Cochon de Juif

Cochon de Juif

Judensau

Libelle avec la Judensau de Wittenberg, 1596

La Judensau (littéralement en allemand : « Truie des Juifs ») est le terme utilisé pour désigner des motifs animaliers métaphoriques apparus au Moyen Âge dans lart chrétien anti-Juifs et dans les caricatures antisémites presque exclusivement dans les pays de langue germanique. Lutilisation du thème du cochon vise à humilier, car le porc est considéré comme un animal impur (en hébreu: Tame) et interdit à la consommation selon les lois de la cacherouth.

Les premières représentations de Truies des Juifs datent du XIIIe siècle, en Allemagne. On en retrouve actuellement près dune trentaine sous forme de sculptures ou bas-reliefs dans des églises ou des bâtiments dEurope centrale. À partir du XVe siècle, avec linvention de limprimerie, apparaissent des caricatures dans des pamphlets et des livres incendiaires. Depuis le XIXe siècle, ce terme est aussi utilisé comme injure verbale contre les Juifs. Les nazis réutiliseront ce terme en le modifiant en Saujude (qui correspond littéralement en français à « cochon de Juif ») mais qui a valeur de « sale de Juif » en les comparant à des porcs, pour calomnier, humilier et menacer les Juifs.

De nos jours, lutilisation de lexpression Judensau à légard dune personne ou en public est interdite et sanctionnée pénalement en Allemagne, Autriche et Suisse. En Allemagne, la peine peut même être aggravée en estimant quil y a eu une provocation à lagitation populaire.

Sommaire

Le thème de limage médiévale et sa réception

Antisémitisme
Fondamentaux
Affaires
Accusations de crime rituel
Divers
Persécutions
Discriminations
Violences
Publications
Publications antisémites : en France
Publications sur l'antisémitisme
Voir aussi
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Limage médiévale de la Truie des Juifs représente un cochon (généralement une truie) en contact intime avec des gens. Les figures humaines sont très identifiables et portent des indices permettant didentifier les Juifs, tels que le chapeau juif (Judenhut) ou lanneau jaune (Judenring) de lépoque. Dans la majorité des cas, les Juifs présentent un visage de porcelet et sucent les tétines de la truie. Dans dautres représentations, ils chevauchent le cochon à lenvers, avec le visage tourné vers lanus du cochon, et recevant en plein visage lurine qui gicle. Dans dautres encore, ils enlacent et embrassent le cochon.

La diffusion

Des sculptures ou images dune Truie des Juifs se trouvent dans de nombreux édifices, principalement des églises. Certaines de ces représentations sont si détériorées que le motif en est presque méconnaissable, cependant dautres viennent juste dêtre redécouvertes. Le tableau qui suit, établi par Isaiah Shachars en 1974 et dautres sources, donne la liste des principaux lieux se trouvent ces représentations, classés par ordre alphabétique.

Ville Pays Bâtiment Description
Aarschot Belgique Église Notre-Dame
Bad Wimpfen Allemagne Église collégiale Saint-Pierre Gargouille
Bamberg Allemagne Cathédrale de Bamberg
Bâle Suisse Cathédrale de Bâle Récemment retiré
Bayreuth Allemagne Église paroissiale Récemment retiré
Brandebourg-sur-la-Havel Allemagne Cathédrale Cloître
Cadolzburg Allemagne Porte du chateau
Calbe Allemagne Église Saint-Stéphane Gargouille
Colmar France Collégiale Saint-Martin Deux gargouilles
Cologne Allemagne Cathédrale
Cologne Allemagne Église Saint-Séverin Récemment retiré
Eberswalde Allemagne Église Sainte-Marie-Madeleine
Erfurt Allemagne Cathédrale
Francfort-sur-le-Main Allemagne Tour du vieux pont Nexiste plus
Freising Allemagne Cathédrale Nexiste plus
Gniezno Pologne Cathédrale
Heiligenstadt Allemagne Chapelle Sainte-Anne
Heilsbronn Allemagne Cloître
Kelheim Allemagne Pharmacie municipale Nexiste plus
Lemgo Allemagne Église Sainte-Marie
Magdebourg Allemagne Cathédrale
Metz France Cathédrale
Nuremberg Allemagne Église Saint-Sébald
Ratisbonne Allemagne Cathédrale
Salzbourg Autriche Tour de lhôtel-de-ville Nexiste plus
Spalt Allemagne Maison privée
Spalt (quartier Theilenberg) Allemagne Tour de léglise
Wiener Neustadt Autriche Anciennement maison 16 Hauptplatz,
maintenant dans un musée
Wittenberg Allemagne Église paroissiale
Uppsala Suède Cathédrale
Xanten Allemagne Cathédrale
Zerbst Allemagne Église Saint-Nicolas
Carte de la répartition de la "Judensau"
Judensau de la cathédrale Saint-Pierre de Ratisbonne (Juin 2004)
La plus vieille Judensau, sur la cathédrale de Brandebourg, chemin de croix ouest

La représentation la plus ancienne connue (aux alentours de 1230), se trouve sur le chapiteau dune colonne dans le cloître de la cathédrale de Brandebourg. Elle représente la Judensau comme un mélange entre un Juif et un cochon. Ce type de figuration ne sera plus représenté ultérieurement. Au XIIIe siècle, on trouve des exemples à Lemgo, Xanten, Eberswalde, Wimpfen et à Magdebourg. Shachar impute au XIVe siècle les motifs à Heiligenstadt, Cologne (Cathédrale), Metz, Ratisbonne, Uppsala, Gnesen, Colmar et Nordhausen. Le reste des sculptures de Judensau appartient au XVe siècle.

Aujourdhui certaines sculptures de la Truie des Juifs nexistent plus, comme celles à Freising sur la cathédrale, à Francfort-sur-le-Main, à Salzbourg sur la tour de l'Hôtel de ville et à Kelheim. Cette dernière portait la date de 1519.

Tandis que les représentations les plus âgées, se trouvaient sur des constructions religieuses, celles-ci apparaissent au XVe siècle sur des bâtiments profanes tels que lhôtel de ville de Salzbourg permettant ainsi une plus grande diffusion de leur motif.

Interprétation

Les images les plus tardives, apparues au XVe siècle peuvent être interprétées, daprès Angelika Plum, comme une première forme de caricature hostile aux Juifs, remplissant trois fonctions sociaux-psychologiques principales :

  • Livrer les Juifs à la dérision de la population, tout en faisant allusion à leurs soi-disant comportements typiques. Cela supposait déjà des préjugés anti-Juifs chez le spectateur.
  • Stabiliser ces préjugés en les limitant envers Juifs, et encourager de façon indirecte des actions contre ceux-ci.
  • Attaquer les Juifs eux-mêmes dans leur propre image religieuse de soi et les blesser intérieurement. Ces caricatures grossières représentant une intimité entre lanimal et les personnes avec fréquemment des phénomènes de sécrétions et de digestion, visaient une calomnie efficace par une aggravation extrême et symboliquement réduite du message "typique" à faire passer (Matthias Beimel). Lobscénité des images conduisait le spectateur à un sentiment de dégoût, de honte et de haine.

Ceci avait pour but de dénigrer en public les fidèles de la religion juive de façon particulièrement humiliante, et à les exclure de la communauté des humains :

  • Suivant la Torah, la consommation de la viande danimaux impurs comme le porc est interdite, de même que le lait de truie (Lévitique: 11.7).
  • Lintimité entre une personne et un animal (zoophilie) est considérée dans la Bible comme une perversion particulièrement horrible et comme un délit religieux passible de la mort (Exode: 22.18).

Pour le spectateur, limage suggérait que les Juifs en faisant ces choses repoussantes, nétaient plus des êtres humains, mais dune espèce voisine de celle du cochon. Cela leur déniait la dignité dhomme et cela provenait justement de leur religion : Dieu distingue lhomme des autres créatures qui peuvent lui servir, mais qui ne doivent pas être confondus (Genèse:1-2). En même temps, ce motif cimentait une certaine distance sociale vis-à-vis de la minorité juive. Cest pourquoi, on peut considérer ce type de caricature comme précurseur de lantisémitisme de race plus tardif.

Lorigine et le changement de sens

Le cochon symbolise dans la tradition biblique, limpureté et le péché que la personne doit combattre et surmonter, car Dieu la créé à son image. Ainsi, le Christ daprès Marc (5,1-20), chasse les mauvais esprits dune personne et les envoie dans un troupeau de cochons qui se jette dans la mer et se noie. La Deuxième épître de Pierre (2, 22), décrit la punition pour ceux qui se détournent de la foi chrétienne :

« Ce que dit le proverbe leur est arrivé: le chien remange ce qu'il a vomi et la truie se vautre après avoir fait ses besoins dans sa crotte. »

Ici, le "retour" au judaïsme est représenté comme une conduite de cochon. Ceci nest pas nouveau, car déjà, certains pères de lÉglise insultaient les Juifs et les hérétiques en les traitant de Cochons ; au IVe siècle, Jean Chrysostome dans ses huit sermons 388 sur loffice juif dans la synagogue sabaissait aussi à ce type de dénigrement[1].

Avec ladoption des vertus et défauts hellénistiques, la théologie chrétienne depuis le Ve siècle a édicté la liste des sept péchés capitaux: les deux derniers, la gourmandise (en latin: gula) et la luxure (luxuria), étaient souvent symbolisés dans les représentations figuratives par un cochon. Cela incarnait les impurs et les pécheurs, dont le ventre était rempli de saletés et qui ne laissaient à leurs descendants que des excréments. (Psaumes: 17,14)

Jusquau IXe siècle, ces péchés nétaient pas encore identifiés au judaïsme, mais seulement comparés. Raban Maur, dans son encyclopédie "De Universo" (847) mettait côte-à-côte sur la même page des Juifs et des cochons, puisque les deux sont athées, pécheurs et obscènes. Après cela, il se référait à « lauto-imprécation » dans lÉvangile selon Matthieu (27, 25): « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !. » , les Juifs, comme les cochons, étaient représentés par une allégorie, afin de mettre en garde le simple chrétien avec des images frappantes. De même les moines et les singes incarnaient le péché d'inconstantia (infidélité, instabilité).

Les sculptures dans les églises du haut Moyen Âge symbolisent la vision du christianisme triomphant régnant sur le monde, en opposition avec l'Ecclésia (l'Église) victorieuse de la Synagogue vaincue. Sur le portail sud de la cathédrale de Strasbourg, par exemple, la Synagogue est représentée par une jeune femme majestueuse, noble, parfaite et toute à l'affliction de sa défaite. Ses yeux bandés symbolisent la cécité de l'hérésie[réfnécessaire], mais en aucun cas, ne ridiculise les Juifs. Cette sculpture date des environs de 1230.

Aussi, les premières sculptures de la Truie des Juifs du XIIIe siècle, présentaient bien les Juifs de façon négative, certes, mais ne se moquaient nullement du judaïsme: Les Juifs étaient seulement pris comme exemples pour représenter tous les pécheurs[2]. Mais déjà la première représentation de la Truie des Juifs (autour de 1230) conduisait à lamalgame du Juif et de la truie. Elle vient de l'époque le "rejet" du judaïsme constituait un ciment socio-politique. Le IVe concile du Latran (1215) met en place une ghettoisation des communautés juives médiévales et une discrimination entre autres d'ordre vestimentaire.

À partir de cette date, le judaïsme est de plus en plus dévalué, comme une religion dépravée, sale et ridicule. Cela saperçoit sur les motifs des Judensau ultérieurs. Sur les stalles de la cathédrale dErfurt, le conflit des religions est représenté comme un tournoi (début du XVe siècle). Pendant que lÉglise chevauche sur son cheval, la synagogue est assise sur un cochon. À Aarschot dans les Flandres belges, un chapiteau de colonne explique le motif : « Ici, chevauche un Juif sur un bouc ». Le bouc étant le symbole du diable, on dépasse maintenant la simple dérision satirique.

Judensau dans laile sud-est de léglise paroissiale de Wittenberg

Le bas-relief de la Truie des Juifs de léglise paroissiale de Wittenberg (vers 1440) représente une image ostensiblement "perverse", qui devait provoquer de laversion et de lécœurement. Le juif apparaissait maintenant comme une créature immonde. En outre, une inscription en hébreu : « Schem Hamphoras » (le Nom explicite), mettait en relation le nom de Dieu avec un animal impur pour les Juifs. Cela correspond pour les Juifs à un monstrueux blasphème, et montre de façon évidente, que vers la fin du Moyen Âge lopposition originale de lÉglise et de la Synagogue sest transformée dans tous les milieux sociaux en un mépris total du judaïsme en tant que tel.

Dès 1517, Martin Luther prononce ses sermons, à l'origine de la Réforme, dans léglise du château de Wittenberg. Son libelle antijudaïque de 1546, porte dailleurs comme titre Schem Hamphoras comme lindication marquée sur le bas-relief[3].


« Derrière la truie, se trouve un rabbin qui soulève la patte droite de la truie, se dresse derrière la truie, se penche et regarde avec grand effort le Talmud sous la truie, comme s'il voulait lire et voir quelque chose de très difficile et d'exceptionnel. »

Luther en positionnant le Talmud sous la truie, se moque de lexégèse rabbinique et de la foi juive en la considérant comme ridicule et sale ; ainsi, il exclut tout dialogue idéologique imaginable avec les Juifs ainsi que la reconnaissance de leur tradition indépendante.

Gravure sur cuivre (XVIIIe siècle) ; la Judensau de Francfort

La Judensau de Francfort est particulièrement provocatrice. Elle faisait partie des peintures murales datant de 1475 qui se trouvaient sur la tour du vieux pont de Francfort-sur-le-Main près de la Judengasse (ruelle aux Juifs). Elle est restée une des attractions touristiques de la ville jusqu'à la destruction de la tour du pont en 1801. Elle représentait un rabbin qui chevauchait à l'envers une truie, un jeune Juif sous le ventre de la truie et suçant les tétines, un autre vers l'anus ou la vulve et aspirant ; derrière se trouvait le Diable et une Juive chevauchant un bouc (symbole du Diable). Au dessus, le cadavre mutilé de Simon de Trente, victime supposée dun meurtre rituel attribué aux Juifs. Une phrase expliquait:


« Aspire le lait, mange la crotte,
C'est votre meilleure nourriture »

Cela devait souligner que les Juifs nétaient pas des créatures normales, et quils se trouvaient plus proches des animaux et du diable que des êtres humains. Le lien fait avec le meurtre rituel ne pouvait qu'attiser les pogroms[4]. Cette représentation était largement répandue grâce à des gravures sur bois ou des estampes, présentant parfois quelques variantes, dont plusieurs ont pu être conservées. Sur les imprimés, le diable a le plus souvent la physionomie attribuée aux Juifs et porte lanneau jaune.

Début des temps modernes: les documents imprimés

Représentation dans un livre xylographique du XVe siècle

Avec linvention de limprimerie, on trouve des caricatures de Truie des Juifs dans de nombreux livres et pamphlets, surtout de la période de la Réforme. Au XVIe siècle, des médailles se moquant des Juifs, avec le même type de motif, font aussi leur apparition.

La Judensau est si populaire quil existe même une pièce de théâtre pour le mardi gras, de Hans Folz, datant du XVe siècle. Dans cette pièce, Ein spil von dem herzogen von Burgland (Une pièce du duc du château), il est recommandé à la fin, de trouver une peine pour les Juifs[5].

« Je dit, avant toute chose, que l'homme
La plus grosse cochonne se pavane
En dessous il se blottit
Et aspire ses tétines avec bruit
Leur Messie est étendu sous la queue »

Lassociation des Juifs avec la truie et le diable est aussi transmise par les images caricaturales qui circulent on les voie avec des oreilles de cochon, des pieds de bouc et des cornes. Un pamphlet anti-Juifs de 1571 montre la figure des Juifs recouverte dune capuche jaune, avec le corps repoussant, des griffes comme les griffes du diable, des pattes doie, le visage dun cochon avec des cornes et des bois. Lun dentre eux, un jongleur avec une cornemuse, est à cheval sur une truie qui mange ses excréments [6].

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les représentations des Judensau de Wittenberg et de Francfort étaient particulièrement populaires. Elles étaient représentées dans de nombreux livres et servaient à la propagande anti-juive. On retrouve encore au XIXe siècle certaines représentations, principalement dans des séries d'images imprimées, les Juifs sont associés à des cochons.

Le motif de la Judensau dans la propagande antisémite

Judensau dans un livre antisémite de 1822

Au XIXe siècle, la propagande anti-juive suppose que lassociation entre Juifs et cochons est, grâce aux images imprimées, déjà fortement implantée dans lesprit du peuple. Dans lEmpire allemand, la tradition des caricatures antisémites dans le contexte de lémancipation des Juifs (1870-1890), se renforce.

À cette époque, linsulte verbale de la Truie des Juifs est usuelle, et lexpression existe dans la littérature traitant du Moyen Âge. Le dictionnaire allemand des frères Grimm de 1877, ne contient cependant pas ce mot composé.

Depuis la révolution de novembre 1918, la droite nationaliste utilisait cette expression pour dénoncer les criminels de novembre. Ainsi, vers les années 1920, une chanson à boire des nationalistes allemands attaquait le ministre des affaires étrangères de la République de Weimar:

« Faites claquer les fusils - tak, tak, tak
Sur la racaille noire et rouge.
Aussi Rathenau, le Walther,
Ne vivra pas très vieux,
Flinguez le Walther Rathenau,
La maudite Truie des Juifs![7] »

Cet appel au meurtre sera entendue et Rathenau sera assassiné en 1922 dans la rue.

Les nazis vont aussi avoir recours à ce thème. Depuis le Moyen Âge, ce motif est fortement ancré dans limaginaire populaire comme stéréotype antisémite, et servira de préparation idéologique de la Shoah. Le journal Der Stürmer continue depuis 1923 la tradition des caricatures antisémites. Il associe les motifs religieux juifs à des motifs pornographiques et racistes et relie, en invoquant lhistoire de lÉglise, la Truie des Juifs à des meurtres rituels, aux vampires et à Satan.

Ces caricatures représentent les Juifs avec des dents obliques, des griffes d'animaux, les bords de la bouche dégoulinants et un regard avide qui séduisait et "empoisonnait" les groupes de jeunes filles blondes. Le thème, maintenant, combat non seulement le mélange de races, mais aussi les attaques contre la race aryenne. Dans une caricature du Stürmer de 1934, le motif de la Truie des Juifs symbolise le pouvoir prétendu des Juifs sur les média. La truie transpercée par une fourche à fumier, porte l'inscription: Maison d'édition de littérature juive. La légende de l'image est: « Bien que la truie soit morte, on doit encore faire crever ses porcelets». Les porcelets sont représentés sous les traits d'Albert Einstein, Magnus Hirschfeld, Alfred Kerr, Thomas Mann et Erich Maria Remarque[8].

Les événements dactualité étaient présentés de façon caricaturale afin de montrer que le caractère typique et durable des Juifs provenait de leur race, de leur religion et de leur culture. À la différence des images du XIXe siècle dont lintention était par la moquerie dencourager une certaine mise à lécart de la population juive, les nouvelles caricatures politiques sattaquent à une minorité opprimée présentée aux lecteurs comme parfaitement exécrable. Cela ne permettait en rien de clarifier des rapports politiques complexes, mais était uniquement axé sur la recherche dun bouc émissaire.

Dans le contexte de la persécution systématique des Juifs, à partir du boycott des commerces et établissements juifs (1er avril 1933), se développe une propagande incendiaire dont les effets seront historiquement sans précédent. Depuis les lois de Nuremberg de 1935, sur la protection de la pureté du sang allemand, les rapports sexuels sont strictement interdits entre les allemands non-juifs et les Juifs. Les partenaires mâles encourent des peines de prison, tandis que les femmes non juives, ayant couché avec un Juif, sont accusées de mélange des races, humiliées et traînées en public avec une pancarte autour du cou portant linscription putain des juifs[9]:

« Je suis la plus grosse cochonne de lendroit, et je ne couche quavec des Juifs »

L'actualité de l'insulte

Judensau ornant la façade occidentale de la cathédrale de Colmar en Alsace.

En raison du contexte historique passé, les insultes Judensau (la Truie des Juifs) et Saujude (cochon de Juif) sont considérées aujourdhui comme une offense incontestable. Pourtant ce type dexpression peut encore sentendre de nos jours dans les stades de football, à lencontre de sportifs ou arbitres juifs ou israéliens. Cette insulte doit être considérée, non seulement comme une insulte habituelle xénophobe, comme sa variante Truie des Turcs, mais comme un moyen précis de déshumanisation des Juifs.

Depuis le début des années 1990, des attaques contre les personnes dorigine juive ont augmenté en Allemagne. Dautres délits ont été commis contre les biens juifs, comme la profanation de tombes ou de mémoriaux. De même la tombe sont enterrés Bertolt Brecht et sa femme, Hélène Weigel, qui était dorigine juive, a été recouverte de l'inscription Cochon de Juif en 1989, peu de temps après la chute du mur de Berlin.

Dans la nuit du 20 avril 1992, jour anniversaire de la naissance dHitler, des néonazis jettent une moitié de tête de cochon dans le jardin de la synagogue dErfurt. Ce geste est répété le 20 juillet 1992 par le néonazi Thomas Dienel et trois skinheads avec deux moitiés de tête de cochon, après le décès de Heinz Galinski, président du Comité Central des Juifs d'Allemagne. Le message joint indiquait : « Enfin ce cochon de Galinski est mort. Encore plus de Juifs doivent mourir »[10]. En octobre 1993, le mémorial de la déportation des Juifs, situé à Berlin Grunewald, est souillé avec des têtes de cochons. En octobre 1998, des néonazis lâchent sur lAlexanderplatz de Berlin, un porcelet avec une étoile de David et le nom dIgnatz Bubis, président de la communauté juive dAllemagne, peints dessus.

Cette forme doutrage nest pas uniquement dirigée vers les représentants de la communauté juive en Allemagne, mais contre tous les Juifs. Lintention est dinsulter collectivement les Juifs ("Tous les Juifs sont des cochons/truies") dans le but de provoquer une agitation populaire. Pour dédramatiser cela, Meir Mendelssohn, un artiste israélien provocateur connu, accusé davoir souillé la tombe dIgnatz Bubis en Israël, avait invité le 22 novembre 1999, le public dans le cadre d'une soirée théâtrale organisée par Christoph Schlingensief au Volksbühne Berlin:

« ... dire le mot Judensau, est tout à fait normal, tout à fait naturel. »

De même, les antisémites islamistes, traitent souvent les juifs de singes et de cochons. Pour cela, ils se réfèrent aux passages du Coran (Sourates 2,64-67; 5,61; 7,161-167), d'après lesquels Allah aurait transformés les Juifs blasphémant en singes et cochons. L'interprétation exacte de ces vers est contestable.

Savoir sil y a un lien entre cette interprétation du Coran et la Truie des Juifs dEurope nest aucunement établi. Mais aujourdhui, certains musulmans dAllemagne, reprennent évidemment les insultes Judensau et Judenschwein.

Que faire des représentations de Judensau historiques ?

La question se pose de savoir sil faut retirer les représentations des Judensau historiques ou les conserver en place comme témoignage dune époque. Actuellement les historiens et les administrateurs des monuments historiques argumentent sil faut conserver dans leur contexte architectural des motifs extraordinairement choquants, des critiques voient dans leur maintien une sensibilité déficiente à légard de lantisémitisme. Déjà en 1945, après la fin de la guerre, la représentation située sur la pharmacie municipale de Kelheim avait été retirée, probablement sur instruction dun officier de larmée américaine.

Mémorial pour les Juifs dans laile sud de léglise paroissiale de Wittenberg

En 1988, le sculpteur Wieland Schmiedel de Crivitz dans le Mecklembourg-Schwerin, recevait la commande du consistoire de léglise paroissiale de Wittenberg pour la réalisation d'une plaque commémorative placée au sol, en dessous du bas-relief de la Judensau, afin dattirer lattention des visiteurs sur les conséquences historiques de lantisémitisme : "La Shoah". Elle se présente sous la forme de barbelés en forme de croix, encerclant une Bible, sur laquelle on peut lire le psaume (130,1) en hébreu: « Du fond de labîme je tinvoque, ô Éternel ». Une phrase de lécrivain berlinois Jürgen Rennert est inscrite autour de la plaque :

« Le nom propre de Dieu, le Schem Hamphoras injurié, que les Juifs sanctifiaient de façon presque indicible pour les chrétiens, est mort dans les six millions de Juifs, sous un signe de croix. »

Le 24 avril 1990, l'Église Évangélique de Berlin-Brandebourg émettait de sa propre initiative une clarification synodale et recommandait:

« Si les œuvres d'art restent en place, le spectateur devra avoir l'attention attirée par des explications […] sur les fautes et les égarements de l'Église et être instruit de sa nouvelle position. »

Jusquà maintenant, seules quelques plaques explicatrices étaient placées dans certaines églises. Ceci ne pouvait suffire pour certains combattants contre l'antijudaïsme et l'antisémitisme, qui demandaient que les représentations soient purement et simplement retirées de la vue. Ainsi a eu lieu à Cologne en 2002 une campagne de protestation l'artiste activiste Wolfram Kastner, affirmait que le motif de la Judensau de la cathédrale représentait « le cas typique de création dimages de violence dans nos têtes ».

De même Kastner en 2005, à Ratisbonne attaque les responsables d'un document éducatif représentant la sculpture de la cathédrale, dailleurs fortement érodée. Ce document avait fait lobjet d'un consensus entre le diocèse de Ratisbonne, le Ministère de lÉducation et de la Culture et la communauté israélite de Bavière.

Ce document indiquait:

« La sculpture doit être considérée comme le témoignage en pierre d'une époque passée et doit être vue en rapport avec son temps; Elle est répugnante pour un spectateur d'aujourd'hui, dans son expression anti-juive. »

Un contre-projet de Kastner qui appuyait sur la complicité des chrétiens a été refusé par les représentants de lÉglise.

À Bayreuth, en 2005, lÉglise protestante a apposé une plaque avec linscription :

« La sculpture antisémite en pierre de ce pilier est devenu méconnaissable. Que soit passée pour toujours l'hostilité au judaïsme.  »

Sources

  1. (de) Petra Schöner, Judenbilder S189ff
  2. (de) Isaiah Shachar, „The JudensauS22f
  3. (de) Weimarer Ausgabe; Bd53, S600ff; Impression originale du Schem Hamphoras de Luther, texte complet
  4. (de) Wilfried Schouwink, Der wilde Eber in Gottes Weinberg S88
  5. (de) daprès Petra Schöner, a.a.O. S. 197
  6. (de) Stefan Rohrbacher, Michael Schmidt, Judenbilder S. 160
  7. (de): Ernst Toller| Eine Jugend in Deutschland, Amsterdam 1933, S. 266
  8. (de) Interfoto Bild-Nr. 00209619
  9. (de) Der Spiegel (13. Oktober 2006): Judenschmähung im Nazi-Reich - Mit Schildern alsRassenschändergebrandmarkt
  10. (de) Juliane Wetzel: Antisemitismus als Element rechtsextremer Ideologie und Propaganda. In: Wolfgang Benz (Hrsg.): Antisemitismus in Deutschland. Zur Aktualität eines Vorurteils. dtv, Munich 1995, ISBN 3-423-04648-1, S. 106
  • (de) Cet article est partiellement ou en totalité issu dune traduction de larticle de Wikipédia en allemand intitulé « Judensau ».

Littérature

  • (en) Isaiah Shachar: The Judensau. A Medieval Anti-Jewish Motif and its History. Warburg Institute, London 1974. ISBN 0854810498 (pour une recherche monographique complète)
  • (de) Matthias Beimel: Die Karikatur als Ersatzhandlung. Antisemitismus in der NS-Propaganda und ihre Vorbilder. In: Geschichte lernen. Friedrich, Velber 3.1990, 18, S. 28-33. (ISSN 0933-3096)
  • (de) Bernhard Blumenkranz: Juden und Judentum in der mittelalterlichen Kunst. Kohlhammer 1965.
  • (fr) Bernhard Blumenkranz, *Juifs et chrétiens dans le monde occidental (430-1096), Paris-Louvain, Peeters, 2006
  • (de) Thomas Bruinier: Die ‚Judensau‘. Zu einem Symbol des Judenhasses und seiner Geschichte. in: Forum Religion. Kreuz-Verlag Breitsohl, Stuttgart 1995, 4, S. 415. (ISSN 0343-7744)
  • (de) Eduard Fuchs: Die Juden in der Karikatur. Ein Beitrag zur Kulturgeschichte. München 1921, Guhl, Berlin 1985 (Nachdr.). ISBN 3-88220-409-5
  • (de) Petra Schöner: Judenbilder im deutschen Einblattdruck der Renaissance. Ein Beitrag zur Imagologie. Valentin Koerner, Baden-Baden 2002, S. 189-208. ISBN 3873204428 (Rezension)
  • (de) Angelika Plum: Die Karikatur im Spannungsfeld von Kunstgeschichte und Politikwissenschaft. Eine ikonologische Untersuchung zu Feindbildern in Karikaturen. Berichte aus der Kunstgeschichte. Shaker, Aachen 1998). ISBN 3-8265-4159-6
  • (de) Stefan Rohrbacher, Michael Schmidt: Judenbilder. Kulturgeschichte antijüdischer Mythen und antisemitischer Vorurteile. Rowohlt, Reinbek 1991. ISBN 3-499-55498-4
  • (de) Julius H. Schoeps, Joachim Schlör (Hrsg.): Bilder der Judenfeindschaft. Antisemitismus, Vorurteile und Mythen. Bechtermünz, Augsburg 1999. ISBN 3-8289-0734-2
  • (de) Wilfried Schouwink: Der wilde Eber in Gottes Weinberg. Zur Darstellung des Schweins in Literatur und Kunst des Mittelalters. Thorbecke, Sigmaringen 1985, S. 7588. ISBN 3799540164
  • (de) Heinz Schreckenberg: Die Juden in der Kunst Europas. Ein historischer Bildatlas. Vandenhoeck und Ruprecht, Göttingen 2002, S. 343349 („Das ‚Judensau‘-Motiv“). ISBN 3525633629

Sites Web

Chroniques récentes: 2004-2005

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