- Corps commutatif
-
Pour les articles homonymes, voir Corps.
En mathématiques, et plus précisément en algèbre, un corps commutatif est, en simplifiant, une structure dans laquelle il est possible d'effectuer des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions.
Des exemples élémentaires de corps commutatifs sont le corps des nombres rationnels (noté ), le corps des nombres réels (noté ), le corps des nombres complexes (noté ) et le corps Fp des congruences modulo p où p est un nombre premier.
La théorie des corps commutatifs est le cadre de la théorie de Galois, une méthode d'étude qui s'applique en particulier aux corps commutatifs et aux extensions de corps, qui forment l'exemple historique, mais s'étend aussi à bien d'autres domaines, par exemple l'étude des équations différentielles (théorie de Galois différentielle), ou des revêtements.
Sommaire
Fragments d'histoire
Jusqu'au XIXe siècle, les ensembles de nombres ont paru tellement naturels que l'on ne s'est jamais préoccupé de leur donner un nom, ni même de définir avec précision leur structure[1]. Cependant, avec la naissance de l'étude des nombres algébriques, il est apparu d'autres ensembles de nombres que les rationnels, les réels et les complexes. Il est devenu nécessaire de préciser la structure de corps, puis la notion d'entiers sur ce corps et enfin la notion d'anneau. C'est à l'école allemande que l'on doit le développement de ces notions. C'est Richard Dedekind qui définit pour la première fois la structure de corps (Körper en allemand)[2] et c'est la raison pour laquelle un corps quelconque est souvent nommé K. En 1910, Ernst Steinitz fonde la théorie axiomatique des corps. La structure de corps s'insère dans une hiérarchie comprenant le monoïde, le groupe, l'anneau, et donne lieu à la définition de l'espace vectoriel, et de l'algèbre.
Définition et exemples
Un corps commutatif est un ensemble K muni de deux lois internes notées en général + et × vérifiant les conditions suivantes :
- (K, +) forme un groupe abélien (on dit aussi : groupe commutatif), dont l'élément neutre est noté 0 ;
- (K \ {0}, ×) forme un groupe abélien multiplicatif, dont l'élément neutre est 1 ;
- la multiplication est distributive pour l'addition (à gauche comme à droite) c’est-à-dire que
On parle alors du corps commutatif .
Exemples de corps commutatifs :
- l'ensemble des nombres rationnels, est un corps commutatif ;
- l'ensemble des nombres réels est un corps commutatif ;
- l'ensemble des complexes est un corps commutatif ;
- en arithmétique modulaire, l'ensemble , où p est un nombre premier, est un corps commutatif.
Un sous-corps d'un corps commutatif K est une partie L de K, stable par et , telle que L munie des lois induites soit un corps.
Caractéristique
Article détaillé : Caractéristique d'un anneau.S'il existe un entier naturel n non nul tel que (avec n termes) interprété dans le corps est nul, on appelle caractéristique du corps le plus petit entier positif non nul vérifiant cette propriété. S'il n'existe pas d'entier non nul vérifiant cette propriété, on dit que le corps est de caractéristique nulle.
Par exemple le corps est de caractéristique nulle alors que le corps est de caractéristique p. On démontre qu'un corps possède toujours pour caractéristique soit 0 soit un nombre premier.
Corps finis
Article détaillé : Corps fini.Ce sont les corps commutatifs dont le nombre d'éléments est fini. On démontre que le nombre d'éléments d'un tel corps est toujours une puissance de nombre premier. Il est en fait possible de dresser la liste de tous les corps finis (à isomorphisme près).
Le plus petit corps fini est celui des booléens, dont voici les tables d'addition (correspondant au « ou exclusif » xor) et de multiplication (correspondant au « et »):
addition + 0 1 0 0 1 1 1 0 multiplication × 0 1 0 0 0 1 0 1 Les exemples les plus élémentaires de corps finis sont les corps de congruences modulo un nombre premier comme dans le cas ci-dessus, mais il en existe une infinité d’autres : à isomorphisme près, un par puissance de nombre premier.
Corps et anneau
L'ensemble n'est pas un corps car la plupart des éléments de ne sont pas inversibles : par exemple, il n'existe pas d'entier relatif n tel que 2n = 1 donc 2 n'est pas inversible.
Plus généralement, un anneau est un ensemble A muni de deux lois + et ×, et vérifiant les axiomes suivants :
- (A, +) forme un groupe commutatif dont l'élément neutre est noté 0 ;
- (A-{0}, ×) forme un monoïde ;
- la multiplication est distributive pour l'addition (à gauche comme à droite).
Article détaillé : Anneau unitaire.Si l'anneau A est intègre, c’est-à-dire si
- ,
ou encore,
l'anneau est presque un corps car il ne lui manque plus que l'inversibilité pour la multiplication.
- On démontre que si l'anneau A est commutatif intègre, on peut le plonger dans son corps des fractions, qui est le plus petit corps contenant l'anneau.
Article détaillé : Corps des fractions.Exemple : est le corps des fractions de
Un anneau commutatif intègre (unitaire) est un corps si et seulement si {0} et A (les idéaux triviaux) sont les seuls idéaux.
Un anneau commutatif intègre (unitaire) A est un corps si et seulement si tout A-module est libre.
Corps et espace vectoriel
Article détaillé : Espace vectoriel.Partant du corps , il est naturel de s'intéresser à , ensemble des n-uplet de réels. On est amené à le munir d'une addition et d'une multiplication par un réel. La structure ainsi définie (une addition interne munissant l'ensemble d'une structure de groupe et une multiplication externe possédant des propriétés de distributivité et d'associativité) est appelée espace vectoriel sur . Il est alors naturel de définir ce que pourrait être un espace vectoriel sur un corps commutatif K quelconque.
Corps et équation algébrique
L'étude des polynômes à coefficient dans un corps commutatif et la recherche de leurs racines a développé considérablement la notion de corps. Si f est un polynôme de degré n sur un corps commutatif K, l'équation f(x) = 0 est une équation algébrique dans K. Si, de plus, f est un polynôme irréductible, l'équation est dite irréductible. Lorsque n ≥ 2, trouver les solutions d'une telle équation demande de se placer dans un corps plus grand que K, une extension de corps.
Par exemple, l'équation x2 − 2 = 0 est irréductible dans mais possède des racines dans ou mieux dans . L'équation x2 + 1 = 0 ne possède pas de solution dans mais en possède dans ou mieux dans .
Un corps de rupture d'un polynôme est, par exemple, un corps minimal contenant K et une racine de f.
Le corps de décomposition de f est le plus petit corps contenant K ainsi que toutes les racines de f.
L'étude des corps de décomposition d'un polynôme et du groupe de permutations de ses racines forme la branche des mathématiques que l'on appelle la théorie de Galois.
Propriétés
- Soit un corps commutatif. Alors tout polynôme de degré admet au plus n zéros (ou racines) dans K.
- Soit un corps commutatif. Alors tout sous-groupe fini de est un groupe cyclique.
Démonstration-
- Le nombre de racines d'un polynôme est inférieur ou égal à son degré.
Pour chaque racine r d'un polynôme P, le polynôme X − r divise P (ceci est vrai pour un anneau commutatif quelconque à la place du corps : c'est évident si r = 0, et pour le cas général on peut appliquer l'automorphisme de l'anneau de polynômes qui fixe les constantes et envoie X vers X − r). Toute autre racine s de P est racine du quotient Q de P par X − r, car la substitution de s pour X n'annule pas le facteur X − r, et comme un corps est en particulier un anneau intègre, cette substitution doit annuler Q. Ainsi si P contient m racines distinctes, on peut le décomposer comme produit de m facteurs unitiaires de degré 1 et un dernier facteur (qui peut être un polynôme non nul quelconque, éventuellement constant).
Le degré d'un produit de polynômes est la somme des degrés de ces polynômes (encore parce que un corps est un anneau intègre), et on peut conclure que m ≤ n. Comme la multiplicité d'une racine r de P est par définition le nombre de fois qu'on peut successivement diviser P par X − r, cette conclusion reste valable quand on remplace m par le nombre des racines comptées avec leurs multiplicités respectives.
-
- Tout sous-groupe fini du groupe multiplicatif est cyclique :
Soit G un tel sous-groupe, n son cardinal et e son exposant. L'exposant d'un groupe est le plus petit commun multiple des ordres des éléments du groupe. Le polynôme Xe - 1 admet chaque élément du groupe comme racine. Comme dans un corps commutatif, un polynôme n'admet jamais plus de racines que son degré, e est au moins égal à n. Le théorème de Lagrange montre que e est au plus égal à n et e est égal à n. Il existe toujours un élément g d'ordre l'exposant dans un groupe abélien fini (cf l'article exposant d'un groupe), en conséquence, g est d'ordre n et donc générateur du groupe G ce qui montre son caractère cyclique.
Ces résultats restent vrais si l'on remplace le corps par un anneau commutatif intégre quelconque (comme on peut voir en plongeant un tel anneau dans son corps des fractions).
Autres champs d'étude
On retrouve la théorie des corps dans l'étude de certaines fonctions comme les fonctions rationnelles ou les fonctions elliptiques.
Structures additionnelles
Voir aussi
Notes et références
Sources
- Jacques Bouveresse, Jean Itard et Émile Sallé, Histoire des mathématiques [détail des éditions]
- Nicolas Bourbaki, Éléments d'histoire des mathématiques [détail des éditions]
- Jacqueline Lelong-Ferrand et Jean-Marie Arnaudiès, Cours de mathématiques : Algèbre, Volume 1, 3e éd., Dunod, 1998 (ISBN 9782100041800)
- Jacques-Louis Lions, Petite Encyclopédie des mathématiques, éd. K. Pagoulatos
Wikimedia Foundation. 2010.