Manipulations génétiques

Manipulations génétiques

Génétique

De la molécule d'ADN à la cellule vivante.

La génétique (du grec genno γεννώ = donner naissance) est la science qui étudie l'hérédité et les gènes.

Une de ses branches, la génétique formelle ou mendélienne, s'intéresse à la transmission des caractères héréditaires entre des géniteurs et leur descendance.

Sommaire

Historique

L'étude de la transmission des caractères à la descendance était déjà pratiquée par les éleveurs, et on considère que les diverses races de chiens (Canis familiaris) proviennent de sélections successives de loups (Canis lupus) depuis 20 000 ans (il a été montré que ces deux espèces de Canis sont interfécondes). Mais depuis Aristote jusque et y compris Darwin (qui avec son "hypothèse de la pangenèse" en proposa une théorie), tous les naturalistes croyaient à la transmission des caractères acquis.

L'interprétation à partir d'une unité qui est le gène est plus récente (voir la Chronologie). Louis Pasteur, en prouvant l'absence de génération spontanée, établit qu'un être vivant possède au moins un ancêtre dont il tire ses caractéristiques.

La première étude sérieuse sur le sujet est réalisée par le moine Gregor Mendel, considéré comme pionnier de la génétique. En observant la transmission des caractéristiques morphologiques de pois à travers quelques générations, il définit les termes de phénotype et génotype et il énonce, en donnant un petit coup de pouce à ses chiffres, les lois dites de Mendel, base de la génétique moderne, et ce, bien avant la découverte de l'ADN. August Weismann postula en 1883 l'existence d'un support matériel de l'hérédité. Cette théorie défendait alors l'impossibilité de la transmission des caractères acquis (alors défendue par le néolamarckisme) et demandait une pleine adhésion au darwinisme :

« Les êtres vivants dérivent les uns des autres par petites variations fortuites continues passées au crible de la sélection naturelle. »

Hugo de Vries en Hollande, Carl Correns et Erich von Tschermak en Allemagne redécouvraient les lois de Mendel chez les végétaux en 1901. En Angleterre, William Bateson deviendra le plus ardent défenseur des lois de Mendel, avec son livre, paru en 1902, « Gregor Mendel's principle of Heredity ». Bateson fut, en outre le premier à introduire en 1906 le terme de génétique. Cette redécouverte imposa l’idée que des particules matérielles indépendantes et juxtaposées (appelées plus tard gènes) se transmettaient, selon des lois statistiques immuables, de génération en génération. La France était à cette époque, du fait de sa tradition lamarckiste scientifique et sociale, bien loin d’accepter une telle idée. En 1902 pourtant, le biologiste, professeur à la Faculté des sciences de Nancy, Lucien Cuénot (1866-1951) retrouva ces lois chez l’animal. Puis il découvrit, en 1905, le premier cas de gène létal chez l’animal, le premier phénomène d’épistasie (1907) où plusieurs gènes situés à des endroits différents du chromosome interviennent dans la même voie biochimique, et, en 1908, le premier cas de pléiotropie où certains gènes peuvent agir sur plusieurs caractères en apparence indépendants. Entre 1908 et 1912, il démontra l’origine héréditaire de certains cas de cancer. En outre, dès 1903, il proposa une interaction possible entre mnémon (gène), diastase (enzyme) et pigments (protéine) ce qui, dans le contexte français de l'époque, était une prouesse. Aux États-Unis, Thomas Hunt Morgan et son équipe développèrent dès 1910 la théorie chromosomique de l’hérédité, à partir de la drosophile, mouche d'élevage aisé et de reproduction bien plus rapide que la souris blanche. Il postula l'échange d'unités chromosomiques pendant la méiose et mit au point une méthode qui permit de situer approximativement la position des gènes sur les chromosomes.

Les progrès techniques permettent peu à peu de définir la notion de gène. Il faut attendre les progrès de la microscopie pour localiser le support des gènes : le chromosome. Dans les années 1950, un nouveau pas est franchi par les Américains James Watson et Francis Crick qui déterminent la structure fine de la molécule constituant les gènes, l'ADN, et aident ainsi à comprendre les mécanismes moléculaires de l'hérédité. Un peu plus tard, trois autres Nobel, François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod, montrent comment celui-ci se structure en codons pour programmer la synthèse de protéines à partir d'acides aminés, la redondance des codages, le mécanisme des mutations, et la présence d'un code de fin de lecture, comme sur une bande magnétique. Sur cette base Jacob, Monod et Mayr avanceront en 1961 l'idée que le développement et le fonctionnement des organismes sont le produit d'un programme génétique. Cette idée, très populaire chez de nombreux biologistes encore aujourd'hui, n'a pourtant à ce jour aucun fondement scientifique et n'a reçu aucune confirmation expérimentale.

Depuis, les études génétiques permettent peu à peu de comprendre la façon dont l'information génétique est codée dans les chromosomes. On a découvert aussi qu'une grande partie de l'ADN était non-codant.

Plus récemment, on a découvert une hérédité basée sur l'ADN mitochondrial. Cet ADN est à l'origine de maladies transmises exclusivement par la mère. En effet lors de la fécondation, les mitochondries du spermatozoïde paternel ne pénètrent pas dans l'ovocyte maternel et les mitochondries ont (sauf chez de très rares exceptions) une origine exclusivement maternelle.

Génétique et Société

Les débuts de la génétique ont été troublés par deux dérives opposées. D'une part, dans les pays occidentaux, la plupart des généticiens ont adhéré, au moins au début, à l'eugénisme. D'autre part, dans le bloc soviétique, la génétique a été interdite (et ses tenants envoyés au goulag) par Staline qui avait placé sa confiance dans Lyssenko.

Différents champs de recherche

Très tôt, la génétique s'est diversifiée en plusieurs branches différentes :

  • la génétique du développement étudie les acteurs moléculaires (et les gènes qui les codent) impliqués dans la formation de l'organisme à partir du stade unicellulaire d'œuf fécondé. Elle se focalise tout particulièrement sur la mise en place de la symétrie bilatérale et les mécanismes qui permettent de passer d'un système biologique simple (unicellulaire, symétrie radiaire) à un organisme complexe (pluricellulaire, souvent métamérisé, et construit en organes spécialisés). Elle utilise souvent des espèces modèles pour étudier les mécanismes de formation de l'organisme (drosophile, nématode, zebrafish, poulet) ;
  • la génétique médicale étudie l'hérédité des maladies génétiques humaines, leur ségrégation dans les familles de malades. Elle cherche à identifier par ce biais les mutations responsables des maladies, afin de mettre au point des traitements pour les soigner ;
  • la génomique étudie la structure, la composition et l'évolution des génomes (la totalité de l'ADN, trois milliards de paires de bases chez l'homme, organisée en chromosomes), et tente d'identifier des motifs dans l'ADN pouvant avoir un sens biologique (gènes, unités transcrites non traduites, miRNAs, unités de régulations, promoteurs, CNGs, etc.) ;
  • la génétique quantitative étudie la composante génétique expliquant la variation de caractères quantitatifs (la taille, la couleur du pelage, la vitesse de croissance, la concentration d'une molécule, etc.) et leur héritabilité ;
  • la génétique de l'évolution étudie les signatures de la sélection naturelle sur le génome des espèces, et tente d'identifier les gènes qui ont joué un rôle essentiel dans l'adaptation et la survie des espèces dans des environnements changeants ;
  • la génétique des populations étudie les forces (et leurs effets) qui influencent la diversité génétique des populations[1] et des espèces (mutation, dérive, sélection) par (entre autres) le développement de modèles mathématiques et statistiques.

L'hérédité, qui étudie le phénotype et tente de déterminer le génotype sous-jacent se base toujours sur les lois de Mendel. La biologie cellulaire et la biologie moléculaire étudient les gènes et leur support matériel (ADN ou ARN) au sein de la cellule, la biologie cellulaire pour leur expression. Les progrès de la branche ingénierie de la génétique, le génie génétique, a pu passer le stade de la simple étude en permettant de modifier le génome, d'implanter, supprimer ou modifier de nouveau gènes dans des organismes vivants : il s'agit des Organisme génétiquement modifié (OGM). Les mêmes progrès ont ouvert une nouvelle voie d'approche thérapeutique : la « thérapie génique ». Il s'agit d'introduire de nouveaux gènes dans l'organisme afin de pallier une déficience héréditaire.

L'évolution sans cesse croissante de la connaissance en génétique pose plusieurs problèmes éthiques, liés au clonage, aux divers types d'eugénisme possibles, à la propriété intellectuelle de gènes et aux possibles risques environnementaux dus aux OGM, comme elle complique également la compréhension du fonctionnement de la machinerie cellulaire. En effet, plus on l'étudie, plus les acteurs sont nombreux (ADN, ARN messager, de transfert, microARN, etc.) et le nombre de rétro-actions (épissage, édition, etc.) entre ces acteurs grandit.

Chronologie

En 1865, passionné de sciences naturelles, le moine autrichien Gregor Mendel, dans le jardin de la cour de son monastère, décide de travailler sur des pois comestibles présentant sept caractères (forme et couleur de la graine, couleur de l'enveloppe, etc.), dont chacun peut se retrouver sous deux formes différentes. À partir de ses expériences, il publie un article de génétique « Recherche sur les hybrides végétaux » où il énonce les lois de transmission de certains caractères héréditaires. Cet article est envoyé aux scientifiques des quatre coins du monde, les réactions sont mitigées, voire inexistantes. Ce n'est qu'en 1907 que son article fut reconnu et traduit en français.

En 1869 l'ADN est isolé par Friedrich Miescher, un médecin suisse. Il récupère les bandages ayant servi à soigner des plaies infectées et il isole une substance riche en phosphore dans le pus. Il nomme cette substance nucléine. Il trouve la nucléine dans toutes les cellules et dans le sperme de saumon.

En 1879, Walther Flemming décrit pour la première fois une mitose. La mitose avait déjà été décrite 40 ans avant par Carl Nageli mais celui ci avait interprété la mitose comme une anomalie. Walter Flemming invente les termes prophase, métaphase, et anaphase pour décrire la division cellulaire. Son travail est publié en 1882.

En 1880, Oskar Hertwig et Eduard Strasburger découvrent que la fusion du noyau de l'ovule et du spermatozoïde est l'élément essentiel de la fécondation.

En 1891, Théoder Bovari démontre et affirme que les chromosomes sont indispensables à la vie

En 1900, redécouverte des lois de l'hérédité : Hugo de Vries, Carl Correns et Erich von Tschermak-Seysenegg redécouvrent de façon indépendante les lois de Mendel.

En 1902, Walter Sutton observe pour la première fois une méiose, propose la théorie chromosomique de l'hérédité, c'est-à-dire que les chromosomes seraient les supports des gènes. Il remarque que le modèle de séparation des chromosomes supporte tout à fait la théorie de Mendel. Il publie son travail la même année[2]. Sa théorie sera démontrée par les travaux de Thomas Morgan.
Première description d'une maladie humaine héréditaire par Archibald Garrod : l' alcaptonurie[3].

En 1909, Wilhelm Johannsen crée le terme gène et fait la différence entre l'aspect d'un être (phénotype) et son gène (génotype). William Bateson, quatre ans avant, utilisait le terme génétique dans un article et la nécessité de nommer les variations héréditaires.

En 1911, Thomas Morgan démontre l'existence de mutations, grâce à une drosophile (mouche) mutante aux yeux blancs. Il montre que les chromosomes sont les supports des gènes, grâce à la découverte des liaisons génétiques (genetic linkage) et des recombinaisons génétiques. Il travaille avec Alfred Sturtevant, Hermann Muller, et Calvin Bridges[4]. Il reçoit le prix Nobel de Médecine en 1933. Ses expériences permettront de consolider la théorie chromosomique de l'hérédité.

En 1913, Morgan et Alfred Sturtevant publient la première carte génétique du chromosome X de la drosophile, montrant l'ordre et la succession des gènes le long du chromosome.

En 1928, Fred Griffith découvre la transformation génétique des bactéries, grâce à des expériences sur le pneumocoque. La transformation permet un transfert d'information génétique entre deux cellules. Il ne connaît pas la nature de ce principe transformant.

En 1941, George Beadle et Edward Tatum émettent l'hypothèse qu'un gène code une (et uniquement une) enzyme en étudiant Neurospora crassa[5].

En 1943, la diffraction au rayon X de l'ADN par William Astbury permet d'émettre la première hypothèse concernant la structure de la molécule : une structure régulière et périodique qu'il décrit comme une pile de pennies (like a pile of pennies).

En 1944, Oswald Avery, Colin MacLeod, et Maclyn McCarty démontrent que l'ADN est une molécule associée à une information héréditaire et peut transformer une cellule.[6].
Barbara McClintock montre que les gènes peuvent se déplacer et que le génome est beaucoup moins statique que prévu [7]. Elle reçoit le prix Nobel de Médecine en 1983.

En 1952, Alfred Hershey et Martha Chase découvrent que seul l'ADN d'un virus a besoin de pénétrer dans une cellule pour l'infecter. Leurs travaux renforcent considérablement l'hypothèse que les gènes sont faits d'ADN[8].

En 1953, simultanément aux travaux de recherche de Maurice Wilkins et Rosalind Franklin qui réalisèrent un cliché d'une molécule d'ADN, James Watson et Francis Crick présentent le modèle en double hélice de l'ADN, expliquant ainsi que l'information génétique puisse être portée par cette molécule. Watson, Crick et Wilkins recevront en 1962 le prix Nobel de médecine pour cette découverte.

En 1955, Joe Hin Tjio fait le premier compte exact des chromosomes humains : 46 [8]. Arthur Kornberg découvre l'ADN polymérase, une enzyme permettant la réplication de l'ADN.

En 1957, le mécanisme de réplication de l'ADN est mis en évidence.

En 1958, lors de l’examen des chromosomes d’un enfant dit « mongolien », le professeur Jérôme Lejeune découvre l’existence d’un chromosome en trop sur la 21e paire. Pour la première fois au monde est établi un lien entre un handicap mental et une anomalie chromosomique. Par la suite, avec ses collaborateurs, il découvre le mécanisme de bien d’autres maladies chromosomiques, ouvrant ainsi la voie à la cytogénétique et à la génétique moderne.

Dans les années 1960, François Jacob et Jacques Monod élucident le mécanisme de la synthèse des protéines. Le principe de code génétique est admis. Ils montrent que la régulation de cette synthèse fait appel à des protéines et mettent en évidence l'existence de séquences d'ADN non traduites mais jouant un rôle dans l'expression des gènes.

En 1961, François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff avancent conjointement l'idée de programme génétique.

1968 : prix Nobel décerné pour le déchiffrage du code génétique.

1975 : autre prix Nobel pour la découverte du mécanisme de fonctionnement des virus.

La génomique devient dès lors l'objet d'intérêts économiques importants.

En 1989, il est décidé de décoder les 3 milliards de paires de bases du génome humain pour identifier les gènes afin de comprendre, dépister et prévenir les maladies génétiques et tenter de les soigner. Une première équipe se lance dans la course : le Human Genome Project, coordonné par le NIH (National Institutes of Health) et composé de 18 pays dont la France avec le Génoscope d'Évry qui sera chargée de séquencer le chromosome 14.

Dans les années 1990, à Évry, des méthodologies utilisant des robots sont mises au point pour gérer toute l'information issue de la génomique.

En 1992-1996, les premières cartes génétiques du génome humain sont publiées par Weissenbach dans un laboratoire du Généthon.

En 1998, créée par Craig Venter et Perkin Elmer (leader dans le domaine des séquenceurs automatiques), la société privée Celera Genomics commence elle aussi le séquençage du génome humain en utilisant une autre technique que celle utilisée par le NIH.

En 1999, un premier chromosome humain, le 22, est séquencé par une équipe coordonnée par le centre Sanger, en Grande-Bretagne.

En juin 2000, le NIH et Celera Genomics annoncent chacun l'obtention de 99% de la séquence du génome humain. Les publications suivront en 2001 dans les journaux Nature pour le NIH et Science pour Celera Genomics.

En juillet 2002, des chercheurs japonais de l'Université de Tokyo ont introduit 2 nouvelles bases, S et Y, aux 4 déjà existantes (A,T,G,C) sur une bactérie de type Escherichia coli, ils l'ont donc dotée d'un patrimoine génétique n'ayant rien de commun avec celui des autres êtres vivants et lui ont fait produire une protéine encore inconnue dans la nature. Certains n'hésitent pas à parler de nouvelle genèse, puisque d'aucuns y voient une nouvelle grammaire autorisant la création d'êtres vivants qui non seulement étaient inimaginables avant mais qui, surtout, n'auraient jamais pu voir le jour.[9]

Le 14 avril 2003, la fin du séquençage du génome humain est annoncée.

Notes et références

  1. http://www.nytimes.com/2008/08/13/science/13visual.html?_r=1&em&oref=slogin : carte génétique de l'Europe sur le site du New YOrk Times
  2. Sutton, Walter, "The chromosomes in heredity", Biological Bulletin 4 (1903): 231-251.
  3. Garrod, A. E. "The incidence of alkaptonuria: a study in chemical individuality". Lancet II: 1616-1620, 1902.
  4. Morgan, Thomas Hunt, et. al., "The mechanism of Mendelian heredity", (New York: Henry Holt and Co., 1915)
  5. |Beadle, G. and Tatum, E., "Genetic control of biochemical reactions in Neurospora". Proc Natl Acad Sci 27: 499-506, 1941
  6. Avery, Oswald T., MacLeod, Colin M., and McCarty, Maclyn, "Studies on the Chemical Nature of the Substance Inducing Transformation of Pneumococcal Types: Induction of Transformation by a Deoxyribonucleic Acid Faction Isolated from Pneumococcus Type III". Journal of Experimental Medicine 149 (February 1979): 297-326. (Reprint of 1944 paper).
  7. McClintock, Barbara, "The origin and behavior of mutable loci in maize", Proceedings of the National Academy of Sciences 36 (6): 344-355, 1950
  8. a  et b |Tjio and Levan: "The chromosome number in man". Hereditas 42: 1, 1956.
  9. les lois du code genetique violees : et maintenant ?

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