Malaise Dans La Civilisation

Malaise Dans La Civilisation

Malaise dans la civilisation

Le Malaise dans la civilisation, est un livre écrit par Sigmund Freud et datant de l'été 1929. Il est également traduit par Le malaise dans la culture. Cet article se structure en trois résumés de longueur croissante.

En quelques mots :

  • La culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel, car la vie en commun suppose une restriction de la liberté individuelle.
  • Le respect des exigences sociales est assuré par le père puis par le surmoi (père intériorisé, faculté à s’auto-contraindre, conscience morale). La tension entre le moi (principe de plaisir) et le surmoi (principe de réalité), entre l’égoïsme (amour de soi) et l’altruisme (amour d’autrui), est source du sentiment de culpabilité et de la conscience morale.
  • Ces exigences sociales se manifestent dans la morale et la religion : ces discours tentent de légitimer et d’assurer le renoncement au plaisir égoïste.

Sommaire

Résumé court

Origine du besoin religieux

  • L’origine du besoin religieux n’est pas dans le sentiment océanique (sentiment de « faire un avec le monde ») mais dans les sentiments de désaide (Hilflosigkeit) infantile et de désirance pour le père, remplacés plus tard par l’angoisse devant la puissance du destin.


But de la vie et action humaine

  • L’idée d’une finalité de la vie se maintient et s’effondre en même temps que le système religieux.
  • La souffrance menace de 3 côtés, en provenance :

(1) du corps, qui est condamné à pourrir et qui ne peut se passer de la douleur comme signal d’alarme

(2) du monde extérieur

(3) d’autrui (peut-être est-ce la menace la plus douloureusement ressentie)


  • Stratégies psychiques possibles face à la vie :

- Satisfaction sans restriction de tous les besoins ; tentant mais imprudent

- Attaquer la nature menaçante par la technique et la science

- Refaire le monde : paranoïa (corriger un aspect insupportable du monde), religion

- Agir sur l’appareil sensitif : intoxication chimique (drogues).

- Agir sur la source intime du besoin par certains processus animiques. Cas extrême : mise à mort des pulsions.

- Même voie plus modérée : domination des pulsions par les instances psychiques supérieures qui se sont soumises au principe de réalité

- Déplacement de la libido par le travail : déplacement des buts pulsionnels vers un travail psychique (intellectuel ou artistique) ou ordinaire qui n’est pas exposé au monde extérieur (sublimation).

- Tourner le dos à la réalité, s’isoler des autres (ermite)

- Se centrer sur l’amour. Problème : risque de perdre l’objet aimé.

- Se centrer sur la jouissance de la beauté (humaine, naturelle, artistique, scientifique).

  • Conclusion : il n’y a pas de solution universelle : chacun doit chercher sa solution adaptée à son cas : l’homme principalement érotique privilégie les relations de sentiment avec d’autres personnes, l’homme narcissique cherche dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles, l’homme d’action ne lâche pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force.


La culture

  • La culture est la somme totale des réalisations et dispositifs qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la règlementation des relations des hommes entre eux. La culture n’est pas seulement soucieuse d’utilité car la beauté fait partie des intérêts de la culture.


Culture et renoncement pulsionnel

  • Le développement de la culture entraîne une restriction de la liberté individuelle : la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel ; d’où l’hostilité de certains individus à la culture.
  • Amour et culture s’opposent : d’une part l’amour s’oppose aux intérêts de la culture, d’autre part la culture menace l’amour de restrictions sensibles.
  • Il y a dans l’homme un penchant à l’agression. L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas la cohésion de la société car les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Les foules humaines doivent être liées libidinalement car l’intérêt de travail ne suffit pas à maintenir leur cohésion. Donc il faut que les hommes s’aiment, donc il faut restreindre la vie sexuelle.
  • A côté de la tendance expansive de l’Eros (tendance à rassembler la substance vivante en unités de plus en plus grandes, à créer des sociétés humaines de plus en plus vastes en liant libidinalement les individus), il doit y avoir une autre pulsion, opposée à elle, qui tend à dissoudre ces unités : la pulsion de mort. Cette pulsion destructrice est au service de l’Eros (elle détruit autre chose que soi).
  • La culture est un procès au service de l’Eros. À ce programme s’oppose la pulsion destructrice, rejeton principal de la pulsion de mort (Thanatos). Le développement de la culture est donc le combat vital de l’espèce humaine (à partir d’un certain événement historique en tout cas).


Culture, surmoi et morale

  • Par la culture (éducation) l’agression est intériorisée, renvoyée là d’où elle est venue, dirigée contre le moi propre. Le moi se divise en un moi et un surmoi, le surmoi étant l’instance qui dirige l’agression contre le moi, le père intériorisé. La tension entre le surmoi sévère et le moi qui lui est soumis est la conscience de culpabilité ; elle se manifeste comme besoin de punition. Ce conflit est attisé par la vie en commun : la culture accroît le sentiment de culpabilité.
  • Le mal est au début ce pour quoi on est menacé de perte d’amour ; c’est par angoisse devant cette perte qu’il faut éviter le mal. Cette angoisse devant la perte d’amour est l’angoisse « sociale ».
  • Tant que tout se passe bien pour l’homme, sa conscience morale, est clémente et passe au moi toutes sortes de choses ; quand un malheur l’a frappé, il fait retour sur lui-même, reconnaît son état de péché, s’impose des abstinences et se punit par des pénitences. Le malheur entraîne l’autopunition ou la punition d’un fétiche.

- Cela s’explique par le fait que le destin est identifié au parent : un malheur signifie qu’on n’est plus aimé. Quand il survient on se repentit devant cette puissance que dans le bonheur on prétendait négliger.

- Ainsi, la conscience morale est la conséquence du renoncement pulsionnel. Le renoncement pulsionnel qui nous est imposé de l’extérieur crée la conscience morale, laquelle exige ensuite un nouveau renoncement pulsionnel.

  • Dans le procès culturel, le but principal est de former une communauté, le bonheur des individus est relégué à l’arrière-plan. L’humanité aussi produit un surmoi, qui pousse au développement de la culture.
  • Ce surmoi-de-la-culture a des exigences, qui se manifestent sous la forme de l’éthique. L’éthique est une tentative thérapeutique, un effort pour atteindre un commandement du surmoi.

- Mais l’éthique est trop exigeante, elle se soucie trop peu du moi : elle édicte un commandement sans se demander s’il est possible de l’observer. La directive « aime ton prochain comme toi-même » est impraticable.

- L’éthique dite naturelle n’a ici rien à offrir si ce n’est la satisfaction narcissique d’être en droit de se considérer comme meilleur que ne sont les autres. L’éthique qui s’étaye sur la religion fait intervenir ici ses promesses d’un au-delà.

« [L]es jugements de valeur des hommes sont dirigés inconditionnellement par leurs souhaits de bonheur, [ils] sont donc une tentative pour appuyer leurs illusions par des arguments. »

Résumé moyen

I. Origine du besoin religieux : angoisse et besoin de protection

- Le sentiment « océanique » (sentiment de « faire un avec le monde ») n’est pas la source de tous les besoins religieux. Ce sont avant tous les sentiments de désaide infantile et de désirance pour le père – remplacés plus tard par l’angoisse devant la puissance du destin – qui sont causes du besoin religieux.

II. Comportements face à la vie

- La vie est trop dure pour nous. Pour la supporter, nous avons recours à 3 sortes de remèdes :

(1) puissantes diversions pour oublier notre misère ou y attacher peu d’importance (ex : activité scientifique)

(2) satisfactions substitutives qui diminuent la misère (ex : art)

(3) stupéfiants qui nous rendent insensibles à notre misère (ex : drogue)


- Seule la religion sait répondre à la question de la finalité de la vie : l’idée d’une finalité de la vie se maintient et s’effondre en même temps que le système religieux.


- La souffrance menace de 3 côtés, en provenance :

(1) du corps, qui est condamné à pourrir et qui ne peut se passer de la douleur comme signal d’alarme

(2) du monde extérieur

(3) d’autrui (peut-être est-ce la menace la plus douloureusement ressentie)


Voies possibles vers le bonheur :

- Satisfaction sans restriction de tous les besoins ; tentant mais imprudent

- Attaquer la nature menaçante par la technique et la science

- Refaire le monde : paranoïa (corriger un aspect insupportable du monde), religion

- Agir sur l’appareil sensitif : intoxication chimique (drogues).

- Agir sur la source intime du besoin par certains processus animiques. Cas extrême : mise à mort des pulsions.

- Même voie plus modérée : domination des pulsions par les instances psychiques supérieures qui se sont soumises au principe de réalité

- Déplacement de la libido par le travail : déplacement des buts pulsionnels vers un travail psychique (intellectuel ou artistique) ou ordinaire qui n’est pas exposé au monde extérieur.

- Tourner le dos à la réalité, s’isoler des autres (ermite)

- Se centrer sur l’amour. Problème : risque de perdre l’objet aimé.

- Se centrer sur la jouissance de la beauté (humaine, naturelle, artistique, scientifique). Conclusion : il n’y a pas de solution universelle : chacun doit chercher sa solution adaptée à son cas : l’homme principalement érotique privilégie les relations de sentiment avec d’autres personnes, l’homme narcissique cherche dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles, l’homme d’action ne lâche pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force.

III. Qu’est-ce que la culture ?

- La culture est la « somme totale des réalisations et dispositifs (…) qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. » La culture n’est pas seulement soucieuse d’utilité car la beauté fait partie des intérêts de la culture.

- Le développement de la culture entraîne une restriction de la liberté individuelle : la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel ; d’où l’hostilité de certains individus à la culture.

IV. Origine de la culture et facteurs déterminant son évolution

- On distingue deux formes d’amour : l’amour originel, sensuel, et l’amour inhibé quant au but (relation frère-sœur, etc.) qui devient culturellement important parce qu’il échappe à bien des limitations de l’amour génital (par exemple à son exclusivité).

- Amour et culture s’opposent : d’une part l’amour s’oppose aux intérêts de la culture, d’autre part la culture menace l’amour de restrictions sensibles.

V. Culture et Eros

- Il n’y a aucun intérêt à aimer l’étranger ; aimer son prochain comme soi-même est absurde et impossible.

- L’homme est un loup pour l’homme. Ce penchant à l’agression oblige la culture à la dépense qui est la sienne. L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas la cohésion de la société car les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Donc il faut que les hommes s’aiment, donc il faut restreindre la vie sexuelle ; d’où la recommandation : « aime ton prochain comme toi-même ».

VI. Eros et Thanatos

- Les pulsions ne peuvent pas être toutes de la même espèce. À côté de la tendance expansive de l’Eros (tendance à rassembler la substance vivante en unités de plus en plus grandes, à créer des sociétés humaines de plus en plus vastes en liant libidinalement les individus), il doit donc y avoir une autre pulsion, opposée à elle, qui tend à dissoudre ces unités : la pulsion de mort. Cette pulsion destructrice est au service de l’Eros (elle détruit autre chose que soi) ; la destruction est source de jouissance (narcissique) car elle réalise les anciens souhaits de toute-puissance du moi.

- La culture est un procès au service de l’Eros. Les foules humaines doivent être liées libidinalement car l’intérêt de travail ne suffit pas à maintenir leur cohésion. À ce programme s’oppose la pulsion destructrice, rejeton principal de la pulsion de mort (Thanatos). Le développement de la culture est donc le combat vital de l’espèce humaine (à partir d’un certain événement historique en tout cas).

VII. Surmoi et sentiment de culpabilité

- La tendance à l’agression s’oppose à la cohésion culturelle. Mais par la culture (éducation) l’agression est intériorisée, renvoyée là d’où elle est venue, dirigée contre le moi propre. Le moi se divise en un moi et un surmoi, le surmoi étant l’instance qui dirige l’agression contre le moi. La tension entre le surmoi sévère et le moi qui lui est soumis, nous l’appelons conscience de culpabilité ; elle se manifeste comme besoin de punition.

- Le mal est au début ce pour quoi on est menacé de perte d’amour ; c’est par angoisse devant cette perte qu’il faut éviter le mal. Cette angoisse devant la perte d’amour est l’angoisse « sociale ».

- Tant que tout se passe bien pour l’homme, sa conscience morale, est clémente et passe au moi toutes sortes de choses ; quand un malheur l’a frappé, il fait retour sur lui-même, reconnaît son état de péché, s’impose des abstinences et se punit par des pénitences. Le malheur entraîne l’autopunition ou la punition d’un fétiche.

- Cela s’explique par le fait que le destin est identifié au parent : un malheur signifie qu’on n’est plus aimé. Quand il survient on se repentit devant cette puissance que dans le bonheur on prétendait négliger.

- Ainsi, la conscience morale est la conséquence du renoncement pulsionnel. Le renoncement pulsionnel qui nous est imposé de l’extérieur crée la conscience morale, laquelle exige ensuite un nouveau renoncement pulsionnel.

- L’angoisse devant l’autorité entraîne un renoncement pulsionnel (pour ne pas perdre l’amour de cette autorité). On est alors quitte envers elle, et il ne devrait plus subsister de sentiment de culpabilité. Mais en ce qui concerne l’angoisse (ultérieure) devant le surmoi (qui pousse à la punition), le renoncement ne suffit pas pour « être quitte » car l’intention (de mal agir) persiste et ne se laisse pas dissimuler au surmoi.

- Le surmoi est le père intériorisé mais sa colère est celle de l’enfant (contre le père).

- Le sentiment de culpabilité ne vient pas du parricide : il est l’expression du conflit d’ambivalence, du combat entre Eros et Thanatos, c’est-à-dire la perception de la tension entre les tendances du moi et les exigences du surmoi Ce conflit est attisé par la vie en commun.

VIII. La morale, surmoi de la culture

- Le sentiment de culpabilité est une variété topique de l’angoisse ; dans ses phases tardives, il coïncide tout à fait avec l’angoisse devant le surmoi. Les religions surviennent avec la prétention de rédimer l’humanité de ce sentiment de culpabilité qu’elles appellent péché.

- Dans le développement de l’individu, le but principal est le plaisir, l’insertion dans une communauté n’est qu’un moyen. En revanche, dans le procès culturel, le but principal est de former une communauté, le bonheur des individus est relégué à l’arrière-plan. L’humanité aussi produit un surmoi, qui pousse au développement de la culture.

- Ce surmoi-de-la-culture a des exigences. Concernant les relations des hommes entre eux, cette exigence se manifeste sous la forme de l’éthique. L’éthique est une tentative thérapeutique, un effort pour atteindre un commandement du surmoi. Il s’agit d’écarter le plus grand obstacle de la culture, le penchant à l’agression. Mais l’éthique est trop exigeante, elle se soucie trop peu du moi : elle édicte un commandement sans se demander s’il est possible de l’observer. La directive « aime ton prochain comme toi-même » est impraticable.

- L’éthique dite naturelle n’a ici rien à offrir si ce n’est la satisfaction narcissique d’être en droit de se considérer comme meilleur que ne sont les autres. L’éthique qui s’étaye sur la religion fait intervenir ici ses promesses d’un au-delà. J’estime qu’aussi longtemps que la vertu ne trouvera pas sa récompense dès cette terre, l’éthique prêchera en vain.

« [L]es jugements de valeur des hommes sont dirigés inconditionnellement par leurs souhaits de bonheur, [ils] sont donc une tentative pour appuyer leurs illusions par des arguments. »

Résumé long

I. Origine du besoin religieux : angoisse et besoin de protection

Le sentiment « océanique », c’est-à-dire le sentiment de « faire un avec le monde » (selon Romain Rolland) est-il source de tous les besoins religieux ? (Non.)

Rien n’est pour nous plus assuré que le sentiment de notre moi, qui nous apparaît autonome, unitaire, bien démarqué de tout le reste. Toutefois cette apparence est un leurre : le moi se continue vers l’intérieur, sans frontière tranchée, dans un être animique inconscient (le ça), auquel il sert en quelque sorte de façade. Mais, vers l’extérieur du moins, la frontière est bien marquée sauf dans le comble de l’état amoureux et dans certains états pathologiques (schizophrénie).

Apprentissage de la distinction moi / monde extérieur

Au début, le nourrisson ne distingue pas un moi et un monde extérieur. Il apprend à le faire peu à peu. Contrairement aux parties du corps, le sein maternel n’est pas toujours disponible ; il faut une action particulière (crier) pour le ramener à soi ; plus tard, les sensations de douleur et de déplaisir sont rejetées dans le monde extérieur pour former un moi-plaisir pur auquel s’oppose un dehors étranger et menaçant. Mais cette partition est fausse (des plaisirs viennent du monde extérieur et le corps est parfois source de souffrance). On apprend peu à peu à distinguer ce qui est intérieur de ce qui est extérieur et qui ne dépend pas de nous, faisant ainsi le premier pas vers l’instauration du principe de réalité (cette distinction permet de se défendre des sensations de déplaisir). À l’origine le moi contient tout, progressivement il sépare de lui le monde extérieur. Il est possible que ce sentiment originel (sentiment d’un moi inclusif) survive aux côtés de sa progéniture (sentiment du moi de la maturité), ce qui expliquerait l’origine du « sentiment océanique ». (Métaphore de la ville (Rome) : les nouvelles constructions se font sans destruction nécessaire des anciennes qui subsistent sous forme de ruines. Il en va de même pour l’esprit humain.)

Origine des besoins religieux

De quel droit le « sentiment océanique » prétend-il être considéré comme la source des besoins religieux ? Le besoin le plus fort de l’enfance est celui de la protection paternelle. Ce sont avant tout ces sentiments de désaide infantile et de désirance pour le père – remplacés plus tard par l’angoisse devant la puissance du destin – qui sont causes du besoin religieux. Par conséquent, le « sentiment océanique » n’a pas le rôle de premier plan, il est mis après coup en relation avec la religion ; car faire corps avec le tout est un moyen de dénier le danger dont le moi reconnaît la menace venant du monde extérieur.

Remarque : d’après certains, des pratiques comme le yoga permettent d’éveiller en soi des sentiments d’universalité qui seraient des états immémoriaux et donneraient un fondement physiologique à de nombreuses sagesses relevant de la mystique.

II. Comportements face à la vie

La vie est trop dure pour nous. Pour la supporter, nous avons recours à 3 sortes de remèdes :

(1) puissantes diversions pour oublier notre misère ou y attacher peu d’importance (ex : cultiver son jardin ; activité scientifique) ;

(2) satisfactions substitutives qui diminuent la misère (ex : art) ;

(3) stupéfiants qui nous rendent insensibles à notre misère.


Nous ne connaissons pas la finalité de la vie. On peut se demander s’il y en a une. Seule la religion sait répondre à la question de la finalité de la vie : « l’idée d’une finalité de la vie se maintient et s’effondre en même temps que le système religieux. » Les hommes désirent le bonheur, objectif à deux faces : (1) but positif : vivre de forts moments de plaisir ; (2) but négatif : ne subir ni douleur ni déplaisir. L’activité des hommes se déploie dans ces deux directions.

Le principe de plaisir pose seul la finalité de la vie et domine le fonctionnement de l’âme. Il est au service d’une finalité mais en désaccord avec le monde (à la fois avec le monde extérieur, macrocosme et l’homme, microcosme). Il n’est pas réalisable. Le bonheur est limité par notre propre constitution car il ne persiste pas (on ne jouit intensément que de ce qui est contraste).


La souffrance menace de 3 côtés, en provenance :

(1) du corps, qui est condamné à pourrir et qui ne peut se passer de la douleur comme signal d’alarme ;

(2) du monde extérieur ;

(3) d’autrui (peut-être est-ce la menace ressentie le plus douloureusement).

Sous la pression de ces menaces, les hommes modèrent leur prétention au bonheur, le principe de plaisir se remodèle au principe de réalité : on s’estime déjà heureux d’avoir échappé à la souffrance, la fuite de la souffrance (but négatif) repousse à l’arrière-plan la recherche du plaisir (but positif).


De multiples voies permettant d’atteindre ces buts ont été recommandées par diverses écoles de sagesse et empruntées par les hommes :

  • Spontanéité :

- Satisfaction sans restriction de tous les besoins ; c’est le plus tentant mais cela signifie mettre la jouissance avant la prudence et cela trouve sa punition après une brève pratique.

  • Action sur la réalité :

- Attaquer la nature menaçante par la technique et la science

  • Action sur sa conception de la réalité (vouloir refaire le monde) :

- Paranoïa : elle affecte tout le monde à des degrés variables : on corrige un aspect insupportable du monde.

- Les religions font partie de ces délires de masse, remodelages du réel. La religion brise la liberté, formate tout le monde à sa voie. Sa méthode : diminuer la valeur de la vie, déformer de façon délirante l’image du monde réel (ce qui présuppose une intimidation de l’intelligence). Elle réussit ainsi à épargner beaucoup de névroses mais c’est presque tout.

  • Action sur soi-même :

- Agir sur l’appareil sensitif : intoxication chimique : les drogues agissent sur l’appareil sensitif ; c’est leur avantage qui fait leur nocivité.

- Agir sur la source intime du besoin par certains processus animiques. Cas extrême : mise à mort des pulsions (sagesse orientale, yoga). But : le bonheur du repos.

- Même voie plus modérée : domination des pulsions par les instances psychiques supérieures qui se sont soumises au principe de réalité : la visée de la satisfaction n’est pas abandonnée et l’inhibition des pulsions protège de la souffrance. Mais cela diminue les possibilités de jouissance car le plaisir de l’assouvissement d’une pulsion sauvage est très supérieur au plaisir de l’assouvissement d’une pulsion domestiquée. (Cela expliquerait l’attrait pour l’interdit ?)

  • Travail (investissement pulsionnel, sublimation) :

- Déplacement de la libido par le travail : déplacement des buts pulsionnels vers un travail psychique (intellectuel ou artistique) qui n’est pas exposé au monde extérieur. Mais l’intensité de ces satisfactions est amortie par rapport aux plaisirs primaires ; de plus, cette stratégie n’est accessible qu’à une minorité (elle suppose des prédispositions particulières) ; enfin, elle ne protège pas totalement contre la souffrance (par exemple en provenance du corps). En l’absence de dispositions particulières, le travail ordinaire peut jouer le même rôle. Le travail permet d’affirmer et justifier son existence au sein de la société et de déplacer sa libido. Pourtant l’homme apprécie peu le travail en tant que voie vers le bonheur, d’où les problèmes sociaux.

  • Choix des objets (orientation du regard) :

- Tourner le dos à la réalité, s’isoler des autres (ermite)

- Se centrer sur l’amour. Problème : risque de perdre l’objet aimé.

- Se centrer sur la jouissance de la beauté (humaine, naturelle, artistique, scientifique). Cela offre peu de protection à la souffrance mais un dédommagement substantiel. Dont les plaisirs de l’art : la recherche de la jouissance dans les œuvres d’art illustre la volonté de se rendre indépendant du monde extérieur. Mais si l’art est source de plaisir et de consolation, c’est de façon fugitive et faible.

Conclusion : il n’y a pas de solution universelle : chacun doit chercher sa solution adaptée à son cas : l’homme principalement érotique privilégie les relations de sentiment avec d’autres personnes, l’homme narcissique cherche dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles, l’homme d’action ne lâche pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force.

III. Qu’est-ce que la culture ?

Il y a 3 sources de souffrance : la nature, le corps et les hommes.

On entend parfois dire que « la culture est responsable de notre misère ». Cette thèse est surprenante parce que la culture est une protection contre la nature. Toutefois, cette accusation de la culture s’explique historiquement par :

  • Un certain mécontentement par rapport à chaque état culturel donné. Ce mécontentement a produit plusieurs conséquences :

- une religion : le christianisme, qui dévalorise la vie terrestre.

- une idée : la thèse selon laquelle les primitifs sont heureux.

- une maladie : la névrose (causée par le refus de la société).

  • La désillusion face aux progrès techniques : on découvre que ces progrès ne sont ni l’unique condition du bonheur ni l’unique but de la culture.

Objectif : déterminer l’essence de cette culture dont la valeur-bonheur est mise en doute. Sont culturelles toutes les activités et valeurs qui sont profitables à l’homme en mettant la nature à son service ou en le protégeant des autres hommes (ex : utilisation du feu). Ainsi, on peut définir la culture comme la « somme totale des réalisations et dispositifs (…) qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. » Les outils visent à perfectionner nos organes (moteurs et sensoriels). Les dieux sont des idéaux culturels, ils ont tout ce qui semble inaccessible aux hommes.

La culture n’est pas seulement soucieuse d’utilité car la beauté fait partie des intérêts de la culture. L’ordre est utile. La propreté est utile, mais l’utilité n’explique pas totalement la tendance à la propreté. Il y a donc quelque chose d’autre en jeu. Si toute action humaine vise l’utilité ou le gain de plaisir, alors il en va de même pour toutes les manifestations culturelles (bien que ce ne soit évident que pour les sciences et les arts).

Dernier trait caractéristique d’une culture : le réglage des relations humaines : « le remplacement de la puissance de l’individu par celle de la communauté est le pas culturel décisif ».

Le développement de la culture entraîne une restriction de la liberté individuelle, ce qui explique l’hostilité à la culture de certains. Le procès culturel est analogue au développement libidinal de l’individu. La culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel ; d’où l’hostilité à la culture. Première impression : la culture obtient la sublimation par la contrainte. « Mais on fera mieux d’y réfléchir encore plus longtemps. »

IV. Origine de la culture et facteurs déterminant son évolution

La vie en commun est fondée sur la nécessité du travail et l’amour (homme-femme (Eros) et femme-enfant (Anankè)). Le plaisir génital étant le modèle du bonheur, il aurait dû être la référence centrale. Mais les sages déconseillent cette voie car elle entraîne une forte dépendance envers l’objet d’amour choisi. Certaines personnes trouvent le bonheur sur la voie de l’amour, « mais pour cela d’amples modifications animiques de la fonction d’amour sont indispensables. Ces personnes se rendent indépendantes de l’assentiment de l’objet en déplaçant la valeur principale du fait d’être aimé sur celui d’aimer soi-même. Elles se protègent contre la perte de cet objet en dirigeant leur amour (…) sur tous les êtres humains » (ex : Saint François d’Assise).

On distingue deux formes d’amour : l’amour originel, sensuel, et l’amour inhibé quant au but (relation frère-sœur, etc.) qui devient culturellement important parce qu’il échappe à bien des limitations de l’amour génital (par ex. à son exclusivité). Mais amour et culture s’opposent : d’une part l’amour s’oppose aux intérêts de la culture, d’autre part la culture menace l’amour de restrictions sensibles. Le conflit entre la famille et une communauté plus grande est un symptôme de cette opposition. Des liens familiaux forts entraînent des difficultés pour entrer dans une sphère plus large, combattues par la société par des rites de puberté et d’accueil pour aider l’individu à se détacher de sa famille. Ces difficultés sont liées à tout développement psychique et à tout développement organique.

Les femmes entrent en opposition avec le courant de culture dont elles avaient posé les fondements par leur amour. Les femmes représentent les intérêts de la famille et de la vie sexuelle. Le travail est surtout l’affaire des hommes ; il oblige à des sublimations auxquelles les femmes sont peu aptes. La libido consommée à des fins culturelles est retirée en grande partie aux femmes et à la vie sexuelle, jusqu’à ce que le mâle soit à peu près étranger aux tâches d’époux et de père. La culture tend à restreindre la vie sexuelle et à étendre la sphère de la culture. La femme est poussée à l’arrière-plan par la culture et entre dans un rapport d’hostilité à elle.

La première phase culturelle (totémisme) implique l’interdit du choix d’objets incestueux ; dans la deuxième, par le tabou, la loi et la coutume, d’autres restrictions sont instaurées. C’est une nécessité économique : la culture doit retirer presque autant d’énergie psychique qu’elle en consomme. « La culture se conduit ici envers la sexualité comme une tribu ou une couche de la population qui en a soumis une autre à son exploitation. L’angoisse devant le soulèvement des opprimés pousse à prendre des mesures de précaution rigoureuses. » Il est justifié que notre culture actuelle prohibe les manifestations de la vie sexuelle enfantine (sinon il serait impossible d’endiguer les désirs sexuels des adultes) ; mais ce qui est injustifiable, c’est que la culture nie cette prohibition.

« Le choix d’objet (…) est réduit au sexe opposé, la plupart des satisfactions extra-génitales sont interdites comme perversions. » Cette exigence d’une vie sexuelle de même nature pour tous est la source d’une grave injustice (car il y a des inégalités (innées et acquises) dans la constitution sexuelle, d’où un assez grand nombre d’individus privés de jouissance). Le succès des ces mesures restrictives pourrait être maintenant que, chez ceux qui sont normaux, (…) tout intérêt sexuel se déverse sans perte dans les canaux laissés ouverts (relation hétérosexuelle). Mais même cet amour génital hétérosexuel continue à subir le préjudice causé par les limitations que la culture impose à la sexualité. Mais peut-être la sublimation est-elle impliquée par l’essence de la fonction sexuelle elle-même, qui nous refuse la pleine satisfaction et nous pousse vers d’autres voies. Ce pourrait être une erreur, il est difficile de trancher.

V. Culture et Eros

La culture veut lier libidinalement les uns aux autres les membres de la communauté.

Raisons possibles d’aimer quelqu’un : il est un objet sexuel ; « il est si semblable à moi que je peux m’aimer moi-même en lui » ; « il est tellement plus parfait que moi que je puis aimer en lui l’idéal que j’ai de ma propre personne » ; etc.

Mais il n’y a aucun intérêt à aimer l’étranger ; il est absurde d’aimer son prochain comme soi-même, et surtout c’est impossible. L’homme est un loup pour l’homme (penchant à l’agression, guerres…). « L’existence de ce penchant à l’agression (…) est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. (…) L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas la cohésion [de la société de la culture], les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. » Donc il faut que les hommes s’aiment, donc il faut restreindre la vie sexuelle ; d’où la recommandation : « aime ton prochain comme toi-même ».

Critique du communisme : supprimer la propriété ne fait que soustraire au plaisir-désir d’agression l’un de ses outils : restent les différences de puissance et d’influence, et l’essence de cette agression (qui n’est pas la conséquence d’une hypothétique perversion par la propriété privée d’une nature humaine originellement bonne).

On voudrait rationaliser la culture pour qu’elle nous rende plus heureux, mais « peut-être nous familiarisons-nous aussi avec l’idée qu’il y a des difficultés qui sont inhérentes à l’essence de la culture et qui ne céderont à aucune tentative de réforme. »

VI. Eros et Thanatos

Première idée : « faim et amour » assurent la cohésion des rouages du monde. Il y a une division entre la faim (égoïsme, pulsions du moi) qui veut conserver l’être individuel et l’amour (altruisme, pulsions d’objet) dont la fonction principale est de conserver l’espèce. La libido est d’abord tournée vers le moi (narcissisme). Puis cette libido narcissique se tourne vers les objets, devenant ainsi libido d’objet, et peut se retransformer en libido narcissique.

Ainsi toutes les pulsions sont libidinales. Mais les pulsions ne peuvent pas être toutes de la même espèce. À côté de la tendance expansive de l’Eros (tendance à rassembler la substance vivante en unités de plus en plus grandes, à créer des sociétés humaines de plus en plus vastes en liant libidinalement les individus : la culture est un procès au service de l’Eros), il doit donc y avoir une autre pulsion, opposée à elle, qui tend à dissoudre ces unités : la pulsion de mort. Cette pulsion destructrice est au service de l’Eros (elle détruit autre chose que soi) ; la destruction est source de jouissance (narcissique) car elle réalise les anciens souhaits de toute-puissance du moi.

La culture est donc un procès au service de l’Eros. Les foules humaines doivent être liées libidinalement car l’intérêt de travail ne suffit pas à maintenir leur cohésion. À ce programme s’oppose la pulsion destructrice, rejeton principal de la pulsion de mort (Thanatos). Le développement de la culture est donc le combat vital de l’espèce humaine (à partir d’un certain événement historique en tout cas).

VII. Surmoi et sentiment de culpabilité

Comment la culture lutte contre Thanatos : érection du surmoi

La tendance à l’agression s’oppose à la cohésion culturelle. Mais par la culture (éducation) l’agression est intériorisée, renvoyée là d’où elle est venue, dirigée contre le moi propre. Le moi se divise en un moi et un surmoi, le surmoi étant l’instance qui dirige l’agression contre le moi. La tension entre le surmoi sévère et le moi qui lui est soumis, nous l’appelons conscience de culpabilité ; elle se manifeste comme besoin de punition.

« La culture maîtrise donc le dangereux plaisir-désir d’agression de l’individu en affaiblissant ce dernier, en le désarmant et en le faisant surveiller par une instance située à l’intérieur de lui-même, comme par une garnison occupant une ville conquise. »

Surmoi, conscience morale et sentiment de culpabilité

« Un grand changement n’intervient que lorsque l’autorité est intériorisée par l’érection d’un surmoi. […] [A]u fond, c’est seulement maintenant qu’on devrait parler de conscience morale et de sentiment de culpabilité. »

Origine des jugements moraux

« Souvent le mal n’est pas du tout ce qui est pour le moi nuisible ou dangereux, au contraire il est même quelque chose qui est par lui souhaité, qui lui procure du contentement. Ici se manifeste donc une influence étrangère ; c’est elle qui détermine ce qui doit s’appeler bien et mal. […] [I]l faut que [l’homme] ait un motif pour se soumettre à cette influence étrangère ; ce motif est facile à découvrir dans son désaide et sa dépendance par rapport aux autres et on ne saurait mieux le désigner que comme angoisse devant la perte d’amour. (S’il perd l’amour de l’autre, dont il est dépendant, il vient aussi à manquer de la protection contre toutes sortes de dangers, s’exposant avant tout au danger de voir cet autre surpuissant lui démontrer sa supériorité sous forme de punition.) Le mal est donc au début ce pour quoi on est menacé de perte d’amour ; c’est par angoisse devant cette perte qu’il faut éviter le mal. » Cette angoisse devant la perte d’amour est l’angoisse « sociale ».

Conscience morale et coups du destin

« Tant que tout se passe bien pour l’homme, sa conscience morale, elle aussi, est clémente et passe au moi toutes sortes de choses ; quand un malheur l’a frappé, il fait retour sur lui-même, reconnaît son état de péché, (…) s’impose des abstinences et se punit par des pénitences. » Le malheur entraîne l’autopunition (ex : peuple d’Israël, avec Dieu comme père) ou la punition d’un fétiche (ex : homme primitif).

Cela s’explique à partir du stade infantile originel de la conscience morale, lequel continue d’exister parallèlement à la « conscience morale » du surmoi : le destin remplace le parent ; un malheur signifie qu’on n’est plus aimé : quand il survient on s’incline dans la repentance devant cette puissance que dans le bonheur on prétendait négliger.

« Au début la conscience morale (plus exactement, l’angoisse qui devient plus tard conscience morale) est certes cause du renoncement pulsionnel, mais plus tard le rapport s’inverse. Tout renoncement pulsionnel devient alors une source dynamique de la conscience morale […]. [L]a conscience morale est la conséquence du renoncement pulsionnel ; ou : le renoncement pulsionnel qui nous est imposé de l’extérieur crée la conscience morale, laquelle exige ensuite un nouveau renoncement pulsionnel ».

Origine du sentiment de culpabilité

L’angoisse devant l’autorité entraîne un renoncement pulsionnel (pour ne pas perdre l’amour de cette autorité). On est alors quitte envers elle, et il ne devrait plus subsister de sentiment de culpabilité. Mais en ce qui concerne l’angoisse (ultérieure) devant le surmoi (qui pousse à la punition), le renoncement ne suffit pas pour « être quitte » car l’intention (de mal agir) persiste et ne se laisse pas dissimuler au surmoi.

L’interdiction par le père entraîne renoncement et agression, laquelle à son tour doit être refoulée. On sort de cette situation économiquement difficile en accueillant en soi, par identification, l’autorité inattaquable, laquelle devient le surmoi et entre en possession de toute cette agression qu’enfant on aurait aimé exercer contre elle. La sévérité originelle du surmoi n’est pas celle qu’on a connue du père ou qu’on lui impute, mais celle qui représente notre propre agression contre lui. L’agression vindicative de l’enfant est déterminée par le degré d’agression punitive qu’il attend du père. Mais l’expérience révèle que sévérité du surmoi est indépendante (ou presque) de la sévérité qu’a connu l’enfant. Solution à ce problème : influence d’autres facteurs (détermination génétique, milieu).

Résumé : le surmoi est le prolongement du père, le père intériorisé (il est formé par identification à l’autorité extérieure), mais sa colère est celle de l’enfant (contre le père).


Le meurtre du père n’est pas à l’origine du sentiment de culpabilité

Le remords originel (suite au meurtre du père) était le résultat de la toute première ambivalence de sentiment envers le père (haï et aimé) ; une fois la haine satisfaite par l’agression, l’amour se fit jour dans le remords de l’acte, érigea le surmoi par identification avec le père, lui donna la puissance du père comme par punition de l’acte d’agression perpétré contre lui, créa les restrictions qui devaient empêcher une répétition de l’acte. Mais le sentiment de culpabilité ne vient pas du parricide : il est l’expression du conflit d’ambivalence, du combat entre Eros et Thanatos. Ce conflit est attisé par la vie en commun. La culture ne peut réunir les hommes que par accroissement de leur sentiment de culpabilité, qui finit par atteindre des hauteurs difficilement supportables.

VIII. La morale, surmoi de la culture

Le sentiment de culpabilité est le problème le plus important du développement de la culture. Le prix à payer pour la culture est une perte de bonheur, à cause de l’élévation du sentiment d'impunité. Le sentiment de culpabilité est une variété topique de l’angoisse ; dans ses phases tardives, il coïncide tout à fait avec l’angoisse devant le surmoi. Les religions surviennent avec la prétention de rédimer (racheter, sauver) l’humanité de ce sentiment de culpabilité qu’elles appellent péché.

La conscience morale est une des fonctions du surmoi, ayant à surveiller les actions et les visées du moi, exerçant une activité de censure. Le sentiment de culpabilité est la perception de la tension entre les tendances du moi et les exigences du surmoi ; c’est une forme de masochisme, dans la liaison avec le surmoi.

Chronologiquement c’est d’abord la conscience de culpabilité qui apparaît, puis le surmoi, puis la conscience morale. La conscience de culpabilité est l’expression immédiate de l’angoisse devant l’autorité externe, la reconnaissance de la tension entre le moi et l’autorité extérieure, le rejeton direct du conflit entre le besoin d’être aimé par l’autorité et les autres pulsions. Le remords peut être plus ancien que la conscience morale. C’est l’agression seule qui se mue en sentiment de culpabilité, en étant déférée au surmoi ; autrement dit, il faut restreindre aux pulsions agressives la dérivation du sentiment de culpabilité. Conclusion : « si une tendance pulsionnelle succombe au refoulement, ses éléments libidinaux sont transposés en symptômes, ses composantes agressives en sentiment de culpabilité. »

Dans le développement de l’individu, le but principal est le plaisir, l’insertion dans une communauté n’est qu’un moyen. En revanche, dans le procès culturel, le but principal est de former une communauté, le bonheur des individus est relégué à l’arrière-plan. La tendance au bonheur individuel et celle au rattachement à l’humanité se combattent en chaque individu (égoïsme et altruisme). L’humanité aussi produit un surmoi, qui pousse au développement de la culture. Les « pères » de l’humanité sont certains personnages exemplaires – qui sont souvent raillés et maltraités de leur vivant (ex : Jésus).

Ce surmoi-de-la-culture a des exigences. Concernant les relations des hommes entre eux, cette exigence se manifeste sous la forme de l’éthique. « De tout temps, on a attaché la plus grande valeur à cette éthique, comme si on attendait précisément d’elle des performances particulièrement importantes. » L’éthique est une tentative thérapeutique, un effort pour atteindre un commandement du surmoi. Il s’agit d’écarter le plus grand obstacle de la culture, le penchant à l’agression. Mais l’éthique est trop exigeante, elle se soucie trop peu du moi : elle édicte un commandement sans se demander s’il est possible de l’observer. La directive « aime ton prochain comme toi-même » est impraticable.

L’éthique dite naturelle n’a ici rien à offrir si ce n’est la satisfaction narcissique d’être en droit de se considérer comme meilleur que ne sont les autres. L’éthique qui s’étaye sur la religion fait intervenir ici ses promesses d’un au-delà. J’estime qu’aussi longtemps que la vertu ne trouvera pas sa récompense dès cette terre, l’éthique prêchera en vain.

« [L]es jugements de valeur des hommes sont dirigés inconditionnellement par leurs souhaits de bonheur, [ils] sont donc une tentative pour appuyer leurs illusions par des arguments. »

  • "Le Malaise dans la Culture", PUF, 2004, ISBN 2-13-054701-X

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