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Norbert Elias Naissance 22 juin 1897
Breslau, AllemagneDécès 1er août 1990 (à 93 ans)
Amsterdam, Pays-BasNationalité Allemand Profession sociologue Formation Université d'Heidelberg Norbert Elias est un écrivain et sociologue allemand, né le 22 juin 1897 à Breslau, mort le 1er août 1990 à Amsterdam. Il est l'auteur d'un ouvrage majeur de sociologie historique, Sur le processus de civilisation, paru, en France, en deux volumes, La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident.
Sommaire
Biographie
Fils unique de Hermann et Sophie Elias, Norbert Elias naît en Allemagne à Breslau, ville aujourd'hui polonaise (Wroclaw). Il est issu d'une famille de commerçants juifs aisés et particulièrement intéressés par la psychanalyse. De 1907 à 1915, il est élève au Johannes-Gymnasium de Breslau[1].
Mobilisé durant la Première Guerre mondiale en 1915, il passe une période de six mois sur le front oriental, où il est affecté dans le service très risqué des transmissions[1]. Puis, il est déplacé sur le front de l'ouest, « probablement en septembre 1916 lors de ce qu'on a appelé la seconde bataille de la Somme »[2]. Après près d'un an d'expérience douloureuse du combat, il revient dans sa ville et exerce le métier d'aide-infirmier pour blessés de guerre, tout en entamant dès 1918 ses études de médecine à l'université de Breslau. Il entreprend parallèlement des études de philosophie (universités de Breslau, Heidelberg, où il se forme à la sociologie allemande, et Fribourg). La psychanalyse freudienne est alors en plein essor. Disciple, en 1930 il devient l'assistant de Karl Mannheim à l'Institut für Sozialforschung de Francfort. Tout en se distanciant ensuite du mouvement des psychanalystes, il reconnaîtra sa dette envers Freud qui avait proposé: le modèle le plus clair et le plus avancé de la personne humaine[3]. Il abandonne ses études de médecine dès le premier semestre[1].
En 1924, Elias obtient son doctorat de philosophie avec une thèse intitulée Idee und Individuum. Eine kritische Untersuchung zum Begriff der Geschichte. De 1925 à 1930, il passe son habilitation auprès d'Alfred Weber. Il participe en 1929 comme auditeur au deuxième cours universitaire de Davos, avec de nombreux autres intellectuels français et allemands. À partir de 1930, il est assistant de Karl Mannheim à l'université de Francfort sur le Main. L'arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes en 1933 va mettre un coup d'arrêt à ses études. Son mémoire d'habilitation portant sur la société de cour est interdit de soutenance[1]. Fuyant l'Allemagne nazie, il s'exile en 1933 en Suisse, puis à Paris, où il essaie en vain de trouver un poste. Ami d'Alexandre Koyré, le grand spécialiste de l'histoire des idées, il finit par s'établir à Londres en 1935 où il se consacre à la rédaction de son livre Sur le processus de civilisation[4]. Sa mère est arrêtée et déportée à Auschwitz où elle meurt probablement en 1941.
Commence alors une longue carrière d'enseignant en Angleterre où il demeure - exception faite d'un séjour au Ghana de 1962 à 1964 - jusqu'à sa retraite. De 1945 à 1954, il commence par donner des cours particuliers à la London School of Economics. Il obtient en 1954 un poste d'enseignant à l'université de Leicester[4] et devient en 1956, à 59 ans, professeur de sociologie.
Il s'installe en 1975 à Amsterdam et devient peu à peu célèbre grâce à l'édition de poche de son œuvre sur le processus de civilisation. Deux ans plus tard, il reçoit le Prix Theodor-W.-Adorno. De 1979 à 1984, il exerce au Centre de recherche interdisciplinaire de l'université de Bielefeld. Après avoir publié d'autres recherches comme ses Études sur les Allemands, il meurt le 1er août 1990 à Amsterdam.
Idées
Sa thèse sur la société de cour, rédigée en 1933 (mais jamais soutenue), tout comme son premier ouvrage, Sur le processus de civilisation, paru en allemand, à Bâle, en 1939, ne connaissent une large diffusion qu'à partir de 1969, après leur réédition en Allemagne. Ce livre, en double-volet, a été traduit en français dans les années suivantes, recevant alors un accueil très positif de la part des historiens, probablement parce qu'il coïncide avec les thèses de la nouvelle histoire, dite « des Annales », qui s'opposent à "l'histoire événementielle". Sa réception a été plus lente dans le champ de la sociologie. L'une des thèses fondamentales d'Elias porte sur ce qu'il considère comme une opposition de perspective entre l'histoire et la sociologie, et vise à réconcilier ces deux points de vue. Cette thèse est directement liée à son refus d'opposer l'individu et la société, considérant à l'inverse que le processus d'individualisation a historiquement été lié à un processus de socialisation.
Connu en France pour ses travaux sur le « processus de civilisation » en Occident, ce sociologue pionnier de la vision constructiviste a cherché dans ses travaux à dépasser la traditionnelle opposition entre individu et société. Les individus interdépendants forment la société qui n'est donc pas extérieure à eux : la société n'est pas le simple agrégat des unités individuelles (individualisme méthodologique) ni un ensemble indépendant des actions individuelles (holisme).
La notion d'interdépendance est au cœur même de la théorie d'Élias. Il l'explique ainsi :
« Comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contre-coup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur » [5]
Norbert Elias nomme les formes spécifiques d'interdépendance entre individus « configuration » ; ces configurations peuvent être de taille variable de la plus petite forme de relation à celle de la taille des relations internationales. La complexité et la longueur des chaînes de relations permettent de différencier ces interdépendances. La notion d'interdépendance est par ailleurs reliée à celle de pouvoir : il envisage le pouvoir comme un déséquilibre dans les interdépendances: si je suis plus dépendant de l'autre que l'autre ne l'est de moi, il a alors un pouvoir sur moi. L'interdépendance des individus joue aussi sur leur personnalité en leur imposant des réseaux préexistant à lui qui laisseront leur empreinte dans l'habitus de l'individu.
Norbert Elias nous met en garde contre les définitions a priori des notions de micro et macro-social : ce sont des notions relatives: une relation nationale sera micro par rapport à une relation internationale mais macro par rapport à un jeu de 4…Il rejette par ailleurs la vision évolutionniste de l'histoire: les évolutionnistes voient l'histoire comme unidirectionnelle et unidimensionnelle; pour lui l'histoire est la somme des projets sans projet et des finalités sans finalité que les individus ont apporté au fil du temps.
Enfin, le processus (ou procès) de civilisation consiste en une médiation des pulsions, en leur canalisation par des dispositifs normatifs qui interdisent l'expression des émotions notamment violentes. Cette thèse est proche des idées que Freud exprime dans Malaise dans la civilisation. Ce processus est compris par Norbert Elias comme un effet de la "curialisation", c'est-à-dire de l'extension des pratiques de la cour à l'ensemble de la société : la cour, en particulier le Versailles de Louis XIV, qui était le modèle des cours européennes à l'époque classique, imposait en effet à ses membres une pacification des mœurs (dont l'interdiction du duel est le symbole), un contrôle de soi extrême, en particulier sur les pulsions agressives, ce contrôle de soi débouchant sur une distanciation intellectuelle par rapport aux conduites (ne rien laisser paraître, affecter l'indifférence) et sur l'importance nouvelle donnée à la parole et à un langage "noble", "raffiné", "distingué" (dont la préciosité est une forme caricaturale). La "société de cour" a ainsi favorisé la réflexion sur soi, en particulier sur les pulsions et les émotions contraintes et refoulées, réflexion d'analyse psychologique dont des écrivains comme La Rochefoucauld (Réflexions ou sentences et maximes morales) ou Saint-Simon sont des représentants exemplaires. Au XIXe siècle, le processus de civilisation s'étendra à la bourgeoisie puis aux classes populaires.
Sur le processus de civilisation
Article détaillé : Sur le processus de civilisation.Ce livre publié en 1939, est paru, dans sa traduction française, en deux volumes : La civilisation des mœurs (1973), et La dynamique de l'occident (1977). Elias y analyse la civilisation occidentale comme le produit d'un processus séculaire de maîtrise des instincts, d'apprivoisement des désirs et de domestication des pulsions humaines les plus profondes. Il considère que l'organisation sociale des cours royales a joué un rôle majeur dans cette lente évolution.
L'ouvrage de Hans Peter Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation [6], a remis en cause les thèses de Norbert Élias, réfutant l'idée de civilisations anciennes dépourvues d'un système normatif moral complexe et élaboré.
Citations
« La mort ne recèle aucun mystère. Elle n'ouvre aucune porte. Elle est la fin d'un être humain. » [réf. nécessaire]
« L'individu humain n'est pas un commencement, et ses relations avec les autres n'ont pas de commencement. De même que dans une conversation ininterrompue les questions de l'un entraînent les réponses de l'autre et vice versa, et de même que chaque élément de la conversation n'est issu ni de l'un ni de l'autre des interlocuteurs pris isolément, mais naît précisément du rapport entre les deux et veut être compris ainsi, de même chaque geste, chaque comportement du nourrisson n'est ni le produit de son « intériorité » ni le produit d'un « environnement », ou le produit d'une interaction entre son « intériorité » et son « environnement » qui existeraient à l'origine séparément l'une de l'autre; chaque geste du mouvement est fonction et répercussion de relations – comme la forme du fil à l'intérieur d'un filet – ne pouvant s'expliquer que dans l'ensemble du réseau. » – La Société des individus, 3. (p.71 de l'édition Pocket)
« La société n'est pas seulement le facteur de caractérisation et d'uniformisation, elle est aussi le facteur d'individualisation. » – La Société des individus, 6. (p.103 de l'édition Pocket)
Bibliographie en langue française
On trouve en français :
- Sur le processus de civilisation, deux parties traduites et publiées séparément :
- La Civilisation des mœurs, 1974, en poche Pocket
- La Dynamique de l’Occident, 1975, en poche Pocket
- "La Société de cour (texte intégral)" et "Sociologie et histoire (inédit en français)", Flammarion, 2008, en poche collection Champs ISBN 978-2-08-121802-4
- Qu'est-ce que la sociologie ?, 1970, en poche Pocket
- La Société des individus, Fayard, 1991, en poche Pocket
- Sport et civilisation : La violence maîtrisée , Fayard, 1994 (avec Eric Dunning)
- Engagement et distanciation - Contribution à la sociologie de la connaissance, 1983
- Mozart - Sociologie d'un génie, Seuil, 1991, inachevé
- Du temps, Fayard, 1997
- Logiques de l'exclusion, 2001, en poche Pocket
- Norbert Elias par lui-même, 1995, en poche Pocket
- La solitude des mourants, Bourgois, 1998
- Ecrits sur l'art africain, Editions Kimé, 2002 (traduction de J.-B. Ouédraogo et F. Armengaud).
- Les Champs de Mars, genèse de la profession de marin, La Documentation française, 2003
- Au-delà de Freud : Sociologie, psychologie, psychanalyse, Ed.: Editions La Découverte, 2010, Coll.: Textes à l'appui, (ISBN 2707157600)
Commentaires
- Alain Garrigou et Bernard Lacroix (sous la direction de) Norbert Elias, la politique et l'histoire, La Découverte, 1997
- (en) Robert van Krieken, Norbert Elias, Routledge, 1998
- Nathalie Heinich, La Sociologie de Norbert Elias, La Découverte, 2002
- Sabine Delzesceaux, Norbert Elias, une sociologie des processus, 2002
- Francois Lartillot (coord.), Norbert Elias : Etudes sur les allemands. Lectures d'une oeuvre, 2009, L'Harmattan
Bibliographie chronologique en langue allemande
- 1939: Über den Prozeß der Zivilisation. Soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen. Erster Band. Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes and Zweiter Band. Wandlungen der Gesellschaft. Entwurf einer Theorie der Zivilisation. Basel: Verlag Haus zum Falken. (Published in English as The Civilizing Process, Vol.I. The History of Manners, Oxford: Blackwell, 1969, and The Civilizing Process, Vol.II. State Formation and Civilization, Oxford: Blackwell, 1982).
- 1965 (with John L. Scotson): The Established and the Outsiders. A Sociological Enquiry into Community Problems, London: Frank Cass & Co. (Originally published in English.)
- 1969: Die höfische Gesellschaft. Untersuchungen zur Soziologie des Königtums und der höfischen Aristokratie (based on the 1933 habilitation). Neuwied/Berlin: Luchterhand. (Published in English as The Court Society, Oxford: Blackwell, 1983).
- 1970: Was ist Soziologie?. München: Juventa. (Published in English as What is Sociology?, London: Hutchinson, 1978).
- 1982: Über die Einsamkeit der Sterbenden in unseren Tagen, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as The Loneliness of the Dying, Oxford: Blackwell, 1985).
- 1982 (edited with Herminio Martins and Richard Whitley): Scientific Establishments and Hierarchies. Sociology of the Sciences Yearbook 1982, Dordrecht: Reidel.
- 1983: Engagement und Distanzierung. Arbeiten zur Wissenssoziologie I, edited by Michael Schröter, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as Involvement and Detachment. Contributions to the Sociology of Knowledge, Oxford: Blackwell, 1987.)
- 1984: Über die Zeit. Arbeiten zur Wissenssoziologie II, edited by Michael Schröter, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as Time. An Essay, Oxford: Blackwell, 1991).
- 1985: Humana conditio. Betrachtungen zur Entwicklung der Menschheit am 40. Jahrestag eines Kriegsendes (8. Mai 1985), Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Not available in English).
- 1986 (with Eric Dunning): Quest for Excitement. Sport and Leisure in the Civilizing Process. Oxford: Blackwell.
- 1987: Die Gesellschaft der Individuen, edited by Michael Schröter, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Original 1939, published in English as The Society of Individuals, Oxford: Blackwell, 1991).
- 1987: Los der Menschen. Gedichte, Nachdichtungen, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Poetry, not available in English).
- 1989: Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, edited by Michael Schröter, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as The Germans. Power struggles and the development of habitus in the 19th and 20th centuries, Cambridge: Polity Press 1996.)
- 1990: Über sich selbst, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as Reflections on a life, Cambridge: Polity Press, 1994).
- 1991: Mozart. Zur Soziologie eines Genies, edited by Michael Schröter, Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Published in English as Mozart. Portrait of a Genius, Cambridge: Polity Press, 1993).
- 1991: The Symbol Theory. London: Sage. (Originally published in English.)
- 1996: Die Ballade vom armen Jakob, Frankfurt am Main: Insel Verlag (Drama, not available in English).
- 1998: Watteaus Pilgerfahrt zur Insel der Liebe, Weitra (Austria): Bibliothek der Provinz (Not available in English).
- 1998: The Norbert Elias Reader: A Biographical Selection, edited by Johan Goudsblom and Stephen Mennell, Oxford: Blackwell.
- 1999: Zeugen des Jahrhunderts. Norbert Elias im Gespräch mit Hans Christian Huf, edited by Wolfgang Homering, Berlin: Ullstein. (Interview, not available in English).
- 2002: Frühschriften. Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Early writings, not available in English.)
- 2004: Gedichte und Sprüche. Frankfurt am Main: Suhrkamp. (Translations of poems in English and French).
Voir aussi
Liens internes
Liens externes
Références
- Ralf Baumgart/Volker Eichener, Norbert Elias zur Einführung, Junius, 1991, p.183.
- Stéphane Audoin-Rouzeau, Combattre, Ed. Seuil, 2008, pp. 45-46.
- Freud : Sociologie, psychologie, psychanalyse, Ed.: Editions La Découverte, 2010, Coll.: Textes à l'appui, (ISBN 2707157600) Elias: Au-delà de
- Ralf Baumgart/Volker Eichener, op. cit., p.184.
- Elias, La Société de cour, p. 152-153.
- Hans Peter Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation, Paris, Maison des sciences de l'Homme, 1998, 472 pages.
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- Sur le processus de civilisation, deux parties traduites et publiées séparément :
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