- Janissaire
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Les janissaires (en turc Yeniçeri, littéralement « nouvelle milice ») étaient une secte militaire très puissante ; troupe composée d'esclaves, constituant l'élite de l'infanterie de l'armée ottomane à l'apogée de l'Empire ottoman.
Ils appartenaient à la classe des Esclaves de la Porte, qui occupait les postes les plus influents dans l'administration et l'armée.
Sommaire
Histoire
La date exacte et les circonstances de la création du corps des janissaires font débat chez les historiens, qui l'attribuent soit à Orhan, le deuxième sultan ottoman, soit à son fils Murad.
Les janissaires formèrent progressivement l'épine dorsale de l'armée en se substituant aux autres types d'infanterie auparavant utilisés par l'armée ottomane, et prouvèrent leur valeur, notamment à la bataille de Nicopolis en 1396 contre la croisade hongroise.
Les janissaires acquirent rapidement un rôle de « garde prétorienne », avec les implications politiques afférentes, notamment dans les crises de succession. Ils devinrent un pouvoir au sein de la cour du sultan, et les réformes décidées par celui-ci ne touchaient jamais leurs privilèges.
Révoltes des janissaires
À partir du XVIe siècle, l’histoire des janissaires est une suite de révoltes, assassinats et renversements de vizirs, aghas, et même de sultans : Bayezid II (1512), Mourad III (1595), Osman II (1622), Ibrahim Ier (1648), Mustafa II (1774), Selim III (1807) et Mustafa IV (1808).
De meme en 1817 à Alger alors qu'elle était vassale des Ottomans; une violente mutinerie éclata dans toutes les casernes des Janissaires ; le Dey d'Alger les massacra avec des mercenaires, des contingents Kabyles et berbères afin de réaffirmer l'ordre à Alger.
La fin des janissaires
Le sultan Mahmoud II décide de se débarrasser de ce corps de plus en plus encombrant. Le 16 juin 1826, il donne le signal en faisant déployer l’étendard sacré du prophète de l'islam Mahomet. La masse populaire, préparée par les oulémas, se précipite en renfort de l’armée. Les janissaires sont massacrés à coups de boulets, incendiés dans leurs casernes (plus de 8 000 morts), et égorgés dans les rues. Les jours suivants, des commissions militaires passent les rescapés par les armes, à Istanboul et dans les provinces. Sur un effectif de 140 000 hommes, 20 000 seront bannis, les autres étant, en majorité, massacrés ou exécutés (120 000 morts).
Toujours est-il qu'en 1830 les armées françaises remarquèrent, lors du débarquement, des troupes de janissaires défendant Alger, même si leur secte militaire avait été dissoute 4 ans auparavant. On considère que ce furent les derniers janissaires de l'Empire ottoman.
Recrutement
Le corps des janissaires était exclusivement composé d'enfants chrétiens réduits en esclavage, les deux principaux modes de recrutement étant la capture à l'occasion de guerre ou de raids, ou la réquisition selon le système du devchirmé ("cueillette" en turc), à raison d'un fils sur quarante. Les familles des 39 enfants non choisis devaient financer le voyage du quarantième jusqu'à la capitale.
Les janissaires pouvaient donc être issus de familles grecques, bulgares, serbes, russes, ukrainiennes, roumaines, albanaises, croates, hongroises, arméniennes ou géorgiennes. Ce recrutement permettait à l'Empire de renforcer son armée tout en affaiblissant ses sujets chrétiens potentiellement insoumis. La création de ce corps d'armée janissaire répond aux ambiguïtés concernant l'application de la charia et les réalités de la conquête ottomane amorcée sous Orhan. Si la charia interdit la réduction en esclavage d'enfants et d'hommes musulmans, les esclaves chrétiens, capturés très jeunes, formés et islamisés contournent le problème dogmatique. Les janissaires ont donc le statut d'esclaves. Entièrement consacrés à la vie militaire, ils n’ont pas le droit de se marier.
Structure du corps des janissaires
L’oçak (corps) des janissaires fait partie des Kapı Kulari (esclaves de la Porte), c’est-à-dire de l’armée impériale directement placée sous les ordres du sultan. L’oçak est placé sous le commandement de l’aga des janissaires (l’un des personnages les plus importants de l’empire). Il est composé de trois « régiments » ou « sections » : le ceemat (assemblée), le bölük (division) et le segmen (dresseurs de chiens) qui contiennent un nombre disparate de compagnies (ortas) dont certaines sont totalement dévouées à l'administration de l'empire et ne comptent aucun combattant. Les ortas de janissaires sont initialement de petites unités de quelques dizaines de soldats. En fait, aucune règle ne régit leur composition qui varie énormément d'une orta à l'autre et d'une époque à l'autre[Note 1]. Certaines d’entre elles sont spécialisées (escorte du train, maîtres chiens, veneurs…) mais la majorité d’entre elles sont des unités combattantes assurant de plus en plus souvent le rôle de garnisons dans les provinces reculées de l’empire.
« Assurément, les janissaires étaient le corps le plus efficace et le plus redoutable qu’il ait été donné au monde de connaître », affirmait l’historien anglais Monroe[Note 2] en 1908. D’ailleurs, selon Thévenot, « il semble qu’ils soient sacrés, et assurément je ne sais aucun ordre de milice dans le monde qui soit autant respecté, car il n’y a pas de richesses qui puissent sauver la vie à un homme qui a battu un janissaire[Note 3]. »
Armement et équipement
Le janissaire est habillé d’un grand caftan qui ne correspond pas à l’idée qu’on peut se faire d’un uniforme ; sa couleur pouvait varier au sein d’une unité (on trouve principalement le rouge, bien que le bleu et parfois le vert soient également courants, mais le jaune est réservé aux troupes de la garde). Le couvre-chef caractéristique (la fameuse couronne de cuivre dotée d’un vaste bonnet blanc retombant sur la nuque) tend à se raréfier au profit d’une simple toque de laine lors des actions militaires ; le but principal du couvre-chef était de pavoiser et d’arborer les grandes plumes offertes par les supérieurs en récompense d’une action d’éclat ou pour avoir rapporté un certain nombre de têtes adverses coupées.
Le janissaire remplace peu à peu l'arc composite hérité des armées turques traditionnelles par un mousquet long et lourd adapté au tir de précision plutôt qu’au tir de salve. La cadence est lente et l’efficacité en bataille repose sur un feu précis appuyé par des défenses légères comme des levées de terres ou des armes d’hast (hallebardes, pertuisanes, lances) plantées dans le sol. Il porte généralement un sabre plutôt qu’une épée pour les combats au corps à corps ; les armes longues comme la lance et les pertuisanes tendent à se raréfier. Le pistolet fait son apparition au sein de l’armée ottomane à partir de la campagne de 1664, mais ne sera jamais d’un usage courant [Note 4]. Les sipahis, les cavaliers du sultan, sont censés les suivre à la bataille afin de les protéger de l’action des cavaleries adverses, car les janissaires ne portent pas de piques contrairement aux soldats occidentaux.
Tactique
Les janissaires combattent comme des guerriers féroces à la redoutable efficacité, que ce soit à l’arc, au mousquet ou au sabre. Ils peuvent être aussi bien employés dans les escarmouches lors des sièges qu’à mener un assaut sur des retranchements adverses. En revanche, ils refusent le recours aux tirs de salves et l’usage de la pique en masse qui les rabaisserait au rang d’automates. Ils sont rompus aux marches forcées et ne rechignent jamais à entreprendre des travaux de sapeurs, ce qui confère aux Ottomans un véritable avantage stratégique sur les armées occidentales[Note 5].
Lors des batailles, les armées ottomanes se déploient traditionnellement sur trois lignes parallèles d'infanterie avec les sipahis sur chaque aile. Les janissaires occupent généralement la troisième et dernière ligne. Les deux premières (principalement composées d'azabs et autres irréguliers) ont pour but de désorganiser et de fatiguer l'adversaire. Lorsque ce dernier arrive devant la ligne des janissaires, il essuie un feu précis de leurs canons et de leurs puissants mousquets qui, bien souvent, ne lui permet pas de se réorganiser. Une simple charge de cette armée pléthorique finit par le démoraliser.
Cependant, l'armée ottomane possède de nombreux points faibles : Si elle se déplace très rapidement durant les mouvements stratégiques, une fois déployée et face à l'adversaire, ses capacités de manœuvre sont considérablement réduites [Note 6]. De plus, ses troupes sont incapables d'arrêter un adversaire déterminé. Lorsque ce dernier arrive à garder sa cohésion il peut transpercer les trois lignes de défense ottomane et s'assurer la victoire. Il faut rajouter à cela une incapacité du corps à se réformer et à adopter d'autres méthodes de combat. À la fin du XVIIe siècle et après deux siècles d'efficacité, le modèle tactique ottoman s'effondre face aux troupes occidentales désormais entraînées à garder leur cohésion durant les manœuvres et appliquant des techniques et combat, mais surtout du matériel de combat, nettement plus moderne[Note 7].
L'héritage ottoman des armées modernes
Les autres armées européennes s'inspirèrent ou copièrent plusieurs innovations élaborées au sein des armées ottomanes en général et du corps des janissaires en particulier:
- Les fanfares militaires : Les troupes ottomanes furent les premières en Europe à se doter de fanfares militaires (mehterhane) composées d'un nombre variable d'ensembles. Un ensemble se composait d’un tambour, de timbales, d’une clarinette, d’une trompette et de cymbales[Note 8]; par exemple, la fanfare personnelle du sultan (mehter) était composée de 9 ensembles[Source 1]. Certaines fanfares pouvaient être entièrement montées sur des chevaux, des chameaux ou des dromadaires[Source 1] (notamment les gros tambours)[Note 9].
- Les techniques de siège modernes : Les troupes ottomanes furent les premières à employer un système de tranchées pour approcher les places fortes assiégées. Cette technique consistait à creuser de larges et profondes tranchées en zigzag pour progresser vers les murailles de la place assiégée[Source 2]. Elle fut amplement améliorée au cours des siècles pour aboutir au système préconisé par le maréchal Vauban[Note 5].
- L'hygiène des camps militaires : Tous les chroniqueurs contemporains s'accordent à dire que les camps militaires turcs étaient particulièrement bien tenus et organisés surtout pour des troupes comptant énormément de bêtes (chevaux et animaux de bât)[Source 3]. Leur hygiène était de bien meilleure qualité que celle des armées occidentales qui perdaient beaucoup d'hommes à cause des maladies provoquées par la promiscuité et le manque d'hygiène[Note 5].
Quelques remarques
- Les janissaires furent présents en Algérie où, par mariage avec des femmes indigènes, ils donnèrent naissance à la communauté des Kouloughlis (du turc Köl o?ul : fils d'esclave).(Alger est alors une ville de l'Empire ottoman).
- Leur symbolique et leurs grades étaient associés à la cuisine ; les officiers portaient une louche dans leur coiffe, la soupière sacrée était révérée (les infidèles la touchant étant exécutés pour sacrilège, la renverser étant signe de révolte), et le sultan était appelé "père nourricier". La bannière des janissaires était surmontée d'une main en or tenant un exemplaire du Coran.
Ces références culinaires ont suscité beaucoup de curiosité chez les chroniqueurs et témoins occidentaux qui les notent quasi-systématiquement dans leur relation sur l'Empire ottoman.
Voir aussi
Autres armées d'esclaves : Le principe d’armées composées d’esclaves fut pratiqué ailleurs dans les territoires à domination musulmane, sous d’autres noms :
- les Mamelouks en Égypte, esclaves turcs qui renversent leur sultan en 1250 et prennent sa place. Ils seront massacrés par le vice-roi d’Égypte Méhémet-Ali en 1811.
- les Esclavons de l’Andalus, d’origine slave (d’où le mot français « esclave »).
- les Ghurides en Inde, qui fonderont la dynastie des « Rois-Esclaves » de Delhi.
Unités de l'armée ottomane
Références
Ouvrages
- Jean-Pierre Bois, Les guerres en Europes, 1492-1792. Édition Belin SUP, collection Histoire, 1993. ISBN 2-7011-1456-X
- Robert Mantran, Histoire de l’Empire Ottoman. Éditions Fayard, 1998. ISBN 2-213-01956-8
- Claire Gantet, Guerre, paix et construction des États 1618-1714. Éditions du Seuil dans la collection nouvelle histoire des relations internationales, tome 2.
- John Childs, Atlas des Guerres, la guerre au XVIIe siècle. Éditions Autrement.
- Dimitri Kitsikis, L'Empire ottoman. Presses Universitaires de France,3e édition, 1994, ISBN 2 13 043459 2
- (en) David Nicolle et Christa Hook, The janissaries. Éditions Osprey, Elite Series no 58, Grande-Bretagne 1995. ISBN 1-85532-413-X
- (en) David Nicolle et Angus Mc Bride, Armies ot the ottoman turks, 1300-1774. Édition Osprey, Men-at-arms Series no 140, Grande-Bretagne 1983. ISBN 0-85045-511-1
Commentaires
Notes :
- le nombre de janissaires au sein d'une orta ayant tendance à augmenter au cours de l'histoire de l'empire ottoman
- Will Seymour Monroe, Turkey and the Turks: an account of the lands, the peoples, and the institutions of the Ottoman empire, Boston, L.C. Page & Co., 1907 (réimpr. Darf Publishers, 1985), 340 p. (ISBN 1850770611). D'après
- Jean Thévenot, L’empire du Grand Turc (en 1655), Paris, 1684 (réimpr. Calmann-Lévy, 1965). Cf.
- sauf chez les cavaliers
- Contrairement au soldat occidental qui juge les travaux manuels dégradants voir humiliants, les soldats ottomans et les janissaires en particulier sont habitués à les pratiquer. Cela facilite grandement la mise en œuvre de travaux de toutes sortes sans avoir recours à du personnel extérieur à l'armée comme c'est le cas dans les armées occidentales. Cela confère un avantage stratégique souvent déterminant aux armées ottomanes
- pas d'unités ou de structure subtactique comme les bataillons ou les compagnies de soldats habitués à manœuvrer ensemble durant la bataille
- bataille de Saint-Gothard en 1664 est la première où la modernité des armées occidentales prend le pas sur les troupes ottomanes. Mais c'est surtout à partir de la fin du XVIIe siècle et l'utilisation de la baïonnette que la suprématie des tactiques occidentales s'impose outrageusement. La
- "chapeau chinois" de la fanfare de la légion étrangère s'inspire directement des instruments de musique ottomans Le
- Mehter Des représentations musicales inspirées de ces fanfares militaires ottomanes ont encore lieu pour les touristes devant les portes du palais de Topkapı ou du musée militaire. CF :
Sources :
- Nicolle, The janissaries, p. 31-32.
- Nicolle, Armies of the ottoman Turks, pages 19-20
- Mantran, p. 204-205
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