Réduction d'endomorphisme

Réduction d'endomorphisme

En mathématiques, et plus particulièrement en algèbre linéaire, la réduction d'endomorphisme est une technique mathématique qui a pour objectif d'exprimer des matrices et des endomorphismes sous une forme plus simple, notamment pour faciliter les calculs. Cela consiste essentiellement à trouver une base de l'espace vectoriel qui permet d'exprimer plus simplement l'endomorphisme dans cette nouvelle base, et à décomposer l'espace en sous-espace vectoriels stables par l'endomorphisme.

Sommaire

Motivation

Le concept de réduction

En algèbre, la technique de réduction est fréquente. Elle consiste à réduire un concept, en sous-concepts les plus simples possible et permettant de reconstruire le cas général. Dans le cas des endomorphismes (applications linéaires d'un espace vectoriel dans lui-même) la technique consiste à décomposer l'espace vectoriel en espaces plus petits. Cette réduction doit posséder six propriétés :

  1. L'endomorphisme définit par restriction un nouvel endomorphisme sur chacun des sous-espaces (c'est-à-dire chacun est un sous-espace vectoriel stable), ainsi la petite structure est une entité intrinsèque avec sa propre cohérence.
  2. Les différents sous-espaces sont en somme directe, c'est-à-dire indépendants les uns des autres. En conséquence, l'intersection de deux de ces sous-espaces est toujours réduite au vecteur nul.
  3. Les différents sous-espaces engendrent l'espace entier (ils sont supplémentaires), ce qui offre l'exhaustivité de l'analyse.
  4. La réduction décrit l'intégralité de la structure originelle.
  5. Elle est maximale, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de décomposition en éléments plus petits et donc plus simple.
  6. Elle est aussi simple que possible, c'est-à-dire que pour chacune des sous-structures il n'existe pas de représentation plus élémentaire.

Toutefois, elle n'est pas unique.

Endomorphisme et vecteur propre

La structure d'espace vectoriel sur lequel s'applique l'endomorphisme possède des propriétés différentes selon les cas. Dans l'hypothèse où la dimension est finie, alors la structure du corps détermine l'essentiel des propriétés de réduction. Une approche très générale, pour établir la relation entre la structure du corps et la réduction des endomorphismes consiste à analyser la structure de l'anneau des polynômes associée au corps. Cette approche est analysée dans l'article polynôme d'endomorphisme. Le cas le plus simple est celui où le corps est dit algébriquement clos, c'est-à-dire que tout polynôme admet au moins une racine. C'est le cas des nombres complexes. Alors la réduction est particulièrement efficace. La notion de valeur propre devient le bon outil dans ce contexte. Lorsqu'il existe une base de vecteurs propres, on parle de diagonalisation. Tout endomorphisme n'est pas diagonalisable, en revanche sur un espace vectoriel réel ou complexe de dimension finie, les endomorphismes diagonalisables sont denses topologiquement.

Réduction de Jordan

Il y a 2 obstacles qui empêchent que tout endomorphisme soit diagonalisable. Le premier est constitué des endomorphismes nilpotents ; il a été analysé par le mathématicien Camille Jordan. On montre que tout endomorphisme en dimension finie sur un corps algébriquement clos se décompose en sous-espaces caractéristiques où l'endomorphisme est la somme d'une homothétie et d'un endomorphisme nilpotent.

Le deuxième obstacle apparaît lorsque l'espace vectoriel n'est pas sur un corps algébriquement clos, comme les nombres réels par exemple. Dans ce cas les polynômes caractéristique et minimal peuvent avoir des facteurs premiers de degré supérieur ou égal à 2. Pour ces facteurs de plus haut degré, le concept de valeur propre doit être généralisé en celui de chaîne de Jordan. On dit qu'un polynôme P de degré d est une chaîne de Jordan d'un endomorphisme u si

  • il existe un vecteur x non nul tel que P(u)(x)=0 ;
  • la famille (x,u(x),\dots,u^{d-1}(x)) est libre.

L'intérêt de cette notion est que la famille (x,...,ud-1(x)) engendre un sous-espace vectoriel stable par u, sur lequel la matrice de u est la matrice compagnon de Jordan de P.

Quand le degré d vaut 1, on retrouve la définition de valeur propre usuelle. On peut montrer que tout facteur premier du polynôme minimal d'un endomorphisme est une chaîne de Jordan de cet endomorphisme. Par conséquent tout endomorphisme admet une base où sa matrice a une diagonale formée de blocs matrices compagnons et de moitié inférieure gauche nulle (c'est donc une matrice presque triangulaire supérieure).

Endomorphisme et distance

Il existe un cas particulier d'espace vectoriel : ceux qui sont munis d'une distance compatible avec la structure vectorielle. Un cas important est celui où la distance est euclidienne (ou hermitienne dans le cas complexe). L'ajout de cette structure offre une nouvelle voie d'accès à la problématique de la réduction d'endomorphisme. S'il est compatible avec la distance, c'est-à-dire s'il est normal, alors une nouvelle approche est possible. Dans ce contexte, l'exception nilpotente est absente. La réduction est plus simple et les techniques algorithmiques associées plus rapides.

Analyse fonctionnelle et opérateur linéaire

Ce cas guide Hilbert dans une nouvelle direction. La généralisation de l'approche aux opérateurs différentiels. Ces opérateurs comme le laplacien ou le d'alembertien sont la clé d'importants problèmes en physique. Ils peuvent se représenter comme une équation linéaire, mais dans un espace de dimension infinie. Si l'approche générale de Jordan est vouée à l'échec car les polynômes ne s'appliquent pas dans ce contexte, en revanche ces opérateurs présentent les bonnes propriétés de compatibilité vis-à-vis d'une distance qu'il est possible de définir sur l'espace. Hilbert, propose une approche novatrice, consistant à étudier les propriétés géométriques de ces espaces de dimension infinie, au lieu de se limiter à une analyse d'un point particulier : la fonction solution de l'équation. Cette approche ouvre une nouvelle branche des mathématiques devenue essentielle au siècle dernier: l'analyse fonctionnelle. La physique moderne, aussi bien sous sa forme quantique que sous sa forme relativiste, utilise largement cette vision des choses.

Histoire

Cas général de la dimension finie

Dans toute cette section, E désigne un espace vectoriel sur un corps K, et sa dimension, supposée finie, est notée n.

Réduction et sous-espaces propres

Article détaillé : Valeur propre (synthèse).

Il existe un premier candidat naturel pour une réduction, elle correspond à une décomposition en sous-espaces propres. Une présentation complète du concept est proposé dans l'article détaillé.

Un vecteur propre est un vecteur non nul dont l'image par u est colinéaire au vecteur d'origine. Le rapport de colinéarité est appelé valeur propre. L'ensemble des vecteurs propres pour une valeur propre donnée associée au vecteur nul forme un sous-espace vectoriel appelé sous-espace propre.

Une décomposition en sous-espaces propres représente donc un grand nombre des propriétés recherchées pour une réduction.

  • Les espaces propres sont stables par l'endomorphisme.
  • L'intersection de deux sous-espaces propres est réduite au vecteur nul.
  • La restriction de l'endomorphisme à un sous-espace propre est une homothétie, c'est-à-dire une application qui à un vecteur x associe le vecteur λ.x.

Les propriétés recherchées dans la réduction sont presque rassemblées.

Diagonalisation

Fig. 4. Endomorphisme diagonalisable en dimension 3 sur les nombres réels: un cube est transformé en parallélépipède.
Article détaillé : Diagonalisation.

Il suffirait en effet d'une propriété supplémentaire pour permettre une réduction à l'aide de cette approche : que la somme directe des sous-espaces propres soit l'espace vectoriel entier. Cela équivaut à l'existence d'une base B de vecteurs propres. Les deux propriétés manquantes sont alors réunies, car la réduction est composée de sous-espaces de dimension 1, ceux qui sont engendrés par les vecteurs de la base. Cette décomposition est maximale car il n'existe pas de décomposition en somme directe de sous-espaces non réduits au vecteur nul qui contiennent plus de sous-espaces que la dimension de l'espace.

Le fait que B soit une base garantit que la décomposition engendre bien l'espace entier.

En termes plus formels, les cinq propositions suivantes sont équivalentes. Elles fournissent la définition d'un premier cas de réduction pour u.

  • u est diagonalisable.
  • Il existe une base de vecteurs propres.
  • La somme des dimensions des sous-espaces propres est égale à la dimension de l'espace entier.
  • La somme des sous-espaces propres est l'espace entier.
  • Toute représentation matricielle de u est diagonalisable.

Une démonstration se trouve dans l'article Diagonalisation, sauf pour la dernière équivalence qui est traitée dans Matrice diagonale.

Diagonalisation et polynôme caractéristique

Article détaillé : Polynôme caractéristique.

Il existe d'autres propriétés importantes associées à cette définition. Elles proviennent essentiellement d'une approche polynomiale sur l'endomorphisme. Le polynôme caractéristique de u est, en dimension finie, un outil puissant d'analyse des endomorphismes. Il est défini comme le déterminant suivant : det(u -λ.I ). Comme le déterminant s'annule si et seulement si le noyau de l'application linéaire associée n'est pas réduit au vecteur nul, le polynôme possède comme racines les valeurs propres de l'endomorphisme. Trois propriétés relient diagonalisabilité et polynôme caractéristique.

  • Si le polynôme caractéristique de u possède n racines distinctes alors u est diagonalisable.

C'est une condition suffisante, mais non nécessaire. Considérons le cas d'une homothétie dans le cas où n est strictement supérieur à 1. Le polynôme caractéristique ne possède qu'une racine multiple. Pourtant l'endomorphisme est clairement diagonalisable car toute base est constituée de vecteurs propres uniquement. Il existe de plus la condition nécessaire suivante :

  • Si u est diagonalisable, alors son polynôme caractéristique est scindé.

Dire que le polynôme caractéristique P(X) est scindé signifie qu'il peut s'écrire comme produit de puissances de polynômes de degré 1 :

P(X)=\prod_i (\lambda_i-X)^{n_i}\;

Pour l'obtention d'une condition nécessaire et suffisante à partir du polynôme caractéristique, une définition supplémentaire est nécessaire.

  • la multiplicité algébrique d'une valeur propre est son ordre de multiplicité en tant que racine du polynôme caractéristique.

La multiplicité algébrique d'une valeur propre λ est donc l'exposant du polynôme (X-λ) dans le polynôme caractéristique. Cette définition permet de formuler une condition nécessaire et suffisante de diagonalisabilité.

  • u est diagonalisable si et seulement si tout sous-espace propre possède une dimension égale à la multiplicité algébrique de la valeur propre associée.

Endomorphisme diagonalisable et polynôme minimal

Si l'approche par le polynôme caractéristique offre des premiers résultats, elle n'est néanmoins pas intégralement satisfaisante. En effet, le calcul du polynôme est souvent lourd, et la recherche de la dimension des sous-espaces propres n'est pas simple.

Le concept de polynôme d'endomorphisme propose un autre candidat, souvent plus pertinent pour l'analyse des applications linéaires en dimension finie. C'est le polynôme minimal. À l'instar du polynôme caractéristique, ses racines sont aussi les valeurs propres. Sa spécificité s'exprime dans la condition nécessaire et suffisante suivante :

  • u est diagonalisable si et seulement si son polynôme minimal est scindé sur K et à racines simples.

Cas où le polynôme minimal est scindé

Réduction et endomorphisme nilpotent

Article détaillé : Endomorphisme nilpotent.

Même dans le cas où le polynôme minimal est scindé, il existe au moins un cas où la diagonalisation est impossible, celui des endomorphismes nilpotents. L'unique valeur propre est 0, donc l'unique sous-espace propre est son noyau. En conséquence le seul endomorphisme nilpotent diagonalisable est l'endomorphisme nul.

Les endomorphismes nilpotents disposent néanmoins d'une réduction traitée et démontrée dans l'article Endomorphisme nilpotent dans le paragraphe nilpotence et réduction en dimension finie. Un sous-espace cyclique de E (pour l'endomorphisme nilpotent u) est un sous-espace vectoriel engendré par une famille de la forme (x, u(x), u2(x), ...).

  • Si u est nilpotent alors E est somme directe de sous-espaces cycliques pour u.

Nous y trouvons bien toutes les caractéristiques d'une réduction, une décomposition en somme directe de sous-espaces stables qui engendre l'espace entier. Dans l'article détaillé on montre de plus que cette décomposition est maximale.

Décomposition de Dunford

Article détaillé : Décomposition de Dunford.

Si le cas des endomorphismes nilpotents apparaît dans un premier temps comme une exception au cas diagonalisable, la théorie des polynômes d'endomorphismes nous montre que cette exception est unique. Plus précisément, la proposition suivante, connue sous le nom de décomposition de Dunford est vraie :

  • Si le polynôme minimal de u est scindé alors u est la somme d'un endomorphisme diagonalisable et d'un endomorphisme nilpotent qui commutent entre eux.

Dans le contexte du théorème, le polynôme minimal \chi\; s'écrit sous la forme suivante :

\chi(X)=\prod_i (X-\lambda_i)^{n_i}\;

Les noyaux E_i=Ker (u-\lambda_iId)^{n_i}\; sont appelés les sous-espaces de E caractéristiques de u.

Les quatre propriétés suivantes résument l'essentiel des propriétés associées à la décomposition de Dunford :

  • Les λi sont les valeurs propres de u.
  • L'espace E est somme directe des sous-espaces caractéristiques.
  • Les sous-espaces caractéristiques sont stables par u. La restriction de u à E_i\; est la somme d'une homothétie de rapport \lambda_i \; et d'un endomorphisme nilpotent d'ordre n_i\;.
  • Les projecteurs sur les sous-espaces caractéristiques s'expriment sous forme de polynômes d'endomorphisme de u.

L'hypothèse que le polynôme minimal soit scindé représente une contrainte souvent faible. Le fait que les nombres complexes forment un corps algébriquement clos garantit déjà la généralité de la condition. Pour le cas des nombres réels, il est toujours possible d'étendre l'espace vectoriel aux corps des complexes pour la recherche des solutions, puis dans un deuxième temps de ne choisir que des solutions réelles. Pour les applications, cette démarche est souvent utilisée par les physiciens.

Réduction de Jordan

Article détaillé : Réduction de Jordan.

La décomposition de Dunford n'est néanmoins pas une réduction. En effet, cette décomposition n'est pas maximale. Un sous-espace caractéristique se décompose encore.

Sur un sous-espace caractéristique Ei, la restriction de l'endomorphisme s'exprime comme la somme d'une homothétie et d'un endomorphisme nilpotent. En réduisant cet endomorphisme nilpotent comme indiqué précédemment, on décompose Ei en sous-espaces (stables par l'homothétie). La réduction des endomorphismes nilpotents fournit ainsi une décomposition maximale en sous-espaces stables à l'aide de la définition des espaces de Jordan.

  • Un sous-espace de Jordan pour u est un sous-espace vectoriel de E possédant une base (e1, e2, ... , ep) telle que :
\exists \lambda\in K \;\forall i \in [1,p-1]\; u(e_i)=\lambda e_i + e_{i+1}\quad et \quad u(e_p)=\lambda e_p

Cette définition nous permet alors de décrire une réduction de Jordan pour u :

  • Si le polynôme minimal de u est scindé alors E est somme directe de sous-espaces de Jordan, et il n'existe aucune décomposition de E en somme directe de sous-espaces, stables par u et non réduits au vecteur nul, comportant plus de composantes qu'une décomposition de Jordan.

Cas du corps des réels

Comme pour un corps quelconque, on peut complexifier ou utiliser la décomposition de Frobenius.

Cas d'un corps quelconque

La décomposition de Frobenius est la plus adaptée lorsqu'on ne veut pas travailler sur un corps algébriquement clos.

Une autre approche possible consiste à plonger le corps K dans sa clôture algébrique \bar{K} puis le cas-espace E dans le produit tensoriel \bar{E}=\bar{K}\otimes E. Un endomorphisme de E se prolonge alors de façon unique à \bar{E}. Le point de vue matriciel est alors avantageux puisqu'on conserve la même matrice pour l'endomorphisme initial ou son prolongement, elle est simplement considérée comme matrice de M_n(\bar{K}).

Utilisation de la réduction en dimension finie

La diagonalisation est souvent la meilleure approche pour les problèmes concrets. Les matrices diagonalisables étant dense dans l'ensemble des matrices à coefficients complexes, l'imprécision des données initiales fait qu'une matrice correspondant à un problème réel est toujours diagonalisable.

En statistique, la diagonalisation permet de faire une analyse en composante principale.

La réduction des matrices (diagonalisation ou réduction de Jordan) permette un calcul des puissances de cette matrice ainsi que de son exponentielle. Par ailleurs, le calcul de exp(tA) est particulièrement utile pour résoudre les systèmes différentiels linéaires à coefficients constants.

Réduction et forme bilinéaire en dimension finie

Les matrices symétriques réelles (qui représentent des formes bilinéaires symétriques réelles) sont diagonalisables en base orthonormée.

Réduction et analyse fonctionnelle

Sources

Liens internes

Références

  • Serge Lang, Algèbre, Dunod ;
  • Haïm Brezis, Analyse fonctionnelle Théorie et applications, Masson ;
  • Walter Rudin, Functional analysis, McGraw-Hill Science.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Réduction d'endomorphisme de Wikipédia en français (auteurs)

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