Tunisien (langue)

Tunisien (langue)

Arabe tunisien

Tunisien
التونسي [Tu:nsi]
Parlée en Tunisie
Région parlé également en Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas
Nombre de locuteurs plus de 9 millions
Typologie SVO
Flexionnelle
Classification par famille

 -  Langues afro-asiatiques
    -  Langues sémitiques
       -  Langues sémitiques centrales
          -  Arabe
             -  Tunisien

(Dérivée de la classification SIL)
Codes de langue
ISO 639-2 sem
ISO/DIS 639-3 (en) aeb
SIL AEB

L'arabe tunisien est un groupe de dialectes arabes rattachés à l'arabe maghrébin, parlés par quelques neuf millions de personnes vivant principalement en Tunisie, bien que la langue officielle du pays soit l'arabe littéral. Il est généralement connu de ses locuteurs sous le nom de darija, afin de le distinguer de l'arabe littéral, ou tunsi ce qui signifie simplement « tunisien ». Il emprunte par ailleurs du vocabulaire au français, à l'italien et à l'espagnol.

Il est parlé à travers toute la Tunisie mais se retrouve, comme partie d'un continuum linguistique, dans des variétés similaires parlées dans l'est de l'Algérie et l'ouest de la Libye. Sa morphologie, sa syntaxe, sa prononciation et son vocabulaire sont assez différents de l'arabe littéral. C'est pourquoi, il est difficilement intelligible par les arabophones du Moyen-Orient (y compris les Égyptiens) mais plus facilement compris par les arabophones du Maghreb au prix d'un effort d'adaptation aux fortes différences d'accent. Il est par ailleurs très proche du maltais[1] qui n'est toutefois pas considéré comme un dialecte arabe pour des raisons sociolinguistiques.

En Tunisie, on distingue principalement les variétés tunisoise, sahélienne, sfaxienne, nord-occidentale (près de l'Algérie) et sud-orientale (près de la Libye). Les variétés généralement utilisées dans les médias sont les variétés tunisoise et sahélienne, cette dernière étant repérée par son emploi caractéristique du pronom ani, notamment à la radio ou à la télévision. La grande majorité des locuteurs du tunisien comprennent et peuvent s'exprimer en arabe littéral. Dans le même temps, les Tunisiens ne voient généralement pas leur dialecte — il n'existe aucun organisme officiel qui normalise les divers dialectes — comme une langue propre mais comme une variante déformée de l'arabe littéral. Pour cette raison, il n'existe pas de standard officiel et ce dialecte suscite un intérêt limité pour la recherche scientifique.

Sommaire

Historique

Partiellement « punicisés » (terme provenant de l'adjectif punique), les Tunisiens de l'Antiquité parlent essentiellement le libyque[réf. nécessaire]. Mais déjà, à l'époque, dans les régions proches du peuplement punique, le berbère utilisé évolue fortement. Dans des centres urbains de l'intérieur comme Dougga et Chemtou ou dans le Jérid, le berbère se détache des intonations maghrébines tout en gardant l'essentiel de son vocabulaire. Le terme « Afrique », qui donne son nom au continent, est ainsi issu de la tribu berbère des Afridi qui est l'une des premières à être en contact avec Carthage.

Dans les régions totalement puniques (quart nord-est de la Tunisie), le berbère est, à l'avènement de la puissance romaine, presque totalement écarté de la vie publique, politique et sociale[réf. nécessaire]. Cela n'empêche nullement l'utilisation de cette langue par les nombreux immigrés attirés par les foyers économiques et culturels que constituent les diverses localités puniques. Dans ce quart nord-est, les brassages ethniques et linguistiques sont nombreux. Il est toutefois difficile d'estimer quelle est la proportion exacte de berbérophones unilingues dans les cités carthaginoises au début de l'ère chrétienne mais il semble certain que la culture dominante ait poussé les élites urbaines des zones qui gravitent dans le giron punique à adopter la religion et la langue de leurs voisins.

À l'arrivée des Romains, toute l'élite est « punicisée » mais cette influence devait décroître au fur et à mesure que l'on s'éloignait de Carthage et de la côte. Si certains centres lointains peuvent être considérés comme des foyers de culture forte, notamment au nord-ouest ou au sud de la Tunisie, il est probable que leur rayonnement est faible, au-delà d'une certaine distance, à l'image du rayonnement politique et militaire des Carthaginois.

Traits distinctifs

Le tunisien est une variété parlée de l'arabe et partage ainsi beaucoup de points communs avec les autres variétés modernes de l'arabe, en particulier celles du Maghreb. Il présente toutefois quelques traits distinctifs :

  • une phonologie conservatrice des consonnes avec le maintien du /q/ et des fricatives interdentales /θ/, /ð/, /ðˁ/ ;
  • la prononciation [ʒ] de la lettre jīm
  • l'usage du inti dans les variétés urbaines dans le sens du « tu », aussi bien à l'adresse des hommes que des femmes, et une perte concomitante de cette distinction du genre dans la morphologie verbale ;
  • l'absence d'un préfixe de l'indicatif dans le système verbal, et donc d'une distinction entre les modes indicatif et subjonctif ;
  • l'innovation de l'aspect progressif par le biais du participe qa:ʕd, signifiant à l'origine « assis », et la préposition fi (dans) dans les propositions transitives ;
  • certains termes spécifiques tels que ba:hi (bon) et barʃa (beaucoup).

Ensemble de dialectes

La distinction principale au sein des dialectes tunisiens réside dans la différence entre dialectes des populations sédentaires (principalement urbaines) et de celles des populations autrefois nomades car d'origine bédouine (rurales). Les variétés urbaines sont parlées dans les grandes villes ou celles situées à proximité des côtes comme Tunis, Bizerte, Nabeul, Hammamet, Sousse, Monastir, Mahdia, Kairouan et Sfax. Le reste du pays utilise les variétés rurales, ce que soit à Gabès, Gafsa, Tozeur, Le Kef et Béja ou dans les petits villages, même peu éloignés des grands centres urbains.

Globalement, six grandes aires dialectales sont à distinguer en Tunisie :

Région la plus peuplée du pays, l'aire nord-est peut elle-même subdivisée en plusieurs sous-aires géographiques :

Le dialecte tunisois, proche du maltais, est la forme dialectale la plus simplifiée (prononciation inti pour désigner le « tu » masculin) et la plus influencée par les langues euro-méditerranéennes comme l'italien et le français. Elle comporte un nombre important d'expression et de mots d'origine italienne mais aussi française, espagnole et turque. Reliquat de la lingua franca en vigueur jusqu'au XIXe siècle, elle tire son dynamisme de la dimension interculturelle et cosmopolite qui caractérise cette métropole. L'italien y tient une place fondamentale. Porté par une colonie italienne qui représente jusqu'à 40% de la population urbaine tunisoise, il influence durablement la musicalité du dialecte tout en l'alimentant en vocabulaire technique : termes professionnels liés aux activités exercées jadis par l'importante colonie italienne comme menuisiers, maçons, architectes, pêcheurs, garagistes, négociants, commerçants, entrepreneurs, etc. Il pousse finalement à la création d'un dialecte arabe unique car plus souple, intégrateur et modulable. Il est aujourd'hui le dialecte de référence et assimilé au « tunisien standard ».

Le dialecte bizertin est lui-même classifiable en trois catégories, à savoir le dialecte urbain de Bizerte, les dialectes ruraux de la zone environnante et les dialectes urbains et proto-urbains du Sahel bizertin.

  • Bizerte : ce dialecte urbain est à rapprocher du dialecte tunisois (intonation et caractéristiques grammaticales) mais se trouve légèrement plus francisé.
  • Zone rurale entourant Bizerte : ces dialectes ruraux sont caractérisés par l'utilisation du gu à la place du qu, influence des dialectes du nord-ouest auxquels ils se rattachent.
  • Sahel bizertin : Malgré sa petite superficie, le Sahel bizertin présente des différences lexicales et phonétiques variées. Ces différences sont la conséquence des disparités ethniques des villes et villages en question. Menzel Jemil et Menzel Abderrahmane ont des dialectes de plus en plus proches du bizertin urbain alors que, il y a quelques décennies, les intonations se démarquaient nettement. Le peuplement de ces deux villes est d'origine mamelouke et caucasienne avec un apport andalou plus marginal et plus tardif. Ghar El Melh se caractérise par un peuplement où les proportions d'andalous et de janissaires furent égales. Ainsi, le dialecte est plus chantant (influence caucasienne) qu'à Bizerte mais beaucoup plus archaïque dans la syntaxe et plus proche de l'arabe (influence andalouse). Viennent ensuite Ras Jebel, jadis ville de rayonnement andalou mais aujourd'hui totalement envahie par les éléments nomades et ruraux. Son dialecte est plus rude, la prononciation Gu est nettement plus présente. À El Alia, petite ville industrielle spécialisée dans le cardage de la chéchia, l'élément andalou est prépondérant avec des archaïsmes plus marqués. Enfin, Metline et Raf Raf ont des dialectes extrêmes, surtout dans la prononciation. Ceux-ci se rapprochent du dialecte mahdois. Cela s'explique par des similitudes ethniques fortes : population de garnison d'origine caucasienne ou européenne (notamment grecque puisque Metline a été fondée par des grecs de Mytilène) et forte endogamie jusqu'il y a peu.

Tous les dialectes urbains utilisent la consonne occlusive uvulaire sourde /q/ dans des mots comme qa:l (Il a dit) alors que les dialectes ruraux utilisent la consonne occlusive vélaire voisée /g/ dans de tels mots. Les premiers prononcent également voyelle radicale finale avant une autre voyelle, comme dans le mot mʃa:u (Ils sont allés) alors que les seconds suppriment cette voyelle finale, ce qui donne mʃu. Les dialectes urbains partagent également avec le maltais la distinction parmi les dialectes arabes de ne pas marquer le genre à la deuxième personne. Ainsi, inti désignant ailleurs une femme est ici utilisé pour s'adresser à un homme ou une femme, ce qui provoque la perplexité des autres arabophones, alors que dans le verbe aucune marque du féminin n'apparaît. En revanche, les dialectes ruraux maintiennent les distinctions usuelles venues de l'arabe littéral ou dialectal. Il existe par ailleurs d'autres variations entre les dialectes urbains et ruraux : le dialecte sfaxien maintient ainsi des diphtongues de l'arabe littéral dans des mots comme lajl (soirée), un trait partagé par le maltais et le dialecte traditionnel des femmes de Tunis.

On trouvera d'autres informations sur la dialectologie tunisienne chez Michael Gibson[2], William Marçais[3], Hans-Rudolf Singer[4] et Fathi Talmoudi[5].

Usage

Le tunisien joue le rôle de la variante inférieure dans un exemple de diglossie classique où l'arabe littéral représente la variété de prestige. Ainsi, l'usage du tunisien est principalement limité aux domaines oraux, bien que des dessins paraissant dans la presse écrite puissent être écrits en dialecte. Par ailleurs, depuis les années 1990, beaucoup de panneaux publicitaires voient leurs slogans (mais pas le nom de l'entreprise) rédigés en dialecte.

Culture

Très peu d'ouvrages littéraires sont écrits en dialecte tunisien. Par le passé, beaucoup de contes et poèmes folkloriques étaient racontés en dialecte par des conteurs ambulants se déplaçant de marché en marché comme le boussadia. Dans ce registre figurent des textes comme El Jaziya El Hilaliya et les Contes d'Ommi Sissi (Hkayet Ommi Sisi w'Dheeb). Dans le même sens, les pièces de théâtre sont presque toujours écrites en dialecte, sauf lorsqu'elles sont placées dans un contexte historique particulier, tout comme les chansons généralement composées en dialecte. En revanche, la plupart des auteurs contemporains écrivant des nouvelles préfèrent s'exprimer en arabe littéral ou en français. Dans certains cas, le dialogue d'une nouvelle sera écrit en tunisien alors que la partie narrative sera en arabe littéral. Parmi les quelques exceptions figurent Hédi Balegh qui a publié une collection des proverbes tunisiens et traduit Le Petit Prince en dialecte. Quant aux médias d'information, qu'il s'agisse du journal télévisé ou la presse écrite, ils s'expriment aussi en arabe littéral ou en français. L'usage du dialecte à la télévision est généralement limité aux sitcoms, talk shows et films tunisiens tandis que les dessins animés sont généralement en arabe littéral, en raison des doublages réalisés pour l'ensemble du monde arabe, de même que les soap operas importés d'Égypte ou traduits de l'espagnol. La poésie par contre semble être un domaine encore vierge d'œuvres en dialecte, les grands auteurs du pays comme Abou el Kacem Chebbi s'étant toujours exprimés en arabe littéral.

Les dialectes tunisiens s'écrivent, selon la préférence ou les possibilités de l'auteur, avec un alphabet arabe (modifié pour retranscrire les sons particuliers particuliers /p/, /v/ et /g/) ou un alphabet latin (avec des signes diacritiques).

Seconde langue

Les berbérophones de l'île de Djerba et des régions montagneuses du sud de la Tunisie ne parlent souvent le tunisien que comme seconde langue, leur langue maternelle étant généralement le chelha. Le nombre de locuteurs de ce dialecte berbère est inconnu mais cette langue tend à disparaître faute de locuteurs.

Les étrangers désireux de s'intégrer au pays ou, à l'inverse, les descendants d'émigrés tunisiens nés à l'étranger comptent également parmi les locuteurs des dialectes tunisiens en tant que seconde langue.

SMS

La langue arabe contient des sons et des lettres qui n'ont pas d'équivalents dans l'alphabet latin. De ce fait, pour pouvoir communiquer en dialecte tunisien ou autre, en écrivant des SMS ou sur le chat, des chiffres sont utilisés comme lettres de substitution, sur la base de leurs ressemblances morphologiques :

  • 2 = ء
  • ﻉ = 3
  • ﺥ = 5
  • 6 = ط
  • ﺡ = 7
  • ﻕ = 9

Vocabulaire

L'une des différences les plus flagrantes entre le tunisien et l'arabe littéral est l'usage étendu de mots empruntés à l'italien, à l'espagnol, au français, au berbère et au turc. Ainsi, électricité, qui se dit kahraba:ʔ en arabe littéral, devient trisiti en tunisien et directement vient du mot français[6] (attention à la place du /h/ car karahba:ʔ désigne une voiture). D'autres emprunts au français incluent burtma:n (appartement) et bya:sa (coin) venant du mot « pièce ». Dans le domaine des nouvelles technologies, il n'existe souvent pas de mot d'origine arabe équivalent et fréquemment utilisé comme « ordinateur », de même pour la dénomination des objets « modernes », le mot outile, qui désigne un hôtel et vient du mot français, est équivalent des mots fundeg ou oukala sauf que ces derniers désignent plus spécifiquement un hôtel bas de gamme.

La cuisine, matbax en arabe, devient kuʒi:na en tunisien et vient de l'italien cucina. De même, la chaussure, hiða:ʔ en arabe, devient sˤabba:t en tunisien et vient de l'espagnol zapato ou du turc zabata. Chkobba (jeu de cartes traditionnel) est directement emprunté à l'italien scopa. Il existe également divers emprunts au berbère, comme ʃla:ɣim (moustache) et fakru:n (tortue), au turc, comme ba:lik (peut-être), baɾʃa (beaucoup) et ga:wri (Européen) de même que le suffixe d'occupation ʒi rencontré dans busta:ʒi (postier) et kawwarʒi (footballeur), ou au grec comme « chaussettes » (klasset) qui vient de κάλτσα (ka:lsta).

Ces emprunts ne doivent pas être confondus avec l'usage direct de mots ou locutions du français dans le parler quotidien des Tunisiens (alternance de code linguistique), surtout ceux du nord du pays, particulièrement rencontrés dans l'environnement des affaires. Toutefois, beaucoup de mots français sont utilisés dans le discours des Tunisiens sans être adaptés à la phonologie tunisienne à l'exception du « r » français ([ʁ]) que les hommes en particulier remplacent souvent par un [r][7]. Ainsi, beaucoup de Tunisiens utiliseront le français « ça va ? » à la place ou en plus de l'expression tunisienne ʃniya ħwa:lik, l'italien ciao ou l'anglais bye au lieu de bisslema. Il est difficile dans ce cas de distinguer s'il s'agit d'un usage direct ou d'un emprunt. Un autre phénomène fréquemment observé est le glissement sémantique de certains mots d'origine arabe, par exemple macha qui signifie au sens strict l'action d'aller à pied, mais a évolué en tunisien en mcha qui est utilisé dès lors qu'il y a une notion de déplacement, là où l'arabe utiliserait le verbe dhahaba (aller). On constate de manière pararoxale que le terme arabe dhahaba est d'un emploi grossier en tunisien. On observe aussi le même phénomène pour certains mots d'origine étrangère comme le mot italien macaroni désignant une variété particulière de pâtes a donné le mot tunisien maqrouna qui désigne les pâtes alimentaires en général, là où l'italien utiliserait pasta.

On trouvera ci-après une liste d'autres mots d'origine diverse :

  • ak'hil (noir) d'origine arabe
  • akahaw (c'est tout) d'origine arabe
  • âasslama (salut) d'origine arabe
  • babour (navire) d'origine turque
  • bank (genre de canapé traditionnel en bois) d'origine française
  • barsha ou yasser (beaucoup) d'origine arabe
  • bêhi (bon, bien, d'accord) d'origine arabe
  • bisklêt (bicyclette) d'origine française
  • blassa (place, lieu) d'origine italienne
  • bnine (délicieux) d'origine italienne
  • bousta (poste) d'origine française
  • brikiyya (briquet) d'origine française
  • charka (collier) d'origine arabe
  • chnoua ? ou chniyya ? (quoi ?, qu'est-ce que ?) d'origine arabe
  • cigarou (cigarette) d'origine française
  • dacourdou (d'accord) d'origine italienne
  • fatchatta (façade) d'origine italienne
  • fichta (jour férié) d'origine italienne
  • flouka ou battou (bateau) d'origine arabe, d'origine française
  • forguita ou forchita (fourchette) d'origine française
  • frip (friperie) d'origine anglaise
  • guennariya (artichaut) d'origine turque
  • hatta-shayy (rien) d'origine arabe
  • hlow (doux, sucré) d'origine arabe
  • jarboû (rat) d'origine arabe
  • kalb (chien) d'origine arabe
  • kar (autobus, car) d'origine anglaise
  • karrita (charrette) d'origine italienne
  • karroussa (carrosse) d'origine italienne
  • karmouss (figue) d'origine arabe
  • kayyès (bitume) d'origine française
  • kwatrou (cadre) d'origine italienne
  • mekina (machine) d'origine italienne
  • miziria (misère) d'origine française
  • mizyen (beau) d'origine arabe
  • mousiqa (musique) d'origine grecque
  • ouqida (allumettes) d'origine arabe
  • ratsa (race) d'origine italienne
  • sabbala (robinet) d'origine arabe
  • sahha ou bishfé (bon appétit) d'origine arabe
  • sfenneria (carotte) d'origine turque
  • qattous (chat) du bas-latin cattus
  • talvza (télévision) d'origine française
  • trino (train) d'origine italienne
  • zanzana (bruit de fond) d'origine arabe

Toutefois, le plus grand nombre de différences entre le tunisien et l'arabe littéral n'est pas lié à l'emprunt de mots étrangers mais à un glissement de sens de racines arabes et à la présence de néologismes. Presque tous les mots liés à des questionnements tombent dans cette catégorie : les tunisiens ʃnuwwa et a:ʃ (quoi ?) par rapport à l'arabe ma:ða, le tunisien waqta:ʃ (quand ?) par rapport à l'arabe mata:, ʃku:n (qui ?) par rapport à man et ʕala:ʃ (pourquoi ?) par rapport à lima:ða. Les glissements de sens apparaissent clairement pour des racines telles que xdm, qui signifie « travail » en Tunisie mais « servir » en arabe, ʕml qui est réduit à « faire » et ne peut signifier « travail » comme en arabe, et mʃj dont le sens est passé de « aller » à « marcher ».

Grammaire

La grammaire des dialectes tunisiens est globalement proche de la grammaire de l'arabe littéral, à quelques simplifications près. Ainsi, les déclinaisons ont tendance à disparaître avec l'amuïssement des voyelles finales : le mot arabe kitab est normalement décliné en kitab-on au nominatif, kitab-en à l'accusatif et kitab-in au datif. En tunisien, le mot devient simplemnt ktèb dans tous les cas. De même, la distinction entre certains pronoms masculins et féminins a tendance a disparaître sous le même effet : le pronom personnel sujet à la deuxième personne du singulier, en arabe anta (m.) et anti (f.) devient simplement inti dans les deux cas (sauf dans les dialectes du sud et de l'ouest qui ont conservé la distinction). Cet effacement est renforcé par le fait qu'il n'existe pas de différence de conjugaison à cette personne. Par contre, les dialectes ont conservé la distinction entre pronoms de la troisième personne houa (il) et hia (elle).


Une autre simplification notable de la grammaire par rapport à l'arabe est la disparition complète du duel, forme pronominale usitée pour parler de deux personnes. Les pronoms et la conjugaison du duel sont remplacés par leurs équivalents du pluriel (utilisé en arabe seulement pour des groupes de trois personnes ou plus), se rapprochant ainsi de la pratique des langues romanes et de la grammaire hébraïque. On observe exactement les mêmes phénomènes en maltais.

Conjugaison

Il existe des différences significatives de morphologie entre le tunisien et l'arabe littéral. Ce dernier marque treize distinctions de personnes, nombres et genres dans la flexion verbale alors que le dialecte de Tunis en marque seulement sept, la distinction de genre se trouvant seulement à la troisième personne du singulier. Les dialectes ruraux ou d'origine berbère de l'intérieur du pays marquent aussi le genre à la deuxième personne du singulier tout comme la plupart des variétés parlées ailleurs dans le monde arabe.

Les verbes réguliers sont conjugués, dans les dialectes urbains, selon le tableau suivant :


Sécant
Personne Singulier Pluriel
Première ktibt ktibna
Deuxième ktibt ktibtu
Troisième (m) ktib kitbu
Troisième (f) kitbit kitbu (masculin)

La plupart des dialectes ruraux ajoutent un second féminin singulier : ktibti.

Non-sécant
Personne Singulier Pluriel
Première niktib niktibu
Deuxième tiktib tiktibu
Troisième (m) jiktib jiktibu
Troisième (f) tiktib jiktibu (masculin)

La plupart des dialectes ruraux ajoutent un second féminin singulier : tiktibi. Les verbes « faibles » possédant une semi-voyelle finale suivent quant à eux une conjugaison différente :

Personne Singulier Pluriel
Première mʃi:t mʃi:na
Deuxième mʃi:t mʃi:tu
Troisième (m) mʃa: mʃa:u
Troisième (f) mʃa:t mʃa:u (masculin)

La plupart des dialectes ruraux ajoutent un troisième féminin singulier : mʃit. Les dialectes avec le phonème /e:/ tendent à l'utiliser à la place du /i:/ dans cette conjugaison.

Non-sécant
Personne Singulier Pluriel
Première nimʃi nimʃi:u
Deuxième timʃi timʃi:u
Troisième (m) jimʃi jimʃi:u
Troisième (f) timʃi jimʃi:u (masculin)

Les dialectes ruraux ont supprimé la voyelle radicale au pluriel, engendrant des formes comme nimʃu.

Phonologie

Il existe plusieurs différences de prononciation entre l'arabe littéral et le tunisien. Les voyelles courtes sont ainsi fréquemment omises en tunisien, spécialement lorsqu'elles se trouvent être l'élément final d'une syllabe ouverte. Cela a probablement été encouragé par le substrat berbère. En voici quelques exemples :

  • /kataba/, « Il écrit » en arabe littéral, devient en tunisien /ktib/.
  • /katabat/, « Elle écrit », en arabe littéral, devient /kitbit/.

Les verbes réguliers montre ce phénomène dans leur conjugaison mais il existe aussi pour les noms :

  • /dbaʃ/ (affaires)
  • /dabʃi/ (mes affaires)

Le marque du duel pour les noms est seulement utilisée pour des mesures de quantité et des termes allant généralement par paires (yeux, mains, parents, etc.).

Voyelles

Étant donné que la pharyngalisation est une propriété des consonnes, la plupart des dialectes ont trois timbres de voyelles /i, a, u/, toutes susceptibles d'une distinction de longueur comme dans l'arabe littéral. Une voyelle finale est longue dans des mots portant l'accent sur une seule syllabe (par exemple /ʒa/ [ʒɛː] ou « Il est venu »), brève dans les autres cas. Certains dialectes, par exemple ceux de Gabès et Monastir, possèdent des voyelles longues (/eː/ et /oː) dérivées des diphtongues (/aj/ et /aw/) de l'arabe ancien. Celles-ci sont maintenues à Sfax, et les formes les plus traditionnelles (en recul) du dialecte des femmes de Tunis, mais ont fusionné avec /iː/ et /uː/ dans la plupart des dialectes.

Le tunisien maintient une distinction nette entre toutes les voyelles brèves à la différence du marocain et de l'algérien : par exemple /qimt/ (« J'ai résidé ») contre /qumt/ (« J'ai grandi »). À l'exception des variétés où des formes de l'arabe ancien sont maintenues, il n'existe pas de diphtongues. Dans des environnements non pharyngalisés, il existe une antériorisation et une fermeture du /aː/, et dans une moindre mesure du /a/, qui, en particulier auprès des jeunes locuteurs tunisois, peut aboutir à des réalisations phonétiques telles que [eː].

Consonnes

L'arabe littéral qâf comporte aussi bien le /q/ que le /g/ comme réflexes dans les dialectes urbains et ruraux avec le /q/ prédominant dans les dialectes urbains et le /g/ dans les dialectes ruraux (« Il a dit » se dit ainsi /qaː l/ ou /gaː l/). Néanmoins, certains mots sont les mêmes quel que soit le dialecte : « vache » est toujours prononcé /bagra/[8] et « étude » /naqra/. Les consonnes interdentales sont également maintenues, sauf dans le dialecte traditionnel de Mahdia. L'arabe littéral fusionne pour sa part /dˁ/ avec /ðˁ/.

Phonèmes consonnes du tunisien
  Bilabiales Inter-dentales Alvéolaires Post-alvéolaires Palatales Vélaires Uvulaires Pharyn-gales Glottales
Simples Emphatiques Simples Emphatiques
Occlusives Sourde (p)     t     k q   (ʔ)
Sonore b (bˁ)   d       g      
Fricatives Sourdes f   θ s ʃ     χ ħ h
Sonores (v)   ð, ðˁ z (zˁ) ʒ     ʁ ʕ  
Nasales m (mˁ)   n (nˁ)            
Latérales       l        
Battues       r            
Semi-voyelles w           j        

Voir l'article sur l'alphabet arabe pour les explications concernant les symboles phonétiques de l'API figurant dans ce tableau. La pharyngalisation en arabe peut aussi être représentée avec un point sous la lettre comme /ḍ/.

Certaines consonnes sont entre crochets dans le tableau ci-dessus parce qu'elles ne sont pas universellement considérées comme des phonèmes distincts. Il y a toutefois de fortes indications qu'elles en sont. Il existe deux sources pour ces consonnes entre crochets : les formes pharyngalisées sont des développements internes alors que /p/ et /v/ sont le résultat des emprunts du français et /ʔ/ de l'arabe littéral. Les paires minimales ne sont pas toujours faciles à trouver pour ces contrastes mais il existe néanmoins des exemples montrant que ces formes marginales ne représentent pas les allophones d'autres phonèmes comme :

  • /baː b/ [bɛː b] : porte
  • /bˁaː bˁa/ [bˁɑː bˁɑ] : père

à côté d'une paire minimale :

  • /gaː z/ [gɛː z] : essence
  • /gaː zˁ/ [gɑː zˁ] : gaz

La réalisation des voyelles à l'intérieur de chaque paire est radicalement différente. La pharyngalisation sur les consonnes elles-mêmes est relativement faible, la principale réalisation étant sur les voyelles adjacentes, et tend à disparaître chez certains locuteurs comme dans [sbɛːħ] (matin), en l'absence de voyelle nécessaire à la pharyngalisation sur la première consonne. Il existe d'autres mots tels que /nˁaː nˁa/ (vieille femme) dont la forme, tout en n'ayant pas de paires minimales ou analogues, ne peut être attribuée à une variation conditionnée et justifie un phonème /nˁ/ certes rare. Les paires minimales pour les phonèmes les plus communément admis /rˁ/ et /lˁ/ peuvent être données comme dans :

  • /ʒra/[ʒrɛː] : Il a couru
  • /ʒrˁa/[ʒrˁɑː] : C'est arrivé
  • /walla/[wɛllɛ] : ou
  • /walˁlˁa/[wɑlˁlˁɑ] : Mon Dieu !

Hans-Rudolf Singer donne une liste complète des oppositions pour chaque phonème[9]. Le tunisien ayant des emprunts du français, de nombreux mots et expressions utilisés par ceux qui ne parlent pas le français maintiennent /p/ et /v/ comme dans :

  • /pisi:n/ : piscine
  • /mgarrap/ : souffrir de la grippe (dérivé du mot français)
  • /jnarvisni/ : Il m'ennuie
  • /ga:riv/ : en grève (dérivé du mot français)

/ʔ/ tend à se produire dans le registre appris, dans des emprunts à l'arabe littéral, souvent dans des formes de masdar (nom verbal) au début d'un mot mais aussi dans d'autres formules comme /biːʔa/ (environnement) et /jisʔal/ (Il demande) même si de nombreux locuteurs (surtout les moins instruits) remplacent /h/ par /ʔ/ dans cette dernière expression.

Syllabe

Le tunisien, comme beaucoup de variétés d'arabe maghrébin, possède une structure syllabique très différente de celle de l'arabe littéral. Alors que ce dernier ne peut comporter qu'une seule consonne en début de syllabe, obligatoirement suivie d'une voyelle, le tunisien place généralement deux consonnes dans l'attaque syllabique. Par exemple, l'arabe « livre » se prononce /kitaːb/ alors qu'en tunisien il se prononce /ktaːb/. Le noyau syllabique peut contenir une voyelle brève ou longue et, en fin de syllabe, c'est-à-dire dans la coda, jusqu'à trois consonnes comme dans /ma dxaltʃ/ (« Je ne suis pas entré ») ; l'arabe littéral ne peut pour sa part comporter plus de deux consonnes à cet emplacement.

Les syllabes à l'intérieur des mots sont généralement lourdes car elles comportent une voyelle longue dans le noyau ou une consonne dans la coda. Les syllabes non finales qui se composent d'une consonne et d'une voyelle courte (syllabes légères) sont très rares et généralement tirées de l'arabe littéral : les voyelles brèves en cette position ont généralement été perdues, produisant de nombreux groupes de consonnes à l'initiale. Par exemple, /ʒawaːb/ (réponse) est tiré de l'arabe littéral, mais le même mot a connu un développement naturel, /ʒwaːb/, qui est le mot usuel pour désigner une « lettre ».

Notes et références

  1. Albert J. Borg et Marie Azzopardi-Alexander, Maltese, éd. Routledge, New York, 1996, p. XIII (ISBN 0415022436) :
    « La source immédiate pour l'arabe vernaculaire parlé à Malte était la Sicile musulmane mais son origine ultime semble avoir été la Tunisie. En fait, le maltais possède quelques traits typiques de l'arabe maghrébin même si près de 800 ans d'évolution l'ont quelque peu éloigné de l'arabe tunisien. »
  2. Michael Gibson, Dialect Contact in Tunisian Arabic. Sociolinguistic and structural aspects, éd. Université de Reading, Reading, 1998
  3. William Marçais, « Les parlers arabes », Initiation à la Tunisie, éd. Adrien Maisonneuve, Paris, 1950, pp. 195-219
  4. Hans-Rudolf Singer, Grammatik der arabischen Mundart der Medina von Tunis, éd. Walter de Gruyter, Berlin, 1984
  5. Fathi Talmoudi, The Arabic Dialect of Sûsa (Tunisia), éd. Acta Universitatis Gothoburgensis, Göteborg, 1986[réf. incomplète]
  6. Le mot triciti est parfois employé même si le mot d'origine arabe (dhou) est plus utilisé. Il faut signaler que mot le plus approprié en arabe (kahrouba:ʔ) est plutôt utilisé par les médias.
  7. Mohamed Jabeur, A Sociolinguistic Study in Rades. Tunisia, éd. Université de Reading, Reading, 1987
  8. Une liste plus complète de ce type de mots est donnée dans Taïeb Baccouche , « Le phonème g dans les parlers arabes citadins de Tunisie », Revue tunisienne de sciences sociales, n°9 (30/31), 1972.
  9. Hans-Rudolf Singer, op. cit., pp. 37-60
  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Tunisian Arabic ».

Bibliographie

  • Taïeb Baccouche , « Le phonème g dans les parlers arabes citadins de Tunisie », Revue tunisienne de sciences sociales, n°9 (30/31), 1972, pp. 103-137
  • Taïeb Baccouche, Hichem Skik et Abdelmajid Attia, « Travaux de phonologie. Parlers de Djemmal, Gabès et Mahdia », Cahiers du CERES, Tunis, 1969
  • Jean-Pierre Cantineau, « Analyse du parler arabe d'El-Hâmma de Gabès », Bulletin de la Société linguistique de Paris, n°47, 1951, pp. 64-105
  • Michael Gibson, Dialect Contact in Tunisian Arabic. Sociolinguistic and structural aspects, éd. Université de Reading, Reading, 1998
  • Mohamed Jabeur, A Sociolinguistic Study in Rades. Tunisia, éd. Université de Reading, Reading, 1987
  • William Marçais, « Les parlers arabes », Initiation à la Tunisie, éd. Adrien Maisonneuve, Paris, 1950, pp. 195-219
  • Giuliano Mion, « Osservazioni sul sistema verbale dell'arabo di Tunisi », Rivista degli Studi Orientali, n°78, 2004, pp. 243-255
  • Lucienne Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, éd. Geuthner Diff., Paris, 1984
  • Hans-Rudolf Singer, Grammatik der arabischen Mundart der Medina von Tunis, éd. Walter de Gruyter, Berlin, 1984
  • Hans Stumme, Grammatik des tunisischen Arabisch, nebst Glossar, Leipzig, 1896
  • Fathi Talmoudi, The Arabic Dialect of Sûsa (Tunisia), éd. Acta Universitatis Gothoburgensis, Göteborg, 1986

Voir aussi

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