Salonnière

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Femmes et salons littéraires

Une Soirée chez Madame Geoffrin par Gabriel Lemonnier.

Tenus par des femmes, les premiers salons littéraires apparaissent au XVIe siècle et sépanouiront au siècle suivant. La protection et le soutien financier des femmes qui les ont tenus ont contribué de façon majeure à des projets dimportance capitale pour lhistoire de la pensée, en présidant à la genèse de la préciosité ou à la création de lEncyclopédie au XVIIIe siècle. À bien des égards, la prodigieuse fécondité intellectuelle issue du cadre informel des salons soutient heureusement la comparaison avec lAcadémie française les femmes ne seront admises que trois siècles et demi après sa création.

Sommaire

Cercles, bureaux d'esprit, sociétés, clubs sous l'Ancien Régime

Derrière lapparence légère de ces aristocrates, modernes et intellectuelles qui bousculent les conventions sociales de leur époque apparaissent des intellectuelles qui ouvrent aux plus grands esprits de leur temps leurs salons se mêlent personnalités politiques, lettrés et scientifiques des deux sexes et de toutes conditions. Instruites et, la plupart du temps, écrivaines elles-mêmes, elles entretiennent une abondante correspondance avec tout ce que lEurope dalors pouvait compter desprits ouverts : la seule correspondance de Marie du Deffand compte, par exemple, 1 400 lettres. La plus célèbre de ces correspondances est celle de Marie de Sévigné. Ces réunions assez nombreuses desprits délite ou de personnes tenant à la « société polie », qui existèrent jusquau début du XIXe siècle, constituèrent autant de centres, de foyers littéraires dont la connaissance est indispensable pour saisir dans ses détails et ses nuances lhistoire de la littérature. Comme ces salons littéraires furent presque toujours présidés par des femmes, lhistoire des premiers ne peut senvisager indépendamment des secondes. Cest dans le salon de ces femmes distinguées par lesprit, le goût et le tact que sest développée lhabitude de la conversation et quest lart de la causerie caractéristique de la société française. Ces salons lon sentretenait des belles choses en général, et surtout des choses de lesprit exercèrent une influence considérable sur les mœurs et la littérature.

Le premier salon littéraire fut celui de lhôtel de Rambouillet, dont la formation remonte à 1608 et dura jusquà la mort de son hôtesse, Catherine de Rambouillet, dite « Arthénice », en 1659. Dautres réunions moins célèbres, mais néanmoins dignes dêtre citées, existèrent au XVIIe siècle, sans compter les ruelles, réduits et alcôves, les Précieux et les Précieuses sefforcèrent dimiter lhôtel de Rambouillet. Sous Louis XIII, on trouve le salon de Marie Bruneau des Loges, que ses admirateurs appelaient la dixième muse, et dont Conrart a dit : « Elle a été honorée, visitée et régalée de toutes les personnes les plus considérables, sans en excepter les plus grands princes et les princesses les plus illustres... Toutes les muses semblaient résider sous sa protection ou lui rendre hommage, et sa maison était une académie dordinaire. » Balzac, Malherbe, Beautru, fréquentèrent surtout cette maison et, parmi les grands personnages qui témoignèrent leur estime à Marie Bruneau des Loges, on remarqua le roi de Suède, le duc dOrléans et le duc de Weimar.

Vers le milieu du XVIIe siècle, cest le salon de Madeleine de Scudéry qui prit de limportance. Les troubles des deux Frondes ayant dispersé en grande partie les habitués de lhôtel de Rambouillet, cette écrivaine le reforma dans sa maison de la rue de Beauce, dans le Marais. vinrent Chapelain, Conrart, Pellisson, Ménage, Sarrasin, Isarn, Godeau, le duc de Montausier, de La Suze, de Sablé, de Sévigné, de Cornuel, Arragonais, etc. Dans les réunions, qui avaient lieu le samedi, on tenait des conversations galantes et raffinées. On y lisait de petites pièces de vers ; on y discutait les mérites et les défauts des ouvrages parus récemment ; on y commentait longuement, et souvent avec une pointe de bel esprit, les choses de moindre valeur et de moindre importance. Durant ces conversations, les dames travaillaient aux ajustements de deux poupées quon nommait la grande et la petite Pandore, et qui étaient destinées à servir de modèles à la mode. Chacun des habitués eut un surnom, presque toujours tiré des romans : Conrart sappelait « Théodamas » ; Pellisson, « Acanthe » ; Sarrasin, « Polyandre » ; Godeau, « le Mage de Sidon » ; Arragonais, « la princesse Philoxène », Madeleine de Scudéry, « Sapho ». Le plus fameux des samedis fut le 20 décembre 1653, quon appela la « journée des madrigaux » : Conrart avait offert, ce jour-, un cachet en cristal avec un madrigal denvoi à la maîtresse de la maison qui répondit par un autre madrigal, et les personnes présentes, se piquant démulation, improvisèrent à leur tour toute une série de madrigaux. Cest à une autre réunion du samedi que fut élaborée la Carte de Tendre, transportée ensuite par Madeleine de Scudéry dans le roman de Clélie.

Une autre réunion se tenait chez Madeleine de Sablé, quand elle se fut retirée au haut du faubourg Saint-Jacques pour habiter un appartement dépendant du monastère de Port-Royal. « Dans cette demi-retraite, dit Sainte-Beuve, qui avait un jour sur le couvent et une porte encore entrouverte sur le monde, cette ancienne amie de La Rochefoucauld, toujours active de pensée, et sintéressant à tout, continua de réunir autour delle, jusquà lannée 1678, elle mourut, les noms les plus distingués et les plus divers : danciens amis restés fidèles, qui venaient de bien loin, de la ville ou de la cour, pour la visiter ; des demi-solitaires, gens du monde comme elle, dont lesprit navait fait que sembellir et saiguiser dans la retraite ; des solitaires de profession, quelle arrachait par moments, à force dobsession gracieuse, à leur vœu de silence. »

La comtesse Jeanne de Verrue, amie des lettres, des sciences et des arts, accueillit également chez elle, à lhôtel dHauterive, une société choisie décrivains et de philosophes, notamment Voltaire, labbé Terrasson, Rothelin, le garde des sceaux Chauvelin, Jean-François Melon, Jean-Baptiste de Montullé, le marquis de Lassay et son fils Léon de Madaillan de Lesparre, comte de Lassay et bien dautres qui vinrent se fixer près de chez elle.

Ninon de Lenclos tint également, dans sa vieillesse, un salon lorsque des femmes du monde et de la cour, comme Marguerite de la Sablière, Marie Anne de Bouillon, Marie-Angélique de Coulanges, Anne-Marie de Cornuel, etc. vinrent se joindre au cercle de ses admirateurs. Françoise de Maintenon, à lépoque elle était la femme de Scarron tint également un salon qui acquit une grande notoriété. Dans les salons des hôtels dAlbret et de Richelieu enfin, se donnaient rendez-vous toutes les personnes de distinction, brillaient Marie de Sévigné, Marie-Madeleine de La Fayette et Marie-Angélique de Coulanges.

La duchesse du Maine, salonnière du début du XVIIIe siècle.

Dès le commencement du XVIIIe siècle, on trouve le salon de la duchesse du Maine ouvert dans son château de Sceaux elle accueillait les écrivains et les artistes mais donnait également des fêtes de nuits costumées. Elle en fit, suivant la remarque dun écrivain, le temple des galanteries délicates et des gracieuses frivolités ; cétait un piquant contraste avec ce château de Versailles séteignaient les années moroses de Louis XIV à son déclin. Malézieu et labbé Genest présidaient aux divertissements littéraires que la duchesse offrait à ses habitués dont les plus fidèles composaient « lordre de la Mouche à miel », que des courtisans spirituels avaient imaginé en son honneur. Parmi les gens desprit que lon voyait aux fêtes de Sceaux, se distinguaient, au premier rang, Fontenelle, La Motte Houdar et Chaulieu. La femme de chambre de la duchesse, Marguerite de Launay, future baronne de Staal, se fit bientôt remarquer et joua son rôle dans celle aimable société dans laquelle on pouvait également côtoyer Voltaire, Émilie du Châtelet, Marie Du Deffand, Montesquieu, dAlembert, le président Hénault, le futur cardinal de Bernis, Henri François d'Aguesseau, le poète Jean-Baptiste Rousseau, le dramaturge Antoine Houdar de la Motte, Sainte-Aulaire, labbé Mably, le cardinal de Polignac, Charles Auguste de La Fare, lhélleniste André Dacier, labbé de Vertot, le comte de Caylus, etc..

Dans le même temps, le salon de la Anne-Thérèse Courcelles, marquise de Lambert, plus grave et fréquenté en partie par les mêmes écrivains, souvrit en 1710 et ne se ferma quen 1733 : la marquise de Lambert recevait chaque mardi. « Cétait, dit Fontenelle, la seule maison qui fût préservée de la maladie épidémique du jeu, la seule lon se trouvait pour se parler raisonnablement les uns les autres, avec esprit et selon loccasion. » On y voyait surtout, avec Fontenelle et Houdar de la Motte, labbé Mongault, le géomètre Dortous de Mairan, labbé de Bragelonne et le président Hénault. Cest aux mardis de la marquise de Lambert que furent discutées, avant dêtre livrées au public, les questions relatives à la supériorité des modernes sur les anciens, à linutilité des vers pour la poésie, à labsurdité des personnifications mythologiques, aux entraves que des règles sans autre valeur que leur antiquité apportaient au libre jeu de lintelligence : questions dont les critiques de lépoque firent le sujet de tant de polémiques.

Le salon de lhôtel de Sully, qui souvrit également dans la première partie du XVIIIe siècle, nest pas moins digne dattention par la manière dont il fut tenu et par les personnages qui sy réunirent. « Lesprit, la naissance, le bon goût, les talents, dit le rédacteur du Journal des débats Jean-François Barrière, sy donnaient rendez-vous. Jamais, à ce quil paraîtrait, société ne fut ni mieux choisie, ni plus variée ; le savoir sy montrait sans pédantisme, et la liberté quautorisaient les mœurs y paraissait tempérée par les bienséances. » Les habitués de cet hôtel furent Chaulieu, Fontenelle, Caumartin, le comte dArgenson, le président Hénault, puis Voltaire, le chevalier Ramsay, la marquise Marie de Villars, la marquise Anne-Agnès de Flamarens, la duchessse Amélie de Gontaut, etc.

Parmi les nombreux salons littéraires qui furent ouverts à Paris au milieu du XVIIIe siècle, il faut citer dabord celui de la marquise Marie du Deffand, dont la rare et solide raison quelle apportait dans les causeries et discussions auxquelles elle présidait était encouragée par Voltaire en ces termes :

Ce qui est beau et lumineux est votre élément ; ne craignez pas de faire la disserteuse, ne rougissez point de joindre aux grâces de votre personne la force de votre esprit.
Julie de Lespinasse, salonnière du milieu du XVIIIe siècle.

La société qui se rassembla, à partir de 1749 chez la marquise du Deffand, rue Saint-Dominique, dans lancien couvent des Filles de Saint-Joseph, fut diminuée tout dun coup par sa brouille et sa rupture avec sa sa nièce naturelle, Julie de Lespinasse qui lui servait de dame de compagnie car celle-ci entraîna avec elle la plupart des écrivains, et surtout les encyclopédistes, dAlembert en tête, lorsquelle ouvrit, en 1764, son propre salon rue de Bellechasse Madame de Luxembourg lui avait fait meubler un appartement. Les contemporains sont pleins déloges sur le tact parfait avec lequel Julie de Lespinasse, à qui le duc de Choiseul lui fit donner une pension sur sa cassette et à qui Marie-Thérèse Geoffrin fit, de son côté, une pension de 3 000 francs, sut tenir son salon. Trente à quarante personnes se réunissaient le soir chez elle, seulement pour causer, car elle avait un revenu trop modique pour leur donner à souper. Elle dirigeait la conversation avec un art admirable, de façon à ce que chacun eût son tour et son rôle; et cependant, à part les amis de dAlembert, son cercle nétait pas composé de personnes liées les unes avec les autres. On a dit que la marquise du Deffand représentait le siècle avant Jean-Jacques Rousseau et Julie de Lespinasse le siècle après linvasion du roman en toutes choses.

Le salon de Marie-Thérèse Geoffrin eut moins de portée littéraire et celui dune bienfaitrice usant noblement de sa fortune, rassemblant chez elle ceux auxquels elle venait en aide, mais gardant, sous une apparence de douceur, des façons dagir despotiques, comme pour rappeler le bien quelle avait fait. Elle voulut éviter limprévu dans la causerie, en mettant toujours en présence les mêmes personnes, et divisa les habitués de son salon en trois catégories. Étaient admis le soir les personnes de la haute noblesse et les étrangers de distinction. Ils pouvaient rester au souper, qui était très simple, tandis que le dîner, qui était au contraire somptueux, était le moment quelle recevait ses autres invités. Le lundi, elle recevait les artistes, peintres, sculpteurs, architectes ; le mercredi, les gens de lettres et les savants parmi lesquels on distinguait surtout Diderot, dAlembert, Dortous de Mairan, Marmontel, Raynal, Saint-Lambert, Thomas, dHolbach, de comte de Caylus, etc.

À côté de ces trois salons du XVIIIe siècle, il y avait encore ceux de Louise d'Épinay, de Quinault Cadette et de Doublet de Persan. On voyait, dans le salon de Louise dÉpinay qui était restreint à un petit cercle de hommes de lettres et de philosophes les plus éclairés, le baron Grimm, Diderot et dHolbach. Les réunions de ce quon appelait la Société du bout du banc, qui se tenaient chez lactrice distinguée de la Comédie-Française, fort répandue dans le monde littéraire, Jeanne-Françoise Quinault, dite Quinault Cadette comprenaient un grand nombre dhabitués, parmi lesquels on distinguait des hommes de lettres comme dAlembert, Diderot, Duclos, Rousseau, Destouches, Marivaux, Caylus, Voltaire, Piron, Voisenon, Grimm, Lagrange-Chancel, Collé, Moncrif, Grimod de La Reynière, Crébillon fils, Saint-Lambert, Fagan de Lugny, labbé de La Marre, le chevalier Destouches et des hommes de pouvoir comme Maurepas, Honoré-Armand de Villars, le duc de Lauragais, le duc dOrléans, le Grand Prieur dOrléans, le marquis de Livry, Antoine de Fériol de Pont-de-Veyle etc. La conversation avait lieu surtout à table, au souper. Au milieu de la table était une écritoire dont chacun des convives se servait tour à tour pour écrire un impromptu. De sortirent les recueils publiés sous les titres de Recueil de ces Messieurs et dÉtrennes de la Saint-Jean. Ces productions légères nétaient que la moindre partie de ce qui occupait la Société du bout du banc. La philosophie tenait une large place dans ses repas lon y émettait les idées les plus hardies sur les questions religieuses ou politiques jusquà ce que la société devenue si nombreuse, les dîners durent se tenir dehors. Les philosophes en chassèrent les poètes, la gaieté sévanouit, et la société fut dissoute.

Situé dans un appartement extérieur du couvent des Filles-Saint-Thomas, dont lhôtesse, Madame Doublet de Persan, ne franchit pas une fois le seuil en lespace de quarante ans ressemblait, par la situation quil occupait, à ceux de la marquise de Sablé et de la marquise du Deffand. Cest de la réunion de ce « bureau desprit », qui avait reçu le nom de « Paroisse » se tenait chez elle, que sortirent les célèbres nouvelles à la main et une grande partie des Mémoires secrets de Bachaumont. Il ne faut pas non plus oublier le salon de la marquise de Turpin, se trouvaient Favart, Voisenon et Boufflers, et lon fonda lordre de la Table ronde, qui produisit le petit recueil intitulé la Journée de lamour.

Enfin, à la veille de la Révolution, on trouve encore le salon de Suzanne Necker, Germaine de Staël, alors enfant prodige, sentretenait avec Grimm, Thomas, Raynal, Gibbon, Marmontel : et le salon de Anne-Catherine Helvétius, si connu sous le nom de « Société dAuteuil », et qui rassemblait Condillac, dHolbach, Turgot, Chamfort, Cabanis, Morellet, Destutt de Tracy, etc.

Cercles et « salons » de la Révolution à la Restauration

Laure Junot d'Abrantès, sous la plume de qui le terme de salon apparaît au début du XIXe siècle.

Contrairement à ce qua rapporté une certaine historiographie, jamais les cercles abusivement nommés salons – le mot napparaît quau XIXe siècle, entre autres sous la plume de la duchesse Laure Junot d'Abrantès –, et la sociabilité nont eu autant dimportance en France et en Europe quà la toute fin du XVIIIe siècle et dans les premières années du XIXe siècle. Il existe encore à cette époque plusieurs expressions pour désigner ce quon appellera plus tard « salons littéraires ». On parlait couramment en effet sous Louis XVI de « bureaux desprit » pour désigner une réunion à intervalles réguliers chez une dame du monde, et ses habitués forment sa « société ».

La sociabilité des temps pré-révolutionnaires et révolutionnaire sarticule autour de ces lieux dinfluence dont la caractéristique commune, contrairement aux clubs et académies de jeu qui apparaissent avec les loges maçonniques, est de cantonner exclusivement dans la sphère privée. Selon les époques et surtout selon lactualité, ces réunions qui ne sont pas accessibles au tout-venant et prennent une tonalité moins « littéraire » – si tant est que le salon « littéraire » stricto sensu ait jamais existé – que politique, plus ou moins – même si la littérature, le théâtre, le jeu, la peinture et la musique y occupèrent alors une place importante. Selon les cas, on est plus ou moins en faveur des philosophes, dune nomination, dune décision ministérielle, dune pièce de théâtre à sous-entendus, dun acteur ou dune actrice à succès.

Calonne, Necker, Loménie de Brienne, Mademoiselle Clairon pour ne citer queux, ont bien souvent, sous Louis XVI, été au centre de ces discussions de « salon ». Sénac de Meilhan ou labbé Morellet sont les contemporains qui ont peut être le mieux envisagé cette dimension généralement escamotée. Chez Mme Grimod de La Reynière ou chez la marquise de Cassini, on colporte les nouvelles mais surtout, on intrigue pour faire ou défaire un homme en place, diminuer une influence, ruiner une réputation. Plus on se rapproche de la Révolution, plus les « salons » se radicalisent et se distinguent les uns des autres.

Anne-Catherine de Ligniville Helvétius, salonnière de la fin du XVIIIe siècle.

Dix ans avant la Révolution, le « bel esprit » a plus généralement laissé place aux joutes et affrontements politiques auxquels prennent part les auteurs (Chamfort, Rivarol, La Harpe, Beaumarchais, etc.). Entre 1784, date de louverture des arcades du Palais-Royal puis, sous les trois premières législatures de la Révolution, les cercles ou « salons » font, en quelque sorte, écho aux clubs et académies, dont ils sont le prolongement, et ils sont aussi bien des lieux dinfluence politique sélaborent divers projets dont certains trouveront une traduction législative.

Parmi ces lieux dont limportance politique ne peut échapper, on distingue, selon ce quon met derrière les mots, les cercles « révolutionnaires » et « contre-révolutionnaires ». Les hôtes – la plupart sont auteurs –, reçus dans le salon dAnne-Catherine Helvétius, à Auteuil, ou de Fanny de Beauharnais, rue de Tournon –  elle fait donner une lecture de Charles IX –, sont regardés comme « révolutionnaires », par opposition aux réunions organisées chez la duchesse de Polignac, la comtesse de Brionne ou la duchesse de Villeroy dont les habitués, fort politisés eux aussi, cherchent à saboter la réunion des États généraux. De « révolutionnaire » en 1789, le cercle de Mmes Charles de Lameth sera au fil des événements, bientôt perçu comme « contre-révolutionnaires » et si Robespierre y paraît régulièrement de 1789 à mai 1790, il sabstient, après la scission des Jacobins et la création du club des Feuillants.

Les écrivains hantent tous ces « salons » si importants pour lhistoire des idées, et toutes les sensibilités sont représentées. La littérature et le théâtre, libérés de lenvahissante censure dAncien régime, sont sujets à discussions interminables et à affrontements. Sous la Législative, les salons à la mode sont ceux de Mmes Pastoret, place de la Révolution puis à Auteuil, dont Morellet parle longuement dans ses lettres, de Sophie de Condorcet, rue de Bourbon, de Germaine de Staël, alors maîtresse du ministre Narbonne, rue du Bac, de Manon Roland dite « légérie des Girondins », rue de La Harpe, de Julie Talma rue Chantereine. Au contraire, dans le salon de Mme de Montmorin, épouse du ministre des Affaires étrangères, vient Rivarol qui en est un des piliers, on cherche à débaucher les écrivains pour la « bonne cause »[1]. Également chez Mme dEprémesnil rue Bertin-Poirée, ou se regroupent, depuis 1789, les membres de lopposition parlementaire la plus vindicative. On y voit Malouet, Montlosier, Parny, Arnault etc.

Malgré le danger qui commence à poindre, certaines dames ont un salon résolument monarchique, ainsi celui de la duchesse de Grammont, sœur de Choiseul, chez qui sélaborent une infinité de plans contre-révolutionnaires, comme le financement de divers projets dévasion de la famille royale. La littérature et le théâtre, surtout parce que les auteurs sont beaucoup plus engagés depuis la levée de la censure (1789), restent toujours largement au centre des discussions – les pièces de théâtre dAntoine-Vincent Arnault, de Marie-Joseph Chénier, de Colin dHarleville, ou dOlympe de Gouges créent ou accompagnent les mouvements dopinion depuis le début de la Révolution – et, contrairement à ce qui est souvent raconté il ny a pas véritablement rupture mais continuité dans la grande tradition salonnière du XVIIe au XIXe siècle.

Après quon eut dévoilé les droits de lhomme en abrogeant la meurtrière loi des suspects, de très nombreux « salons » voient ou revoient le jour. Les principaux se tiennent chez Julie Talma, chez Sophie de Condorcet ou chez Laure Regnaud de Saint-Jean dAngély, rue Charlot, se pressent Mme de Chastenay et von Humboldt qui en parlent dans leurs écrits. Ces femmes cultivées ont, il est vrai, le don dattirer chez elles les auteurs, les artistes et les comédiens de talent. Ces rassemblements sont les hauts lieux de lintelligence et de la culture. Certains salons "muscadins" demeurent des heuts lieux de complot, ainsi chez Mme de Saint-Brice, dans le quartier du Sentier, se réunissent les conjurés de thermidor an II - notamment Tallien -, ou celui de la comtesse dEsparbès, ancienne maîtresse de Louis XV, chez qui viennent Richer-Sérizy et beaucoup de ceux qui seront poursuivis au lendemain du 18 fructidor an V. Un certain nombre de femmes, depuis la Révolution, font ce quon appelle les « honneurs » de salons qui sont les résidences dhommes avec lesquels elles ne sont pas mariées. Ce sont souvent des lieux hautement politiques comme le "50" des arcades du Palais-Royal le financier Aucane a établi une maison de jeu en même temps que salon tenu par Mme de Sainte-Amaranthe, le cercle de Mme de Linières derrière laquelle se profile François Chabot, ou encore les appartements de Paul de Barras que Catherine de Nyvenheim, duchesse de Brancas, son amie, métamorphose un temps en salon politique. Les salons lon joue de la musique, lon sert des repas raffinés, lon cause politique, théâtre et littérature sont extrêmement nombreux sous la Révolution, et, outre ceux cités plus haut, on citera encore ceux de la baronne de Burman, lamie de Beaumarchais, de la marquise de Chambonnas se réunissaient les collaborateurs de Actes des Apôtres, de Adélaîde Robineau de Beaunoir, fille naturelle du ministre Bertin et femme de lettres, qui créa rue Traversière un cercle de jeu faisant office de salon venaient les conventionnels Merlin et Cambacérès, de Mmes de Beaufort et de Pompignan qui recevaient les députés en vue Delaunay dAngers, Julien de Toulouse, Osselin et autres membres du premier comité de sûreté générale de 1793, rue Saint-Georges, ou enfin de la brillante Louise de Kéralio, Mme Robert qui afficha ostensiblement les couleurs républicaines.

Germaine de Staël, salonnière du début du XIXe siècle.

À la fin du Directoire, Paris avait entièrement renoué avec les traditions de la conversation et de la causerie. Lun des plus célèbres des cercles littéraires et politiques fut celui de Germaine de Staël , avec Benjamin Constant, vinrent fréquemment Lanjuinais, Boissy dAnglas, Cabanis, Garat, Daunou, de Destutt de Tracy, Chénier. Il y avait aussi les cercles philosophiques et littéraires dAmélie Suard, de Sophie dHoudetot dans lesquels dominaient les gens de lettres et les philosophes, continuateurs directs du XVIIIe siècle. Il y eut également les salons du monde, comme ceux dAdélaïde de la Briche, de la marquise de Pastoret, dAnne de Vergennes, se distinguait sa fille, Claire Élisabeth de Rémusat. Du point de vue littéraire, le salon le plus intéressant de cette époque fut celui que tint, rue Neuve-du-Luxembourg, Pauline de Beaumont, la fille du comte de Montmorin : « De ce côté, a dit un critique, se trouvaient alors la jeunesse, le sentiment nouveau et lavenir. » Les habitués de ce salon chacun avait, suivant la mode ancienne, son sobriquet, étaient Chateaubriand, Joubert, Fontanes, Molé, Pasquier, Charles-Julien Lioult de Chênedollé, Guénaud de Mussy, Madame de Vintimille ; beaucoup dautres ne venaient quen passant, attirés par laccueil empressé fait à la réputation et au talent. Ce salon qui, dans un autre temps, aurait pu avoir de linfluence, ne subsista que de 1800 à 1803. Les traditions en furent reprises un peu plus tard par Madame de Vintimille, qui reçut les mêmes personnes, et quelques autres partageant les opinions nouvelles.

Puis sous le Consulat, dès lannonce du Consulat à vie, les clivages politiques réapparurent avec force : salons royalistes contre salons bonapartistes. Après la rupture de la paix d'Amiens, Bonaparte fit arrêter puis déporter Mmes de Damas et de Champcenetz et dautres dames du faubourg saint-Germain dont les salons étaient des lieux dactivisme politique. Germaine de Staël et son amie Juliette Récamier eurent, elles aussi, à subir les conséquences de leur opposition frontale à « lusurpateur ». Les épouses de ministre et dautres dames dont les maris avaient solidarisé leurs intérêts avec le régime impérial, tendirent à renouer avec lancienne tradition, du moins jusquà 1814.

Les derniers des salons littéraires dignes de ce nom ont été ceux, sous la Restauration, de Juliette Récamier et de Delphine de Girardin au salon régulièrement fréquenté, entre autres, par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset, Victor Hugo, Laure Junot dAbrantès, Marceline Desbordes-Valmore, Alphonse de Lamartine, Jules Janin, Jules Sandeau, Franz Liszt, Alexandre Dumas père, George Sand et Fortunée Hamelin.

Un des derniers grands salons littéraires de Paris a été celui de Virginie Ancelot à lhôtel de La Rochefoucauld. Meilleure écrivaine que son mari, Jacques-François Ancelot, qui fut élu à lAcadémie française en 1841, celle qui était, par ses talents, plus digne que lui dintégrer cet auguste corps, fit de son salon elle accueillit, de 1824 à sa mort en 1875, Pierre-Édouard Lémontey, Lacretelle, Alphonse Daudet, Baour-Lormian, Victor Hugo, Sophie Gay et sa fille Delphine de Girardin, le comte Henri de Rochefort, Mélanie Waldor, la comédienne Rachel, Jacques Babinet, Juliette Récamier, Anaïs Ségalas, François Guizot, Saint-Simon, Alfred de Musset, Stendhal, Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Alfred de Vigny, Prosper Mérimée, Delacroix, presque un passage obligé vers cette institution.

Parlant, dans son discours de réception, de ces « femmes de lAncien Régime, reines des salons et, plus tôt, des « ruelles » qui inspiraient les écrivains, les régentaient parfois », Marguerite Yourcenar, première femme à être élue à lAcadémie française trois siècles et demi après sa création, déclara : « Je suis tentée de meffacer pour laisser passer leur ombre ».

Salons français célèbres

Les salons les plus connus ont été (liste non exhaustive:

XVIe siècle

XVIIe siècle

XVIIIe siècle

XIXe siècle

Au XXe siècle

Salon anglais célèbre

au XVIIIe siècle

Bibliographie

  • Olivier Blanc, « Cercles politiques et salons du début de la Révolution (1789-1793) », in Annales historiques de la Révolution française, 2006, n° 2, p. 63-92
  • (en) Amelia Ruth Gere Mason, The Women of the French Salons, New York, The Century Co., 1891 ; Kessinger Publishing, 2004 (ISBN 9781419188428)
  • (en) Evelyn Beatrice Hall, The Women of the salons, and other French portraits, Freeport, Books for Libraries Press 1969
  • Verena von der Heyden-Rynsch, Salons européens. Les beaux moments dune culture féminine disparue, Paris, Gallimard, 1993 (ISBN 9782070729609)
  • Stephen Kale, French Salons, High Society and Political Sociability from the Old Regime to the Revolution of 1848, The Johnson Hopkins University Press, Baltimore and London, 2004.
  • Antoine Lilti, Le Monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 (ISBN 9782213622927)
  • (en) Carolyn C. Lougee, Le Paradis des femmes : women, salons, and social stratification in seventeenth-century France, Princeton, Princeton University Press, 1976
  • Mary Summer, Quelques Salons de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Société française déditions dart, L.H. May, 1898
  • Jean de Viguerie, Filles des Lumières : femmes et sociétés desprit à Paris au XVIIIe siècle, Bouère, Dominique Martin Morin, 2007 (ISBN 9782856523063)

Notes et références

  1. Ils sont payés sur le fond de la librairie du ministère des Affaires étrangères

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