- Abraham Duquesne
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Abraham Duquesne Marquis du Quesne Portrait d'Abraham Duquesne (1610-1688),
Huile sur toile par Antoine Graincourt, Cercle militaire de VersaillesSurnom Le « Grand Duquesne[1] » Naissance Entre 1604 et 1610
à DieppeDécès 1er février 1688 (à 78 ans)
à ParisOrigine Royaume de France Allégeance Royaume de France
Royaume de SuèdeArme Marine royale française
Marine royale suédoiseGrade Lieutenant général des armées navales Années de service 1627 - 1685 Conflits Guerre de Trente Ans
Guerre de Torstenson
Guerre de HollandeFaits d'armes Bataille de Tarragone
Bataille du cap de Gata
Bataille d'Agosta
Bataille de PalermeHommages Six bâtiments de la Marine nationale française portent son nom modifier Abraham Duquesne, baron d'Indret[2] puis marquis du Quesne, né à Dieppe, entre 1604 et 1610 et mort le 1er février 1688 à Paris, est l'un des grands officiers de la marine de guerre française du XVIIe siècle. Né dans une famille huguenote au début du XVIIe siècle, il prend la première fois la mer sous les ordres de son père capitaine de vaisseau. Il servit sous Louis XIII pendant la guerre de Trente Ans et se distingue en plusieurs occasions, notamment aux combats de Tarragone et du cap de Gata, mais doit quitter la marine en 1644 après avoir perdu un navire.
Pendant les troubles de la minorité de Louis XIV, il obtient de Richelieu l'autorisation de servir dans la marine royale suédoise, en compagnie de son frère. Il prend part à la guerre de Torstenson qui oppose le royaume de Suède au Danemark et se distingue au combat de Fehmarn en prenant le navire amiral du commandant de la flotte danois Pros Mund. Rentré en France, il réintègre la Royale et est envoyé en 1669 au secours de Candie, assiégée par les Turcs. Il prend part à la guerre de Hollande (1672-1678) et combat à Bataille de Solebay (1672) et à Alicudi (janvier 1676), mais c'est à la bataille d'Agosta (avril 1676) et à celle de Palerme qu'il se distingue tout particulièrement. Il termine sa carrière avec le grade de lieutenant général des armées navales, freiné dans son avancement par sa religion qu'il refusera d'abjurer malgré l'insistance de Louis XIV, et de ses serviteurs (Colbert et Bossuet).
Sommaire
Biographie
Origines et jeunesse
Abraham Duquesne naît entre 1604 et 1610[3] à Dieppe (Seine-Maritime) dans une famille huguenote d’armateurs, de corsaires et de marchands. Il est le fils d'Abraham Duquesne (v.1570-1635), capitaine de vaisseau et de son épouse, Marthe de Caux, tous deux originaires de Normandie[Note 1]. Roturier, pauvre et protestant, il est, selon Mabire « affligé d'une triple tare qui pèsera lourd sur sa future carrière[3]. »
Dès son plus jeune âge il suit les pas de son père. Il passe son enfance à Dieppe, qui possède alors la plus grande école d'hydrographie française[4].
En 1627, à l'âge de dix-sept ans, il entre dans la marine royale et sert à bord du Petit Saint-André, comme lieutenant de son père[4]. Son père tombé malade, il le remplace et capture un navire marchand hollandais, le Berger, qu'il ramène à Dieppe et qui lui est adjugé par le Parlement de la ville. L'année suivante, il commande un vaisseau lors du siège de La Rochelle contre les armées réformées commandées par Jean Guiton, qui deviendra par la suite son beau-frère[4]. S'il se bat dans le camp des armées royales, Duquesne reste cependant très attaché à sa religion.
Carrière militaire
Combats en Méditerranée pendant la guerre de Trente Ans
Article principal : Guerre de Trente Ans.En 1635, il devient capitaine de vaisseau. Il apprend la mort de son père, tué par une escadre espagnole alors qu'il escortait un convoi de navires marchands en provenance de Suède[5],[Note 2]. L'année suivante, à bord du Neptune, il se bat en Méditerranée contre les Espagnols avec les escadres de Guyenne, de Bretagne et de Normandie, sous les ordres du comte d'Harcourt et de l'archevêque de Bordeaux Mgr de Sourdis[6]. Partie de l'île de Ré, le 23 juin 1636, la flotte française atteint les îles de Lérins, situées au large de Cannes, un mois plus tard. Ces îles sont alors tenues par les Espagnols, qui y ont bâti d'importantes fortifications afin de les rendre inexpugnables. L'île Sainte-Marguerite a été dotée de cinq forts, et l'île Saint-Honorat d'un fort. Il se distingue pendant la prise de ces îles qui durera neuf mois[6]. En 1637, il croise en Méditerranée contre les Espagnols et les pirates barbaresques.
De retour à Brest, il s'occupe de renforcer les défenses du port de la ville. En 1638, il reçoit le commandement du Saint-Jean avec lequel il rejoint la flotte du Ponant, stationnée à Belle-Isle. Forte de trente-six vaisseaux de ligne, douze brûlots et quatre flûtes, celle-ci met les voiles vers les côtes espagnoles et sur la ville de Fontarrabie, où les armées françaises sont battues. Le 22 août 1638, il se distingue[7] à la bataille de Gatari à bord du Saint-Jean, de 24 canons, une attaque coordonnée qui doit avoir lieu en même temps sur mer et sur terre, grâce à une armée de 12 000 hommes aux ordres du prince de Condé. Le cardinal de Richelieu lui écrit pour le féliciter sur sa conduite dans cette occasion et lui donner l'assurance de son intérêt et de son affection[8]. Malgré une victoire de la flotte française, la ville ne pourra être prise avant l'année suivante.
Toujours employé dans l'armée navale de l'archevêque de Bordeaux, il seconde activement, en 1639, de nouvelles opérations sur les côtes de Biscaye, et prend part à la prise de Laredo et de Santona. Il y commande le Maquedo, bâtiment espagnol pris à l'ennemi. Mais, ayant reçu l'ordre d'aborder un gros galion qui se trouvait en rade de Santona, et s'étant intrépidement avancé à l'attaque à bord de chaloupes armées, il a la mâchoire brisée par une « mousquetade » au menton. Malgré cette grave blessure, il se rétablit, et reprend la mer[8].
En 1641, en compagnie de quatre autres capitaines, il va enlever cinq vaisseaux espagnols sous les canons de Rosas[8]. II se signale aussi au combat de Tarragone le 4 juillet, devant Barcelone le 9 août, et au large du cap de Gata, où il est à nouveau blessé, le 3 septembre 1643. Le jeune marin perd dans l'archevêque de Bordeaux et dans Richelieu, qui décède à la fin de l'année 1642, deux protecteurs qui avaient pris la mesure de son talent. Il retrouve un appui en la personne du grand maître de la navigation Maillé-Brézé.
Mais en 1644, il perd son navire dans des circonstances mystérieuses et doit quitter la marine.
Dans la Marine royale suédoise et sous la Fronde
Pendant les troubles de la minorité de Louis XIV, il écrit au cardinal Mazarin pour lui demander l'autorisation de quitter la Royale, ce qu'il obtient[9]. Il s'engage avec son frère Jacob dans la marine royale suédoise. Capitaine de vaisseau en France, il est fait amiral-major[Note 3] par la Reine Christine le 14 septembre et sert pendant la guerre de Torstenson, qui oppose le royaume de Suède au royaume du Danemark et de Norvège[Note 4]. Au cours de cette guerre, il combat sous les ordres de Carl Gustaf Wrangel, devenu commandant de la flotte suédoise à la mort de l'amiral Fleming, et dont il devient le commandant en second. Il défait complètement devant Göteborg la flotte danoise commandée par Christian IV de Danemark en personne, à bord de la frégate Regina, 34 canons.
Le 13 octobre 1644, au combat de Fehmarn (en), il participe à une nouvelle victoire sur la flotte danoise, au cours de laquelle l'amiral Pros Mund est tué et son navire amiral, le Patientia, capturé. C'est lui que Wrangel désigne pour aller donner l'assaut au navire amiral danois à bord duquel se trouve le roi. Son frère, qui se distingue lui aussi pendant ce combat, est nommé capitaine de vaisseau.
Avec le retour à la paix en 1645, il retourne en France et participe à des échanges entre les marines de Suède et de France, avant de rentrer en France en 1647 où il arme une escadre à ses frais. Il bat en 1650 les Anglais et les Espagnols qui avaient envoyé plusieurs vaisseaux au secours de Bordeaux révolté. Pour ce fait, il est créé chef d'escadre.
Durant la Fronde, il reste fidèle au Roi et arme à ses frais contre les frondeurs. À la fin de la Fronde, alors qu'il tente un retour en Suède, il est éconduit par la marine suédoise pour des raisons inconnues et doit rester en France sans pouvoir reprendre la mer. Il entretient alors des liens d’affaires avec le surintendant des finances Fouquet.
Retour dans la Royale
En 1661, Mazarin meurt et Colbert lui succède. Ce dernier tient Duquesne en haute estime et la même année, il réintègre la marine française et participe aux premières opérations navales du règne de Louis XIV. Il obtient le commandement du Saint-Louis, dont il vérifie l'armement[Note 5]. Après s'être illustré dans plusieurs combats en Méditerranée contre les barbaresques dans les années 1662-1663[Note 6], sous les ordres du Chevalier Paul, il passe de la flotte du Levant à celle du Ponant. En 1665, il est nommé commandant d'escadre et Le Vendôme, 72 canons et 600 hommes d'équipage, est placé sous ses ordres[10]. En juillet 1666, il est à la tête de l'escorte chargée de conduire à Lisbonne la duchesse de Nemours mariée par procuration au roi de Portugal Alphonse IV.
La flotte française est alors témoin de la guerre que se livrent l'Angleterre et les Provinces-Unies en mer du Nord. À cette époque, Duquesne sert dans l’escadre de François de Vendôme, duc de Beaufort dont il espère devenir le bras droit. En 1669, il est nommé lieutenant général des armées navales mais son ascension dans la hiérarchie de la marine, est ensuite barrée par la promotion fulgurante du comte d'Estrées, nommé vice-amiral du Ponant. Sitôt promu, il est envoyé en Méditerranée au secours de Candie, assiégée par les Ottomans, mais il arrive trop tard et la flotte française y subit une défaite. Louis XIV et Jean-Baptiste Colbert ne voient pas en Duquesne un chef de guerre rompu au combat en ligne et animé d’un véritable esprit offensif. La guerre de Hollande va leur donner raison et confirmer la passivité de Duquesne au combat.[réf. nécessaire]
De retour en France, il est la cible d'accusations destinées à le déstabiliser. Ses relations avec le comte d'Estrées se dégradent significativement. Ce dernier écrit à propos de Duquesne « Il est d'un caractère épineux et difficile, et d'un esprit moins porté à trouver des expédients qu'à susciter des difficultés[11]. » La rivalité entre les deux hommes atteint son paroxysme lorsque Duquesne refuse de saluer son commandant à tel point que Colbert est contraint d'intervenir[Note 7],[Note 8]. C'est dans ce contexte que les deux hommes s'apprêtent à aller affronter la flotte hollandaise de l'amiral Ruyter.
Guerre de Hollande
Article principal : Guerre de Hollande.Le 7 juin 1672, il commande Le Terrible, 68-70 canons, et participe sous les ordres de d'Estrées lui-même sous les ordres du duc d'York[Note 9] à la bataille de Solebay contre la marine hollandaise. Il manœuvre trop lentement pour soutenir efficacement d'Estrées et pire, ne répond pas aux ordres d’attaque du duc d'York et laisse échapper la flotte hollandaise alors que la flotte anglo-française se trouvait dans une position très favorable. En agissant ainsi, il se conforme aux ordres de son roi - Louis XIV avait donné aux amiraux français des instructions secrètes consistant à laisser les flottes anglaises et hollandaises s'entre-déchirer, la flotte française prétexte la présence de vents défavorables pour ne prendre qu'une part mineure au combat - mais il s'expose également à la critique. Le marquis de Martel, pour s'être élevé contre ces ordres déshonorants, est envoyé à la Bastille.
La carrière de Duquesne semble alors entrer dans un déclin irréversible. Il est contraint de demander un congé et d'écrire à Colbert une lettre pour justifier sa conduite, dans laquelle il explique avoir reçu un signal incomplet et avoir refusé d'appliquer les ordres, de peur de les mes-interpréter. Dans cette lettre, il se plaint à nouveau des critiques portées par d'Estrées à son encontre[Note 10].
Mais, l’entrée en guerre de l’Espagne en 1673 et le soulèvement de Messine en 1674, ouvrent un second front maritime en Méditerranée. Duquesne, placé au commandement du Saint-Esprit, 72 canons, est alors choisi pour seconder le duc de Vivonne et se trouve promu commandant de l'Escadre de la Méditerranée en 1674. Le 11 février 1675, la flotte français composée de six vaisseaux, une frégate et deux brûlots, doit faire face à vingt-neuf vaisseaux et quatorze galères espagnoles. Ce n'est que l'envoi de renforts de Messine qui met en fuite les Espagnols. Durant le combat, Duquesne parvient à se saisir d'un vaisseau de 44 canons.
Le 17 août, il prend la ville d'Augusta, dans la province de Syracuse (Sicile), mais, après les succès faciles de 1675 contre une flotte espagnole qui n'est plus que l’ombre d’elle-même, Duquesne va devoir affronter en 1676 un ennemi bien plus redoutable. En effet, Guillaume de Nassau, prince d'Orange, et le stathouder des Provinces-Unies, envoie au secours de leur allié espagnol, une flotte commandée par le plus grand capitaine de son temps, l'amiral hollandais Michiel de Ruyter.
Lors de la bataille d'Alicudi, le 8 janvier 1676, à défaut d'une victoire éclatante, il parvient à mettre en fuite la flotte de Ruyter; et, le 22 janvier, il entre triomphalement dans la ville de Messine. Les nouvelles parviennent à Versailles et un mois plus tard, il reçoit une lettre écrite de la main de Louis XIV.
Lettre de Louis XIV à Duquesne[12]- « Monsieur Duquesne, je n'ai pas été surpris de ce que vous avez fait pour la gloire de mes armes, contre la flotte des ennemis, auprès de l'île de Lipari. Je n'attendais pas moins de votre valeur et de votre expérience à la mer; je suis bien aise seulement de vous assurer que j'en suis pleinement satisfais et que j'en conserverais agréablement le souvenir. Cependant, je veux que cette lettre écrite de ma main vous en soit un gage, et qu'elle vous réponde que vous recevrez des effets de ma bienveillance en toutes les occasions qui se présenteront; et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur Duquesne, en sa sainte garde.
- À Saint-Germain, le 26 février 1676
- Louis »
Cette lettre est accompagnée d'une lettre de Colbert, elle aussi, pleine d'éloges.
Lettre de Colbert à Duquesne[13]- « La lettre que le roy veut bien vous escrire de sa main vous fera mieux connoistre que je ne le pourrois faire la satisfaction que Sa Ma384jesté a reçue de ce qui s'est passé dans la dernière bataille que vous avez donnée contre les Hollandois; tout ce que vous avez fait est si glorieux et vous avez donné des marques si avantageuses de votre valeur, de votre capacité et de votre expérience consommée dans le métier de la mer, qu'il ne se peut rien ajouter à la gloire que vous avez acquise. Sa Majesté a enfin eu la satisfaction de voir remporter une victoire contre les Hollandois, qui ont été jusqu'à présent presque toujours supérieurs sur mer à ceux qu'ils ont combattus, et elle a connu par tout ce que vous avez fait qu'elle a en vous un capitaine à opposer à Ruyter pour le courage et la capacité.
- Je vous avoue qu'il y a bien longtemps que je n'ai écrit de lettre avec tant de plaisir que celle-cy, puisque c'est pour vous féliciter du premier combat naval que les forces du roy ont donné contre les Hollandois, et vous ne pouvez pas douter que le roy n'ayt fort remarqué qu'ayant à faire au plus habile matelot, et peut-estre au plus grand et au plus ferme capitaine de mer qu'il y ayt au monde, vous n'avez pas laissé de prendre sur luy les avantages de la manœuvre de votre vaisseau, ayant regagné pendant la nuit le vent qu'il avait sur vous le soir précédent, et celuy de la fermeté l'ayant obligé de plier deux fois devant vous. Une si belle action nous donne ici des assurances certaines de toutes celles que vous ferez à l'avenir, lorsque les occasions s'en présenteront, et vous devez estre asseuré de la part que j'y prendrai toujours. »
Duquesne reprend la mer et affronte à nouveaux les Hollandais lors de la bataille d'Agosta, le 22 avril 1676; mais, frileux, il laisse à son avant-garde tout le poids de la bataille. Le marquis d'Alméras qui la commande est tué au combat.
Aux cours de ces deux batailles, Duquesne ne parvient pas à prendre l’avantage sur l’escadre hispano-hollandaise. Celle-ci demeure intacte alors qu'elle aurait pu être facilement inquiétée s'il s'était montré plus agressif et habile dans ses manœuvres.[réf. nécessaire] Cependant, Ruyter est mortellement blessé pendant la bataille d'Agosta et sa mort marque la fin de l'alliance entre Hollandais et Espagnols en même temps que la fin des combats en Méditerranée.
La victoire décisive à la bataille de Palerme, le 2 juin 1676, est obtenue grâce au génie de Tourville, alors que Duquesne à bord du Saint-Esprit tire un bord au large et ne participe pas à la confrontation. Le navire amiral espagnol Nuestra Señora del Pilar est détruite par un brûlot français et l'amiral don Francisco de la Cerda tué, tout comme l'amiral hollandais Jan den Haen. Au final, la flotte alliée perd douze vaisseaux et près de 3 000 hommes. Durant l’été, Duquesne se révèle incapable de poursuivre et de détruire le reste des forces hollandaises pourtant mal en point. Duquesne obtient alors l'autorisation du duc de Vivonne de quitter le Saint-Esprit, très malmené par la campagne, et passe sur le Royal-Louis, « un des plus beaux bâtiments de la flotte de guerre française, avec ses cent vingt canons[14]. »
Lorsque la paix de Nimègue est signée en 1679, Duquesne a près de 70 ans.
Missions en Méditerranée
Après quelques mois de repos, il est, le 26 août 1680, devant Tripoli. Le marquis d'Amfreville, commandant du Fort, bat à lui seul six bâtiments ennemis. Avec sept navires, il poursuit les corsaires et la flotte barbaresque de Tripoli jusqu’à l’anse de Chio, possession de l'empire Ottoman, le 23 juillet 1681. Quand le gouverneur de la place refuse de les expulser, il canonne le fort et la ville et établit un blocus. Cette violation de la neutralité turque n'est pas au goût de Louis XIV qui ne voulait pas d'une guerre avec cet État mais 80 000 couronnes payées par les marchands français commerçant avec Constantinople apaisent vite le courroux turc[15].
Il commande par la suite les deux bombardements d'Alger, et force le dey à libérer tous les esclaves chrétiens. L’escadre de Duquesne arrive devant Alger le 12 juillet 1682, mais il est contraint par le mauvais temps d'ordonner à ses capitaines (Tourville, Forant, de Pointis, de Lhéry, de Belle-Isle-Erard, entres autres) de différer le début des bombardements. Ces derniers débutent le 20 août et se poursuivent jusqu'au 5 septembre, sans grand résultats. Alger est alors le port le mieux défendu de toute la Méditerranée, mieux que Gênes, beaucoup mieux que Toulon[16]. Apprenant l'échec de l'expédition le 11 octobre, le Roi n’est pas satisfait mais doit reconnaitre cependant l’effet terrifiant du petit nombre de bombes, 280 environ, qui avaient été envoyées[16]. Le 18 juin 1683, la flotte de Duquesne est à nouveau devant Alger. Les bombardements débutent dans la nuit du 26 au 27 juin. Au matin du 28, 217 bombes avaient été tirées, lorsque Duquesne propose au dey une trêve contre la libération des esclaves chrétiens. Cette trêve est interrompue le 21 juillet, et les bombardements reprennent les jours suivants. Son neveu Duquesne-Mosnier, qui commandait L’Ardente, est « blessé d’une grande contusion à la cuisse gauche[16] ». Les tirs se poursuivent jusqu'au 17 août, date à laquelle le stock de bombes avait été épuisé.
En mai 1684, il est à la tête d'une flotte de quatorze vaisseaux de ligne, vingt galères et dix galiotes à bombe, à qui le ministre de la Marine Seignelay a ordonné d'aller bombarder Gênes, qui avait vendu des munitions aux corsaires barbaresques de la régence d'Alger. Entre le 18 et le 22 mai, 13 000 boulets sont tirés sur la ville. Ce bombardement n'est pas suffisant et les Génois refusent les émissaires envoyés par Duquesne. Aussi, les Français sont-ils obligés de lancer une offensive terrestre, confié au chef d'escadre de Lhéry (qui trouve la mort dans l'attaque). Devant les dégâts subis, la ville finit par se rendre et le doge de Gênes Francesco Maria Imperiale Lercari est contraint à venir s'humilier aux pieds du roi de France, en mai 1685.
Ces interventions sont conçues comme autant de démonstrations de force de la part d'un souverain qui veut faire l'étalage de sa puissance navale. Avant la descente contre Alger en 1682, Colbert rappelle ainsi à Duquesne que « la préparation des bombes à fait un très grand bruit dans les pays étrangers, qu'on regarde de toutes parts quel en sera le succès et que de revenir sans avoir rien mis à exécution se contentant seulement de faire la paix avec des gens avec lesquels on ne peut espérer de la maintenir longtemps que par le châtiment que l'on fera de l'insolence avec laquelle ils l'ont rompue, cela feroit un très mauvais effet[17]. »
La religion, obstacle à toute promotion
Ces succès lui laissent espérer une promotion. Cependant, Colbert lui écrit pour lui dire que Louis XIV est satisfait de ses services mais qu'il est au regret de l'informer que sa religion, qu'il refuse d'abjurer, rend le fait de l'élever à la dignité d'amiral. En France, les guerre successives avec les Provinces-Unies ravivent les suspicions envers les protestants, très présents dans l'industrie et dans le commerce[18], dans le première moitié des années 1680, aboutissant quelques années plus tard à la proclamation par le Roi de l'Édit de Fontainebleau en 1685, révoquant l'Édit de Nantes.
Contrairement à d'autres[Note 11], Duquesne refuse d'abjurer protestantisme. Le roi lui écrit « Je voudrais, monsieur, que vous ne m'empêchiez pas de récompenser les services que vous m'avez rendus comme ils méritent de l'être; mais vous êtes protestant et vous savez quelles sont mes intentions là-dessus. » Au cours d'un de ces congés, il se rend à la Cour à Versailles, pour plaider sa cause. À Louis XIV, Duquesne répond, sûr de lui : « Sire, quand j'ai combattu pour Votre Majesté, je n'ai pas examiné si Elle était d'une autre religion que moi. »
Colbert et Bossuet essayeront à leur tour de le persuader, lui faisant voir la possibilité d'être promu maréchal, mais ce dernier reste intraitable. Pas rancunier, Louis XIV le fait marquis et érige sa terre du Bouchet près d'Étampes en marquisat[Note 12].
En 1685, il est l'un des très rares personnages autorisé à rester protestant et à pouvoir demeurer en France malgré l’Édit de Fontainebleau, à condition qu'il ne se livre à aucun acte d'allégeance public « à la religion prétendue réformée ». Il demande à émigrer, mais cette faveur lui est refusée, de peur qu'il ne renseigne l'étranger sur l'état des forces navales françaises[19].
Il meurt d'une attaque d'apoplexie, le 1er février 1688 à Paris, à l’âge de 78 ans. Il est enterré dans son château du Bouchet, domaine érigé en marquisat par Louis XIV. Abraham Duquesne possédait le manoir du Moros à Concarneau.
Une semaine après sa mort, le Roi ordonne que tous ses biens soient mis sous séquestre. À sa veuve on laisse le choix de l'émigration ou de l'abjuration. Cette dernière finit par renier sa foi et peut conserver ses biens. Sur les quatre fils du couple, deux se convertiront au catholicisme, les deux autres émigreront en Suisse.
Parmi eux, son fils Henri Duquesne, qui transporte le cœur de son père au temple d'Aubonne, dans le canton de Vaud (Suisse). Ce dernier lui compose l'épitaphe suivant:
Duquesne Fils à son Père:
Ce tombeau attend les restes de Duquesne
Son nom est connu sur toutes les mers
Passant, si tu demandes pourquoi les Hollandais
Ont élevé un monument superbe à Ruyter vaincu,
et pourquoi les Français
Ont refusé une sépulture au vainqueur de Ruyter
Ce qui est dû de respect et de crainte à un monarque,
Dont s'étend au loin la puissance,
Minterdit toute réponse.La légende dorée
Cette légende dorée fut d’abord forgée par Duquesne lui-même qui ne manque jamais l’occasion de se présenter comme un vieux loup de mer, mais aussi par Colbert qui va utiliser les combats contre Ruyter pour redorer le blason de la Royale. Tenue en respect dans la Manche par la flotte des « marchands de fromage », la campagne en Méditerranée va permettre à la Royale de se forger un héros à l’image des Condé et Turenne. Du jour au lendemain, la propagande fait de Duquesne, « le Turenne des mers », le plus grand capitaine de mer du moment, l’égal et le vainqueur de Ruyter. Alicudi et Agosta deviennent des victoires éclatantes et Palerme le plus formidable succès naval.
Alors que tous les grands chefs du règne de Louis XIV, sont Anglais ou Hollandais, Duquesne va servir la propagande et accréditer l’idée d’un génie maritime français.
Famille et descendance
Abraham Duquesne épouse Gabrielle de Bernières, en 1661. De cette union naîtront quatre fils:
- Henri Duquesne (1662 - †1722), il émigre en Suisse
- Abraham Duquesne (1663 - †22 février 1695)
- Isaac Duquesne (10 septembre 1665 - †1745)
- Jacob Duquesne (1666 - †1741)
Deux de ses grand-neveux s'illustreront au service du royaume de France:
- Abraham Duquesne-Guitton (1648 - 1724, Gouverneur général des Isles du Vent de 1714 à 1716
- Michel-Ange Duquesne de Menneville (1700 - 1755), Gouverneur général de la Nouvelle-France de 1752 à 1755
Honneurs et postérité
- Dieppe, sa patrie, lui a élevé une statue en 1844, sur le port de Concarneau, provenant du château de Kériolet.
- Une rue d'Auxerre porte son nom
- Plusieurs bâtiments de la Marine nationale française ont été nommés en l'honneur d'Abraham Duquesne
- Le Duquesne, vaisseau de 74 canons (1787-1803)
- Un vaisseau-école (1811-1814)
- Un vaisseau de 74 canons (1814-1836)
- Un vaisseau de 82 canons (1847-1867)
- Un croiseur (1873-1901)
- Un croiseur lourd de 10 000 tonnes (1924-1955) de la classe Duquesne
- La frégate Duquesne lance-missiles (DDG immatriculé D 603), lancée en 1966 et mise en service en 1970. Mise en réserve en 2007 puis désarmée.
Notes
- Blangy-sur-Bresle, dans le pays d'Eu et sa mère est Luneray, dans le Pays de Caux. Son père est originaire de
- « Pendant que le jeune Duquesne était au siège de Sainte-Marguerite, il apprit que son père venait de mourir à la suite de blessures reçues dans un combat que lui avaient livré les Espagnols, comme il amenait son convoi de Suède ; de ce jour, le fils jura une haine implacable aux auteurs de la mort de son père, de qui il ne cessa pas de porter le deuil dans son cœur. » (Léon Guérin, p. 253)
- chef d'escadre en France Grade équivalent à celui de
- Royaume du Danemark et de Norvège qui avait début la guerre de Trente Ans aux côtés du royaume de France et de Suède, change de camp en 1643. La Suède et le Danemark s'intéressent tous deux aux duché de Poméranie et de Mecklembourg, s'affronteront pour le contrôle de la mer Baltique jusqu'à la signature des Traités de Westphalie et 1648. Le
- Un rapport de l'époque note : « Duquesne veille à tout. Il rend ainsi de grands services au ministre de la Marine. » (Mabire, p.141)
- Bône, en Algérie. (Mabire, p.141) Il se distingue notamment dans la capture d'un navire au large de
- Il écrit à Duquesne « Ce seraint une pure chicane que Sa Majesté trouverait fort mauvaise et qu'elle ne pourrait excuser. » (Mabire, p.144)
- 18 janvier 1671, qu'il adresse à d'Estrées, Colbert écrit: « Je vois bien que vous n'avez pas sujet d'être satisfait des sieurs Duquesne et Desardens, mais vous savez bien que ce sont les deux plus anciens officiers de la marine que nous ayons, au moins pour le premier, et mesme qu'il a toujours été reconnu pour un très-habile navigateur et fort capable en tout ce qui regarde la marine. Je conviens avec vous que son esprit est difficile et son humeur incommode; mais, dans la disette que nous avons d'habiles gens en cette science, qui a été si longtemps inconnue en France, je crois qu'il est du service du roy et même de votre gloire particulière que vous travailliez à surmonter la difficulté de cet esprit et à le rendre sociable, pour en tirer toutes les connoissances et avantages que vous pourrez, et j'estime qu'il est impossible qu'avec votre adresse et votre douceur vous n'en tiriez facilement en peu de temps tout ce qu'il pourra avoir de bon, et ce qui vous pourra servir, et mesme qu'avec cette douceur vous ne puissiez peut-être le réduire à servir à votre mode, c'est-à-dire utilement pour le service du roy. » Dans la lettre du
- Louis XIV demandant à Charles II la raison pour laquelle le commandement de la flotte allié était confiée au duc d'York, ce dernier répond « Car c'est l'habitude des Anglais de commander à la mer. »
- « Vous savez pourquoi j'ai demandé avec tant d'insistance congé d'aller en cour; procurez m'en s'il vous plaît, la décision et ne m'abandonnez pas, Monseigneur, dans ce bourbier où l'artifice de l'ennemi de mon honneur m'a jeté pour avoir mieux servi que lui, qui, par l'autorité de son rang, a diffamé ma conduite. » (Mabire, p.146)
- chef d'escadre Job Forant, le célèbre financier Samuel Bernard,... Notamment le
- En 1681, Duquesne, achète la baronnie du Bouchet à la marquise de Clérembault
Références
- Léon Guérin, p. 252
- Michel Vergé-Franceschi, p.144
- Mabire, p. 131
- Mabire, p. 132
- Mabire, p. 134
- Mabire, p. 133
- « Duquesne passa pour un capitaine hors ligne » (Léon Guérin, p. 254)
- Léon Guérin, p. 254
- Mabire, p. 137
- Mabire, p. 142
- Mabire, p.143-144
- Mabire, p. 148
- Pierre Clément, p. 384
- Mabire, p. 150
- E.H. Jenkins, Histoire de la marine française, Paris, Éditions Albin Michel, 1er novembre 1977, 428 p. (ISBN 2-226-00541-2), p. 80
- Les deux premiers bombardements d'Alger
- Lettre de Colbert à Duquesne, datée de Versailles, 9 juillet 1682 (Citée in Pierre Clément, p. 234-235)
- Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1904
- Mabire, p.154
Sources et bibliographie
- Michel Vergé-Franceschi, « Abraham Duquesne: huguenot et marin du Roi-Soleil », France-Empire, 1992, (ISBN 978-2-7048-0705-5)
- Daniel Dessert, « La Royale », Fayard, 1996
- Dagues de Clairefontaine , « Éloge historique d'Abraham Duquesne, lieutenant général des armées navales de France », Nyon père, 1766
- Adrien Richer, « Vie du marquis du Quesne, dit le Grand Duquesne, lieutenant général des armées navales sous Louis XIV », 1783
- Auguste Jal, « Abraham du Quesne et la marine de son temps », éditions Plon, 1873
- Jean Mabire, « Grands marins normands sur Google Livres », Ancre de Marine Éditions, 1993, pp. 130-155
- Pierre Clément, « Histoire de la vie et de l'administration de Colbert », Paris, 1846
- Léon Guérin, Les marins illustres de la France sur Google Livres, Morizot, 1861
- Pierre Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Volume 3 sur Google Livres, Imprimerie impériale, 1864
- Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang (dir.), « Abraham Duquesne » dans Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, 1878 (Wikisource)
Liens internes
Liens externes
- Un tricentenaire : 1688 -1988 ; Abraham Duquesne (1610-1688) et la marine de son temps par Michel Vergé-Franceschi, in Histoire, économie et société, 1988, 7e année, n°3, pp. 325-345.
- Musée virtuel du protestantisme français, museeprotestant.org
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