Ispahan

Ispahan

32° 41′ N 51° 41′ E / 32.68, 51.68

Ispahan
(fa) اصفهان
La Mosquée du Sheikh Lotfollah, Place Naghsh-e Jahan.
La Mosquée du Sheikh Lotfollah, Place Naghsh-e Jahan.
Administration
Pays Drapeau d'Iran Iran
Province Ispahan
Indicatif téléphonique international +(98)
Maire Mortéza Saghaiannejad
Géographie
Coordonnées 32° 41′ Nord
       51° 41′ Est
/ 32.68, 51.68
Altitude 1 574 m
Démographie
Population 1 600 554 hab. (2006)
Localisation
Iran location map.svg
City locator 15.svg
Ispahan
Internet
Site de la ville http://www.isfahan.ir
Sources
World Gazetteer
Index Mundi

Ispahan ou Isfahan (en persan : اصفهان, EsfahānPrononciation du titre dans sa version originale) est une ville dIran, capitale de la province dIspahan. Elle est située à 340 kilomètres au sud de la capitale, Téhéran. Troisième ville dIran (après Téhéran et Mashhad) avec 1 600 554 habitants en 2006, la zone métropolitaine dIspahan est un des centres majeurs de lindustrie et de lenseignement en Iran.

Ispahan a été capitale de lempire perse sous la dynastie des Safavides entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle. La ville est bien irriguée et noyée de verdure, ce qui offre un contraste bien particulier avec les étendues désertiques qui lentourent. Les travaux entrepris sous le Shah Abbas faisant d'Ispahan une vitrine de l'architecture et de l'art Safavide extrêmement raffiné, ainsi que les nombreux monuments islamiques construits entre le XIe et le XIXe siècle, font d'Ispahan un des joyaux du Moyen-Orient.

La place Naghsh-e Jahan (en persan : میدان نقش جهان) est classé au patrimoine mondial de lhumanité depuis 1988.

Sommaire

Toponymie

Le nom de la ville en vieux-perse était Aspadana, devenu Spahān ou Espahān en moyen-perse puis Esfahan après la conquête musulmane.

Lalphabet arabe ne possédant pas le son /p/, le nom de la ville est devenu Esfahan après la conquête par les arabes en 651. On trouve également des transcriptions telles qu'Isfahan ou Ispahan qui ont pour origine des accents différents.

"Esfahan Nesf-e Jahān" (en persan " اصفهان نصف جهان") est un jeu de mot sur son nom qui dit que cette ville est « la moitié du monde »

Géographie

Situation

Ispahan est située dans le centre de lIran, au cœur du plateau iranien (32°40N 51°40E / 32.667, 51.667), à 1 574 mètres daltitude, à lest de la chaîne des Zagros. Ispahan a été fondée dans la plaine du Zayandeh rud (dont le nom signifie « rivière qui donne la vie »), au bord de ses rives. Ce site est une oasis au milieu de laride plateau iranien, à 340 kilomètres au sud de Téhéran.

Ispahan est située au centre des routes qui traversent lIran du Nord au Sud ou dEst en Ouest, sur les routes commerciales entre la Chine et lempire ottoman, et entre le golfe Persique et la Russie. Cette position stratégique économiquement parlant, la fertilité des terres entourant la ville, le climatrendu plus frais par laltitudeainsi que la présence deau en abondance dans un pays aride ont été des éléments déterminants pour le développement[1] et également pour le maintien de cette ville en tant que centre urbain qui a survécu à des cycles de prospérité et de déclin[2].

Hydrographie

Le Zayandeh rud (pont Allahverdi Khan).
Le Zayandeh rud à sec (mars 2001).

Le Zayandeh rud, une des rares grandes rivières permanentes du plateau iranien, se jette dans un lac salé (lac Gavkhuni) dans le désert. Le bassin du Zayandeh rud sétend jusquà 90 kilomètres au nord dIspahan et des vents frais soufflent depuis le nord et rafraîchissent le bassin. Ce bassin, qui couvre 41 500 km2 au centre de lIran, est rattaché à lhistoire dIspahan. En effet, la ville dIspahan est le centre de ce bassin. Cette position lui a partiellement donné son importance historique et économique dans lhistoire du pays[3]. La ressource en eau de rivière a augmenté de 50 % (représentant 790 millions de m3) au cours des dernières années du XXe siècle grâce à la construction de deux aqueducs qui conduisent leau du Kuhrang vers le Zayandeh rud[4].

Un réseau artificiel, dont les composants sont appelés madi, a été utilisé au moins depuis le XVIIe siècle pour fournir de leau aux habitants et aux cultures de la ville et de ses alentours. Dessiné par Sheikh Bahai, un ingénieur de Shah Abbas, ce réseau comporte 77 madis sur la partie nord, et 71 sur la partie sud du Zayandeh rud. En 1993, ce réseau plusieurs fois centenaire fournit 91 % des besoins agricoles en eau, 4 % des besoins industriels, et 5 % des besoins de la ville. Daprès une étude conduite par des chercheurs iraniens, 35 % de ce réseau aurait été détruit avec la modernisation qua connue la ville depuis les années 1960[5].

Une partie de leau du Zayandeh rud a été détournée en 2001 en amont dIspahan, causant une nette baisse de niveau de la rivière dans la ville[6].

Climat

Le climat dIspahan et de la région qui lentoure est semi-désertique avec une période de sécheresse sétendant davril à novembre. Les précipitations moyennes annuelles sont de 130 millimètres, la plupart ayant lieu durant les mois dhiver, entre décembre et avril, sous forme de neige ou de pluie. Durant lété, il ny a aucune précipitation. Lécart entre lété et lhiver est sensible, avec une moyenne de 30 °C en juillet et de 3 °C en janvier. Lévapotranspiration potentielle annuelle est de 1 500 millimètres par an, rendant toute forme dagriculture impossible sans irrigation[4].

Mois Jan Fév Mar Avr Mai Jui Jui Aou Sep Oct Nov Déc Année
Moyenne des températures minimalesC) -2,7 -2,2 3,8 7,2 12,7 16,6 18,8 17,2 12,2 7,2 1,6 -1,1 7,6
Moyenne des températures maximalesC) 10 11,1 17,7 22,7 28,3 35 37,2 35,5 32,7 25,5 17,2 11,1 23,6
Température min. absolueC) -13,8 -13,3 -5,5 -2,2 5,5 12,7 11,1 10,5 6,6 -2,7 -7,7 -8,8 -13,8
Température max. absolueC) 21,1 18,8 23,8 31,1 35 42,2 41,1 41,6 38,3 32,7 23,8 18,3 42,2
Précipitations (en mm) 22 11 15 9 8 1 0 1 1 1 9 17 95
Jours de pluie 2 1,2 1,4 1,0 0,8 0,2 0 0,2 0,3 0,3 0,9 1,6 9,9
Jours de gel 23 22,2 5,2 0,4 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,7 10,6 21,7 83,8
Source : Météo France
Diagramme climatique de la région dIspahan[7].

Géographie administrative

Situation des onze arrondissements

La ville dIspahan est divisée en onze arrondissements (mantagheh), chacun doté dun centre administratif. De plus, depuis le développement de la ville et son extension au cours du XXe siècle, les villes de Najafabad, Khaneh Isfahan, Khomeynishahr, Shahinshahr, Zarrinshahr et Fulad-e Mobarakeh font désormais partie de la zone métropolitaine dIspahan.

Superficie et population des arrondissements dIspahan (2007)[8]
Arrondissement Superficie (km2) Population (habitants) Densité (h./km2)
1    8 176 000 22 000
2    27 67 325 2 494
3    11 118 000 10 727
4    28 110 587 3 950
5    41 270 000 6 585
6    11 117 589 10 790
7    46 189 259 4 114
8    85 285 000 3 353
9    23 64 141 2 789
10    23 210 000 9 130
11    11 55 000 5 000
Total 279 1 657 901 5 942

Histoire

Deux schémas de la ville à la période pré-safavide.

Période préislamique

La période à laquelle a été fondée Ispahan est encore incertaine, mais les historiens saccordent à dire quau vu de sa situation privilégiée au centre du plateau iranien, la ville dIspahan serait un des premiers centres urbains établis sur le plateau iranien. Une ville nommée Gabe ou Aspadana, dont lexistence est attestée par des sources achéménides, pourrait être antérieure à Ispahan, mais cette hypothèse na pas été démontrée archéologiquement. En revanche, il est admis quIspahan était le centre dune des provinces de lEmpire sassanide ; un siège militaire au centre de lEmpire et qui se serait appelé Aspahan, nom est attesté par des inscriptions sur des pièces sassanides datant du IVe siècle.

Des informations sur la ville dIspahan à l'époque préislamique sont données par des historiens et géographes arabes des débuts de la période islamique[9]. Ispahan consistait alors en deux sites peu éloignés : Jay ou Jayy, le siège des gouverneurs sassanides, et Yahoudiyeh (ou Yahudiyeh), la ville juive. Alors que Jayy servait de centre administratif et militaire, Yahudiyeh accueillait les habitations du peuple[10]. Un ensemble de villages prospère tout autour de Yahudiyeh dans loasis que formait cette zone (Yaran, Khushiinan, Karan, Televajgun, Khujan, Sunbulan, Ashicaban et Felfelan). Un second satellite était situé à quatre kilomètres des premiers avec deux villages nommés Juzdan et Lublan.

La fondation de la ville de Jayy est sans aucun doute attribuable aux Sassanides. Heinse Gaube suggère que cest Khosro Ie qui aurait fait construire des bâtiments à lintérieur de lenceinte fortifiée qui possédait des tours tous les quarante ou cinquante mètres ainsi que quatre portes situées sur la trajectoire saisonnière du soleil (nommées Khur, Isfis, Tir et Yahoudiyeh)[11]. La structure de Jayy, daprès les historiens arabes, comportait déjà une place centrale et un marché situé à proximité.

Le nom Yahoudiyeh a pour origine le peuplement juif de la ville. Son origine est plus ancienne que celle de Jay. Certaines sources disent que la ville aurait été fondée par une reine sassanide qui y aurait installé des familles juives. Daprès dautres sources, la colonie juive daterait du temps de Nabuchodonozzor quand des Juifs se seraient installés dans un endroit appelé Ashkahan, qui est toujours le nom dun des quartiers du vieil Ispahan[12]. Il est également très probable que lempereur sassanide Shapur Ie ait déporté plusieurs milliers de familles juives depuis lArménie jusquà Ispahan vers 386 de notre ère, afin de pouvoir asseoir son pouvoir sur lArménie[13].

Développement urbain de la période islamique

En 644, des troupes arabes originaires de Bassorah conquièrent aisément les centres urbains de Jay et de Yahudiyeh à Ispahan dont la défense était peu organisée. Des accords sont passés pour épargner la vie des habitants et sécuriser leurs possessions en échange du paiement dun tribut[14]. Les arabes installent alors une garnison à Jayy qui perd alors son importance politique.

Le gouverneur abbasside de la région établit son siège à Khāshinan à partir de 772, un des villages de la périphérie dIspahan situé à proximité de Yahudiyeh. Cest à cette époque que la première mosquée est construite. Peu après, lextension de Khāshinan comme de Yahudiyeh conduit à leur réunion : la construction dune Masjed-e Jomeh (« Mosquée du Vendredi ») est nécessaire et un bazar est établi à partir de 773[10].

En 935, les Bouyides, une dynastie musulmane dorigine iranienne, prennent Ispahan. Ils entreprennent la fortification de la ville pour en faire un centre politique de leur territoire : murs de fortifications à douze portes, mosquées, citadelle, bibliothèque et agrandissent le bazar. À cette époque, les différents quartiers de la ville fortifiée correspondent aux anciens villages de loasis dIspahan.

Au cours de linvasion des Seldjoukides et des guerres qui sensuivent avec les Bouyides, Ispahan est détruite. La ville est prise par Toghrul-Beg au début du XIe siècle. Cest Malik Shah qui reconstruit Ispahan et en fait sa capitale après son accession au pouvoir en 1073, remplaçant ainsi Ray à ce statut. Cette époque, sous limpulsion de Nizam al-Mulk (le célèbre vizir de Malik Shah), est une période de grande prospérité pour la ville. Les revenus de limmense empire seldjoukide sont utilisés pour faire de la ville un centre artistique et scientifique important. Des écoles comme la Nizamiyyah ou la Ibni-Sina sont alors fondées et rayonnent dans la civilisation islamique ; Omar Khayyam dirige lobservatoire dIspahan à partir de 1074 et créé le calendrier persan qui est encore utilisé aujourdhui[10].

La place centrale de la ville seldjoukide, nommée Meydān-e Kohneh (« place Kohneh » aussi appelée Meydān-e Qadim, « vieille place »), située à lemplacement dune grande place de lépoque pré-islamique, prend de limportance et devient le centre de la ville, à proximité du bazar et de lactuelle Masjed-e Jomeh (« Mosquée du Vendredi »). Les Seldjoukides embellissent la ville et quelques bâtiments de lépoque subsistent encore : en plus de la Mosquée du Vendredi, on peut citer les tombes de Malik Shah et de Nizam al-Mulk et les minarets Ali, Sareban, Paminar et Ziyar.

Ispahan est prise par les Mongols vers 1244, mais elle ne souffre pas de destructions. Elle garde son importance et son activité économique en conservant le statut de capitale régionale[10].

Ispahan est mise à sac par Tamerlan en 1387. Celui-ci, au cours de ses conquêtes, rencontre de la résistance de la part de la ville qui se rebelle et refuse de payer le tribut quil veut imposer. En représailles, il ordonne à son armée de lui livrer les têtes de 70 000 Ispahanais avec lesquelles il fera construire une colonne faite de leurs crânes[15].

Ispahan, capitale de lIran des Safavides

Ispahan à lépoque safavide.

Roi en 1588, Shah Abbās Ier sintéresse rapidement à la ville, pour laquelle il ordonne dès 1590-91 lédification dun nouveau bazar et dune grande place. Isfahan est alors un lieu "pour la récréation, spécialement la chasse"[16]. Il finit par déplacer en 1597-1598 la capitale de Qazvin à Ispahan, préférant un emplacement moins exposé aux menaces de lempire Ottoman et également plus central dans lIran unifié par son ancêtre Ismail Ier, premier roi safavide qui a décidé la conversion de lIran au chiisme duodécimain.

Ispahan a alors perdu tout léclat quelle avait connu à lépoque Seldjoukide, ne sétant jamais relevée des dévastations commises par Tamerlan quelques siècles auparavant[17]. Shah Abbās, administrateur énergique, prend en main le développement de la ville. Il commence par déplacer de force plusieurs milliers dArméniens depuis Jolfa au Nord-Ouest de lIran ils étaient harcelés par les Turcs ottomans, et les installe dans un quartier de lautre côté du Zayandeh Rud, les autorisant à construire leurs églises et comptant se servir de leurs talents de négociants[17].

Cest le roi lui-même qui planifie lurbanisme de sa nouvelle capitale, en sinspirant peut-être de la ville de Herat, alors encore centre culturel de lIran (ville se trouvant aujourdhui en Afghanistan). Shah Abbas veut faire de la capitale un centre culturel qui éblouira les voyageurs occidentaux (cest en effet à lépoque safavide que se sont développés les liens diplomatiques avec les pays occidentaux)[18].

Shah Abbas, en planifiant la ville, conserve les éléments existants et les intègre à son projet densemble. De la meydān-e kohneh (qui sera appelée meydān-e qadim — « vieille place » par la suite), il reprend les fonctions principales dans la place quil crée, meydān-e Shah (« place du roi »), à proximité dun ancien jardin de lépoque seldjoukide qui portait le nom de Naghsh-e Jahān (« carte du monde » ; la place est dailleurs appelée indifféremment meydān-e Shah ou meydān-e Naghsh-e Jahān). Cette nouvelle place, mesurant 510 mètres de long sur 164 mètres de large, est entourée des bâtiments fonctionnels qui existaient autour de lancienne place centrale : deux mosquées (Masjed-e Shah au sud et Masjed-e Sheikh Lotfollah à lest), un palais à louest, le Naqsh-e Jahan, ouvert par le pavillonAli Qapu[19], et une entrée vers le bazar (entrée appelée qeysariyyeh), qui est agrandi pour arriver jusquà lextrémité nord de la place[17]. Autour de la place sont construits des magasins sur deux étages sur tout lespace laissé libre entre les bâtiments, entouré dun passage couvert comme dans les bazars. Laile occidentale est consacrée aux entrepôts fournissant les magasins royaux (biens de luxe, or et bijoux), laile sud est consacrée aux libraires, relieurs et marchands de cuir. Les marchands dartisanat se concentrent dans laile est et laile nord accueille les lieux publics (cafés et hôtels)[10].

La zone située à louest du nouveau meydān rassemble les palais royaux. Une large avenue plantée darbres (majoritairement des platanes et des peupliers), le Chāhār Bāgh (« quatre jardins ») est créée à louest des palais, orientée vers le sud-est en direction de la rivière Zayandeh roud. Cette avenue dapparat, longue denviron 1 600 mètres, débute à la place nommée Jahān Nāmeh (« Vue sur le monde ») ; elle est bordée de palais et de résidences royales ou appartenant à des membres de la cour, se prolonge jusquau pont Allahverdi Khan et au-delà de la rivière jusquaux jardins appelés Bāgh Hezār jarib, construits sur un carré de 116 mètres de côté environ[17],[20]. Le boulevard était alors bordé de chaque côté par des jardins clos rectangulaires, appelés « Jardins des Vizirs », de taille équivalente et dune profondeur par rapport au boulevard denviron 180 mètres. Ces jardins étaient possédés par des membres éminents de la cour et avaient tous un pavillon en leur centre. Toutes ces créations ont été organisées par Shah Abbas selon un urbanisme considéré comme « rigoureux et autoritaire » par Henri Stierlin[18].

Dans le quart nord-ouest de la ville nouvellement créée, de nouveaux quartiers voient le jour selon une trame composée de grands ilôts rectangulaires. De lautre côté de la rivière, dans le quartier appelé la nouvelle Jolfa, les Arméniens établissent leur quartier selon une trame souple qui laisse de lespace aux jardins, aux vignes et aux champs de blé et de pavot (les Arméniens qui étaient chrétiens ne pouvaient pas habiter la ville et étaient les seuls autorisés à produire de lalcool). Dans le quart sud de la ville sétablit la minorité zoroastrienne de la ville. Autour de la vieille ville médiévale, les faubourgs sétendent de manière beaucoup plus informelle[20]. Le remodelage complet de la ville permet alors de distinguer le « vieil Ispahan » et ses ruelles tortueuses du « nouvel Ispahan ». Stierlin dit dailleurs dIspahan que cest une « création artificielle dun monarque épris de beauté qui sut manier ses desseins grandioses avec les données préexistantes »[18].

Ispahan devient, à partir du règne de Shah Abbas Ier, la métropole des arts et des sciences islamiques et le centre de la culture spirituelle en Iran. Tous les penseurs iraniens de la renaissance Safavide qui apparaissent à cette époque sont ainsi regroupés sous lappellation d’« École dIspahan ». Des philosophes comme Mir Dāmād, Molla Sadra Shirazi, RajabAli Tabrizi, ou encore Qazi Said Qommi comptent parmi les penseurs influents représentant cette « école »[21].

Au cours du XVIIe siècle, Ispahan, appelée Nesf-e Jahān (« la moitié du Monde ») par les Persans, compte, daprès les voyageurs de lépoque, plus de six cent mille habitants et est sans doute une des plus belles villes du monde[20]. Les souverains safavides qui succèdent à Shah Abbas continuent dembellir la ville. Le pavillon Hasht Behesht (« des huit paradis ») est construit par Shah Suleyman en 1670, la Madreseh de Shah Soltan Hossein est construite au début du XVIIIe siècle. La ville comptera jusquà 162 mosquées, 48 écoles coraniques, 182 caravansérails et 173 bains publics à la fin du XVIIe siècle, à la veille de linvasion afghane[20].

De la capitale détruite à la modernisation

Couverture de Le Petit Journal du 23 avril 1916 intitulée « Les Russes à Ispahan ».
Carte dIspahan et de sa région en 1942.
Carte de Ispahan au début du XXIe siècle

La capitale des Safavides a toujours été considérée par ses contemporains comme une ville à limage du paradis ; comme len attestent les nombreuses références iconographiques et textuelles[2].

Pendant les dernières années du règne de Shah Soltan Hossein, les Afghans se révoltent contre son cousin, gouverneur de Kaboul. Après avoir tué celui-ci, les Afghans font le siège dIspahan quils prennent en 1722. La ville est alors partiellement détruite et cesse dêtre la capitale de lIran à partir de cette époque[20]. La population diminue alors très fortement. Lorsque Joseph Arthur de Gobineau visite lIran au XIXe siècle, il dit que la ville ne contient plus que cinquante à soixante mille habitants et que « les ruines y abondent, et des quartiers entiers ne montrent que des maisons et des bazars écroulés »[22].

La ville est cependant toujours couverte de jardins à lépoque qajare et elle est toujours comparée au paradis. La métaphore de khold-e barin/khuld-i barin ou khold-e paikar (« le plus haut paradis ») est utilisée à cette époque pour désigner Ispahan. Cette expression a été utilisée par Rostam al Hukama, un chroniqueur natif dIspahan, qui désigne Ispahan égale au khuld-i barin à lépoque de sa conquête par Agha Mohammad Khan à la fin du XVIIIe siècle[23]. À lépoque qajare, Ispahan est le siège du gouverneur de la province : le plus célèbre est Zell-e Soltan, un des fils de Nasseredin Shah[24]. Zell-e Soltan (« lombre du Roi ») restera gouverneur dIspahan de 1874 à la révolution constitutionnelle. Le gouverneur règne durement sur la province dIspahan (il est également gouverneur du Fars et de Mazandaran jusquen 1888) et la ville est en proie à des troubles, soit à cause de la condition économique du pays, soit à cause de luttes entre les Oulémas et le prince pour le contrôle de la ville[24]. Ispahan connaît par exemple la famine en 1869-1872[25]. Ispahan étant également une ville la population Bahaie est importante après 1874, la politique de persécution des Bahais par les Oulémas shiites et le gouvernement fait également partie des troubles que connaît la ville : un soulèvement Bahai a lieu en 1874, des pogroms dirigés contre ceux-ci sont organisés en 1903[26]. La ville dIspahan, tout au long de lépoque qajare, reste une ville provinciale importante comme len attestent son importance économique ou artistique. En 1891, un consulat général du Royaume-Uni est créé à Ispahan[27].

La ville dIspahan et sa région sont impliquées dans la révolution constitutionnelle de lIran. Déjà, avant la révolution elle-même, des manifestations de marchands ispahanais ont lieu dans la ville entre 1900 et 1905. En 1906, après la création du Parlement iranien, est fondé le Conseil provincial dIspahan, siégeant périodiquement dans la ville. Initialement appelé Anjoman-e moqaddas-e melli-ye Esfahān (« Conseil national sacré dIspahan »), son nom devient Anjoman-e velāyati-ye Esfahān (« Conseil provincial dIspahan »). Son objectif était de consolider les premiers acquis de la révolution constitutionnelle et dœuvrer pour la ville et léconomie de la région[28]. Le 5 janvier 1909, en pleine révolution constitutionnelle, les Bakhtiaris prennent le contrôle de la ville avec un groupe de mille hommes conduits par Samsam os-Saltaneh[29]. Ce coup de force de la part des Bakhtiaris, qui se sont rangés du côté des constitutionnalistes, vise à assurer que leurs voix seront mieux entendues au sein du gouvernement central. La prise de pouvoir par les forces tribales dans les provinces iraniennes forcera les Britanniques à envoyer des troupes à Ispahan en 19101911[30].

Après la Convention anglo-russe de 1907, Ispahan est affectée à la zone dinfluence russe. En 1916, suite aux troubles politiques qui suivent la révolution constitutionnelle, Sir Percy Sykes, à la tête des South Persia Riffles, organise une parade conjointe avec les troupes russes sur la place Naghsh-e Jahan afin de montrer lalliance entre les deux puissances qui soutiennent le pouvoir central en Perse[31].

Après la prise de pouvoir de Reza Shah en 1925 et son programme de modernisation de lIran, une trame de larges boulevards est construite dans Ispahan comme dans toutes les grandes villes dIran dans cette période. Ces boulevards sont percés à travers le tissu urbain existant[20]. La ville et sa région souffrent une nouvelle fois de la famine en 19291930 à cause dun hiver très rigoureux[25].

La ville devient également un centre industriel dans les années 1930 : des usines de papier, de ciment et de sucre sont construites avec lassistance technique allemande[32]. Les usines (textile par exemple) sont construites sur lemplacement de jardins safavides sur Chāhār bāgh-e Bālā, du côté sud du Zayandeh Roud[33].

Les premiers plans durbanisation sont mis en place dans les années 19501960 dans tout lIran. Le besoin de construire des routes de manière planifiée se fait alors fortement ressentir car la circulation automobile a beaucoup augmenté. Sous le troisième plan de développement du pays (1962-1968), un plan général durbanisation dIspahan est mis au point par larchitecte français Eugène Beaudoin et Organic Consultants (une société iranienne) selon des méthodologies occidentales. Ce plan vise à rationaliser le réseau routier, lutilisation du sol et la hauteur des bâtiments. Il prévoit de construire un réseau de rues et davenues rectangulaires sans aucune considération pour le patrimoine architectural. Ce plan prévoit également de doter chaque bloc dun centre résidentiel et despace pour des écoles. À part les axes routiers majeurs, ce plan ne sera pas réalisé complètement. Un autre plan durbanisation a été réalisé dans les années 1980 par Naqsh-e Jahan Pars Consultants ; celui-ci visait à mieux respecter la structure historique de la ville[33].

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la ville dIspahan a vu sa population augmenter fortement et a absorbé les villes et villages de loasis pour former une métropole de plus de 1 600 000 habitants. Trois villes ont été créées autour dIspahan depuis la révolution iranienne : Baharestan, conçue pour 500 000 habitants, Madjlessi, conçue pour 300 000 habitants, et Foulad Shahr, conçue pour les ouvriers de deux grandes usines situées en banlieue dIspahan[34].

Population Ispahanaise et société

Démographie

Daprès les récits des voyageurs occidentaux au XVIIe siècle, Ispahan était la ville la plus peuplée dIran avec des estimations entre 200 000 et 500 000 habitants. Le premier recensement officiel de la population dIspahan a eu lieu en 1870 et donne une population de 76 000 habitants. Le recensement suivant, considéré comme plus fiable, donne une population de 204 000 habitants. Les données sont considérées comme fiables par H. Zanjani à partir du recensement de 1956. Les chiffres recueillis lors des recensements décennaux montrent une multiplication par cinq de la population entre 1956 et 1996[35].

Évolution démographique dIspahan[36]
1957 1967 1977 1987 1992 1997 2007
Population (hab.) 254 708 424 045 661 510 986 753 1 122 703 1 266 072 1 600 554


1950 - 1965 1965 - 1970 1970 - 1975 1975 - 1980 1980 - 1985 1985 - 1990 1990 - 2000 2000 - 2005
Taux de croissance de la population (%) 5,12 6,38 6,85 3,15 1,76 2,21 2,33 2,11
Source : Population Division of the Department of Économic and Social Affairs of the United Nations Secretariat, World Population Prospects : The 2004 Revision and World Urbanization Prospects : The 2005 Revision. accéder en ligne

Communication et Planning familial

Le projet de communication dIspahan (Isfahan communication project), mené entre 1970 et 1972 à Ispahan et dans toute la province, a permis de préparer une action de communication massive et détudier limpact de cette campagne sur les pratiques liées au planning familial. Cette initiative sinscrit dans le cadre du programme de planification familiale mis en place par le gouvernement à partir de 1967[37]. La conception et le déploiement de ce projet ont permis de tester de nouvelles approches et méthodes en lien avec la planification familiale[38]. Cette étude fournit quelques chiffres sur les questions de planification familiale à Ispahan dans les années 1970 : plus de 80 % des personnes ayant répondu aux enquêtes connaissaient un moyen de contraception, et les femmes étaient plus au courant que les hommes. Les chiffres sont encore plus élevés dans la ville même dIspahan. Plus de 90 % des hommes et 95 % des femmes approuvent le planning familial à Ispahan en 1970. Suite aux études préliminaires, le programme de communication a fait appel à des medias divers : radio, presse, films, messages diffusés par des camions, expositions. Cette étude a permis de mieux comprendre comment réussir la communication sur un sujet comme la planification familiale dans un pays comme lIran.

Ce projet a lieu pendant la période de transition démographique de lIran. La fécondité reste élevée en Iran malgré les politiques de développement mises en place à partir des années 1960. La transition démographique de lIran sachève tardivement au milieu des années 1980, sans connaître de fléchissement à linstitutionnalisation de règles religieuses sur la scène politico-juridique iranienne après la révolution de 1979. Marie Lalier-Fouladi a montré que les progrès dans les domaines sociaux et culturels en Iran durant les années 1960-1980 ont été la « clé de voûte » de la baisse de la fécondité[37]. Le projet de communication dIspahan est le seul projet de ce type ayant eu lieu en Iran pendant la transition démographique du pays.

Minorités ethniques et religieuses

Synagogue « Mollah Yacub », à Ispahan

Ispahan est le siège dune éparchie de léglise catholique arménienne appelée Eparchia Hispahanensis Armenorum, créée le 30 avril 1850 et regroupant près de 10 000 fidèles en 2005. Ispahan est également le siège dun archidiocèse catholique depuis le 1er juillet 1910. Cet archidiocèse catholique était avant 1910 un diocèse, appelé Hispahanensis Latinorum, qui avait été fondé en 1629. Cet archidiocèse compte également 10 000 fidèles en 2005[39].

Il demeure une communauté juive à Ispahan, mais elle sest fortement réduite : alors quelle comptait 10 000 membres en 1948 (dont la majorité a émigré en Israël), cet effectif est passé de 3 000 personnes à la veille de la révolution iranienne à 1 500 en 2003[35].

Les Bakhtiaris, tribu de langue iranienne du Sud-Ouest de lIran, se sont fixés en partie à Ispahan.

Enseignement supérieur

Ispahan est une des premières villes dIran à développer lenseignement moderne. Au XIXe siècle, des écoles aux méthodes denseignement moderne sont fondées à la suite de Dar-ol Fonoun à Téhéran. Une école de ce type est ouverte à Ispahan en 1882, la madrasa-e homayuni. Dans le même temps, des écoles privées, la plupart du temps fondées par des missionnaires chrétiens, font leur apparition en Iran[40]. Les carmélites étaient déjà présents depuis lépoque de Shah Abbas ; les missionnaires catholiques romains, presbytériens et anglicans sont arrivés en Iran en général et à Ispahan en particulier à partir de la moitié du XIXe siècle[41].

Un centre de formation des professeurs, parmi les premiers dIran, est ouvert dès 1935 à Ispahan dans le cadre de la standardisation des méthodes denseignement en Iran[42]. Une université est créé en 1950 à Ispahan sous limpulsion du Shah Mohammed Reza Pahlavi[43].

Les universités de la métropole dIspahan sont :

  • Université dIspahan ;
  • Université des sciences médicales dIspahan ;
  • Université de technologie dIspahan, une des cinq meilleures dIran dans son domaine. ;
  • Université dart dIspahan ;
  • Université des sciences de la réhabilitation et de la protection sociale ;
  • Université libre islamique dIspahan ;
  • Université islamique libre de Khomeinishahr[44] ;
  • Université islamique libre de Khorasegan[45] ;
  • Université islamique libre de Mobarakeh ;
  • Université islamique libre de Najaf Abad[46] ;
  • Institut académique Ashrafi Isfahani ;
  • Université de technologie Malek Ashtar[47] ;
  • Université des sciences et technologies de la défense.

La ville compte également des écoles et des séminaires.

Il existe également plus de cinquante centres de formation et dorientation administrés par l'Isfahan Technical and Vocational Training Organization[48].

Les Arméniens dIspahan

La cathédrale Saint-Sauveur, aussi appelée Kelisa-e Vank
L'intérieur de la cathédrale Saint-Sauveur.

De 1603 à 1605, durant la campagne de Shah Abbas Ier en Azerbaïdjan en guerre contre lempire Ottoman, le souverain perse adopte une politique de la « terre brûlée » pour empêcher lavancée de lennemi. Par ailleurs, il décide de déplacer les populations des régions et villes quil traverse. Cest ainsi que des Géorgiens et des Arméniens (au moins 75 000) sont forcés de migrer vers le sud-est. Trois à six mille familles arméniennes qui ont survécu à la déportation sinstallent à La Nouvelle-Djoulfa (arménien : Նոր Ջուղա), sur la rive sud du Zayandeh roud. Le quartier arménien est nommé ainsi en mémoire de la ville de Jolfa d un très grand nombre des déportés étaient originaires[49].

Dans ce faubourg, au Sud de la rivière Zayandeh-Rud, ils vivent en quasi-autonomie et participent efficacement au développement de leur nouvelle ville. En édifiant églises, écoles et scriptoriums, en créant une imprimerie, un lieu de théâtre, ils maintiennent harmonieusement leur identité chrétienne et culturelle en terre islamique.

La Nouvelle-Djoulfa abrite encore aujourdhui treize églises arméniennes dont la plus connue est la cathédrale Saint-Sauveur, nommée Kelisa-e Vank en persan.

Un certain nombre dArméniens a émigré dans les années 19801990 suite à la Révolution iranienne de 1979. Ils seraient aujourdhui minoritaires dans ce quartier, qui garde toutefois son caractère particulier dans la ville dIspahan[50].

Ispahanais célèbres

Lurbanisme dIspahan, un aspect bien spécifique

Vue dIspahan depuis la terrasse du palais Ali Qapu.

Henri Stierlin rappelle dans lintroduction de louvrage Maisons dIspahan que laspect spécifique dIspahan tient à une série de particularités qui ont frappé les visiteurs occidentaux du XVIIIe siècle et du XIXe siècle. En effet, les voyageurs occidentaux tels Jean-Baptiste Tavernier, Jean Chardin, Joseph Arthur de Gobineau, Pascal Coste, Eugène Flandin ou encore Pierre Loti sont tous frappés par cette ville noyée de verdure et bien irriguée qui sélève au milieu détendues désertiques[51].

Une cité jardin et une continuité architecturale particulière

À Ispahan comme dans de nombreuses villes dIran, larchitecture vernaculaire est à base de torchis et de briques. Les maisons sont toutes des habitations individuelles, à toiture en terrasse, sur un voire deux étages et sinscrivant dans un tissu urbain continu. Toutes les maisons sont construites selon le même plan : les pièces dhabitation entourent un espace à ciel ouvert et sont elles-mêmes entourées de hauts murs, seule une petite porte extérieure autorisant laccès à lintimité familiale. Lespace central à ciel ouvert quest la cour intérieure relève dusages préhistoriques au Proche et au Moyen-Orient qui se retrouvent dailleurs dans latrium romain. À Ispahan, ces cours étaient irriguées par un système complexe de canaux situés dans la rue qui permettait de cultiver plantes et arbres apportant de lombre et de la fraîcheur durant lété. Cest à ces arbres cultivés dans toutes les cours quIspahan doit son aspect de « forêt », de cité-jardin[51]. Toutes les maisons sont disposées selon une trame relativement régulière, tranchant avec laspect anarchique du bazar pourtant considéré comme la « colonne vertébrale » de la ville.

Les quartiers royaux dIspahan, les quartiers dhabitation, lorganisation du bazar en différentes parties dédiées à certains artisanats ou à certains commerces donnent une impression dagglomération à taille humaine[51].

Stierlin évoque également une continuité architecturale entre la cour des maisons faisant office de jardin intérieur et le concept iranien de mosquée à cour : un bassin central polarise lespace et lélément floral recouvre les parois. Ces éléments floraux peuvent être réels (comme les arbres dans les cours intérieures des maisons) ou figurés (comme le sont les arbres et les fleurs représentés sur les kāshi, les céramiques qui recouvrent les parois des mosquées). Le principe de la cour est récurrent dans larchitecture islamique. On retrouve en effet les cours dans les caravansérails, dans les écoles ou madreseh et dans les centres de négoces et marchés possédant leurs entrepôts.

Ispahan, une image du paradis ?

Selon Henri Stierlin, Shah Abbas a agi en chiite duodécimain convaincu, en cherchant à faire ressembler la capitale aux cités du paradis mentionnées dans le Coran ou dans les textes des mystiques persans. Stierlin a consacré un livre à létude de cette inspiration : Ispahan : image du paradis. Il pense de manière plus générale que la renaissance safavide a permis de donner corps aux spéculations des philosophes et mystiques de lécole chiite duodécimaine[18].

Le symbolisme est important dans les constructions de la ville, par exemple dans la mosquée du Shah lusage du chiffre douze rappelle les douze imams des duodécimains. Les préoccupations des bâtisseurs persans dépassent les considérations esthétiques et se situent dans une perspective de conscience et de connaissance. Les dimensions de la mosquée du Shah sont basées par exemple sur celles du bassin central comme si leau était la source de vie de lédifice. La cour de la mosquée semble mettre en relation le croyant avec la divinité : cest une salle dont la coupole se présente comme la voûte céleste[52]. Lornementation de faïence est toujours disposée sur les parois des bâtiments comme si ceux-ci étaient des boîtes, brutes au dehors, mais formant un écrin précieux au dedans. Les cours des maisons ou des mosquées, avec les céramiques représentant des arbres et plus généralement la nature, sont aménagés comme des jardins symbolisant le paradis. Les iwans des mosquées sont conçus comme des grottes, souvent décorées en bleu et parfois remplies de stalactites. Stierlin pense que la représentation de liwan est celle dune grotte artificielle qui doit conduire à la source de vie, à la porte du ciel. Les décors des dômes des mosquées et des madreseh sont des arbres à la houpe verte et comparables à larbre de vie oriental[53].

Les interprétations de Stierlin sont corroborées par les travaux dHenry Corbin sur la théosophie chiite[54]. Les « cités démeraude », auxquelles peut être comparée Ispahan, sont considérées par les mystiques chiites (Tabari, repris par Sohrawardi ou Sheikh Ahmad Ahsāi) comme la frontière avec lautre monde. Le symbolisme de larbre Tubā et celui du miroir (symbolisés par les décors de céramique ou les plans deau dans les bâtiments dIspahan de lépoque Safavide) sont également utilisés dans la philosophie chiite.

Une architecture menacée

La ville nouvelle de Baharestan, à proximité dIspahan.

Laspect spécifique de lurbanisme dIspahan se trouve menacé par la modernité. En effet, les modes de vie traditionnels sont contrariés par lapparition de critères architecturaux modernes. Ainsi larrivée de lélectricité en permettant la climatisation, a perturbé les comportements comme lhabitude de dormir sur les toits en terrasses à la belle saison. De plus, les critères économiques modernes essaient de rationaliser lespace : les maisons traditionnelles (avec cour) nécessitent en effet un espace conséquent, qui sil est utilisé pour la construction dun immeuble permet de loger plusieurs familles.

De même, leau courante a été fatale aux réseaux hydrauliques traditionnels et par conséquence aux jardins intérieurs et à laspect verdoyant de la ville. La brique, un des meilleurs régulateurs thermiques naturels, a été remplacée par le béton, sous la pression de la rationalisation économique.

Labsence de lois de protection de larchitecture traditionnelle, de décisions publiques et le peu de moyens alloués à la protection des zones sensibles de la ville mettent en danger cette forme durbanisme particulier dIspahan[51]. La protection de la place Naghsh-e Jahan depuis 1988 et son accession au statut de patrimoine mondial de lhumanité ne suffisent pas à préserver larchitecture vernaculaire traditionnelle, pourtant très adaptée aux conditions de vie dans cette région, tant aux chaleurs extrêmes de lété et quaux rigueurs de lhiver.

Économie

Vue dun magasin de textiles imprimés à la main à Ispahan. Lindustrie textile a été un des piliers de lindustrialisation de la ville.

Ispahan est située au croisement des routes qui traversent lIran du Nord au Sud ou dEst en Ouest, les routes commerciales entre la Chine, lInde et lempire ottoman (dont la route de la soie) et entre le golfe Persique et la Russie. Létablissement dun monopole royal sur les biens dexportation à lépoque safavide renforcera encore la dimension internationale de la capitale iranienne de lépoque[55]. Au XVIIe siècle, Ispahan est dailleurs le premier lieu daccueil de la diaspora indienne qui compte entre 10 et 15 000 marchands dans cette ville[56].

Depuis la renaissance safavide, Ispahan a acquis une importance économique en Iran. La situation de la ville au milieu dune oasis a permis à ce secteur de disposer dune agriculture irriguée, encore facilitée par les travaux de canalisation entrepris par Shah Abbas Ier. Les artisans ont toujours produit des articles et ustensiles utiles aux populations, mais létablissement de la capitale des safavides à Ispahan, ainsi que le rayonnement culturel de la ville, a permis de créer une industrie du luxe à cette époque : joaillerie, textiles, tapis, objets décoratifs et manuscrits ont été produits en abondance à lépoque safavide[55]. Cette activité manufacturière dIspahan a perduré jusquà lépoque qajare[57].

Lopium (en persan : ﺍﻓﻴﻮﻥ, Afyun) est une source importante de revenu dIspahan à partir de 1850 une fois importées dInde les techniques de production dopium à grande échelle. La production de cette région était si importante pour lIran que la culture de lopium a survécu au premier décret ministériel de 1938 interdisant la production dans la quasi totalité des provinces dIran, à lexception des provinces dIspahan et du Fars, les deux principales régions productrices. Pourtant cette production sarrêtera avec linterdiction du commerce de lopium dans tout lIran en 1946[58].

Industrie et haute technologie

Lindustrialisation dIspahan date de la période Pahlavi comme dans tout lIran, et a été marquée par la forte croissance à cette époque de lindustrie textile ; ce qui a valu à la ville le surnom de « Manchester de la Perse »[35]. À la fin des années 1930, les usines textiles emploient plus de 5 300 ouvriers[59]. Cette forte croissance a suivi le boom des années 19531959 en Iran et a donné lieu à lexpansion de lindustrie du textile dIspahan et dautres usines privées produisant des biens de consommation pour le marché local et national. Pendant la révolution blanche, Ispahan devient un centre industriel majeur avec limplantation dune grande aciérie, de cimenteries, dusines sucrières, dune raffinerie de pétrole et dindustries pétrochimiques et de la défense[35].

Depuis les années 1990 et la création dune industrie sidérurgique importante en Iran dans le cadre dune nouvelle stratégie dindustrialisation nationale, Ispahan accueille une industrie de lacier parmi les plus importantes dIran (Mobarakeh (dans la province dIspahan) et à Ahvaz)[60]. La production de laciérie dIspahan (Isfahan Steel Co.) était de 3,6 millions de tonnes en 2005, auxquelles il faut ajouter les 700 000 tonnes produites par le Saba Steel Complex situé à proximité de la ville[61]. Léconomie dIspahan produit aussi 710 000 tonnes de ciment par an ainsi que de lessence puisque la ville accueille lune des six raffineries de pétrole du pays[62].

Mis en place en 1982, le centre de technologie nucléaire dIspahan est un site de recherche nucléaire qui gère actuellement quatre petits réacteurs nucléaires de recherche, fournis par la Chine. Il est supervisé par lOrganisation de l'énergie atomique d'Iran. Le site denrichissement de luranium dIspahan convertit de luranium concentré sous la forme de yellowcake (uranium concentré sous la forme U3O8) en hexafluorure duranium (UF6). Fin octobre 2004, le site est opérationnel à 70 % avec 21 ateliers sur 24 en fonctionnement. Il existe aussi non loin une usine de production de zirconium, qui produit les ingrédients nécessaires aux réacteurs nucléaires[63]. Ces deux sites participent au programme nucléaire iranien.

Ispahan accueille également le siège de HESA (Compagnie industrielle de production davions dIran) qui produit le IR. AN-140, une production de lAntonov An-140 sous licence[64].

Tourisme

La cour de lhôtel Abbassi, un ancien caravansérail, considéré comme le plus bel hôtel dIspahan.

La province dIspahan est la troisième province dIran en termes daccueil de touristes. Le fait que la place Naghsh-e Jahan soit inscrite au patrimoine mondial de lhumanité et plus généralement loffre touristique de la ville (bâtiments historiques, artisanat, etc) attire de nombreux touristes iraniens et des touristes étrangers.

Loffre touristique dIspahan se développe rapidement (quarante projets en cours en 2002) et vise à attirer des touristes du monde entier. Le nombre de visiteurs en 2002 a dépassé 200 000 touristes ce qui représente une augmentation de 300 % par rapport à lannée précédente. Cette augmentation serait due à laugmentation de linfrastructure touristique de la ville et aux prix intéressants par rapport à dautres pays[65].

La municipalité dIspahan a mis en place un certain nombre de mesures pour développer le tourisme dans la ville : coopération internationale, amélioration de loffre dhébergement, amélioration des transports, plan de communication[66].

Transports

La métropole dIspahan a connu un développement très important du trafic automobile, proportionnel à la croissance de la population. Cette augmentation du trafic a provoqué une augmentation de la pollution et des embouteillages.

Des études menées en 1986 ont conclu à la nécessité de créer un système de transport en commun souterrain. La réalisation dun système de transport en commun sous forme de métro a été confiée à la Esfahan Regional Metro Company (ERMC), transformée en Esfahan Urban Railway Organization (EURO).

Le métro dIspahan est en construction depuis juin 2001. Il comprend une ligne de 12,5 kilomètres entre le Nord et le Sud de la ville (entre les deux terminaux de bus, le terminal Kaveh au Nord et le terminal Soffeh au Sud) et dont la construction est conduite en deux phases. La première est la construction de la partie nord, normalement achevée en 2007, et la seconde la construction de la partie sud, commencée en 2005[67],[68]. Le système de transport ferroviaire dIspahan pourrait être complété par une ligne de banlieue, afin de relier Ispahan au complexe industriel de Mobarakeh et à la ville de Majlesi, au sud-ouest de la ville[69].

Ispahan dispose également dune gare ferroviaire, intégrée au réseau iranien et qui est le terminus de la ligne Téhéran-Qom-Ispahan[67], ainsi que dun aéroport international, laéroport international Shahid Beheshti (code AITA : IFN).

Culture et patrimoine

Monuments notables

Mosquée du vendredi

Une des nombreuses cours de la mosquée du vendredi
Article détaillé : Grande mosquée d'Ispahan.

La Mosquée du vendredi est aussi appelée « grande mosquée » ou « vieille mosquée » par opposition à la mosquée du Shah. Elle a été édifiée à partir du Xe siècle. Souvent remaniée au cours du temps, et en particulier sous les Safavides, elle est reliée à la nouvelle ville via le Grand Bazar.

La grande mosquée est lune des architectures les plus complexes des arts de lIslam. Des fouilles archéologiques ont montré que dès la période Bouyide, il existait une mosquée de plan hypostyle à lemplacement actuel de lédifice[70]. Actuellement, la mosquée suit le plan iranien à quatre iwan avec une salle de prière sous coupole qui devait, à lorigine, être séparée de lensemble architectural[71]. Bordée darcades sur deux niveaux, elle est entourée de multiples petites salles sous coupolettes.

Place de lImām

Article détaillé : Place Naghsh-e Jahan.

La place de lImām (appelée « place Naghsh-e Jahan » ou « place du Shah » avant la révolution, « place de lImām Khomeini ») est une des plus grandes places du monde avec une longueur de 500 mètres et une largeur de 160 mètres. Elle date de 1612 et a été conçue par Shah Abbas Ie. Elle servait à lorigine de terrain de polo et de terrain de présentation des troupes militaires, évènements auxquels le Shah et la cour pouvaient assister depuis la terrasse du palais Ali Qapu. Dans des galeries entourant cette place, sont installées des échoppes de commerçants et dartisans.

Elle est maintenant aménagée en place publique avec pelouses, bassins et allées. Autour de la place, aux quatre points cardinaux se situent quatre bâtiments :

Un souterrain existait entre le palais de Ali Qapu et la « Mosquée du Sheikh Lotfollah », permettant aux femmes daller à la mosquée sans être vues, d le nom de « Mosquée des femmes » quon lui donne parfois.

Les palais safavides

Le palais de Chehel Sotoun
Article détaillé : Chehel Sotoun.
Chehel Sotoun : Le palais des 40 colonnes

Le palais de Chehel Sotoun est un palais royal Safavide au nord-ouest du complexe de Ali Qapu. Mesurant 57,80 par 37 mètres, ce monument majeur du règne de ShahAbbas II était utilisé pour les cérémonies de couronnement et pour la réception des ambassadeurs étrangers. Le palais est situé au milieu dun jardin, qui faisait à lorigine sept hectares, situé entre la meydān-e shāh (place Naghsh-e Jahan) et le chāhār bāgh. À lest sétend un long bassin (115 par 16 mètres environ), dans lequel il se reflète.

Ce bâtiment, dont la datation reste très discutée, a sans doute été élevé sous le règne de Shah Abbas II, puis redécoré dans les années 1870. Selon un poème inscrit sur lédifice et un autre de Muhammad Ali Sahib Tabrizi, il aurait été créé en 16471648 et si certains chercheurs pensent que cet édifice a été construit en plusieurs étapes, la plupart inclinent à penser quil fut construit en un seul jet, car il est assez cohérent[72]. Il sagit dun édifice rectangulaire, comportant vingt colonnes qui se reflètent dans le bassin faisant face au bâtiment (chehel soutoun signifie « quarante colonnes » en persan).

Dans ce palais, Shah Abbas II et ses successeurs recevaient les dignitaires et les ambassadeurs, sur la terrasse ou dans un des halls de réception.

Le chehel Soutoun est décoré de grandes peintures historiques, exaltant la magnanimité ou le courage guerrier des différents grands souverains de la dynastie.

Le palais de Hasht Behesht

Le Hasht Behesht (les « huit paradis ») est constitué dun pavillon comportant huit petites entités disposées autour dune grande salle sous coupole à quatre iwans. De petites voûtes couronnent les salles secondaires, décorées de miroirs qui rendent les surfaces mouvantes. Le décor extérieur en céramique est remarquable par lemploi extensif du jaune. On situe cet édifice dans les années 1671.

Madreseh Mādar-e Shah

Cour intérieure de la madreseh Mādar-e Shah, National Geographic Magazine, 1921

La madreseh Mādar-e Shah, ou madreseh de la mère du Shah, aussi appelée madreseh-ye Shah Hussein se trouve sur le Chāhār Bāgh et est datée de 17061714, sous le règne de Shah Soltan Hossein. Elle napporte aucune nouveauté architecturale : un plan à quatre iwans et un dôme rappelant la mosquée du Shah constituent la majeure partie de ses éléments architectoniques. Le décor, très géométrisé, est par contre un peu différent des décors du XVIIe siècle, par une palette dominent le jaune, le vert et lor, et un réseau végétal plus dense que dans la mosquée du Shah.

Les ponts

Le plus ancien pont, le Pol-e Shahrestan, date de lépoque seldjoukide sur les fondations dun pont dépoque sassanide. Les autres datent de lépoque séfévide.

Le pont Allahverdi Khan

Le pont Allahverdi Khan (Pol-e Allahverdikhan), aussi appelé pont « aux trente-trois arches » (Si-o-se Pol en persan) a été érigé par ordre du premier ministre géorgien de Shah Abbas, Allahverdi Khan, vers 1608[73]. Il se place dans la continuité du Chāhār Bāgh[74]. Avec ses arcades, dans les côtés et dans la base, il offre ainsi une possibilité de promenade à plusieurs niveaux, selon la hauteur de leau. Il sert évidemment de lieu de passage, mais aussi de barrage pour réguler le cours de la rivière. En le traversant, leau produit un effet de grandes fontaines grâce aux emmarchements. À côté se trouve un talār, le kiosque des miroirs, d le souverain pouvait observer la rivière.

Le pont-barrage Khaju sur la rivière Zayandeh en hiver

Le pont Khaju est le deuxième grand pont dIspahan, édifié cinquante ans après le Pont Allahverdi Khan. Il présente une structure identique et légèrement complexifiée avec des brise-flots en éventail permettant des effets deau plus spectaculaires. Il est doté de vingt-trois arches, pour une longueur de 105 mètres et une largeur de 14 mètres.

Le pont Joui, pont de l'époque séfévide, érigé en 1665, situé proche du pont Khaju.

Menār Jombān

Menār Jombān

Menār Jombān, ou le « minaret mouvant », est une curiosité architecturale dIspahan.

Un iwan surmonté de deux minarets a été érigé au-dessus de la tombe de Amu Abdollah Soqla (ou Amu Abdollah Karladani), un ermite enterré au début du XIVe siècle. Liwan mesure dix mètres de haut sur dix mètres de large ; les minarets le dépassent de sept mètres pour quatre mètres de circonférence. Les minarets datent a priori de lépoque safavide[75]. Ces minarets ont une particularité architecturale qui explique le nom de lédifice : quand on sappuie sur la paroi d'un des minarets pour le faire remuer, le second se met à bouger simultanément comme cela peut être constaté à vue dœil. Ce phénomène existe également au Pakistan (visible sur le monument nommé Jhulta Minara à Ahmedabad)[76]. Des spécialistes pensent que cette particularité est due à certaines propriétés des dimensions du bâtiment ainsi quaux poutres de bois de la base des minarets[77]. Cependant, labondance des touristes qui veulent vérifier le phénomène met en danger lédifice[78]. Depuis quelques années, la mise en branle des minarets est exclusivement effectuée par le personnel daccueil, et na lieu que toutes les demi-heures au maximum[79].

Les arts et lartisanat à Ispahan

Artisan travaillant le métal dans le grand bazar dIspahan.

La ville dIspahan est un centre majeur dartisanat traditionnel iranien depuis la période safavide. Les objets produits sont divers : textiles (surtout les textiles imprimés), tapis, céramique et faïence, travail du bois, du métal et gravures.

Les artisans travaillent dans des conditions diverses, soit dans des ateliers du bazar ou de lextérieur de la ville, ou aussi dans leurs propres maisons.

Avec linstallation de la capitale à Ispahan à la fin du XVIe siècle, le kitab khana royal déménage. Se développe alors une importante activité de peinture et de calligraphie, dominée par la figure de RezaAbbassi (v. 1565 - v. 1635), lun des rares artistes protégés par ShahAbbas. Cette école marque une rupture complète avec les œuvres produites antérieurement : à la place de grands manuscrits illustrés sont réalisées des pages dalbums (moraqqa'), destinées à être collectionnées. De nouvelles techniques sont employées, notamment le dessin à la plume et les lavis légers. Le style est tout dabord largement marqué par linfluence de RezaAbbassi : la peinture typique représente un personnage en pied, anonyme, à la silhouette élégante et longiligne. Mais dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les artistes dIspahan subissent de nombreuses influences européennes et mogholes. Leur peinture évolue vers une forte européanisation, avec notamment larrivée de la perspective et un traitement renouvelé des volumes[80],[81].

Lécole de peinture dIspahan à lépoque qajare est parfois considérée comme la meilleure dIran et la ville est un grand centre de production de qalamdān (boîtes laquées en papier mâché, généralement destinées à contenir des calames)[82].

Tapis

Il est généralement admis parmi les spécialistes que ce sont les Safavides qui ont fait passer le tapis dune production artisanale assurée par des tribus nomades au statut d’« industrie nationale » dont les produits étaient exportés vers lInde, lEmpire ottoman et lEurope[83]. Sur la base de récits de voyageurs et dautres sources textuelles, il apparaît que des ateliers de tapis royaux existaient à Ispahan, Kashan et Kerman[84]. Depuis lépoque Safavide, Ispahan est resté un centre urbain de production de tapis important. Après un passage à vide entre linvasion afghane et la fin de lépoque qajare, la production du tapis dEsfahan a repris et celui-ci reste un des principaux produits exportés de la ville.

Le gaz, une particularité culinaire dIspahan

Le gaz est une spécialité culinaire dIspahan, un bonbon préparé à partir de gaz angobin, deau, de blanc dœuf et de pistaches ou damandes. Le gaz angobin est un exsudat sucré produit par des arbustes du genre Astragalus. Le gaz angobin est comparable à du miel et il est utilisé en Iran depuis des siècles.

Les gaz sont produits en grande majorité à Ispahan, à partir de gaz angobin récolté à Kānsār, dans la province dIspahan.

Le gaz angobin est dissout dans un volume équivalent deau puis porté à ébullition. Le mélange est ensuite passé afin de retirer les impuretés et des blancs dœufs sont ajoutés avant de battre le mélange. Du sucre est ensuite ajouté au mélange et le tout est chauffé jusquà obtenir une pâte consistante. Des éclats de pistaches ou damandes sont alors ajoutés à la mixture à laquelle on donne la forme de pièces rectangulaires ou rondes et plates de deux à trois centimètres dépaisseur. Le gaz est conservé dans un peu de farine pour éviter que les morceaux ne se collent. La recette et les proportions exactes diffèrent chez chaque fabricant.

Ce bonbon est caractéristique dIspahan et il avait déjà été remarqué par Edward Frederick, un voyageur britannique qui était allé en Iran au cours du XIXe siècle[85].

Ispahan dans les arts et le folklore

Ispahan dans le folklore iranien

Les natifs dIspahan ont eu tôt fait dacquérir une image dans le folklore iranien : ils sont dépeints par les autres iraniens comme étant intelligents, ayant lesprit commerçant, économes, ayant le sens de lhumour et de la repartie intelligente[35].

La réputation dIspahan comme terre dabondance a été expliquée par le refus de la ville dassister Nimrod[35] dans sa rébellion contre Dieu. De nombreux personnages de lhistoire iranienne sont présentés dans les légendes comme étant originaires dIspahan ou sétant rencontrés dans la ville ou sa proximité immédiate : on peut par exemple citer la naissance de Khosro Anushiravan, Bahram Gur ou Salman Farsi ; les rois légendaires Kai Khosro ou Ardashir Papakan auraient organisé leurs cérémonies de couronnement à Ispahan[35].

Regards occidentaux sur Ispahan

Article détaillé : Regards occidentaux sur Ispahan.

Si les voyages de Marco Polo ne le conduisent pas à sarrêter à « Istaint », la capitale de lempire des Safavides devait être la destination de nombreux voyageurs occidentaux, notamment à partir du début du XVIIe siècle[86] : à la suite des grandes compagnies commerciales (l'East India Company anglaise est présente dans la capitale safavide dès 1617[87]) et des missionnaires (les pères Capucins français obtiennent en 1628 lautorisation douvrir une mission à Ispahan[88]), Jean-Baptiste Tavernier entreprend en 1632 un voyage pour lOrient qui passe par Ispahan il devient « compagnon de beuverie du chah dIran »[89]. Quelques années plus tard, en 1644, le père Raphaël du Mans arrive dans la capitale iranienne et y réside jusquà sa mort en 1696, envoyant à Colbert un rapport sur LÉtat de la Perse en 1660[90].

En 1666, le protestant français Jean Chardin, plus tard considéré comme le « plus important voyageur qui ait jamais visité lIran »[91], entre pour la première fois dans Ispahan. Chardin dresse « un tableau fouillé et admirablement nuancé de la Perse safavide dont il flair[e] le déclin. »[92] Ce tableau devait influencer Montesquieu dans son élaboration de la théorie de linfluence des climats sur les régimes politiques, ainsi que sur la nature du despotisme oriental[93]

En 1824, lécrivain anglais James Justinian Morier, qui a vécu près de six années en Perse en tant que diplomate, publie Les aventures dHadji Baba dIspahan en trois volumes. Considéré comme le plus populaire des romans orientaux en langue anglaise, il contribue, à travers son personnage principal, à fixer le stéréotype du « personnage national persan » de lépoque moderne[94].

Trente ans plus tard, alors que la publication des notes de Hommaire de Hell (mort à Ispahan en 1848) ravive l'intérêt des Français pour la Perse, cest au tour du comte de Gobineau de se rendre en mission diplomatique en Iran il séjourne de 1855 à 1858. Il en revient avec la matière dun récit de voyage, Trois ans en Asie, dans lequel il est question dIspahan : cest une ville affaiblie depuis sa mise à sac par les Afghans au siècle précédent quil décrit, une ville dont « toute la magnificence nest plus que lombre [de celle] du passé[95]. »

En mai 1900, de retour dInde, Loti entreprend de traverser la Perse et de se rendre à Ispahan, voyage quil raconte dans Vers Ispahan, publié en 1904[96]. Il rapporte que le silence et lisolement autour de la ville sont tels que lon se demande si des routes y mènent : on ny voit que « de grands cimetières abandonnés paissent les chèvres, de limpides ruisseaux qui courent partout […] des ruines danciennes enceintes crénelées, et rien de plus. »[97] À lintérieur dIspahan, lécrivain français note que les édifices qui, au premier aspect, « jouent encore la splendeur » sont en réalité « à moitié dépouillés de leurs patientes mosaïques de faïence et semblent rongés dune lèpre grise. »[98]

Nicolas Bouvier sy rend à son tour en 1953 dans un voyage qui le mène de Belgrade à Kaboul et quil raconte dix ans plus tard dans LUsage du monde. Comme Loti et Gobineau, il ne peut sempêcher de songer à la gloire passée de la ville que connut Chardin et de lopposer à son état présent.

Annexes

Place Naghsh-e Jahan. Au fond la mosquée du Shah, à droite côté ouest le palais Ali Qapu, à gauche côté est la mosquée du Sheikh Lutfallah
"Vank"

Liste des maires dIspahan

Article détaillé : Liste des maires d'Ispahan.

Jumelages de la municipalité dIspahan

Les municipalités suivantes sont jumelées à celle dIspahan[99]:

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article

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Pour aller plus loin

Articles connexes

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Sites officiels
Autres

Notes et références

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  89. Stéphane Yerasimos, op. cit., p.14.
  90. Stéphane Yerasimos, op. cit., pp.13-14
  91. John Emerson, Ex Occidente Lux, cité par D. Van der Cruysse, op. cit., p.7.
  92. D. Van der Cruysse, op. cit., p.9.
  93. Cette influence est mentionnée dès le XVIIIe siècle par lérudit hollandais Corneille de Pauw (cf.D. Van der Cruysse, op. cit., p.26. Selon Van der Cruysse, Jean Chardin a en fait « servi de pont » entre Jean Bodin et Montesquieu (ibid.).)
  94. (en) Abbas Amanat, « Hajji Baba of Ispahan », in Encyclopædia Iranica en ligne
  95. Gobineau, Trois ans en Asie, in Œuvres II, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1983, p.172.
  96. Voir quelques photos prises par Pierre Loti au cours de ce voyage sur le site internet Vers Ispahan.
  97. P. Loti, op. cit., p.170.
  98. P. Loti, op. cit., pp.188-194.
  99. (en) Sisterhoods sur le site du conseil municipal d'Isfahan. Consulté le 12 septembre 2007
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