Édit de Fontainebleau (1685)

Édit de Fontainebleau (1685)
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L’édit de Fontainebleau.

L’édit de Fontainebleau, signé par Louis XIV le 18 octobre 1685[1], révoque l’édit de Nantes octroyé par Henri IV en 1598.

Dès le début de son règne, Louis XIV, cherchant à unifier son royaume sur les plans religieux, administratif et politique, souhaite extirper le Protestantisme. S'appuyant sur une interprétation étroite de l'Édit, il fait accumuler les enquêtes, les dénonciations, les interdictions, voire les destructions d'écoles et de temples. Après des années de persécutions et de conversions forcées, le protestantisme français ayant pratiquement disparu, le pouvoir royal décide que l'édit de Nantes, rendu obsolète, doit être révoqué.

Sommaire

Les prémices de la Révocation

De la paix d’Alès au règne personnel de Louis XIV (1629-1661)

Il était dans l’intérêt de la politique extérieure de Richelieu de faire respecter l’édit de Nantes.

Soixante ans plus tôt, après la révolte protestante, la paix d'Alès de 1629 accordée par Louis XIII, avait déjà considérablement rogné les libertés acquises par les protestants. Les clauses militaires de l’édit de Nantes y étaient pratiquement annulées. La « Religion Prétendue Réformée » (R.P.R., telle était la dénomination utilisée par les catholiques de l’époque) perdura pendant une trentaine d’années, moyennant une bataille juridique permanente. Cependant, le parti catholique pouvait déjà se targuer de nombreuses conversions dans l'aristocratie protestante. Le cardinal de Richelieu, premier ministre de 1624 à 1642, réussit à faire respecter l’édit de Nantes pour affermir sa politique extérieure : allié avec les princes protestants allemands et la couronne suédoise pendant la guerre de Trente Ans, il devait ménager les huguenots de France. La mort du cardinal en 1642, puis celle de Louis XIII en 1643, remettait en cause un hypothétique statu quo. Si les années Richelieu avaient garanti la sécurité des réformés, les années Mazarin, successeur « donné » au roi par Richelieu, beaucoup moins.

Ernest Labrousse a pu démontrer que la révolution anglaise de 1641 a compliqué la situation des huguenots français. En effet, les catholiques eurent vite faits de leur imputer la décapitation de Charles Ier en 1649. Par une fallacieuse association d'idées, les coreligionnaires français du Parlement puritain passèrent pour complices implicites. Les huguenots s'empressèrent de condamner leurs frères presbytériens régicides, proclamant leur attachement à la monarchie.

Il n'en demeure pas moins que Mazarin se montra favorable aux huguenots français pour s’assurer de la neutralité de Cromwell dans la guerre franco-espagnole. En mai 1652, le pouvoir royal alla jusqu'à remercier les réformés de leur soutien à la Couronne pendant la Fronde.

Après avoir obtenu l’alliance commerciale et militaire des Anglais en 1655 et 1657, le Cardinal se montra plus intransigeant, revenant sur les concessions accordées. Son but était de réduire progressivement la R.P.R. Il décide d'abord que le synode national des Églises réformées de France (E.R.F.), réuni à Loudun en 1659, sera le dernier autorisé. Or, les synodes nationaux sont vitaux pour les réformés puisqu’ils font autorité en matière de droit et de théologie. De plus, Mazarin interdit de faire appel à des pasteurs étrangers, notamment ceux de Genève, la « Rome » réformée. Autre coup grave porté aux religionnaires, les commissions chargées par le Cardinal de faire respecter l’édit de Nantes « à la lettre » : tout ce qui n’est pas contenu expressément dans l’édit devient interdit. Des commissions composées de deux juristes, un catholique, souvent l’intendant de la généralité ou son subdélégué, et un protestant, doivent statuer sur l'utilité du temple local. Les consistoires doivent leur prouver juridiquement et par écrit leurs droits sur le fonctionnement des temples de leur ville. Pour Didier Boisson, il s’agit là d’un tournant de la politique royale. Cette vague de textes législatifs contraignants s’accélère jusqu'à atteindre leur paroxysme dans la décennie 1660. Plusieurs autres mesures violent les accords de l’édit de Nantes. Si les réformés ont foi en l’avenir, la Cour et la justice du roi, les plus hautes autorités de l’État jouent un double jeu : ils ménagent les alliés protestants de la France par une politique apparemment favorable aux huguenots français, tout en réduisant leurs privilèges pour mieux les contrôler.

Contrairement à l’affaire du Béarn, il n’y eut pas de soulèvements. Les nobles protestants, pour mieux plaire au roi en servant leurs ambitions s’étaient convertis au catholicisme depuis 1630 ; la paix d'Alès avait privé les Huguenots de leurs places fortes et de leurs troupes. Comment s’étonner que des historiens protestants comme Emile G. Léonard aient qualifié la période entre la paix d'Alès et la Révocation de « léthargie » ? Les protestants, d'après lui, défendaient mieux leurs privilèges que leur foi.

L’œuvre de démantèlement de l’édit de Nantes par l’État (1661-1685)

Premières mesures discriminatoires (1661-1679)

L’édit de Nantes ambitionnait de se servir du parti protestant comme d’un pendant naturel à la Ligue. Cependant, l’affaiblissement progressif jusqu'à la disparition du parti huguenot, la transformation de la Ligue en un parti dévot, plus religieux que politique, finit par priver la communauté protestante de son « utilité ». Il sembla alors justifié à l'Église et aux dévots de la Cour de supprimer l'édit de Nantes, trop favorable à la R.P.R., afin de réaffirmer le catholicisme comme religion officielle. La minorité huguenote, affirme E. Labrousse, ne représentait plus un réel danger pour l’État depuis la disparition du parti protestant.

Minoritaires, inoffensifs, bons sujets loyaux, financiers et commerçants dynamiques, le sort des religionnaires n’était plus entre les mains des consistoires mais entre celles du pouvoir royal. Il ne s'agissait plus de tolérer la présence d’une minorité religieuse hérétique, mais de réduire des huguenots jugés méprisables à l’insignifiance. En fait Louis XIV, depuis la Fronde, détestait les factieux et les minorités. Les huguenots constituaient une tache sur la majesté royale. Toute l’œuvre des rois de France depuis François Ier visait à établir une autorité toute puissante et incontestable, assurer le bien être sous « une foi, une loi, un roi ». L’unique était une règle ; qui contestait cette unanimité, cette unité, était considéré comme dissident ou rebelle. L'Église réformée de France (E.R.F.), brisant l’unité confessionnelle, allait ainsi à l’encontre des principes absolutistes louis-quatorziens. Il fallait donc mettre au pas ces religionnaires. La seule voie possible était le rétablissement du catholicisme dans ses prérogatives.

Alors que Mazarin tente d'imposer l’application à la lettre de l’édit de Nantes dès 1656, cette décision n’est réellement effective qu’en 1661. Entre 1661 et 1679, on ne compte pas moins de douze édits restrictifs émanant du Conseil du roi. En 1665, un arrêt attribue à un commissaire catholique la maîtrise de l’instruction des dossiers. Certains temples, jugés trop bien placés, sont détruits (tel à Metz où il est remplacé par une église jésuite). Plusieurs déclarations et arrêts royaux entre 1661 et 1669 accentuent l'oppression contre la prédication des pasteurs auxquels il est interdit de prêcher ailleurs que dans les temples et dans les villes dépourvues de temple. Le chant des psaumes est lui aussi prohibé à l'extérieur des lieux de culte. En matière d'obsèques, en 1663 les funérailles ne sont autorisées qu'au lever du jour ou à la tombée de la nuit ; le nombre de participants est fixé à trente, puis à dix en 1664, avant que ce « numerus clausus » ne soit levé en 1669.

De fait, la déclaration du 1er février 1669 annule ou modère plusieurs textes précédents. Cependant cette « pause » dans la législation anti-protestante n'est qu'un répit pour les réformés. D’autres mesures touchent les institutions elles-mêmes : on interdit de tenir des colloques et les synodes provinciaux doivent délibérer en présence d'un commissaire royal ; en 1663 les Églises de provinces différentes n'ont plus le droit de communiquer par contacts épistolaires. Plusieurs décisions concernent les individus eux-mêmes : les religionnaires ne peuvent plus postuler à de hautes charges et il leur est interdit d’exercer un certain nombre de métiers. Loin d'être exhaustive, cette interminable suite de textes juridiques suffit à elle seule à montrer l'acharnement anti-huguenots en cette décennie 1660.

La réaction des protestants est d’abord juridique : les procès se multiplient pour répondre aux attaques portées contre les E.R.F. dont la cause sort rarement victorieuse. Face à une situation qui aurait pu les revigorer, les pasteurs s’engoncèrent dans une orthodoxie et un rigorisme théologique qui enfonça encore plus la communauté dans la passivité et la peur de sanctions plus sévères.

C’est une fois de plus la situation internationale qui fait obtenir un sursis aux protestants français. Au printemps 1672, les armées du roi envahissent les Provinces-Unies. Le traité de Nimègue, six ans plus tard, marque la fin de la guerre de Hollande, l’apogée de la puissance française en Europe et vaut à Louis XIV à son retour à Paris le titre de « Grand ». En 1675, alors qu’une partie de l’Europe et la France sont plongées dans la guerre, les abjurations huguenotes individuelles se font plus nombreuses, avec le soutien de la Cour. Les nouveaux convertis sont essentiellement des notables, mais on compte aussi des marchands, des artisans, soucieux de s’attirer des faveurs. 1675 est aussi l’année de la création de la Caisse des conversions par Paul Pellisson financée par la caisse des Économats, qui percevait auparavant les revenus des abbayes vacantes. L’idée en est simple mais pas nouvelle : on donne de l’argent en échange d’une conversion. Depuis 1598, l’Assemblée du clergé de France avait attribué une certaine somme d’argent pour les ministres huguenots qui se convertiraient au catholicisme. La Caisse de Pellisson séduisit surtout des gens du peuple aux revenus modestes, mais aussi des escrocs, des gens peu scrupuleux qui se convertissaient plusieurs fois. Les résultats furent peu satisfaisants : à peine dix mille conversions sur trois ans sur l’ensemble du royaume. En outre, la plupart des conversions n'étaient pas véritables. Les polémistes huguenots n’hésitèrent pas à condamner le peu de scrupules de l’Église catholique, qui, disaient-ils, usaient d'un procédé rappelant celui des Indulgences au début du XVIe siècle pour racheter les péchés contre de l’argent destiné à la construction de Saint-Pierre de Rome.

Intensification des persécutions (1679-1685)

En 1679 débute la seconde vague de textes anti-protestants. La caisse de conversions a donc obtenu des résultats limités. Soumise au « bon désir du roi », la France, à l’apogée de sa puissance en Europe n’a toujours pas réglé le sort des religionnaires du royaume. Affaiblies, les E.R.F. affichent toujours leur fidélité à la monarchie, mais leur résistance et les vestiges subsistants de l’édit de Nantes sont anéantis dans les années 1679-1685 par les arrêts du Conseil. On compte plus de quatre-vingts arrêts dans cette période ! En octobre 1679, les synodes réformés doivent accepter la présence d'un commissaire nommé par la cour. À Lyon, c’est Jean-Baptiste Dulieu, lieutenant de la sénéchaussée et Présidial de Lyon qui assiste aux séances du Consistoire, à partir du 18 mars 1685. Un autre arrêt accentue les peines à l’encontre des relaps protestants. En 1680, un nouvel édit exclut les protestants de certaines professions et on interdit aux catholiques de se convertir au protestantisme. D’autres mesures sont prises : le 17 juin 1681, l’âge de la conversion au catholicisme passe à 7 ans, en juillet 1681 un arrêt supprime l’académie de Sedan, suivent celles de Die en septembre 1684, de Saumur en janvier 1685 et de Puylaurens en mars 1685.

L'ordonnance du 11 avril 1681 est à l’origine des dragonnades. Elle permet :

Les « dragons missionnaires » : Qui peut me résister est bien fort.

« L’exemption de logement des gens de guerre et contribution d’iceux pendant deux ans en faveur de ceux qui, étant de la RPR se sont convertis et faits catholiques depuis le 1er janvier dernier et qui se convertiront ci-après »

Les dragonnades mises en œuvre à partir du mois de mai 1681 dans le Poitou par l’intendant Marillac sont un moyen de persuasion brutal pour les populations. Les soldats du roi logent chez l’habitant protestant et tentent par tous les moyens de le faire abjurer car « le roi le veult ». Les moyens employés sont proportionnels à la résistance de l’habitant : d’une simple démonstration de force jusqu’au pillage, au viol et au meurtre. Une fois qu'un village s'est converti, les soldats passent à un autre.

Cette première dragonnade fut la plus spectaculaire et la plus efficace pour les gens de la Cour. Les réformés poitevins se convertirent massivement et les temples encore debout fermèrent. Les conversions obtenues le sont plus par peur que par réelle adhésion à la foi catholique, mais les résultats sont là : elles sont massives même si les premiers fugitifs tentent de s'échapper par les ports de l’Atlantique. Dans les pays protestants, grande est l’émotion qu'ils suscitent. Les princes protestants d’Europe proposent leur aide aux huguenots français : ils les accueillent et facilitent leur installation. L’Électeur de Brandebourg les exonère de charges fiscales sur ses terres.

Après une pause de trois ans les dragonnades reprennent dans le Sud-Ouest à partir de mai 1685. Partant du Béarn, elles gagnent le Languedoc et la vallée du Rhône à l’Est, puis la Saintonge au Nord.

La législation renforce l’impact des dragonnades. En août 1684, les biens des Consistoires sont transférés aux hôpitaux. En septembre 1684, un arrêt interdit aux réformés d’aider les religionnaires pauvres et malades ; les hôpitaux sont tenus par des ordres religieux. En décembre 1684, l’exercice du culte est prohibé là où il y a moins de 10 familles protestantes. En mai 1685, les réformés fugitifs encourent les galères en cas d'arrestation.

Au mois d’octobre 1685, sous prétexte que la plupart des réformés sont convertis et que l’Église réformée a presque totalement disparu, « l’hérésie » est déclarée extirpée. Il ne reste plus au roi qu’à révoquer l’édit de Nantes, symbole inutile d’un temps révolu.

La Révocation : enjeux politiques et religieux

Après mûre réflexion, le Conseil du roi se prononce en faveur de la révocation. Louvois, secrétaire d'État de la Guerre et principal artisan des Dragonnades, le Chancelier Le Tellier, le Contrôleur général des finances Le Peletier étaient favorables à la réunification religieuse du royaume. Le Grand Dauphin, lui, aurait préféré une mort lente et sans heurts.

Contre l'avis de la Marquise de Maintenon à qui l'on a prêté à tort une opinion contraire, Louis XIV révoque l’édit de Nantes, le 18 octobre 1865, décision enregistrée par le Parlement de Paris le 22 octobre. Plusieurs raisons poussent Louis XIV à révoquer l’édit de Nantes. Le roi s'en explique lui-même dans le préambule de l'édit :

« Dieu ayant enfin permis que nos peuples jouissent d’un parfait repos et que nous-mêmes, n’étant pas occupés des soins de les protéger contre nos ennemis [...] nous voyons présentement, avec la juste reconnaissance que nous devons à Dieu, que nos soins ont eu la fin que nous nous sommes proposés, puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de ladite R.P.R.("Religion Prétendument Réformée") ont embrassé la Catholique. Et d’autant qu’au moyen de ce l’exécution de l’édit de Nantes et de tout ce qui a été ordonné en faveur de ladite R.P.R. demeure inutile, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux, pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et des maux que le progrès de cette fausse religion a causés dans notre royaume et qui ont donné lieu audit édit et à tant d’autres édits et déclarations qui l’ont précédé ou ont été faits en conséquence, que de révoquer entièrement ledit édit de Nantes .[ ... ]»

La politique extérieure, les tensions avec la papauté, on peut aussi penser à l’orgueil personnel du roi de France, qui l’obligeait à ne jamais se dérober devant son devoir et ses décisions. À l’extérieur, le pape et la chrétienté avaient vu d’un très mauvais œil l’absence de la France en Autriche lors de la percée turque en Europe centrale en 1683. Le siège de Vienne et la bataille de Vienne à Kahlenberg en 1683, où les troupes impériales et ses alliés vainquirent l’armée des vizirs Köprülü, glorifiait l’empereur Léopold Ier, le duc de Lorraine Charles V et le roi de Pologne Jean III Sobieski. La France avait mal calculé les conséquences de sa non-participation à la défense des terres catholiques de l’est. Louis XIV avait toujours commercé avec les ottomans, et essayé de retenir l’appétit de l’empereur à l’est. En somme, le guerre austro-turque arrangeait les affaires de Louis XIV dans les Flandres et le Brabant. Peut-être, la Révocation comblerait-elle cette absence française en montrant sa catholicité aux princes catholiques.

Les causes de conflit avec le pape se multiplièrent dans les premières années de la décennie 1680. L’affaire de la régale gêna considérablement l’administration royale. En effet, le concordat de Bologne en 1516 avait convenu que le roi était maître des biens temporels des évêchés. Pendant les vacances de ceux-ci, il pouvait toucher leurs bénéfices. Or, le concordat ne touchait pas les évêchés annexés depuis 1516. En 1673, Louis XIV décida de régler la question en étendant le Concordat à ces diocèses avec l’assentiment du haut clergé du royaume, deux évêques seulement en appelèrent au pape. En octobre 1681, une assemblée du clergé réagit contre l’ingérence du pape Innocent XI dans les affaires françaises, une « déclaration des quatre articles de 1682 » rendue publique le 19 mars 1682 proclama alors l’indépendance du roi sur le pape et le primat du concile, le Saint Père devait respecter les coutumes et lois de l’Église de France. Ces articles sont un véritable manifeste pour l’église gallicane, revendiquant une autonomie vis-à-vis de Rome. Les sanctions papales furent immédiates : Innocent XI refusa alors d’investir les évêques nommés par le roi. Le roi dut cependant céder : les évêques étaient des relais du pouvoir central, par conséquent l’absence d’évêques dans les diocèses provoquait une rupture dans la hiérarchie et la transmission des ordres. L’affaire se régla dix ans après en 1692 : le successeur d’Innocent XI, Innocent XII apaisa les tensions avec le roi de France, les participants de l’assemblée du clergé de 1682 regrettent publiquement leur publication, Louis XIV ordonne de ne plus enseigner la déclaration des Quatre Articles. Enfin, le succès des dragonnades montra l’inéluctabilité de la conversion des réformés au catholicisme. La révocation était indispensable pour tenter un rapprochement avec le pape, redonner du prestige de la monarchie et répondre au succès des dragonnades.

L’édit de Fontainebleau : son contenu

Le Temple réformés de Caen détruit en 1685.

Le Préambule de l'Édit de révocation justifie ainsi la palinodie royale : « Le Roi Henry le Grand, notre aïeul de glorieuse mémoire, voulant empêcher que la paix qu’il avait procurée à ses sujets, après les grandes pertes qu’ils avaient souffertes par la durée des guerres civiles et étrangères, ne fut troublée à l’occasion de la Religion Prétendue Réformée, comme il était arrivé sous les règnes des Rois ses prédécesseurs, aurait par son édit donné à Nantes au mois d’avril 1598, réglé la conduite à tenir à l’égard de ceux de ladite religion, les lieux dans lesquels ils en pourraient faire l’exercice, établi des juges extraordinaires pour leur administrer la justice, et enfin pourvu même par des articles particuliers à tout ce qu’il aurait jugé nécessaire pour maintenir la tranquillité dans son royaume, et pour diminuer l’aversion entre ceux qui étaient de l’une et l’autre religion, afin d’être plus en état de travailler comme il avait résolu de faire réunir à l’Église ceux qui s’en étaient si facilement éloignés. »

L’édit de Nantes est présenté comme un compromis politique d'apaisement au sortir des guerres de religion. Selon le texte, le but d’Henri IV était de rétablir la paix publique par la résolution des rivalités religieuses du royaume. Cette politique d'unification était demeurée inchangée depuis 1598. Le fait est que le Roi ne put mener son projet à son terme et que son assassinat, survenu en 1610, fut suivi de conflits intérieurs et extérieurs empêchant ses successeurs de révoquer l’édit. Or, la paix revenue en France et la multiplication des conversions dans les dernières années, le roi peut et doit révoquer l’édit pour asseoir définitivement la pacification du royaume.

Plusieurs articles importants sont à signaler :

  • l’article 1 révoque l’édit de Nantes, et les modifications apportées au texte pour le faire accepter par les parlements ; il ordonne la destruction de tous les temples ;
  • l’article 3 interdit l’exercice du culte réformés et les écoles pour enfants protestants ;
  • les articles 4 et 5 donnent le choix aux « ministres » (pasteurs) de la conversion ou de l’exil ;
  • l’article 10 interdit aux protestants non-convertis de quitter le royaume sous peine de galères pour les hommes, de prison avec confiscation de corps et de biens pour les femmes ; les protestants émigrés sont autorisés à revenir dans le Royaume et pourront recouvrer leurs biens ;
  • l’article 12 termine l’édit royal de façon ambiguë : « Pourront au surplus lesdits de la RPR, en attendant qu’il plaise à Dieu de les éclairer comme les autres, de demeurer dans les villes et lieux de notre royaume, pays et terres de notre obéissance, y continuer leur commerce et jouir de leurs biens sans pouvoir être troublés ni empêchés sous prétexte de ladite R.P.R. à condition, comme il est dit, de ne point faire d’exercices ni de s’assembler sous prétexte de prières ou de culte de ladite religion de quelque nature qu’il soit, sous les peines (...) de confiscation de corps et de biens. »

Cet article laisse bien des historiens circonspects ou critiques. On autoriserait les protestants à rester dans le royaume à condition de ne pas s’assembler pour exercer leur culte. Cet article tranche radicalement avec les mesures restrictives décrites dans les articles précédents et leur mise en place par le pouvoir depuis le début des années 1680. Selon E. Labrousse cette clause qu’elle qualifie de « duperie » serait un moyen de modérer les réactions indignées des nations protestantes comme l’électeur palatin ou le prince électeur du Brandebourg sur la Révocation. Selon B. Hours, il faudrait rapprocher cet article des Quatre Articles de 1682, le Roi marquerait ainsi la division entre le pouvoir temporel revendiqué pour légiférer sur l’exercice du culte, et le pouvoir spirituel qui appartient à l’Église, pour marquer durablement les esprits de la foi catholique.

L’édit de révocation n’eut pas les effets escomptés sur le plan international. Innocent XI écrivit un bref très peu enthousiaste pour féliciter le roi le 16 novembre 1685 et donna un Te Deum le 30 avril 1686. En fait les tensions persistaient entre le Saint Siège et Versailles. La Cour espérait que le pape laisserait le roi exercer son droit de régale dans son royaume, mais un bref apostolique avait répondu que la récompense du roi était plus du côté de la bonté divine que de celui du Saint Siège. Les princes catholiques envoyèrent les félicitations d’usage mais ne changèrent pas leur politique à l’égard de la France, les alliés protestants français étaient gênés et les autres États protestants songeaient à attaquer la France, surtout le stathouder des Provinces-Unies, Guillaume d’Orange. Ce sont évidemment les catholiques français, et pas seulement les dévots qui approuvèrent la décision du monarque. Un concert de louanges glorifia Louis XIV à l’image de la marquise de Sévigné : « Jamais aucun roi n’a fait et ne fera rien de plus mémorable. » Bossuet, lui, célébrait Louis XIV comme le « Nouveau Constantin », le restaurateur de l’unité religieuse du Royaume.

Bilan de l’exode des huguenots

Église huguenote à Londres.

La révocation, en 1685, de l’édit de Nantes par Louis XIV, a provoqué une fuite des cerveaux sans précédent dont le royaume ne s’est pas totalement remis pendant des années. De 200 000 à 1 000 000 de huguenots, qui avaient occupé les places importantes dans la société, fuirent vers les pays protestants environnants : l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, la Norvège, le Danemark ou la Prusse.

Le refus par la couronne française de permettre à des non-catholiques de s’établir en Nouvelle-France peut contribuer à expliquer le faible taux de croissance de la population de cette colonie par rapport à celle des colonies britanniques voisines, ouvertes aux dissidents religieux. À l’époque de la guerre de Sept Ans, une importante population de souche huguenote se trouvait dans les colonies britanniques, dont un grand nombre a participé à la conquête anglaise de la Nouvelle-France en 1759-60.

En Prusse, bon nombre des descendants des huguenots, que le le Grand Électeur Frédéric-Guillaume Ier de Brandebourg avait invité à s’établir dans son royaume pour l’aider à reconstruire son pays ravagé par la guerre et sous-peuplé, se sont élevés à des postes d’importance en Prusse. Plusieurs personnalités allemandes de premier plan, intellectuel, culturel, politique et militaire de l’histoire allemande, dont l’académicien Formey, le romancier August Lafontaine, l’écrivain Friedrich de La Motte-Fouqué, le poète Theodor Fontane, le général Hermann von François ou le capitaine Lothar von Arnauld de La Perière, sont d’origine huguenote. Le dernier Premier ministre de la République démocratique allemande, Lothar de Maizière, descend aussi d’une famille huguenote. La Suisse accueillera son contingent de familles huguenotes qui s’enrichiront dans le commerce, puis dans la finance, jouant un rôle vital dans l’établissement du système bancaire suisse, et dont la célèbre famille de Pourtalès, au sujet de laquelle on parlera, au xixe siècle, de « royaume Pourtalès », représente l’un des plus éclatants exemples. De Hollande, beaucoup sont repartis pour la colonie néerlandaise du Cap, en Afrique du Sud, où les huguenots originaires de la région bordelaise ont contribué à fonder une industrie vinicole ; beaucoup d’autres suivront Pierre Minuit à la Nouvelle-Amsterdam. Aux États-Unis même, les huguenots auront beaucoup de descendants illustres comme Gabriel Duvall ou Issac Huger.

Sur le plan extérieur, la persécution des huguenots et leur fuite ont été désastreuses pour la réputation de Louis XIV à l’étranger, et prodigieusement nui aux relations diplomatiques françaises notamment avec l'Angleterre : alors que ces deux royaumes entretenaient des relations paisibles avant 1685, ils sont devenus, à partir de 1689, des ennemis acharnés enchaînant une série de guerres que certains historiens ont appelée « la Deuxième guerre de Cent Ans ».

Notes et références

  1. Bernard Pujo - Vauban - page 128

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie


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