 206; Denz. Sch., Enchiridion symbolorum, n. 800).
  6. Jean Chélini, p 313
  7. Esther Benbassa, « Antisémitisme », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  8. Gérard Nahon Article Ghetto, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  9. (en): Schreckenburg, Heinz, The Jews in Christian Art, p.15, 1996, Continuum, New York, ISBN 0-8264-0936-9
  10. Jean Chélini, p 314
  11. Jean Richard, Article Croisades, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  12. Jean Chélini, p 315
  13. Jean Chélini, p 317
  14. Les commentaires de Mt 26,26-29 au Moyen âge sur [1], consulté le 6 octobre 2008
  15. Renzo Lavatori, La question métaphysique de l'Ange sur [2], consulté le 6 octobre 2008
  16. Jean Chélini, p 314
  17. Jean Passicos, Article Séminaire, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  18. Michel sot, Article Dîme, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  19. Jacques Dubois, Le monachisme chrétien occidental dans l'article monachisme, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007


Bibliographie

  • G. Alberigo et A. Duval (dir.), Les Conciles œcuméniques, 2 vol. « L'Histoire » et « Les Décrets », Cerf, coll. « Le magistère de l'Église », 1991 (ISBN 2204044466) et (ISBN 2204050113) ;
  • Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991
  • Raymonde Foreville :
    • article « Latran IV », Dictionnaire historique de la papauté, s. dir. Philippe Levillain, Fayard, Paris, 2003 (ISBN 2-213-618577) ;
    • Histoire des conciles œcumeniques, tome 6 : Latran I, II, III et IV (en 1123, 1139, 1179 et 1215), éd. de l'Orante, 1984.

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