Apostrophe (rhetorique)

Apostrophe (rhetorique)

Apostrophe (rhétorique)

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Lapostrophe (substantif féminin), du grec apostrophi (action de se détourner), possède trois sens dans la langue française :

  • il sagit dune fonction grammaticale utilisée pour marquer une interpellation dans la langue. Par exemple, dans la phrase « Ô malheureux mortels ! Ô terre déplorable ! » ( Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne) lapostrophe est marquée par le double emploi du mot ô. Cette fonction est généralement traduite dans les langues flexionnelles par un vocatif.
  • il sagit enfin dune figure de style similaire à lallocution rhétorique et qui consiste à interrompre un discours ou un récit pour sadresser subitement à un destinataire en général absent ou fictif. Proche de la digression ou de lépiphrase, lapostrophe est une figure de rhétorique importante qui engage le narrateur dans son discours.
  • en phonétique, lapostrophe est un signe qui semploie pour remplacer la voyelle élidée devant la voyelle initiale ou le h muet; voir larticle apostrophe (typographie), comme dans "lautomobile", "lhomme", "lhyène" (hiatus possible), "sil" (pour "si il" incorrect), "ça" (pour "ça a", incorrect).

Sommaire

Exemples

...apostrophe rhétorique

  • « Oh ! argent que jai tant méprisé et que je ne puis aimer quoi que je fasse, je suis forcé davouer que tu as pourtant ton mérite : source de la liberté, qui arranges mille choses dans notre existence, tout est difficile sans toi »
    (Chateaubriand, Mémoire d'outre-tombe)

 Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou quil peut rajeunir...

  • « Le destin accable mon jeune client... Ah ! L'innocent qui a pu échappé à la peine, quil connaît bien les affres de l'accusation ! »

...apostrophe grammatical

Les mots en apostrophe désignent alors une ou des personnes réelles que lon interpelle ou à qui lon s'adresse :

  • « Luc, viens ici tout de suite ! »
  • « Veuillez recevoir, Monsieur, mes plus cordiales salutations. »

Définition en grammaire

Lapostrophe est un mode dénonciation discursive qui permet de désigner un destinataire animé ou personnifié auquel on adresse la parole pour attirer son attention. D'après Roman Jakobson lapostrophe correspond à la fonction phatique du langage, ou fonction de contact. Reposant le plus souvent sur un nom ou sur un syntagme nominal, ou sur un pronom (ou syntagme pronominal) elle est une sorte dapposition marquée par une intonation spécifique :

« Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !  »
(Charles Baudelaire)

Cet emploi est marqué spécifiquement par le recours à la virgule. Les mots mis en apostrophe sont suivis dune virgule lorsquils débutent un énoncé ou lorsquils sont isolés entre deux virgules, quand ils sont au centre de la phrase mais précédés dune virgule lorsquils terminent cette dernière [1] . La virgule signale également le changement de tonalité et dintonation qui marque lapostrophe.

Enfin, lapostrophe grammaticale na pas véritablement de fonction syntaxique. On lui préfère la notion dexclamation.

Définition linguistique

Lapostrophe, appelée également interpellation, est une figure de style qui permet à lorateur, en sinterrompant tout à coup, de sadresser à quelquun ou à quelque chose, de réel ou dimaginaire. La figure repose principalement sur un vocatif ancien (latin), distinct du ho dappel, précédé dune interjection tel ô ou encore eh quoi fermant toujours la phrase par un point exclamatif ou interrogatif et dont lusage abusif conduit à lhyperbole :


 Ô soldats de lan deux ! Ô guerres ! Épopées !

Elle peut également reposer sur une dislocation:


 Belle reine, et pourquoi vous offenseriez-vous ?
Viens-je vous demander que vous quittiez lempire ?
Que vous maimiez ?

Dans lapostrophe il y a situation de communication ; on retrouve dès lors des marques de la présence du locuteur et de son interlocuteur. Ce dernier est dailleurs souvent une allégorie :


 Oui, tant quil sera , quon cède ou qu'on persiste
Ô France ! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeaux de nos aïeux et nid de mes amours !

(Victor Hugo, Ultima Verba.)

La France est ici personnifiée sous les traits dun être cher.

Cependant lapostrophe peut aussi être destiné à un être réel, cest le cas lorsque la figure est employée dans des dialogues ou sermons :


 Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur...

(Charles Baudelaire, Linvitation au voyage.)

Par ailleurs, lapostrophe peut prendre la forme dune adresse directe faite au lecteur ou à lauditeur :

 Rentrons en nous-mêmes, ô mon jeune ami ! examinons, tout intérêt personnel à part, à quoi nos penchants nous portent.

(Jean Jacques Rousseau, Émile, Livre IV.)

On appelle en effet adresse le passage d'une œuvre littéraire lauteur nomme et décrit son lecteur ; dès lors lapostrophe sous entend une autre figure : lépiphrase, comme par exemple dans le poème liminaire des Fleurs du mal de Baudelaire intitulé Au lecteur.

Il est parfois impossible de distinguer entre une apposition et une apostrophe lorsque celle-ci n'est pas introduite par un exclamatif comme dans ce vers du Cid :

« Fer, qui causes ma peine »

Enfin, elle peut porter sur une métaphore.

Définition stylistique

Les effets visés par lapostrophe sont multiples et dépendent de la volonté du locuteur qui la professe. Souvent lyrique : destinée à épancher les sentiments contenus, la figure vise également lincantation, en respect avec son utilisation première, dans lAntiquité elle permettait de formuler des expressions religieuses à destinations des dieux :

« Ô cendres dun époux ! ô Troyens ! ô mon père !  »

(Racine)

Elle peut être également un support rhétorique de la prière et de limprécation, souvent soutenues par une anaphore qui permet de suggérer linvocation. Lautréamont répète ainsi plusieurs fois Vieil océan... dans ses Chants de Maldoror comme pour sadresser au dieu maritime.

Lapostrophe permet une intimité avec la personne réelle ou non apostrophée, et dont use Lamartine dans ses Méditations poétiques :


Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou quil peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

(Le Lac.)

À ce titre elle fut très employée par les romantiques pour matérialiser leur sentiment de communion avec la Nature.

Dans le récit on utilise lapostrophe pour étoffer le discours, de manière assez semblable à la figure de lamplification.

Lorsquelle est employée populairement on la désigne sous lexpression de parler à la cantonade.

Genres concernés

Dans les discours ou récits, on parle de sermoncination lorsqu'il y a digression au cours de laquelle lorateur cède la parole à quelquun dautre.

  • En publicité lapostrophe est très employée, à travers la notion de personnalisation, à distinguer de son sens littéraire et stylistique. Il sagit en effet dinclure dans le message le nom des destinataires (les clients).
  • À loral, on emploie lexpression apostropher quelquun pour dire quon est entrer en contact avec lui de façon inattendue et souvent désobligeante : « Tout faraud, il cria : « Tu pues, eh gorille ! » Gabrielle soupira  »(Raymond Queneau, Zazie). Le sarcasme est alors un terme quasi synonyme.

Figures proches

  • Figure « mère » : aucune
  • Figures « filles » : aucun
  • Paronymes: aucun
  • Synonymes: sermocination, prière, invocation, exclamation, adresse, incantation
  • Antonymes: aucun

Notes et références

  1. http://66.46.185.79/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3412 le phénomène de lapostrophe et la virgule en français

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

Bibliographie des figures de style

  • Quintilien (trad. Jean Cousin), De Linstitution oratoire, tI, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », Paris, 1989, 392 p. (ISBN 2251012028) 
  • Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, A. Wechel, Paris, 1557 
  • César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des diferens sens dans lesquels on peut prendre un mème mot dans une mème langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p..
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par labbé Batteux. Disponible en ligne
     
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Flammarion, Paris, 1977 (ISBN 2080810154) 
  • Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Belin, coll. « Collection Sujets », Paris, 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8 (br.)) 
  • Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, 10/18, coll. « Domaine français », Paris, 2003, 540 p. (ISBN 2264037091) 
  • Catherine Fromilhague, Les figures de style, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », Paris, 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3) 
  • Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies daujourdhui », Paris, 1996, 350 p. (ISBN 262531-3017-6) 
  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », Paris, 1998 (ISBN 2130493106) 
  • Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Armand Colin, Paris, 2001, 16×24 cm, 228 p. (ISBN 9782200252397) 
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », Paris, 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-13-043917-9) 
  • Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Honoré Champion, Hendrik, 2005, 533 p. (ISBN 978-2745313256) 


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  • APOSTROPHE — n. f. T. de Rhétorique Figure par laquelle un orateur interpelle brusquement soit des personnages morts, absents ou présents, soit même des choses qu’il personnifie. Démosthène a fait une admirable apostrophe aux morts de Chéronée dans son… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

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