- Annexion de la Normandie à la France
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L'annexion de la Normandie à la France est le processus de conquête et d'intégration du Duché de Normandie au Domaine royal français. La Normandie, crée en 911, est dominée par le duc de Normandie vassal du roi de France. Va alors commencer une lutte entre le roi de France et le duc, ces derniers ne rendront qu'un hommage symbolique au suzerain. En 1066, Guillaume le Conquérant, alors duc de Normandie, va conquérir la couronne d'Angleterre et devenir plus puissant que le roi de France. Devenu un danger pour la stabilité du Royaume de France, les rois de France vont alors tout faire pour faire éclater l'Empire anglo-normand.
En 1201, le roi de France, Philippe Auguste confisque le Duché de Normandie au roi d'Angleterre, Jean sans Terre pour avoir désobéi aux ordres de son seigneur. Suite à une conquête militaire française de l'ensemble de la Normandie, hormis les îles Anglo-Normandes, la province va désormais dépendre directement de la couronne de France, qui va mettre en place une politique d'assimilation de la province par ordre social.
Par la suite les roi d'Angleterre, vont tenter à plusieurs reprises de reprendre, sans succès, le contrôle de la province. En 1259, les deux rois signent le Traité de Paris par lequel la couronne d'Angleterre renonce officiellement à la province en échange de quelques fiefs dans le sud-ouest. La conquête française est définitivement confirmée et en 1315 le roi de France va terminer le processus d'assimilation des Normands en accordant la Charte aux Normands qui va limiter les droits du souverain dans la province jusqu'à son abrogation lors de la Révolution française.
Sommaire
Le statut de la Normandie avant l'annexion (911-1199)
Le duc de Normandie
La Normandie nait en 911 lorsque le roi de Francie occidentale Charles le Simple cède au viking Rollon une partie de la Neustrie lors du traité de Saint-Clair-sur-Epte[1]. Si, dans ses premières années, la Normandie a peut-être été totalement indépendante, très vite elle se forme en un fief où son chef doit rendre hommage au roi de France en tant que vassal[2]. Malgré ce lien, le duc de Normandie se comporte comme le chef d'un État quasi-souverain. Il ne se déplace jamais, avant 1140, pour prêter hommage au roi de France. Le service militaire que doit le vassal au roi est rendu très symbolique par les ducs de Normandie, qui n'envoient, pendant quarante jours, que quelques dizaines hommes quand ils peuvent eux-mêmes en lever plusieurs milliers. Les ducs de Normandie ne sont jamais présents, sauf exception, à la cour du roi de France, alors qu'ils en ont théoriquement l'obligation[3].
Sur son territoire, le duc de Normandie exerce de nombreux droits, qu'exerçait auparavant le roi du temps des Carolingiens, sur l’Église, la justice ou encore sur la fiscalité. Il est le seul à pouvoir faire édifier des forteresses et des châteaux, battre la monnaie et percevoir un impôt direct, cas rarissime à l'époque. Ils vont mettre en place une redoutable administration et une organisation féodale qui va renforcer leur pouvoir, au lieu de l'émietter. Le duc de Normandie est représenté par des vicomtes qui contrôlent le système judiciaire. Ce système va faire du duc de Normandie l'un des seigneurs les plus puissants du début du second millénaire, plus puissant parfois que le roi de France[4].
L'empire anglo-normand
Sous Philippe Ier
En 1066, Guillaume le Conquérant s'empare de la couronne d'Angleterre. Le duc de Normandie cumule à partir de ce moment le titre de duc de Normandie (toujours vassal du roi de France) et de roi d'Angleterre (souverain en son royaume), sauf entre 1087 à 1106. Dès lors, les rois de France vont progressivement comprendre qu'il faut faire éclater l'Empire anglo-normand qui représente un danger immédiat pour la couronne. Si Philippe Ier le roi de France ne peut rien faire pour empêcher Guillaume de s'emparer de la couronne anglaise, c'est qu'il n'a que quatorze ans et est sous tutelle de Baudoin V de Flandre, le beau-père du duc de Normandie. Mais dès sa majorité, il va comprendre le danger que représente cet Empire. Il va d'abord empêcher la Normandie de s'étendre en Bretagne avec la campagne de 1076 qui oblige le Conquérant à lever le siège de Dol. Puis l'année suivante, Philippe Ier s'empare du Vexin français aux dépens de Simon de Vexin. Le Vexin français va être une source de guerre, entre les ducs de Normandie et les rois de France. En 1087, Guillaume le Conquérant le réclame, puis son fils en 1097-1098 son fils l'envahit[5].
Le roi de France poursuit sa politique de séparation de la Normandie et de l'Angleterre en soutenant Robert Courteheuse, fils ainé du Conquérant, en lutte contre son père pour le titre de duc de Normandie en 1077-1078. Une politique qui réussira en 1087, avec la scission de l'Empire entre les deux fils de Guillaume le Conquérant, Robert Courteheuse héritant de la Normandie et Guillaume le Roux de la couronne d'Angleterre. En 1089, il se range du côté de Robert Courteheuse en défendant la Normandie contre les attaques de Guillaume le Roux. Sa fin de règne sera moins clairvoyante, il ne s'oppose pas quand Robert confie son Duché à son frère, le roi d'Angleterre, pour partir en croisade. Il ne s'oppose pas non plus, en 1106, quand Henri Beauclerc, troisième fils du Conquérant et qui vient de succéder à son frère sur le trône d'Angleterre, s'oppose à Robert Courteheuse, son autre frère, pour la Normandie et qui aboutit à la reconstitution de l'Empire anglo-Normand après la bataille de Tinchebray[6].
Sous Louis VI
Louis VI le Gros devient roi de France en 1108. Il est tout de suite confronté au duc de Normandie Henri Beauclerc, ce dernier voulant ajouter Gisors à ses possessions. La guerre éclate, mais doit être interrompue en 1113 par le roi de France pour cause d'agitation dans le domaine royal[6]. Les hostilités reprennent en 1116 et le roi de France soutient, sans succès, Guillaume Cliton, le fils de Robert Courteheuse, contre son oncle pour le titre de duc de Normandie. Deux ans plus tard Louis VI entre dans le Vexin français et en prend le contrôle jusqu'à l'Andelle dans le même temps son allié le comte d'Anjou, Foulque le jeune remporte plusieurs batailles près d'Alençon. Le succès sera de courte durée pour le roi de France qui perd tour à tour ses alliés et est vaincu à Brémule en 1119. La médiation du pape Calixte II est demandée et la paix revient sur la base du statu quo. Le roi de France parvient toutefois à obtenir l'hommage de Guillaume Adelin, le fils de Henri Beauclerc, pour la Normandie, ce dernier ne voulant pas s'incliner devant un autre roi[7]. Guillaume Adelin meurt l'année suivante dans le naufrage de la Blanche-Nef, cette disparition permet à Guillaume Cliton de former une grande coalition contre son oncle, où le roi de France entre en 1122. La guerre éclate dans le Vexin français, mais Henri Beauclerc arrive à convaincre son gendre Henri V du Saint-Empire d'attaquer la France qui doit du coup concentrer le gros de ses forces sur Reims[8]. En stoppant les forces du Saint-Empire, Louis VI a impressionné le roi d'Angleterre, ce dernier en convainquant les Germains d'attaquer les Français a impressionné le roi de France. Ceci provoque une paix en 1124 entre le Royaume de France et l'Empire anglo-normand qui durera trente ans, malgré plusieurs occasions notamment à la mort d'Henri Beauclerc, en 1135, quand éclate une guerre de succession que le roi de France n'exploite pas. De même en 1137, il reconnait la Normandie à Étienne de Blois, à travers son fils Eustache de Blois, au détriment de Geoffroy Plantagenêt, alors qu'Étienne contrôle déjà l'Angleterre[9].
Sous Louis VII
Louis VII est couronné roi de France en 1137. Il fait très vite la même erreur que son père en reconnaissant la Normandie à Eustache de Blois. Il faut attendre la conquête totale de la Normandie, en 1144, par Geoffroy Plantagenêt pour que le roi de France change de camp et l'investit contre le roi d'Angleterre. En 1152, il fait annuler son mariage avec Aliénor d'Aquitaine qui deux mois après se remarie avec le futur roi d'Angleterre (il le sera en 1154) roi Henri II qui devient duc d'Aquitaine, en plus de ses titres de duc de Normandie et comte d'Anjou, du Maine et de Touraine. Le roi de France attaque la Normandie juste après pour tenter de desserrer l'étau que commence à représenter la puissance Plantagenêt. Une attaque vaine et Henri II n'a aucune difficulté à repousser les Français. Plus tard après qu'Henri II fut reconnu roi d'Angleterre, il soutient le frère de ce dernier, Geoffroy et y gagnera l'hommage d'Henri pour ses terres continentales. En 1159, le roi de France accepte le mariage entre sa fille Marguerite et le fils du roi d'Angleterre Henri le Jeune, qui apporte le Vexin aux terres de ce dernier, mais son père s'en empare aussitôt en violant le traité passé avec le roi de France. En 1169 après une guerre diplomatique qui verra les troupes françaises et anglo-normandes s'affronter sur le champ de bataille, le roi de France reçoit l'hommage d'Henri le jeune et le futur Richard cœur de Lion pour les terres continentales dont la Normandie, mais doit reconnaitre la conquête de la Bretagne par le roi d'Angleterre[10].
Sous Philippe Auguste
Philippe Auguste devient roi à quinze ans, en 1180. Au début, ses relations avec son puissant vassal d'outre-Manche sont cordiales[11], ce dernier n'intervient pas lorsque la mère de Philippe Auguste demande la protection d'Henri II après que son fils s'est emparé de son domaine. Henri II sauve même son suzerain, en envoyant ses fils auprès de Philippe, lorsque celui-ci est emmêlé dans une coalition féodale contre lui[12]. Très vite les relations s'assombrissent et le roi de France profite des querelles de succession de l'Empire anglo-normand pour soutenir Geoffroy, le comte de Bretagne, contre son frère Richard Cœur de Lion héritier présomptif de l'Empire. La mort brutale de ce dernier contrarie les plans du roi de France, mais, après avoir conquis Châteauroux, il parvient à séduire Richard et une trêve de deux ans est conclue entre les deux, ce qui inquiète fortement le roi d'Angleterre[13]. La guerre reprend en 1188 et Philippe Auguste reprend une partie du Vexin normand alors qu'il perd des terres sur d'autres frontières. Mais il conclut à nouveau la paix avec Richard sur le dos d'Henri II et au cours d'une entrevue des trois parties, Richard rend hommage au roi de France pour toutes les terres Plantagenêt. L'année suivante, ils attaquent tous les deux le Maine et l'Anjou, Henri II parvient, non sans peine à s'échapper de la ville du Mans pour Tours puis Chinon où il meurt abandonné après que son second fils Jean est lui aussi passé du côté ennemi[14]. Cette mort n'arrange pas Philippe, alors qu'il était parvenu à séparer l'Empire en deux, l'Angleterre pour Henri, Les terres continentales dont la Normandie pour Richard, il se retrouve avec Richard devenu l'héritier unique de tout l'Empire[15].
Richard est couronné tour à tour duc de Normandie puis roi d'Angleterre. Les conquêtes du roi de France de 1189 sont reprises par Richard qui laisse seulement une petite partie du Berry. Les deux rois sont néanmoins obligés de s'entendre puisqu'ils ont promis de participer ensemble à la croisade pour reprendre Jérusalem[15]. Avant de partir ils se jurent amitié et fidélité, mais dès le voyage en Terre Sainte les disputes sont nombreuses et obligent la signature d'un traité de paix à Messine en mars 1191. La raison est que Richard a renoncé à épouser Adèle la sœur de Philippe et rend sa dot, Gisors. Dès la fin du siège de Saint-Jean-d'Acre en juillet 1191, Philippe décide de rentrer dans son royaume alors que Richard reste pour continuer la croisade, lors de son départ Philippe promet au roi d'Angleterre de ne pas toucher à ses possessions[16]. Richard est fait prisonnier par Léopold d'Autriche lors de son retour en Europe, puis est remis à l'Empereur du Saint-Empire Henri VI. Philippe apprenant la nouvelle prépare une attaque pour conquérir la Normandie, tout en envoyant de l'argent à l'Empereur pour le convaincre de ne pas relâcher Richard. Dès qu'il apprend la nouvelle Jean sans Terre, frère de Richard, qui se voit succéder à Richard, débarque en Normandie, mais les barons normands refusent de lui prêter fidélité. Jean va donc à Paris prêter l'hommage au roi de France pour les terres continentales de son frère. La nouvelle alliance prépare même un projet de conquête de l'Angleterre qui n'aboutira finalement pas. Le roi de France et son nouvel allié Jean vont donc se concentrer sur les terres continentales de Richard et en avril 1193 suite à la trahison du châtelain, Gisors passe aux mains du roi de France, puis tout le Vexin[17]. Rouen semble prenable, mais la ville va se défendre et le roi de France doit lever le siège avec l'idée de revenir encore plus fort l'année suivante. Pendant ce temps, Jean renonce à la partie normande à l'est de la Seine, sauf la ville de Rouen et sa proche banlieue, ainsi qu'une partie de la vallée de l'Eure y compris Évreux et Verneuil au profit du roi de France[18]. Jean n'ayant pas les titres qui lui permettent d'abandonner une partie du Duché, le roi de France envahit les terres promises en février 1194 sauf Verneuil dont il met le siège[19].
Dans le même temps, Richard a été libéré par l'Empereur et a même vu les lettres que Philippe envoie pour le maintenir en captivité. Débarqué en mai en Normandie, il obtient d'abord le pardon de son frère Jean. Fin mai, Richard arrive à Verneuil où les Français ont levé le siège avant son arrivée. Puis Évreux est livré par Jean, en sa qualité de châtelain d'Evreux pour Philippe, à son frère pour montrer sa bonne volonté[20]. Puis la guerre reprend entre la France et l'Angleterre principalement en dehors de la Normandie malgré quelques raids français près de Rouen. À l'été 1195, est organisée une conférence, sur l'instance du pape, à Le Vaudreuil entre les deux rois, Philippe qui doute de la fidélité de la place fait raser le château en pleine entrevue avec Richard, ce dernier entre dans une grande colère qui oblige le roi de France à la fuite puis fait détruire le pont sur la Seine après son passage. La guerre reprend en Normandie, avec notamment la destruction de Dieppe[21]. Puis le 15 janvier 1196, les deux rois signent un traité qui confirme plusieurs villes à Philippe comme Vernon ou Pacy et surtout Gissors, mais lui confirme la perte d'Evreux et Le Vaudreuil qui est une grosse perte par rapport aux possessions du roi de France en 1194[22]. Dans le courant de la même année, Richard s'empare de l'île Andeli, pour y construire une forteresse qu'il nomme Château Gaillard et aider à la défense de la Normandie contre les Français[23]. La guerre reprend entre les deux rois avec plusieurs batailles hors de Normandie, mais aussi la défaite française de Courcelles le 28 septembre 1198 où le roi de France manque de peu d'être fait prisonnier par les Anglais. Une paix est signée en novembre censée durer cinq années[24].
La conquête (1199-1204)
La confiscation des terres continentales
Au mois de mars 1199, se produit un évènement très important, la mort de Richard Cœur de Lion lors du siège du château de Châlus-Chabrol dans le Limousin[24]. Sans descendance, sa mort va provoquer des problèmes de succession. D'une part son frère cadet, Jean sans Terre, revendique le trône comme descendant aîné mâle de la famille. De l'autre part, Arthur de Bretagne, neveu de Richard, en vertu du droit de représentation que son père Geoffroy aurait eu sur tous les pays s'il avait survécu à Richard[25]. L'Angleterre et la Normandie choisirent Jean comme successeur de Richard, la coutume normande préférant l'oncle au neveu[26]. Ce dernier est couronné duc de Normandie à Rouen le 25 avril 1199, puis un mois plus tard, roi d'Angleterre à Londres. Malgré ces couronnements, les barons de Touraine, d'Anjou et du Maine choisissent Arthur comme souverain, le roi de France en profite pour soutenir leurs prétentions. Dans le même temps, il s'empare d'Évreux et de Conches et s'avance en Anjou en prétextant de soutenir les droits d'Arthur, qui est mis, par sa mère, sous la garde du roi de France Philippe Auguste et les garnisons françaises peuvent pénétrer dans les villes hostiles à Jean[27]. En août 1199, est organisée en Normandie une conférence de paix entre les deux rois. Philippe lui rappelle ses droits de suzerain[28] et profite de la négligence de Jean qui n'a rien fait pour obtenir l'approbation de son seigneur dans la contestable succession de Richard, pour réclamer l'Anjou et la Maine pour Arthur (la Touraine ayant entretemps été récupérée par Aliénor, mère de Jean et duchesse d'Aquitaine), ainsi que le Vexin normand pour lui-même. Jean refuse et les négociations sont rompues. Peu de temps après, Guillaume des Roches, sénéchal d'Anjou, passe à Jean sans Terre et obtient une réconciliation entre Arthur et Jean sur le dos du roi de France. Ce dernier abandonne la cause d'Arthur (qui dans le même temps s'enfuit de l'emprise de son oncle pour se réfugier à Angers) et signe avec Jean le traité du Goulet qui le reconnait comme successeur légitime de Richard et comme vassal du roi de France sur ses fiefs continentaux. Arthur devient lui vassal de Jean pour la Bretagne. Philippe se voyait confirmer la conquête du comté d'Évreux et le Vexin normand[29]. De plus est conclu le mariage entre Blanche de Castille, nièce de Jean et Louis le fils de Philippe. Jean paye aussi 20 000 marcs pour la reconnaissance de ses fiefs surtout sur la Bretagne.
En plein démêlés matrimoniaux, Philippe Auguste délaisse la Normandie[30]. Pendant ce temps entre en scène la famille Lusignan très importante dans le Poitou. Elle s'oppose alors à la maison d'Angoulême pour la possession du comté de la Marche qui a été attribué par Jean à Hugues IX de Lusignan en contrepartie du mariage d'Isabelle, la fille du comte d'Angoulême avec lui pour sceller la paix. En juillet 1200, lors d'un voyage en Aquitaine, il tombe amoureux de cette même Isabelle et l'enlève. Jean qui vient de se séparer de sa femme, épouse précipitamment Isabelle fin août à la grande colère des Lusignan alors dépossédés de leur espoir sur les terres angoumoises, Jean devenant par ce mariage l'héritier du comte d'Angoulême[31]. À la Pâques 1201, Jean contre un complot contre lui en saisissant la Marche et veut confisquer les terres du comte d'Eu, mouillé dans l'affaire. Le roi de France qui a saisi l'occasion pour réveiller son vieux rêve de conquête de la Normandie, travaille pour l'instant pour le maintien de la paix, n'étant pas encore prêt. En octobre de la même année, les Lusignan font appel à lui pour récupérer leurs terres saisies par Jean lors de leur révolte, après avoir refusé un duel judiciaire que leurs proposait Jean. Le roi de France prend très à cœur la cause des Lusignan et oblige Jean à comparaitre à Paris, quinze jours après Pâques, pour le déni de justice dont il est accusé[32]. Pour ne pas s'être présenté et avoir désobéi aux ordres de son seigneur le roi de France, la cour royale confisque à Jean toutes les terres continentales qu'il possède dont la Normandie. Une mesure prévue par le droit féodal, mais rarement appliquée[33].
Les offensives militaires
Pour faire appliquer la sentence rendue, le roi de France reprend la guerre dès le mois de juin 1202. Il envahit d'abord la Normandie par le nord-est et prend le contrôle d'Eu, Drincourt, Mortemer et Lions, puis met le siège devant Gournay qui tombe rapidement, malgré sa capacité à une longue résistance, grâce à une astuce de Philippe-Auguste qui fait rompre un barrage de l'Epte qui emporte les défenses de la ville. À la fin juillet, en même temps qu'il met le siège à Arques, Philippe-Auguste promet à Arthur de Bretagne, en échange de sa fidélité, la main de sa fille Marie et sa proclamation comme comte de Bretagne, Poitou, Anjou, Maine et Touraine. Il l'arme aussi comme chevalier. Arthur part aussitôt, sur ordre de Philippe, ouvrir un second front en Poitou pour conquérir ses futures terres[33]. Malgré l'aide des seigneurs poitevins révoltés, dont les Lusignan, Arthur échoue et est fait prisonnier par Jean lors du siège de Mirebeau. Arthur et les autres captifs sont enfermés à Falaise où ils subissent un traitement très dur.
En apprenant la nouvelle de la capture de ses alliés, le roi de France lève le siège d'Arques. Vers la fin de l'année 1202, il reçoit le soutien du puissant sénéchal du Poitou, Guillaume des Roches, hostile au traitement que subit Arthur. Guillaume entraine avec lui, le vicomte de Thouars et la majorité des seigneurs de Poitou, d'Anjou et Touraine qui passent du côté du roi de France, coupant les terres restantes de Jean en deux et isolant l'Aquitaine[34]. Pour le même motif, les seigneurs bretons et normands rejoignent la fronde. En janvier 1203, le comte d'Alençon, Robert de Sées, fait défection à Jean et prête hommage pour ses terres à Philippe, ouvrant la Haute-Normandie aux Français[35]. En avril 1203, les offensives militaires reprennent en Normandie, très vite les soldats français et les seigneurs normands révoltés isolent la Normandie, ainsi que Jean qui siège à Pont-de-l'Arche, des autres terres anglaises. Jean est assiégé en Normandie. Début mai, deux importants seigneurs normands, Hugues de Gournay et Pierre de Meulan, passent au roi de France et livrent leurs forteresses aux Français qui désormais contrôlent la vallée de la Risle. Puis le roi de France s'empare de Beaumont-le-Roger, Conches et d'autres petites places. Le Vaudreuil est assiégé en juin, mais alors que la ville est préparée pour tenir longtemps le siège, elle se rend immédiatement sans combat[36]. En août, Philippe s'empare en trois semaines de Radepont, puis Château-Gaillard, des forteresses protégeant Rouen qui bientôt est pris en tenaille. De son côté Jean tente de faire diversion en attaquant la Bretagne, après diverses attaques sur Alençon qui n'ont pas abouti. En cinq jours, il ravage Dol et Fougères avant de subitement revenir en Normandie. De plus en plus isolé et victime de la propagande française qui fait croire qu'il a tué Arthur (qui a bien été assassiné par Jean en avril 1203, mais les contemporains n'en sauront rien pendant encore des années[37])[38], Jean embarque à Barfleur pour l'Angleterre en décembre 1203, avec, dit-il, l'espoir de lever une armée[39].
À la mi-février 1204, le roi de France se présente devant la forteresse de Château-Gaillard que ses troupes assiègent depuis plusieurs mois, mais qui peut encore tenir des mois et des mois. Cette forteresse risquant d'être un symbole de résistance pour la Normandie, le roi de France décide de la faire tomber le plus rapidement possible en construisant une longue galerie de bois, puis un grand beffroi, qui permit de faire tomber la première muraille et donner l'assaut contre la forteresse. Les défenseurs avaient d'autres moyens pour empêcher l'invasion et très vite un nouveau siège est mis devant la seconde enceinte[40]. L'initiative de Bogis, un jeune écuyer, fit accélérer les choses. Il entreprit avec quatre compagnons d'escalader jusqu'à une petite fenêtre basse sans barreau et qui donnait dans le cellier. Parvenus dans la forteresse, ils provoquèrent la panique de la garnison qui pensait à une invasion massive et provoqua la chute de la seconde muraille. Il restait la citadelle qui fut minée. La forteresse tombe complètement le 6 mars 1204, sa prise provoque un choc parmi les partisans du roi d'Angleterre en Normandie en ouvrant la route de Rouen aux Français, alors que cette forteresse, construite huit ans auparavant par Richard Cœur de Lion, était censée leur barrer cette route à jamais[41].
La campagne finale
La campagne finale pour la conquête de la Normandie commence le 2 mai 1204, par les conquêtes, en quelques jours, de Pont-de-l'Arche, Roche-Orival, Le Neubourg, Moulineaux et Montfort-sur-Risle. Ayant remis à plus tard les conquêtes de Rouen, Arques et Verneuil, le roi de France se fait livrer Argentan le 7 mai par son défenseur, le flamand Roger de Gouy. Falaise tombe ensuite après un petit siège de seulement sept jours, puis Caen tombe aussi sans pratiquement aucun combat. Guillaume Crassus, le sénéchal de Normandie, fuit pour Rouen. Philippe Auguste le poursuit pour mettre le siège à Rouen vers la fin du mois de mai. Dans le même temps, les Bretons, qui veulent venger la mort d'Arthur, attaquent à l'ouest l'Avranchin[41]. Profitant de la marée propice, c'est le Mont-Saint-Michel qui est d'abord conquis par le feu. Ils font jonction avec les armées françaises à Caen avant de conquérir le reste de l'Avranchin puis le Cotentin[Note 1].
Rouen assiégé par les Français est prêt à soutenir un long siège. Les provisions, venues de toute la Normandie, sont assez abondantes pour tenir un long moment, les derniers résistants à l'occupation française sont réfugiés derrière les hautes murailles de la ville et de ses triples fossés. Elle est commandée par son maire, Pierre de Préaux. Pourtant le 1er juin 1204, la ville signe un accord avec les Français, si dans trente jours personne n'est venu aider la ville, elle se rendra ainsi que les villes d'Arques et Verneuil. La peur que les avantages commerciaux de la ville soient supprimés en cas de résistance trop longue est si forte que la ville préfère se rendre sans combat. Le 24 juin, avant même la fin du délai, les portes de la ville sont ouvertes et les troupes françaises pénètrent dans Rouen sans résistance de la population[42].
La conquête de la Normandie continentale par la France est totale, en revanche les îles Anglo-Normandes, appartenant au duché de Normandie, ne seront pas conquises, le roi de France manquant de bateaux et ses troupes ayant une trop grande méconnaissance navale pour tenter quelque chose contre elles[43]. Les rois de France vont par la suite réclamer la totalité des îles sans jamais y parvenir, celles-ci restant sous le contrôle de la couronne d'Angleterre[44].
L'assimilation à la France (1204-1315)
Le traité de Paris
Article connexe : Traité de Paris (1259).La Normandie est rattachée au domaine royal après la conquête totale par les troupes françaises en 1204. Néanmoins personne ne peut dire si les guerres contre les Anglais sont définitivement finies ou si les Anglais vont rapidement vouloir revenir par les armes ou la diplomatie, surtout que les textes féodaux sont du côté du roi d'Angleterre puisqu'une terre confisquée par un seigneur à son vassal peut lui être rendue si celui-ci se repent[45]. Ce n'est pourtant nullement dans les intentions de Philippe Auguste de rendre la Normandie. Jean sans Terre va à plusieurs reprises tenter de reprendre ses terres continentales confisquées. Ainsi en 1206, il assiège Thouars dans le Poitou, mais surtout il arrive en 1213-1214 à constituer une vaste coalition contre le roi de France. Cette coalition qui regroupe l'Empereur Otton IV, Renaud de Dammartin, Ferrand de Flandre, Thiébaud Ier de Lorraine, Henri Ier de Brabant, Guillaume Ier de Hollande et Philippe II de Courtenay-Namur va être battue à plate couture, d'abord Jean à La Rochelle le 2 juillet 1214 par le prince héritier Louis, puis ses alliés battus le 27 juillet 1214 lors du « formidable dimanche de Bouvines ». Après cette défaite, c'est Jean qui va être attaqué par le prince Louis qui débarque en Angleterre en mai 1216 dans l'intention de s'emparer de la couronne d'Angleterre, mais la mort de Jean va contrarier ses projets et il doit abandonner devant le regroupement des Anglais autour de l'héritier Henri III[46]. Va suivre une longue paix jusqu'à la mort du roi Philippe Auguste le 14 juillet 1223. Les Anglais vont alors tenter d'intimider le nouveau roi de France, Louis VIII, en protestant contre les conquêtes de Philippe et appeler les nobles et les bourgeois de Normandie à se révolter et à revenir à l'obédience anglaise[47]. Le nouveau roi de France va faire savoir qu'il tient ces terres d'un jugement équitable de son père et qu'il peut le prouver si Henri III veut bien se présenter à sa cour[48]. À partir de 1224 ont lieu plusieurs batailles maritimes, puis le roi d'Angleterre va profiter de la mort prématurée du roi de France pour pousser le comte de Bretagne, Pierre Mauclerc à la trahison avant de débarquer lui-même à Saint-Malo pour une campagne manquée alors qu'il avait prévu de reconquérir toutes les terres perdues. Il signe la paix jusqu'en 1242 où il débarque à Royan avant d'être de nouveau battu à Saintes. C'est la dernière tentative militaire d'Henri III pour reconquérir les terres continentales. Désormais c'est la diplomatie qui va jouer et malgré un roi de France Louis IX ouvert au dialogue, il ne récupéra jamais les terres[Note 2]. En 1258, est conclu le traité de Paris entre le roi de France et le roi d'Angleterre, qui donne à Henri III certains fiefs dans les diocèses de Limoges, Cahors et Périgueux[49] et reconnait la Guyenne, en échange Henri III renonce officiellement aux terres perdues dont notamment la Normandie. Ce traité confirme donc pour de bon, la conquête française de la Normandie[50].
La politique d'assimilation par classe sociale
Les nobles
Les nobles de Normandie vont être les plus sollicités à la suite de cette annexion. Ils vont devoir choisir entre leur engagement vassalique envers la couronne d'Angleterre et les nouveaux chefs de la Normandie. Choisir entre leurs possessions anglaises ou normandes, alors que, depuis plus d'un siècle, ils faisaient des allers-retours entre l'Angleterre et le continent. En 1204, la noblesse normande est constituée d'environ deux mille chevaliers, dont environ soixante barons qui ont pour une dizaine d'entre eux le titre de comte (quatre ont leur comté en Normandie, le reste en Angleterre, voire ailleurs dans le Royaume). La féodalité normande est particulière puisque très peu hiérarchisée, rare sont les vassaux du duc qui ont eux-mêmes des vassaux, c'est le duc qui domine la féodalité directement[51].
Philippe Auguste va obliger les nobles de Normandie à choisir entre lui et le roi d'Angleterre. Les termes sont clairs, les nobles qui veulent garder leurs terres normandes doivent renoncer à leur terres anglaises et lui prêter l'hommage en renonçant à tout lien féodal avec Jean sans Terre[52]. Le délai est d'un an jusqu'à avril 1205, qui sera prolongé jusqu'à Noël 1205 ; passé ce délai, les nobles qui n'auront pas fait leur choix perdront leurs terres normandes[53]. Dans le droit féodal, il est tout à fait possible de prêter hommage à deux rois pour des terres différentes, le choix est donc d'autant plus compliqué pour les nobles de Normandie[54]. Seules quelques exceptions sont faites, notamment pour Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, qui possède quelques fiefs en Normandie. Ce dernier conclut en mai 1204 un accord avec Philippe, il remet provisoirement au roi de France ses terres normandes. En échange il obtient un délai de douze mois et une grosse somme d'argent, et si passé ce délai la Normandie est conquise par les Français, il prêterait l'hommage au roi de France. En 1205, il obtient donc l'autorisation de Jean d'aller prêter l'hommage à Philippe et peut garder ses terres des deux côtés de la Manche[55],[Note 3].
Furieux de la perte de la Normandie, Jean va encore commettre l'erreur de se précipiter en exigeant de ses vassaux d'être présents auprès de lui sous peine de confiscation de leurs terres anglaises. Dès 1204, il fait une liste de nobles restés en Normandie et fait saisir leurs biens. Certains nobles comme Robert (IV) Bertran vont perdre leurs fiefs anglais et normands. Pour les seigneurs anglo-normands le choix du fief va se faire en dehors de tout lien avec le roi, ils vont garder le plus important même s'ils sont plus proches du roi qu'ils doivent abandonner. Il est difficile de dresser une liste de nobles ayant perdu leurs fiefs normands. Si le taux de grands barons préférant l'Angleterre est d'environ 50%, le taux du reste de la noblesse préférant l'Angleterre est de 5 à 10 % soit environ 200 nobles. Les choix sont difficiles pour la plupart, car l'Angleterre représente une grosse partie de leurs revenus. Certains vont tenter de ruser, ainsi Alain Martell arrive à échanger ses terres anglaises contre les terres normandes d'Elyas de Wimbleville, d'autres vont partager leurs terres donnant les terres normandes à un fils et les terres anglaises à l'autre, séparant ainsi les familles en deux branches. Néanmoins, malgré certaines autorisations, la plupart de ces subtilités furent interdites, notamment par le roi de France. Une règle est appliquée jusqu'au règne de saint Louis qui veut que la terre normande soit confisquée à la mort d'un seigneur si son plus proche héritier est en Angleterre. Vont naitre ainsi de nombreuses affaires d'héritage contesté, comme en 1215 ou Thomas de Lyon et Guillaume Cornat sont amenés devant l'Échiquier de Normandie au sujet d'une terre qu'ils se disputent, la conclusion de l'Échiquier est que la terre doit revenir à Raoul Huigen qui est passé en Angleterre, la terre est confisquée par le roi de France, mais quatre ans plus tard nouveaux rebondissements avec la preuve apporté par Guillaume Cornat que Raoul Huigen est mort en Angleterre avant 1191 et qu'il est son plus proche descendant, la terre lui est donc rendue. Nombreux sont les descendants qui essayent de prouver, souvent faussement, la mort de leur ancêtre avant 1204. Nombreux sont aussi les injustices comme la tante de Bernard de Montpinchon, morte en Normandie, qui ne peut lui transmettre sa terre, car son mari est mort en Angleterre.
Le clergé
Lors de la conquête de la Normandie par les français, le clergé est alors une force politique et morale très importante. Il est capitale pour les Français de s'assurer du soutien de l'Église pour pouvoir confirmer dans la durée la conquête de la Normandie. L'ayant bien compris, Philippe Auguste commence dès 1200 une opération de séduction auprès du clergé normand qui va rapidement réussir après la conquête.
Depuis Guillaume le Conquérant, le pouvoir ducal exerce une grosse pression sur la nomination des abbés et des évêques. Jean sans Terre va notamment en abuser avant la conquête en intervenant directement dans les nominations et surtout en faisant durer les vacances des sièges épiscopaux pour mieux profiter de son pouvoir de régale. Pour ne pas refaire se détacher de Jean, Philippe Auguste va, dès qu'une terre normande est conquise, mettre en place la même politique que dans le Royaume de France qui est depuis Louis le Jeune de renoncer volontairement à abuser de l'autorité sur l'Église, s'assurant ainsi de sa fidélité. En 1200, quant les Français annexent l'Évrecin, ils annoncent de nouvelles élections épiscopales du siège d'Évreux, après enquête qui révèle que l'élection du titulaire Garin de Cierrey, en outre proche de Jean, a été faussée par l'intervention des rois d'Angleterre de l'époque alors qu'ils n'en n'avaient pas le droit. Avec la bienveillance de Philippe Auguste, Évreux peut élire librement son évêque. Après la conquête totale de la Normandie en 1204, les évêques normands doivent choisir leur camp, choix d'autant plus compliqué que les évêques normands doivent selon la coutume normande « foi et hommage » au duc de Normandie. Sollicité par eux, le pape Innocent III, partisan du roi d'Angleterre mais qui reconnait la supériorité des armes à Philippe Auguste, répond hypocritement qu'il ne peut se prononcer ne connaissant pas bien la situation. Les évêques vont prendre cette réponse pour un appel au ralliement envers le roi de France et ne jamais plus faire défaut. Ils vont très vite prouver leur ralliement en participant avec Philippe Auguste, pour trois d'entre eux, à la croisade contre les Albigeois en 1209. Puis cinq sur sept assisteront aux obsèques de Philippe Auguste en 1223.
Par se ralliement, l'Église de Normandie va gagner le droit d'élire librement les évêques et la fin des interminables vacances entre deux élections. Rapidement ce sont les abbayes qui obtiennent elles aussi le droit d'élire librement. Avec ces concessions, Phillipe Auguste peut exercer les droits traditionnels des ducs de Normandie, il va notamment éviter que de nouvelles dîmes soient misent en place, enlever à l'Église son droit de regard sur les testaments, empêcher que les fonctionnaires ne soient excommuniés, mettre en place le bannissement pour les clercs reconnus coupables de crime et protéger les fiefs laïcs.
Contrairement à la noblesse, les clercs normand ne sont pas obligés de choisir entre leurs possessions en Normandie et en Angleterre. La Normandie qui possède plusieurs des plus prestigieuses abbayes d'Occident a, depuis 1066, tous ses monastères en Angleterre et les communautés religieuses normandes en tirent de bons revenus. Aucune n'a d'intérêt à la fin des relations avec l'Angleterre. L'ayant bien compris Philippe Auguste ne songea pas entrer en conflit avec le clergé normand sur ce sujet brulant. Malgré ce privilège, les communautés religieuses eurent du mal à faire reconnaitre leur droit. L'abbé de Saint-Etienne-de-Caen fut le premier à conclure un accord avec l'Angleterre en 1205, suivi peu de temps après par l'abbé de la Trinité de Fécamp, ainsi jusqu'en 1212, et la difficile reconnaissance des terres outre-Manche pour l'abbaye du Mont-Saint-Michel, chaque communauté religieuse put retrouver ses terres. L'exploitation de ces revenus sera toute fois assez compliquée et dépendra du climat des relations entre la France et l'Angleterre. Dès qu'une tension diplomatique a lieu entre les deux pays il devient alors très compliqué pour les clercs de voyager d'un pays à l'autre. À partir XIIIe siècle et surtout lors du XIVe siècle, les communautés religieuses vont vendre leurs biens outre-Manche qui depuis la conquête ne rapportent alors plus grand chose pour la Normandie.
Les villes
Dès l'arrivée des Français dans les villes normandes les habitants vont rapidement se soumettre au vainqueur, il est vrai que mis à part quelques rares grands bourgeois, la population n'a pas d'intérêt en Angleterre à tenter de préserver. De son côté Philippe Auguste va lui prendre plusieurs actes en faveur des villes au fur à mesure de son avancée en 1204. En mai de la même année, le statut de commune pour la ville de Falaise est confirmé et son maire, André Propensée, est richement doté venant probablement de terre confisquée. À Caen et Rouen, les privilèges des bourgeois des deux villes sont confirmés. La commune de Verneuil est reconnue et son maire, Étienne le Petit, reçoit une terre. À Breteuil, les bourgeois de la commune sont exemptés de coutume. Toujours en 1204, Philippe Auguste crée trois communes normandes aux Andelys, Nonancourt et Pont-Audemer. Jusqu'à la fin de son règne Philippe Auguste accordera de nombreux privilèges aux communes normandes.
Mais les communes de Normandie ont une originalité, elles sont nées par le désir du duc voir même imposés par lui-même. C'est le contraire du reste du royaume ou les villes naissent la plupart du temps suite à la révolte d'une population contre le seigneur. Jean sans Terre lui-même va imposer le statut de commune à de nombreuses villes pour se procurer de l'argent. Ainsi de nombreuses villes imposées par les ducs ne sont pas confirmées par Philippe Auguste dès l'année 1204 : Auffay, Alençon, Bayeux, Cherbourg, Domfront, Évreux, Fécamp, Harfleur, Montivilliers, il est même probable que certaines n'avaient mêmes pas formé leurs structures communales. D'autres communes vont disparaitre par la suite comme Caen ou Falaise ou deux des créations de Philippe Auguste : Les Andelys et Nonancourt. Mais des villes vont avoir une grande activité communale comme la capitale Rouen ou Dieppe dont le statut communal avait pourtant été imposé par Jean sans Terre peu de temps avant la conquête française. Ces villes sont régies par les Établissements de Rouen ce qui permet au roi de choisir le maire sur une liste de trois noms proposés par les bourgeois de la commune. Le roi de France peut ainsi garder un total contrôle sur le gouvernement des villes, en 1256, Saint-Louis imposera ce système à toutes les communes du Royaume, même les plus petites.
La haute bourgeoisie qui peuple ces communes va accepter sans problème le nouveau pouvoir et ce sont les mêmes familles voire les mêmes hommes qui sont à la tête des communes. À Rouen, Jean Luce qui avait joué un grand rôle dans la ville avant la conquête française se retrouve nommé trois fois maire entre 1206 et 1218. La famille Fessart dont les membres avaient déjà été maires sous les Anglais, retrouve la mairie en 1221. Puis au cours de la premières moitié du XIIIe siècle d'autres familles qui dirigeaient la ville avant 1204 vont accéder à la mairie de Rouen. Toutefois une ville se détacha et regretta l'Empire anglo-normand, la ville de Dieppe, dont les bourgeois étaient en constante relation commerciale avec l'Angleterre et qui perd beaucoup avec la conquête française. Un des incidents entre les autorités françaises et les Dieppois fut l'arrestation d'un pécheur, qui entraina une série d'incidents qui amènent les Français à priver la ville d'eau jusqu'à ce qu'elle paye au roi une amende de 400 livres. Les relations vont se calmer quand Jean sans Terre revint sur son interdiction de toutes relations commerciales entre la Normandie française et l'Angleterre. Philippe Auguste au courant va laisser faire, même quand des bourgeois dieppois vont mettre à disposition de Jean des bateaux qui vont lui permettre de débarquer en Poitou en 1206. Dans les décennies suivantes les avantages commerciaux délivrés aux Normands en Angleterre ne sont pas remis en cause, même en 1229 quand Henri III va suspendre les relations avec l'Europe, certains Normands sont les seuls autorisés à commercer. Henri III espère ainsi obtenir leur soutien pour un futur débarquement qu'il projette. Ainsi au printemps 1230, neuf bateaux qui emmènent Henri III débarquer en Bretagne viennent de Normandie, mais il est aussi possible que les armateurs ont été réquisitionnés contre leur gré. Plusieurs incidents vont émailler la décennie 1230, comme Henri III qui demande désormais à nuire aux marchands français par tous les moyens. Sous l'impulsion de Saint-Louis les marins normands vont désormais être ressentis par les marins anglais comme des rivaux et non plus comme des alliés, du côté normand le ressenti sera le même. Le traité de Paris en 1259 mettra un terme aux privilèges des marins normands qui désormais commercent avec les ports anglais non plus en compatriotes, mais comme étrangers. En 1293, les marins normands couleront quatre-vingt-un navires anglais lors de la guerre franco-anglaise. Cette francisation rapide est probablement due aux débouchés, encouragés par Philippe Auguste, vers la région parisienne pour les commerçants normands dès l'année 1210. Avec ces accords les villes intérieurs normandes vont se rallier rapidement à la France.
L'administration
Malgré la conquête, le Duché de Normandie continue d'exister dans les textes et les faits. Ainsi le roi de France appelle la Normandie « son Duché de Normandie » bien qu'il ne porte jamais le titre de Duc de Normandie[Note 4]. Il n'y a plus de cérémonie d'intronisation propre à la Normandie, le Roi de France devient lors de son sacre à Reims automatiquement maitre de la Normandie. Autre changement, la suppression du sénéchal de Normandie, qui depuis Guillaume le Conquérant, était chargé de gouverner le pays en l'absence du Duc en Angleterre ou à l'étranger.
L'unité de la Normandie va être entamée au cours des années par les souverains français. Si Philippe Auguste va donner Mortain et Domfront au comte de Boulogne, mais sans en faire des comtés indépendant de la Normandie. Saint-Louis va changer cette politique en donnant de petits comtés à ses fils, sans référence à la Normandie. Ainsi les comtés de Perche et d'Alençon sont donnés à son fils Pierre en mars 1269, à la mort de ce dernier ils retournent à la couronne avant d'être redonnés par Philippe le Bel à Charles de Valois en 1291. Même sort pour le comté d'Évreux et la seigneurie de Beaumont-le-Roger donnés au frère du roi, Louis, en 1298 et le comté de Mortain à Philippe d'Évreux en 1318. Sous Philippe Auguste va aussi naitre l'idée de créer une zone tampon entre la Normandie et le Duché de France. Il va regrouper administrativement après la conquête, plusieurs prévôtés normandes et françaises pour former une sorte de marche normande.
Philippe Auguste va maintenir la coutume normande après la conquête. Pour plusieurs raisons, d'abord l'unité coutumière n'est pas réalisée en France, il en existe plusieurs dizaines ne couvrant chacune qu'un petit territoire limité, le roi de France ne pourrait même pas savoir quelle coutume imposer. Autre raison, le fait que la coutume normande soit plus avantageuse pour le souverain que n'importe quelle autre coutume en France que ce soit en matière féodale et criminelle. Il en modifie tout de fois quelques points pour rendre les Normands égaux aux Français, notamment en matière de duel en supprimant la position privilégiée de l'appelant. Tout au long du XIIIe siècle la coutume normande va être modifiée par les ordonnances royales, qui s'appliquent dans tout le Royaume donc en Normandie sauf quand la coutume est jugée meilleure.
En matière judiciaire, Philippe Auguste va maintenir l'Échiquier, cour souveraine symbolisant l'indépendance de la Normandie. Elle va quand même subir de grosses modifications, avec la présidence désormais assurée par des commissaires royaux et le roi ne se gène pas pour souvent nommer ses conseillers les plus proches. Ces conseillers venus de Paris connaissent mal la coutume normande et dès qu'une complication arrive il s'en réfèrent systématiquement au roi. En totale violation avec la coutume normande, plusieurs causes normandes vont être appelées devant le Parlement de Paris. Des agents royaux vont aussi être envoyés par Philippe Auguste pour occuper les postes de baillis, déjà institués par le roi d'Angleterre à partir de 1190. Les baillis sous le roi de France, sont des haut fonctionnaires, nommés et payés par le roi. Ils représentent le roi dans les domaines de l'administration, justice, convocation ou pas de l'armée, ils sont le supérieur des autres agents royaux en Normandie que sont les vicomtes et les sergents. Géographiquement les bailliages sont jusqu'en 1230 des circonscriptions mouvantes et n'existent pas dans les textes, on les appelle alors par le nom du bailli et non par la région ou ville qu'il administre. Par la suite vont apparaitre des baillages géographiques qui représentent une ville ou une région. Jusqu'en 1243 les baillis de Normandie sont tous des étrangers au Duché, mais la plupart font des efforts pour s'intégrer en recevant ou achetant des biens en Normandie et en faisant des dons aux Églises normandes pour y être inhumés. Puis des baillis normands vont être nommés, ils resteront néanmoins minoritaires face aux baillis étrangers. Par contre les vicomtes, prévôts et sergents, qui sont des fonctionnaires royaux importants sont en majorité normands. Les terres normandes confisquées aux nobles ayant préféré l'Angleterre, sont gardés pour beaucoup comme biens de la couronne confiés à une administration. D'autres terres vont être données aux nobles du Domaine royal, majoritairement à des petits nobles qui deviennent de ce fait des agents de l'assimilation française. Les rois de France vont aussi encourager les mariages entre nobles normands et d'Île-de-France.
La charte aux Normands
Article connexe : Charte aux Normands.À la fin du XIIIe siècle, des révoltes vont éclater en Normandie, car le pouvoir royal va remettre en cause les privilèges concernant la justice et la fiscalité. En matière judiciaire, outre le fait que les Normands sont mécontents depuis longtemps que l'Échiquier soit présidé par des étrangers à la Normandie, à partir de la fin du XIIIe siècle la ponctualité des sessions de l'Échiquier disparait et certaines années il ne se réunit pas. Par conséquent les affaires judiciaires vont traîner en Normandie. Philippe le Bel prendra des mesures en 1302 pour que l'Échiquier se réunisse deux fois par an et cesse de se déplacer en différentes villes pour se fixer définitivement à Rouen. Autre motif de mécontentement, le fait que les Normands soient jugés à Paris, en première instance ou en appel, malgré la souveraineté de l'Échiquier. En matière fiscale le mécontentement des Normands va aussi augmenter, Philippe le Hardi et Philippe le Bel vont augmenter les contributions d'argent venant de Normandie pour financer la guerre d'Aragon et les affaires en Flandre. S'ils usent des prérogatives des anciens ducs, ils vont ajouter un nouveau motif de contribution financière, « la défense du Royaume ». Pour les Normands, ces nouvelles perceptions sont contraires à la coutume et en 1292 une émeute éclate à Rouen, la maison des receveurs est démolie par la foule en colère, puis le château des serviteurs du roi de France est assiégé. Il faut une intervention du maire pour calmer la colère des rouennais et éviter que la manifestation ne devienne anti-française. Sous Philippe le Bel, la colère des Normands augmente d'année en année en même temps que les impôts, d'autant plus que le chambellan du roi Enguerrand de Marigny, qui est le maître absolu des finances du Royaume, est issu de la petite noblesse normande. D'autres Normands occupent des postes importants des finances auprès du Roi de France.
Dans les derniers mois du règne de Philippe le Bel, va éclater dans tout le Royaume une crise antifiscale sans précédent. Tout commence en 1314, avec la levée d'un nouvel impôt pour financer une expédition en Flandre qui va se terminer sans le moindre combat. L'opinion ne va pas comprendre qu'autant d'argent ait été levé pour un tel résultat. Enguerrand de Marigny est accusé de trahison par l'opinion d'autant plus que les levées d'argent pour la Flandre continuent après la paix. Lorsque Philippe le Bel meurt en 1314, son successeur Louis le Hutin, hérite d'une situation compliquée. En mars 1315, quelques mois après son sacre, le roi de France, pour calmer ses sujets, accorde aux provinces du Royaume des chartes provinciales. La première concernée est celle de Normandie, qui est adoptée après négociation avec les Normands.
La charte aux Normands est la première des chartes provinciales, elle est aussi la seule à ne pas tomber dans l'oubli au bout de quelques années. Elle contient des textes qui vont satisfaire tous les Normands, aussi bien les bourgeois des villes que les nobles et les Normands les plus pauvres. Elle limite les droits du roi en Normandie dans plusieurs domaines spécifiques aussi bien fiscaux, militaires, que judiciaires. Faisant presque office de constitution normande de par certains articles (3, 4, 17, 21 et 22), c'est un document sans équivalent en France. Les articles 3 et 4 qui concernent le domaine militaire, font que les vassaux ne doivent au roi pas plus que les quarante jours que prévoit la coutume féodale, les villes doivent fournir leur contingent de sergents et pas plus et les Normands ne doivent pas plus que leur service. De plus, le roi ne peut plus prétendre à rien de ses arrières-vassaux. Les articles 17 et 21 concernent le domaine judiciaire, ils accordent enfin ce que les Normands réclamaient, l'autonomie judiciaire de l'Échiquier. Le Parlement de Paris ne fait plus office de cour d'appel et les Normands ne pourront plus être jugés en dehors de la province. L'article 22 concerne le domaine fiscal, il garantit aux Normands que le Roi ne pourra pas toucher plus que ce qu'il touche habituellement des Normands, sauf en cas de « grande nécessité » qui sera reconnue par les représentants des ordres normands. La charte aux Normands va rester en vigueur jusqu'à la Révolution française ; elle va être constamment confirmée par les différents rois de France, bien qu'ils la respectent de moins en moins.
Notes et références
Notes
- Les détails de cette conquête sont inconnus
- Il est dit que Louis IX était favorable à redonner les terres continentales aux Anglais, mais qu'il dut faire face à l'opposition des barons ou de la Reine.
- saint Louis mettra fin aux quelques exceptions de double appartenance en 1244.
- Contrairement aux rois anglais qui portaient le titre de Roi d'Angleterre et Duc de Normandie.
Références
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