Histoire des poisons

Histoire des poisons

Lhistoire des poisons [1] s'étend de 4500 avant J.-C., à nos jours. Les poisons ont été utilisés à de nombreuses fins, au fil de lhistoire humaine, plus communément comme arme, antidote au venin et médicament. Le poison a été à lorigine de beaucoup de progrès dans différentes branches de la médecine, comme la toxicologie et la technologie, parmi dautres sciences.

Le poison a été découvert dans lantiquité et a été utilisé par les tribus et les civilisations primitives comme outil de chasse pour accélérer et assurer la mort de leurs proies ou de leurs ennemis. Cet usage du poison sest développé et bon nombre de ces peuples de lantiquité ont commencé à fabriquer des armes spécifiquement conçues pour lusage du poison. Plus tardivement dans l'histoire, en particulier au moment de lEmpire romain, l'un des usages les plus fréquents du poison était lassassinat. Dès 331 avant J.-C., des empoisonnements perpétrés à la table du repas ou par ingestions de boissons ont été signalés et cette pratique est devenue un phénomène répandu. Le recours à des substances mortelles a été observé dans toutes les classes sociales, même la noblesse les a souvent utilisées pour éliminer des adversaires politiques ou économiques.

Dans lEurope médiévale, le poison est devenu une des méthodes d'assassinat les plus populaires, même si des antidotes sont apparus pour beaucoup de substances parmi les poisons les plus largement répandus. Cette pratique a été stimulée par la disponibilité accrue des poisons, des boutiques connues sous le nom dapothicairies, vendant des produits divers à usage médicinal, ont été ouvertes au public et, à partir de , des substances qui étaient traditionnellement utilisées dans un but thérapeutique ont été employées à des fins moins avouables. À peu près au même moment, d'autres régions du monde ont fait de grands progrès en termes de poison, les arabes sont parvenus à obtenir des composés darsenic inodores et incolores, ce qui rendait les tentatives dassassinats impossibles à détecter. À ce moment-, cette " épidémie dempoisonnement " sest également répandue dans certaines parties de lAsie.

Au cours des siècles, l'usage de poisons à des fins répréhensibles a continué à se répandre. Les moyens de traiter les empoisonnements ont également continué à progresser, mais de nouveaux poisons sont apparus et ont été en vogue chez les criminels. De nos jours, l'intoxication intentionnelle est moins fréquente et le risque dintoxication accidentelle par diverses substances et produits existe désormais davantage dans la vie quotidienne. En outre, son usage s'est élargi de façon exponentielle; le poison est souvent utilisé comme pesticide, désinfectant, solution de nettoyage ou conservateur, entre autres. Malgré cela, le premier usage du poisoncomme engin de chassepersiste encore dans certaines régions reculées des pays en développement, en particulier en Afrique, en Amérique du Sud, et en Asie.

Sommaire

Antiquité et préhistoire

Strychnos toxifera, une plante utilisée pour empoisonner les pointes de flèches

Les découvertes archéologiques prouvent que, bien que les hommes primitifs aient utilisé surtout des armes classiques telles que la hache et la massue, et plus tard l'épée, ils disposaient de moyens de destruction plus subtils, pour provoquer la mortquelque chose qui pouvait être obtenu par le poison[2]. des rainures pour introduire et utiliser des poisons tels que la tubocurarine ont été retrouvées sur leurs armes et outils de chasse, montrant que les premiers humains avaient découvert des poisons de différentes puissances et les utilisaient pour leurs armes[2]. Il est probable que l'existence de ces étranges substances nocives, ainsi que leur mode demploi a été gardé secret par les membres les plus importants d'une tribu ou dun clan et ont été considérés comme les emblèmes d'un grand pouvoir. Cela peut également avoir donné naissance au concept ou au stéréotype d’ "homme médecine" ou de "sorcier"[2].

Une fois que l'usage et le danger du poison a été connu, il est devenu évident quil fallait faire quelque chose pour sen prémunir. Mithridate VI, roi du Pont (un état du nord de lAnatolie pendant lantiquité hellénistique), vers 114-63 av. J.-C., vivait dans la peur constante d'être assassiné par le poison. En véritable pionnier, il a entrepris un laborieux travail à la recherche d'un remède contre les poisons[2]. Dans sa position au sommet du pouvoir, il avait la possibilité dexpérimenter leffet des poisons sur des condamnés à mort, puis de tester un éventuel antidote. Il était paranoïaque au point de sadministrer quotidiennement de faibles doses de substances toxiques dans l'espoir de simmuniser lui-même contre le plus grand nombre possible de poisons[2]. Finalement, il a découvert une formule associant, en petites quantités, plusieurs dizaines de plantes médicinales parmi les plus connues de l'époque et il avait appelé cette panacée, le Mithridatium[2]. Sa composition été gardée secrète jusqu'à linvasion de son royaume par Pompée qui a ramené à Rome le nouveau remède. Après la victoire de Pompée, les notes secrètes décrivant les plantes médicinales qui composaient lantidote de Mithridate ont été trouvées par les Romains et traduites en latin[3].

Pline le Jeune a décrit plus de 7000 poisons différents. Il décrit lun deux comme étant "Le sang d'un canard trouvé dans un certain quartier du Pont, lequel était censé se nourrir daliments empoisonnés, aussi le sang de ce canard a-t-il ensuite été utilisé pour la préparation du Mithridatum, parce quil se nourrit de plantes toxiques et nen souffre aucunement."[2]

Le chirurgien indien Sushruta a défini les étapes dun long empoisonnement et les remèdes quil fallait utiliser. Il mentionne également les antidotes et lutilisation de substances traditionnelles pour contrer les effets de l'intoxication[4].

Inde

Les armes empoisonnées ont été utilisées dans l'Inde ancienne[5], et les tactiques de guerre de lInde antique faisaient référence à des poisons. Un verset en sanscrit qui se lit "Jalam visravayet sarmavamavisravyam ca dusayet, ce qui se traduit par "les eaux de puits ont été contaminées par du poison, et donc polluées."[5]

Chānakya (c. 350283 av. J.-C.), également connu sous le nom de Kautilya, a été conseiller et premier ministre[6] à lépoque du premier empereur Maurya Chandragupta Maurya (c. 340293 av. J.-C.). Kautilya a suggéré lemploi de moyens tels que la séduction, lutilisation darmes secrètes et le poison à des fins politiques[7]. Il a également recommandé des précautions détaillées pour prévenir les assassinatsla désignation de goûteurs pour les aliments et lélaboration de moyens de détection du poison[8]. En outre, la peine de mort pour les violations des arrêtés royaux a été souvent infligée par le poison[9].

Exemples de pointes de flèches en silex, des armes utilisées pour la chasse dans lantiquité.

Égypte

Contrairement à ce qui sest passé pour de nombreuses autres civilisations, la transcription écrite des connaissances égyptiennes sur lusage des substances toxiques ne remonte pas au-delà de 300 av. J.-C.. Toutefois, on pense généralement, d'après les textes les plus anciens, que le tout premier Pharaon égyptien connu, Ménès, a étudié les propriétés des plantes toxiques et des venins[2].

Plus tard cependant, on peut trouver la preuve de la connaissance des poisons dans l'Égypte ptolémaïque dans les écrits d'un alchimiste de lantiquité, Agathodiamon (100 av. J.-C. environ), il cite un minéral (non identifié) qui, mélangé avec le natron, produit un «poison de feu». Il a décrit ce poison comme "disparaîssant dans l'eau" pour donner une solution limpide[10]. Selon une spéculation dEmsley le «poison de feu» serait du trioxyde d'arsenic, les minéraux non identifiés seraient soit le réalgar soit lorpiment, daprès la relation existant entre les minéraux non identifiés et ses autres écrits[10].

On pense que les Egyptiens ont également eu connaissance de lexistence de substances telles que lantimoine, le cuivre, larsenic pur, le plomb, lopium et la mandragore (entre autres). D'autres secrets ont été révélés dans les papyrus. On pense désormais que Les Égyptiens ont été les premiers à maîtriser correctement la distillation et à manipuler le poison qui peut être préparé à partir de noyaux de pêche[2].

Enfin, on sait que Cléopâtre sest empoisonnée elle-même avec un aspic après avoir appris la disparition de Marc Antoine. Avant sa mort, elle aurait utilisé un grand nombre de ses serviteurs comme cobayes pour tester différents poisons, y compris la belladone, lhyoscyamus niger et les fruits de l'arbre à strychnine (noix vomique)[11].

Rome

Un buste de l'empereur romain Néron, qui a utilisé le cyanure pour se débarrasser des membres indésirables de sa famille

À l'époque romaine, l'empoisonnement à la table du repas par la nourriture ou la boisson n'était pas exceptionnel, ni même rare et il est apparu dès 331 av J. C[2]. Ces méthodes étaient utilisées pour diverses raisons dans toutes les classes sociales. L'écrivain Tite-Live décrit l'empoisonnement des membres de la classe supérieure et des nobles de Rome et lempereur romain Néron est connu pour avoir usé de poisons sur ses proches, et même davoir recruté des empoisonneurs. Son poison préféré était, dit-on, le cyanure[2].

Le prédécesseur de Neron, Claude, aurait été empoisonné avec des champignons ou des poisons à base dherbes[12]. Toutefois, les comptes rendus de la mort de Claude varient considérablement suivant les auteurs. Halotus, son dégustateur, Xénophon son médecin, et la célèbre empoisonneuse Locuste ont tous été accusés d'avoir administré la substance mortelle, mais Agrippine sa dernière épouse, est celle quon suspecte le plus d'avoir organisé son assassinat et peut être même davoir elle-même administré le poison. Certains rapportent que Claude est mort dans datroces souffrances après avoir reçu une dose unique à son repas du soir, alors que certains disent que son état sest dabord un peu amélioré, avant quil soit une fois de plus empoisonné par une plume trempée dans du poison qui avait été introduite au fond de sa gorge sous prétexte de le faire vomir[13], ou encore quil aurait été empoisonné par une bouillie ou un lavement[12]. Agrippine est considérée comme la meurtrière, parce qu'elle avait de lambition pour son fils Néron, et Claude commençait à la suspecter dintriguer en sa faveur[14].

Moyen Âge

Plus tard, dans lEurope du Moyen Âge, lorsque la nature des substances toxiques a été connue autrement que par son usage en magie et en sorcellerie, des vendeurs et des fournisseurs de potions et de poisons, ont ouvert des boutiques connues sous le nom dapothicaireries[15]. Malgré le fait que lusage des poisons comme médicaments soit maintenant connues, il était un secret pour personne que les gens qui achetaient des poisons le faisaient pour des raisons plus ou moins utiles et légitimes. Les alchimistes qui travaillaient dans ces apothicaireries sexposaient à un risque considérable pour leur santé, du fait quils travaillaient toujours à proximité de substances toxiques[16]. A la même époque, dans d'autres régions du monde, les techniques de préparation des substances toxiques progressaient et, dans les pays arabes, certains avaient réussi à fabriquer de l'arsenic incolore, inodore et sans saveur lorsqu'il était mélangé à une boisson, une méthode qui a permis aux poisons des assassins de demeurer indétectables pendant au moins un millénaire[17].

Un extrait de lœuvre de Chaucer, Les Contes de Cantorbéry, un texte qui était connu au XIVe siècle et au XVe siècle met en scène un tueur achetant un poison à un apothicaire pour venir à bout dune pullulation de rats :

«  Et aussitôt il sen vasans plus tarder
dans la ville vers un « pothicairerie
et priant quon veuille bien lui vendre
du poison, qui pourrait le débarrasser des rats ...
lapothicaire répondit : " tu auras
une chose qui, que Dieu me garde,
telle que, dans le monde entier il n'existe pas de créature
qui ait mangé ou bu une confiture de cette sorte
non mais de la mouture de maïs ou de blé
car il perdra bientôt la vie
oui, il mourra de faim, tandis que
que tu ira dun bon pas mais moins dun mille
le poison est tellement fort et violent »

— Les Contes de Cantorbéry - Le Pardoner's Tale . Vers 565581.

C'est un exemple classique dœuvre littéraire citant le poison. Les poisons et les potions ont été un thème très populaire dans les œuvres de fiction, comme celles de Shakespeare. Il existait aussi des textes universitaires traitant de la question et les deux types dœuvres, de fiction ou non, ont été écrites pour la plupart par des moines, dont le savoir et la sagesse étaient respectées et qui sont les auteurs d'une grande partie des travaux publiés sur le sujet[15].

Un exemple douvrage qui nest pas une œuvre de fiction est Le Livre des Venins, un livre décrivant les poisons connus à l'époque, leurs effets et leurs usages, écrit par Magister Santes de Ardoynis en 1424. Il a également détaillé les traitements les plus connus pour les empoisonnements. Malgré cela, il est jugé probable que ces travaux nont pas été portés à la connaissance du public, mais conservés dans des cercles étroits à des fins d'études et de recherches[15].

Réaction du public

Si la vérité a été cachée au public, elle n'a pas empêché la naissance dun folklore et la propagation de rumeurs sur les poisons et leur utilisation à des fins jugées détestables. Cela a provoqué une sorte de paranoïa dans toutes les couches de la société en Angleterre et en Europe[15]. Cette vague d'inquiétude a été favorisée par la disponibilité dun "médicament" suffisamment puissant pour être mortel lorsquil était secrètement administré en quantité suffisanteil fournissait un moyen facile à utiliser pour tuer, et de plus subtil, discret et permettant généralement au criminel de rester anonyme[15]. Cest peut-être cette vague de paranoïa qui a balayé les rues, ou encore la nécessité pour le public dobtenir des réponses sur ces toxiques, mais les livres sur les moyens de lutte contre les poisons ont eu beaucoup de succès et ont largement attisé la montée de l'anxiété, même si elle était généralement totalement infondée[15].

Naturellement, des vendeurs de livres avisés ont cherché à attiser cette inquiétude dans leur stratégie de marketing et à exagérer le risque pour inciter les gens à acheter leurs livres à la recherche d'une impossible sécurité. D'autres commerçants comme les joailliers proposaient des amulettes censées protéger des effets du poison et certains médecins vendaient des remèdes magiques, tout ce monde aura tiré beaucoup de profits de cette période de doute. L'information réclamée par le public provenait d'eux, des connaissances considérées comme un trésor pour les savants et les scientifiques, et le public était abandonné à lui-même pour échafauder ses propres hypothèses[15].

Empires dAsie de la fin du Moyen Age

Malgré les effets négatifs du poison, qui étaient si évidents dans ces temps reculés, des remèdes ont été découverts à partir du poison, même au moment il était détesté par la majorité de la population. Un exemple peut être trouvé dans les œuvres de Rhazes un médecin, philosophe et savant perse, en Iran, auteur du Secret des Secrets, une énumération de composés chimiques, minéraux et autres, dont il avait dressé une liste interminable. Rhazès fut le premier homme à distiller l'alcool et à l'utiliser comme anti-septique et celui qui a suggéré que le mercure pouvait être utilisé comme laxatif. Il a fait des découvertes relatives à un chlorure de mercure appelé sublimé corrosif. Une pommade dérivée de ce sublimé a été utilisée pour guérir ce que Rhazes décrit comme «le prurit», qui est maintenant connu comme étant la gale. Ce traitement s'est avéré efficace en raison de la nature toxique du mercure et de sa capacité à pénétrer la peau, lui permettant d'éliminer la maladie et les démangeaisons[18].

En Inde, lépoque troublée des XIVe et XVe siècles le Rajasthan a connu des invasions dans le pays Râjput. Les femmes Rajput pratiquaient la coutume du Jauhar (littéralement la prise de vie) lorsque leurs fils, frères ou maris affrontaient une mort certaine au combat. Le Jauhar était pratiqué à l'intérieur de la caste des guerriers Kshatriya pour leur éviter le triste sort de l'asservissement, de l'esclavage, du viol, ou de la mise à mort par les forces d'invasion[19].

Renaissance

Au moment de la Renaissance, le recours au poison pour des motivations illégales et répréhensibles a atteint son point culminant, il est sans doute devenu un outil essentiel pour tout assassin ou meurtrier[20]. Ce pic de popularité du poison dans les cercles criminels était probablement , au moins en partie, aux nouvelles découvertes qui avaient été faites sur les poisons[20]. Les alchimistes Italiens ont été les premiers à réaliser, au cours du14ème et du XVe siècle, le potentiel de la combinaison de plusieurs substances toxiques pour créer un effet encore plus puissant que la simple addition des effets de chaque substance prise isolément[20], et d'autres nouvelles propriétés des poisons sont devenues plus claires. Un nouveau domaine de la science était en train de naître, la discipline connue aujourd'hui sous le nom de toxicologie. Mais la notion de poison, au sein de la société, était tellement étroitement associée à lidée dhomicide que l'on craignait même de participer à un dîner, de peur que la nourriture ou les boissons ne soient empoisonnées par l'hôte ou l'un des invités[20].

Les Borgia

Le très controversé Pape Alexandre VI, également connu sous son nom de naissance Roderic Borja

César Borgia est le fils du Pape Alexandre VI, peut-être l'un des papes dont la légitimité a été la plus contestée, parce quil avait utilisé son pouvoir pour promouvoir ses cinq fils à de hautes fonctions[20]. Il avait la réputation être un homme rude et sans pitié, il était craint et on le fuyait. Borgia a été célèbre, non seulement parce quil était le fils d'un homme très controversé, mais aussi parce qu'il était connu pour être un meurtrier faisant usage du poison[20]. Dans la citation suivante, Apollinaire décrit ce qu'il considère comme une sorte de " Recette Borgia " utilisée pour l'élimination de ses adversaires :

«  La Cantarella. La substance que Borgia utilisait conjointement avec larsenic, mais sans le savoir, était le phosphore, un secret qui avait été divulgué aux Borgia par un moine espagnol, qui connaissait aussi l'antidote spécifique, ainsi quun antidote pour l'arsenic, on voit donc qu'ils étaient bien armés. »

— Guillaume Apollinaire

Après la mort du père de César Borgia, circulèrent de nombreuses rumeurs colportant plusieurs théories sur la cause de la mort du pape, même si pour la plupart des gens il sagissait bien dun horrible meurtre, probablement par empoisonnement. L'idée dApollinaire était que le pape avait été empoisonné par le vin qui était en fait destiné à un autre convive, assis à la table du dîner, le Cardinal de corneto. Sanuto a défendu une théorie similaire, au détail près quil mentionnait une boîte de sucreries, au lieu du vin[20]. Quelle quen soit la cause, la mort du pape a suscité peu de regrets, elle était attendue après le scandaleux exercice de son pontificat. Des preuves historiques donnent à penser que le pape a effectivement été empoisonné de quelque manière que ce soit, car lorsque son corps a été exposé, il était dans un état de décomposition particulièrement avancé. Afin de ne pas donner prise à la suspicion, il n'a été exposé que de nuit et à la lumière des chandelles[20].

La disparition de César Borgia n'a pas suscité beaucoup de tristesse non plus, du fait de la réputation qu'il sétait lui-même forgée. Toutefois, sa sœur Lucrèce a porté le deuil de cet homme qui avait été accusé de nombreux crimes. Lucrèce a également été considérée comme une meurtrière, elle peut en effet être tenue pour responsable de certains des méfaits de César[20].

Conseil des dix

Au XVIe siècle, l'usage du poison est devenu une sorte d'art et, dans plusieurs villes dItalie, y compris Venise et Rome, il existait des écoles enseignant les méthodes de lempoisonnement et l'art qui en était issu[21]. Plus tôt, au quinzième siècle, une guilde des alchimistes et empoisonneurs connue sous le nom de Conseil des Dix a été formée. Cette secte dempoisonneurs concluait des contrats dassassinat avec les personnes qui lui donnaient suffisamment d'argent, et généralement toute personne sur la tête de qui un contrat avait été conclu était assassinée, tuée par une dose indétectable de substances létales[21].

Neopoliani Magioe Naturalis

Le Neopoliani MagioeNaturalis est une publication imprimée pour la première fois juste avant 1590 qui détaillait les subtilités de l'art de l'empoisonnement, et les méthodes les plus efficaces pour commettre un homicide à l'aide de poisons. Le moyen le plus efficace de tuer quelqu'un avec du poison, selon cet ouvrage, était de droguer le vin de quelqu'un, une méthode qui était très populaire à l'époque[21]. Un «mélange très fort» préconisé dans le livre était le Veninum Lupinum qui se composait d'un mélange de daconit, de taxus baccata, doxyde de calcium, darsenic, damandes amères et de poudre de verre mélangés avec du miel. Le produit final était une pilule dont la taille approximative était celle d'une noix[21].

XVIeXVIIIe siècle

À la fin du XVIe siècle, l'art et la vogue du poison sétaient déplacés de l'Italie vers la France, l'intoxication criminelle est devenue de plus en plus fréquente. On estime que, dans les années 1570, il y avait une trentaine de milliers de personnes, à Paris seulement, qui utilisaient le poison ou qui avaient un lien avec lutilisation du poison dune manière illégale ou de façon immorale[22]. Il était de plus en plus décrit comme un «fléau» ou une «épidémie»[22]. Et cette épidémie, tout en contribuant de toute évidence beaucoup à la mortalité, a également grandement affecté les citoyens qui n'avaient aucun lien avec le poison. Beaucoup de gens, surtout les nobles, avaient très peur d'être empoisonnés. Ils ne participaient quaux seuls dîners les plus dignes de confiance, et recrutaient uniquement des serviteurs triés sur le volet. Parmi plusieurs exemples de personnes célèbres ou de très haute extraction qui avaient très peur de l'empoisonnement citons à la fois Henriette d'Angleterre et Henri IV[22]. La princesse Henriette d'Angleterre avait tellement peur de l'empoisonnement qu'elle fait immédiatement supposer quelle était empoisonnée quand elle a été atteinte dune péritonite suite à une perforation dulcère duodénal, alors quon raconte quHenri IV, en visite au Louvre, navait consommé que des œufs qu'il avait lui-même cuit, et bu seulement l'eau qu'il sétait lui-même versée[22]. Plus tard, en 1662, Louis XIV a limité la commercialisation des poisons dans les apothicaireries et certains poisons ont été interdits à la vente, sauf pour les personnes que le commerçant connaissait comme étant dignes de confiance[22].

Les alchimistes dignes de confiance, cependant, sont devenus difficiles à trouver au cours de cette période, beaucoup d'entre eux étaient des escrocs et trompaient leurs clients et le grand public en leur faisant croire que le Mercure, était un élément «de base» — à partir duquel étaient invariablement composés toutes les autres substancesquil était possible de le transmuter en or et en dautres métaux précieux. Alors que beaucoup dentre eux ont tiré profit de cette croyance, d'autres ont réellement tenté, au nom de la science, de fabriquer de l'or avec des éléments de moindre valeur. Ces alchimistes étaient mobilisés vers le même objectif, celui d'atteindre trois objets devenus mythiques dans la quête de lalchimie : la pierre philosophale, capable de changer les métaux ordinaires en or pur, lÉlixir de longue vie, qui allongeait la durée de la vie, et, enfin lAlkahest, une substance qui était capable de dissoudre toutes les autres. La poursuite de ces objectifs fantastiques, mais menée de manière scientifique a considérablement retardé le progrès de la science alchimique, du fait que ces objectifs étaient finalement impossibles à atteindre[16].

Louis XIV

Chambre ardente

Au moment même de l'interdiction des poisons, les prêtres de Notre-Dame de Paris stupéfaits du nombre de confessions liées à des empoisonnements, ont décidé d'informer le roi sur le déroulement de cette dramatique «épidémie» de poisons[22]. En réponse, le roi a créé un ordre spécialisé pour les enquêtes sur les cas d'empoisonnement appelé la « Chambre ardente », et l'enquête elle-même est connue sous le nom daffaire des Poisons .

Malgré le fait que les inquisiteurs étaient missionnés par le souverain lui-même, ils ont échoué à confondre beaucoup dempoisonneurs de la pire espèce et de la plus meurtrière, qui avaient probablement de multiples complicités quils ont fait jouer pour se soustraire au châtiment. Toutefois, tout au long de la vie de l'ordre, environ 442 personnes ont été arrêtées et condamnées[22]. Les travaux de lordre ont provoqué un retour de flamme, ou un effet pervers, qui a été de focaliser l'intérêt sur les poisons et la façon de les utiliser et, inexplicablement, de nombreuses personnes ont été incitées à participer effectivement et activement à des empoisonnements, après la parution d'une ordonnance destinée à réduire le nombre dempoisonnements[22].

Carlos II, ou Charles II, dEspagne

Espagne

Alors que les criminels dItalie et dAngleterre ont été les premiers à utiliser le poison comme arme pour tuer ou blesser, au cours de cette période le recours au poison a vraiment commencé à se répandre dans toute l'Europe. LEmpire espagnol sest distingué en commettant, par un moyen ou par un autre, plusieurs tentatives dassassinat infructueuses contre la Reine Elizabeth d'Angleterre[22]. Un certain Dr Rodrigo Lopez, un médecin juif, est venu d'Espagne pour tuer la reine, mais il a été capturé et plus tard pendu et écartelé pour ce complot, même si Elizabeth elle-même et Robert Cecil doutaient de sa culpabilité[22]. On pense que par certains aspects, un des personnages, de Shakespeare, le marchand de Venise se réfère peut être à ce Dr Lopez ou a été inspiré par lui. Après cet incident, la nourriture de la reine a être goûtée pour éviter un empoisonnement, et une plus grande surveillance a été mise en œuvre. Il a même été dit quelle prenait des antidotes chaque semaine, comme moyen de protection.

En revanche, les tentatives de régicide par poison ont également été perpétrées en Espagne, par plusieurs personnes ou groupes qui voulaient tuer les monarques. Une tentative réussie (probablement une des rares en Europe) a été l'empoisonnement de Marie Louise, lépouse de Charles II qui est décédée subitement en septembre 1689[22].

XXe siècle

La même tendance sest poursuivie pendant lépoque victorienne, et a été toujours été définie comme une sorte d'épidémie. Le poison était encore considéré comme l'un des moyens les plus faciles et les plus simples de commettre un meurtre[23]. Toutefois, plusieurs changements sont intervenus dans l'ère victorienne, tels que l'apparition de lassurance-vie, de lindustrie, qui ont fait l'empoisonnement un crime "à la mode", compte tenu de la garantie dun profit lucratif par le meurtre dune personne dont la vie était assurée par une garantie élevée fixée sur sa tête[24]. Mais quand est survenu le tournant des années 1900 les techniques pour prévenir lempoisonnement se sont améliorées et sont devenues plus efficaces et les empoisonneurs ont rencontré davantage de difficultés que dans les siècles précédents[24]. Il fallait désormais être plus soigneux et mieux organisé pour déjouer les techniques désormais opérationnelles employées contre les apprentis empoisonneurs[24].


Poisons anciens

Les poisons utilisés dans le passé étaient également connus par les meurtriers du XXe siècle. Au début du XXe siècle, l'arsenic était souvent utilisé, mais au milieu du siècle, le cyanure est devenu très populaire. Il a été utilisé au cours de la seconde Guerre mondiale, après leur capture par les nazis, par des agents de la Résistance qui voulaient se suicider pour échapper aux tortures odieuses de leurs ennemis[24]. Le dignitaire nazi Hermann Göring, la même utilisé pour mettre fin à ses jours pendant la nuit précédant son exécution qui devait survenir par pendaison au cours du procès de Nuremberg[25].Adolf Hitler a également pris une pilule de cyanure peu de temps avant la chute de Berlin en même temps que sa femme, eva Braun[26].

Toutefois, de nouvelles substances toxiques ont été plus fréquemment utilisées pour faire progresser les connaissances dans le domaine de la science toxicologique. De cette façon, disposant dun poison nouveau et inconnu, un empoisonneur pouvait tuer quelqu'un et le décès pouvait être attribué à tort à un cas malheureux de maladie rare[24]. Cela a mis une nouvelle pression sur la toxicologie et d'autres branches de la science travaillant sur les poisons et les toxicologues ont travailler sans relâche pour maintenir leur avance sur des criminels qui utilisaient des poisons jamais rencontrés auparavant.

De nos jours

À la fin du XXe siècle, un nombre croissant de produits utilisés dans la vie quotidienne se sont révélés toxiques. Aujourd'hui le risque d'intoxication est surtout accidentel, le poison étant absorbé par erreur ou par accident. Ces problèmes surviennent plus fréquemment chez les enfants, et les intoxications sont la 4e cause la plus fréquente de décès chez les enfants. Les ingestions accidentelles concernent le plus souvent les enfants de moins de 5 ans.

Toutefois, les hôpitaux et les services durgences se sont beaucoup améliorés par rapport à la première moitié du XXe siècle et les antidotes sont plus facilement disponibles. Des antidotes ont été découverts pour de nombreux poisons, et ceux qui correspondent à quelques-uns des poisons les plus communément rencontrés sont répertoriés dans le tableau ci-dessous :

Poison/Toxique Antidote
paracétamol (acétaminophène) acétylcystéine [27]
anticoagulants anti-vitamine K, e.g. warfarine vitamine K, protamine[27]
narcotiques/opioïdes naloxone [28]
fer (et autres métaux lourds) deferoxamine[27]
benzodiazépines flumazénil [27]
éthylène glycol éthanol ou fomepizole[28]
méthanol éthanol ou fomepizole[28],[29]
cyanure nitrite d'amyle, nitrite de sodium, et thiosulfate de sodium[27],[30]

Toutefois, le poison reste encore aujourd'hui une arme utilisée pour commettre des meurtres, mais cette méthode n'est plus aussi populaire que par le passé, probablement en raison dun plus large éventail de moyens disponibles pour tuer des gens et que d'autres facteurs doivent être pris en considération.

L'un des cas les plus récents de mort par empoisonnement a été celui du dissident russe Alexandre Litvinenko, décédé en 2006 dun syndrome d'irradiation aiguë provoqué par le polonium-210 dans des circonstances très suspectes[31].

Un avion dépandage agricole pulvérisant des pesticides.

Autres usages

Aujourd'hui, le poison est utilisé dans des circonstances beaucoup plus variées quauparavant. Par exemple, le poison peut être utilisé pour éliminer une infestation par des parasites ou pour détruire les mauvaises herbes. Ces produits chimiques, désignés sous le nom de pesticides[32], sont connus et utilisés sous une certaine forme depuis 2500 avant JC environ. Toutefois, l'usage des pesticides a incroyablement augmenté à partir de 1950, et actuellement environ 2,5 millions de tonnes de pesticides industriels sont utilisées chaque année[33]. D'autres poisons peuvent également être utilisés pour la conservation des aliments et des matériaux de construction.

Pays en voie de développement

Aujourd'hui, pour les peuples de nombreux pays en voie développement tels que certaines parties de l'Afrique, de l'Amérique du Sud et de l'Asie, l'emploi du poison comme arme de chasse et d'attaque perdure encore. En Afrique, certaines flèches empoisonnées sont fabriquées à partir dingrédients végétaux tels que ceux provenant dune plante, lAcokanthera. Cette plante contient de la ouabaïne qui est un glycoside cardiotoxique, comme le laurier rose et lasclepias[34]. Les flèches empoisonnées sont également utilisées dans la jungle dAssam, en Birmanie et en Malaisie. Les ingrédients utilisés pour la fabrication de ces poisons sont principalement extraits de plantes des genresAntiaris , Strychnos et Strophanthus, ainsi lAntiaris toxicaria (Un arbre de la famille du mûrier et de larbre à pain), par exemple, est utilisé dans lîle de Java en Indonésie, ainsi que dans plusieurs îles de la région. Le jus ou les extraits liquides dont la pointe de flèche est enduite, provoquent chez la cible une paralysie, des convulsions et / ou un arrêt cardiaque, presque sur le champ en raison de la rapidité daction du poison[35].

En plus des poisons à base de plantes, il en existe d'autres qui sont fabriqués à partir danimaux. Par exemple, la larve ou la chrysalide d'une espèce de coléoptère du Nord du Kalahari est utilisée pour fabriquer un poison daction lente qui peut être très utile lors de la chasse. Le coléoptère lui-même est appliqué sur la flèche, en écrasant son contenu directement sur la pointe. La sève de différentes plantes est ensuite mélangée pour servir de colle. Toutefois, au lieu de la sève des plantes, on peut aussi utiliser une poudre faite de cadavres de larves éviscérées[36].

Voir aussi

Notes

  1. le terme poison est défini comme désignant une"substance qui provoque la mort ou des maladies en cas dingestion ou dabsorption." Collins English Dictionary, [[HarperCollins|HarperCollins]], 2001,  p. (ISBN 0007666918) 
  2. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j et k Ancient poisons. Consulté le 1 Avril 2007
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Références

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