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Henry Ford
Pour les articles homonymes, voir Ford (homonymie).Henry Ford Portrait de Henry Ford en 1919Naissance 30 juillet 1863
DearbornDécès 7 avril 1947 (à 84 ans)
DearbornNationalité États-Unis Profession(s) Industriel Ford Motor Company Henry Ford (30 juillet 1863 à Dearborn (Michigan, États-Unis) - 7 avril 1947, Dearborn) est le fondateur de la Ford Motor Company. Sa conception de l'automobile Modèle T révolutionne le transport et l'industrie américaine. En tant que propriétaire de la Ford Company, il devient une des personnes les plus riches et les plus connues au monde dans la première moitié du XXe siècle. Son nom est attaché au fordisme, à la fois mode de production en série basé sur la ligne d'assemblage et modèle économique basé sur des salaires élevés. Inventeur prolifique, il a déposé au total 161 brevets américains.
Ford a une vision globale de son action : il voit dans la consommation la clé de la paix. L’important engagement d'Henry Ford à réduire les coûts aboutit à de nombreuses innovations techniques et commerciales, notamment un système de franchise qui installe une concession dans toutes les villes en Amérique du Nord et dans les grandes villes, sur les six continents. La Fondation Ford hérite de la majeure partie de la fortune de Ford, mais l'industriel veille néanmoins à ce que sa famille conserve le contrôle de la fondation de façon permanente.
En collaboration avec Samuel Crowther, il écrit My Life, and Work (1922), Today and Tomorrow (1926) et Moving Forward (1930) qui décrit le développement de la Ford Motor Company et expose ses théories sociales et industrielles. Le diplôme de docteur en ingénierie lui est délivré par l'université du Michigan et le collège de l'État du Michigan et il reçoit par ailleurs un LL.D. honoraire de l'université Colgate.
Sommaire
Jeunesse et premières années
Ses parents s'appellent William et Mary Litogot Ford. Henry est l'aîné d'une fratrie de six enfants[1]. Son père est natif de la paroisse de Kilmalooda, Comté de Cork en Irlande. Sa mère, Mary Litogot Ford (1839–1876), nait dans le Michigan de parents belges. Ils arrivent en Amérique en 1847 et montent une ferme dans le comté de Wayne (Michigan) près de Détroit[2].
Ford fréquente l'école jusqu'à l'âge de 15 ans, date à laquelle il développe une aversion pour la vie agricole et une fascination pour les machines. Il a peu d'intérêt pour l'école et se révèle piètre élève. D'ailleurs, il n'apprendra jamais à lire. Ford écrira en utilisant seulement les phrases les plus simples[3].
Enfant, Henry Ford s'intéresse beaucoup à la mécanique. À l'âge de 12 ans, il croise pour la première fois de sa vie un véhicule non attelé, une locomotive routière : une machine automotrice à vapeur en stationnement qui peut être utilisée pour les activités agricoles. La même année, il reçoit une montre de poche de son père qu'il démonte et remonte de nombreuses fois, gagnant une réputation de réparateur de montres auprès de ses voisins et amis[4]. Par la suite, il passe le plus clair de son temps dans un atelier qu'il équipe lui-même[1]. Malgré les besoins de la ferme, ses parents l'autorisent à partir travailler à Détroit dans le Michigan à 17 ans. Détroit est, à l'époque, l'un des symboles de l'industrie aux États-Unis. Il travaille rapidement à la Michigan Car pour 1,10 $ par jour[5]. Il fabrique finalement une petite farm locomotive (machine agricole à vapeur), dont le châssis et la base pour le moteur fait-maison sont issus d'une vieille machine à tondre[6].
Ford est déprimé lorsque sa mère meurt en 1876 ; son père doit reprendre la ferme familiale. Mais Henry méprise les travaux agricoles, et dit à son père : « Je n'ai jamais eu d'amour particulier pour la ferme, c'est la mère de la ferme que j'aimais[7]. » Le 13 avril 1888, il se marie avec Clara J. Bryant de Greenfield (Michigan), la fille de Melvin Bryant, un fermier du comté de Wayne. Ils eurent un fils, Edsel Bryant Ford, né le 6 novembre 1893. Clara Ford mourut le 29 septembre 1950 à l'âge de 84 ans.
En 1891, Ford devient ingénieur pour Edison chez Illuminating Company, qui deviendra plus tard le Détroit Edison Company. Après sa promotion d'ingénieur en chef en 1893, il a suffisamment de temps et d'argent pour se consacrer à des expériences personnelles sur les moteurs à essence[3]. Ces expériences aboutissent en 1896 avec l'achèvement de son propre véhicule automoteur nommé Ford quadricycle, un véhicule de 4 chevaux à 4 roues refroidi par eau[8], dont il conduit des essais le 4 juin[5]. Après divers essais difficiles, Ford réfléchit à un moyen d'améliorer le quadricycle[9].
Toujours en 1896, Ford assiste à une réunion des dirigeants Edison. Edison approuve les expérimentations de Ford sur l'automobile ; Thomas Edison lui dit : « Jeune homme, vous l'avez ! Un contenant qui transporte son propre combustible. Gardez-le [10]!. » Encouragé par cette approbation, Ford conçoit et construit un second véhicule, dont la fabrication s'achève en 1898[11]. Soutenu par le grand industriel de Détroit, William H. Murphy, Ford démissionne de la société Edison et fonde la société Détroit Automobile le 5 août 1899, sous le parrainage du maire de Détroit William C. Maybury, qui devient le premier à financer l'entreprise[12]. Cependant, les automobiles produites sont de moindre qualité et les prix sont supérieurs à ceux espérés par Ford. En fin de compte, l'entreprise n'a pas de succès et est dissoute en janvier 1901.
En octobre 1901, avec l'aide de Childe Harold Wills, Ford remporte avec succès une course contre Alexander Winton Grosse Pointe[12], grâce à une de ses automobiles propulsée par 26 ch. Avec ce succès, Murphy et d'autres actionnaires dans la société Détroit Automobile Company constituent la société Henry Ford[12] le 30 novembre 1901[13], avec Ford comme chef mécanicien. Toutefois, Murphy nomme Henry M. Leland à titre de consultant. En conséquence, Ford quitte la société qui porte son nom en 1902. Sans Ford, Murphy renomme la société en Cadillac Automobile Company[12].
En 1902, Ford reçoit le soutien d'une vieille connaissance, Alexander Y. Malcomson, un revendeur de charbon dans la région de Détroit. Ils forment un partenariat, Ford & Malcomson, Ltd, pour fabriquer des automobiles[14]. Ford cherche à produire des automobiles à la conception bon marché. Le duo loue une usine et signe un contrat avec un atelier de construction mécanique appartenant à John et Horace Elgin Dodge. Les ventes sont lentes, et une crise surgit lorsque les frères Dodge exigent le paiement de leur premier loyer[15].
L'automobile : Ford Motor Company
Ford et Malcomson n'ayant pas les moyens de rembourser les frères Dodge, Malcomson s'investit dans une nouvelle société avec d'autres groupes d'investisseurs. Il convainc néanmoins les frères Dodge de rejoindre la nouvelle société et de la financer à hauteur de 10%[16]. La société Ford & Malcomson, Ltd devient Ford Motor Company. Le 16 juin 1903, Ford aide à organiser la Ford Motor Company, capitalisée à 150 000 $, dont 28 000 de sa bourse personnelle[6]. La première voiture construite par la société se vend le 23 juillet 1903[1]. Henry Ford possède 25,5% des parts de la nouvelle organisation en tant que vice-président. Il devient président en 1906[1].
En 1919, Henry Ford, sa femme Clara et son fils Edsel rachètent les parts de tous les autres actionnaires pour 105 820 894 $ et deviennent les seuls actionnaires de la société[12]. Edsel, qui succède à son père en 1919 en tant que président, occupe cette position jusqu'à sa mort en 1943 ; Henry Ford reprend alors le poste[1].
Dans une nouvelle voiture de sa conception, Ford parcourt 1 mille en 39,4 secondes sur la glace du Lac Sainte-Claire, établissant ainsi un nouveau record de vitesse terrestre à 91,3 milles à l'heure (147,0 km/h)[17]. Convaincu par ce succès, le pilote de course Barney Oldfield, conduit la voiture nommée 999 dans de nombreuses courses à travers le pays et participe notamment à The Empire City Race Track in Yonkers, à New York, établissant un nouveau record de 1 mille en 55,54 secondes[18], ce qui rend la marque Ford connue à travers les États-Unis. Ford est également un des premiers bailleurs de fonds de l'Indianapolis 500, contribuant de cette manière ainsi à la médiatisation de sa marque[17].
Ford étonne le monde en 1914 en offrant un salaire journalier de 5 $, soit plus du double du salaire de la plupart des travailleurs. Cela s'avère extrêmement rentable : les meilleurs mécaniciens de Détroit affluent chez Ford, augmentant la productivité et abaissant les coûts de formation. Ford nomme cela Wage Motive (la motivation par le salaire)[19].
Modèle T et Type A
« Je construirai un moteur de voiture pour le plus grand nombre »— Henry Ford, en octobre 1908[6]
C'est ce que proclame Henry Ford lors de la naissance de la Ford T. Le modèle T, ou Tin Lizzie[3], est introduit le 1er octobre 1908. Le volant se situe à gauche, ce que les autres sociétés vont bientôt copier et ce qui est aujourd'hui la norme. Le moteur et la transmission sont enfermés, le quatre cylindres est déposé dans un bloc solide et la suspension est basée sur une version semi-elliptique. Le châssis est haut perché sur des roues très écartées, ce qui lui assure une excellente stabilité. L’écart des roues correspond à l’écartement des rails de chemin de fer, pour lui permettre d’emprunter les voies ferrées. La suspension très souple autorise la circulation sur des routes peu praticables[20]. La voiture est très simple à conduire, facile et peu coûteuse à réparer. Elle est tellement bon marché à 825 $ en 1908, que dans les années 1920, une majorité de conducteurs américains apprennent à conduire sur le modèle T[21].
Toujours à la recherche de plus d'efficacité et de réduction des coûts, en 1913, Ford introduit le déplacement des pièces sur une ligne d'assemblage, ce qui permet une énorme augmentation de la production. Bien que Henry Ford soit souvent crédité de l'idée, les sources indiquent que le concept et son développement sont dus à quatre employés de Ford : Clarence Avery, Peter E. Martin, Charles E. Sorensen, et C. Harold Wills. Ces transformations du mode de production permettent une forte diminution du coût de revient. Il est de 825 $ au lancement du modèle ; cela correspond certes à 6 mois du salaire d’un enseignant, mais reste nettement inférieur au prix moyen d’une automobile qui avoisinait alors 2 000 $. Le prix ne cesse de diminuer à mesure de l’augmentation de la production. Il est de 360 $ en 1916, et atteint 260 $ en 1921. Les ventes passent de 250 000 véhicules en 1914 à 472 000 en 1916, et dépassent le million au début des années 1920[20].
En 1918, la moitié de toutes les voitures en Amérique sont des Modèle T. À cette même date en raison du développement de la chaîne d'assemblage, le modèle T est proposé en rouge, en plus du noir, unique couleur auparavant en raison de son temps de séchage rapide. Ford écrit même dans sa biographie « Chaque client peut avoir une voiture de toutes les couleurs tant qu'ils la veulent en noir »[22]. La conception est vivement encouragée et défendue par Ford, et la production atteint, en 1927, le total final de 15 007 034 unités. Le record est tenu les 45 années qui suivent[17]. Ce record a par ailleurs été atteint seulement 19 années après la mise en place du premier modèle T[20].
Le Président Woodrow Wilson propose à Ford de se présenter en tant que candidat démocrate pour le Sénat des États-Unis en 1918. Bien que la nation soit en guerre, Ford est un ardent défenseur de la paix et du projet de « Société des Nations ». Henry Ford s'intéresse à la politique et en tant que puissant dirigeant d'affaire, il est quelquefois impliqué dans la politique. En 1915, il fournit des fonds pour un voyage en Europe, où la Première Guerre mondiale faisait rage. Lui et 179 autres personnes, sans le support ou l'approbation du gouvernement, cherchent la paix. Après la guerre, Henry Ford n'entre finalement pas au sénat[10].
Henry Ford cède la présidence de Ford Motor Company à son fils Edsel Ford en décembre 1918[13]. Henry, toutefois, conserve la décision finale, parfois opposée à celle de son fils. Au milieu des années 1920, les ventes du modèle T commencent à décliner en raison de l'augmentation de la concurrence[2]. D'autres marques automobiles offrent à leurs clients la possibilité d'acquérir une automobile à crédit, avec des caractéristiques meilleures et un style plus moderne que le modèle T[23]. En dépit de demandes pressantes d'Edsel, Henry refuse toujours d'intégrer de nouvelles fonctionnalités au modèle T ou toute forme de plan de crédit client[24].
Le déclin de la Ford T s’explique par des raisons sociales et commerciales. D’une part, les ouvriers se lassent d’un travail jugé peu valorisant. D’autre part, l’élévation générale du niveau de vie permet aux autres constructeurs de miser sur la segmentation du marché : les clients sont en effet de plus en plus soucieux de se distinguer socialement par leur automobile et d’avoir des voitures plus confortables. Posséder une Ford T n’est plus aussi valorisant et conduit les clients à renouveler leur voiture en se portant vers des marques plus prestigieuses. La production de la Ford T cesse le 27 mai 1927[20].
En 1926, Henry est finalement convaincu qu’il faut développer un nouveau modèle[24]. Il suit le projet avec beaucoup d'intérêt technique pour la conception du moteur, du châssis, la mécanique et d'autres aspects, tout en laissant le gros de la conception à son fils[17]. Le résultat est un succès : la Ford Modèle A, introduite en décembre 1927[13] sur le marché, connaîtra en 1931 une production totale de plus de quatre millions d’unités.
Philosophie du travail
Henry Ford est un pionnier du welfare capitalism (le « capitalisme du bien-être »), destiné à améliorer le sort de ses travailleurs et en particulier pour réduire le taux de rotation des ouvriers, qui conduit de nombreux départements à devoir engager annuellement 300 personnes pour remplir 100 postes de travail. Efficacité signifie embauche et fidélisation des meilleurs travailleurs[25]. Dans les années 1920, le fordisme et ses corollaires[Note 1] font d’Henry Ford un héros populaire en URSS, et les ventes de véhicules Ford sont décuplées entre 1922 et 1925[26]. Nombre de ses véhicules équipent l'armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale. Le succès d'Henry Ford et de son premier véhicule peut s'expliquer par les quatre principes qu'il a mis en place pour parvenir à ses fins.
La rationalisation des tâches ou organisation scientifique du travail est l’application des méthodes de Taylor au processus de fabrication. L’étude rationnelle de l’activité de l’ouvrier, sa décomposition en gestes élémentaires, conduit à la simplification et la normalisation de ces gestes. Sous le contrôle accru de l’ingénieur, l’ouvrier exécute des tâches élémentaires sur des machines-outils spécialisées. Cette organisation permet d’accélérer la production. La mise en œuvre en 1913 d’une première chaîne d’assemblage mobile réduit le temps de montage du châssis de 12h à 2h40[20].
La standardisation est l’utilisation de la pièce standard parfaitement interchangeable dans la construction et la maintenance du véhicule. Cette technique a pour origine l’industrie de l’armement, d’où proviennent certains ingénieurs de la Ford Motor Company. Ces derniers participeront pendant la guerre à la production d’armes en grande série dans les usines de Nouvelle Angleterre. La standardisation est un élément de la rationalisation des tâches et donc de l’accélération de la production. Elle permet en outre l’expansion géographique de la Ford T. La réparation est facilitée, par envoi postal des pièces détachées[20].
Le « fordisme », terme par lequel on désigne l’ensemble des conceptions d’Henry Ford sur le développement de son entreprise, parie sur l’augmentation du pouvoir d'achat des ouvriers pour stimuler la demande de biens de consommation. « Un ouvrier bien payé est un excellent client. » C’est le 5 janvier 1914 que Ford annonça sa formule du salaire journalier à 5$. Cette initiative révolutionnaire impliquait un passage du salaire journalier minimum de 2,34 $ à 5 $[17] pour les ouvriers en apprentissage et instaurait une nouvelle réduction du temps de travail, bien que les détails varient selon les points de vue. Lorsque Ford instaure les 40 heures de travail par semaine[17] et un salaire minimum, il est vivement critiqué par d’autres industriels et Wall Street[27]. Mais ce n'est pas, comme cela a été fait valoir, parce qu'il veut établir une solide classe moyenne capable d'acheter ses produits. Ce n'est pas non plus un acte de charité. Comme Henry Ford l'explique, c'est « un des meilleurs moyens de réduction des coûts jamais mis en place[28]. » En effet, Henry Ford agit uniquement dans l'intérêt de son entreprise. Ses usines sont en proie à un important turnover et à un absentéisme excessif. Presque tous les emplois sont monotones, et le travail à la chaîne d'assemblage, à force de réaliser la même procédure toute la journée, est extrêmement pénible. De nombreux employés cherchent et trouvent de meilleures alternatives. Embaucher des travailleurs de remplacement et les former est très coûteux[28]. L'augmentation des salaires est donc un moyen de contrer le turnover ouvrier[20].
La philosophie du travail de Ford permet d'augmenter rapidement la productivité, mais les salaires demeurent inchangés pendant 30 ans[29] : 6 $ en 1919 et 7 $ en 1927[20].
Ford crée une machine de publicité massive à Détroit pour s'assurer que tous les journaux retransmettent les annonces sur les nouveaux produits. Ford est toujours désireux de vendre aux agriculteurs, qui considèrent l'automobile comme un moyen susceptible d'aider leurs entreprises. Le réseau de distributeurs Ford introduit ainsi la voiture dans presque toutes les villes en Amérique du Nord. Les ventes augmentent en flèche, de 100% des gains sur certaines années[17]. Le recours à la publicité et au crédit expliquent aussi l’essor des ventes : 10 % des ventes dès 1910, plus de la moitié des véhicules vendus au début des années 1920. Au lendemain de la première guerre mondiale, le modèle équipe près d’un ménage américain sur deux, parmi ceux qui possèdent une voiture. Quinze millions d’exemplaires de Ford T ont été construits en 19 ans[20].
Le « Département social Ford » approuve Henry Ford pour les salaires offerts aux employés qui travaillent dans l'entreprise pendant six mois ou plus. Ce département utilise des enquêteurs pour s'assurer que ceux qui bénéficient d'une participation aux bénéfices soient irréprochables[30]. On conseille fortement aux ouvriers de ne pas fumer, non seulement à l’usine, mais également à la maison. « Si vous étudiez l’histoire de la plupart des criminels, vous constaterez qu’ils étaient des fumeurs invétérés », explique Henry Ford[29]. La boisson, le jeu et le billard étaient strictement interdits. L'intrusion excessive de Ford dans la vie privée de ses employés sera longtemps source de controverses. Aussi, dès ses mémoires de 1922, il évoque cette pratique au passé, admettant que « le paternalisme n'avait pas sa place dans l'industrie. »
Henry Ford est par ailleurs un membre de la Society of Automotive Engineers, de l' Automobile Club of America, et du Détroit Board of Commerce. Il est également franc-maçon[31].
L'aviation : Ford Airplane Company
Ford, comme la plupart des autres entreprises automobiles, entre dans le domaine de l'aviation au cours de la Première Guerre mondiale, mettant au point des moteurs Liberty. En 1923, Edsel Ford investit dans l'aviation, et notamment la compagnie Stout Metal Airplane Company, qui construit le Air Pullmann, le premier avion entièrement métallique. Dès lors, avec une aide supplémentaire de la Ford Motor Company, le tout-métal Stout 2-AT "Air Transport" est élaboré[32].
Pour promouvoir la confiance du public dans des avions commerciaux, Ford parraine une série de « Reliability Tours » (vols de fiabilité) qui débute à l'aéroport de Ford et implique de nombreux aéronefs volant sur plusieurs milliers de kilomètres avec des arrêts à différentes villes. Ces visites attirent des milliers de spectateurs et génèrent l'intérêt dans le public comme dans le privé pour les avions commerciaux[32].
En 1925, Henry Ford constitue la Stout Metal Airplane Division de la Ford Motor Company. Cette même année, le premier avion expérimental Ford Tri-Motor est construit. En 1926, le premier avion équipé du moteur Ford 4-AT Tri-Motor apparait sur le marché. Il constitue un énorme progrès technologique sur les appareils existants et permet à Ford de devenir le plus grand fabricant mondial d'avions commerciaux. Les compagnies aériennes abandonnent leurs précédents avions qui ne pouvaient transporter que quelques passagers pour acheter les nouveaux avions Ford, possédant une importante capacité de transport de passagers. Ils sont ainsi rapidement utilisés pour créer le premier service aérien transcontinental[32].
La participation de Ford dans l'aviation joue un rôle important dans la victoire des Alliés pendant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale[33]. Pendant la Première Guerre mondiale, la Ford Motor Company produit en masse les avions équipés des moteurs Liberty et développe le Kettering Bug, le premier missile guidé américain. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Henry Ford se tourne vers la construction de milliers de Pratt & Whitney "Double Wasp" et des moteurs d'avion poseurs de bombes, les B-24 "Liberator"[32]. Le président Franklin D. Roosevelt parle de Détroit comme faisant partie de l'« Arsenal des démocraties. »
Innovations
Henry Ford exprime depuis longtemps un intérêt particulier pour la science des matériaux. Il décrit avec enthousiasme, dans My Life and Work, l’emploi dans ses véhicules d’aciers au vanadium et d'autres alliages métallurgiques, et des polymères élaborés à partir des produits agricoles, en particulier le soja. Les matières plastiques à base de soja sont utilisées dans les automobiles Ford tout au long des années 1930 dans les pièces en plastique comme les cornes de voiture, dans la peinture, etc. En 1942, Ford brevette une automobile composée presque uniquement de plastique issu du soja, raidie par un cadre tubulaire métallique. Elle pèse 30% de moins que celles en acier et peut, selon Ford, résister à des efforts dix fois supérieurs à ce que peut supporter l'acier. En outre, il mise également sur l'éthanol pour remplacer l'essence. Le projet n'eut pas de suite[34].
Henry Ford et Karl Benz sont parfois crédités de l'invention de l'automobile, mais, comme c'est généralement le cas, le développement et la conception associent de nombreux inventeurs[35]. Ford le dit lui-même : « ... dans les années 1870, la notion d'une voiture sans cheval était une idée banale[36] ». Les décennies suivantes ont permis la réussite technique de l'idée ainsi que son extension, au-delà de la vapeur, à d'autres sources d'énergie (moteurs électriques et moteurs à combustion interne).
De la même manière, Henry Ford et Ransom E. Olds sont souvent crédités de l'invention de la chaîne de montage. Il a fallu au préalable concevoir des pièces interchangeables, développement technologique important du XIXe siècle. La première ligne d'assemblage, après cinq années de développement empirique, entre en activité dans la production de masse aux alentours du 1er avril 1913. Elle est d'abord utilisée pour monter les sous-ensembles, et peu de temps après pour l'ensemble du châssis. Le parrainage d'Henry Ford dans son développement est un élément central de son succès au XXe siècle[37].
Henry Ford expliquait avoir eu l'idée de la chaîne d'assemblage en voyant fonctionner une chaîne de désassemblage : les abattoirs de Chicago[réf. souhaitée].
L'international
Le leitmotiv de Ford est l'indépendance économique, voire l'autarcie des États-Unis. Son complexe industriel de River Rouge est l'un des sites industriels les plus importants de l'époque[38], en mesure de produire lui-même l'acier nécessaire à la production automobile[39]. Les objectifs de Ford sont de produire un véhicule à partir de zéro sans recours au commerce extérieur. Il croit en l'expansion mondiale de son entreprise. Il estime que le commerce et la coopération internationale conduisent à la paix, et il utilise la ligne d'assemblage de traitement et de production du modèle T pour le démontrer[40]. Il ouvre des usines de montage Ford en Grande-Bretagne et au Canada en 1911, et devient rapidement le plus grand producteur automobile de ces pays[41]. En 1912, Ford coopère avec Agnelli, patron de Fiat, afin de lancer la première chaîne de montage automobile italienne. La première des usines en Allemagne est construite dans les années 1920 avec l'encouragement de Herbert Hoover et du Département du commerce, qui partage la théorie de Ford selon laquelle le commerce international est essentiel pour la paix dans le monde[42]. Dans les années 1920, Ford ouvre également des usines en Australie, en Inde, et en France. En 1929, il réussit à créer des concessionnaires sur les six continents[43]. Ford expérimente une plantation de caoutchouc dans la jungle amazonienne appelé Fordlândia (plus de 10 000 km2 dans l'Etat brésilien du Pará), mais celle-ci fut un de ses rares échecs[44]. Fordlândia visait à mettre fin à la dépendance de Ford envers le caoutchouc venant de la Malaisie britannique. Les Indiens qui y travaillaient était complètement acculturés, mangeant des hamburgers...
En 1932, Ford produit le tiers des automobiles construites dans le monde. L'image de Ford suscite différentes réactions chez les Européens, en particulier les Allemands : la crainte pour certains, l'engouement pour d’autres, et la fascination pour tous[45]. Partisans et détracteurs insistent sur le fait que le fordisme américain incarne le développement capitaliste, et que l'industrie automobile est la clé pour comprendre les relations économiques et sociales aux États-Unis. Comme le déclare à cette époque un Allemand, « l'automobile a à ce point révolutionné le mode de vie américain qu’il est à peine croyable qu'on puisse vivre sans voiture. Il est difficile de se souvenir comment on faisait avant que M. Ford vienne prêcher son nouvel évangile ». Pour beaucoup d'Allemands, la réussite de l'américanisme est essentiellement attribuée à Henry Ford[45].
Syndicats
Ford s'est toujours déclaré catégoriquement opposé à la présence de syndicats dans les entreprises. Il explique son point de vue sur les syndicats dans le chapitre 18 de My Life and Work (« Ma vie et mon œuvre »)[46]. Il estime qu'ils sont trop fortement influencés par certains dirigeants, et qu’en dépit de leur apparente bonne volonté, ils finissent par faire plus de mal que de bien aux travailleurs. La plupart voient la restriction de productivité comme un moyen de favoriser l'emploi, mais Ford ne croit pas en cette tactique, car la productivité est nécessaire pour accroître la prospérité économique[47].
Il estime que les gains de productivité stimulent l'économie et, par conséquent, permettent de créer de nouveaux emplois, que ce soit dans la même société ou dans d'autres. Ford estime également que les dirigeants syndicaux (plus particulièrement les léninistes) fomentent de perpétuelles crises socio-économiques de façon à maintenir leur propre pouvoir. Néanmoins, Ford estime que de bons gestionnaires comme lui sont en mesure de repousser les attaques de personnes malavisées à la fois de gauche et de droite, et qu'ils sont capables de créer un système socio-économique dans lequel ni la mauvaise gestion ni les syndicats ne pourront trouver le soutien leur permettant de se maintenir[47].
Alors que la dépression frappe, Henry Ford accélère la production à un rythme insupportable. Les ouvriers ont des ulcères et des tremblements, ils deviennent sourds. Henry Ford admet publiquement qu’il règne par la crainte. La terreur règne dans les usines Ford. Personne ne parle sur la ligne de production ou à la cantine, de peur des mouchards. Les cadres ne sont pas à l’abri. Il dit que les « organisations syndicales sont la plus mauvaise chose qui ait jamais frappé la terre ». Il utilise 3 500 des hommes de main pour empêcher les syndicats d’entrer dans l’usine. Le maire de Détroit observe qu’« Henry Ford emploie certains des pires bandits de notre ville »[29].
Pour empêcher l'activité syndicale, Ford nomme Harry Bennett, un ancien Marine et ancien boxeur, à la tête de son service de sécurité interne. Les travailleurs au service de Bennett emploient différentes tactiques d'intimidation pour écraser la syndicalisation. Le plus célèbre incident, survenu en 1937, est une bagarre sanglante entre le service de sécurité de Ford et des syndicalistes, événement connu sous le nom de « La Bataille du Passage supérieur ». Ford s'oppose violemment aux organisations de travailleurs et travaille activement contre United Auto Workers (Union des Ouvriers de l’Automobile) qui essaye de créer des sections syndicales dans ses entreprises, afin de fédérer les travailleurs[10]. En 1937 également, Walter Reuther, futur président de l’UAW, est brutalisé à Red River pour avoir distribué des tracts syndicaux. Il avait obtenu l’autorisation de la mairie, mais pas celle d’Henry Ford[29].
Après l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, le règne de terreur de Ford est balayé par le retour du plein emploi. Mais à force de stagnation, les salaires des travailleurs de Ford finissent par devenir très inférieurs à ceux des autres usines concurrentes, alors que les syndicats n’obtiennent toujours aucun droit. Les hommes qui se sont sentis assez confiants pour montrer leur engagement syndical sont chassés des usines. En avril 1941, huit ouvriers qui avaient été transférés dans la section des laminoirs[Note 2] marchent de service en service en chantant Solidarity Forever (Solidarité pour toujours). Section après section, toute l’usine est paralysée ; 36 hommes sont blessés durant ces mouvements. Mais les grévistes sont victorieux : l’UAW contrôle une surface d’usine de 20 kilomètres carrés. Ford n'a pas d'autre issue que de négocier avec le syndicat[29].
Lors de la guerre, pour inciter les responsables syndicaux à agir comme recruteurs, Roosevelt n’a accordé de contrats militaires qu’aux sociétés où des syndicats existaient. Du coup, Ford a bénéficié d’énormes contrats, qui ont remis la société à flot pour les quatre années suivantes[29].
À la fin des années 1930 et au début des années 1940, Edsel qui est alors président de la société, estime qu'il est nécessaire pour Ford d'arriver à une sorte de convention collective avec les syndicats, parce que la violence, les interruptions de travail et les impasses ne peuvent pas continuer. Mais Henry, qui a encore un droit de veto dans l'entreprise, même s'il n'est pas officiel, refuse toujours de coopérer[48]. Pendant plusieurs années, il abandonne à Bennett le dialogue avec les syndicats qui essayent de s'organiser dans la société Ford. Les mémoires de Sorensen indiquent clairement que Bennett est chargé par Henry de s'assurer que rien ne soit jamais conclu[49].
Fin de vie et de carrière
Les dernières années sont particulièrement frustrantes pour Heny Ford. Il n'accepte pas les changements induits par la Grande Dépression et s'oppose au New Deal, le plan mis en œuvre par le Président Franklin D. Roosevelt en vue de redresser la situation économique et sociale des États-Unis. Il refuse de reconnaître le syndicat des travailleurs de l'automobile et utilise des policiers armés pour faire face aux mobilisations syndicales[50]. Pour diverses raisons, Ford, seul dans son industrie, refuse de coopérer avec l'administration du redressement national, un organisme gouvernemental des années 1930 qui prépare et supervise les codes de concurrence loyale pour les entreprises et les industries[3].
Lorsqu'Edsel, président de Ford Motor Company, meurt d'un cancer en mai 1943, Henry Ford décide d'assumer la présidence. À ce stade de sa vie, il a déjà connu plusieurs accidents cardiovasculaires (crise cardiaque et accident vasculaire cérébral) et n’est mentalement plus apte à occuper un tel poste[51]. La plupart des administrateurs ne veulent pas le voir comme président. Au cours des vingt dernières années, bien qu’il ne soit pas administrateur de plein exercice, le conseil d'administration et la direction ne le défient jamais ouvertement[52]. Au cours de cette période, la société commence à péricliter, perdant plus de 10 millions de dollars par mois. L'administration du président Franklin Roosevelt envisage une reprise de l'entreprise pour assurer la continuité de la production pendant la guerre[53], mais le projet ne se concrétise pas.
En mai 1946, Henry reçoit le Jubilé d'Or de l'industrie automobile américaine pour ses contributions décisives au développement de cette industrie. La première médaille d'or de l'Institut américain du pétrole lui est attribuée en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au bien-être de l'humanité[1]. Ford maintient par ailleurs une résidence de vacances, connue sous le nom de Ford Plantation à Richmond Hill en Géorgie, dont le domaine s'étend sur 1 800 hectares[54]. Il contribue sensiblement à la vie de la communauté locale, notamment en faisant construire une chapelle et une école. Il emploie de nombreux résidents locaux.
Sa femme Clara désire que Henry quitte la présidence, d’autant que le gouvernement voit d’un très mauvais œil qu’un homme de 80 ans s’occupe de la gestion de la société. Le 21 septembre 1945, Henry Ford, en mauvaise santé, laisse les pleins pouvoirs à son petit-fils, Henry Ford II, et prend sa retraite en septembre 1945[24]. Il meurt le 7 avril 1947 à 23h40[1] d'une hémorragie cérébrale à l'âge de 83 ans[17] à Fair Lane, sa résidence dans son domaine à Dearborn. Le service funéraire se tient dans la cathédrale anglicane Saint-Paul à Détroit, et Henry Ford est enterré dans le cimetière de la famille Ford[19] à l’église anglicane Sainte Martha.
Idéologie
Les déclarations publiques d'Henry Ford et de son fils Edsel Ford montrent qu'ils sont à l'avant-garde des hommes d'affaires américains qui privilégient la recherche du profit sans que leurs opinions politiques n'aient d'influence sur leur volonté de trouver de nouveaux marchés.
Antisémitisme
Foncièrement antisémite et furieux de découvrir que son entreprise pourrait être affectée par ce qu'il considère indigne de forces politiques[55], il n'hésite pas à accuser les Juifs d'avoir déclenché la Première Guerre Mondiale[56]. Nombreux sont les mouvements américains qui reprennent ses théories antisémites pour raviver une haine latente[57].Son antisémitisme s'exprime également dans ses mémoires. Dans le chapitre XVII de My Life and Work, Ford s'exprime sur les juifs américains : « Notre travail n'a pas la prétention d'avoir le dernier mot sur les juifs en Amérique.[...] Si les juifs sont si sages qu'ils le disent, ils feraient mieux de travailler à devenir des juifs américains, plutôt que travailler à construire une Amérique juive[58] ».
Se justifiant à ce sujet, il explique dans son livre Le juif international, que pour lui l'antisémitisme n'est que le pendant de l' antigoyisme de la communauté juive[59].
The International Jew
Un ouvrage en quatre volumes, The International Jew, a été publié sous le nom d'Henry Ford et rassemble des articles parus dans le journal The Dearborn Independent. Une phrase dans un texte dédié à la salutaire « réaction de l’Allemagne contre le Juif » illustre cet esprit prétendument scientifique et dont le langage est chargé de métaphores médicales : il s’agit d’une question d’« hygiène politique », parce que « la principale source de la maladie du corps national allemand [...], c’est l’influence des Juifs »[60],[61].
Dans plusieurs autres passages, les Juifs sont présentés comme un « germe » qui doit faire l’objet d’un « nettoyage »[62]. Adolf Hitler et ses collaborateurs reprendront cette terminologie pour justifier leurs crimes. Le Juif n’est plus défini par sa religion mais par sa « race », « une race dont la persistance a vaincu tous les efforts faits en vue de son extermination[63] ». Il faut donc réveiller chez les jeunes la « fierté de la race »[64].
Ford s’inspire des Protocoles des Sages de Sion, un ouvrage qui serait « trop terriblement vrai pour être une fiction, trop profond dans sa connaissance des rouages secrets de la vie pour être un faux », cité et commenté abondamment, comme preuve ultime et irréfutable de la conspiration juive pour s’emparer du pouvoir à l’échelle mondiale[61]. Cet ouvrage est par ailleurs vivement critiqué par le Times de Londres. Il y est souvent fait référence à l’Allemagne qui est décrite comme dominée par les Juifs malgré le fait qu’il « n’y a pas dans le monde de contraste plus fort que celui entre la pure race germanique et la pure race sémite[60] ».
Le thème de la complicité entre le judéo-bolchevisme et la finance capitaliste juive, dans une conspiration pour imposer à la planète un gouvernement mondial juif est abondamment repris par le nazisme. Trois volumes ont pour objet la place des Juifs aux États-Unis[61]. Selon Ford, leur émigration massive d’Europe de l’Est en Amérique du Nord n’a rien à voir avec de prétendues persécutions : les pogroms ne sont que de la propagande ; il s’agit bel et bien d’une véritable invasion : le « Juif international » peut déplacer un million de personnes de la Pologne vers l’Amérique « comme un général déplace son armée[65] ». Les Juifs sont responsables de l’introduction dans les arts de la scène aux États-Unis d’une « sensualité orientale » sale et indécente, « instillant un poison moral insidieux[66] ».
La contribution de Ford à la propagation de l'antisémitisme va au-delà de l'imprimé. Il travaille activement à former une communauté. Au départ, réunis autour du Dearborn Independent, ces hommes constituent une force importante dans l'évolution américaine de l'antisémitisme, et inclus un grand nombre de profascistes[55].
Anticommunisme
Anti-communiste convaincu, Henry Ford crée, dans les années 1930, la première usine automobile moderne d'Union Soviétique, à Gorki. Antimarxiste, Ford met en place avec sa Ford Motor Company une idéologie industrielle fondée sur les principes d'ordre et d'autorité. Dans les années 1950 et 60, soit après la mort de Ford, les usines Ford fabriquent les camions utilisés par les Nord-Vietnamiens pour acheminer armes et munitions dans le cadre de leur guerre contre les Américains.
Germanophile ou nazophile
À peu près à la même époque, Henry Ford est aussi le plus célèbre des bailleurs de fonds étrangers d'Adolf Hitler, et il a été récompensé dans les années 1930 pour ce soutien durable avec la plus haute décoration nazie pour les étrangers[67].
Cette faveur accordée par les nazis engendre une importante controverse aux États-Unis et finit par un échange de notes diplomatiques entre le gouvernement allemand et le Département d'État. Ford s'exprime à propos de cette polémique en clamant que « [son] acceptation d'une médaille du peuple allemand ne [le fait] pas, comme certains semblent le penser, entraîner aucune sympathie de [sa] part avec le nazisme ». Alors que Ford clame publiquement qu'il n'aime pas les gouvernements militaristes, il tire profit de la Seconde Guerre mondiale, en alimentant l'industrie de guerre des deux camps : il produit, via ses filiales allemandes, des véhicules pour la Wehrmacht, mais aussi pour l'armée américaine[67].
Henry Ford participe à l'effort de guerre allemand avec Opel, filiale de General Motors. Des succursales de Ford implantées en Allemagne demandent réparation pour les bombardements subis. Un million de dollars est réclamé aux Américains pour les dégâts provoqués dans l'usine de Cologne. Ford demande aussi des réparations au gouvernement français. 38 millions de Francs sont versés après le bombardement de son usine de Poissy[56].
Dearborn Independent
En 1918, l'aide secrétaire privé et proche ami de Ford, Ernest G. Liebold, achète un obscur hebdomadaire, le Dearborn Independent, pour Ford. Le journal dure huit ans, de 1920 à 1927, édité par Liebold, et atteint au maximum environ 700 000 lecteurs[68]. Le journal publie Protocols of the Learned Elders of Zion (Protocoles des Sages de Sion), qui est discrédité par le Times de Londres. L'American Jewish Historical Society décrit les idées présentées dans le magazine comme « anti-immigrés, anti-travail, anti-alcool, et antisémite ». Au cours de cette période, Ford apparait comme « un porte-parole respecté de l'extrémisme de droite ».
Vincent Curcio, auteur anglais, écrit de ces publications qu'« ils ont été largement distribués et ont une grande influence, en particulier dans l'Allemagne nazie, où pas moins qu'un personnage comme Adolf Hitler était très lu et admiré. » Hitler, fasciné par les automobiles, accroche même, sur son mur, une photo de Ford ; Ford étant le seul américain mentionné dans Mein Kampf. Steven Watts mentionne que Hitler « vénérait » Ford, en proclamant que « [il] ferai[t] de [son] mieux pour mettre ses théories en pratique en Allemagne, en modélisant la Volkswagen, la voiture du peuple, sur le modèle T »[69].
Dénoncée par l'Anti-Defamation League (ADL), les articles du Deaborn Independent sont explicitement condamnés pour leur violence contre les Juifs[70]. Cependant, selon le rapport des témoignages du procès, Ford n'écrit presque rien dans ces articles. Des amis et des associés d'affaires déclarent qu'ils ont mis Ford en garde sur le contenu du journal mais que Ford ne lit probablement jamais les articles[Note 3],[69].
Un procès en diffamation intentée par un avocat de San Francisco et une coopération agricole juive en réponse à des articles antisémites conduisent Ford à fermer le journal en décembre 1927. Des reportages tournés au moment cité ci-dessus le montrent comme étant choqué par le contenu et qu'il n'est pas au courant de sa nature. Pendant le procès, le rédacteur en chef de Ford, William Cameron, témoigne en faveur de Ford, indiquant qu'il n'a rien à voir avec les éditoriaux, même s'ils sont sous son nom. Cameron signifie au procès en diffamation qu'il ne discute jamais du contenu des pages ou qu'il ne les envoie à Ford pour son approbation[71].
En 1927, les excuses[72] de Ford, suite à la pression conjuguée des consommateurs juifs américains et même de Hollywood qui menaça d'employer des voitures Ford pour les besoins des scènes de crash, sont bien accueillies : 4/5ème des centaines de lettres adressées à Ford en juillet de 1927 furent de Juifs, et presque tous sans exception, ils saluent l'industriel[71]. En janvier 1937, une déclaration de Ford dans le Détroit Jewish Chronicle désavoue « quelconque lien avec la publication en Allemagne d'un ouvrage connu sous le nom de Juif international »[73]. Le Juif international est une figure mythique qu'on critique pour financer la guerre[6].
Cependant, lors du procès de Nuremberg, Baldur von Schirach, le chef des Jeunesses hitlériennes déclare avoir été influencé par la lecture de Ford. Après ses excuses en 1927, Ford ne fait plus de déclarations publiques sur la question juive[72]. Sur ce point, l'historien Pierre Abramovici, dans l'article Comment les firmes US ont travaillé pour le Reich »[74] porte un jugement sévère sur les positions d'Henry Ford.
« Henry Ford, le plus que septuagénaire milliardaire américain, est un antisémite maladif. Il accuse les Juifs d'avoir déclenché la grande Guerre et commence à les attaquer dès 1916. En 1920, il achète un hebdomadaire, le Dearborn Independant, qui lui fournit une tribune. Il entretient des relations privilégiées avec l'Allemagne nazie. Henry Ford est décoré, à Détroit le 30 juillet 1938, de l'ordre allemand de l'Aigle. Cette distinction, réservée aux étrangers, lui est remise par le consul allemand à Détroit, Karl Capp et par son homologue à Cleveland, Fritz Heiler[Note 4]. Il participe le 26 juin 1940 à un dîner de gala au Waldorf Astoria de New York, destiné à célébrer la victoire allemande sur la France, après que cette dernière lui eut déclaré la guerre. »— Pierre Abramovici, septembre 2002[74]
Notes
- ↑ La mécanisation, l’amélioration des conditions de travail et le développement de l’économie
- ↑ , le « bloc punitif », où les conditions de travail étaient à la limite du supportable
- ↑ Ford ne porta son attention que sur les gros titres du journal
- ↑ En Juillet 1938, avant le déclenchement de la guerre, le consul allemand à Cleveland décerna à Ford, pour son 75ème anniversaire, une Grand-Croix de l'Aigle allemand, la plus haute médaille de l'Allemagne nazie sur l'honneur que peut recevoir un étranger.
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Annexes
Sources bibliographiques
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Henry Ford ».
Ouvrages utilisés comme sources dans la rédaction de l'article :
- (en) Henry Ford, Samuel Crowther, My Life and Work, Garden City Publishing Company, Garden City, New York, 1922 (ISBN 978-1406500189)
- (en) Steven Watts, The People's Tycoon : Henry Ford and the American Century, Knopf, 2005 (ISBN 978-0375407352)
- (en) Mary Nolan, Visions of Modernity : American Business and the Modernization of Germany, Oxford University Press, Garden City, New York, 1994 (ISBN 978-0195070217)
- (en) Charles E. Sorensen, Samuel T. Williamson, My Forty Years with Ford, Norton, New York, 1956 (ISBN 978-0814332795)
- (en) David I. Lewis, The Public Image of Henry Ford : An American Folk Hero and His Company, Wayne State University Press, 1976 (ISBN 978-0814315538)
- (en) Henry Ford, « The World's Foremost Problem », dans The International Jew, 1923
Ouvrages utilisés comme sources ponctuelles :
- (en) Edward A. Guest, « Henry Ford Talks About His Mother », dans American Magazine
- (en) Ford R. Bryan, The Birth of Ford Motor Company, Henry Ford Heritage Association, 13 décembre 1922
- (en) Larry Lankton, « From Autos to Armaments », dans Michigan History Magazine, réed. avril 2007
- (en) Mira Wilkins et Frank Ernest Hill, American Business Abroad : Ford on Six Continents, Wayne State University Press, 1964
- (en) Antony Cyril Sutton, Wall Street and the rise of Hitler, GSG & Associates Pub, 1976 (ISBN 978-0945001539)
- (en) Charles Y. Glock et Harold E. Quinley, Anti-Semitism in America, Transaction Publishers, 1983 (ISBN 978-0878559404)
- Charles Y. Glock et Harold E. Quinley, « Comment les firmes US ont travaillé pour le Reich », dans Historia n° 669, septembre 2002
Articles connexes
Liens externes
- (en) Automobile History Online - Henry Ford History & Photos
- (en) My Life and Work d'Henry Ford sur le Projet Gutenberg
- (fr) Henry Ford, inspirateur d’Adolf Hitler, Le Monde Diplomatique avril 2007,
- (fr) Précurseurs et alliés du nazisme aux Etats-Unis, Le Monde Diplomatique avril 2007,
- (en) Citations et extraits de discours
- (en) Chronologie de sa vie et (en) citations
- (en) The Henry Ford Heritage Association
- (en) Article sur les relations entretenus par Ford et General Motors avec le gouvernement nazi, The Washington Post
- (en) Critique de Henry Ford and The Jews, Neil Baldwin, Business Week.
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